Mercredi 12 mai 2010

- Présidence de M. Jacques Legendre, président -

Audition de Mme Dominique Versini, Défenseure des enfants

La commission procède à l'audition de Mme Dominique Versini, Défenseure des enfants.

M. Jacques Legendre, président. - Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui la Défenseure des enfants pour nous présenter les activités de son institution. Même si nous ne sommes pas saisis du projet de loi tendant à créer un Défenseur des droits qui reprendrait les missions du Défenseur des enfants, il est naturel que notre commission, chargée des questions relatives à la jeunesse, porte une attention toute particulière à l'évolution de cette autorité.

Mme Dominique Versini. - Le Défenseur des enfants est une institution encore récente, créée en 2000, qui assure deux missions fondamentales.

D'une part, au titre de sa mission de défense des droits de l'enfant, le Défenseur des enfants peut être directement saisi par un enfant ou par l'un des membres de sa famille dans le cas où cet enfant aurait été lésé dans ses droits. Le Défenseur des enfants a également la possibilité de s'autosaisir. Chaque année, ce sont plus de 2 150 réclamations concernant près de 3 000 enfants qui sont enregistrées par le Défenseur des enfants. De plus, la loi de 2000 instituant le Défenseur des enfants a chargé cette institution de formuler des propositions de modifications législatives ou réglementaires afin de garantir la transposition en droit interne des stipulations de la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France en 1990.

D'autre part, au titre de sa mission de promotion des droits de l'enfant, le Défenseur des enfants s'attache à faire connaître les droits fondamentaux reconnus par la Convention internationale des droits de l'enfant auprès des enfants et de leurs familles. Au nombre de ces droits fondamentaux figurent notamment :

- le droit de s'épanouir dans un cadre familial équilibré ;

- le droit à la santé, et en particulier à une assistance particulière lorsque l'enfant se trouve en situation de handicap ;

- le droit de ne pas être victime de discrimination.

On dénombre 37 Défenseurs des enfants dans les 29 pays membres du Conseil de l'Europe, et 89 Défenseurs des enfants dans le monde.

Le Défenseur des enfants s'appuie également en France sur un réseau de 34 jeunes civils volontaires, répartis dans douze départements volontaires, qui sont chargés, dans le cadre de leur service civique, d'être au plus près du vécu des enfants et de les informer sur les droits qui sont les leurs en vertu de la Convention internationale des droits de l'enfant. Ces civils volontaires, appelés « jeunes ambassadeurs du Défenseur des enfants », sont formés par les 55 correspondants territoriaux du Défenseur, pour la plupart des bénévoles indemnisés qui tentent d'assurer des permanences sur l'ensemble du territoire. Les jeunes civils volontaires, dont la majeure partie a vocation à devenir des travailleurs sociaux, se voient garantir une formation initiale d'un mois, suivie d'une série de rencontres sur le terrain avec des spécialistes de l'aide sociale à l'enfance et des magistrats.

À titre personnel, je souhaite que la mission de promotion des droits de l'enfant assurée par le Défenseur des enfants, qui permet à notre pays de remplir ses engagements internationaux dans le domaine de la protection de l'enfance en s'appuyant sur son dispositif national de service civique, perdure sous l'empire du Défenseur des droits. J'ai pu constater que les départements disposant d'un jeune représentant du Défenseur des enfants enregistraient un plus grand nombre de saisines directes par les enfants, dès lors que ces derniers ont été sensibilisés à leurs droits à l'occasion de débats et de rencontres avec les jeunes ambassadeurs. L'intervention de nos civils volontaires dans les établissements scolaires me semble plus que pertinente, en particulier lorsqu'il s'agit de sensibiliser les jeunes au problème de la démultiplication des violences intra-scolaires du fait du développement des nouvelles technologies de la communication. La maîtrise d'Internet échappe, en effet, aux enfants et peut conduire à des situations potentiellement conflictuelles.

M. Jacques Legendre, président. - A ce titre, je me permets de vous renvoyer au rapport de notre collègue David Assouline, fait au nom de notre commission, d'octobre 2008 sur les jeunes face aux nouveaux médias.

Mme Dominique Versini. - Ce rapport a inspiré plusieurs des propositions formulées par le Défenseur des enfants pour protéger les mineurs face aux dangers posés par Internet.

Par ailleurs, les configurations familiales ont sensiblement évolué. Il est dans l'intérêt de l'enfant de prendre la juste mesure des chocs occasionnés sur son équilibre par les ruptures parentales et les conflits parfois violents qui s'ensuivent. Une loi de 2007 permet désormais à un enfant d'être entendu par le juge à l'occasion de la séparation de ses parents. Or, la parole de l'enfant n'est pas aisée à interpréter et il faut tenir compte de risques de manipulation potentiellement exercée par l'un des parents. En outre, on observe des pratiques divergentes entre juridictions, s'agissant notamment de l'âge de discernement de l'enfant retenu par le juge. Dans ces circonstances, j'estime impératif de développer le recours à la médiation familiale afin d'amener les parents à prendre conscience de l'intérêt supérieur de leur enfant et de la nécessité de s'accorder sur des solutions de sagesse pour pacifier la rupture. Un projet de loi est actuellement à l'étude pour inviter plus fortement les parents à rencontrer un médiateur familial avant l'audition de leur enfant par le juge.

