Mardi 15 juin 2010

- Présidence de M. Alain Lambert, président -

Ingénierie publique - Examen du rapport d'information

La délégation a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Yves Daudigny, rapporteur, sur l'ingénierie publique.

M. Alain Lambert, président. - Avec le rapport de notre collègue Yves Daudigny sur l'ingénierie publique, nous nous lançons dans une nouvelle série de rapports thématiques, que nous avons inaugurés avec la mutualisation et que nous poursuivrons avec le statut de l'élu. C'est d'ailleurs un « passage en douceur » que nous effectuons, car il me semble que la question de l'ingénierie publique n'est pas dépourvue de liens avec celle de la mutualisation.

La nouvelle thématique que nous abordons aujourd'hui porte sur les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales : outre le rapport dont nous allons prendre connaissance aujourd'hui, il comportera :

- celui sur les compensations financières consécutives à des transferts de charge, que nous présenteront dès la semaine prochaine nos collègues Roland du Luart et Yves Krattinger ;

- et celui sur les transferts des effectifs de l'Etat vers les collectivités territoriales, que nous examinerons en octobre.

M. Yves Daudigny, rapporteur. - Ce rapport s'adresse aux 30 000 communes ou groupements de communes de France qui n'ont pas la capacité d'organiser leurs propres services d'ingénierie. Il aurait pu s'intituler « chronique d'une mort annoncée de l'ingénierie publique d'Etat »...

C'était le vieux monde. Les plus anciens des élus en sont, à tort ou à raison, nostalgiques. Dans ce temps les services publics irriguaient les campagnes. Le maire bénéficiait du premier conseil et de l'expertise de l'ingénieur de subdivision de la devenue mythique direction départementale de l'équipement (DDE). Les discussions techniques se déroulaient souvent dans un climat cordial. Les dossiers étaient préparés et les chantiers étaient suivis à des coûts adaptés aux moyens des petites communes. La direction départementale de l'agriculture, pour sa part, accompagnait les programmes d'amélioration des réseaux de distribution d'eau potable, de la conception des travaux aux contrôles des factures ; elle garantissait le sérieux des projets dans le respect des normes du moment. Ce monde semblait immuable. Qui aurait pu imaginer un seul instant qu'il n'existerait plus, un jour, en France, de ministère de l'équipement, ni même simplement de direction des routes ? Mais des forces se sont mises en mouvement.

La définition première de l'ingénierie recouvre concrètement le champ de la maîtrise d'ouvrage : assistance à maîtrise d'ouvrage, conseil en amont, conduite d'opérations, le champ des études générales, c'est-à-dire le diagnostic, l'analyse, et les dessins, pour aller jusqu'à la maîtrise d'oeuvre, qui comprend la direction de la maîtrise d'oeuvre, la conduite des chantiers, la réalisation des travaux, ou encore le contrôle de l'exécution des travaux. L'ingénierie, phase essentielle de l'acte de construire, est dite publique lorsqu'elle est réalisée par une collectivité publique. Cette définition est déjà le signe d'une profonde évolution. L'ingénierie publique était, jusqu'à une date relativement récente, réalisée de façon quasi exclusive par l'Etat. C'était une mission de service public exercée sous forme de convention sur la base de la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat et de la loi du 6 février 1992 d'orientation relative à l'administration territoriale de la République.

L'évolution s'est inscrite dans le moyen terme et les forces agissantes ont été multiples : l'Europe et ses directives, dont le rôle fut peut-être moins exclusif que je ne l'imaginais au début de ce travail ; la remise en cause des conditions de l'ingénierie publique par la Cour des comptes, posant de fait la question de la légitimité même de celle-ci ; les affirmations par l'ingénierie privée d'une concurrence déloyale ; l'évolution de la jurisprudence du Conseil d'Etat, notamment l'arrêt du 20 mai 1998 (« Communauté de communes du Piémont de Barr »), qui qualifiait de marché public un contrat d'ouvrage entre deux établissements publics de coopération intercommunale, bien qu'il ne soit pas régi par le code des marchés publics, et l'avis du 8 novembre 2000 (« Société Jean-Louis Bernard Consultant »), qui fixait les conditions que doit satisfaire un établissement public administratif pour pouvoir être mis en concurrence, dans des conditions loyales, avec des opérateurs privés.

C'est dans ce contexte qu'est intervenue la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, dite loi MURCEF, qui a précisé que les prestations d'ingénierie publique étaient désormais réalisées « dans les conditions prévues par le code des marchés publics ». L'ingénierie publique était ainsi redéfinie. Elle s'inscrivait alors dans le cadre des marchés publics, mais elle était toujours présente.

De nouvelles décisions d'Etat, fondées, elles, essentiellement sur des considérations financières, à travers la première étape d'une révision générale des politiques publiques (RGPP), allaient apporter le coup de grâce : au 1er janvier 2012, les services de l'Etat n'exerceront plus aucune mission de type assistance à maîtrise d'ouvrage ou maîtrise d'oeuvre en dehors de l'assistance technique de l'Etat pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT). L'économie budgétaire liée à la suppression de l'ingénierie concurrentielle est minime : elle est estimée à 48 millions d'euros en 2010, soit la masse salariale correspondant à 903 équivalents temps plein (ETP).

Il s'agit là d'une cassure brutale vers un monde nouveau. La notion de concurrence devient la référence absolue. Le vide soudain se fait autour de beaucoup d'élus. « Je me suis senti abandonné. Vouloir rompre le contrat signé en 2006 et m'avertir soudainement, alors que nous sommes à la phase d'élaboration du dossier nécessaire à la mise en concurrence me désempare » m'a écrit le maire d'une commune de l'Aisne.

