Mardi 1er juin 2010

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -

Audition de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE)

M. Jean-Paul Emorine, président. - Nous ne recevons pas le président de Ladoucette dans le cadre de la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME) - l'audition aura lieu le 23 juin - mais pour connaître l'avis de la CRE sur l'état du réseau électrique dans notre pays, sujet qui tient tout particulièrement à coeur aux élus de la ruralité. Je donnerai ensuite la parole à M. Ladislas Poniatowski, président du groupe d'études de l'énergie, à M. Xavier Pintat, président de la fédération nationale des collectivités concédantes et régies, ainsi qu'à nos collègues.

M. Philippe de Ladoucette. - Un rapport d'étape au contenu explosif, rédigé par deux vice-présidents de la CRE, a récemment fait beaucoup de bruit. Distribué malencontreusement, ce document de travail n'a pas été avalisé par le collège. Nous regrettons profondément cet incident. Comme je l'ai écrit à Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, ainsi qu'aux présidents d'EDF et d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF), la CRE n'est pas engagée par les propos tenus dans ce rapport. Le groupe de travail mis en place poursuit sa réflexion et devrait établir un rapport publié à l'automne, après délibération du collège.

Sur le fond, nos rapports d'activité soulignent une dégradation de la qualité de la fourniture d'électricité depuis 2000. En matière de continuité de l'alimentation, la France se situe au quatrième ou cinquième rang en Europe, mais le temps de coupure se détériore, après être passé de six heures dans les années 80 à moins d'une heure. Ce temps est difficile à quantifier, car influencé par des évènements conjoncturels : ainsi, les coupures pour travaux sont passées de moins de dix minutes en 2007 à 20 minutes en 2008 et 2009, pour cause d'élimination des transformateurs contenant du PCB à effectuer avant fin 2010.

Le réseau d'électricité a été confronté à des incidents climatiques de grande ampleur. Les violentes tempêtes ont mis en lumière des manques de sécurisation. Depuis 1999, EDF s'est doté de moyens pour y faire face avec la Force d'intervention rapide électrique (FIRE) : il a fallu neuf jours pour réalimenter 90 % des clients après la tempête de 1999, quatre jours après Klaus, en 2009, deux après Xynthia. Cette amélioration mérite d'être soulignée, même si l'on peut toujours faire mieux !

Cette extrême sensibilité aux aléas climatiques - vingt minutes de coupure par an en moyenne - est due à la baisse des investissements sur un réseau vieillissant. Après une hausse pendant les années 90, avec un pic à 3 milliards en 1992, les investissements d'ERDF ont décru de 1994 à 2004 pour tomber à 1,5 milliard. C'est insuffisant.

Toutefois, la politique d'investissement du distributeur ne peut être uniquement tournée vers l'amélioration de la qualité. Il lui faut prendre en compte les nouveaux modes de consommation et les enjeux environnementaux. L'intégration des énergies renouvelables, l'utilisation croissante de la voiture électrique ou la diffusion des écrans plats de télévision, gros consommateurs d'électricité, illustrent la nécessaire modernisation des réseaux.

La CRE ne définit ni le niveau ni les normes en matière de qualité de l'électricité. Néanmoins, la loi du 10 février 2010 la charge de fixer les tarifs d'utilisation des réseaux. C'est après avoir constaté une baisse des investissements que nous avons mis en place un groupe de travail. Afin qu'ERDF ait les moyens de redresser la situation, nous avons proposé en juillet 2009 un troisième tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE 3) qui prévoit des investissements pour 2,7 milliards par an en moyenne sur la période 2009-2011, en hausse de 50 % par rapport à la moyenne 2006-2008.

Les investissements concourant spécifiquement à l'amélioration de la qualité devraient dépasser 1 milliard en 2012, soit un doublement en quatre ans. Si ERDF investit plus que ces montants prévisionnels, une mécanique tarifaire permet de recouvrer ces charges les années suivantes par un ajustement des tarifs de réseau par le biais du compte de régulation des charges et des produits (CRCP). Les tarifs doivent faciliter l'investissement, non l'entraver. En 2009, ERDF a tenu ses engagements, investissant pour 607 millions. La dynamique est enclenchée. Une politique de maintenance préventive est également engagée.