Je me suis également intéressée de très près à la question du statut des tiers qui participent à l'éducation de l'enfant et entretiennent avec lui des liens affectifs. Cette question est d'une acuité particulière compte tenu de la multiplication des familles recomposées et des familles homoparentales. Je milite ainsi pour une reconnaissance du lien affectif établi par un tiers (qu'il s'agisse d'un beau parent, d'une famille d'accueil ou d'un second parent au sein d'une famille homoparentale) et pour le maintien de ce lien en cas de rupture. Il faut toujours garder à l'esprit le droit fondamental d'un enfant de s'épanouir dans un cadre familial équilibré, susceptible d'être profondément bouleversé par des ruptures successives de liens affectifs. J'ai l'intime conviction qu'il nous faut renforcer nos efforts pour replacer systématiquement l'enfant au coeur des décisions des adultes. C'est pourquoi il me semble indispensable de préserver la singularité des missions du Défenseur des enfants au sein de la nouvelle institution que sera le Défenseur des droits.

M. Christian Demuynck. - Pourriez-vous nous préciser les modalités du partenariat qu'entretient votre institution avec l'association Unis-Cité pour accompagner de jeunes volontaires dans l'accomplissement de leur service civique ?

Mme Dominique Versini. - Le Défenseur des enfants s'appuie sur l'association Unis-Cité pour lancer des appels à recrutement auprès de jeunes souhaitant effectuer leur service civique dans le domaine de la protection de l'enfance. Nous exigeons un niveau baccalauréat. En général au début du mois de septembre, Unis-Cité nous propose une liste de noms de jeunes intéressés que nous examinons. Le Défenseur des enfants garantit ensuite aux volontaires sélectionnés une formation initiale d'un mois sur le contenu de la Convention internationale des droits de l'enfant, suivie de rencontres avec des spécialistes de l'aide sociale à l'enfance et des magistrats ainsi que de missions sur le terrain telles que des interventions en établissements scolaires. Au cours de la sixième semaine de leur formation, ils sont amenés à rencontrer la structure parisienne du Défenseur des enfants. Les jeunes civils volontaires perçoivent une indemnité financée avec l'aide des conseils généraux, compétents pour la protection de l'enfance. Nous nous appuyons donc sur un partenariat interinstitutionnel étroit avec les conseils généraux, l'éducation nationale et Unis-Cité. 34 jeunes civils volontaires sont recrutés chaque année et ce sont plus de 100 jeunes qui ont été formés par le Défenseur des enfants depuis sa création. J'ajoute que l'expérience d'ambassadeur du Défenseur des enfants est appelée à être valorisée par le mécanisme de la validation des acquis de l'expérience pour devenir travailleur social.

Mme Maryvonne Blondin. - Je tiens à saluer le travail exceptionnel que vous réalisez aussi bien en France qu'en Europe. Vous avez évoqué la nécessité de développer le recours à la médiation familiale pour faciliter le règlement pacifié des ruptures. Mais cet outil a ses limites. L'Assemblée nationale a voté récemment un texte sur les violences psychologiques intrafamiliales. En effet, il faut tenir compte de la manipulation qu'un des conjoints est susceptible d'exercer sur l'autre. Comment garantir alors que chacun des parents sera mis sur un pied d'égalité dans le cadre de la médiation familiale ?

Mme Dominique Versini. - La médiation familiale intervient à un stade préalable à la rencontre avec le juge. Son recours a beaucoup été développé par les caisses d'allocations familiales. Mais bien évidemment, la médiation familiale est surtout appropriée pour régler des conflits modérés. Dans tous les cas, il appartient au juge de s'assurer que les parents se mettent d'accord dans des conditions équitables. J'ai pu observer qu'en Suède, les ruptures parentales ne font quasiment plus l'objet d'une judiciarisation. Les parents s'adressent d'abord à leur mairie pour recourir à la médiation. Une fois qu'un accord de médiation est signé, il a valeur légale. Mais cette situation est particulière, dans la mesure où le juge ne rencontre jamais l'enfant en Suède.

Il est évident que le recours au juge demeure indispensable lorsqu'un des conjoints est susceptible d'être dominé et manipulé par l'autre. Je relève toutefois que la méconnaissance de l'autorité parentale conjointe est sidérante ! Les pouvoirs publics doivent impérativement renforcer la pédagogie sur cette question.