Pourtant la multiplication des lois et normes, la complexification technique et juridique des dossiers, la prise en compte des orientations de développement durable, la nécessité de projets qui abordent les aspects de gestion et de maintenance exigent une ingénierie de plus en plus en plus performante, seule garante d'une bonne élaboration de dossiers et d'une exécution de travaux de qualité. Sont perceptibles les dangers de prestations intellectuelles qui ne seraient soumises qu'à la seule loi de la concurrence sans aucune référence à des missions de service public, les dangers de la perte de connaissance du terrain local. Apparaît vite la difficulté de trouver un modèle économique viable pour des prestations en direction de petites communes dans des territoires peu denses. Apparaît, à un autre niveau, le danger de perte de compétences de l'Etat dans notre pays d'ingénierie publique, où ont émergé de grands groupes mondiaux privés de travaux publics.

Plusieurs recommandations sont formulées. Deux d'entre elles reposent sur l'appréciation du département comme niveau souvent le plus pertinent pour l'organisation d'une nouvelle ingénierie publique, à coté de celle déjà existante dans les villes ou agglomérations. Ce constat n'est pas sans intérêt au moment d'une nouvelle définition du rôle des collectivités territoriales.

Cependant, si l'ingénierie publique de demain appartiendra aux collectivités territoriales ou disparaîtra totalement, le rôle de l'Etat, à travers son réseau scientifique et technique, demeurera indispensable et déterminant. L'Etat prestataire s'éteint progressivement quand s'affirment ses missions d'impulsion, d'animation, de contrôle. La mission d'Etat expert, dans un contexte d'ouverture aux collectivités, est un fondement indispensable pour cette nouvelle ingénierie publique que les élus espèrent et attendent à côté de l'ingénierie privée.

Après ce constat, j'en viens à mes recommandations. Je voudrais présenter une première recommandation relative aux services extérieurs de l'Etat. Leur adaptation aux mutations de l'ingénierie publique s'est inscrite dans le cadre du regroupement, dans un même ministère, des secteurs de l'environnement, de l'énergie, des transports et de l'aménagement, auxquels est encore venu s'ajouter celui de la mer. Cette fusion s'est traduite par la restructuration des directions d'administration centrale, ainsi que par la restructuration des services territoriaux avec la création, au niveau régional, des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), regroupement de la direction régionale de l'équipement (DRE), de la direction régionale de l'environnement (DIREN) et de la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), et, au niveau départemental, de directions départementales interministérielles (DDI), et en particulier de directions départementales des territoires (DDT).

La mise en oeuvre de la RGPP, qui dicte le retrait de l'ingénierie concurrentielle, pour les services du ministère de l'équipement ou de l'agriculture qui exerçaient antérieurement les missions dans ces champs, se traduit également par la réorientation des personnels vers de nouvelles missions, liées à la mise en oeuvre des mesures décidées dans le cadre du processus du Grenelle de l'environnement.

Les personnels de l'Etat doivent faire face à un certain manque de visibilité sur l'évolution de leur mission, d'une part, et sur le format dans lequel elle sera exercée dans les prochaines années, d'autre part. De plus, les personnels d'encadrement pourraient manquer à moyen terme, à tel point que la poursuite de l'exercice des missions de service public pourrait être mise en cause. Enfin, le non-remplacement quasi systématique des personnels réorientant leur carrière se traduit pour les collectivités territoriales par l'arrêt des chantiers en cours dans de nombreux départements, et par la méconnaissance des missions encore exercées par les DDT.

Le défaut de communication est caractérisé. L'Etat, qui a pourtant préparé cette mutation de longue date, n'est visiblement pas parvenu à associer pleinement ses partenaires premiers : ses personnels et les collectivités territoriales. Des actions d'information de ces deux publics doivent être mises en oeuvre dans les meilleurs délais, et sont indispensables. D'autant que, lors d'un déplacement à la direction départementale des territoires du Loiret, à Orléans, le 26 mai dernier, j'ai pu constater que la réforme des services de l'Etat pouvait être menée de façon intelligente, en préservant une réelle ingénierie publique étatique au service des territoires.

Je souhaite que la délégation recommande donc que toutes les DDT puissent présenter leur plan de redéploiement des capacités d'ingénierie publique de façon systématique à leurs personnels et aux collectivités territoriales concernées. Il serait également utile que ces plans soient harmonisés, en tenant compte de la spécificité des territoires, afin que l'unité de l'ingénierie publique qui a fait sa force soit préservée.

Ma deuxième recommandation concerne l'ATESAT qui est un appui technique, sous la forme d'assistance à maîtrise d'ouvrage, dans les domaines de la voirie, de l'aménagement et de l'habitat, dédié aux communes ou groupements de communes qui sont déclarés éligibles.

Cette mission, qui s'exerce hors du champ concurrentiel, ne devait pas être remise en cause par la RGPP. Mais, dans certains départements, l'ATESAT n'est plus exercée, faute de personnel ou suite au départ des personnels compétents dans ces domaines, ou encore en raison d'une réorientation des politiques étatiques vers l'incitation à la mise en oeuvre des dispositions du Grenelle. Les communes ont des projets immédiats dans les domaines de la voirie, l'accessibilité, ou encore l'aménagement urbain. La réorientation des DDT, et des personnels chargés de la mission de solidarité en leur sein, vers les missions d'économie d'énergie, de ville durable, et autres et éco-quartier, ne devrait pas se faire au détriment des secteurs traditionnels dans lesquels la demande des collectivités territoriales est forte.