Dans ses avis du 11 octobre 2007, la CRE avait défendu la fixation d'objectifs plus ambitieux. Si nous sommes attentifs à ne pas dégrader l'activité, compromettre la compétitivité des entreprises, le confort des habitations ou la confiance dans l'ouverture des marchés, nous ne pouvons occulter la question du coût. La loi prévoit que les tarifs couvrent les investissements des réseaux : in fine, c'est le consommateur qui paye. Les consommateurs allemands bénéficient d'une meilleure qualité d'alimentation que nous, mais au prix de tarifs de distribution supérieurs de 65 % ! Il faut arbitrer entre coût et qualité... Le TURPE comporte un système de bonus-malus. Tous les investissements, en zone urbaine ou rurale, procurent une même rémunération à ERDF, selon le principe de péréquation. Si le niveau cible est atteint, ERDF est récompensé ; sinon, le malus permet de baisser les tarifs.

Quelques pistes, avant la publication de notre rapport à l'automne. ERDF doit améliorer la transparence sur ses investissements, préciser leur répartition géographique, rendre compte de la réalisation de ses programmes et justifier d'éventuels écarts avec les programmes prévisionnels.

La tempête de 1999 et le rapport du Conseil général des mines de mai 2000 ont mis en lumière l'apport de l'enfouissement ciblé des lignes à basse et moyenne tension, que ce soit sur le plan de la sécurité ou de l'esthétique. Pourquoi ne pas réorienter certaines dépenses vers la sécurisation ? L'enfouissement n'est toutefois pas une garantie contre les coupures : au Royaume-Uni, le taux d'enfouissement du réseau à basse tension est de 80 %, contre 35 % en France, mais le temps de coupure par an est supérieur au nôtre. L'enfouissement rend plus difficile le repérage des incidents et rallonge les délais d'intervention. Nous serons attentifs à vos suggestions en la matière.

Il faut inverser la tendance actuelle à la dégradation de la qualité de l'électricité. Une dynamique d'amélioration est amorcée. La CRE y contribuera, dans la mesure de ses compétences, mais ne sous-estimons pas l'effort à consentir.

M. Ladislas Poniatowski. - Je connaissais le rapport du groupe de travail avant sa parution dans la presse, pour avoir été auditionné, mon syndicat étant l'un de ceux qui couvrent 100 % du territoire départemental. J'ai apprécié que tout un chacun ait pu accéder aux auditions sur le site internet ouvert à cette occasion.

L'insuffisance des investissements est-elle imputable à EDF ou au système ? Pour Réseau de Transport d'Électricité (RTE), c'est la CRE qui fixe les investissements nécessaires et donne l'autorisation ; pour la distribution, il n'y a pas de règles. Il faudrait une régulation non seulement exercée en haut mais aussi en bas, au niveau des collectivités locales, villes ou syndicats, pour arrêter d'éventuels futurs investissements d'ERDF. Il ne suffit pas de dire qu'EDF « pompe » de l'argent. Pour rattraper le retard, mieux enfouir, il faut plus d'investissements !

Davantage de transparence, dites-vous ? Je dirais plutôt : moins d'opacité ! Je souhaiterais accéder aux éléments d'information qui motivent les choix d'investissement d'ERDF, notamment la liste des chutes de tension par département. Peut-être faut-il une intervention du Parlement ?

Où trouver l'argent ? Le TURPE 3 ne suffira pas. Pour rattraper le retard, il faut un investissement de 6 à 7 milliards, puis une dépense annuelle de 2,5 milliards ! Je préférerais que l'on consacre la trésorerie d'ERDF à ces investissements plutôt qu'à rémunérer l'actionnaire ! En tant que modeste président de syndicat, j'avais suggéré à MM. Alain Juppé et Michel Rocard qu'une partie du grand emprunt soit consacrée à l'enfouissement des lignes... ERDF n'est pas endetté ; il a une vraie capacité d'emprunt ! Enfin, cela ne me choquerait pas que 5 à 10 % de son capital - voire plus - soit rétrocédé pour financer les investissements. L'argent, ça se trouve ! La CRE a-t-elle un avis sur ce sujet ?

M. Xavier Pintat. - Je partage les propos prudents de M. Philippe de Ladoucette, comme ceux, plus engagés, de Ladislas Poniatowski, mon collègue. Je me réjouis de la nomination de Michel Thiollière : il est important de compter parmi les vice-présidents de la CRE un bon connaisseur de la vie locale.

Je regrette moi aussi la publication intempestive de ce rapport, qui arrive soit trop tôt, soit trop tard...