M. Yannick Bodin. - Le Défenseur des enfants est une institution encore jeune, qui n'a pas atteint un rythme de croisière à la hauteur de ses ambitions. 55 correspondants territoriaux, c'est décidément trop peu. Alors, pour quelle solution opter ? Maintenir le statu quo tout en développant le dispositif ? En faire une des missions du Défenseur des droits, mais dans ce cas comment préserver sa spécificité ? Ou alors envisager sa disparition totale, quitte à ce que des associations prennent le relais ? Ma question est la suivante : comment comptez-vous utiliser les moyens de votre statut actuel pour être plus performant ?

Mme Dominique Versini. - Le premier mandat du Défenseur des enfants a cherché à inscrire cette nouvelle autorité publique indépendante dans le paysage institutionnel français, notamment dans sa vocation de médiateur interinstitutionnel. J'ai oublié de dire que 17 % des réclamations enregistrées par le Défenseur des enfants concernent des mineurs étrangers, ce qui n'est pas négligeable.

Le deuxième mandat, dont j'ai la charge, se focalise sur la nécessité de faire monter l'institution en puissance, malgré les contraintes budgétaires actuelles. J'ai multiplié les rapports thématiques sur les principales problématiques rencontrées régulièrement sur le terrain : le statut des tiers, la consultation nationale pour recueillir le vécu des jeunes, etc. Toujours en adoptant un regard pluridisciplinaire. Une de nos principales propositions, à savoir la relance des maisons des adolescents, a été reprise dans le plan Santé Jeunes de la ministre de la santé et des sports.

Le recours au service civique pour assurer la promotion des droits de l'enfant s'est développé et pérennisé. Les jeunes civils volontaires sont des relais extraordinaires du maillage du consensus social dans notre pays. Leur rôle est désormais incontournable pour faciliter une prise de conscience par les mineurs des dangers occasionnés par l'absence de maîtrise des nouvelles technologies ou de la consommation de substances nuisibles à la santé comme l'alcool et le cannabis.

Mme Françoise Cartron. - Comment comptez-vous garantir le droit à la scolarisation des enfants porteurs d'un handicap, dans un contexte de remise en cause des assistants de vie scolaire ?

M. Jean-Claude Carle. - Nos collègues députés étudient, à l'heure actuelle, la possibilité de suspendre les allocations familiales pour juguler le problème de l'absentéisme scolaire. Quel est votre sentiment sur cette mesure ?

Mme Dominique Versini. - En tant que Défenseure des enfants, j'interviens régulièrement en période de rentrée scolaire pour obtenir que soient pris en charge dans le milieu scolaire les enfants en situation de handicap. Effectivement, les personnels AVS sont moins nombreux et n'interviennent pas auprès de ces enfants suffisamment longtemps. Les pouvoirs publics doivent intensifier leurs efforts pour résoudre cette inégalité.

En matière de lutte contre l'absentéisme scolaire, je m'interroge sur l'efficacité totale d'une mesure de suspension des allocations familiales. En particulier, qu'en sera-t-il dans le cas des familles à enfant unique qui ne perçoivent pas d'allocations familiales ? Il y a là un risque de rupture d'égalité entre foyers. À mon sens, le problème de l'absentéisme doit être envisagé dans sa globalité. Il faut développer les équipes mobiles de pédopsychiatres qui interviennent auprès des familles dont certains enfants sont en situation d'extrême dépendance aux stupéfiants. Dans ces cas particuliers, certains parents sont dans l'impossibilité de contraindre leurs enfants à se rendre à l'école en raison de problèmes de santé graves. J'ai donc le sentiment que sur cette question, les situations devraient être examinées autant que possible au cas par cas pour tenir compte des configurations et des difficultés particulières de chaque foyer. C'est pourquoi il faut développer un repérage très en amont pour détecter les situations de détresse familiale.

Mme Maryvonne Blondin. - Je tiens à souligner le manque criant de financement des pouvoirs publics en matière de protection de l'enfance. Dans le Finistère, un projet de réseau de maisons des adolescents a dû être reporté en l'absence de financement depuis 2008.

Nomination de rapporteurs

La commission procède à la nomination de rapporteurs.

M. Ambroise Dupont est nommé rapporteur de la proposition de loi n° 422 (2009-2010) visant à interdire tout affichage publicitaire ou politique sur les murs extérieurs et à l'intérieur des locaux et des établissements recevant des jeunes enfants et des mineurs.

Mme Marie-Thérèse Bruguière est nommée rapporteure de la proposition de loi n° 423 (2009-2010) tendant à faciliter l'identification des éditeurs de sites de communication en ligne et en particulier des « blogueurs » professionnels et non professionnels.

Communication

Enfin, la commission décide de donner mandat à son président, M. Jacques Legendre, de déposer en lieu et place du rapporteur, M. Jack Ralite, la motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi n° 384 (2009-2010) visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision.