Mardi 19 octobre 2010

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -

Fret ferroviaire - Examen du rapport d'information

La commission examine le rapport d'information de M. Francis Grignon, président du groupe de travail sur le fret ferroviaire.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Le groupe de travail, composé, outre M. Grignon, de Mme Schurch et de MM. Biwer, Nègre et Teston, a fourni un important travail sur un sujet qui m'intéresse tout particulièrement, en tant que représentant du Sénat au conseil d'administration de la SNCF. Le Grenelle de l'environnement avait beaucoup insisté sur la nécessité de développer le fret ferroviaire.

M. Francis Grignon, rapporteur du groupe de travail. - Le groupe de travail, mis en place en juin 2009 à la suite du Grenelle, a mené une dizaine d'auditions et organisé le 29 avril 2010 une table ronde regroupant les principaux acteurs. Sont annexées au rapport les contributions des groupes politiques.

Je souhaite, à titre liminaire, rappeler la spécificité de l'organisation de la SNCF. Après-guerre, la SNCF comptait plus de 500 000 employés ; ils sont aujourd'hui 156 000. C'est une entreprise puissante, au régime particulier : son organisation est régie par des décrets de 1940, et c'est le ministre des transports qui fixe les conditions de travail. Le rapport Bain fait état d'un delta de 30 % entre les salaires du privé et ceux des personnels de la SNCF.

M. Daniel Dubois. - Au profit de qui ?

M. Jean-Paul Emorine, président. - Il est bon de connaître le statut et les conditions de travail des employés de la SNCF, qui ne relèvent pas du code du travail.

M. Francis Grignon, rapporteur. - Les temps ont changé, et avec l'arrivée de nouveaux opérateurs, notre champion joue désormais avec un boulet au pied. Nous sommes désormais pleinement dans une logique de concurrence.

Si les travaux d'infrastructure relèvent de Réseau ferré de France (RFF), ils sont en réalité sous-traités à la SNCF, où ils occupent plus de 14 000 personnes.

M. Jean-Paul Emorine, président. - La loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires (ORTF) créant l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) précise que la direction de la SNCF en charge de la circulation ferroviaire, qui compte 14 400 employés, doit être indépendante de la direction générale.

M. Francis Grignon, rapporteur. - Une mission confiée à RFF est en réalité réalisée par la SNCF...

La loi ORTF a créé l'ARAF, autorité de régulation chargée de veiller à l'équité dans la répartition des sillons et à la justesse des péages.

Le rapport dresse un état des lieux et analyse les causes du déclin du fret en France, en distinguant les causes générales et celles inhérentes à la SNCF, rappelle les solutions déjà mises en oeuvre et fait des propositions. Personnellement, j'estime que les objectifs doivent être, premièrement, de freiner l'hémorragie de parts de marché du ferroviaire et de préparer l'avenir du fret ; deuxièmement, d'aider la SNCF à se ressaisir - dans tous les pays qui se sont ouverts à la concurrence, l'opérateur a su conserver 80 % des parts de marché - et enfin de veiller à ne pas trop affaiblir nos transporteurs routiers, qui subissent eux aussi la concurrence européenne.

En 1950, le ferroviaire représentait deux tiers du transport de marchandises ; en 2010, 10 %, contre 83 % pour la route. Alors qu'en France le fret diminuait de 56 % entre 2000 et 2008, il a crû de 50 % en Allemagne. Notre voisin a fait preuve d'un grand volontarisme lors de la chute du mur et de la réunification de ses deux systèmes ferroviaires : il a vingt ans d'avance sur nous. En Suisse, la place du ferroviaire est prépondérante pour des raisons géographiques et culturelles : les camions ne peuvent rouler la nuit, et les entreprises sont subventionnées pour installer des branchements ferroviaires. Nous imitons leur système de cadencement, notamment dans la région lyonnaise, avec succès.

M. Michel Teston. - Le cadencement est en place depuis deux ans en Rhône-Alpes.

M. Francis Grignon, rapporteur. - La France a dix ans de retard. Sans parler des 400 millions d'euros de déficit annuel, depuis de nombreuses années. Or, on ne peut recapitaliser année après année...

Première cause de ce déclin : la désindustrialisation et la faiblesse des ports maritimes du Havre et de Marseille, ainsi que la mauvaise coordination entre activité maritime et voies ferroviaires. Anvers est le premier port d'entrée en France de marchandises provenant d'Extrême-Orient, Rotterdam fait autant en tonnage que tous les ports français réunis ! À Duisburg, un hub ferroviaire, relié à Anvers et Rotterdam par canaux, dessert plus de 80 voies ferrées européennes.

Deuxième cause : la concurrence de la route, qui est plus fiable, moins chère, plus rapide.

Troisième cause : le sous-investissement chronique dans le réseau, alors qu'il est pourtant plus économique d'entretenir les lignes existantes que d'en créer de nouvelles.

Quatrième cause : les faiblesses dues au statut, à l'histoire, à la culture de la SNCF. Euro Cargo Rail, filiale fret de Deutsche Bahn (DB) en France, compte deux tiers de conducteurs et un tiers d'autres personnels ; à la SNCF, c'est l'inverse !

Certaines solutions ont déjà été mises en oeuvre à la suite du Grenelle de l'environnement. En effet, le bilan écologique du fret ferroviaire est très positif, comme chacun sait. Une tonne de marchandise transportée génère deux grammes de CO2 par train en traction électrique, et jusqu'à mille grammes par route ou par avion ! Première avancée : un contrat de performance a été signé avec RFF en novembre 2008, qui organise le trafic. Le Président Emorine a souligné que les exigences des présidents de région en matière de transport de voyageurs bloquaient parfois le développement du fret : c'est un point à rajouter dans le rapport.

M. Jean-Paul Emorine, président. - François Patriat est présent. Je ne critique pas les présidents de région, mais ceux-ci doivent avoir une vision de l'utilisation des réseaux qui englobe le fret. J'ai demandé au conseil d'administration que les organisations régionales de la SNCF prennent en compte les frontières administratives des régions, ce qui n'était pas le cas, et que la SNCF travaille avec les présidents de région sur l'utilisation des sillons. Sur la ligne Dijon-Lyon, la fréquence du cadencement est un train par heure, mais les trains de voyageurs sont souvent à moitié vides...

