Mardi 24 novembre 2009

- Présidence de M. Alain Lambert, président -

Audition de M. Xavier Péneau, directeur adjoint de la modernisation et de l'action territoriale au ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, et de M. Jean-Claude Colliard, président de l'université de Paris-I Panthéon-Sorbonne

M. Alain Lambert, président, a ouvert la séance en précisant que la délégation poursuivait ses auditions avec l'idée de préparer un certain nombre de débats thématiques dont l'objectif était de définir les orientations qui pourraient être présentées au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Il a rappelé que, dans le cadre de la préparation de ces débats, la délégation avait entendu la semaine précédente M. Dominique Hoorens, directeur des études économiques et financières de l'union sociale pour l'habitat, et M. Philippe Valletoux, membre du Conseil économique, social et environnemental. Il a rappelé que M. Hoorens avait abordé la question de la suppression de la taxe professionnelle, de l'évolution qu'elle avait connue et des liens qu'elle établissait entre les territoires et les entreprises, d'une part, et la problématique de la révision des valeurs locatives, de l'impact que cette révision était susceptible d'avoir pour les collectivités territoriales et des solutions tant techniques que politiques qu'appelait sa mise en oeuvre, d'autre part.

Il a observé que l'intervenant avait souligné la difficulté de concilier l'objectif de territorialisation de l'impôt avec les impératifs de péréquation entre collectivités territoriales. Il a proposé de transmettre aux membres de la délégation le compte rendu intégral de cette réunion ainsi qu'un questionnaire, préparé en collaboration avec M. Dominique Hoorens, en vue de la tenue d'une audition thématique sur la double question des modalités de révision des valeurs locatives et de l'arbitrage entre territorialisation et péréquation.

M. Alain Lambert, président, a souhaité que la délégation dispose d'outils utiles à sa réflexion et a proposé dans cette perspective de rendre ses membres destinataires d'un certain nombre de documents d'actualité intéressant les collectivités territoriales et la décentralisation, notamment des statistiques, des textes réglementaires, des rapports et des analyses. Ces documents, adressés par voie électronique au fur et à mesure de leur parution, auront vocation à étayer et à préparer les débats de la délégation. Il a annoncé qu'allait être distribué un dossier relatif à l'évolution des effectifs de la fonction publique territoriale, établi en réponse à la question posée à ce sujet par M. Edmond Hervé au directeur général des collectivités territoriales, lors de son audition devant la délégation le 27 octobre dernier.

Il a ensuite indiqué que la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation procéderait, le mardi 1er décembre, à l'audition des auteurs du rapport de la Cour des comptes sur « La conduite par l'État de la décentralisation », et qu'une fiche de synthèse sur ce rapport serait adressée aux membres de la délégation, faisant ressortir les principaux axes d'analyses de la Cour des comptes. Il a remarqué que les magistrats portaient des appréciations sévères tant sur le pilotage du processus de décentralisation que sur l'État, qui s'est maintenu dans des dispositifs décentralisés et a mis en oeuvre des modalités de financement de la décentralisation inadéquates.

M. Alain Lambert, président, a ensuite rappelé que le Sénat allait entrer dans une période où il serait difficile à la délégation de se réunir sans compromettre la participation de ses membres aux débats et aux votes en séance plénière : ainsi, le mardi 8 décembre, devrait se tenir le vote sur l'ensemble du projet de loi de finances pour 2010 et, le mardi 15 décembre, devrait s'ouvrir la discussion générale sur la concomitance des élections territoriales et, si le Gouvernement le décide, celle du projet de loi n° 60 relatif à la réforme territoriale. Il a proposé que la délégation ne se réunisse pas à ces deux dates. Il a estimé que le débat thématique sur la péréquation pourrait être maintenu à la date du 13 janvier 2010, s'il n'y avait pas de télescopage avec la poursuite de la discussion de la réforme territoriale.

M. Alain Lambert, président, a ensuite accueilli M. Xavier Péneau, chef de service adjoint à la direction de la modernisation et de l'action territoriale au ministère de l'intérieur et a précisé qu'il avait participé à la préparation de la réforme territoriale, en ce qui concerne son volet électoral. Avant de lui donner la parole, il a tenu à souligner que les chefs d'administration répondaient à des questions juridiques et techniques, et qu'il était de bonne méthode de réserver les questions politiques aux responsables politiques.

M. Xavier Péneau a souhaité apporter des réponses précises aux questions pointues qui lui avaient été soumises en vue de la préparation de cette audition. Il a indiqué que, dans la lignée de l'audition du directeur général des collectivités territoriales récemment entendu par la délégation, il présenterait la partie de la réforme des collectivités territoriales relative à l'élection des conseillers territoriaux et des délégués intercommunaux.

S'agissant des critères déterminant le nombre des conseillers territoriaux par région, il a rappelé, comme le précise l'exposé des motifs des projets de loi relatifs à la réforme territoriale, que l'objectif recherché était la diminution de 50 % du nombre des élus locaux, afin d'atteindre le nombre de 3 000 élus contre 6 000 aujourd'hui comprenant 4 182 conseillers généraux et 1 880 conseillers régionaux.

Il a estimé que, au regard de la diversité des situations locales, notamment du point de vue démographique, il n'y avait pas de raison de « nationaliser » les effectifs des conseillers territoriaux : le nombre de ces derniers, dans une région donnée, ne sera pas en relation proportionnelle avec ceux d'une autre région, ni avec la population de la région concernée, en revanche la proportionnalité sera respectée à l'intérieur d'une même région entre les différents départements, le nombre de conseillers territoriaux étant en relation avec la population des circonscriptions départementales. Ce dernier point correspond au principe constitutionnel d'égalité des suffrages.

M. Xavier Péneau a noté que ce principe serait pondéré pour répondre à trois nécessités :

- l'objectif global de réduction de 50 % dans chaque région du nombre des élus territoriaux ;

- l'instauration de conditions permettant l'efficacité de la gouvernance du département et la juste représentation des territoires. Dans cette perspective, le nombre minimum de conseillers territoriaux par département serait fixé à 15, ainsi que l'a confirmé récemment le Président de la République. Actuellement, 26 départements sont sous-représentés au niveau de leur région, n'ayant qu'entre 2 et 10 représentants, il sera donc remédié à cette situation et des ajustements seront prévus pour garantir la bonne représentation des territoires ;

- l'encadrement des effectifs des conseils régionaux qui ne devront pas excéder un multiple inférieur à 2 par rapport au nombre actuel.

Il a indiqué que des choix restaient à faire sur la méthode de répartition des sièges et précisé que certaines grandes lignes directrices devraient être respectées : en particulier, les futurs cantons devront être adaptés aux limites des nouvelles circonscriptions législatives, le nombre de cantons sera plafonné à son niveau actuel, un nombre minimum de cantons sera fixé par circonscription législative, de même que sera défini le nombre minimum d'élus au suffrage universel par circonscription législative. Il a indiqué que ces différentes dispositions se retrouveraient dans le projet de loi d'habilitation, qui tiendra compte de deux échéances importantes de la fin de l'année 2009 : le remodelage définitif des circonscriptions législatives et l'actualisation des résultats du recensement de 2007.

M. Xavier Péneau a ensuite abordé les questions relatives à l'élection des délégués communautaires. Il a observé que le choix avait été fait de ne pas privilégier le suffrage universel direct dans le cadre d'une nouvelle circonscription qui aurait fait « disparaître » la commune, ce qui se traduisait par la création du système de « fléchage » prévu par la réforme territoriale. Il a souligné qu'il n'était pas possible de contraindre un élu local à siéger pour la totalité de la durée de son mandat au conseil communautaire de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et que, par conséquent, la possibilité lui serait laissée de démissionner, y compris pour des raisons de convenance personnelle. Il a précisé que la fonction laissée vacante par l'élu démissionnaire reviendrait au suivant sur la liste, cette règle s'appliquant également dans les communes de moins de 500 habitants.

S'agissant des conseillers territoriaux, M. Pierre-Yves Collombat a fait état des différentes projections réalisées pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et a appelé l'attention sur les distorsions de représentation des différents départements au sein de celle-ci, quels que soient les critères retenus, en raison de leur hétérogénéité démographique.

De même, M. Yves Krattinger a fait part de résultats surprenants pour l'ensemble de la France, avec de fortes amplitudes de représentativité en faveur de départements soit très peuplés qui verraient leur nombre de conseillers territoriaux augmenter ou, au contraire, peu peuplés qui auraient un nombre minimum de 15. Il a attiré l'attention sur la perspective d'assemblées pléthoriques et l'obligation de prévoir des locaux adaptés. Prenant l'exemple de la région Rhône-Alpes, il a estimé impossible de descendre en dessous de 300. Enfin, il a demandé au représentant du ministère de l'intérieur de rendre publiques les projections concernant la répartition des conseillers territoriaux pour une égale information des élus et l'a interrogé sur l'actualité du redécoupage des circonscriptions.

M. Dominique Braye est intervenu au sujet des délégués communautaires, rappelant les termes du débat entre supracommunalité et intercommunalité. Il a exprimé la crainte que les communes disposant de cinquante pour cent de la population ou plus aient désormais les « clés » de l'intercommunalité, citant une étude de l'Assemblée des Communautés de France. Il a appelé l'attention sur les risques d'un renforcement des approches partisanes et des confrontations politiques au sein des futures intercommunalités et s'est demandé si le Gouvernement n'avait pas trouvé là un moyen d'imposer la création de nouvelles communes.

M. Jacques Mézard a regretté que les parlementaires ne bénéficient pas des clés de calcul utilisées par le ministère et a jugé la réforme des conseillers territoriaux inapplicable car se traduisant par un triplement des représentants des régions et une surreprésentation considérable des petits départements. Pour les délégués communaux, il a souligné la surcharge de travail pour certains maires qui devront cumuler la présidence de nombreuses commissions et seront seuls à représenter leur commune à l'intercommunalité.

En réponse, M. Xavier Péneau a indiqué que :

- son ministère ne dispose pas de tableaux de répartition des sièges par département mais qu'il avait cherché à identifier les problèmes, le projet de loi d'habilitation renvoyant seulement à des critères de répartition ;

- le choix de la méthode de répartition n'est pas encore arrêté mais il y aura inévitablement des distorsions, dans la mesure où il y aura un nombre minimum de sièges pour certains départements et un souci de représenter les différents territoires ;

- si l'objectif est bien de réduire de moitié, globalement, le nombre de conseillers, cette baisse ne sera pas uniforme dans l'ensemble des régions ; il y aura des corrections notamment pour représenter certains départements et pour ajuster certaines circonscriptions cantonales mais en respectant les limites des circonscriptions législatives fixées par la loi.

M. Éric Doligé a souhaité qu'on recherche les moyens de faire varier les « curseurs » de la réforme dont il a rappelé les grands axes en termes d'effectifs, tout en respectant les principes et limites fixés par le Conseil constitutionnel.

A propos des déséquilibres démographiques, M. Pierre Bernard-Reymond a souligné l'absence d'une réelle politique d'aménagement du territoire, notamment dans le département des Hautes-Alpes, et s'est interrogé sur l'équilibre entre la dimension territoriale et la dimension démographique acceptable par le Conseil constitutionnel pour la représentativité des conseillers qu'entraînera la réforme. En ce qui concerne les conseils intercommunaux, il a souhaité que les sièges attribués soient déterminés en fonction de « fourchettes » et non en chiffres ronds, pour plus de flexibilité, et que soit ouvert le débat sur le cumul des mandats des élus locaux, ainsi que sur la délimitation des cantons.

M. Rémy Pointereau a souligné l'importance des notions de population et de territoires pour élire les futurs conseillers territoriaux. En prenant l'exemple des départements du Cher et d'Eure-et-Loir, il s'est interrogé sur les dispositions qui seraient choisies pour équilibrer ces deux notions. S'agissant de la question des délégués communautaires, il a demandé si ces derniers disposeraient de suppléants. Enfin, il a regretté que les circonscriptions législatives aient été redéfinies avant les cantons.

Mme Marie-Thérèse Bruguière a souhaité savoir si, dans le cadre de la réforme, le maire de la commune centre deviendrait systématiquement le président du groupement de communes, dans la mesure où il disposerait du plus grand nombre de délégués communautaires. Elle a estimé que les conseils communautaires qui le souhaitaient devraient pouvoir continuer de fonctionner selon les règles de représentation actuelles.

M. Hervé Maurey a regretté qu'un conseiller municipal puisse renoncer à sa fonction de délégué communautaire. Il s'est demandé s'il était pertinent de lier le mandat de conseiller municipal et la fonction de délégué communautaire. Par ailleurs, il a plaidé pour que les cantons respectent, outre les circonscriptions législatives, les limites des groupements de communes. Enfin, il a souhaité savoir si le scrutin majoritaire à un tour appartenait à la tradition constitutionnelle française.

M. Roland du Luart s'est inquiété de l'emploi du temps des futurs conseillers territoriaux qui devraient siéger dans de nombreuses commissions du conseil général et du conseil régional. Il a estimé que la reconnaissance des suppléants qui les remplaceraient dans ces instances permettrait de répondre à cette difficulté mais n'entraînerait alors aucune économie de moyens.

M. Xavier Péneau a souligné que le scrutin mixte utilisé pour l'élection des conseillers territoriaux, soit un scrutin majoritaire accompagné d'une dose de proportionnelle, était un principe incontournable de la réforme sur lequel il serait difficile de revenir. En effet, il a estimé que le scrutin proportionnel atténuait la « brutalité » du scrutin majoritaire à un tour et permettait la représentation des petites formations politiques. Il a ensuite jugé possible l'élection de 4 000 conseillers territoriaux au lieu des 3 000 prévus dans le projet de loi mais a rappelé que ces derniers seraient aussi conseillers régionaux, ce qui multiplierait par deux leur nombre par rapport à l'effectif actuel. Sur la question des investissements engendrés par la réforme, il a indiqué qu'aucune simulation n'avait été réalisée mais que l'utilisation de centres de congrès, par exemple, permettrait de répondre à l'augmentation du nombre des conseillers régionaux. Il a précisé que les suppléants des conseillers territoriaux ne percevraient pas d'indemnités, mais seraient dédommagés de leurs frais de déplacements.

S'agissant du redécoupage cantonal, il a jugé possible qu'il respecte les limites des circonscriptions législatives. Cependant, il a rappelé qu'aucun principe constitutionnel ne le prévoyait, la loi pouvant toujours revenir sur les limites des circonscriptions électorales pour prendre en compte les circonstances locales. Par ailleurs, il a indiqué que le nombre de délégués communautaires n'était pas lié au mode d'élection des communes membres. Il a précisé que le fléchage des élus communautaires ne supposait pas qu'il n'y en ait qu'un et que la désignation se ferait dans l'ordre du tableau.

Il a considéré que le maire de la commune centre ne serait pas obligatoirement président du groupement de communes, puisque son élection relèverait, comme aujourd'hui, d'accords entre les différentes communes.

Il a estimé difficile de juger de la constitutionnalité du scrutin uninominal à un tour, compte tenu de l'évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ainsi, le Conseil constitutionnel a-t-il déjà admis des entorses au principe de « représentation proportionnelle » de la population en estimant que chaque département devait disposer d'au moins deux députés. Toutefois, il est revenu sur ce principe dans sa décision relative à l'ordonnance du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés, en supprimant ce plancher minimum de représentation.

M. Pierre Bernard-Reymond s'est demandé si les modalités d'élection des conseillers territoriaux ne seraient pas défavorables aux femmes.

M. Xavier Péneau a répondu que, aujourd'hui, 12 % des conseillers généraux et 48 % des conseillers régionaux étaient des femmes. A résultats inchangés lors de l'élection des futurs conseillers territoriaux, il a estimé que 22 % de ces élus seraient des femmes. Par ailleurs, il a souligné que l'extension du scrutin de liste aux communes d'au moins 500 habitants allait favoriser la parité en augmentant de 100 000 le nombre de femmes élues dans les conseils municipaux et que, ainsi, globalement, la parité ne reculerait pas.

M. Alain Lambert, président, a remercié M. Xavier Péneau pour sa présentation et a accueilli ensuite M. Jean-Claude Colliard, professeur agrégé de droit public, président de l'Université de Paris-I Panthéon Sorbonne et ancien membre du Conseil constitutionnel de 1998 à 2007. Il a rappelé qu'un certain nombre de prises de positions doctrinales étaient intervenues sur le projet de réforme des modes de scrutin pour l'élection des conseillers communautaires, comme pour celle des conseillers territoriaux.

Tout d'abord, M. Jean-Claude Colliard a observé que la question de la constitutionnalité du scrutin était un véritable enjeu.

En premier lieu, il a rappelé que la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 avait ajouté à l'article 3 de la Constitution de 1958, devenu depuis l'article 1er, la disposition selon laquelle « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ». Il a jugé que l'indicatif présent « favorise » avait valeur d'impératif et qu'une loi nouvelle ne pouvait donc que renforcer la parité par rapport aux lois plus anciennes. Il a rappelé que la situation était aujourd'hui contrastée puisque les femmes représentaient 12 % des conseillers généraux et 48 % des conseillers régionaux. Il a estimé que la proportion de femmes qui présenteraient leur candidature pour l'élection des conseillers territoriaux au scrutin majoritaire devrait être stable, tandis que la part de représentation féminine au scrutin proportionnel pourrait augmenter du fait de l'alternance de candidats de sexe différent sur les listes. Ainsi, dans le cadre de l'élection des conseillers territoriaux, il a considéré que les femmes pourraient représenter 20 % des élus des conseils généraux et 20 % des élus des conseils régionaux. Par ailleurs, il a évalué à 16 % la part des femmes dans les deux conseils, en globalisant les effectifs actuels des conseils généraux et des conseils régionaux, ce qui améliorait la situation dans les premiers, mais l'aggravait dans les seconds au regard de l'objectif de parité.

Il s'est demandé ensuite si certains autres aspects de la réforme territoriale ne risquaient pas d'être déclarés inconstitutionnels. Toutefois, il a estimé que le risque ne reposait pas sur l'inconstitutionnalité du scrutin majoritaire uninominal à un tour, thèse défendue par M. Guy Carcassonne. Tout en relevant, comme ce dernier, que le scrutin majoritaire uninominal à deux tours n'avait pas connu d'exception dans l'histoire électorale française, il s'est demandé si cela suffisait pour fonder un principe fondamental reconnu par les lois de la République, c'est-à-dire un « principe d'une portée générale, défini par un texte républicain, dont l'application est générale, continue et non contingente ». Il a rappelé que le Conseil constitutionnel avait jugé qu'un principe toujours appliqué par les lois de la République n'en était pas pour autant fondamental s'il n'avait pas une importance suffisante. Ainsi, le principe de la séniorité a-t-il été remis en cause par la décision n° 98-407 du 14 janvier 1999 du Conseil constitutionnel, qui a admis que, lorsque deux candidats disposaient du même nombre de voix à l'occasion d'une élection, le plus jeune des deux finalistes pouvait être déclaré élu, le Conseil constitutionnel a jugé en effet que le principe de séniorité n'était pas assez important pour être reconnu comme fondamental.

La question de l'élection des conseillers territoriaux au scrutin proportionnel lui a paru plus délicate. Il a noté que l'article L. 190-8 du code électoral, tel qu'il était proposé par le projet de réforme des collectivités territoriales, disposait que nul ne pouvait être candidat à la fois sur une liste et dans un canton. Il en résultait que les listes pour l'élection des conseillers territoriaux élus au scrutin proportionnel seraient composées de candidats qui ne bénéficieraient d'aucune voix sur leur nom, leur élection relevant de la comptabilisation des voix des candidats perdants au niveau de chaque canton. Il a considéré que cette disposition pouvait être contradictoire avec le principe selon lequel un candidat est élu s'il a bénéficié du plus grand nombre de suffrages exprimés sur son nom ou s'il appartient à la liste ayant remporté le plus grand nombre de voix. Il a estimé que ce principe pouvait être considéré comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Par conséquent, il s'est prononcé en faveur de la mise en place d'un scrutin à deux bulletins ou d'un bulletin double, sur le modèle allemand.

M. Jean-Claude Colliard a rappelé que l'article 14 du projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale prévoyait que le gouvernement procéderait par ordonnance pour déterminer le tableau des effectifs des conseils généraux et des conseils régionaux. Il a noté que cette demande d'habilitation présentée par le gouvernement renvoyait au principe d'égalité devant le suffrage, tout en tenant compte des impératifs permettant la bonne administration du département et de la région. Il a souligné la difficulté de concilier ces deux principes dans les régions où coexistent des départements avec de forts écarts de population. Il a cité l'exemple de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, dans laquelle, avec l'hypothèse de 50 conseillers territoriaux pour le département des Bouches-du-Rhône, le respect de l'égalité devant le suffrage conduirait à élire 26 conseillers généraux pour le Var, 14 pour le Vaucluse, 4 pour les Alpes-Maritimes et 3 pour les Hautes-Alpes.

Il a jugé, de manière générale, qu'un conseil général ne devait pas compter moins de 12 conseillers généraux. Pour résoudre cette problématique, deux solutions étaient envisageables : soit multiplier le nombre d'élus et de cantons ce qui posait un problème en matière d'égalité devant le suffrage, soit maintenir une proportionnalité, même aménagée, au risque d'avoir des conseils généraux pléthoriques et, in fine, ingouvernables.

Il a noté ensuite que, malgré la convergence des jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat sur le découpage électoral, qui reposaient toutes deux sur des exigences essentiellement démographiques, leurs décisions différaient sur les implications qui en découlent. Le Conseil constitutionnel, en tant que juge des élections législatives, s'est intéressé à l'égalité des suffrages au niveau national. Ainsi, son souci a-t-il été de veiller à la répartition des sièges en tenant compte de la population à l'intérieur de chaque département, en contrôlant que l'écart de population entre deux circonscriptions ne dépassait pas 20 %. Le Conseil d'Etat, en tant que juge des élections cantonales, apprécie, de fait, l'égalité de population au sein de chaque département. Le juge administratif a accepté des écarts de population entre deux cantons d'un même département allant jusqu'à 50 % mais, en revanche, il a censuré un découpage cantonal à cause d'un écart allant de 1 à 5 entre la population de deux cantons d'un même département. Il a estimé que, dans le cadre de la réforme, la jurisprudence du Conseil d'Etat applicable au découpage cantonal pourrait être transposée à l'élection des conseillers territoriaux.

Par ailleurs, M. Jean-Claude Colliard a souligné la difficulté de répartir les sièges des conseils régionaux entre les départements. Les lois n° 99-36 du 19 janvier 1999 et n° 2003-327 du 11 avril 2003 relatives à l'élection des conseillers régionaux avaient ainsi prévu des modalités différentes de répartition des représentants de chaque département au conseil régional. L'actuel projet de loi modifie encore les règles de cette répartition en voulant réduire le nombre d'élus siégeant dans les assemblées départementales et régionales. Il a noté que, si le nombre de conseillers régionaux augmentait, la réforme ne répondait plus à cet objectif de réduction du nombre des élus régionaux et départementaux.

Il s'est interrogé sur les effets de cette nouvelle représentation des départements au sein d'une même région au regard des dispositions de l'article 72 alinéa 5 de la Constitution, selon lequel aucune collectivité territoriale ne pouvait exercer une tutelle sur une autre, estimant que, politiquement, le risque d'une tutelle existait.

M. Jean-Claude Colliard a abordé ensuite les effets politiques et techniques induits par le recours à un scrutin mixte. Il a relevé que le recours à un vote unique aurait des effets en sens contraires, dans la mesure où le scrutin majoritaire oblige à se rassembler tandis que le scrutin proportionnel conduit à se disperser. Le système aurait donc, selon lui, à la fois l'effet d'un frein et d'un accélérateur. Dès lors qu'il serait nécessaire d'avoir un pourcentage important pour obtenir un siège à la représentation proportionnelle, le bénéfice en reviendrait au grand parti ayant perdu au scrutin majoritaire, ce qui conduirait les petites formations politiques à se rapprocher des partis plus importants.

Il a regretté la disparition des petits cantons en milieu rural, en insistant sur l'importance du rôle du conseiller général dans ces territoires. Par ailleurs, il s'est interrogé sur la compatibilité du mandat de parlementaire avec celui de conseiller territorial, dans la mesure où ce dernier mandat demanderait aux élus beaucoup de temps, ce que reconnaît implicitement le projet de loi, puisqu'il prévoit de recourir aux suppléants, ce qui justifierait pour ces derniers la reconnaissance d'un statut.

M. Yves Krattinger s'est interrogé sur le statut du remplaçant d'un conseiller territorial et sur le rôle exact qui lui était attribué par le projet de loi.

M. Jean-Claude Colliard a souligné que la réforme pouvait éventuellement provoquer des effets pervers. Ainsi, il a émis l'hypothèse qu'un candidat, se présentant dans une circonscription qui pouvait être considérée comme lui étant favorable et habituellement investi par un grand parti politique, puisse ne pas se rattacher à la liste régionale de son parti et suscite une autre candidature dans le même canton avec rattachement à cette liste. Cette pratique permettrait au parti auquel appartenaient les candidats d'obtenir un siège au scrutin majoritaire uninominal, tout en recueillant également des voix en vue du scrutin de liste.

Il a précisé que le système proposé par le Gouvernement pour l'élection des conseillers territoriaux constituait une variante d'un système électoral qui avait été utilisé en Italie.

M. Hervé Maurey a estimé que l'instauration d'une faible dose de proportionnelle pour l'élection des conseillers territoriaux constituait une contrepartie à la mise en oeuvre du scrutin uninominal à un tour. Il a considéré que les modalités retenues pour le recours au scrutin proportionnel sur un nombre réduit de sièges avaient pour effet de favoriser les grands partis politiques et ne permettaient pas la représentation des petits partis.

M. Jean-Claude Colliard a souligné que les effets techniques du mode de scrutin proportionnel avantageaient quasi mécaniquement les partis politiques les mieux implantés. En effet, dans un département qui élirait six conseillers territoriaux au scrutin proportionnel, l'obtention d'un siège nécessiterait de recueillir environ 16 % des suffrages exprimés.

Il a indiqué que l'influence des partis politiques les plus importants était renforcée, par ailleurs, par l'obligation de présenter des candidats dans la moitié des cantons du ressort régional afin de pouvoir participer à la répartition des sièges à pourvoir à la représentation proportionnelle.

Il s'est prononcé, à titre personnel, pour un doublement de la part de conseillers territoriaux élus au scrutin proportionnel de liste, et l'abandon du système de compensation, c'est-à-dire l'utilisation des voix des candidats battus au scrutin uninominal majoritaire à un tour pour l'élection des candidats à la représentation proportionnelle.

M. Pierre Bernard-Reymond a voulu savoir si, à côté du principe d'égalité du suffrage, la jurisprudence du Conseil constitutionnel reconnaissait la notion de représentation des territoires.

M. Jean-Claude Colliard a précisé que la jurisprudence du Conseil constitutionnel était principalement construite sur le principe de l'égalité des suffrages. Le Conseil pouvait néanmoins accepter des exceptions à ce principe quand elles reposaient sur des critères objectifs et rationnels, par exemple pour la représentation des territoires insulaires ou ultra-marins. Il a considéré que l'acceptation d'une dérogation importante au principe de l'égalité des suffrages semblait plus difficile à justifier à l'intérieur d'un département métropolitain.

Il a estimé que, au regard de la jurisprudence actuelle du Conseil d'Etat en matière de découpage cantonal, ce dernier allait devoir : soit faire évoluer sa jurisprudence, soit censurer le découpage cantonal nécessaire à l'élection des conseillers territoriaux.

Il a rappelé que, selon les informations parues dans la presse, le Conseil d'Etat avait d'ailleurs émis des réserves sur l'avant-projet de loi du Gouvernement, sans que les réserves ainsi exprimées n'aient été rendues publiques.

A partir de l'exemple de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, région où l'écart de population entre le département le moins peuplé et le département le plus peuplé est de 14,5 en population et de 3,6 en sièges, M. Pierre-Yves Collombat s'est interrogé sur les règles de répartition des conseillers territoriaux, entre les départements d'une même région, pouvant être appliquées pour respecter, à la fois, la représentation des territoires, par application d'un nombre minimal de conseillers territoriaux - fixé à 15 par le Gouvernement - et le principe d'égalité démographique, sans augmenter considérablement le nombre d'élus. Il a indiqué que toutes les simulations, réalisées à partir des données communiquées par le Gouvernement dans le cadre des travaux préparatoires à la réforme, rendaient nécessaires des distorsions ou des entorses au principe de l'égalité des suffrages.

M. Jean-Claude Colliard a indiqué que le tableau de répartition des conseillers territoriaux au sein de chaque région étant élaboré par voie d'ordonnance, le Conseil d'Etat serait saisi d'éventuels contentieux avant le Conseil constitutionnel.

Il a observé que le Conseil d'Etat sanctionnait des écarts trop importants entre cantons d'un même département et que, par analogie, si ces écarts n'étaient pas acceptables au sein d'un département, le juge administratif ne devrait pas les accepter au sein de la région.

Il a rappelé que, dans sa décision n° 2000-431 DC du 6 juillet 2000 relative à l'élection des sénateurs, le Conseil constitutionnel avait considéré que la loi déférée ne pouvait modifier le mode de scrutin pour l'élection des sénateurs sans révision préalable de la répartition des sièges par département, afin de tenir compte des évolutions démographiques intervenues depuis les trois derniers recensements.

M. Yves Krattinger a voulu savoir si la présence des conseillers territoriaux au sein des assemblées départementales et régionales n'avait pas pour effet de créer une tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre puisque chaque conseil général deviendrait un sous-ensemble du conseil régional, et qu'il existait un risque qu'un département dont la population était particulièrement importante par rapport aux autres départements de la région dispose de la majorité des voix au conseil régional.

M. Jean-Claude Colliard est convenu que, sans correction des inégalités de représentation, un département pouvait disposer d'une part prépondérante lors de l'examen des affaires de la région. Toutefois, une telle situation ne saurait être considérée comme l'exercice d'une tutelle d'un point de vue juridique.

Il a observé que le fait que les élus départementaux composent une section d'un conseil régional pouvait être un obstacle au principe de libre administration des collectivités territoriales.

M. Claude Jeannerot a voulu savoir si le mode de scrutin uninominal à un tour avait déjà été utilisé en France.

M. Jean-Claude Colliard a précisé que ce mode de scrutin n'avait jamais été utilisé en France. Il a souligné que traditionnellement le mode de scrutin uninominal comprenait deux tours dans notre pays afin que le candidat élu puisse rassembler la moitié des suffrages exprimés. Il a indiqué qu'il existait quelques exemples d'élections à un seul tour, comme le scrutin de liste départemental en vigueur en 1848 et 1870 ou la loi électorale de 1919 qui prévoyait quatre modes d'élections différents dont la majorité départementale, le quotient ou la proportionnelle et qui, de fait, était une élection à un seul tour.

Il a considéré que la référence faite aux travaux de la commission Vedel dans l'exposé des motifs du projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale était inexacte. La commission Vedel avait proposé un mode de scrutin mixte, proche du système allemand, dans lequel l'électeur disposait de deux voix, ce qui n'est pas le cas, en l'état, dans le dispositif proposé pour l'élection des conseillers territoriaux.

M. Jacques Mézard a souligné le risque de voir se substituer des majorités fondées sur des critères géographiques aux majorités politiques, du fait de la surreprésentation de certains départements au sein d'une même région.

M. Jean-Claude Colliard a estimé, qu'en l'état, la rédaction des projets de loi ne semblait pas se préoccuper des moyens de dégager une majorité au sein du conseil régional ou des conseils généraux, à moins de supposer que le scrutin à un tour ne le permette.

Il a rappelé que le scrutin municipal, décrié lors de sa mise en oeuvre en 1982, faisait maintenant l'objet d'un consensus.

M. Eric Doligé a observé que les simulations présentées en début d'audition sur la présence des femmes au sein des assemblées départementales et régionales lui semblaient un peu optimistes.

M. Jean-Claude Colliard en est convenu, le comportement des partis politiques et les effets d'un scrutin de liste ne concernant qu'une fraction réduite du nombre de conseillers territoriaux pouvaient en effet déboucher sur une proportion encore plus réduite de femmes au sein des conseils généraux et régionaux.

Enfin, M. Pierre-Yves Collombat a estimé que la présence des présidents de conseils généraux de tous les départements de la région au sein du conseil régional ne pourrait manquer d'avoir des répercussions sur le fonctionnement de cette assemblée.