De 3,3 milliards en 1992, les investissements d'ERDF se sont effondrés à 1,6 milliard en 2004, avant de remonter quelque peu : 2,3 milliards en 2009, 2,7 milliards en 2010. À cela s'ajoute l'investissement des collectivités locales, pour 1 milliard environ. Les coupures de courant sont passées de 52 minutes en 2000 à plus de 100 minutes en 2009. L'enfouissement concerne 40 % des lignes à basse tension, contre 84 % en Allemagne et 83 % en Grande-Bretagne ; pour la moyenne tension (HTA), le taux est de 40 %, contre 70 % en Allemagne. Le bon chiffre pour la France serait de 50 % compte tenu de la superficie.

Il faut prévoir de retrouver un niveau de qualité acceptable d'ici dix ans. Cent mille kilomètres de lignes à basse tension, sur six cent mille, ne sont pas aux normes. Il faudrait augmenter le taux d'enfouissement pour la HTA, contourner les zones boisées... Le coût de ces investissements est évalué à 8 milliards. Les investissements pourraient être augmentés d'un milliard par an. Augmenter le prix de l'électricité de 0,5 % ne me paraît pas inacceptable. La CRE serait-elle prête à augmenter le TURPE pour dégager un milliard supplémentaire par an pendant huit ans ? En Allemagne, le tarif d'utilisation du réseau est deux fois plus élevé, pour un réseau identique ! On peut toujours mobiliser les acteurs locaux, mais il faut mieux dimensionner le TURPE...

M. Marcel Deneux. - Cela fait quinze ans que l'on n'investit pas assez, dites-vous, mais la qualité s'est quand même améliorée... Une question non orthodoxe : que se passerait-il si, faute de ressources, on cessait tout investissement pendant trois ans ?

M. Marc Daunis. - Je m'étonne que la transparence ne figure pas parmi les priorités fixées pour ERDF. Ladislas Poniatowski a posé la question essentielle du dialogue avec les autorités concédantes, les communes et les parlementaires. On ne peut se contenter d'une transparence purement technocratique !

Malgré la dégradation de la situation, nous faisons paradoxalement mieux en matière de coûts. Je redoute toutefois un scénario similaire à celui constaté pour Réseau Ferré de France (RFF), les sources de profit étant transférées à EDF... Ce n'est pas en cédant une partie du capital d'ERDF, comme le suggère Ladislas Poniatowski, que l'on rééquilibrera les termes de l'échange, mais en intervenant de façon structurelle sur la répartition initiale. Les prix de production vont se stabiliser ou augmenter, les coûts structurels de la distribution vont augmenter : inévitablement, cela entraînera un renchérissement de l'électricité !

M. Daniel Raoul. - Les réseaux - RTE ou ERDF - sont des outils stratégiques en termes d'aménagement du territoire.

Au moment où le marché de l'énergie s'ouvre à la concurrence, les personnes que j'ai pu auditionner ne mettent pas en cause le service rendu par RTE et ERDF.

Plutôt que la proposition de Ladislas Poniatowski, j'aurais préféré que la loi privatisant EDF suive la même démarche que pour RFF et la SNCF... Les missions de RTE et d'ERDF relèvent d'un statut d'établissement public ; ce ne sont pas des machines à cash pour EDF ! Ladislas Poniatowski envisage un financement par l'emprunt ou par l'augmentation des tarifs : la solution serait à mon sens de combiner les deux !

Je viens de commettre un rapport à l'Office parlementaire sur les choix scientifiques et technologiques, sur les lignes à haute et moyenne tension...

M. Ladislas Poniatowski. - Rapport très intéressant !

M. Daniel Raoul. - L'enfouissement n'est pas la panacée. Il est plus difficile de localiser la panne et plus lent de la réparer que sur une ligne aérienne. Pour les lignes à très haute tension, on arrive, en création, à un surcoût de un à six : on paye cher l'enfouissement ! Sur le plan sanitaire, mieux vaut enfouir dans les zones urbanisées, mais garder des lignes aériennes en rase campagne, où l'enfouissement perturberait l'exploitation agricole. Aux termes de la convention entre l'État et RTE, il est interdit d'augmenter les lignes aériennes : il faut donc poursuivre l'enfouissement ici pour pouvoir réaliser des lignes aériennes là...

Enfin, comment expliquer les contenus différents des missions de la CRE dans les domaines du gaz et de l'électricité, notamment pour ce qui est de la fixation du prix ?

M. Alain Fouché. - Il est facile de critiquer EDF, mais n'oublions pas qu'elle doit emprunter 4 milliards pour entretenir et renouveler son parc nucléaire car les tarifs sont très bas... Il faudra être très vigilant dans la loi NOME. GDF-Suez a été favorisé ; il faudra désormais s'occuper d'EDF.

Je m'interroge sur les lignes électriques dont la construction a été bloquée pour raisons environnementales, notamment autour de Marseille. Quelle est la part du territoire concernée ?

M. Marc Daunis. - Et autour de Nice, surtout !

M. Philippe de Ladoucette. - Ces constats sont partagés.

Pour le transport, nous approuvons le programme d'investissement annuel ; pour la distribution, nous ne faisons que fixer le tarif.

Nous sommes favorables à un double contrôle, par en haut et par en bas, comme le propose M. Ladislas Poniatowski, pour l'approbation des investissements, mais la mise en pratique d'un tel système serait complexe. En tout état de cause, la question relève du législateur. Je me suis déjà exprimé sur ce sujet devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale ; je ne suis pas sûr que cette solution plaise beaucoup à EDF ou aux pouvoirs publics...

La CRE est prête à des efforts : avec le nouveau TURPE, nous avons déjà augmenté les investissements d'environ 1 milliard. Une augmentation de 0,25 % du TURPE, qui dégagerait 1 milliard, représente un euro par an et par foyer pendant quarante ans. Nous pouvons le faire, mais je doute que cela suffise... Où trouver l'argent ? Mme Michèle Bellon vous dira que la trésorerie d'ERDF n'est guère florissante. L'emprunt peut également poser problème dans la consolidation du groupe EDF.

En matière de transparence, ce n'est pas à la CRE de dire aux entreprises avec qui dialoguer, collectivités locales ou parlementaires... Nous ne sommes pas habilités à donner des leçons de gestion aux entreprises ! En revanche, d'accord pour exiger davantage de transparence sur les investissements.

La qualité s'est améliorée jusqu'au début des années 90, mais détériorée depuis 2000, faute d'investissements à partir de 1994-1995. La détérioration est strictement corrélée à l'absence d'investissements.

Les réseaux constituent des monopoles naturels, dotés de missions de service public, ce qui justifie l'intervention du régulateur, pour inciter à l'investissement et contrôler celui-ci.

La construction de lignes électriques autour de Nice a en effet été abandonnée après l'annulation par le Conseil d'État des arrêtés en question, mais les zones aussi fragiles en termes de sécurité d'alimentation sont rares. Un projet d'investissement en Bretagne a également été abandonné après un appel d'offre de RTE. Comme dit Dominique Maillard, président de RTE, si l'on ne peut construire ni ligne ni centrale, il n'y a guère de solution !

Pourquoi traitons-nous différemment gaz et électricité, demandez-vous ? C'est ce qu'ont voulu les pouvoirs publics ! Les pouvoirs publics ont voulu « dépolitiser » la fixation du prix du gaz. Nous avons donc publié il y a deux ans une formule qui « approximait » les coûts d'approvisionnement de GDF-Suez.

L'audit est en cours, et nous en tirerons bientôt les conséquences.

Tous les trois mois, GDF-Suez peut saisir la CRE pour demander une hausse ou une baisse du tarif. Deux questions se posent : le tarif proposé respecte-t-il la formule ? La formule est-elle adaptée ? Le cas échéant, c'est au Gouvernement de modifier celle-ci par arrêté. Est-ce aujourd'hui nécessaire pour mieux prendre en compte l'évolution des cours ?

M. Ladislas Poniatowski. - Certainement !

M. Philippe de Ladoucette. - Les choses ne sont pas si simples. Le prix du marché spot ne peut déterminer à lui seul le tarif.

M. Ladislas Poniatowski. - Mais les Français ne comprennent pas que GDF-Suez demande une hausse de 4 % du tarif alors que le prix de l'essence baisse. J'attends avec impatience les conclusions de l'audit, et je souhaite que les parlementaires soient associés aux réflexions sur une modification éventuelle de la formule.

M. Philippe de Ladoucette. - C'est l'affaire du Gouvernement et du Parlement. Le tarif réglementé est adapté à des contrats de longue durée ; nous pourrions décider d'aligner le tarif sur le prix du marché, mais que se passerait-il si le cours repartait à la hausse ? Nos pronostics ne vont guère au-delà de dix-huit mois.

M. Ladislas Poniatowski. - Il faut trouver le juste équilibre.

Audition de Mme Michèle Bellon, présidente du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF)

Mme Michèle Bellon, présidente du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF). - Il y a quelques semaines, un article de presse qui faisait état d'un rapport prétendument confidentiel émanant de deux membres de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a ému l'opinion. Ce rapport était en fait disponible en ligne depuis plusieurs mois, et M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE, l'avait désavoué dès sa publication. Nul ne conteste les défaillances de notre réseau, mais il faut reconnaître que son état n'est pas si dégradé qu'on le dit. On le compare souvent avec le réseau allemand : outre-Rhin la durée moyenne de coupure était inférieure à 40 minutes par an, contre 68 minutes en France, en 2007. Mais notre pays n'est pas si mal placé en Europe. D'ailleurs, la densité urbaine est plus forte en Allemagne et le réseau souterrain plus développé. Il y a longtemps que les tarifs d'acheminement y sont supérieurs de 60 % à ceux pratiqués en France, ce qui a permis aux Allemands d'investir dans leurs infrastructures. Ici, l'éventualité d'une hausse de 10 % fait frémir !

Il faut également prendre en compte des événements exceptionnels. La tempête de 1999 fut d'abord considérée comme la tempête « centenaire », mais de semblables catastrophes se sont reproduites depuis. Les élus locaux que vous êtes connaissez certainement des anecdotes illustrant les problèmes rencontrés à ces occasions ; mais dans l'ensemble, nous n'avons pas à rougir de notre travail. Depuis 1999 et jusqu'à la tempête Xynthia, le délai de rétablissement des lignes a considérablement diminué : nous avons été au-delà des engagements du contrat de service public. Nos partenaires se montrent satisfaits des relations que nous avons établies avec eux. Pendant les crises, nos salariés étaient chaque jour mobilisés.

L'augmentation de la durée moyenne de coupure depuis 2002, et les écarts constatés entre territoires, montrent qu'un effort d'investissement est nécessaire. C'est pourquoi, depuis 2007, nous augmentons notre budget d'investissement de 300 millions d'euros chaque année : il atteint 2,57 milliards en 2010. Mais les investissements imposés - raccordement des clients et notamment des producteurs d'énergie photovoltaïque et éolienne, modifications d'ouvrages, renforcement des réseaux pour les adapter aux nouveaux modes de production, dépenses liées à des obligations réglementaires comme l'élimination des PCB, moyens d'exploitation et systèmes d'information - représentent à eux seuls 1,87 milliard et il ne reste que 700 millions pour les investissements délibérés. Le développement de la production décentralisée et les nouvelles contraintes environnementales ont fortement accru les dépenses de raccordement. Ainsi, est-il bien légitime que le distributeur supporte l'essentiel du coût de raccordement des producteurs d'énergies renouvelables, et la totalité du coût du renforcement du réseau rendu indispensable par ces nouveaux modes de production, alors que ces producteurs bénéficient déjà de l'obligation d'achat et de niches fiscales associées à ces produits ?

Parallèlement, les ressources des collectivités concédantes ont considérablement augmenté, grâce à l'abondement du fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACE) et à l'envol des redevances depuis 2007. Or elles ont surtout investi pour renforcer les lignes à basse tension, ce qui a peu d'incidence sur la qualité de la fourniture et la sécurité face aux aléas climatiques. Ces ressources constituent pour ERDF des charges d'exploitation, qui réduisent d'autant le cash flow disponible pour investir.

Pas plus qu'aucune entreprise, ERDF ne peut investir plus qu'elle ne gagne. En 2009, ses recettes d'exploitation s'élevaient à 11 milliards d'euros, tandis que ses charges se décomposaient de la manière suivante : 2,9 milliards pour RTE, 1,7 milliard pour les achats des pertes, 2,3 milliards pour le personnel, 1,9 milliard pour les achats externes et 400 millions pour les taxes et impôts. Il restait donc un cash-flow de 2,5 milliards pour un investissement de 2,7 milliards. Or je constate depuis mon arrivée à la tête d'ERDF que les charges ne cessent de s'alourdir, à cause de nouvelles obligations réglementaires relatives, par exemple, à l'élagage ou encore les nouvelles modalités des travaux réalisés à proximité des ouvrages. Par ailleurs, l'évolution du tarif est soumis à un mécanisme de rattrapage, le compte de régularisation des charges et produits, qui prend en compte ces imprévus ; mais l'augmentation maximale est de 2 %, quel que soit le montant des charges nouvelles !

La distinction du plan national et du plan local, propre au modèle français, permet à la fois l'égalité de traitement entre les clients et la prise en compte des particularités locales. Il n'est pas question de remettre en cause ce modèle. Nous proposons une approche globale des investissements, dans le respect des prérogatives de chacun : l'Etat, la CRE, les autorités concédantes et ERDF doivent définir ensemble des priorités - selon la nature des travaux et la zone concernée - et associer leurs efforts afin de les rendre plus efficaces. N'oublions pas que c'est la collectivité nationale qui consent ces investissements par le biais du tarif d'acheminement !

A moyen terme, ERDF recommande de faire supporter aux producteurs d'énergies renouvelables le coût de leur raccordement et du renforcement du réseau nécessaire à leurs installations. D'autres charges imposées pourraient être réduites ou supprimées. Nous nous engageons à affecter l'argent ainsi économisé dans des investissements délibérés visant à renforcer la sécurité des réseaux ; nous promettons la transparence. Enfin, nous entendons renforcer notre partenariat avec la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. C'est le moyen de garantir la péréquation en même temps qu'une adaptation souple aux réalités locales.

M. Ladislas Poniatowski. - Je crois nécessaire de renforcer la régulation des investissements d'ERDF et de RTE. La CRE et les collectivités territoriales qui participent aux dépenses à hauteur d'un milliard d'euros, doivent avoir voix au chapitre. Je préconise plus de transparence : pourquoi les collectivités, qui doivent établir des plans d'investissement, n'auraient-elles pas accès au système d'information qui permet à ERDF de savoir où il existe des chutes de tension ? Les maires sont parfois surpris quand le distributeur annonce des défaillances là où aucun administré ne se plaint !

Il faudrait en outre définir une norme de qualité, afin d'éviter les polémiques. Quelle pourrait-elle être ?

Je trouve moi aussi anormal qu'ERDF supporte seul le coût du raccordement des producteurs d'énergies renouvelables. Beaucoup de cabinets ont énormément gagné en revendant le permis de construire, sitôt obtenu, aux producteurs. Ceux, qui retirent un profit considérable de leurs investissements, doivent y contribuer.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Il me semble que cet avis est largement partagé.

M. Xavier Pintat. - Je regrette les déclarations intempestives du vice-président et de certains membres de la CRE à l'encontre d'ERDF : depuis votre prise de fonctions et celle du nouveau président d'EDF, les élus constatent votre volonté de coopérer.

Mais il faut rappeler que les investissements dans le réseau de distribution ont fortement baissé ces dernières années : ils ne représentaient plus que 2,3 milliards d'euros en 2009, contre 3,3 milliards en 1992, et ils ont même diminué jusqu'à 1,6 milliard en 2004 ! La durée moyenne de coupure est passée de 52 minutes en 2000 à 100 minutes cette année. Le taux d'enfouissement des lignes à basse tension est de 40 %, contre 84 % en Allemagne et 83 % au Royaume-Uni, celui des lignes à moyenne tension de 40 % contre 70 % et 46 %. Il est vrai que notre territoire s'y prête moins ; mais il serait souhaitable d'atteindre un taux de 50 %, ou au moins d'enfouir davantage de lignes à moyenne tension. Lors de la tempête de 2009, on a constaté que la proportion de fils nus était encore très importante : 100 000 kilomètres sur plus de 600 000 kilomètres de lignes à basse tension. Il faut les remplacer. En outre les lignes HTA devraient contourner les zones boisées. De tels investissements seraient raisonnables, et pourraient être financés par une hausse modérée du TURPE, de l'ordre de 1 % par an, ce qui augmenterait de 0,4 ou 0,5 % la facture d'électricité. Il faut expliquer à nos concitoyens pourquoi le tarif de l'électricité est tellement plus élevé en Allemagne !

Pourquoi ne pas élaborer dans chaque département un schéma de sécurisation des réseaux, afin de mieux coordonner les efforts de chacun ?

Les techniciens d'ERDF font un travail remarquable : nous avons pu le constater lors de la tempête Xynthia, alors qu'en 1999 nous avions déploré un certain flottement. Mais j'insiste sur l'exigence de proximité : dans chaque zone de 30 000 habitants, un technicien connaissant bien le terrain devrait pouvoir intervenir rapidement.

M. Marc Daunis. - Comme Marcel Deneux tout à l'heure, je serai iconoclaste : n'est-il pas temps de revenir sur l'excès de déréglementation ? Je ne prendrai qu'un seul exemple : fallait-il dépenser 100 millions d'euros pour changer d'enseigne et de logo ?

Les usagers ne comprennent pas la répartition des rôles entre EDF et ERDF, sans parler de RTE ni des fournisseurs concurrents. Moi-même, j'ai dû demander à mes services une note d'information pour savoir à quel moment et à qui je devais m'adresser !

Les délais de raccordements restent trop longs. Je redoute le pire lors de l'arrivée de nouveaux opérateurs sur le marché.

Il faut renouer le dialogue entre tous les acteurs et analyser lucidement les besoins. Des programmes pluriannuels d'enfouissement devraient être établis. Dans une ZAC de ma commune, l'enfouissement des lignes a posé bien des problèmes ! Mais, en dehors des zones sensibles comme les parcs naturels, il faut avancer prudemment, car l'enfouissement nuit parfois à l'agriculture.

Ne pensez-vous pas que le déficit d'ERDF est structurel plutôt que conjoncturel ? Cela ne devrait-il pas nous inciter à faire d'ERDF un établissement public, au lieu d'une société soumise aux ponctions de son actionnaire EDF ?

Mme Élisabeth Lamure. - Je crois moi aussi qu'il faut qu'ERDF et les autorités concédantes se concertent afin de définir des priorités d'investissement. Quant au raccordement des producteurs d'énergies renouvelables, il me paraît anormal que le distributeur en supporte le coût, mais c'est prévu par la loi Grenelle II. Faut-il l'amender ?

M. Jean-Paul Emorine, président. - La CMP sera attentive à cette question.

M. Gérard César. - La collaboration entre le distributeur d'électricité d'un côté, les maires et syndicats d'énergie de l'autre, s'est améliorée depuis la tempête de 1999. Dans mon département, des « correspondants tempête » ont suivi une formation auprès d'ERDF afin de pouvoir reconnaître aisément les lignes de différentes tensions et guider plus rapidement les équipes de secours. Envisagez-vous de généraliser ce dispositif ?

Je rends hommage au travail accompli lors de la dernière tempête : des techniciens sont même venus du Nord de la France pour nous aider, et les lignes ont été remises en état plus rapidement qu'en 1999. Mais pour prévenir de nouveaux incidents, il est nécessaire, dans les campagnes, d'enfouir au moins les lignes à basse tension.

Mme Nicole Bricq. - Depuis votre arrivée à la tête d'ERDF, avez-vous donné à vos collaborateurs des instructions afin d'améliorer la concertation avec les élus et de renforcer la transparence ? Les collectivités ont souvent reproché à ERDF son opacité.

M. Gérard Bailly. - La durée moyenne de coupure n'est guère supérieure en France à celle que l'on constate chez nos voisins européens. Mais le délai de raccordement au réseau reste excessif.

Lors des débats sur la loi de modernisation de l'agriculture, on a entendu dire que les agriculteurs allemands étaient plus compétitifs que les français parce qu'ils produisaient de l'énergie. Mais avant d'encourager les paysans français à investir dans le photovoltaïque ou l'éolien, il faudrait savoir quel avantage ils en tireront dans quinze ans !

L'enfouissement des lignes coûte cher, surtout dans un pays montagneux. Pourquoi ne pas enfouir en même temps les lignes électriques et les réseaux de fibre optique ?

M. Jean Besson. - Lors du congrès d'Annecy, on a assisté à une fronde des élus contre ERDF, mais tous se félicitent du changement d'attitude observé depuis quelques mois.

Mme Michèle Bellon. - Je vous remercie de ces témoignages de sympathie : j'ai pu moi-même constater le professionnalisme sans faille des collaborateurs d'ERDF, qui s'efforcent de fournir le meilleur service possible malgré de très nombreuses contraintes.

Faut-il davantage de régulation ? Lorsque ERDF est devenue une filiale d'EDF, suite à l'ouverture du marché à la concurrence, de nouvelles procédures de raccordement, de mise en service et de résiliation ont été définies en concertation avec la CRE. Mais pour nos collaborateurs, c'est un véritable parcours du combattant, car ils n'ont pas le droit de s'adresser directement aux clients ! Une procédure qui prenait naguère un ou deux mois en prend maintenant six. Les fournisseurs peuvent contraindre ERDF à effectuer une intervention, même si elle n'est pas techniquement nécessaire, alors qu'ERDF n'a pas le droit de demander aux fournisseurs de procéder à une manoeuvre dont ils sont parfaitement capables !

M. Ladislas Poniatowski. - Je parlais de l'investissement.

Mme Michèle Bellon. - J'y viens. La CRE nous a enjoints d'établir un catalogue des prestations. On pourrait penser que plus on assure de prestations, plus on gagne d'argent. Mais c'est le contraire qui est vrai ! Afin de nous inciter à améliorer notre productivité, la CRE a réduit de 15 % les tarifs indiqués sur nos devis. En conséquence, une intervention à l'occasion de la résiliation d'un contrat est facturée 40 euros, alors qu'elle coûte beaucoup plus cher !

Le TURPE couvre-t-il l'intégralité des coûts ? Rien n'est moins sûr. Le compte de régularisation des charges et produits comporte un mécanisme de « régulation incitative », que l'on croirait vertueux. Mais il produit un résultat paradoxal : lorsque nous réduisons les pertes non techniques, c'est-à-dire le montant de l'énergie consommée mais non payée, le tarif diminue d'autant ! Ces règles édictées par des gens qui ne connaissent rien à la distribution d'électricité, contrairement aux élus locaux que vous êtes, sont contre-productives.

M. Marc Daunis a évoqué le coût du changement de logo et la campagne destinée à faire connaître ERDF. Mais cela résulte encore une fois de la volonté du régulateur. J'assistais vendredi à une réunion des distributeurs européens. Aucun d'entre eux n'a dû changer de nom ni de logo en se séparant du fournisseur historique : ils s'appellent toujours Endesa, Iberdrola, RWE et Enel, ils ont juste ajouté « distribution » !

Voici un autre exemple : nous partagions naguère les locaux d'EDF, mais à des étages différents et l'accès aux bureaux de chaque entreprise était contrôlé. La CRE a considéré que cela ne suffisait pas : elle nous a contraints à déménager et à résilier nos baux avant l'heure, ce qui a induit le versement d'indemnités !

Beaucoup s'inquiètent de l'insuffisance de nos investissements. Mais le tarif d'électricité a baissé en euros constants car il est politiquement difficile de faire admettre une hausse du tarif, même égale à l'inflation. Le tarif a même chuté de 14 % en trois ans au milieu des années 1990 ! En conséquence, l'investissement a diminué entre 1992 et 2005 ; il a recommencé à augmenter depuis 2006. Cette tendance se poursuivra.

S'agissant des énergies renouvelables, nous soutenons en effet un amendement à la loi Grenelle II afin de limiter les coûts de raccordement au réseau : nous ne rechignons pas à assumer les charges qui nous incombent légitimement, mais il faut mettre fin à cet abus. Si les objectifs du Grenelle sont remplis, il faudra 3,3 milliards d'euros pour financer les investissements nécessaires. Or l'effet d'aubaine lié aux incitations diverses à produire de l'énergie photovoltaïque est tel que ces objectifs seront atteints bien avant 2020 !

Certains préconisent l'enfouissement des lignes. Mais lors de la tempête Xynthia, les inondations ont provoqué des dégâts sur les lignes souterraines, et le délai de rétablissement du service est alors plus long. D'ailleurs, en Grande-Bretagne où l'enfouissement est pratiqué à grande échelle, la qualité du réseau est moindre qu'en France. Ne faisons pas de l'enfouissement un dogme : il se justifie surtout sur les lignes à haute tension.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Quelle est la différence de coût entre une ligne aérienne et une ligne souterraine ?

Mme Michèle Bellon. - Elle est à peu près du simple au double.

Je suis bien consciente du fait que les élus attendent de nous plus de proximité et de dialogue. Depuis deux mois et demi, je me suis rendue dans six sur huit de nos régions opérationnelles : j'ai souhaité y rencontrer des élus ainsi que les salariés d'ERDF. Une meilleure concertation avec les autorités concédantes, mais aussi les élus permettrait d'établir des plans d'aménagement du territoire dix ou quinze ans à l'avance. Nous devons aussi être plus proches des clients. N'ayons pas peur de parler de clients ! En 2007, une révolution des esprits était nécessaire afin que le personnel d'ERDF comprenne qu'il avait désormais affaire à vingt-sept fournisseurs, mais à présent les choses doivent changer.

Jusqu'ici, les projets de développement conjoint des réseaux électriques et de fibre optique sont restés à peu près lettre morte, mais nous réexaminons la question.

Je suis favorable à l'établissement de schémas de sécurisation des réseaux et à la coordination des investissements des syndicats d'électrification et des nôtres. Il faut accorder la priorité à la moyenne tension qui alimente un grand nombre de clients.

Quant aux délais de raccordement, les employés d'ERDF font ce qu'ils peuvent pour les raccourcir, mais ils font face à d'innombrables contraintes ! La CRE doit prendre ses responsabilités. Je ne suis pas sûre que chacun des vingt-sept fournisseurs ait son mot à dire sur les procédures qu'ERDF doit suivre, même si ces entreprises sont dirigées par des financiers qui ignorent tout des problèmes liés à la distribution d'électricité.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Peut-être devrons-nous encourager la CRE à alléger ces contraintes.