Mercredi 9 juin 2010

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Réforme des collectivités territoriales - Egal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs - Audition de Mme Joëlle Dusseau, vice-présidente du Parti radical de gauche

La délégation procède à l'audition de Mme Joëlle Dusseau, vice-présidente du Parti radical de gauche, sur les modes de scrutin retenus par le projet de loi n° 61 (2009-2010) relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale et du projet de loi organique n° 62 (2009-2010) relatif à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale tirant les conséquences en matière électorale des articles premier et 2 du projet de loi n° 60 (2009-2010) de réforme des collectivités territoriales, déposés sur le bureau du Sénat le 21 octobre 2009.

Mme Michèle André, présidente. - Avant de commencer nos auditions, je tiens à rappeler que nous examinons demain, jeudi 10 juin, les recommandations formulées par notre délégation à la commission des Lois du Sénat, saisie au fond de l'examen de deux textes importants, le premier renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, et le second relatif à la réforme des collectivités territoriales et à l'élection des conseillers territoriaux, dont le Sénat débattra en séance publique à partir du 28 juin prochain, et sur lequel nous travaillons aujourd'hui.

Dans le cadre de l'examen des conséquences de la réforme territoriale et des modes de scrutin proposé par le projet de loi n° 61 (2009-2010) sur l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, notre délégation aux droits des femmes a souhaité auditionner les représentants des partis politiques représentés au Parlement sur la façon dont ceux-ci envisagent la mise en oeuvre du principe d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats politiques.

Cette question revêt une acuité particulière, après que l'Assemblée nationale a modifié le scrutin mixte initialement proposé pour l'élection des conseillers territoriaux pour adopter un scrutin majoritaire à deux tours, qui est, du point de vue de la parité, moins satisfaisant encore.

Depuis la réforme constitutionnelle du 8 juillet 1999, l'article 1 de la Constitution énonce que la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, l'article 4 précisant que les partis politiques contribuent à la mise en oeuvre de ce principe.

Le texte portant réforme des collectivités territoriales et de l'élection des conseillers territoriaux, transmis au Sénat par l'Assemblée nationale, sur lequel nous aurons à débattre, place le dixième anniversaire de la loi du 6 juin 2000 sur la parité sous de tristes auspices, comme j'ai pu le souligner dans un récent communiqué de presse publié à cette occasion.

Pourriez-vous nous dire, Madame la Présidente, comment le Parti radical de gauche va s'acquitter de la responsabilité qui lui est donnée par l'article 4 de la Constitution pour mettre en oeuvre, en ce qui concerne les conseillers territoriaux, ce principe d'égal accès aux mandats électoraux ?

Mme Joëlle Dusseau. - Permettez-moi, Madame la Présidente, de répondre à votre question en prenant des détours, qui, vous le verrez, ne seront pas des fuites.

En tant que représentante du parti radical de gauche, je dois convenir que ce parti, dans son histoire, ne s'est jamais manifesté par un excès de féminisme. C'est même lui qui, entre les deux guerres, s'est opposé au droit de vote des femmes, lors des débats au sénat sur le vote des femmes de 1935, puis pour le droit des votes des femmes pour l'Assemblée consultative d'Alger en 1944.

Il serait pourtant caricatural de déduire de ces positions l'hostilité unanime du parti radical à la cause des femmes puisque - ceci me semble important - la seule féministe appartenant au gouvernement de Léon Blum était une radicale, Cécile Brunschwig, secrétaire d'État à l'éducation nationale. Entourée des deux autres femmes, nommées secrétaires d'État en 1936, Suzanne Lacore et Irène Joliot-Curie, elle était alors la seule à être résolument engagée dans le mouvement féministe et pour le droit de vote des femmes. Elle a été aidée dans ce combat par Ferdinand Buisson, cofondateur de la ligue des droits de l'Homme et président de la Ligue de l'enseignement, et lui aussi ardent partisan du suffrage féminin.

Investie dans la lutte pour l'égalité des femmes et des hommes depuis de nombreuses années, j'ai poursuivi cet engagement au sein de ce parti, à travers son évolution en « mouvement des radicaux de gauche », puis en « parti des radicaux de gauche », notamment en faisant adopter lors du congrès de janvier 1997 et avec l'appui de son Président, Jean-Michel Baylet, l'inscription dans les statuts du principe de parité, à une époque où peu de partis politiques s'intéressaient au sujet.

Pour ce qui concerne la réforme des collectivités territoriales, la position du Parti radical de gauche est unanime et fondamentalement hostile au dispositif proposé, sous-tendu par des idées contraires aux valeurs démocratiques que nous défendons.

Nous n'adhérons pas au discours de dénonciation du prétendu « millefeuille » territorial, qui serait spécifique à l'organisation territoriale française, alors qu'on retrouve ces différentes strates sous d'autres noms dans la plupart des pays européens, tout en reconnaissant que le nombre important de communes place la France dans une position particulière par rapport à ses voisins. Par ailleurs, il nous semble pour le moins incohérent, au moment où l'on parle de limiter le cumul des mandats, d'instituer un représentant élu cumulant de façon systématique et obligatoire deux mandats fusionnés en un seul. Nous sommes donc hostiles à la création des conseillers territoriaux.

A titre personnel, forte de mon expérience de conseillère générale pendant 5 ans, et de conseillère régionale durant 12 ans, je m'interroge avec inquiétude sur la macrocéphalie qu'entrainerait le triplement du nombre des conseillers régionaux, à l'instar de ceux de la Région Aquitaine, qui devraient passer de 85 à 211, ou de ceux de la Région Midi-Pyrénées, dont le nombre augmenterait de 91 à 255. Ceci va automatiquement affaiblir le poids individuel de chacun des élus, et, corrélativement, renforcer la place de l'exécutif. Mon parti a déjà exprimé son inquiétude à ce sujet à l'Assemblée Nationale et au Sénat.

Pour revenir à la question spécifique de la place des femmes dans les Assemblées élues, il me semble intéressant de souligner que la situation des femmes du Parti radical de gauche reflète exactement les disparités relevées par l'Observatoire de la parité entre les conseils généraux et régionaux : le Parti radical compte une centaine de conseillers généraux, dont 13 seulement sont des femmes, alors que, pour les conseillers régionaux : on compte 31 femmes parmi les 57 conseillers régionaux de notre parti.

Sans revenir en détail sur des éléments chiffrés rappelés dans le rapport de l'Observatoire de la parité, que la délégation connaît bien, je voudrais souligner que la proportion de femmes conseillères municipales, évaluée à 30 % par l'Observatoire de la parité et dont une majorité est élue dans des villes de moins de 3 500 habitants, confirme que les femmes accèdent aux responsabilités électorales lorsque des dispositions obligatoires en faveur de la parité s'appliquent. Elles sont 50% quand la loi s'applique, 30% quand elle ne s'applique pas. Il est de même pour les postes d'adjoint : quand la parité s'impose, elles sont 50%, 30% quand elle ne s'applique pas !!!

Le nombre de femmes élues pour exercer des fonctions exécutives dans les municipalités est encore plus problématique. J'en veux pour preuve la stagnation du nombre de femmes élues maires dans mon département : elles étaient 17 femmes maires sur 550 communes lors de mon accession au conseil général en 1988, leur nombre est à peu près le même aujourd'hui ; nous stagnons depuis des années entre 12 et 15% de femmes maires en France.

Les progrès de la parité sont extrêmement lents avec le scrutin majoritaire : représentant 5 % des conseillers généraux il y a 20 ans, les femmes sont aujourd'hui 12,3 % à être élues au sein des assemblées départementales. Avec 7 % de femmes élues comme responsable d'intercommunalité.

C'est pour l'ensemble de ces raisons que le Parti radical de gauche est profondément hostile à la réforme, car en plus des raisons de fond dont j'ai donné quelques exemples, nous estimons qu'elle entraînera un recul massif de la place des femmes dans les futures assemblées élues.

A cet égard, les projections réalisées par l'Observatoire de la parité parlent d'elles-mêmes : de 27 % de femmes actuellement élues dans les conseils régionaux et généraux, on observerait un recul à 17 % en prenant pour hypothèse le scrutin mixte initialement proposé (80%-20%°). La situation ne peut qu'être aggravée si on considère le mode de scrutin uninominal adopté à l'Assemblée nationale, qui aboutirait à faire tomber à 12,5 % le nombre d'élues dans les futurs conseils territoriaux.

Mme Michèle André, présidente. - ... voire 10 %, en étant plus réaliste.

Mme Joëlle Dusseau. - Je voudrais essayer d'être optimiste, en examinant les correctifs prévus par le projet de loi pour compenser les effets défavorables du mode de scrutin sur l'accès des femmes aux mandats électifs. Force est de constater, cependant, que leurs effets n'ont pas été probants.

D'une part, l'extension du scrutin de liste à l'élection des conseillers municipaux dans les villes de 500 à 3 500 habitants aura un effet positif mais, laissera encore 40 % des élus municipaux hors de l'obligation paritaire, sans compter le « plafond de verre » de l'exécutif, encore majoritairement réservé aux hommes.

D'autre part, l'obligation de présenter un suppléant pour les candidatures au scrutin uninominal s'est soldée dans 80 % des cas par une relégation de la candidature féminine au poste de suppléante.

Finalement, compte tenu du fait que la compétition sera plus rude, eu égard à la diminution du nombre de postes, et même en comptant sur un « effet sortant » au profit des conseillères régionales, on aboutirait au mieux à 14 ou 15 % de conseillères territoriales, et peut-être à un recul pire encore.

Il ne reste donc plus qu'à escompter les effets positifs des pénalités financières, marginalement augmentées d'1/18ème à l'Assemblée nationale la nuit dernière lors de l'examen du texte en séance.

Un parti comme le mien, qui compte peu d'élus, fera probablement le maximum pour échapper aux pénalités. Mais les grands partis beaucoup moins dépendants des aides publiques ne seront pas aussi sensibles à la crainte d'un écrêtement.

Mme Michèle André, présidente. - Pour préciser les propos de Mme Dusseau et abonder dans son sens, je voudrais vous faire part des informations qui vous seront communiquées demain dans le cadre de l'examen du rapport relatif à la réforme territoriale par notre délégation.

La perte financière consécutive à l'application des pénalités financières, qui s'élève au total à plus de 5 millions d'euros, représente 4,13 millions d'euros pour l'UMP, 513 900 euros pour le parti socialiste, 443 700 euros pour le Modem, et 107 600 euros pour le PRG, 67 000 euros pour le parti communiste français.

Mme Catherine Troendle. - Je voudrais souligner que le nombre de candidatures féminines ne peut être le seul indicateur de la bonne volonté des partis politiques en faveur de la parité. Encore faut-il que ces candidatures soient présentées dans des circonscriptions et à des postes susceptibles d'être gagnés !

Mme Joëlle Dusseau. - En ce qui concerne le Parti radical, avec 4 femmes députées, la proportion de femmes - 50%- est plus qu'honorable à l'Assemblée nationale ; moins favorable au Sénat, puisque seulement deux élues sur 9 sénateurs sont des femmes.

Mme Michèle André, présidente. - Souvent leur plus grande assiduité en séance compense leur moindre nombre. Je pense que vous serez tous d'accord avec moi pour souligner, à cet égard, le sérieux, et l'assiduité des femmes parlementaires.

M. Yannick Bodin. - ... d'autant plus que, dans la plupart des cas, les femmes cumulent moins de mandats que les hommes !

Mme Joëlle Dusseau. - Permettez-moi d'insister sur un point que j'estime être un des points de résistance majeure en ce qui concerne l'accès des femmes aux responsabilités électives : les avancées en terme de nombre, que nous avons déjà largement commentées et qui sont souvent mises en lumière tant par les médias que par les responsables politiques, ne doivent pas masquer le fait qu'un blocage puissant persiste au niveau des fonctions exécutives, encore largement réservées aux hommes.

Avec le mode de scrutin proposé dans le cadre de la réforme territoriale, on est en train de mettre en place un recul fondamental, qui peut s'avérer long et rude. Je sais comme historienne que de tels reculs peuvent se produire et perdurer.

Mme Catherine Troendle. - J'entends vos alertes, mais je reste profondément optimiste : aujourd'hui, les conseillères régionales en place sont nombreuses. Demain, elles vont se retrouver en concurrence avec des hommes, conseillers généraux en grande majorité. Pourquoi ne pouvons-nous pas envisager qu'elles auront les moyens de s'imposer, comme elles l'ont fait pour accéder à leurs mandats ?

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Avec deux femmes pour 49 hommes dans un des conseils généraux de ma région, et avec 14 % de femmes maires en France, je reste dubitative quant à la réelle volonté des partis politiques de soutenir le processus d'égal accès. Ne pourrait-on pas responsabiliser les électeurs, en présentant des candidatures mixtes pour chaque mandat, charge à l'électeur de choisir entre la femme ou l'homme pour le poste de titulaire et de suppléant, l'indemnité étant alors partagée entre eux à trois quarts contre un quart ?

Mme Gisèle Printz. - Que ce soit pour l'accès aux mandats électoraux, ou dans d'autres domaines, telle l'Interruption volontaire de grossesse, on observe partout une régression des droits des femmes.

M. Yannick Bodin. - Je me suis déjà exprimé sur le sujet et vous connaissez ma position : la réforme du conseiller territorial fait retomber les femmes, tel Sisyphe au bas de son rocher, au stade antérieur où les avaient laissées leurs précédentes conquêtes. Membre d'un parti qui a accepté hier de présenter 50 % de candidates aux prochaines élections législatives, je pense que tout dépendra maintenant de la volonté des partis politiques. Je tiens néanmoins à souligner que cette réforme ne profitera pas seulement aux hommes en défaveur des femmes, mais aussi à l'élu le mieux « territorialement implanté », c'est-à-dire au conseiller général. Cette réforme constitue par conséquent un recul non seulement pour les femmes, mais aussi pour l'ensemble des conseillers régionaux sortants.

Mme Joëlle Dusseau. - Je partage l'opinion de M. Bodin sur la motivation des partis politiques quant au choix des candidatures lors des élections, qui reste, il me semble, et c'est bien normal la volonté de gagner des sièges lors des élections.

Quant à savoir si l'on est optimiste ou pessimiste au sujet du mode de scrutin des conseillers territoriaux, je vais m'appuyer sur les propos que nous venons de tenir. L'hypothèse « pessimiste » serait de que le % des femmes pour les conseillers territoriaux diminue par rapport aux conseillers généraux. L'hypothèse « optimiste » envisage une très légère augmentation qui pourrait atteindre 14 -15 % de femmes élues conseillères territoriales - soit tout de même un recul d'au moins 50 % par rapport à la situation actuelle, où il y a 27% de femmes élues aux conseils généraux et régionaux. On voit que l'optimisme doit rester très relatif.

Quant à la proposition de Mme Bruguière de laisser à l'électeur le choix de désigner l'homme ou la femme, elle ne me semble pas très réaliste en pratique, notamment parce qu'elle aboutirait à ce que les candidats d'un même parti politique se battent entre eux, sur des considérations uniquement de sexe.

Mme Michèle André, présidente. - Je compte proposer à notre délégation une solution un peu différente avec dans chaque circonscription un « binôme » composé d'un homme et d'une femme.

Mme Joëlle Dusseau. - C'est une idée intéressante.

Je terminerai pour répondre à Mme Gisèle Printz par une considération plus sociologique, en remarquant que les jeunes femmes d'aujourd'hui paraissent moins combatives que celles des générations précédentes qui ont mené en faveur des droits des femmes des combats générateurs d'avancées dont toutes profitent aujourd'hui.

Réforme des collectivités territoriales - Egal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs - Audition de M. Xavier Bertrand, secrétaire général de l'Union pour un mouvement populaire (UMP)

La délégation procède à l'audition de M. Xavier Bertrand, secrétaire général de l'Union pour un mouvement populaire (UMP), sur les modes de scrutin retenus par le projet de loi n° 61 (2009-2010) relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale et du projet de loi organique n° 62 (2009-2010) relatif à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale tirant les conséquences en matière électorale des articles premier et 2 du projet de loi n° 60 (2009-2010) de réforme des collectivités territoriales, déposés sur le bureau du Sénat le 21 octobre 2009.

Mme Michèle André, présidente. - La délégation aux droits des femmes est très préoccupée par le mode de scrutin des futurs conseillers territoriaux, dans la rédaction du texte issu de l'Assemblée nationale. Le scrutin majoritaire à deux tours est encore plus défavorable que le précédent. Nous avons eu de nombreuses auditions et des échanges avec le ministre et nous avons dit que nous ne voulions pas d'un recul. Or, la situation va devenir très inconfortable pour les femmes. Il y a dix ans, la Constitution a été révisée. Désormais, « la loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ». En outre, les partis sont chargés de la mise en oeuvre de ce principe. Que comptez-vous faire en ce sens ?

M. Xavier Bertrand, secrétaire général de l'UMP. - C'est un débat clé. La parité est un objectif partagé par l'ensemble des partis politiques. Mais on vient de très loin. Voyez les pays scandinaves : notre retard est considérable par rapport à de nombreuses démocraties. C'est entre 1997 et 2002, en période de cohabitation et de consensus, que les plus grandes avancées ont été accomplies. Je note que la Constitution mentionne aussi la parité en termes de responsabilités professionnelles et sociales. Mais ce n'est pas la Constitution, c'est la loi, qui doit « favoriser ». Or, le législateur a aussi le droit de choisir le mode de scrutin ; et la prescription de la Constitution concernant la parité n'y fait pas obstacle. La parité est certes plus facile à atteindre dans un scrutin de liste que dans un scrutin uninominal et c'est pourquoi, dans les conseils régionaux, la parité n'est plus à démontrer. Mais pour l'élection des conseillers territoriaux, nous soutenons le scrutin majoritaire uninominal à deux tours, qui maintient un lien entre l'électeur et l'élu, comme c'est le cas avec les conseillers généraux. Les conseillers régionaux ont échoué à faire valoir leur place dans la société politique française. Qui les connaît ? On ne sait pas pour qui l'on vote. Je préfère que l'on sache qui est son conseiller territorial, même si le résultat n'est pas paritaire dans un premier temps : j'assume ce choix. Lors des investitures, il est plus facile de promouvoir la parité dans les scrutins de liste. Mais les commissions d'investiture ne sont pas toujours la garantie du choix du meilleur candidat ! Le meilleur choix, c'est l'électeur qui le fait.

Depuis 1999, les conseils municipaux, régionaux et les exécutifs sont paritaires et il y a aujourd'hui un potentiel de candidates que nous n'avions pas dans le passé. Le ticket du conseiller territorial et de son suppléant sera paritaire ; j'ai déjà indiqué notre accord pour des sanctions financières importantes en cas de non-respect de la règle. Faut-il prévoir une extension ? Oui. J'ai voté la réforme des collectivités territoriales ; l'amendement Perben apporte une réponse. Des sanctions financières trop lourdes seraient inefficaces car elles seraient contournées. Lors des élections législatives, l'étiquette partisane compte, surtout que l'élection intervient après celle du président de la République. Mais, notamment dans les zones rurales, aux élections locales, l'investiture n'est pas nécessaire au candidat pour être crédible. Et je ne dirai rien des élections sénatoriales, surtout là où elles ont lieu au scrutin de liste.

Mme Michèle André, présidente. - Mais si, dites !

M. Xavier Bertrand. - La multiplication des listes ou les candidatures dissidentes ont souvent été utilisées pour contourner la parité. Je suis picard. Dans l'Aisne, un conseiller général, sénateur sortant, a formé une liste dissidente afin qu'une femme candidate dont il ne voulait pas ne soit pas élue. Ils ont été battus l'un et l'autre, mais lui a été exclu de l'UMP et ne sera pas réintégré. Sur les sanctions, la progressivité me semble donc indispensable. Paieront ceux qui préfèrent payer. Dans cette Assemblée, vous possédez un mandat représentatif, non impératif. Et le lien avec les électeurs l'emporte sur les liens avec le parti politique. Les mouvements politiques seront donc obligés de changer. Celui qui en 2014 ne prendrait pas en compte la parité n'aurait rien compris : tant pis pour lui !

Les sanctions doivent être crédibles, à peine d'être contournées. Le maire de ma ville me disait : quand on prend un arrêté municipal, il faut savoir le faire respecter ; sinon, il vaut mieux s'abstenir. Dans cette affaire, faisons preuve de mesure.

Mme Michèle André, présidente. - Je doute de l'efficacité des nouvelles sanctions votées à l'Assemblée nationale, car je vois quel faible effet les sanctions actuelles ont pour les scrutins législatifs. Comme rapporteur spécial pour le budget de l'administration générale et territoriale de l'Etat, je constate les retenues sur dotations qui sont opérées chaque année. Cela laisse les partis indifférents ! Vous prônez des sanctions progressives. Mais mon doute persiste.

M. Xavier Bertrand. - Ce doute est permanent concernant l'engagement des paris politiques pour la parité ! Mais je peux vous dire que, depuis le vote de l'amendement Perben, notre trésorier a fait nos comptes ; nous savons ce que le non-respect de la parité nous coûtera... Heureusement, nous ne partons pas d'une page blanche. Je dispose à présent d'un vrai potentiel de candidatures féminines crédibles.. Et l'on a moins de problèmes pour convaincre les hommes que la parité les protégera peut-être eux aussi un jour.

C'est le nombre de candidatures, non l'élection qu'il faut prendre en considération - car là, c'est l'électeur qui décide. Mais je ne veux pas payer de pénalités et être contraint de reconfigurer tout mon budget. Ce débat traverse la société française. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes et si les assemblées politiques restent exclusivement masculines, il y aura inévitablement une prise de conscience et un changement.

Mme Catherine Procaccia. - Et ce changement doit selon moi intervenir avant 2014, soit dès 2011. Est-il dans l'intention de l'UMP d'investir 20 à 30 % de femmes aux prochaines cantonales ? Dans mon département, je suis la seule femme conseiller général. Or, si l'on réélit les conseillers sortants, on ne prépare pas 2014 - il en va de même des sénatoriales.

M. Alain Gournac. - Avez-vous déjà des objectifs ? En parle-t-on dans les instances de l'UMP ? C'est en amont des élections qu'il faut y réfléchir. Que dit l'UMP de la parité ? Car souvent on crie « vive les femmes », mais on ne les pousse pas trop aux responsabilités.

M. Yannick Bodin. - Il y a ceux qui font un plaidoyer vibrant pour le scrutin uninominal et ceux qui préfèrent la proportionnelle. Il y a autant d'enthousiasme d'un côté que de l'autre, et de bons arguments de chaque côté. Ce qui est certain, c'est que les conseillers généraux sont les élus d'un territoire. Beaucoup de conseillers généraux, lorsque j'étais vice-président de la région, me sollicitaient pour la rénovation d'un lycée. Je n'avais, quant à moi, aucune liste personnelle de lycées à rénover. J'étais préoccupé par l'intérêt des trois rectorats de l'Ile-de-France. Les femmes représentent actuellement 27 % des élus aux conseils généraux et régionaux. Sans incitation forte de la loi ou des partis politiques eux-mêmes, que faire pour que cette proportion ne baisse pas ? La lecture de l'article 1.2 de la Constitution est difficile, car la formule « la loi favorise » ne se traduit pas par une obligation précise. Mais si une loi défavorise la parité au lieu de la « favoriser », qu'en pensera le Conseil constitutionnel ?

Mme Gisèle Printz. - Le mode d'élection des conseillers territoriaux ne favorise pas les femmes. Elles seront les grandes perdantes. C'est un constat, la parité régresse.

Mme Jacqueline Panis. - Je suis opposée aux pénalités actuelles. On trompe les cotisants puisque les cotisations sont utilisées à payer l'amende pour absence de parité ! Il vaudrait mieux accorder des bonus à ceux qui présentent des femmes aux élections. Un changement général en 2014 sera difficile à mettre en oeuvre. C'est pourquoi je propose un scrutin binominal, avec un homme et une femme. Les électeurs choisiront !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Soyons plus positifs. Les femmes seraient pénalisées par des mesures négatives. La proposition de loi de la députée Mme Chantal Brunel s'intéresse aux dispositions incitatives. Le discours actuel est très négatif, comme si les femmes étaient incapables de se faire élire sans ce type de mesures.

Mme Christiane Hummel. - Le ministre a parlé du vivier de candidates qui existera en 2014. Mais dans le Var, il n'y a que six femmes au conseil général sur 53 conseillers généraux. La prime au sortant fonctionnera en 2014 comme avant, et le nombre de femmes conseillers territoriaux diminuera encore.

Mme Catherine Troendle. - Les femmes sortantes en 2014 auront eu tout le temps de tisser des liens de proximité avec les électeurs. Elles doivent s'investir.

M. Xavier Bertrand. - En commission d'investiture, M. Gaudin et moi, comme les autres membres, Mme Catherine Troendle peut en témoigner, avons eu dès à présent les conseillers territoriaux à l'esprit, en investissant les candidats aux régionales. Parmi les sortants de demain, nous verrons qui aura la capacité de se faire élire.

M. Yannick Bodin. - Vous retirez donc votre argument selon lequel le conseiller régional n'est pas connu ?

M. Xavier Bertrand. - J'ai dit aux nouveaux élus qu'ils devaient avoir un comportement territorialisé. Dans une élection au scrutin de liste, a-t-on la même obsession, la même ambition pour tous les territoires du département ? La chose n'est pas humainement possible. Dans mon département de l'Aisne, nous avions un sénateur pour le Nord du département, un pour l'Est et pour le Sud.

M. Yannick Bodin. - Dans les Yvelines aussi !

M. Xavier Bertrand. - Nous n'avons aucun problème pour avoir des candidatures de femmes très talentueuses. C'est à la première élection soumise à la parité que ce fut compliqué. Mais le temps est loin où les femmes élues étaient cantonnées à la petite enfance et aux personnes âgées. Elles sont aujourd'hui adjointes aux finances autant que dans les fonctions sociales. Nous avons plus de problèmes pour incarner la diversité : aux dernières élections, nous sommes passés de deux à dix-huit ; le problème demeure. Pour les femmes en revanche, nous avons un trop plein de talents car de nombreuses conseillères municipales et adjointes au maire ont fait leurs preuves. En Gironde, aux côtés de la tête de liste M. Darcos, une conseillère municipale de Bordeaux a montré un potentiel politique phénoménal, elle a réalisé une excellente campagne !

Les sortants, disons-le, ne sont pas toujours jeunes. C'est l'occasion d'un renouvellement de la vie politique. Je connais les réserves de ma famille politique pour le scrutin à un tour. J'y étais personnellement favorable, avec une part de proportionnelle, mais il posait, semble-t-il, des difficultés d'ordre constitutionnel. La crainte était celles des candidatures dissidentes qui sont le vrai danger pour la parité, les sénateurs le savent bien.Il y a tout de même le risque de candidatures dissidentes. Quant à l'idée de deux fois deux noms, cela me paraît bien compliqué à comprendre pour les électeurs, la simple idée du suppléant crée déjà la confusion... Il faudra déjà faire de la pédagogie. La magie de la politique, c'est que les gens votent pour vous parce qu'ils ont entendu parler de vous, cela doit rester simple..

Sur la question du bonus plutôt que de la sanction, c'est intéressant, mais personne n'est prêt à payer un euro de plus pour améliorer le fonctionnement démocratique des partis. C'est pour cela que nous avons du mal à faire accepter le statut de l'élu qui n'en est pas moins nécessaire ! Bref, les bonus seraient sans doute plus encourageants mais la société française n'est pas prête à accepter cet effort.

Je répondrai à Mme Gisèle Printz que les partis ne sont pas autistes. Ils ne peuvent être déconnectés de la société française. Les sanctions financières les aideront à atteindre plus vite la parité. Mais la sanction sera surtout politique. M. Yannick Bodin, où va votre préférence parmi les modes de scrutin ?

M. Yannick Bodin. - A la proportionnelle : je suis donc pour la tendance majoritaire en Europe !

M. Xavier Bertrand. - Le progrès vers la parité est plus puissant qu'on l'imagine. Hier, au bureau politique de l'UMP, nous avons nommé des conseillers politiques : un homme et une femme, non pour respecter la parité mais en raison de la cohérence et des compétences. L'équilibre n'est pas parfait mais nous progressons. Les candidatures de 2011 seront encore valables en 2014. Les conseillers régionaux, quant à eux, savent qu'ils ont cinq ans pour se préparer. Donnerons-nous des instructions aux comités départementaux pour qu'ils désignent pour moitié des femmes aux cantonales ? Non ! Je ne peux garantir la parité dans chaque département. La Lozère n'est pas le Var. Mais je vais réunir l'ensemble des secrétaires départementaux : je leur parlerai à cette occasion de la parité.

Il est logique de suivre l'évolution de la société. Ne pas prendre de risques, c'est dépérir. Autorisons les talents à éclore. Ma fonction inclut à l'UMP celle de gérer les ressources humaines ! Aux régionales, j'aurais préféré que mon parti l'emporte, mais j'ai été fier que les deux tiers de nos élus soient des nouveaux. Et ils ont aussi un profil de conseiller territorial... Vous parliez de plaidoyer, je le revendique, car je crois au rôle des partis, s'ils savent se moderniser et se transformer, non en adoptant un discours sur la parité mais en ressemblant à la société française.

M. Yannick Bodin. - Quel va être le coût de tout cela ? En Ile-de-France, on va passer de 209 conseillers régionaux à 309 sièges de conseillers territoriaux. Lorsque Michel Giraud était à la tête de la région, il avait porté de 164 à 198 le nombre de sièges. Quelle campagne de presse contre lui ! Il est vrai qu'il avait fallu acheter un immeuble pour installer les nouveaux venus...

M. Xavier Bertrand. - Je vois fleurir des mensonges dans la presse quotidienne régionale, alors que, d'un total de 6 000 conseillers généraux et régionaux, on passera à 3 400 conseillers territoriaux. Des travaux pharaoniques ont été engagés dans certains hôtels de région : on fera des économies en vendant les biens immobiliers !

Mme Michèle André, présidente. - Ce sont les partis politiques qui apporteront la plus grande part de la réponse, sur cette question mal engagée.

Réforme des collectivités territoriales - Egal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs - Audition de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente du Mouvement Démocrate (Modem), sénatrice du Loir-et-Cher

La délégation procède à l'audition de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente du Mouvement Démocrate (Modem), sénatrice du Loir-et-Cher, sur les modes de scrutin retenus par le projet de loi n° 61 (2009-2010) relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale et du projet de loi organique n° 62 (2009-2010) relatif à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale tirant les conséquences en matière électorale des articles premier et 2 du projet de loi n° 60 (2009-2010) de réforme des collectivités territoriales, déposés sur le bureau du Sénat le 21 octobre 2009.

Mme Michèle André, présidente. - Comment le Mouvement démocrate (Modem) envisage-t-il de « favoriser » l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux, alors que le scrutin majoritaire à deux tours devrait avoir des effets terribles sur la parité ? Avez-vous des propositions à faire contre ce retour en arrière ?

Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente du Modem. - D'abord deux ou trois réactions à ce que je viens d'entendre.

Je suis convaincue qu'il ne faut absolument pas réduire la question des femmes en politique à la proportionnelle. Moi-même je suis une élue du scrutin uninominal mais il faut reconnaître que la majorité des autres sénatrices ont été élues grâce à la proportionnelle. Ensuite je suis toujours agacée d'entendre proclamer que le conseiller général aurait toutes les vertus de la proximité et de la compétence qui s'y attache, tandis que le conseiller régional serait éloigné de ses électeurs et, à la limite, incompétent. Personnellement, j'ai été les deux ; j'étais pourtant la même dans les deux mandats et je m'y comportais de la même manière. Il y a des conseillers régionaux qui font un excellent travail de proximité et, inversement, des conseillers généraux qu'on ne voit jamais. Le tempérament de l'élu compte plus que sa fonction. En revanche, il est sûr que le mode de scrutin a un impact sur la représentation des femmes et Xavier Bertrand, qui vient de s'exprimer, n'a cessé de nous répéter : « J'ai nommé des femmes ici, j'ai nommé des femmes là », à mon sens la promotion des femmes dans la vie politique ne peut pas déprendre de la nomination par les hommes...

J'ai sous les yeux la lettre officielle que François Bayrou a envoyée au Premier ministre lorsque celui-ci a consulté les partis sur le mode de scrutin des conseillers territoriaux et je vous en livre la teneur.

Le Modem est favorable au rapprochement entre conseillers régionaux et généraux par l'instauration d'un même élu qui appartiendrait ainsi aux deux assemblées. Il s'agit moins de simplifier ou de diminuer le nombre de nos élus locaux que de coordonner le plus efficacement possible l'action des deux collectivités locales chargées des stratégies territoriales et de la solidarité, qui se révèlent souvent redondantes ou concurrentes, en tout cas trop étrangères l'une à l'autre.

Un amendement avait été voté au Sénat, sur proposition de l'Union centriste, auquel tout le monde s'était rallié ; il préconisait un scrutin mixte, majoritaire pour représenter les territoires, et partiellement proportionnel pour faire droit au pluralisme et à la parité. Il y avait eu sur cette formule un accord politique et l'UMP avait voté cet amendement.

Nous avons donc été extrêmement surpris de découvrir en commission des lois - avant même d'avoir pu répondre à l'interrogation du Premier ministre, comme la quasi-totalité des formations politiques de notre pays, à la seule exception de l'UMP et d'un parti associé - un amendement du Gouvernement tranchant la question dans le sens du scrutin majoritaire à deux tours dans des cantons redécoupés par ordonnance ! La douche froide ! Comment, dans un tel scénario législatif, parler de « concertation » ?

Je sais bien que la « proportionnelle » est un mot qui fait peur, car il évoquerait le spectre de la IVème République. Mais il s'agit, ici, de scrutins locaux et on n'envisageait de n'introduire qu'une dose de proportionnelle.

Notre avis sur le mode de scrutin n'a pas changé et ses principes sont simples. Nous estimons qu'une loi électorale équitable doit permettre d'assurer plusieurs légitimités. D'abord, une collectivité locale doit assurer équitablement la représentation des électeurs des différents territoires qui la composent. La représentation directe, qui permet aux électeurs de choisir leur élu sur sa personnalité, est une tradition française qui garantit que le tissu des élus couvrira de manière exhaustive et identifiée la mosaïque de ces territoires et des aspirations de ceux qui y vivent. Le mode d'élection qui permet cette représentation est le scrutin uninominal de circonscription ou dans des cantons équitablement composés sous le contrôle de la loi et de commissions arbitrales pluralistes.

Mais deux autres légitimités doivent être prises en compte : celle de la représentation équitable du pluralisme des sensibilités, et celle de la juste parité entre femmes et hommes dans les assemblées. En effet, le scrutin majoritaire peut conduire au monopole d'une ou deux familles politiques, et à la domination, voire à l'exclusion d'un sexe dans la représentation politique. La représentation proportionnelle étant le mode d'élection qui garantit le pluralisme et la parité, nous devons combiner les deux modes de scrutin.

Or, l'amendement gouvernemental marque un retour en arrière par rapport aux scrutins régionaux qui favorisaient la parité. C'est même contraire à la Constitution dont l'article premier édicte dans son deuxième alinéa que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs ».

Nous proposons donc que les conseillers territoriaux soient élus pour partie - les deux tiers environ - au scrutin uninominal majoritaire de circonscription à deux tours, assorti de règles d'encouragement à la mixité dans les candidatures. Le tiers des sièges restant serait attribué au scrutin proportionnel sur la base des suffrages obtenus par les formations politiques au premier tour. Les sièges seraient attribués aux formations ayant dépassé le seuil des 5 % des suffrages exprimés, après prise en compte des sièges obtenus à l'issue du deuxième tour.

Ce mode de scrutin, qui est en vigueur en Allemagne, satisfait à la fois tous les critères d'une représentation équitable, territoriale, paritaire et pluraliste. En plus, s'agissant d'élire une assemblée unique là où il en existait préalablement deux, avec deux règles de représentation différentes, l'équité de la représentation ne peut être sacrifiée sauf à manquer gravement, et pour six ans, aux lois d'équilibre sans lesquelles la démocratie menace de n'être plus que la dictature de la majorité sur des minorités écartées de la représentation.

J'ai siégé dans des conseils régionaux au moment où s'appliquait la proportionnelle intégrale. Il n'y avait, en effet, pas de majorité. Mais, en Europe, on évolue de plus en plus vers des majorités plurielles. Une majorité, ce n'est pas forcément un seul parti, cela peut être une majorité de coalition. Celle de mon conseil municipal rassemble des gens de diverses sensibilités.

De plus, le Gouvernement a eu tort d'augmenter le pourcentage de voix nécessaires pour être présent au second tour, en le faisant passer de 10 à 12,5 % des inscrits. Le pluralisme, cela consiste à reconnaître qu'il existe d'autres partis politiques que les deux grands. C'est la garantie de la démocratie, surtout en période de grave crise économique où les coalitions sont plus nécessaires que jamais. J'ai longtemps enseigné l'histoire, suffisamment pour savoir que la diversité est la garantie de la démocratie.

Mme Christiane Hummel - Je suis gênée par l'élimination des femmes avec le seuil de 12,5 %. Mais les accords conclus entre les deux tours faussent le débat et exposent aux inconvénients caractéristiques de la IVème République. Ne conviendrait-il pas de les conclure dès le premier tour ?

M. Alain Gournac - Je suis d'accord avec Jacqueline Gourault : la démocratie est fragile et nous devons mesurer les conséquences de nos décisions.

Aux élections municipales de ma ville, ce qui m'intéresse, ce n'est pas le parti auquel appartient tel ou tel candidat. S'il s'en présente un qui est valable, je le prends ! D'autant que, comme je recueille 75 % de voix dès le premier tour, il n'y en a pas de second. A un candidat socialiste formidable, j'ai proposé un poste de maire-adjoint aux travaux. Il est venu... Cette démocratie-là n'est pas une démocratie de combines, contrairement aux tractations d'entre les deux tours.

Mme Michèle André, présidente. - On peut discuter en adultes entre partis pour nouer des accords.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Les « règles d'encouragement » dont vous parlez doivent-elles porter sur le nombre de femmes présentées ou sur celui des femmes élues ? Il apparaît que la proposition de Chantal Brunel n'a pas été reprise dans son intégralité.

Mme Jacqueline Gourault. - Il faut combiner les deux. Mais les partis riches peuvent se permettre de ne pas respecter la parité...

Mme Michèle André, présidente. - Notre rapport présentera les pénalités subies par les différents partis. L'indifférence de ces derniers à ces pénalités financières est telle que j'y vois un refus de l'objectif de parité. L'UMP a perdu 4,13 millions d'euros, le PS 513 919 euros, le Modem 443 565 euros et les radicaux 107 610 euros. Ces retenues sur dotations sont vécues comme négligeables. Quel petit « plus » apportera l'amendement de Chantal Brunel, lorsqu'on est indifférent à une retenue de 4 millions ? Ce n'est pas seulement par ce biais qu'on améliorera le niveau de parité.

Mme Catherine Procaccia. - On pourrait proposer, d'une part, des pénalités et, d'autre part, des bonus pour le nombre de femmes élues. Ce ne serait pas anticonstitutionnel. A-t-on envisagé que, comme dans les municipales, le suppléant puisse changer entre les deux tours ?

Mme Michèle André, présidente. - Cela ne changera pas fondamentalement le déséquilibre. Il faut plutôt avancer l'idée d'un ticket sur un territoire plus grand, une sorte de micro-liste. La Délégation peut faire preuve d'originalité et faire vivre cette idée.

M. Alain Gournac. - En tout cas, on ne va pas dans le sens d'un progrès vers la parité.

Réforme des collectivités territoriales - Egal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs - Audition de M. Hervé Maurey, membre du Nouveau Centre, sénateur de l'Eure, et de M. Philippe Vigier, secrétaire général adjoint Réseau élus locaux et projet du Nouveau Centre, député de l'Eure-et-Loir

La délégation procède à l'audition de M. Hervé Maurey, membre du Nouveau Centre, sénateur de l'Eure, et de M. Philippe Vigier, secrétaire général adjoint Réseau élus locaux et projet du Nouveau Centre, député de l'Eure-et-Loir, sur les modes de scrutin retenus par le projet de loi n° 61 (2009-2010) relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale et du projet de loi organique n° 62 (2009-2010) relatif à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale tirant les conséquences en matière électorale des articles premier et 2 du projet de loi n° 60 (2009-2010) de réforme des collectivités territoriales, déposés sur le bureau du Sénat le 21 octobre 2009.

Mme Michèle André, présidente. - Le mode de scrutin qui nous revient de l'Assemblée nationale n'est pas celui qu'avait voté le Sénat. Le Nouveau centre a-t-il réfléchi à la façon de « favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs » comme le demande la Constitution ? Comment sauver la parité ?

M. Hervé Maurey, membre du Nouveau Centre, sénateur de l'Eure - L'accélération du calendrier ne facilite pas les choses. Je ne trahirai pas un secret en disant que le groupe centriste déjeunait aujourd'hui avec le Premier ministre et que nous avons pu regretter un certain mépris envers le Sénat : ne nous avait-on pas, en première lecture, renvoyé à des textes spécifiques, que le Sénat aurait examinés en premier ? Chaque fois que nous interrogions le Gouvernement sur le mode de scrutin et les compétences du conseil territorial, on nous répondait « plus tard ».

Le Nouveau Centre est très attaché à la parité. C'est à l'initiative de Valérie Létard qu'a été introduite en 2006 la parité dans les exécutifs municipaux. Nous sommes le seul parti politique à compter plus de conseillères régionales que de conseillers régionaux. Nous sommes donc attachés à un scrutin mixte, c'est-à-dire à un scrutin majoritaire, qui assure la représentation des territoires, associé à une dose de proportionnelle, qui favorise le pluralisme et la parité. On vous a peut-être affirmé que la proportionnelle n'est pas indispensable à la parité, mais, dans les faits, ce n'est pas vrai.

Mme Michèle André, présidente. - Personne ne nous l'a dit.

M. Hervé Maurey. - Le Premier ministre avait l'air choqué que l'on établisse un parallèle entre proportionnelle et parité. Nous sommes néanmoins très attachés à ce principe et réfléchissons à d'autres initiatives. Je fais partie de ceux qui considèrent qu'il ne s'agit sans doute pas d'une obligation constitutionnelle stricte mais que renforcer le rôle des femmes dans la vie politique française constitue une obligation morale et politique. Je souhaite que mon propos soit démodé dans dix ans mais il faut, au jour d'aujourd'hui, une dose de proportionnelle.

Mme Michèle André, présidente. - Vous aviez défendu cette position en séance publique.

M. Hervé Maurey. - Lorsque nous y avons réfléchi à la Délégation aux collectivités locales, nous avons considéré qu'il n'était pas possible de trouver un mode de scrutin « parfait ». Nous avons donc établi une grille de quatre critères issus de l'amendement du groupe de l'Union Centriste adopté par le Sénat le 21 janvier dernier: représentation des territoires, expression des sensibilités politiques, parité et la capacité à dégager des majorités stables. C'est la rencontre du souhaitable et du possible grâce à un scrutin mixte, et à la condition que le nombre d'élus n'égale pas strictement la moitié du total des conseillers généraux et régionaux. Pour avoir une représentation satisfaisante des territoires, il conviendrait en effet de ne pas avoir des cantons trop grands et de ne pas appliquer trop rigoureusement un critère comptable. Mieux vaut une réduction globale de 25 % au lieu d'une réduction de moitié du nombre des élus. Dans mon rapport, j'ai proposé à la Délégation 3 600 cantons, soit une baisse de 10 %, et 900 élus désignés à la proportionnelle.

Mme Michèle André, présidente. - Étiez-vous favorable au conseiller territorial ?

M. Hervé Maurey. - Je n'y suis pas hostile car j'espère un rapprochement des actions entre la Région et le Département. Cependant la réforme ne va pas assez loin. L'empilement des compétences gêne la lisibilité et l'efficacité des politiques publiques. Dès lors qu'on ne supprime pas un niveau de collectivités, le conseiller territorial peut introduire de la cohérence, même si on est loin de la clarification annoncée. Philippe Vigier pourra vous en dire plus sur le débat à l'Assemblée nationale.

Mme Michèle André, présidente. - J'allais l'interroger. A-t-il confiance dans l'amendement adopté à l'Assemblée ? Nous avons très mal vécu l'abandon de deux textes au profit de deux amendements et la méthode apparaît d'autant plus sévère que nous ne sommes saisis que sur le mode de scrutin.

M. Philippe Vigier, secrétaire général adjoint Réseau élus locaux et projet du Nouveau Centre, député de l'Eure-et-Loir - Je dirai les choses très librement, comme je l'ai fait en séance publique. Il devait y avoir quatre textes et l'on n'en a qu'un seul. . La commission des finances de l'Assemblée n'a pas été saisie du texte qui prévoit le mode de scrutin et les compétences puisque le rapport pour avis a été examiné avant que de nouvelles dispositions soient introduites lors de l'examen du texte en commission des lois. Pour les mêmes raisons, le Sénat ne verra cela qu'en deuxième lecture, ce dont je me suis étonné.

Mme Michèle André, présidente. - La concomitance a été adoptée ; il devait y avoir deux autres textes et il n'y en a plus qu'un.

M. Philippe Vigier - Les articles 35 et 1 A sont arrivés comme des cheveux sur la soupe. L'article 35 sur les compétences que vous aviez adopté n'avait pas un caractère normatif. Tout cela a suscité une certaine frustration car il s'agit bien d'un recul de la parité. Nous persistons à demander la parité, et le respect d'un accord politique.

La parité a donné lieu à de nombreux échanges. La proportionnelle favorise l'élection de femmes. L'article 36 C, qui traite des pénalités financières, est arrivé le vendredi soir à 20 h 30. Nous avons dit que cette manoeuvre ne fonctionnerait pas.

Conseiller régional depuis quinze ans, je suis très favorable au conseiller territorial. Il faut avoir trois couples, communes-agglomérations, départements-régions, État-Europe. On gaspille l'argent public quand on met six mois pour se mettre d'accord - voire quand les départements et la région ne se parlent pas, comme c'est le cas dans ma région - alors que les citoyens nous demandent d'agir, pour les transports, les universités, la recherche.

Les dispositions relatives aux métropoles ne sont pas bonnes. J'avais proposé un niveau de 600 000 habitants qui aurait dégagé six fortes métropoles. On a préféré ramener le seuil à 450 000 habitants pour que des communautés d'agglomération deviennent des communautés urbaines. On a fait un chèque pour Strasbourg de 7 millions dans l'enveloppe normée, un effet d'aubaine qui n'est pas neutre en ces temps de disette. On ne verra donc pas émerger de vraies métropoles et l'État ne leur a d'ailleurs pas transféré de responsabilités significatives. Nous avons la particularité d'avoir 36 000 communes.

Mme Michèle André, présidente. - Tout cela n'est pas très optimiste.

Mme Gisèle Printz - Cela nous éloigne de la parité...

Mme Michèle André, présidente. - Cela montre aussi que nous sommes dans une situation de grande inquiétude.

M. Philippe Vigier. - A une exception près, nous nous sommes abstenus sur le « Quatre dans un » comme l'on appelle désormais le texte. La parité régressera, même si, globalement, la représentation territoriale existera demain car là où nous avons trente conseillers généraux, nous aurons autant de conseillers territoriaux avec les mêmes critères pour toute la région.

Mme Michèle André, présidente. - Nous serons pléthore en Auvergne...

M. Philippe Vigier. - Rien n'est fini. Je rappelle que mes amendements avaient été adoptés à l'unanimité de la commission des finances et qu'il y aura une deuxième lecture au Sénat. Les regards sont maintenant tournés vers vous. Le Gouvernement avait pris des engagements. Un peu de proportionnelle sera peut-être introduite pour « favoriser » la parité. Dans ma commune, sur cinq adjoints, je n'ai qu'un homme et le conseil municipal compte plus de femmes que d'hommes.

Mme Michèle André, présidente. - Nous avons compris votre message qui est plein d'espoir, puisque vous comptez sur nous.

M. Philippe Vigier. - L'amendement sur la parité arrivant à 20 h 15 le vendredi soir, c'est étonnant pour un jeune parlementaire.

Mme Michèle André, présidente. - J'ai déjà vu ça ici. Quant à l'amendement, il sera sans effet : lorsque l'on est indifférent à une amende de 4 millions, comment ne serait-on pas indifférent à une de 20 000 euros ?

M. Philippe Vigier. - Notre budget au Nouveau Centre est de 2 millions d'euros.

Réforme des collectivités territoriales - Egal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs - Audition de Mme Laurence Cohen, membre de l'exécutif national du Parti communiste français, en charge de la commission Droits des Femmes-Féminisme, et de Mme Véronique Sandoval, membre du conseil national du Parti communiste français, et du bureau de la commission

La délégation procède à l'audition de Mme Laurence Cohen, membre de l'exécutif national du Parti communiste français, en charge de la commission Droits des Femmes-Féminisme, conseillère régionale d'Île-de-France , accompagnée de Mme Véronique Sandoval, membre du conseil national du Parti communiste français, et membre du bureau de la commission, sur les modes de scrutin retenus par le projet de loi n° 61 (2009-2010) relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale et du projet de loi organique n° 62 (2009-2010) relatif à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale tirant les conséquences en matière électorale des articles premier et 2 du projet de loi n° 60 (2009-2010) de réforme des collectivités territoriales, déposés sur le bureau du Sénat le 21 octobre 2009.

Mme Michèle André, présidente. - Notre délégation a souhaité auditionner les représentants des partis politiques représentés au Parlement sur la façon dont ceux-ci envisagent la mise en oeuvre du principe d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats politiques et ceux-ci ont tous répondu positivement.

Le mode de scrutin envisagé par le projet de loi n° 61 (2009-2010) relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale n'était pas satisfaisant au regard de l'objectif de parité. Celui que vient d'adopter l'Assemblée nationale par un amendement au projet de loi n° 60 de réforme des collectivités territoriales, qui revient vers le scrutin majoritaire à deux tours, est, du point de vue de la parité, sans doute moins satisfaisant encore.

Le parti communiste est l'un des plus favorables à la parité, et j'ai pu, en tant que vice-présidente du Sénat, apprécier la présence permanente et effective des femmes de votre parti dans notre assemblée. Selon vous, est-il possible d'améliorer le mode de scrutin ? Comment les partis politiques, que l'article 4 de la Constitution charge de mettre en oeuvre le principe d'égal accès vont-ils s'acquitter de cette responsabilité pour l'élection des conseillers territoriaux ?

Mme Laurence Cohen. - Étant responsable de la commission Droits des Femmes/Féminisme au parti communiste, j'ai déjà eu l'occasion d'être plusieurs fois auditionnée sur les questions relatives à la parité. Les lois sur la parité ont été obtenues de longue lutte, au-delà de tout clivage politique, mais ces avancées sont gravement remises en cause aujourd'hui.

Toutefois, avant d'aborder cette question, je voudrais réaffirmer que le parti communiste est totalement opposé à la réforme des collectivités territoriales dans son ensemble. Nous considérons qu'il s'agit d'un déni démocratique, une centralisation des pouvoirs pour empêcher, affaiblir toute résistance au plus près des gens : les communes, les départements. Cette réforme des collectivités territoriales portée par le gouvernement, soutenue par l'UMP, a pour conséquence la diminution de moitié des conseillers généraux et régionaux alors que l'opinion publique est en recherche de proximité avec ses élu(e)s et d'une impulsion plus conséquente de la vie démocratique dans notre pays.

Et il est prévu que cette réforme soit adoptée fin juin, n'est-ce pas?

Mme Michèle André, présidente. - Ce texte fera l'objet d'une deuxième lecture, qui aura lieu fin juin au Sénat, avant de repartir à l'Assemblée nationale, selon le jeu classique de la navette.

Mme Laurence Cohen. -Nous considérons que l'égalité d'accès des femmes et des hommes aux responsabilités électives est indispensable à la démocratie. Grâce à notre mobilisation, le gouvernement a légèrement reculé par rapport au projet de loi initial qui prévoyait un scrutin majoritaire à un tour, puisque désormais le mode de scrutin retenu est un scrutin uninominal à deux tours. Il n'en demeure pas moins que les femmes vont être les grandes perdantes car, on le sait, toutes les assemblées concernées par un scrutin uninominal présentent des résultats déplorables en matière de parité. Selon les projections publiées, il y aurait environ 19 % de femmes conseillères territoriales contre 48 % de conseillères régionales aujourd'hui.

Mme Michèle André, présidente. -Vos prévisions sont optimistes

Mme Laurence Cohen. -Elles sont peut être optimistes mais très loin de la parité. Or, le parti communiste considère que la parité est un droit. Mon expérience de conseillère régionale m'a permis de constater que le fait qu'il y ait aujourd'hui une vraie parité dans cette institution a changé le style et la nature des débats.

Si le projet aboutit, il exclut les femmes des responsabilités au niveau du département comme au niveau des régions  et remet en question la parité des exécutifs régionaux pourtant garantie par la loi de janvier 2007.

Ce serait un véritable recul, un coup terrible contre le pluralisme politique et une régression sans précédent de la parité entre les femmes et les hommes remettant en cause l'article 1 de la constitution française qui dispose que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ».

Cela va à l'encontre des principes de mon parti, qui a toujours été très soucieux de la parité. Ainsi, 44 % des conseillers municipaux communistes sont des femmes, 42 % au parti socialiste et 40 % à l'UMP ; les femmes représentent 13 % des maires communistes, 11 % des maires socialiste et 7 % des maires UMP. La démonstration est la même pour les conseillers généraux, le parti communiste arrive en tête même si le chiffre n'est que de 17 %. En région, le parti communiste a 3 femmes vice-présidentes en charge de l'égalité homme-femme. Je tiens, à cette occasion, à rendre hommage au travail de Gaëlle Abily en Bretagne.

Mme Michèle André, présidente. - J'ai pu la rencontrer l'année dernière lors d'un déplacement et j'ai pu effectivement constater l'efficacité de son action.

Mme Laurence Cohen. - Je souhaite que ce domaine de compétence soit étendu aux autres régions, comme c'est le cas en Bretagne, en Champagne-Ardenne et en Rhône-Alpes.

S'agissant du projet de loi, j'ai été scandalisée par les réponses apportées par le Gouvernement au problème de la parité : augmenter les sanctions financières alors que le dispositif s'est déjà révélé inefficace ; abaisser le seuil de la parité aux communes de moins de 3 500 habitants est dérisoire : la parité doit être une et indivisible.

Mme Michèle André, présidente. - La délégation vous rejoint sur ce point : nous voulons la parité pour les communes, les conseils généraux et les conseils régionaux.

Mme Laurence Cohen. - Je veux souligner, une nouvelle fois, la vacuité de suppléantes et suppléants aux cantonales, les tandems sont effectivement paritaires mais les femmes sont majoritairement suppléantes !

Dans mon parti nous sommes pour la proportionnelle. Nous pensons qu'elle seule peut permettre un vrai renouvellement en donnant toute leur place aux femmes et aux jeunes. Il faut réfléchir à des solutions qui concernent tous les scrutins uninominaux.

Nous pensons que le système des municipales (scrutin de liste à parité intégrale où les problèmes de gestion sont résolus par le bonus à la liste majoritaire) pourrait être étendu aux départements.

Nous proposons qu'un bilan des candidatures féminines soit fait et qu'en dessous d'un certain seuil - pour ma part je propose 50 % - les partis soient administrativement interdits de concourir à l'élection. Ce système est très contraignant et obligerait les partis à respecter la parité.

Pour conclure, je trouve qu'à quelques jours près, il s'agit d'un bien triste anniversaire pour la loi du 6 juin 2000.

Mme Véronique Sandoval. - Je souhaite préciser que la vie démocratique commence au niveau local. Par conséquent, moins il y aura de femmes élues localement, moins il y en aura au plan national.

Mme Michèle André, présidente. - Je suis d'accord avec vous.

Je retiens notamment de vos interventions un élément positif qui mériterait d'être développé : la mixité dans les assemblées permet de modifier les états d'esprits, de modifier la façon de pratiquer le pouvoir.

Aujourd'hui, compte tenu de notre calendrier bousculé, nous arrivons au terme de nos auditions sur ce sujet. Nous avions commencé par recueillir les avis de constitutionnalistes et j'en retire la conclusion que le Conseil constitutionnel ne considèrera pas nécessairement que le projet de loi est contraire à la Constitution.

Nous avons donc cherché le moyen de permettre la parité dans le cadre du mode de scrutin qui nous est proposé. Nous avons ainsi imaginé un canton plus vaste. Par exemple, si précédemment il était prévu un canton pour 15 000 habitants, le canton sera désormais prévu pour 30 000 habitants. Dans ce grand canton, tous les candidats devront se présenter en binôme, un homme et une femme, l'un et l'autre titulaires, avec chacun un remplaçant du sexe opposé. Cette proposition a l'avantage de s'imposer non seulement aux groupes politiques mais aussi aux candidats qui veulent se présenter seuls. Cette proposition sera soumise demain au vote des membres de la délégation.

Mme Laurence Cohen. - S'agissant de la solution retenue par l'Assemblée nationale d'alourdir les pénalités financières, outre qu'elle est inefficace, je considère qu'il est inconcevable de vouloir appliquer la loi avec vigueur « au tout venant » et, pour soi-même, décider que l'on peut la transgresser en payant. Nous trouvons notre proposition plus contraignante.

S'agissant de votre proposition, Madame la Présidente, je crains toutefois que les deux conseillers qui seront élus simultanément dans un canton n'aient pas le même poids politique et que l'homme soit considéré comme le « super-conseiller » ; mais au moins l'homme et la femme sont tous les deux élus.

Mme Michèle André, présidente. - L'idée que vous avez proposée est également intéressante toutefois, elle ne fonctionne que dans le cadre d'un scrutin de liste.

Mme Laurence Cohen. - Lors de vos auditions, avez-vous auditionné des associations ?

Mme Michèle André, présidente. - Oui, nous avons auditionné, dans le cadre d'une table ronde, les principales associations qui militent pour la parité (la Coordination française pour le Lobby européen des femmes - CLEF -, le Conseil national des femmes françaises - CNFF -, l'Association Elles Aussi, le Réseau Demain la Parité, et l'Union féminine civique et sociale - UFCS -).

Mme Laurence Cohen. - Certains des partis politiques se sont-ils montrés satisfaits du nouveau dispositif proposé ?

Mme Michèle André, présidente. - M. Xavier Bertrand ne s'est pas vraiment dit satisfait. Mais il nous a dit qu'il n'y avait rien d'autre à faire. Un certain nombre de femmes élues de la majorité semblent au demeurant être opposées à ce texte.

Mme Laurence Cohen. - Nous constatons au parti communiste que la parité est un levier pour obtenir l'égalité politique entre les femmes et les hommes mais qu'il y a un recul idéologique qui touche l'ensemble de la société. C'est face à ce constat que Brigitte Dionnet, qui n'a pas pu être parmi nous aujourd'hui, a été nommée il y a deux ans responsable de la parité.

Mme Michèle André, présidente. - Oui la parité n'est pas encore assez « imprégnée » dans notre société pour aller de soi.

Mme Véronique Sandoval. - Alors que tous les sondages montrent que la société est de plus en plus prête à accepter les femmes aux plus hautes responsabilités politiques, le Gouvernement propose un recul. Cela creuse encore plus le fossé qui existe entre la société et la classe politique.

Mercredi 10 juin 2010

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Organisation des travaux de la délégation - Nomination d'un rapporteur

Mme Michèle André, présidente. - Le premier point de notre ordre du jour comporte la désignation d'un rapporteur sur le projet de loi n° 2520 (AN) interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public, la proposition de loi n° 593 (2008-2009), présentée par M. Charles Revet et plusieurs de ses collègues, visant à permettre la reconnaissance et l'identification des personnes, et la proposition de loi n° 275 (2009-2010), présentée par M. Jean-Louis Masson, tendant à interdire le port de tenues dissimulant le visage de personnes se trouvant dans des lieux publics.

Au cours d'une précédente réunion, nous avions envisagé, dans le cadre d'une répartition équilibrée des rapports entre majorité et opposition, de désigner sur ce sujet un rapporteur de la majorité, et M. Alain Gournac s'était déclaré intéressé. Depuis lors, j'ai également reçu la candidature de Mme Christiane Hummel.

Mme Christiane Hummel. - Je la retire. Après tout, c'est très bien que ce soit un homme qui représente notre délégation sur ce sujet.

M. Alain Gournac est désigné rapporteur du projet de loi n° 2520 (AN) interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public, de la proposition de loi n° 593 (2008-2009), présentée par M. Charles Revet et plusieurs de ses collègues, visant à permettre la reconnaissance et l'identification des personnes, et de la proposition de loi n° 275 (2009-2010), présentée par M. Jean-Louis Masson, tendant à interdire le port de tenues dissimulant le visage de personnes se trouvant dans des lieux publics, dont la délégation a été saisie par la commission des lois.

Réforme des collectivités territoriales - Election des conseillers territoriaux - Examen du rapport d'information

La délégation procède ensuite à l'examen du rapport d'information de Mme Michèle André, présidente, rapporteure, sur les dispositions du projet de loi de réforme des collectivités territoriales n° 527 (2009-2010) relatives à l'élection des conseillers territoriaux, dont la délégation a été saisie par la commission des lois.

Mme Michèle André, présidente. - L'examen par le Parlement du projet de réforme territoriale, et du mode de scrutin qu'elle envisage pour l'élection des futurs conseillers territoriaux interviendra, à peu de choses près, dix ans après l'adoption de la loi du 6 janvier 2000 qui a institué, pour la première fois, des leviers juridiques et financiers pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.

La discussion de cette réforme revêtira donc une importance symbolique sur laquelle les associations de femmes que j'ai auditionnées la semaine dernière ont particulièrement insisté.

Or, les deux modes de scrutin que nous a successivement proposés le Gouvernement ne sont pas favorables à l'accès des femmes au mandat de conseiller territorial : le scrutin mixte initialement proposé ne devait donner, dans les meilleures hypothèses, que 17 % de femmes d'après les évaluations de l'Observatoire de la parité, et le scrutin majoritaire à deux tours, que l'on nous propose maintenant, devrait être encore plus négatif.

Un recul en ce domaine donnerait un signal extrêmement négatif quant à la volonté des pouvoirs publics de poursuivre un combat pour la parité qui a enregistré de belles avancées mais qui n'est pas achevé.

J'en dresse un bilan détaillé dans notre rapport, en voici les grandes lignes.

La loi du 6 juin 2000 a mis en place les deux principaux mécanismes sur lesquels repose aujourd'hui encore la promotion de la parité en politique.

D'une part, elle contraint les partis politiques à présenter un nombre égal d'hommes et de femmes lors des scrutins de liste (une loi de 2003 précisera que les listes doivent être composées alternativement d'un candidat de chaque sexe).

De l'autre, elle prévoit une retenue sur la dotation financière des partis qui ne désignent pas suffisamment de candidates aux élections législatives.

Ces dispositions législatives ont obtenu des résultats contrastés, en fonction des modes de scrutin.

Le scrutin de liste, assorti de contraintes strictes quant à la composition paritaire des listes de candidats, a permis à la parité de devenir une réalité effective dans les conseils régionaux, dans les conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants, et dans la représentation française au Parlement européen : 48 % de femmes dans ces trois cas. Grâce à la loi du 31 janvier 2007, on s'est également rapproché de la parité dans les exécutifs des régions.

En revanche, les résultats se sont avérés décevants dans les élections qui se déroulent suivant le scrutin uninominal à deux tours : les conseils généraux, avec 12,3 % des femmes, restent les assemblées les plus masculinisées du pays, et l'obligation de se présenter accompagné d'un suppléant (d'une suppléante dans la grande majorité des cas) n'a guère eu d'effet.

Quant à l'Assemblée nationale avec 18,5 % de députées elle démontre le caractère finalement peu efficace des pénalités financières imposées aux partis qui ne présentent pas suffisamment de candidates. Ces pénalités représentent aujourd'hui pour les partis politiques un manque à gagner de 5 millions d'euros, sur une aide publique globale de 80 millions d'euros. La loi du 31 janvier 2007 a prévu de les alourdir de moitié à compter du prochain renouvellement de l'Assemblée nationale. Mais une pénalité de 7,5 millions d'euros aurait-elle beaucoup plus d'effet ?

Faut-il aller plus loin ?

Le Premier ministre, qui s'exprimait à l'occasion des États généraux de la femme, s'est prononcé en faveur d'un renforcement très dur des pénalités financières pour les partis qui ne respectent pas la parité, allant jusqu'à prôner des « dispositifs financiers insupportables » pour les partis.

Mais les partis l'accepteront-ils?

Je constate que la proposition de loi de Bruno Le Roux qui proposait la suppression complète de l'aide publique aux partis ne respectant pas la parité a été rejetée à l'Assemblée nationale.

La proposition de loi de Mme Chantal Brunel, rapporteure de l'Observatoire de la parité, ouvre également une piste intéressante en proposant que l'aide publique aux partis soit modulée non seulement en fonction de la proportion des candidates, comme aujourd'hui, mais aussi en fonction de la proportion de femmes élues. Elle envisage aussi d'étendre à l'élection des conseillers territoriaux un dispositif qui ne concerne actuellement que les élections législatives.

Cette extension s'effectuant à budget constant, elle se fera par redistribution d'une partie de l'aide publique (20 millions sur un total de 80 millions) vers la création d'une nouvelle enveloppe assise sur les résultats des élections cantonales puis territoriales. Mais constituera-t-elle une incitation suffisante pour garantir un minimum de parité aux élections des conseillers territoriaux ?

J'en viens maintenant aux modes de scrutin successivement proposés par le Gouvernement pour l'élection des conseillers territoriaux.

Le projet de loi n° 61 relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, qui regroupait initialement le volet électoral de la réforme territoriale, comporte deux séries de dispositions :

- des dispositions relatives au mode de scrutin des conseillers territoriaux ;

- des dispositions relatives à l'élection des conseillers municipaux et à celle des conseillers communautaires.

Ces dernières permettront certaines avancées en matière de parité, grâce à l'abaissement du seuil de population à partir duquel les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste, et à l'élection directe par « fléchage » des délégués communautaires. Mais ces progrès à l'échelon municipal ne sauraient en aucun cas contrebalancer ou occulter la sévère régression que nous pouvons anticiper pour l'élection des conseillers territoriaux.

On peut regretter que le Gouvernement n'ait pas retenu les recommandations formulées par le comité Balladur en matière de mode de scrutin. Le comité avait d'abord examiné un système mixte, couplant scrutin uninominal dans les cantons ruraux et scrutin de liste proportionnel dans les zones urbaines. Mais il s'était finalement prononcé en faveur d'un scrutin de liste proportionnel, assorti d'un système à fléchage, à l'image du mode de scrutin municipal en vigueur à Paris, Lyon et Marseille. Ces deux hypothèses présentaient toutes deux l'avantage de favoriser la parité.

Tel n'était en revanche pas le cas du mode de scrutin mixte proposé par le Gouvernement dans le projet de loi n° 61, relatif à l'élection des conseillers territoriaux. Dans celui-ci, 80 % des sièges devaient être pourvus au scrutin uninominal majoritaire à un tour, les 20 % restants étant attribués, dans le cadre du département au scrutin de liste proportionnel.

Ce mode de scrutin a suscité bien des critiques et des interrogations liées au scrutin de liste à un tour et à un système complexe d'attribution des 20 % de sièges pourvus au scrutin de liste en fonction des suffrages exprimés au scrutin uninominal majoritaire.

Mais surtout, il était très défavorable à la parité puisque selon les projections de l'Observatoire de la parité, il aurait permis l'élection tout au plus de 17,3 % de femmes. Et encore s'agissait-il, pour reprendre les remarques de plusieurs d'entre vous, d'une hypothèse optimiste.

Les faiblesses de ce dispositif, nous avons été plusieurs à les pointer, tous bords politiques confondus, lors des réunions élargies de la commission des lois ainsi qu'en séance publique.

Notre délégation a recueilli les points de vue autorisés de sept grands constitutionnalistes pour déterminer dans quelle mesure un mode de scrutin défavorable à la parité pouvait se concilier avec l'objectif constitutionnel d'égal accès et examiner quels leviers juridiques permettraient d'y remédier.

De ces auditions quelques conclusions s'imposent.

Aucun des constitutionnalistes interrogés ne conteste la réalité de l'impact très négatif du mode de scrutin sur la parité. Ils apportent cependant des réponses réservées à la question de savoir dans quelle mesure celui-ci pourrait être considéré par le juge constitutionnel comme contraire à l'objectif constitutionnel de parité. Vous vous souvenez de ces réserves : l'indicatif « la loi favorise » n'a pas nécessairement valeur d'impératif en droit constitutionnel et le juge tient à préserver la faculté du législateur de fixer librement le mode de scrutin des assemblées.

Les constitutionnalistes insistent cependant sur l'importance de l'autre versant du principe constitutionnel : celui qui figure à l'article 4 de la Constitution et reconnait aux partis politiques une responsabilité dans sa mise en oeuvre. Il ne faut pas négliger cet aspect de la question et c'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que nous auditionnions les représentants des partis politiques.

Enfin, plusieurs constitutionnalistes se sont demandé si l'addition des faiblesses juridiques du dispositif, s'ajoutant à l'impact négatif sur la parité, ne risquait cependant pas de peser dans le sens d'une censure.

Les critiques politiques et les objections juridiques formulées à l'encontre du mode de scrutin mixte inscrit au projet de loi n° 61 ont incité le gouvernement à y renoncer et à lui substituer le scrutin majoritaire à deux tours à l'occasion de la discussion à l'Assemblée nationale d'un autre projet de loi, le projet de loi n° 60 relatif à la réforme territoriale.

Ce changement inopiné de support législatif et le choix de ce mode de scrutin me paraissent également préoccupants.

Le changement de support législatif : les dispositions relatives au mode de scrutin faisaient à l'origine, dans l'architecture de la réforme, l'objet d'un projet de loi distinct, le n° 61 dont la discussion devait débuter, comme pour les autres textes, devant le Sénat. Au cours de la discussion des textes précédents et notamment du projet de loi n° 60 de réforme des collectivités territoriales, le Gouvernement s'était opposé à tout amendement évoquant par anticipation le mode de scrutin. Il avait toutefois donné un avis favorable à un amendement du groupe centriste imposant au futur mode de scrutin le respect d'un certain nombre de principes et, en particulier, de la parité. Lors de la discussion du projet de loi n° 60 à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a proposé de substituer à ce rappel de principe inscrit à l'article 1A du texte, un dispositif précisant que les conseillers territoriaux seraient élus au scrutin majoritaire uninominal à deux tours.

Ce changement de support n'est respectueux ni du Sénat, ni de la procédure législative. Nous avions prévu d'examiner le mode de scrutin des conseillers territoriaux à l'occasion de la discussion en première lecture du projet de loi n° 61. Mais nous ne pourrons finalement nous prononcer sur le nouveau dispositif et lui apporter les correctifs nécessaires qu'à l'occasion de la navette qui nous renvoie en deuxième lecture le projet de loi n° 60 que le Sénat a déjà examiné, amendé et adopté. Cela nous contraint à travailler aujourd'hui dans des délais très serrés.

Le choix du mode de scrutin : le scrutin uninominal majoritaire à deux tours est usuel en droit électoral français mais son impact sur la parité sera plus négatif encore que celui du scrutin mixte précédent qui comportait un volet de 20 % de sièges à la proportionnelle. La transposition à l'élection des conseillers territoriaux du mode de scrutin actuellement utilisé pour l'élection des conseils généraux, qui sont connus pour être les assemblées les plus masculinisées de France, ne peut entraîner que des conséquences trop prévisibles. La proportion des femmes qui siégeront dans les futurs conseils régionaux risque d'être si faible qu'elle rendra en pratique inapplicables les dispositions de la loi du 31 janvier 2007 qui impose la parité dans les exécutifs régionaux.

La disposition adoptée par l'Assemblée nationale qui étend à l'élection des conseillers territoriaux les pénalités financières imposées aux partis qui ne respectent pas la parité ne me parait pas de nature à enrayer cette régression. Cette extension s'effectue à budget constant et l'enveloppe financière assise sur l'élection territoriale ne devrait représenter qu'une enveloppe de 13 millions d'euros sur une aide publique globale de 80 millions d'euros. En outre, seule la moitié de cette enveloppe sera modulée en fonction de la proportion des femmes parmi les candidats présentés par chaque parti.

Je crois donc que nous ne devons pas hésiter à explorer une autre voie pour concilier le scrutin majoritaire à deux tours choisi par le Gouvernement avec l'objectif constitutionnel de parité qu'il nous appartient de défendre, en notre qualité de délégation aux droits des femmes.

Nos collègues Muguette Dini et Jacqueline Panis nous ont mis sur la piste en nous suggérant l'idée d'un bulletin de vote paritaire sur lequel seraient présentés un homme et une femme, l'électeur choisissant lequel serait titulaire et lequel serait le suppléant en rayant le nom du second. Cette disposition n'assurerait pas nécessairement la parité mais elle permettrait sans doute d'apporter la démonstration que les électeurs sont moins misogynes que les partis politiques. Elle présente cependant l'inconvénient de placer les deux colistiers dans une situation où ils sont à la fois partenaires et rivaux. Dans le même ordre d'idées, nos collègues Charles Gautier et Philippe Adnot ont proposé d'élire simultanément un homme et une femme dans des cantons élargis qui regrouperaient, à peu de choses près, le territoire de deux cantons.

Dans le prolongement de ces diverses propositions, notre délégation pourrait en conséquence proposer - c'est le point 8 de nos recommandations -, que, tout en s'effectuant au scrutin majoritaire à deux tours dans le cadre du canton, l'élection porte non sur un candidat unique, doublé d'un suppléant, mais sur un « binôme paritaire » constitué de deux candidats de sexe différent dont les suppléants seront désignés suivant les modalités actuellement en vigueur. Si l'on veut maintenir inchangé l'effectif souhaité des conseillers territoriaux, cette mesure supposera de réduire de moitié le nombre des cantons par rapport au redécoupage en cours.

Cette mesure permettrait l'instauration d'une stricte parité. Elle constituerait un progrès par rapport au mode de scrutin actuel des conseillers généraux et permettrait même de combler le léger écart qui sépare encore les conseils régionaux de la parité véritable. La composition paritaire des futurs conseils généraux rendrait alors possible l'extension à leur commission permanente et à leur bureau des dispositions de la loi du 31 janvier 2007 qui a imposé l'obligation de parité à la composition des exécutifs régionaux. C'est le point 9 de nos recommandations.

Si ces recommandations vous conviennent, nous pourrions en proposer une traduction, sous forme d'amendements, que nous déposerions, avant lundi, devant la commission des lois.

Le premier de ces amendements porterait sur l'instauration du scrutin binominal paritaire. Le second étendrait l'obligation de parité aux exécutifs des départements : commission permanente et bureau.

Notre délégation ne peut présenter, en tant que telle, d'amendements. Je les déposerai donc sous la forme d'amendements personnels en invitant celles et ceux d'entre vous qui le souhaiteraient, à les cosigner ou à déposer des amendements identiques.

Le scrutin « binominal » que nous proposons a le mérite d'être simple et lisible pour l'électeur. J'ai fait établir par le secrétariat de la délégation un modèle de ce à quoi le bulletin de vote pour l'élection du conseiller territorial pourrait ressembler : vous y trouverez les noms des deux candidats titulaires et, en dessous, les noms des deux suppléants.

Mme Jacqueline Panis. - Il est vrai que ce dispositif paraît même plus simple que celui du « fléchage » des délégués communautaires.

Mme Michèle André, présidente. - Je crois que c'est la meilleure solution que nous puissions trouver et il faut en être reconnaissant à tous ceux qui nous ont conduits vers cette idée.

Mme Françoise Laborde. - Nos amendements auront d'autant plus de poids qu'ils auront bien été cosignés par l'ensemble des membres de la délégation.

Mme Michèle André, présidente. - Nous devons les déposer devant la commission des lois avant lundi 14 juin 2010 midi. Si celle-ci les accepte, elle les intégrera dans le texte qui viendra en discussion devant le Sénat. Sinon, nous les redéposerons en séance publique.

Notre cinquième recommandation approuve le principe de l'extension aux petites communes du scrutin de liste, actuellement appliqué aux communes de plus de 3 500 habitants, sans préciser le seuil à partir duquel celui-ci doit s'appliquer. Le projet de loi le fixe à 500 habitants, mais certains d'entre nous proposeront sans doute de le modifier, voire de le supprimer, comme le souhaite l'Association des maires ruraux de France que nous avons auditionnée. Mais je crois que c'est un point que nous pouvons laisser à l'initiative de chacun.

Notre sixième recommandation insiste sur la nécessité de neutraliser les effets négatifs pour la parité du scrutin majoritaire à deux tours. Mais il ne faudra pas se contenter d'un relèvement des sanctions financières apportées aux partis, même si c'est sans doute la seule réponse que le Gouvernement est prêt à nous faire.

Mme Christiane Hummel. - Dans le second alinéa de la huitième recommandation ne faudrait-il pas être plus précis et parler de l'effectif « prévu » des conseillers territoriaux ?

M. Yannick Bodin. - ... et un peu plus loin dans le même alinéa des redécoupages « envisagés ».

Mme Michèle André, présidente. - Je vous propose, si tout le monde en est d'accord, de retenir ces suggestions pertinentes.

Je mets aux voix la recommandation en y intégrant vos suggestions ainsi que l'ensemble du rapport. C'est un moment important pour nous...

La délégation adopte à l'unanimité le rapport d'information présenté par Mme Michèle André, présidente et rapporteure, ainsi que ses neuf recommandations.

Mme Michèle André, présidente. - Je suis fière de notre délégation et de cette décision unanime.

Les auditions des partis politiques que nous avons conduites hier encore ont révélé chez eux un certain désarroi : ils voient bien la faille dans le dispositif que l'on nous propose. Et je relève que tous se sont déclarés prêts à faire bouger les choses au sein de leur organisation pour faire avancer la parité.

Je vous rappelle que le projet de loi relatif à la réforme des collectivités territoriales est inscrit à l'ordre du jour des 28, 29 et 30 juin 2010. Sans doute débordera-t-il aussi sur la session extraordinaire début juillet. Il faut que nous soyons nombreux à participer à ce débat.

Mme Muguette Dini. - Il sera intéressant de voir l'accueil que la commission des Lois réservera à nos amendements.

Mme Michèle André, présidente. - Les membres de notre délégation qui appartiennent à la commission des Lois y seront, je l'espère, présents pour défendre nos positions.

Mme Muguette Dini. - Il faut aussi tenir compte de la résistance prévisible du Gouvernement.

Mme Michèle André, présidente. - Jacqueline Panis et moi-même pourrions aller trouver le secrétaire d'Etat à l'intérieur et aux collectivités territoriales, M. Alain Marleix, pour lui expliquer notre démarche.

Mme Muguette Dini. - Le ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, M. Michel Mercier, s'inquiétait de la résistance qu'il pensait bien trouver dans notre délégation.

Mme Michèle André, présidente. - Nous le tiendrons aussi au courant de nos propositions.

M. Yannick Bodin. - Ne va-t-on pas objecter à notre dispositif qu'il représentera une dépense supplémentaire ?

Mme Michèle André, présidente. - Au contraire, il devrait permettre de faire des économies puisqu'il débouchera sur une division par deux du nombre de cantons pour un même nombre d'élus. Muguette Dini et Charles Gautier m'ont, les premiers, parlé de ce dispositif, et ce n'est que progressivement que j'en ai mesuré tout l'intérêt. Il sera toujours possible d'équilibrer les profils géographiques et autres des deux candidats réunis dans un binôme.

Mme Muguette Dini. - Cela paraît tout à fait réalisable, si l'on en a la volonté politique.

M. Yannick Bodin. - Dans le II de notre premier amendement, l'expression « un binôme de deux membres » n'est-elle pas un pléonasme ?

Mme Michèle André, présidente. - Dans sa rédaction actuelle, l'article L.191 du code électoral dispose que « chaque canton du département élit un membre du conseil général ». Lui substituer la formule « chaque canton du département élit un binôme au conseil général » ne serait peut-être pas très clair. Il vaut mieux préciser un « binôme de deux membres » même si l'expression est, il est vrai, un peu redondante.

Mme Jacqueline Panis. - Concertons-nous aussi avec la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale.

Mme Michèle André, présidente. - Oui, nous jouons ici pour gagner la partie ! Autre sujet et je me tourne vers Muguette Dini : la commission que vous présidez va sans doute bientôt nous saisir de la réforme des retraites et de son impact sur les retraites des femmes...

Mme Muguette Dini. - Oui, dès que le texte nous aura été transmis.

Violences au sein des couples et protection des victimes - Examen du rapport d'information

La délégation procède enfin à l'examen du rapport d'information de Mme Françoise Laborde, rapporteure, sur les dispositions de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes (n° 340, 2009-2010) et la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (n° 118, 2009-2010), présentée par M. Roland Courteau et les membres du groupe socialiste, dont la délégation a été saisie par la commission des affaires sociales.

Mme Michèle André, présidente. - Je rappelle que j'ai beaucoup insisté auprès de M. le Président du Sénat pour l'inscription à l'ordre du jour de ces deux textes.

Mme Muguette Dini. - ... et à son tour, le président Gérard Larcher a également dû faire preuve de persévérance pour donner satisfaction à cette demande.

M. Yannick Bodin. - Le Sénat s'y était engagé en décidant, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi n° 118 (2009-2010) relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants de M. Roland Courteau, d'attendre l'adoption du texte examiné par l'Assemblée nationale sur le même sujet pour en débattre conjointement.

Mme Françoise Laborde. - En préambule, je rappellerai que les violences au sein du couple ont été une réalité longtemps occultée et qu'il est essentiel que le domicile conjugal - au sens large, ce qui inclut les formes de cohabitation hors mariage - ne soit plus un lieu de non-droit, en particulier pour les femmes. J'ajouterai qu'il est de notre devoir de soutenir les associations d'aide aux victimes et de rendre hommage à leur dévouement. Mais notre mission, plus que jamais, est aussi de veiller au réalisme et à la simplicité des normes que nous adoptons.

La première partie du rapport que je vous soumets est à la fois historique et très actuelle. J'y rappelle comment notre délégation a pu, depuis sa création, contribuer à l'émergence d'un droit nouveau, en France, qui a eu un effet « déclencheur » de révélation des violences conjugales. J'ajoute qu'à l'occasion de la réforme du divorce, nous avions, en 2001 et en 2003, souligné la nécessité de renforcer les pouvoirs du juge civil, notamment pour évincer le conjoint violent du domicile, et de préserver dans le code civil la notion essentielle de répétition des violences verbales, tout en insistant sur l'accroissement du nombre de couples non mariés. L'ordonnance de protection des victimes et la pénalisation du harcèlement au sein des couples se situent dans la lignée de ces recommandations.

Le rapport détaille ensuite les dispositions de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs et qui est issue de l'initiative sénatoriale. Cette loi a provoqué un « déclic » à la fois social, judiciaire, et législatif. A l'Assemblée nationale, la mission d'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a formulé en juillet 2009 soixante cinq propositions de nature législative, dont l'essentiel a été repris dans une proposition de loi, cosignée par Mme Danielle Bousquet, M. Guy Geoffroy et soutenue par l'ensemble des membres de la mission. A travers l'extrême diversité des données recueillies à l'occasion de ces travaux, je me contenterai ici d'en citer une seule: le faible taux de révélation des violences conjugales qui est estimé à 10 % par l'Observatoire national de la délinquance (OND). Il ne faut donc pas s'alarmer outre mesure de la hausse statistique de 30 % depuis 2004 des violences conjugales puisqu'elle résulte de celle du taux de plainte.

La seconde partie du rapport analyse le contenu et les répercussions envisageables de la nouvelle étape que le Parlement s'apprête à franchir dans le perfectionnement du droit des violences conjugales.

Le Sénat devra se prononcer sur la base de deux propositions de loi.

La première, présentée par M. Roland Courteau, reprend certaines de ses suggestions qui n'avaient pas été retenues par les lois du 4 avril 2006 ou du 5 mars 2007 et comporte un volet relatif aux enfants. Plus concise que le texte adopté par l'Assemblée nationale cette proposition se compose de cinq articles auxquels s'ajoute un gage financier.

Pour l'essentiel, ses préoccupations sont susceptibles d'être satisfaites par les trente cinq articles du texte adopté par L'Assemblée nationale. Je relève toutefois qu'un certain nombre d'hommes sont également victimes de violences et qu'à cet égard, l'intitulé de la proposition sénatoriale est plus neutre que celui qui a été retenu par l'Assemblée nationale.

Le dispositif adopté par nos collègues députés modifie neuf codes en vigueur. Il manifeste ainsi la volonté très positive de traiter les violences conjugales selon une approche générale. Par souci de réalisme, je vous proposerai cependant de relever les risques et les effets pervers qu'induit nécessairement une telle complexité.

J'insisterai ici sur cinq aspects ponctuels du texte adopté par l'Assemblée nationale.

L'article premier prévoit la création d'une ordonnance de protection des victimes : c'est la mesure la plus innovante. Elle s'inspire de l'outil phare de la politique espagnole et je note que, dans ce pays, l'ordonnance est délivrée par le magistrat de permanence après que la victime a rempli un simple imprimé. La transposition pure et simple d'un tel dispositif paraissait cependant mal adaptée au droit français et au principe du contradictoire qui en demeure un de ses piliers fondamentaux. Si 90 % des victimes n'osent pas porter plainte, c'est, en grande partie, parce qu'elles craignent les conséquences possibles de cette démarche en matière de logement, de garde des enfants ou de régularité du séjour pour les femmes étrangères. Pour répondre à ces difficultés, l'article premier prévoit d'accorder à la victime le temps nécessaire pour décider de la suite à donner à cette première étape sur le plan civil ou pénal : le juge peut prendre trois séries de mesures tendant à assurer la sécurité de la victime, faciliter son logement ou son relogement et se prononcer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale ainsi que sur la contribution aux charges du ménage.

L'article 2 bis (nouveau), qui résulte de l'adoption par l'Assemblée nationale d'un amendement présenté par le Gouvernement, prévoit un dispositif de surveillance électronique mobile applicable à titre expérimental, pendant une durée de trois ans. Au cours des auditions, il est apparu que le bilan pratique que peuvent tirer les magistrats de la surveillance électronique est, pour le moins, nuancé : le déclenchement intempestif des alarmes provoque d'abord un « stress » important et mobilise des moyens dont le coût peut être supérieur à une journée de détention. Ensuite, pour un meurtrier déterminé à passer à l'acte, le bracelet n'est pas un obstacle majeur puisqu'il peut être arraché. De plus, ces contraintes obligent le condamné à avoir un domicile stable, ce qui soulèverait des difficultés pour les auteurs de violences conjugales faisant l'objet d'une mesure d'éloignement et qui se trouvent sans domicile fixe pour une période indéterminée.

Sur ce point, je propose à la délégation de constater que les magistrats en charge de l'application des peines partagent pleinement l'objectif qui consiste à mieux protéger les victimes potentielles. Cependant leurs observations de bon sens méritent d'être prises en compte, ne serait-ce que pour progresser de façon crédible dans la voie des alternatives à l'incarcération : il conviendrait donc de remédier, d'urgence, aux imperfections techniques de la surveillance électronique qui la rendent difficilement opérationnelle à l'heure actuelle.

Un mot sur l'article 8 qui modifie la définition du délit de dénonciation calomnieuse. Notre délégation a été alertée à de nombreuses reprises sur les difficultés que rencontrent des femmes victimes de violences menacées par cette « infraction boomerang ». La nouvelle rédaction prévoit de ne plus considérer qu'il y a calomnie lorsque le juge prononce la relaxe de l'agresseur supposé au bénéfice du doute. Il s'agit donc d'éviter les plaintes systématiques pour dénonciation calomnieuse et de libérer la parole des victimes.

L'article 17 crée un délit de violences psychologiques : pour l'essentiel, sa rédaction s'inspire de l'article 222-33-1 du code pénal qui définit le harcèlement moral au travail et l'adapte aux relations de personnes ayant eu une relation de couple.

Ce n'est pas une révolution juridique puisque, depuis 1892, la jurisprudence admet que les violences peuvent ne pas se limiter à des atteintes physiques et prend en compte celles qui sont « de nature à provoquer une sérieuse émotion ». De façon plus spécifique, le fait de harceler autrui au téléphone constitue d'ores et déjà le délit d'appels téléphoniques malveillants réitérés à l'article 222-16 du code pénal.

Il s'agit cependant d'une innovation majeure qui soulève deux principales inquiétudes sur son applicabilité. En premier lieu, le représentant de l'Association nationale des juges d'application des peines (ANJAP) a fait observer que le harcèlement moral était d'ores et déjà difficile à prouver dans le cadre professionnel : il risque de le devenir encore bien plus dans les relations de couple qui se développent le plus souvent à l'abri des regards extérieurs et en l'absence de témoins objectifs. Les classements sans suite des plaintes risquent de se multiplier, faute de caractérisation suffisante, et, devant les tribunaux, le doute profitera à la personne poursuivie.

Une seconde objection formulée par certaines associations de femmes concerne les risques d'utilisation abusive de ce dispositif par des conjoints violents qui tenteraient de se présenter eux-mêmes comme victimes de harcèlement conjugal. En même temps, elles ont rappelé l'utilisation fréquente du mutisme comme instrument de violence psychologique et on peut effectivement s'interroger sur la difficulté de prendre en compte le silence d'un conjoint au niveau juridique.

Le maintien de cette nouvelle incrimination se justifie néanmoins, à mon sens, sur la base de trois arguments. Il s'agit tout d'abord d'adresser un message particulièrement clair à la fois aux auteurs et aux victimes de harcèlement sur l'anormalité des comportements qu'ils infligent ou qu'elles subissent. En second lieu, il a été observé, notamment au Canada, que l'aggravation de la sanction des violences physiques se traduisait par une augmentation de la pression psychologique au sein des couples : le législateur doit donc fixer un nouveau palier de protection adapté à l'évolution des comportements. Enfin, la mise en oeuvre de tous les moyens permettant de pacifier les relations de couples se justifie, en fin de compte, par le devoir de protection des enfants témoins, dont le sort est trop souvent passé sous silence.

Nous pourrions donc recommander au Sénat de parier que cette mesure pénale aura plus d'effets bénéfiques que d'inconvénients.

Symétriquement, il m'a semblé logique, à partir du moment où nous transposons la notion de harcèlement moral du monde de l'entreprise aux relations de couple, de rappeler que, du coté de la prévention, un certain nombre de stages de « gestion des conflits » ont fait la preuve de leur efficacité dans les relations de travail. Je propose de s'en inspirer afin de créer ou de perfectionner les outils permettant à chacun de maitriser ses émotions et de réguler les comportements de couple. Nous amènerions ainsi un éclairage utile et concret à l'article 11 A (nouveau) qui précise que l'enseignement de l'éducation civique ainsi que la formation initiale et continue délivrée aux enseignants, doivent intégrer des éléments portant sur l'égalité entre les femmes et les hommes et des actions de sensibilisation aux violences faites aux femmes.

Plus globalement, la loi n'est jamais autant dans son rôle que lorsqu'elle protège le faible contre le fort. Tel est bien l'objet des deux propositions de loi soumises à l'examen du Sénat, puisque, présentées en parallèle, et en « rafale », elles prévoient en faveur des victimes de violences au sein des couples : une nouvelle procédure accélérée, l'aide juridictionnelle, des soins médico-psychologiques à l'agresseur ou son placement sous surveillance électronique, des espaces de rencontres sécurisés, un titre de séjour permettant de travailler, un accès prioritaire au logement social ou universitaire, la formation de tous les personnels susceptibles de leur venir en aide, un contrôle renforcé du contenu des medias, une nouvelle définition du harcèlement de couple, une mobilisation des moyens publics contre les mariages forcés et la confection de plusieurs rapports de contrôle.

Cette énumération suffit à elle seule à justifier la conformité de ces textes au principe de rééquilibrage de l'égalité des chances entre hommes et femmes. Résultant de l'initiative parlementaire - avec pour l'un d'entre eux, un vote unanime à l'Assemblée nationale - ces textes ne sauraient être, du point de vue politique, affaiblis dans leur portée. Du point de vue technique, leurs dispositions n'ont cependant pas toutes été soumises aux « filtres » juridiques qui entourent la confection des projets de loi : leur insertion harmonieuse dans l'ordre juridique français mérite d'être affinée par la commission des Lois.

Les conditions d'application concrètes de l'ensemble de ces dispositifs de secours, qui relèvent principalement de la solidarité nationale seront à court terme déterminantes. A moyen terme, la mobilisation de leur volet répressif ou curatif doit et peut être réduit par un effort de prévention et d'éducation énergique, global et efficace.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Mme Michèle André, présidente. - je félicite la rapporteure qui nous a permis de replacer ces deux textes dans une vision d'ensemble du droit des violences familiales.

M. Roland Courteau. - Il n'est en effet pas facile de résumer les nombreux travaux qui ont été effectués sur ce sujet. J'ajoute que l'hommage appuyé que vous rendez aux associations est parfaitement justifié.

Je me félicite de l'inscription de ces deux textes à l'ordre du jour tout en rappelant que la loi du 4 avril 2006 a été, en France, la première consacrée à un domaine dont on a longtemps considéré qu'il relevait de la seule sphère privée. Contrairement à certaines affirmations qu'on entendait à cette époque, il y a une différence de nature entre les scènes de ménage, c'est-à-dire une dispute équilibrée, et les situations de violences où règne la domination de l'un sur l'autre.

Comme l'a souligné la rapporteure, depuis l'adoption de ce texte, la parole s'est libérée : dans le département de l'Aude, le nombre des plaintes a par exemple augmenté de 58 %.

Ma conviction profonde est que pour éradiquer les violences conjugales, il faut commencer par les bancs de l'école. J'ajoute également que le sujet est si complexe qu'il faut former les policiers, les magistrats et aussi les médecins pour améliorer leur capacité de détection. Je signale au passage que pour des blessures similaires, le nombre de jours d'interruption de travail est extrêmement variable d'un médecin à l'autre et d'un département à l'autre, ce qui témoigne du chemin à parcourir.

Je termine en reconnaissant volontiers qu'il n'est pas facile de faire la preuve des violences psychologiques : toutefois, selon les psychiatres, on peut en mesurer avec précision les conséquences et elles sont encore bien plus destructrices que celles qui sont provoquées par les violences physiques. La plupart du temps, le harcèlement conjugal précède les atteintes physiques et, on peut parvenir à déterminer un faisceau de preuves pour établir l'existence de violences psychologiques. C'est pourquoi le dispositif de prévention que contient mon initiative mérite d'être intégré dans la réforme.

Mme Michèle André, présidente. Je note que le texte qui a été transmis au Sénat a fait l'objet d'un vote unanime par nos collègues députés. J'estime cependant souhaitable d'en modifier l'intitulé non seulement pour ne pas stigmatiser la majorité des hommes, qui ne sont pas des conjoints violents, mais aussi pour lever la « chape de plomb » qui pèse sur toutes les victimes : n'oublions pas, parmi ces dernières, certains hommes qui éprouvent une difficulté insurmontable à avouer la domination de leur conjointe.

J'insiste également sur l'importance de la thérapie pour les conjoints violents : c'est la solution la plus efficace pour protéger leurs victimes avérées et potentielles.

M. Roland Courteau. - J'ai pu auditionner un ancien procureur de la République qui proposait aux prévenus le choix entre se faire soigner, en participant notamment à des groupes de parole, et la comparution immédiate : le recours presque systématique aux soins a permis d'abaisser à 5% le taux de récidive des auteurs de violences.

Mme Claudine Lepage. - Les hommes victimes de violences ont non seulement plus de difficulté à parler mais aussi à se faire entendre.

M. Yannick Bodin. - Nul ne contestera que les femmes sont les principales victimes de violences conjugales. Toutefois, s'il est difficile, pour une femme, de révéler le sort que lui fait subir son conjoint, son partenaire ou son concubin, la tâche est presque insurmontable pour un homme.

S'agissant de la prévention,  c'est, bien entendu, dès le plus jeune âge qu'il faut intervenir. J'insiste cependant sur l'importance primordiale de la formation initiale et continue des enseignants sur ce thème.

Mme Françoise Laborde. - Les pays scandinaves et, en particulier, la Suède ont une avance assez considérable dans le domaine de l'éducation des enfants et des élèves au respect des autres. Pour marquer notre volonté de ne pas oublier les victimes masculines de violences, nous pourrions recommander de retenir l'intitulé de la proposition de notre collègue Roland Courteau, sans pour autant risquer de décevoir les associations qui se consacrent, en pratique, essentiellement aux femmes, mais aussi, et elles l'ont souligné au cours des auditions, à certains hommes.

Mme Michèle André, présidente - Je pense que les associations de femmes ont évolué sur la question des violences intrafamiliales : elles prennent aujourd'hui pleinement en compte la nécessité de traiter les conjoints violents et de prendre en considération le sort des enfants.

Puis la délégation adopte à l'unanimité le rapport d'information présenté par Mme Françoise Laborde, rapporteure, ainsi que ses dix recommandations.