Peuvent-elles trouver appui auprès des intercommunalités ? Selon les témoignages recueillis, ces dernières se heurtent à de réelles difficultés pour recruter des experts et n'ont pas reçu compétence dans tous les champs de l'ingénierie publique. Les intercommunalités ne peuvent donc pas constituer une réponse automatique et généralisée.

Depuis 2004, les conseils généraux sont compétents dans le domaine de la voirie et en particulier celui des anciennes routes nationales. Ils disposent de services techniques, renforcés par le transfert récent des parcs de l'équipement, à même d'exercer une mission d'ingénierie publique. De plus, ils sont dotés d'ingénieurs territoriaux dont les compétences pourraient être utilisées, avec profit, dans une telle perspective. En 2006, les conseils généraux se sont vu confier, par la loi sur l'eau et les milieux aquatiques, une mission de solidarité pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire, en faveur des communes ou EPCI qui n'ont pas les moyens d'exercer leurs compétences d'assainissement

Il me semble donc que les conseils généraux qui le souhaitent devraient être autorisés à expérimenter la prise en charge, dans le domaine de l'ingénierie publique, de la mission de solidarité et d'aménagement du territoire au profit des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale qui en feraient la demande. Sans transfert de personnels, par simple extension législative de la compétence des départements. Les conditions d'exercice de cette mission de solidarité seraient déterminées par une convention signée entre le conseil général et les communes ou groupements concernés. Cette convention préciserait les modalités de rémunération de cette « ATESAT décentralisée ». Les critères d'éligibilité devraient être revus afin que, lorsqu'une solution intercommunale doit être recherchée, les seuils d'éligibilité des groupements de communes n'empêchent pas la réalisation du projet.

Ma troisième recommandation se rapporte aux moyens que les collectivités territoriales peuvent mettre en oeuvre pour pallier le désengagement de l'Etat. On l'a vu, les moyens financiers des intercommunalités sont limités, leur attractivité et leur petite taille ne permettent pas toujours le recrutement de personnel qualifié de haut niveau, et enfin elles n'ont pas forcément reçu compétence dans tous les domaines concernés par l'ingénierie publique. Une autre piste doit alors être explorée : celle de l'organisation d'une expertise mutualisée au niveau du département. Cette solution ressortait déjà de l'enquête réalisée par l'Association des maires de France (AMF) à l'occasion du 92e congrès des maires. Notre collègue Jacques Blanc avait présenté l'exemple de son département qui entendait s'appuyer sur une société d'économie mixte existante, dédiée au développement touristique, pour fournir aux communes une aide de premier niveau en matière d'ingénierie publique.

De nombreuses initiatives se multiplient, à l'échelon départemental. Les formes juridiques et les périmètres divergent. L'imposition d'un format unique n'est pas une bonne solution, il est au contraire essentiel que chaque territoire puisse mettre en oeuvre une solution adaptée à ses spécificités. Comme l'avait suggéré notre délégation, je suis allé en régions à la recherche de bonnes pratiques, et je présente, dans le rapport qui vous est soumis, la solution des agences techniques départementales et celle d'une association de mutualisation de la gestion de l'eau. Enfin, je n'exclus pas la question de la nouvelle forme juridique que constituent les sociétés publiques locales.

Je vous propose que les expérimentations en cours, visant à permettre l'exercice par les collectivités territoriales, dans le cadre départemental notamment, d'une nouvelle forme d'ingénierie publique territoriale soient soutenues. Il s'agit de permettre l'exercice d'une mission de service public, par des collectivités territoriales et pour elles seules, sans mise en concurrence mais dans le strict respect des règles communautaires.

J'aimerais également suggérer la mise en place d'un réseau de ces agences techniques départementales et autres formes d'ingénierie publique territoriale afin que les bonnes pratiques puissent être recensées. Mes déplacements m'ont convaincu que dans chaque département des idées émergeaient et pourraient permettre de répondre aux questions soulevées dans d'autres territoires

Ma quatrième recommandation porte sur le réseau scientifique et technique et ses relations avec les collectivités territoriales. Le ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer (MEEDM) bénéficie de l'existence d'un réseau scientifique et technique, dit RST, composé de 37 organismes d'études, de contrôle, d'expertise, de recherche et d'enseignement, établissements publics ou services de l'Etat. Les organismes du RST ont pour vocation de produire les connaissances scientifiques et techniques nécessaires à l'action publique, en matière de transport, d'urbanisme, d'aménagement, de génie civil, d'habitat, d'environnement, de prévention des risques, de connaissance de la terre dans les domaines des espaces marins et littoraux, et des phénomènes météorologiques. Ils rassemblent près de 38 458 agents. Le réseau de l'ancien ministère de l'équipement est devenu celui du MEEDM, ce qui n'a pas été sans conséquence.

Ainsi, les centres d'études techniques de l'équipement (CETE) ont dû évoluer. La circulaire du 15 juillet 2008 définit le calendrier et les modalités de mise en oeuvre de leur modernisation, mais deux questions, étroitement liées, restent en suspens : celle des relations des centres d'étude avec les collectivités territoriales et celle du statut des CETE. L'évolution du réseau se traduit également par des projets de fusion ou de délocalisation de certains de ses composants. Il faut souhaiter que ces évolutions soient efficientes et que leurs objectifs soient suffisamment explicités pour emporter l'adhésion.

Aux termes de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, les départements gèrent désormais 385 000 km de routes. L'Etat ne possède plus que 12 000 km de routes d'intérêt national et autoroutes non concédées. L'article L. 111-1 du code de la voirie routière donne compétence, depuis 2004, aux collectivités territoriales et à leurs groupements pour définir, conjointement avec l'Etat, les programmes de recherche et de développement des savoir-faire techniques dans le domaine routier. Ils sont associés à la définition des normes et définitions techniques correspondantes, adaptées à la spécificité de chacun des réseaux.

Cela n'avait pas tranché la question de l'avenir du RST, alors que les collectivités territoriales ont légitimement de nouvelles attentes, en matière de normalisation, d'accès à la formation dispensée par le RST, d'utilisation de ses compétences, de ses personnels et de son expertise et, plus largement, de participation au pilotage et aux orientations des travaux de ce réseau.

Afin d'éviter sa disparition ou la création, au niveau de chaque département, d'un « RST local », s'est mise en place, à partir de 2007, une gouvernance nationale partagée du RST autour de l'Assemblée des départements de France (ADF). L'ADF et l'union des syndicats de l'industrie routière ont favorisé la création d'un institut de la route, des rues et des infrastructures pour la mobilité (IDRRIM). L'IDRRIM est une association qui a pour objet de favoriser, développer et promouvoir une vision partagée de la conception, de la réalisation, de la maintenance, de l'exploitation et de la gestion des routes, des infrastructures de déplacements, des espaces publics de mobilité et des services associés. Cette instance collégiale sera présidée pendant un an par notre collègue Yves Krattinger, en tant que représentant de l'ADF. Cet institut comprend un collège en ingénierie présidé par la fédération Syntec, qui aura à réfléchir sur le devenir de l'ingénierie publique ; y participent l'ordre des architectes, des géomètres, l'association des jeunes ingénieurs territoriaux de France et l'association des directeurs de services départementaux. La création de l'IDRRIM paraît porteuse d'une amélioration immédiate de la gouvernance du RST.

Les conférences interdépartementales des transports et de l'aménagement (CoTITA), dispositif local visant à rassembler et hiérarchiser les besoins locaux des services de l'Etat et des collectivités territoriales, afin d'orienter les nouvelles activités du RST, semblent également être des instances efficaces et prometteuses.

Il serait sans doute souhaitable de poursuivre dans ces voies, et de les approfondir avant de développer de nouvelles initiatives. Je propose donc de privilégier ces formes d'association des collectivités territoriales au réseau scientifique et technique.

Enfin, il ressort des auditions des associations d'élus locaux et des professionnels du secteur de l'ingénierie publique que notre délégation doit soutenir les efforts visant à clarifier le code des marchés publics et son application. Ce sera le sens de ma dernière recommandation.

Il paraît nécessaire que les collectivités territoriales puissent librement choisir les prestataires les mieux-disants lorsqu'elles l'estiment opportun. Les critères permettant le choix du mieux-disant pourraient d'ailleurs être élargis pour tenir compte des caractéristiques de chaque territoire.

De plus, les collectivités territoriales ou leurs groupements mettent en oeuvre des procédures communes pour passer des marchés à bons de commande. Si ce type de procédure semble particulièrement adapté à la voirie ou à l'entretien de réseaux d'assainissement, il est plus difficile à mettre en oeuvre dans d'autres domaines. Là encore un effort d'information des collectivités territoriales et de simplification de la législation pourrait être mené.

M. Alain Lambert, président. - Je vous propose désormais d'ouvrir le débat, après cette présentation de grande qualité.

M. Jean-Claude Peyronnet. - C'est un travail extrêmement complet qui nous a été présenté. Il convient toutefois d'être prudent, toutes les solutions ne sont peut-être pas transposables dans tous les départements. Dans certains cas, les transferts des parcs de l'équipement aux départements ne se traduiront pas par le transfert de personnels capables de définir une nouvelle ingénierie publique. En cela, l'ingénierie publique d'Etat a disparu depuis longtemps. Pourtant, jusqu'en 1992, il était encore interdit aux conseils généraux d'offrir des prestations d'ingénierie publique aux communes. Puis dans les années 90, il est apparu que les grands ingénieurs d'Etat abandonnaient leurs prérogatives. L'abandon si rapide d'une tradition qui remontait au XVIIIe siècle pourrait faire l'objet d'études historiques tant elle est surprenante.

Lorsque je présidais le conseil général de Haute-Vienne, je me suis retrouvé, il y a quinze ans, dans une situation où les principales difficultés d'ingénierie concernaient l'urbanisme et l'aménagement des centres bourgs. Depuis une dizaine d'années, les problèmes concernent d'abord l'entretien prévisionnel du réseau routier. Le subdivisionnaire, que notre collègue Yves Daudigny a mentionné, définissait, sur la base de son diagnostic, un programme d'entretien annuel, de revêtement, etc. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et les collectivités territoriales se retrouvent soumises aux diagnostics et aux propositions du secteur privé. L'ingénieur public a donc aussi un rôle de limitation des dangers d'une ingénierie exclusivement privée à laquelle seraient soumises les petites communes.

Dans mon département, la solution retenue consiste en une petite agence, regroupant cinq chargés d'études, un directeur et une secrétaire. Toutes les communes rurales adhèrent à cette agence. Contre une cotisation forfaitaire modique, elles ont le droit à cinq jours de prestations annuelles de l'agence, toute demande supplémentaire donnant lieu à un paiement particulier. Cela donne de très bons résultats pour un coût raisonnable. Le conseil général verse une subvention. Cette solution fonctionne, et a permis la création d'un lieu de dialogue entre les collectivités territoriales mais aussi de bonne entente avec les professionnels. Dans un deuxième temps, il pourrait être utile d'étendre les compétences de cette agence au domaine de la voirie, d'augmenter les cotisations en conséquence, et de pouvoir ainsi recruter des ingénieurs, d'un niveau comparable à celui d'un subdivisionnaire.

M. Antoine Lefèvre. - Je souhaiterais que notre collègue puisse développer l'exemple qu'il a mis en exergue dans sa présentation. J'aimerais savoir quelles pistes intéressantes a pu présenter la direction départementale du Loiret.

M. Pierre-Yves Collombat. - Ce rapport est beau comme un requiem... La situation présentée est bien le fruit d'une volonté politique : on abandonne la régulation par l'Etat et on s'en remet à la concurrence. Face au désengagement de l'Etat, nous en sommes réduits à expérimenter toutes sortes de solutions sur nos territoires. Il faut bien sûr travailler dans cette perspective mais, sans une volonté politique affirmée, pour rappeler la dimension publique de la question, la situation restera sans solution. Bien sûr, les grandes villes pourront faire face mais, pour les petites communes, l'issue n'est pas évidente. Même les grandes villes ne sont d'ailleurs pas à l'abri d'un recours ou d'une plainte au niveau communautaire qui les mettraient en porte-à-faux. Il faut réagir, notamment pour les petites communes.

M. Yves Daudigny, rapporteur. - D'abord globalement, pour revenir sur l'histoire de l'ingénierie publique d'Etat, rappelons qu'elle a connu deux grandes étapes : c'était d'abord une mission de service public exercée sous forme de convention, puis elle a été inscrite dans le champ de la concurrence, mais elle existait encore. Aujourd'hui elle disparaît. La remise en cause de ce système m'est apparue inéluctable au cours de mes travaux. Les causes poussant à l'évolution étaient multiples : il s'agit certes du droit à la concurrence, mais aussi de la question de la rémunération des agents des DDE, pointée par la Cour des comptes, ainsi que de l'accusation de la concurrence déloyale par le secteur privé et enfin de l'évolution jurisprudentielle du Conseil d'Etat. C'est la légitimité de l'ingénierie publique qui était ainsi mise en cause.

Dans mon rapport, je précise bien que les récentes évolutions conduisant au retrait des services de l'Etat du champ concurrentiel de l'ingénierie publique ne sont dues qu'à la décision du pouvoir exécutif, prise dans le cadre de la RGPP et basée sur des motifs essentiellement financiers. L'Etat prestataire devient ainsi, on l'espère, un expert, très peu un conseil, et surtout un contrôleur.

Il n'est pas possible aujourd'hui de revenir en arrière. Pour retrouver le maillage territorial qui serait nécessaire à l'exercice d'une ingénierie publique étatique, il faudrait imaginer un niveau d'embauche publique peu compatible avec le cadre des finances publiques actuelles. Il ne reste donc qu'une alternative : soit laisser se développer l'ingénierie privée, qui, dans certains territoires, donne de bons résultats, à l'entière satisfaction des collectivités territoriales qui y ont recours ; soit militer pour le développement d'une ingénierie publique basée sur la notion de service public.

Je suis, pour ma part, favorable à cette dernière alternative pour deux raisons. D'une part, il n'existe pas de modèle économique dans le secteur concurrentiel permettant de répondre à toutes les demandes du secteur rural. Un réel problème de coût de revient de la mise en place d'un maillage du territoire suffisant se pose. Il convient donc de trouver des solutions pour les 30 000 communes de faible population qui ne pourront pas avoir recours à un secteur privé absent. D'autre part, la question se pose de savoir si l'ingénierie, qui est une prestation intellectuelle, peut n'appartenir qu'au secteur de la concurrence. L'existence d'une ingénierie publique, qui soit une référence, permettant d'étalonner les prestations privées, est indispensable.

Comment organiser cette nouvelle ingénierie publique ? Il m'est apparu que le meilleur échelon était certainement l'échelon départemental, qui se heurtait moins que les intercommunalités aux difficultés de recrutement de personnel qualifié. L'exemple cité par notre collègue Jean-Claude Peyronnet va d'ailleurs dans ce sens. J'ai cité le cas des parcs de l'équipement parce que, dans certains départements, leurs personnels peuvent répondre aux attentes des collectivités territoriales. De la même façon, au cours d'un de mes déplacements, j'ai eu connaissance de la création d'une agence technique départementale dans le département de Saône-et-Loire. Cette agence, dirigée par un architecte, regroupe trois ou quatre personnes qui font du conseil dans les domaines de l'ingénierie publique où les autres acteurs publics ou parapublics, l'association départementale des maires, le conseil d'architecture, d'urbanisme et d'environnement (CAUE), l'agence départementale d'information sur le logement (ADIL), etc. ne sont pas présents.

Les différentes initiatives locales sont très variées. Les formes juridiques sont très diverses, allant de l'établissement public au syndicat mixte ouvert, en passant par l'association. Les modes de financement peuvent être soit le paiement des prestations fournies, soit le versement d'une cotisation forfaitaire, voire une combinaison des deux, dans des proportions différentes d'un territoire à l'autre. Quant aux prestations, il peut s'agir d'assistance à maîtrise d'ouvrage, dans un seul ou tous les champs de l'ingénierie publique, mais cela peut également aller, notamment dans les agences les plus anciennes, jusqu'à la maîtrise d'oeuvre.

Mais si cette ingénierie publique est nécessaire, il ne faut pas non plus oublier le réseau scientifique et technique, lieu de hautes compétences, d'innovation et de recherche, qui doit continuer de travailler sur les normes. Dans ce domaine, l'attente la plus forte concerne l'ouverture aux collectivités territoriales, et comme je l'ai dit, l'approfondissement de l'IDRRIM me paraît être la voie à suivre.

S'agissant de la DDT du Loiret, c'est l'exemple d'un département dans lequel un directeur et ses personnels ont tenté de s'ajuster à la réforme en cours et à l'évolution vers le conseil. Le plan de redéploiement des capacités d'ingénierie en région montre bien que la disparition de l'ingénierie concurrentielle se traduit par une réorientation des activités de la DDT au profit de l'ingénierie pour l'Etat, pour ses propres besoins, de l'aide à l'émergence de maîtrise d'ouvrage et de projets, de conseil en amont et d'accompagnement de projets et enfin au profit d'une ATESAT diversifiée, avec un renforcement des domaines de l'aménagement et de l'habitat par rapport à la voirie. Cette réorientation, au détriment de la voirie, est une tendance lourde de tous les services de l'Etat, qui m'a frappée, ainsi que la volonté de mettre en oeuvre tous les aspects du Grenelle de l'environnement dans les projets des petites communes.

Tout cela se traduit par la mise en place des nouvelles typologies d'intervention suivantes au sein de la DDT : l'expertise interne et externe, l'animation de réseaux, l'aide à l'émergence de maîtrise d'ouvrage, l'aide à l'émergence de projets, le conseil en amont et l'accompagnement ciblé de projets. On a donc des services extérieurs qui s'adaptent aux nouvelles demandes de l'Etat : l'application du Grenelle de l'environnement et la mise en pratique de la réforme de l'ingénierie publique, tout en essayant de répondre à la demande des communes rurales. Rappelons toutefois qu'on reste bien dans le domaine de l'assistance à maîtrise d'ouvrage, et que l'intervention des services de l'Etat s'arrête avant la rédaction d'un cahier des charges permettant de lancer un marché public.

Je souhaiterais faire un commentaire : pendant mes auditions, mes interlocuteurs m'ont garanti que l'ATESAT ne serait pas remise en cause dans le cadre de la deuxième révision générale des politiques publiques. Mais, entre ce discours et la pratique observée, les écarts sont grands. Dans certains départements, il m'a été rapporté que les missions de solidarité et d'aménagement du territoire n'étaient plus exercées.

Pour que l'Etat maintienne son objectif de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux lors des départs à la retraite, il va falloir se demander quelle mission « n'est pas suffisamment obligatoire » et peut, par conséquent, être réduite. L'ATESAT sera certainement alors mise en cause, et le nombre de personnels qui seront alloués à ses missions pourrait être revu à la baisse. C'est dans cette perspective que j'ai recommandé à notre délégation de permettre l'expérimentation de la décentralisation de l'ATESAT aux conseils généraux.

Mme Dominique Voynet. - Lorsque l'on discute avec des ingénieurs territoriaux, la question de la qualité des projets qui leur sont proposés est rapidement évoquée.

Outre la concurrence exacerbée à laquelle se sont livrés les grands groupes pour attirer les meilleurs ingénieurs, à une époque où le pantouflage était mieux accepté qu'aujourd'hui, le niveau de rémunération, le cadre indemnitaire, les conditions de travail, les délais de réalisation des projets ou la difficulté de réunir des financements posent de véritables problèmes aux collectivités territoriales.

Par ailleurs, dans le monde rural, beaucoup de communes ont eu recours aux syndicats d'électricité et des eaux, aux chambres d'agriculture, à toutes ces structures qui sont ainsi devenues leurs conseillers dans le domaine de l'ingénierie publique et même, parfois, des partenaires, jusqu'à l'étape d'identification de la maîtrise d'oeuvre. Je pense, par exemple, à ces syndicats d'électrification, qui font de l'aménagement urbain pour des communes ou des syndicats de communes.

M. Claude Bérit-Débat. - S'agissant du désengagement de l'Etat dans le domaine de l'ingénierie publique, décrit par notre collègue Yves Daudigny, je constate que la majorité d'entre nous le vit au quotidien dans les départements et les villes. C'est l'une des conséquences de la mise en oeuvre de la RGPP dont j'ai également observé les effets dans mon département. En effet, nous disposons, nous aussi, d'une agence technique départementale dont les missions sont semblables à celles de l'agence de Saône-et-Loire évoquée par notre rapporteur. Dans les faits, nous avons une ingénierie territoriale qui se substitue à celle de l'Etat, si bien que son coût est transféré de l'Etat vers les collectivités territoriales.

C'est d'ailleurs ce type de transfert de charges que l'on retrouve dans le thème de la mutualisation des services : dans la mesure où l'Etat ne réalise plus certaines missions, les collectivités territoriales sont dans l'obligation de les reprendre et de mutualiser leurs services pour pouvoir les assurer. Certaines mutualisations s'avèrent d'ailleurs onéreuses. In fine c'est le contribuable du département ou d'une commune qui paye ce désengagement de l'Etat.

M. Alain Lambert, président. - Au-delà des causes du désengagement de l'Etat dans le domaine de l'ingénierie publique, sur lesquelles chacun d'entre nous peut avoir un avis différent, j'observe une réalité incontestable : celle de la faiblesse de la capacité d'investissement de l'Etat. Ce sont désormais les collectivités territoriales qui réalisent la grande majorité de l'investissement public.

Par conséquent, j'approuve la suggestion de notre collègue Yves Daudigny en faveur du développement d'une ingénierie publique territoriale. Dans la mesure où l'ingénierie d'Etat, pour des raisons financières et de procédures, extrêmement longues, ne produit pas toujours un résultat rapide, il devient nécessaire de renforcer l'ingénierie publique territoriale.

S'agissant des instruments, hors Ile-de-France, où en raison de l'importance de la population, la gestion territoriale y est différente, on peut s'accorder sur le fait que le département constitue l'échelon idoine pour mettre en place l'action d'ingénierie publique territoriale.

Je soutiens également l'idée selon laquelle, il n'est pas nécessaire, à ce stade, de définir un cadre juridique qui soit le plus approprié possible. En effet, certains sont en train de naître et il faut encore leur laisser du temps et de la souplesse, avant de juger de leur efficience.

Par ailleurs, lors du déplacement à Bruxelles, dans le cadre du rapport sur la mutualisation des services, j'ai pu constater, avec nos collègues Edmond Hervé et Yves Détraigne, combien l'Etat français devait mieux défendre l'idée, devant la Commission européenne, selon laquelle les conventions entre les personnes publiques ne relèvent pas du droit de la concurrence, tel que la Commission européenne l'affirme encore de manière trop catégorique.

Enfin, je crois que le droit des marchés publics souffre d'une pénalisation excessive. Cette pénalisation est tout à fait justifiée dès lors qu'il s'agit de lutter contre des abus : à partir du moment où notre droit pénal permet de sanctionner les comportements répréhensibles, je ne vois pas pourquoi les règles de marchés publics conduiraient en outre à la mise en oeuvre de dispositions pénales, lorsqu'il n'y a eu aucune mauvaise intention, qui peuvent constituer un facteur d'inhibition dans la gestion locale quotidienne.

M. Yves Daudigny, rapporteur. - Tout d'abord, je souhaite préciser que, lors des différentes auditions, les structures évoquées précédemment par notre collègue Dominique Voynet ont été citées à plusieurs reprises. Néanmoins, elles n'apparaissent pas comme des solutions pouvant être généralisées, notamment en raison de leur champ de compétences réduit. Très souvent, ce type d'organisme conseille les collectivités territoriales en amont, mais ne propose pas d'assistance à maîtrise d'ouvrage qui, si elle est bien conduite, doit aller jusqu'à la réalisation du marché pour trouver un maître d'oeuvre.

S'agissant du coût de l'ingénierie, je partage l'avis de notre collègue Pierre-Yves Collombat. Je rappelle cependant que l'ingénierie issue de ce que l'ont peut appeler le monde ancien, n'était pas payée par les collectivités territoriales à son coût réel. Dans la mesure où la concurrence est devenue une règle absolue, notamment, mais pas seulement, en raison de l'impulsion donnée par l'Union européenne, il est désormais impossible pour l'Etat de continuer à fournir aux collectivités territoriales, dans le secteur concurrentiel de l'ingénierie publique, des services dont le prix est inférieur au coût réel.

Je partage également l'avis de notre président sur le fait de ne pas préconiser la mise en place d'un cadre juridique précis pour pallier le désengagement de l'Etat dans le secteur de l'ingénierie. En effet, il n'existe pas actuellement de cadre juridique idéal mais différents types d'instruments. D'ailleurs, j'observe certaines divergences selon les départements. Par exemple, dans l'Oise, le préfet du département a refusé qu'une agence technique départementale soit créée sous la forme d'un syndicat mixte ouvert, alors que cette solution a été retenue dans d'autres départements.

Par ailleurs, en Saône-et-Loire, le département a créé deux établissements : une agence qui intervient en assistance à maîtrise d'ouvrage dans des domaines aussi différents que la voirie ou la construction de bâtiments et dont la forme juridique est celle d'un établissement public. Parallèlement, le département souhaitait instituer un organisme spécialisé dans le domaine de l'eau qui interviendrait en assistance à maîtrise d'ouvrage mais aussi en maîtrise d'oeuvre, ce qui nécessitait une forme juridique sécurisée. Pourtant, les services de l'Etat du département ont refusé que cet organisme soit constitué sous la forme d'un syndicat mixte, mais ont accepté qu'il prenne le statut d'une association loi 1901.

S'agissant des sociétés publiques locales (SPL), je n'ai fait qu'explorer ce domaine de la très récente loi n° 2010-559 du 28 mai 2010, pour le développement des SPL. Celles-ci se définissent comme des sociétés d'économie mixte mais sans l'intervention d'acteurs privés. Leur secteur de compétence est plus large que la seule ingénierie publique. Dans ce contexte, je préfère recommander aux collectivités territoriales souhaitant renforcer leur ingénierie territoriale, la mise en place d'organismes créés sous la forme de syndicat mixte ou d'établissement public.

Enfin, dans le cadre de mon rapport, je n'ai pas particulièrement approfondi la question du code des marchés publics, bien que ce sujet ait souvent été évoqué lors des auditions. Des pistes pourraient évidemment être développées afin d'assouplir certaines dispositions du code des marchés publics, notamment, pour permettre aux collectivités territoriales de choisir le mieux-disant plutôt que systématiquement le moins-disant, sans s'exposer à des risques de sanctions judiciaires.

M. François-Noël Buffet. - Je souhaiterais faire deux observations. La première porte sur la question des marchés publics : il est vrai qu'une simplification des règles de la commande publique serait opportune, sachant que le droit pénal permettra bien de sanctionner les comportements déviants et que l'enjeu de la procédure réside dans la garantie d'une transparence totale dans le processus de décision. Le cas échéant, on pourrait, si on l'estime utile, renforcer les sanctions pénales à l'encontre de ceux qui, délibérément, ne respectent pas cet impératif.

Par ailleurs, tout au moins dans les milieux urbains, j'observe que les agences d'urbanisme, constituées sous la forme associative, au fonctionnement relativement souple, sont de remarquables outils de conseil, d'anticipation, très en amont des projets de développement. De plus, ces agences ont l'avantage d'être constituées d'acteurs publics, comme l'Etat, les régions, les départements ou les communes, ce qui leur permet de conserver une réelle indépendance vis-à-vis du monde économique local. Ainsi, il serait peut-être intéressant de réfléchir à l'idée de développer ces agences dans les territoires ruraux.

Enfin, ces organismes ont l'avantage de fonctionner en réseau. Par exemple, dans le territoire Rhône-Alpes, les agences de Lyon, Grenoble et Saint-Etienne ont constitué un réseau, qui leur permet de préparer des projets de dimension internationale, d'échanger leurs compétences et leur connaissance du territoire, ce qui est également très valorisant pour l'ensemble des élus.

M. Edmond Hervé. - Juridiquement, rien n'empêche une agence de passer un accord avec le département : il suffit de modifier ses statuts, ce qui, dans le cadre d'un dialogue entre le monde urbain et le monde rural, peut être excellent.

Par ailleurs, je tiens à rappeler qu'historiquement, un certain nombre de villes ont développé l'ingénierie publique décentralisée urbaine à la fin des années 60 et au début des années 70. Si je prends le cas particulier de Rennes, la première ZAC réalisée en régie date de 1970, et l'agence urbaine a été créée en 1971. Ainsi, c'est au début des années 70 que l'ingénierie publique décentralisée s'est massivement développée dans les grandes villes.

Je partage la position de notre collègue Yves Daudigny sur l'ingénierie publique ; celle-ci a deux fonctions : d'une part, celle de maîtrise d'ouvrage, de conseil à la maîtrise d'ouvrage et, d'autre part, une mission de contrôle ou de surveillance, de la réalisation des projets, exercée par délégation ou en régie. Ces deux fonctions, fondamentales, étant très liées à la décentralisation, je milite pour que le département soit l'un des chefs de file dans ce domaine de l'ingénierie publique.

L'Etat doit mettre à sa disposition un certain nombre d'ingénieurs pour qu'il puisse exercer sa propre maîtrise d'ouvrage, dans le respect des grands principes de service public, notamment ceux de continuité et d'égalité. De tels principes ne peuvent être délégués à une entreprise privée, aussi remarquable soit-elle.

Je suis conscient de la concurrence qui se développe actuellement, dans des secteurs comme l'urbanisme, le logement, les finances, l'environnement, la gestion du personnel ou l'environnement. Dans ces domaines, il existe, certes, une concurrence très vive entre les villes et les autres collectivités publiques, mais aussi entre le secteur public et le secteur privé. Je pense que l'exemplarité de nos réalisations et les conditions sociales de travail sont incontestablement des avantages au bénéfice des collectivités publiques.

Par conséquent, je milite pour que, au niveau du département, au nom de la solidarité territoriale, il y ait une ingénierie publique pour faire la maîtrise d'ouvrage. En effet, le véritable problème n'est pas de savoir qui fait quoi mais de savoir si ce qui est réalisé est bien : une entreprise privée peut très bien réaliser un projet, mais la notion de contrôle par une collectivité publique reste déterminante.

M. Yves Daudigny, rapporteur. - Tout d'abord, je tiens à préciser que je n'ai pas retenu l'agence d'urbanisme comme modèle à proposer, notamment dans le monde rural, car il me semble qu'il faut auparavant creuser la question du régime fiscal.

Par ailleurs, je tiens à souligner mon optimisme quant à l'avenir de l'ingénierie publique en France. Certes, les élus locaux se sont parfois trouvés dans des situations difficiles à la suite du désengagement de l'Etat dans ce domaine. Je l'ai moi-même vécu dans mon propre département. Notamment, je me rappelle du désarroi d'un président d'intercommunalité souhaitant mener des travaux sur le réseau d'eau potable, qui, suite au retrait de l'Etat, ne savait plus vers quel organisme se tourner pour les faire réaliser. Cependant, mon rapport est résolument optimiste, car j'ai pu constater que de nombreuses initiatives se développent dans les territoires pour maintenir une véritable ingénierie publique, à côté d'une offre privée. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai intitulé le rapport de la manière suivante : « Les collectivités territoriales, moteurs de l'ingénierie publique ».

Je tiens également à rappeler que le retour à un âge d'or, où l'Etat constituait l'acteur principal, est impossible dans le domaine de l'ingénierie publique. Néanmoins, il est essentiel de conserver un lien entre les collectivités territoriales et le réseau scientifique et technique. J'ajoute que l'échelon départemental me semble le plus adapté pour la mutualisation.

Enfin, je précise que les organismes créés pour proposer de l'assistance à maîtrise d'ouvrage, voire à maîtrise d'oeuvre, fournissent exclusivement des prestations aux collectivités qui en sont membres. Nous sommes donc bien dans le « in house », et donc en conformité avec le droit européen.

M. Edmond Hervé. - Ces propos me conduisent à rappeler que je partage tout à fait le point de vue de Jean-Pierre Raffarin, selon lequel un bilan de la décentralisation aurait dû être réalisé avant d'engager une nouvelle réforme des collectivités territoriales.

M. Alain Lambert, président. - Je tiens à remercier notre collègue Yves Daudigny pour la qualité de son rapport qui fera naturellement l'objet d'une publication.