M. Francis Grignon, rapporteur. - Deuxième avancée : en septembre 2009, le Gouvernement a présenté l'engagement national pour le fret ferroviaire (ENFF), qui représente 7 milliards d'euros d'investissements sur dix ans. Il s'appuie sur différents axes, énumérés dans le rapport, dont la mise en place d'opérateurs ferroviaires de proximité (OFP). En Auvergne, les choses avancent, et on observe un transfert modal vers la SNCF. Strasbourg, deuxième port fluvial français, s'apprête à suivre, mais à La Rochelle, c'est Deutsche Bahn qui a décroché le marché.

M. Michel Teston. - J'y reviendrai en séance publique, mais il faudrait définir par la loi le champ d'intervention des OFP.

M. Francis Grignon, rapporteur. - Enfin, dernière avancée, il y a eu une prise de conscience au sein de la SNCF, qui a mis en place un plan fret pour développer une offre « multi-lots multi-clients ». Certains wagons isolés en feront les frais, mais il en va de l'efficacité économique.

Le rapport fait plusieurs propositions, organisées autour de trois axes. Pour renforcer la qualité de service des opérateurs, notamment de la SNCF, nous proposons : de réaliser des corridors de fret ; de passer d'une logique d'offre à une logique de demande, pour mieux répondre aux besoins des entreprises et trouver de nouveaux clients ; et de réfléchir à l'attribution d'aides publiques pour certains wagons isolés, par exemple pour le transport de matières dangereuses.

Pour améliorer l'organisation du système ferroviaire, nous proposons : de garantir l'indépendance fonctionnelle de la direction de la circulation ferroviaire, au plus vite, pour mettre fin à la confusion des rôles ; d'ériger le raccordement entre les grands ports et le futur canal Seine-Nord-Europe en priorité stratégique ; de prévoir des subventions publiques pour les voies de raccordement, dans une logique d'aménagement du territoire ; et de mettre en place les OFP, au plus près du terrain.

Pour trouver des sources de financement pérennes, il faut assurer des ressources stables à l'Agence pour le financement des infrastructures de transport de France (AFITF), aujourd'hui alimentée par le budget de l'État à hauteur de 900 millions. La taxe poids lourds, annoncée pour 2012, devrait rapporter 1 milliard. Nous proposons également de relever le montant des péages ferroviaires, particulièrement faibles en France.

M. Michel Teston. - Pour le fret, pour le transport de voyageurs, les péages sont bien plus élevés !

M. Francis Grignon, rapporteur. - Nos propositions ne sont pas révolutionnaires, mais visent à concilier les exigences de l'aménagement du territoire avec celles de la compétitivité.

Mme Mireille Schurch. - Je remercie M. Grignon. Notre groupe de travail a pu auditionner largement les entreprises, les syndicats, la direction de la SNCF, et se rendre à Anvers et à Strasbourg.

La comparaison entre le fret ferroviaire et la route est faussée, car on ne tient pas compte des coûts externes du transport routier. En matière de sécurité, vous avez dit que la route était plus fiable...

M. Francis Grignon, rapporteur. - Je parlais de fiabilité économique, en matière de délais notamment.

Mme Mireille Schurch. - Il faut rappeler les atouts du rail en termes de sécurité, de quantités transportées, de maillage du territoire, même si ce dernier se dégrade, face aux problèmes de congestion, à la dégradation des infrastructures routières. Le rail contribue beaucoup à la société et aux territoires, ne le chargeons pas.

Nous sommes d'accord sur la plupart des constats, mais je ne dirais pas que le statut du personnel représente un « boulet » pour la SNCF ! Sans nier la nécessité de moderniser, nous prônons le modèle d'une entreprise publique intégrée, qui fasse de la péréquation entre les différents secteurs. Le statut des cheminots est une source de fiabilité et de sécurité, a fortiori si ceux-ci doivent travailler bien au-delà de 60 ans !

Il faut alimenter les autoroutes ferroviaires en développant le système « multi-lots multi-clients », tout en préservant les wagons isolés. Oui aux aides publiques : déclarer cette activité d'intérêt général serait un moyen d'aider les PME des territoires déficitaires, qui dépendent du réseau ferré.

Nous regrettons la privatisation des concessions autoroutières, qui privent l'AFITF de ses capacités d'intervention. Ces sociétés sont largement excédentaires, et pourraient utilement être mises à contribution financièrement : il y aurait alors un vrai report du transport routier vers le transport ferroviaire, comme nous y invite le Grenelle de l'environnement. L'opinion publique, les entreprises, les élus le souhaitent.

La France est en retard. D'accord pour avancer sur un certain nombre de propositions, mais non pour morceler la SNCF. C'est une chance d'avoir une entreprise publique en charge de différentes activités !

M. Daniel Dubois. - On ne peut imaginer consacrer 4 milliards au canal Seine-Nord-Europe sans assurer le raccordement des ports ! Or il manque encore 150 millions... Comment le réseau transversal sera-t-il financé, alors que les collectivités locales sont déjà mises à contribution ? Le ministre Jean-Louis Borloo n'a pas vraiment répondu lors de sa récente audition devant notre commission, et je crains que cela ne reste un voeu pieu...

L'efficacité et la rentabilité du fret, d'une part, et l'aménagement du territoire, d'autre part, sont des sujets différents. Comment les lignes seront-elles entretenues ? Qui paiera ? Va-t-on généraliser la taxe poids lourds ? Attention à la réalité économique ! Nous avons une fâcheuse tendance à toujours alourdir les normes et les taxes. Il faut préserver l'équilibre : on ne peut tout mener de front.

M. Michel Teston. - J'ai participé activement aux auditions et aux déplacements. Ma contribution est annexée au rapport. Je fais miennes certaines des conclusions du rapport, mais d'autres ne vont pas assez loin à mon sens.

Je partage l'analyse du rapporteur sur l'état des lieux, qui est alarmant. Parmi les causes de ce déclin, je compte le mauvais état de nombre de lignes, notamment des catégories 6 à 9, ainsi que la faiblesse des ports français. En revanche, je n'accuserai pas l'organisation et le régime social de la SNCF !

Les coûts externes du transport routier, évalués à 210 milliards d'euros à l'horizon 2020 par la Commission européenne, ne sont pas intégrés. Il en résulte un avantage comparatif pour la route, pourtant globalement plus coûteuse pour la collectivité nationale. Or on repousse la mise en place de la taxe poids lourds et on écarte la taxe carbone...

Je propose tout d'abord d'internaliser ces coûts externes pour ne pas pénaliser le rail. Ensuite, de créer des conditions équitables de concurrence entre les opérateurs, en harmonisant « par le haut » les conditions sociales des personnels. La convention collective en cours de signature est très en retrait par rapport aux conditions faites au personnel de la SNCF ; pourquoi ne pas faire supporter le différentiel financier par une structure ad hoc, comme en Allemagne ?

Troisièmement, il faut prendre en compte les exigences d'aménagement du territoire en reconnaissant le caractère d'intérêt général du fret : le recours à la délégation de service public pour le wagon isolé autoriserait les aides à l'investissement mais aussi à l'exploitation. Sur ce point, nous allons plus loin que le rapporteur.

Quatrièmement, il faut mettre à niveau le réseau existant, électrifier un certain nombre de lignes. Pour ce faire, il faut garantir des recettes à l'AFITF mais aussi s'attaquer à la dette de RFF, qui atteint 27,8 milliards d'euros.

Enfin, il faut développer de nouveaux services et renforcer ceux existants : train long, transport de marchandises à grande vitesse, transport combiné, adhésion de la SNCF à l'alliance européenne X Rail pour accroître la compétitivité du transport par wagon isolé.

De telles mesures doivent être intégrées dans un plan global. Mais la volonté politique existe-t-elle ? Quant à la Commission européenne, elle devrait, avant de réviser le premier paquet ferroviaire, dresser un bilan objectif et contradictoire des effets de l'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, et accepter le principe de mesures de soutien aux entreprises, notamment pour le wagon isolé.

M. Roland Courteau. - L'attitude de la SNCF sur le wagon isolé est proprement stupéfiante : en Languedoc-Roussillon, la prestation a été supprimée et les entreprises ont été mises devant le fait accompli, sans autre solution que de s'adresser au fret routier, ou bien de se regrouper, ce qu'elles ont fait en créant, avec le soutien de la CCI, une structure ad hoc dénommée « Profer ». On a de quoi poser la question : la politique du wagon isolé ne doit-elle pas devenir une priorité ?

M. Martial Bourquin. - Le fret ferroviaire n'est pas une priorité nationale, on le constate lorsque l'on voit que le transport de containers n'est pas possible par rail entre Dijon et Colmar, alors que le problème est connu depuis trente ans au moins et que des crédits avaient été réservés pour le régler dans les années 1990, avant d'être tout bonnement gelés. Le fret ferroviaire est pourtant demandé par les populations, qui constatent les dégâts du trafic routier. La gestion en flux tendus a paru un temps ringardiser le fret ferroviaire, mais nos voisins allemands, suisses et autrichiens, montrent bien qu'on peut combiner le fret ferroviaire pour les longues distances et le routier pour les plus petites.

La véritable question est donc politique : veut-on faire du fret ferroviaire une priorité nationale et européenne ?

Certaines de vos propositions sont intéressantes, d'autres méritent d'être explicitées. Vous proposez, par exemple, de passer d'une politique de l'offre à une politique de la demande, mais nous avons besoin des deux : tant que l'on ne pourra pas acheminer des conteneurs entre Dijon et Colmar, on n'aura pas de demande sur ce tronçon puisque presque toutes les marchandises transitent sous cette forme !

Quels moyens mobilise-t-on, ensuite ? Le grand emprunt n'a rien prévu pour le fret ferroviaire, alors que le BTP est en difficulté et que de nombreux emplois sont en jeu. Une recette pérenne est nécessaire, elle passe probablement par une taxe carbone à l'échelle européenne, et, pourquoi pas, par une taxe à l'essieu, comme celle qu'ont instituée les Autrichiens avec succès : nous devons examiner ces pistes très sérieusement.

M. François Patriat. - L'adoption du cadencement a augmenté la fréquentation des trains, mais avec comme contrepartie la suppression d'autres trains, qui transportaient peu de voyageurs. Cependant, aura-t-on changé la donne une fois quelques TER supprimés ? Nous avons investi 7 millions d'euros pour des gares « bois », elles ont fermé sans avoir servi. Même chose pour le terminal aménagé pour Peugeot à Perrigny-lès-Dijon, qui a coûté 18 millions d'euros et qui n'a fonctionné qu'une année... Nous devons donc être ambitieux, mais coercitifs aussi.

L'engagement national pour le fret ferroviaire est tout à fait souhaitable, d'autant que les 7 milliards d'euros qu'il représente sont à comparer aux 80 à 100 milliards d'euros prévus pour les lignes à grande vitesse.

M. Yannick Botrel. - Le fret ferroviaire est important pour la Bretagne, il suffit de voir la saturation de la RN 12 entre Rennes et Brest pour mesurer nos besoins. Je ne suis pas hostile à l'idée d'une taxation du trafic routier, mais les régions périphériques ne risquent-elles pas d'en faire les frais ? La question était apparue avec la taxe carbone. Une taxe à l'essieu, par exemple, devrait donc s'accompagner d'une véritable politique de transports pour désengorger les voies de communication, avec des plateformes intermodales.

Sur le financement, ensuite, il me paraît difficile de solliciter davantage les collectivités locales, qui participent déjà beaucoup aux programmes de lignes à grande vitesse : la solution semble plutôt se trouver du côté d'un plan national des transports.

M. Louis Nègre. - Nous constatons unanimement, et le rapport Grignon excellemment, que le fret ferroviaire chute depuis trente ans, alors qu'il était le fer de lance de la SNCF dans les décennies précédentes : pourquoi ce retournement ? Le facteur psychologique du « tout à la grande vitesse » n'y est-il pas pour quelque chose ?

Nous avons multiplié les plans de relance, et bien malin qui dirait au combientième on en est parvenu. Avec quels résultats ? Or, entre 2002 et 2009, le fret ferroviaire a progressé de 42 % en Allemagne, de 69 % en Suisse et même de 11 % en Grande-Bretagne - où les droits de péage sont pourtant trois fois plus cher qu'en France -, alors qu'il baissait de 67 % dans notre pays. Le milliardaire Warren Buffet investit 34 milliards de dollars dans le fret ferroviaire, c'est bien que le secteur est rentable ! Qu'ont fait nos voisins que nous ne sachions faire, eux qui appliquent le Grenelle mieux que nous, qui l'avons voté ?

La réussite du plan fret passe donc par une réflexion sur la désindustrialisation, sur la qualité des infrastructures, sur la concurrence de la route, aussi bien que sur l'organisation de la SNCF et sur l'organisation des ports français. L'argent est rare, nous en manquerons peut-être pour réaliser nos ambitions de lignes à grande vitesse : quel arbitrage avec le coût de l'entretien des lignes ordinaires ? L'examen des externalités est indispensable pour évaluer le coût du transport routier, mais n'oublions pas cependant que 80 % du trafic routier s'effectue dans un rayon de moins de 150 kilomètres, et le fret ferroviaire n'est pas intéressant sur de si courtes distances. C'est pourquoi je souhaite que l'évaluation des coûts externes liés au transport routier soit confiée à un organisme impartial comme le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), anciennement appelé Conseil général des ponts et chaussées. Nos collègues de l'opposition rêvent d'harmoniser l'Europe sociale par le haut, mais il est évident que le surcoût du fret ferroviaire lié à l'organisation interne de la SNCF appelle des solutions plus raisonnables ! Si la SNCF était plus fiable, elle aurait plus de clients.

Enfin, la France a la chance d'avoir de grands ports et il n'est pas normal qu'Anvers soit devenu le premier port pour le transit de nos marchandises ! La situation à Marseille n'est guère acceptable : 36 salariés, qui sont des privilégiés du système, parviennent à bloquer le port tout entier. Nous le paierons tous par plus de délocalisations, et des pertes d'emplois !

Les Allemands sont parvenus à dominer le fret ferroviaire européen parce que leur réforme, dès 1994, a modifié le statut des salariés embauchés après cette date et parce qu'ils ont transféré la dette : le changement de statut n'a pas empêché les salariés de conserver un haut niveau de vie, et le transfert de la dette a remis les compteurs à zéro.

Je propose donc un Grenelle du fret ferroviaire, pour trouver le meilleur système possible !

M. Claude Biwer. - La réflexion de la SNCF n'est pas assez tournée vers l'économie, j'en parle en utilisateur, pour les responsabilités économiques que j'exerce. La plupart de nos colis transitent par Anvers ou Rotterdam, mais quand nous sommes reçus à la direction de la SNCF, c'est pour parler développement touristique du territoire, quand ce n'est pas pour entendre une conférence de M. Jacques Attali...

Quand un entrepreneur veut utiliser un wagon isolé, les délais ne lui sont pas garantis, ils sont aléatoires. Nos voisins allemands ont subventionné leur fret ferroviaire, mais pour un service rapide et fiable.

Nous devons prendre nos responsabilités, notre économie est en jeu !

M. Gérard Bailly. - Un Grenelle sur le fret ferroviaire ? J'y suis très favorable, mais il faudrait commencer par un constat partagé, parce qu'une telle politique s'engage pour des décennies : je m'inquiète d'entendre certains de nos collègues contester ce que l'on observe sur notre fret ferroviaire. Je signalerai également qu'il y a encore quelques années, les poids lourds ne livraient pas jusqu'au fond des campagnes, alors qu'on en voit aujourd'hui qui vont jusque chez les particuliers, parce que les routes sont meilleures et parce que toute autre solution est devenue trop chère...

M. Jean-Paul Emorine, président. - Le président de RFF nous a indiqué que la « régénération » d'une voie ferrée coûte 1 million d'euros le kilomètre, alors que la construction d'une ligne à grande vitesse représente 15 à 25 millions d'euros par kilomètre : on mesure l'ampleur d'un programme de 2 000 kilomètres de LGV !

M. Francis Grignon, rapporteur. - Nos neuf propositions donnent satisfaction aux observations nombreuses qui viennent d'être faites, qu'elles touchent à l'aménagement du territoire, à l'évaluation du coût réel du transport routier, à la nécessité de ressources pérennes, ou encore à la meilleure articulation entre une politique de l'offre et une politique de la demande.

M. Martial Bourquin. - Sur ce dernier point, ma remarque consistait à dire que l'offre et la demande allaient de pair, et qu'une politique globale des transports combinait la route et le fer, comme nous l'ont montré les Allemands avec le ferroviaire pour le fret de longue distance, et la route pour le fret de courte distance.

M. Francis Grignon, rapporteur. - Il faut dissiper un malentendu : quand j'évoque le passage d'une logique de l'offre à une logique de la demande, je vise les entreprises ferroviaires. Bien entendu, la régénération du réseau doit se poursuivre. Restent trois sujets de débat : l'entreprise publique intégrée, l'harmonisation sociale et le wagon isolé. Le rail étant désormais concurrentiel, l'Union européenne a imposé la séparation entre la SNCF et RFF : la question de l'entreprise publique intégrée est donc encadrée par le droit communautaire, même si, avec la création de RFF, on n'a pas osé transférer les personnels. L'harmonisation sociale « par le haut », ensuite, n'est pas économiquement viable, ni juridiquement réalisable, parce qu'elle créerait des ruptures d'égalité dans les nombreux liens entretenus par les conventions de branches et les accords d'entreprises. En créant une structure ad hoc pour ne pas pénaliser la DB, nos voisins allemands ont fait de la subvention déguisée, nous devons nous y adapter. Le wagon isolé, enfin, fournit certes un bon service, mais il paraît difficile d'en faire globalement une activité d'intérêt général : c'est pour cela que nous proposons un examen au cas par cas.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Je retiens notamment de notre débat le souhait de certains d'entre nous de sensibiliser le Conseil général de l'environnement et du développement durable à la nécessaire évaluation des coûts réels du transport routier.

M. Michel Teston. - Une étude de 2008 de la Commission européenne a évalué à 210 milliards l'ensemble des coûts externes non pris en compte pour le transport routier, à l'échelle du continent, sans tenir compte du coût de la congestion du trafic.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Je mets aux voix l'adoption du rapport.

La commission adopte le rapport, les groupes socialiste et apparentés et CRC-SPG s'abstenant.

Mercredi 20 octobre 2010

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -

Loi de finances pour 2011 - Audition de M. Jean-Dominique Comolli, commissaire aux participations de l'Etat

La commission procède à l'audition de M. Jean-Dominique Comolli, commissaire aux participations de l'Etat, sur le projet de loi de finances pour 2011.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Au nom de la commission je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Nous avons en effet pensé avec M. François Patriat, rapporteur de l'avis budgétaire consacré au compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'Etat », qu'il serait intéressant que vous puissiez nous exposer les ressorts et la portée de la nouvelle fonction de commissaire qui est la vôtre au sein de l'Agence des participations de l'Etat (APE), et nous expliquer l'évolution de la politique des participations financières de l'Etat.

M. Jean-Dominique Comolli, commissaire aux participations de l'Etat. -  Je tiens tout d'abord à vous remercier de m'accueillir aujourd'hui pour parler devant votre commission, mais je souligne d'emblée mon inexpérience au poste de commissaire aux participations de l'Etat dans la mesure où j'ai été nommé le 3 août 2010 et où je n'ai pris mes fonctions que le 15 septembre dernier. C'est pourquoi je suis accompagné de M. Elie Beauroy, secrétaire général de l'APE, qui a une connaissance plus précise de certains aspects du fonctionnement de l'agence et qui pourra utilement compléter mon propos.

Je suis en réalité à la fois commissaire aux participations de l'Etat et directeur général de l'APE. Ce que le Gouvernement a voulu faire en élargissant le périmètre de l'APE et en « rehaussant » le titre de la personne se trouvant à sa tête, c'est élargir la vision du rôle de l'Etat actionnaire : il s'agit de passer d'une stratégie purement patrimoniale à une stratégie industrielle à long terme, dans le respect bien entendu de ses intérêts patrimoniaux et de l'objet social de chacune de ses participations. Il est important que l'Etat dépasse le seul intérêt patrimonial et financier, qu'il puisse discuter avec les entreprises dans lesquelles il détient des participations et marquer son influence dans les orientations stratégiques que ces dernières vont prendre. Au-delà des aspects industriel et patrimonial, cette nouvelle orientation comporte aussi un aspect social : il s'agit pour l'Etat de pouvoir fournir aux 1,5 millions de salariés concernés par ces entreprises des perspectives d'emploi et de développement de projets de formation professionnelle. Nous sommes attentifs à toutes les conséquences des décisions que peuvent prendre les entreprises, que ce soit en matière d'emploi, que de délocalisation ou de relocalisation.

Comment cette nouvelle organisation est-elle concrètement mise en oeuvre ? L'Etat réunit tous les six mois les présidents des entreprises concernées au niveau du ministre de l'économie. Ces réunions sont approfondies ; elles durent généralement au moins deux heures et sont préparées en amont. Elles sont l'occasion pour les entreprises dont l'Etat est actionnaire d'exposer leur stratégie. Les contacts sont également réguliers entre ces réunions puisque l'Etat participe aux différents comités de gouvernance de toutes ces entreprises.

Concernant l'aspect social, des revues sont régulièrement faites sur la répartition par pays ou par zone des investissements des entreprises, de l'emploi, de la valeur ajoutée. Ces informations sont demandées à l'ensemble des entreprises dans lesquelles l'Etat détient des participations afin d'évaluer la contribution de chaque entreprise au développement économique et industriel du pays.

M. François Patriat. - Tout d'abord, je tiens à remercier le président de notre commission de donner de l'importance à cet avis budgétaire qui concerne en effet des questions tout à fait sensibles ayant un fort impact économique, stratégique et social. M. le commissaire, votre introduction répond à ce que j'affirmais déjà dans mon rapport l'année dernière, à savoir que l'Etat semble de plus en plus se comporter comme un actionnaire ordinaire, cherchant, d'une part, à maximiser son investissement, notamment en encaissant des dividendes et, d'autre part, à assurer un niveau de bonne gouvernance pour les entités dans lesquelles il détient une participation, mais qu'il est en revanche circonspect sur le rôle de l'Etat dans la stratégie industrielle des entreprises. Vous avez en effet rappelé qu'il n'était pas question que l'Etat s'immisce dans la gestion directe d'une entreprise ni ne se substitue au rôle de son président. Il appartient en revanche à l'Etat de ne pas être un actionnaire ordinaire.

Peut-être pourriez-vous, M. le commissaire, approfondir un peu votre propos. En effet, un communiqué du conseil des ministres a indiqué, concernant la nouvelle fonction de commissaire aux participations que vous occupez, qu'elle s'inscrivait « dans une évolution majeure du rôle que doit jouer l'Etat actionnaire et de ses modes d'intervention afin d'améliorer son efficacité, sa pertinence économique et industrielle et la compréhension que les citoyens en ont ». Je vous le demande donc aujourd'hui : quelle est précisément l'orientation d'une telle évolution ? Comment l'APE compte-t-elle s'y prendre pour améliorer son efficacité et sa pertinence économique ? L'Etat actionnaire agit-il aujourd'hui au bénéfice d'une stratégie industrielle bien identifiée ? D'une manière plus spécifique d'ailleurs, quelles seront les modifications concrètes apportées à l'organisation de l'APE ?

Par ailleurs, je rappelle que l'Etat mène une politique actionnariale au travers de plusieurs leviers, de plusieurs instruments, comme le Fonds stratégique d'investissement (FSI), la Caisse des dépôts et des consignations (CDC) et, bien sûr, l'Agence des participations de l'Etat (APE). Or, c'est un fait que ces instruments n'ont ni les mêmes objectifs ni les mêmes stratégies d'intervention. Comment envisagez-vous donc d'améliorer la lisibilité de cette politique ? Quelle est la part de chacun de ces différents acteurs dans la définition et la mise en oeuvre de la politique actionnariale de l'Etat et comment sont organisés les rapports entre ces entités ?

Enfin, j'aimerais que vous nous apportiez un éclairage sur l'impact qu'a eu la crise sur les entreprises dans lesquelles l'Etat détient des participations.

M. Jean-Dominique Comolli- Le gouvernement a en effet souhaité changer le statut de l'APE. Cette volonté se traduit concrètement par deux éléments : une séparation stricte entre l'APE et la Direction générale du Trésor, et un changement de profil à la tête de l'APE. Le directeur général de cette agence doit en effet avoir un profil d'expérience variée, c'est-à-dire tant au sein du secteur public que privé, afin de pouvoir parler d'égal à égal avec les dirigeants des entreprises publiques. Il est essentiel que l'APE ne soit pas vue de façon désincarnée. Le profil que j'incarne est ainsi plus à même d'épouser le tournant de la politique actionnariale de l'Etat.

Que modifier pour marquer cette nouvelle orientation ? Il n'est pas prévu de changer les modalités d'organisation pratique de l'APE. En revanche, seront développées les études sectorielles relatives à la place des entreprises dans leur secteur d'activité, national et international, afin de disposer de données et d'analyses dont l'Agence ne disposait pas auparavant. J'ai obtenu, dans ce cadre, davantage de crédits d'études, ainsi que la possibilité de recruter des contractuels. La réorientation de la stratégie de l'APE se traduira également via l'accompagnement des entreprises et des propositions d'orientation stratégique à moyen terme.

Il convient également de ne pas perdre de vue qu'une entreprise au sein de laquelle l'Etat détient des participations doit être considérée comme une entreprise : l'Etat doit être un actionnaire responsable et adapter son processus de décision à la vie de l'entreprise. Lorsque je suis arrivé par exemple, j'ai découvert que, dans certaines entreprises, les éléments, les critères de la rémunération variable des dirigeants pour 2010 n'avaient pas encore été fixés. Comment, dans ces conditions, avoir un dialogue crédible avec elles ?

Concernant le Fonds stratégique d'investissement (FSI), il a été créé, vous le savez, en 2008. Il est vrai qu'on a pu avoir l'impression, au départ, d'une dispersion de ses investissements. Le FSI en tire aujourd'hui les conséquences en posant des critères d'investissement clairs. Une règle forte a ainsi été acceptée : tous ses investissements doivent se faire sous la forme d'une augmentation du capital. Il n'est pas question en effet que le FSI assure la liquidité d'un actionnaire existant d'une entreprise sans projet de développement particulier et sans apport de moyens nouveaux à l'entreprise. Au contraire, le FSI doit pouvoir apporter des moyens nouveaux en fonds propres à une entreprise qui a des projets de développement. On a pu constater au cours des deux dernières années que la partie la plus importante des fonds investis par le FSI avait été mal utilisée du point de vue de ce critère. Il ne s'agit pas d'exclure complètement évidemment des opérations de liquidité. Lorsqu'il s'agit de marquer un signal fort vis-à-vis d'un prédateur potentiel pour une entreprise qu'on considère comme stratégique, comme Vallourec par exemple, le FSI a clairement un rôle à jouer. A contrario, lorsqu'il s'agit d'assurer la sortie du fonds d'investissement d'une entreprise, il n'a aucun rôle à jouer. Il faut ré-articuler la politique d'investissement du FSI au profit du développement des entreprises, sans oublier la possibilité pour le FSI de marquer l'intérêt public pour une entreprise qui serait menacée par des acheteurs.

Comment la crise a-t-elle affecté les entreprises au sein desquelles l'Etat détient des participations ? Tout d'abord, par une baisse très sensible en 2009 des dividendes versés à l'Etat actionnaire : ils sont passés de 5,5 milliards d'euros à 4,2 milliards d'euros. Pour les 57 entreprises prises en compte dans les comptes combinés, le résultat net est de 7,4 milliards d'euros contre 8,3 milliards d'euros en 2008, le chiffre d'affaires est de 128 milliards d'euros contre 147 milliards d'euros en 2008. Mais l'Etat ne s'est pas contenté de perdre des dividendes, il a réagi en créant au sein du FSI des fonds spécialement dédiés comme le Fonds de modernisation des équipementiers de l'automobile (FMEA).

M. François Patriat. - Et la Caisse des dépôts et consignations (CDC)?

M. Jean-Dominique Comolli. - Il est clair que c'est l'APE qui incarne le rôle de l'Etat actionnaire et l'Etat n'entend pas déléguer ce rôle à la CDC.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Il serait intéressant que vous nous expliquiez l'intervention de la CDC dans la recapitalisation de La Poste.

M. Marcel Deneux. - Votre nomination marque un virage dans le rôle de l'Etat au sein des entreprises dans lesquelles il détient des participations. Confirmez-vous que l'Etat aura donc désormais les moyens de mener une politique actionnariale cohérente ? Comment êtes-vous intervenu dans le cadre des différentes dispositions mises en place par le grand emprunt de 2010 ? Avez-vous par ailleurs les moyens de vous coordonner avec les différentes politiques régionales d'investissement ? J'aimerais également savoir comment l'APE intervient concrètement en bourse. Enfin, collaborez-vous avec les grandes fédérations industrielles comme le MEDEF par exemple ?

M. Michel Teston. - J'ai pour ma part deux questions. La première est relative à La Poste. En novembre 2009, nous avons débattu sur le projet de loi relatif au changement de statut de La Poste : malgré la pugnacité de l'opposition, il a été adopté et il prévoit la création d'une société anonyme, qui, à ma connaissance, est effective depuis le 1er mars 2010. Or, il était indiqué qu'à part un petit actionnariat privé constitué par les salariés, l'intégralité du capital serait détenue par l'Etat et la CDC. Les évaluations sur la valeur de La Poste ont été menées. Je pense que la CDC a une idée précise de ce que représenterait, en pourcentage du capital de La Poste, son apport de 1,5 milliard d'euros. En revanche, l'Etat devait apporter 1,2 milliard d'euros, or aucun projet de loi de finances initiale ou rectificative à ce jour n'a apporté quoi que ce soit à La Poste. Où en est-on aujourd'hui à ce sujet ?

Deuxième question, vous avez indiqué qu'en matière d'évolution des participations financières de l'Etat, le rôle de l'APE devait être d'accompagner les réflexions des pouvoirs publics et d'apporter des réflexions et des orientations, pouvez-vous alors nous dire où en est le rapprochement entre EDF et Areva ?

M. Jean-François Le Grand. - Dans le droit fil des questions posées précédemment par François Patriat, je voudrais, pour ma part, faire un focus sur le transport aérien et les politiques aéroportuaires. La loi aéroportuaire dont j'ai été le rapporteur a autorisé les aéroports régionaux à évoluer dans leur structure et dans leur management, et notamment avec une possibilité de cession des parts de l'Etat. Or, l'Etat détient actuellement à peu près 60 % de chacun des cinq grands aéroports régionaux. Quelle est donc l'intention de l'Etat en matière de cession de ses parts dans les aéroports régionaux, et notamment dans celui de Toulouse-Blagnac ? Ma seconde question concerne l'orientation que vous souhaitez impulser par le biais de votre fonction. Il y a quelques années, j'ai été le co-auteur d'un rapport sur l'évolution d'EADS avec mon collègue Roland Ries. Nous avions relevé que l'APE était à l'époque un partenaire muet dans le conseil d'administration d'EADS. Qu'en est-il aujourd'hui avec la nouvelle impulsion que vous souhaitez donner au rôle de l'Etat actionnaire ?

M. Robert Navarro. - Je crois que notre stratégie est trop franco-française et n'aborde pas assez les rapprochements européens. Des ratés comme celui qui a eu lieu entre AREVA et Siemens sont mal perçus. Où en sont donc des partenariats européens ? Deuxième question, pourquoi assiste-t-on en Chine à une véritable compétition entre EDF et AREVA ? Ne pouvez-vous pas les influencer pour qu'ils investissent en Chine ensemble ? Vous avez un rôle très politique et j'observerai votre travail avec beaucoup d'attention. Vous avez la responsabilité d'engranger le plus grand nombre de dividendes afin que l'Etat puisse les redistribuer. Les questions de rémunérations des dirigeants de ces entreprises doivent passer au second plan.

M. Charles Revet. - Pourriez-vous nous indiquer votre rattachement ? Y a-t-il une note qui précise le fonctionnement de l'APE ? Il y a en effet un enjeu fabuleux en termes de stratégie économique de notre pays. Comment vous placez-vous, dans ce cadre, par rapport au ministère de l'Economie ?

Deuxième question, quelle relation entretenez-vous ave la CDC ? Serait-il d'ailleurs possible d'avoir, pour chacune des entreprises dans lesquelles l'Etat détient des participations, la liste des autres actionnaires et le mode de gouvernance de chacune de ces entités ?

Enfin, sur la question des ports, je voudrais savoir comment l'Etat peut investir. Si l'on considère par exemple les deux entités Le Havre-Rouen et Marseille, on s'aperçoit que nous avons le meilleur positionnement stratégique de l'Europe du Nord, alors que le positionnement en termes de trafic est moins bon. Quand je vois les investissements énormes qui sont faits dans les autres ports, je m'interroge. Quelle est votre marge de manoeuvre en la matière pour influer dans tel ou tel sens ?

M. Daniel Raoul. - Quel est le rôle stratégique de l'APE ? Comment relancer l'industrie française et mieux organiser nos filières industrielles ? L'APE doit optimiser ses effets de levier et ne pas être passive au sein des conseils d'administration quel que soit le niveau de participation financière de l'Etat. Si nous avions dans ce pays une vraie volonté politique, le Gouvernement aurait mis en place une véritable politique industrielle qui concerne à la fois les grands groupes, mais aussi et surtout les PME, à l'instar de ce que l'on observe en Allemagne. Là-bas, les PME sont de taille beaucoup plus importante qu'en France, et bien plus dynamiques. Bien entendu, l'Europe doit aussi être plus ambitieuse en matière de politique industrielle. Enfin, je m'interroge sur la pertinence de certains investissements réalisés par la CDC.

M. Jean-Jacques Mirassou. - La part de l'Etat dans EADS est-elle si faible qu'elle empêche la France de peser dans les orientations stratégiques de ce groupe ? Si oui, je ne vois pas à quoi cela sert de conserver des participations financières de l'Etat dans des entreprises industrielles. Si l'on cumule la part de 15 % de l'Etat et celle de 7,5 % du groupe Lagardère au sein d'EADS, on arrive pourtant à la conclusion que les membres français du conseil d'administration d'EADS ont des moyens d'agir et des devoirs bien spécifiques. Lors de l'élaboration et de la mise en oeuvre du plan « Power 8 », les représentants de l'Etat et du groupe Lagardère ont été transparents, alors que de nombreux emplois étaient supprimés en France. En outre, je plaide pour que les représentants de l'APE dans les conseils d'administration soient issus du monde industriel plutôt que de la banque. Il faut veiller par ailleurs à ce que le FSI protège les travaux des bureaux d'étude et l'activité de recherche et développement en France. Enfin, je m'interroge sur l'avenir de la filière aéronautique française à l'heure où l'entreprise Latécoère risque de passer sous le contrôle d'une entreprise étrangère. Le Gouvernement doit tout faire pour constituer une filière française performante et préserver nos emplois grâce au FSI.

M. Martial Bourquin. - Il faut des leviers de financement dans les secteurs en bonne santé, mais également des prises de participation dans les secteurs industriels en difficulté afin d'accompagner leur mutation en se fondant sur l'exemple des Länder allemands. La création d'emplois industriels doit être une priorité pour notre Gouvernement. N'attendons pas une hypothétique aide de l'Union européenne : l'Allemagne compte sur ses propres forces avec le succès que l'on connaît ! S'agissant du FSI et du FMEA, l'APE est-elle favorable à une décentralisation des aides, au niveau régional notamment, à destination des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME), qui génèrent de nombreux emplois comme chacun sait ? Par ailleurs, imposez-vous des contreparties lorsque vous aidez financièrement une entreprise, comme par exemple l'interdiction de délocaliser l'activité, ou la préservation de l'emploi en France ? Nous avons tous des exemples d'entreprises aidées par l'Etat qui quittent ensuite le territoire national. C'est pourquoi il faut moraliser ces aides publiques en imposant des conditions très précises.

M. Alain Chatillon. - Je pense que le rôle de l'Etat doit être aujourd'hui d'accompagner et d'orienter la stratégie des entreprises dans lesquelles il a des participations, sans se substituer à leurs dirigeants. Effectivement, une attention particulière doit être accordée aux TPE et aux PME, qui souffrent actuellement énormément de la crise économique. Comment peut-on les aider au niveau local ? Par ailleurs, je relève que le plan « Power 8 » a permis indiscutablement de renforcer la compétitivité d'EADS. Mais, je m'interroge sur l'avenir de la présence française au sein du conseil d'administration d'EADS. Quel sera l'opérateur qui remplacera l'opérateur actuel ? En outre, il faut que l'Etat envoie, dans les conseils d'administration où il a des participations, des représentants qui ont une réelle expérience du monde industriel. Certains hauts fonctionnaires ne connaissent pas forcément le monde de l'entreprise ! Enfin, je plaide pour une intervention dans le dossier Latécoère afin que cette entreprise ne tombe pas aux mains des industriels américains.

M. Jean-Dominique Comolli. - Je tiens d'emblée à rassurer M. Alain Chatillon : les représentants de l'Etat ont des compétences réelles dans le monde industriel. Par ailleurs, l'Etat ne veut pas se substituer aux stratégies des entreprises mais, en aucun cas, il ne s'agit d'un actionnaire passif. Les représentants de l'Etat, comme n'importe quel actionnaire, discutent des stratégies industrielles avec les dirigeants des entreprises. S'agissant de la rémunération des dirigeants d'entreprise, j'ai constaté avec surprise que les critères de part variable n'ont pas été fixés au préalable. Aucun dirigeant d'entreprise n'est venu me voir pour influencer mon jugement ! Concernant la valorisation de La Poste, un accord est en train d'être conclu dans le cadre de la commission de privatisation des transferts (CPT), qui se réunit pour la première fois aujourd'hui, et comprend l'Etat, La Poste et la CDC. Le Gouvernement n'était pas obligé de réunir cette commission. La part fixe de la valorisation de La Poste s'élève à 3 milliards d'euros. La part variable oscillera entre 1,3 et 2 milliards d'euros selon le nombre d'objectifs qui seront atteints et qui figurent dans le plan d'affaires pour la période 2010-2015. Au total, la valorisation de La Poste ne pourra donc excéder 5 milliards d'euros.

M. Michel Teston. - Pourtant, avant la survenance de la crise économique, cette valorisation atteignait 10 milliards d'euros !

M. Jean-Dominique Comolli. - Le montant des capitaux propres comptables au 30 juin 2010 s'élève à 4,3 milliards d'euros, et les résultats de La Poste en 2010 s'annoncent très bons. La CDC devrait prendre possession de 26,32 % du capital de La Poste, le reste étant conservé par l'Etat. Les augmentations de capital de la part de l'Etat et de la CDC seront libérées progressivement. Une première augmentation de capital interviendra dans le cadre du projet de loi de finance pour 2011.

S'agissant de la filière nucléaire française à l'international, le conseil de politique nucléaire du 27 juillet dernier a désigné EDF comme chef de file. Le partenariat est en cours de négociation entre cette entreprise et AREVA, au travers de six groupes de travail.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Je tiens d'ailleurs à vous informer que notre commission auditionnera prochainement Mme Anne Lauvergeon, présidente du directoire du groupe AREVA.

M. Jean-Dominique Comolli. - L'APE travaille continuellement sur les moyens d'augmenter le capital d'AREVA de 15 % pour faire face à ses besoins d'investissements. Par ailleurs, la réflexion sur la filière minière d'AREVA est désormais lancée. Va-t-on privilégier le cadre national ou international ? Pour l'instant, nul ne le sait.

Concernant les aéroports régionaux, nous avons également lancé une réflexion sur les moyens de faire passer la participation de l'Etat sous la barre des 60 %. La Société Générale éclairera d'ailleurs l'APE sur les choix à faire. Des négociations sont en cours avec les organes sociaux des aéroports de Lyon, Toulouse-Blagnac et Bordeaux, ainsi qu'avec les élus locaux. Pour l'heure, il est trop tôt pour se prononcer sur un désengagement partiel ou substantiel de l'Etat dans ces aéroports.

S'agissant d'EADS, je rappelle que l'Etat allemand s'est toujours opposé à la représentation de ses propres intérêts au conseil d'administration. Par conséquent, je vois mal pourquoi on appliquerait des règles différentes pour l'Etat français par rapport à l'Etat allemand. L'Etat conserve évidemment un droit de véto à travers la SOGEADE, lorsqu'il s'agit de grandes opérations de développement, supérieures à 500 millions d'euros. En outre, le président d'EADS, M. Louis Gallois, communique régulièrement avec l'Etat français sur ses programmes industriels et sur la stratégie du groupe. Il a d'ailleurs récemment indiqué que les emplois liés au programme de l'A350 seraient majoritairement localisés en France.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Certes, mais ce programme ne garantit pas un retour sur investissement rapide et il est de bien moindre envergure que celui de l'A320.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Ce qui compte, ce n'est pas le retour sur investissement mais l'emploi généré par ce programme.

M. Jean-François Le Grand. - Il serait bon d'inviter M. Louis Gallois à s'exprimer devant notre commission. Le plan « Power 8 » a eu des conséquences très positives sur la compétitivité d'EADS, comme j'ai pu le remarquer la semaine dernière lors de ma rencontre aux Etats-Unis avec les dirigeants de Boeing.

M. Jean-Paul Emorine, président. - M. Louis Gallois est venu récemment devant notre commission. Mais il pourrait à nouveau être auditionné en avril-mai prochain. Réjouissons-nous : son groupe a un carnet de commandes bien rempli...

M. Alain Chatillon. - Est-il normal que l'activité « civile » finance l'activité « militaire » au sein d'Airbus ? Cette situation est à l'origine d'un écart de trésorerie de 2 milliards d'euros, d'autant plus regrettable avec un euro fort par rapport au dollar.

M. Jean-Jacques Mirassou. - On ne peut pas passer sous silence les nombreux emplois qui ont été détruits par le plan « Power 8 », notamment dans ma région.

M. Jean-Dominique Comolli. - Il faut se féliciter de la compétitivité d'EADS. La question de la localisation de l'emploi industriel en France est au centre des préoccupations de l'APE. Le FSI vient d'ailleurs de recruter un responsable des questions sociales pour élaborer des critères sociaux qu'il appliquera lors de ses investissements. Je réponds à M. Martial Bourquin que les aides doivent être remboursées lorsqu'une entreprise décide de se délocaliser.

M. Charles Revet. - Je réitère ma demande. Je souhaiterais avoir une note sur la stratégie globale de l'Etat dans ses grands ports maritimes, indiquant notamment les noms des personnes qui suivent ce dossier à l'APE.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Je suis surpris de constater que les grands ports maritimes sont encore détenus à 100 % par l'Etat, alors qu'il me semblait que la loi portant réforme portuaire devait libéraliser les ports et les ouvrir à l'activité économique privée. D'ailleurs, vous avez peut-être appris comme moi que certaines entreprises de manutention portuaires opèrent sur des quais où l'activité est saturée, alors que d'autres terminaux sont déserts...

Mme Odette Herviaux. - Il faut absolument réfléchir transversalement lorsque l'on aborde la question des grands ports maritimes. Il y a un lien évident entre ce sujet et le débat sur l'avenir du fret ferroviaire que nous avons eu hier en commission. Pourquoi ne pas intéresser financièrement les entreprises qui opèrent dans les grands ports maritimes ?

M. Jean-Paul Emorine, président. - Que la SNCF et la RATP, toutes deux détenues à 100% par l'Etat, se livrent à une certaine concurrence sur le territoire national, ne me choque pas. C'est légitime. En revanche, il est regrettable de constater qu'au niveau international, la SNCF et la RATP ne parviennent pas à unir leurs forces pour créer une filière d'ingénierie ferroviaire française performante. Ne pourrait-on pas s'inspirer, dans ce domaine, de l'expérience entre AREVA et EDF justement ?

M. Jean-Dominique Comolli. - Le sujet que vous évoquez, Monsieur le Président, est essentiel. Sur ce point, j'ai été frappé par le manque d'ambition du rapport de M. Jean-François Bénard relatif à l'avenir du groupe Systra. Nous devons créer un champion français de l'ingénierie française à l'international. Pour ce faire, nous devons discuter avec la RATP et la SNCF, afin de rapprocher leur point de vue.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Je vous remercie pour votre intervention et pour les réponses écrites que vous ne manquerez pas de faire à nos différents Sénateurs sur les sujets que nous avons évoqués ensemble aujourd'hui.