Mardi 1er mars 2011

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -

Audition de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur

La commission entend M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce extérieur.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur. - La mondialisation des relations commerciales, représente 14 000 milliards de dollars, 18 000 milliards en comptant les services. Avec 5 500 milliards de dollars, l'Europe tient le premier rang, suivie de l'Asie, avec 4 500 milliards. La Chine est la première puissance exportatrice mondiale, avec 1 500 milliards, suivie de l'Allemagne, avec 1 150 milliards. La Chine assure aujourd'hui 10 % du commerce mondial, contre moins de 1 % il y a trente ans. Jamais, en temps de paix, a-t-on connu pareil basculement de richesse sur un temps si court, alimenté, il est vrai, par la désindustrialisation des anciennes puissances.

Les exportations françaises représentent 392,5 milliards d'euros, soit environ 500 milliards de dollars. Certes, la France reste le cinquième exportateur mondial et le deuxième en Europe. Son déficit, de 51,4 milliards d'euros, correspond à peu près à sa facture énergétique mais hors énergie, le déficit structurel s'élève à 20 milliards. La progression des exportations françaises en 2010, de 13,5 %, coïncide avec la reprise du commerce mondial après la crise de 2009. Toutefois, l'écart de nos balances commerciales avec l'Allemagne est préoccupant : il frôle les 200 milliards, soit 10 % du PIB ! Nous sommes dans la même zone monétaire, dans la cabine de pilotage du train européen ; un tel différentiel ne peut qu'avoir des conséquences politiques à terme.

Au temps de la guerre froide, le statut d'une puissance se mesurait à l'importance de son arsenal militaire. Aujourd'hui, les parts de marché et les excédents commerciaux l'emportent sur tout autre critère. Si le nouveau traité de désarmement signé à Munich entre les États-Unis et la Russie n'a guère fait parler de lui, c'est que les rapports de force mondiaux se situent ailleurs : dans les excédents chinois et le déficit courant américain. L'indépendance nationale de la France et son rôle dans le monde - c'est un gaulliste qui vous le dit - se jouent sur sa capacité à présenter des comptes en équilibre, préserver son tissu industriel, défendre ses parts de marché et en conquérir de nouvelles dans les pays émergents.

La croissance allemande, de 3,6 %, est due pour 1,1 % à l'export, car l'Allemagne a su arrimer son outil industriel sur la croissance des pays émergents ; a contrario, sur une croissance française de 1,5 %, l'export ne représente que 0,2 %. La zone euro concentre 60 % de nos exportations, contre 40 % pour l'Allemagne. L'essentiel de nos exportations est le fait de grands groupes : nous avons 91 000 PME qui exportent ; l'Allemagne, près de 400 000 ! Et ce nombre - qui a baissé de 16 % ces dix dernières années - passe à 50 000 si l'on ne compte que les entreprises qui exportent régulièrement depuis plus de cinq ans. En outre, nos PME sont plus petites, autour de vingt salariés.

Sur le plan normatif, mon travail est de défendre les intérêts stratégiques de la France auprès du commissaire européen Karel De Gucht, qui est le véritable « trade negociator ». C'est l'Union européenne, souveraine en la matière, qui négocie les accords de libre-échange : cette année, avec l'Inde, Singapour, le Canada, et, difficilement, avec le Mercosur. Ministre des relations européennes, je me suis battu pour faire inscrire dans les textes européens la notion de « réciprocité ». Le Président de la République l'a enfin obtenu en septembre. Il ne s'agit pas là de protectionnisme, comme certains de nos partenaires l'estimaient naguère, mais d'appliquer partout les mêmes règles ! Tel grand pays asiatique construit des autoroutes en Pologne avec l'argent du contribuable européen, mais nous interdit l'accès à son marché, où il affiche la préférence nationale ! Idem en matière de protection intellectuelle : tel pays asiatique acquiert une technologie française, que l'on retrouve vendue par une société d'un nouvel État membre de l'Union - au profit du pays asiatique propriétaire de ladite société ! Cela fait désordre...

Les grands contrats régaliens en matière d'aéronautique, d'énergie ou d'infrastructures sont conclus par le Président de la République et le Premier Ministre. Je viens en relais. Le système fonctionne bien : une progression de 40 % en 2010, 20 milliards de dollars de ventes. Je viens de signer un contrat de 1,6 milliard avec Alstom, la Russie, qui reconditionne son industrie ferroviaire, et le Kazakhstan ; nous vendons des trains au Kazakhstan, demain à l'Azerbaïdjan. J'organise mes voyages en fonction du degré de maturité des contrats.

Dans un environnement hautement concurrentiel, le volet financier est déterminant. Le système d'accompagnement des grands contrats par le Trésor fonctionne, mais il faut maintenir la pression : nos concurrents, qui étaient hier nos clients, proposent des technologies comparables aux nôtres, et mettent le chèque sur la table ! Cette année se tiendra à Paris un séminaire du G20 sur le financement du commerce extérieur. Il nous faut développer de nouvelles modalités de financement pour rester compétitifs. Plus largement, il faut une filière industrielle cohérente, où l'on ne s'entredéchire pas. Trois sociétés françaises sont en compétition pour un contrat de TGV en Floride, dans trois consortiums différents !

Ma troisième priorité est de densifier notre tissu de PME. Avec une progression des exportations de 47 milliards d'euros entre 2009 et 2010, ce sont 120 000 emplois créés ou consolidés en 2011. L'emploi n'étant pas tiré par la consommation intérieure, il faut chercher la croissance ailleurs. L'export, c'est mettre en rapport une forte demande mondiale de produits français et une offre française adaptée.

Je me suis efforcé de mettre en ordre de marche le réseau de conseillers commerciaux des ambassades, la « ligne des avants ». Il faut en faire des démarcheurs, chargés de transmettre la demande du pays et d'accompagner nos entreprises sur place. Je demanderai notamment que l'on fixe des objectifs financiers, et que les évolutions de carrière des conseillers, voire une part variable de leur rémunération, soit fonction de leurs résultats.

Le réseau Ubifrance compte 700 collaborateurs à l'étranger, autant en France. Il est présent dans une quarantaine de pays - soixante à terme - et accompagne environ 20 000 PME à l'export. J'ai demandé que soient fixés des objectifs non seulement quantitatifs mais aussi qualitatifs, prenant en compte le chiffre d'affaire à l'exportation. Dans les pays où Ubifrance n'est pas présent, nous passons des accords avec les chambres de commerce et d'industrie françaises. Je vais demander au Président de la République que les délégations qui l'accompagnent à l'étranger soient composées pour moitié de patrons de PME, et qu'il se rende dans les chambres de commerce lors de ses voyages.

La « ligne arrière », ce sont les PME, qui souvent ne savent pas à qui s'adresser. État, régions, chambres de commerce et d'industrie, ambassades, multiplicité des dispositifs d'accompagnement : faute de pouvoir elles-mêmes démarcher, les PME renoncent à exporter, ou restent dépendantes d'un seul donneur d'ordre. Or, contrairement à leurs homologues allemands, nos grands groupes n'assurent pas le portage de leurs sous-traitants.

La loi donne aux régions un rôle d'impulsion économique. À elles de nous aider à identifier les PME que nous devons accompagner. Jusqu'ici, il n'y avait pas de cartographie de la France qui exporte ; seules les douanes possédaient l'information. À compter de juin, celle-ci sera mise en réseau, afin de faire connaître la demande et notre capacité à y répondre.

Je souhaite mettre en place un système de co-localisation des moyens mis à disposition des PME dans chaque région, sur le modèle du Nord-Pas de Calais, où un même lieu rassemble les services de l'État, de la région, des départements, des chambres consulaires, de la Coface, d'Ubifrance. Après les présidents de chambres consulaires, je vais réunir les présidents de région. Il faut mutualiser les moyens et éviter le saupoudrage.

La gastronomie française a beau avoir obtenu le label de l'Unesco, l'Allemagne fait mieux que nous en matière d'exportation agroalimentaire ! Nous avons donc mis en place une véritable stratégie commerciale, avec un slogan - en anglais, n'en déplaise à certains - pour donner envie de France, d'une France sympathique, qui ne se réduit pas à la gastronomie de luxe. Nous serons présents dans 170 salons internationaux, avec des sites, des films, des animations commerciales pour vendre nos produits. Il serait d'ailleurs souhaitable que nos chaînes de grande distribution à l'international mettent des produits français en rayon !

Après m'être occupé de géopolitique, me voici en première ligne d'une vraie guerre : la guerre économique. Le point commun entre les pays arabes qui se soulèvent, c'est la jeunesse de leur population : leur problème, c'est l'emploi ! Il faut être au rendez-vous de cette histoire-là. Nous avons aussi nos forces : l'agroalimentaire, l'aéronautique, le luxe, les grandes infrastructures. Aucune fatalité de l'histoire ne condamne la France à présenter un déficit commercial structurel, malgré la facture énergétique. Si nous parvenons à densifier notre réseau de PME exportatrices, nous pouvons réduire notre déficit de 20 milliards.

Ma circonscription d'élu parisien compte les Galeries Lafayette et le Printemps, dont la moitié des clients sont Chinois. Ils y achètent la maroquinerie de luxe, fabriquée en France. Les ventes de spiritueux s'envolent en Asie. Mais il y a trente ans, l'industrie du luxe n'existait pas ! Elle a été inventée par des chefs d'entreprise, des créateurs, qui se sont fédérés. Nous avons une place à défendre. L'État, les régions, les partenaires économiques sont capables de faire mieux.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Merci de ce tour d'horizon, et d'avoir rappelé l'importance de la réciprocité. Nous avons conscience des faiblesses de nos PME. Vous avez tracé des perspectives. Restons optimistes.

M. Gérard César. - Je représente le Sénat au conseil d'administration d'Ubifrance. Je veux d'abord saluer la qualité du colloque tenu à Bercy, où les chefs d'entreprise et les chambres consulaires se sont montrés très motivés.

On déplore aujourd'hui un certain saupoudrage des actions. Quelles synergies concrètes comptez-vous mettre en place avec les régions françaises ?

Le « Pacte PME portage international » est piloté par le comité Richelieu. Comment ces actions qu'il conduit s'articulent-elles avec celles d'Ubifrance ? En matière agroalimentaire, quelles sont les relations entre Sopexa et Ubifrance ? Il y a là matière à approfondir, à mener des actions précises, pour éviter le saupoudrage.

Enfin, le volontariat international en entreprises (VIE) est important pour la formation des jeunes, notamment en anglais, et représente un relais important. Le Parlement soutient l'objectif de doubler le nombre de VIE, de 6 000 à 12 000.

Mme Odette Herviaux. - L'Europe ne peut se targuer de défendre une concurrence libre et non faussée sans accepter la réciprocité, notamment pour les produits agricoles et agroalimentaires. La mission d'information du Sénat sur la désindustrialisation a souligné combien l'industrie agroalimentaire était une de nos forces. Les Allemands nous ont dit qu'ils n'hésiteraient pas à sacrifier l'agriculture au profit de l'industrie lors des prochaines négociations de l'OMC ! À nous de défendre notre industrie agroalimentaire et notre production agricole. Je rappelle que 60 % de nos exportations agricoles sont à destination du marché européen.

Enfin, le ministre de l'économie marocain regrettait que la France ne soit pas davantage représentée lors des grands salons agricoles et agroalimentaires. Il faut lutter contre le saupoudrage en renforçant les liens entre État, régions et chambres consulaires.

M. Michel Bécot. - Je salue la détermination du ministre à trouver de nouveaux marchés. Le réseau de conseillers commerciaux doit faire remonter l'information. L'idée de guichet unique rassemblant les moyens au niveau régional est séduisante, mais ne faudrait-il pas prévoir un interlocuteur au niveau du département ?

Les économies de la zone euro ont-elles besoin d'une politique de change plus active, à l'instar de la Chine ou des États-Unis, qui n'hésitent pas à utiliser leur devise de manière offensive ?

L'agriculture et l'agroalimentaire sont nos points forts en matière de commerce extérieur. Comment préserver et développer cet atout ? La réforme de la PAC constitue-t-elle un risque ou une opportunité ?

Enfin, en matière de tourisme, j'applaudis à vos projets autour du 14 juillet. Peut-on dresser un bilan de la loi sur les services touristiques de 2009 ?

M. Roland Courteau. - Le solde commercial de la France est resté excédentaire entre 1992 et 2003. Depuis, le déficit est devenu structurel. Au premier semestre 2010, il était de 24,5 milliards, 4 milliards de plus qu'au dernier semestre 2009. La flambée du prix du pétrole, l'appréciation de l'euro n'expliquent pas tout : entre 2003 et 2009, la hausse du prix du pétrole n'a pas compromis la vigueur du commerce international !

N'avons-nous pas pris trop de retard sur l'Allemagne en matière de recherche et d'innovation ? N'est-ce pas là qu'il faut agir ? Ne pâtissons-nous pas de notre orientation géographique, ciblée à 60 % sur l'Union européenne, alors que la croissance des ventes est deux fois supérieure hors zone euro ?

Les fondamentaux qui font la réussite de l'exportation dépendent de la politique économique d'un pays ; la politique commerciale ne vient qu'en appui. Dans combien de pays Ubifrance est-elle présente, de quels moyens dispose-t-elle ? Comment faire pour augmenter la part des grands contrats, qui ne représentent que 10 % de nos exportations ?

Le marché du vin est emblématique des carences de notre commerce extérieur. La part de marché du vin français chute. Il faut tout faire pour stimuler les ventes, comme l'Espagne, l'Australie et le Nouveau monde ont su le faire. L'État ne consacre que 12 millions d'euros à l'aide à l'exportation ; la région Languedoc-Roussillon, 18 à 20 millions ! Or le salut de la viticulture français réside dans l'exportation.

M. Michel Teston. - Une remarque sur ce que vous avez dit, monsieur le ministre, sur le rôle essentiel des régions en matière de coordination économique. La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, dite loi Raffarin, n'a pas été jusqu'au bout de sa logique, sans doute à cause du résultat des élections régionales du mois de mars précédent : il aurait fallu donner aux régions le rôle de chef de file en matière économique, ce qui n'a pas été fait.

Certains observateurs, dont un ministre du Gouvernement, ont expliqué le manque de compétitivité de la France à l'exportation par le coût excessif de notre main d'oeuvre dans le secteur manufacturier. On sait aujourd'hui que ces estimations sont fausses, car elles ne tiennent pas compte du temps de travail. Ainsi, le coût de notre main d'oeuvre dans l'industrie est légèrement inférieur à celui pratiqué en Allemagne. L'explication est donc à chercher ailleurs. Vous avez parlé, monsieur le ministre, de la faiblesse relative du nombre des entreprises qui exportent. Vous avez également évoqué les problèmes de réciprocité dans les échanges internationaux et la nécessité de renforcer les bases industrielles de nos PME. Pourquoi pas ? Mais ne s'agit-il pas non plus d'absence de volonté politique ? Ne faudrait-il pas remettre à l'honneur une véritable politique industrielle ? Cette question est au coeur de la mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires.

M. Louis Nègre. - Je me félicite de l'analyse pragmatique que vous avez faite, monsieur le ministre. Lorsqu'on voit que l'Allemagne nous dépasse même dans le domaine agroalimentaire, il y a de quoi s'inquiéter. Et je ne parle même pas de l'industrie... Certes, le verre est encore à moitié plein, mais il ne faudrait pas qu'il se vide encore...

Pour sauver, conserver et créer des emplois, que peut-on faire ?

Sur la question de la réciprocité, nous avons été bien naïfs. Nous n'avons pas utilisé les outils juridiques internationaux dont nous disposions. J'ai néanmoins obtenu l'année dernière qu'une fédération industrielle allemande signe avec son homologue française un document dans lequel elle réclamait le respect des clauses de réciprocité. Lorsque j'ai rencontré l'ambassadeur de France à Tokyo, il m'a dit que les Japonais ne voulaient pas acheter du matériel ferroviaire français parce les normes sismiques n'étaient pas les mêmes dans nos deux pays. Mais alors, pourquoi arrivons-nous à en vendre au Chili ? En Espagne, nous n'arrivons pas non plus à vendre du matériel ferroviaire car les Espagnols ont obtenu des financements européens et pas nous. Il va donc aussi falloir nous préoccuper de réciprocité en Europe.

Vous avez dit, monsieur le ministre, qu'il fallait développer la filière industrielle française. Lorsque nous comparons notre situation avec celle de l'Allemagne, nous voyons qu'il y a de grandes différences entre nos deux pays. Les accords entre les donneurs d'ordre et les PME doivent donc se multiplier et l'État doit avoir un rôle de stratège. J'ai déjeuné aujourd'hui avec le président du deuxième groupe mondial d'énergie qui regrettait que les politiques industrielles soient marquées par des stop and go, comme ce fut le cas avec le photovoltaïque. L'État doit assurer la stabilité de la politique industrielle qui est menée.

Vous n'avez pas parlé d'ingénierie : en amont des grands dossiers, elle est pourtant essentielle. Or, dans notre pays, elle manque de dynamisme car elle est trop dispersée. Il faudrait fédérer d'avantage. Vous avez cité le cas de trois consortiums qui se massacrent entre eux. Il faut que cela cesse. A l'étranger, on estime qu'en ce domaine, l'attitude de la France est vraiment « originale »...

Le rapport de la Cour des comptes souhaite des aides plus sélectives vers des entreprises susceptibles d'exporter dans la durée. Que comptez-vous faire ?

M. Daniel Raoul. - Les régions jouent le rôle de chef de file en matière d'export : ainsi, ma région travaille avec la chambre régionale de commerce et d'industrie, la chambre régionale d'agriculture et avec les chambres de métier. Elle tente de coordonner les efforts des uns et des autres dans les domaines de l'agroalimentaire mais aussi dans certains secteurs, comme l'électronique.

Il faudrait, monsieur le ministre, que le crédit impôt recherche soit davantage tourné vers les PME afin d'encourager les groupements d'employeurs dans le domaine de la R&D et de l'innovation.

Sur la réciprocité, nous avons fait preuve d'une naïveté désarmante, et je ne parle même pas des transferts de technologies qui sont un véritable scandale.

Cela fait au moins dix ans que nous sommes en guerre économique mondiale. L'Europe n'arrive pas à se structurer et reste spectatrice du ping-pong entre la Chine et les États-Unis. Je vois une deuxième guerre se profiler : celle qui concerne l'alimentation. Avec bientôt neuf milliards d'être humains à nourrir, des bouleversements sont à craindre, car il s'agira de survie. L'Europe a peut être une carte à jouer en ce domaine.

M. Jean Boyer. - Vous avez présenté la situation de façon objective, monsieur le ministre. Les pays qui étaient sous-développés il y a 20 ans sont devenus nos plus terribles concurrents.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat. - Pas tous !

M. Jean Boyer. - Certes. La principale disparité tient au coût de la main d'oeuvre. Envisagez-vous des aides compensatrices pour la filière agricole ?

Ne pensez-vous pas qu'en France on lave plus blanc que blanc ? La superposition de normes induit des coûts supérieurs à ceux de nos concurrents. Ne faudrait-il pas aussi centraliser les productions françaises pour éviter des navettes entre le nord et le sud, l'est et l'ouest ?

Comme l'a dit Roland Courteau, l'innovation et à la recherche sont la clé de notre réussite. Dans ce domaine, nous devons être maillot jaune pour devancer les pays qui produisent en grande quantité !

Il y a quelques années, les délocalisations permettaient de réduire les coûts des produits. Est-ce toujours le cas ?

M. Philippe Leroy. - En matière de commerce extérieur, ne faudrait-il pas s'interroger sur l'usage de l'outil monétaire ? Avec son obsession d'un euro fort, l'Europe est le seul grand territoire à ne pas manier l'arme monétaire. Le commerce, ce n'est pas seulement l'échange de produits, mais aussi et surtout l'échange d'argent : la manipulation monétaire est un formidable accélérateur d'échanges commerciaux. L'Europe s'impose donc de rester naine parce qu'elle n'a pas recours à l'arme monétaire.

L'État ne peut pas se passer des collectivités pour encourager les exportations. Je suis président d'un département très engagé dans les prospections à l'étranger, notamment en Inde, en Chine et au Japon. Il faut que l'État coordonne toutes les bonnes volontés, tant dans ses propres services, que dans les départements, les régions et les villes. C'est à ce prix que nous pourrons conquérir de nouveaux marchés et que nous trouverons des investisseurs étrangers.

Ce serait dangereux de tout miser sur les régions : il faut encourager toutes les collectivités qui ont envie d'exporter.

Dans ma région, composée de quatre départements, seule la Moselle, qui a une forte tradition industrielle, s'occupe d'export, les trois autres s'en désintéressent et la région aussi ! Seules les bonnes volontés comptent, pas les institutions.

Ceci dit, je suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur le ministre, lorsque vous dites que ce sont les PME qui ont besoin d'être aidées. Les grands groupes n'en ont nul besoin. Je travaille en Chine avec Total : je puis vous assurer que ce groupe a des moyens sans commune mesure avec les miens. Et ce qui est vrai pour Total l'est aussi pour Peugeot ou EDF.

M. François Patriat. - Qui pourrait ne pas adhérer à vos constats et à vos objectifs, monsieur le ministre ? En revanche, nous avons quelques divergences sur les moyens à mettre en oeuvre.

Je ne souhaite pas l'hégémonie des régions et je suis désolé d'assister à des concurrences insensées entre collectivités qui ne parviennent qu'à des résultats insignifiants.

La loi d'août 2004 permettait aux régions de créer des schémas régionaux de développement économique qui comportaient un volet exportation. Cela m'a permis de me rendre à Singapour, au Japon et en Amérique du sud. A chaque fois, j'ai été très déçu par le soutien apporté par les chambres économiques locales et par les ambassades. Ainsi, lorsque j'ai été à Tokyo, les informations qu'on nous donnait dataient de trois ou quatre ans !

J'en arrive à un sujet qui m'est cher, le vin. Lorsqu'Hervé Gaymard était ministre de l'agriculture en 2003, nous avions monté les États-généraux de l'exportation du vin. La Bourgogne vend 50 % de sa production à l'étranger, mais les négociants manquent cruellement de moyens pour accroître leurs exportations. Il faut aider financièrement et humainement les entreprises qui veulent exporter.

Un mot enfin sur les règles des marchés publics : à cause d'elles, les lycéens de Bourgogne consomment des oignons de Chine, car le kilo se vend 2 euros contre 6 pour l'oignon bourguignon ! Savez-vous qu'un repas de lycéen équivaut à 2 000 km de trajets ? Il faut donc revoir le code des marchés publics.

Nous devons savoir qui fait quoi dans l'accompagnement des entreprises. Le rôle de l'État en la matière doit être clarifié. Je vous dis « banco ! » mais il faudra mettre des moyens et trouver les bons leviers.

J'ai visité hier une entreprise située à proximité immédiate du Jura : elle emploie onze personnes et réalise 4 millions de chiffre d'affaire et 800 000 euros de bénéfice après impôts. Son secret ? L'innovation, ce qui lui permet d'exporter dans 18 pays.

M. Ladislas Poniatowski. - Mme Anne-Marie Idrac, votre prédécesseur, s'est rendue à deux reprises en Afrique du Sud pour y vendre deux centrales nucléaires. Hélas, nous sommes repartis à zéro. Le conseil stratégique de l'énergie de la semaine dernière a conforté le rôle d'EDF comme chef de file dans ce pays. Avez-vous l'intention d'aller en Afrique du Sud ?

Avant de partir, M. Jean-Louis Borloo avait lancé un projet séduisant mais compliqué en Afrique subsaharienne : il s'agissait de construire une dizaine de barrages dans différents pays. Mais comment exploiter de tels barrages alors que certains État connaissent des problèmes de sécurité ? Allez-vous reprendre ce dossier ?

Enfin, je m'interroge sur les études préalables de faisabilité que finance votre ministère. Ainsi, nous avons financé une étude pour savoir s'il fallait construire une centrale fioul au Liban. Nous faisons également une étude pour reconstruire tout le réseau d'électricité d'Harare, capitale du Zimbabwe. Je m'interroge sur l'utilisation de ces crédits d'études : une fois l'étude réalisée, il n'est pas dit qu'elle profitera aux entreprises françaises puisque des appels d'offre internationaux sont ensuite lancés.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Alors que j'ai bien souvent l'impression de prêcher dans le désert, je suis heureux de constater votre implication dans ce débat passionnant.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur la place respective des départements et des régions. Dans cette affaire, il ne faut voir aucun impérialisme de l'État ! Chacun doit prendre sa part. Le rôle de l'État, c'est de s'occuper de la ligne de vente. Parfois, les résultats sont inégaux en fonction de l'efficacité des chambres de commerce. Depuis la création d'Ubifrance, l'État connaît à peu près bien la demande et accompagne les entreprises. Les grands groupes se débrouillent très bien seuls, sauf lorsqu'il s'agit de soutien politique à très haut niveau : les chefs d'État ou de Gouvernement interviennent alors. Quand ces grandes entreprises viennent nous voir, c'est pour nous demander de l'argent afin d'assurer leurs crédits à l'export.

Pour le partage des rôles entre régions et départements, je souhaiterais que l'on prenne exemple sur ce qu'à fait Daniel Percheron : il faut regrouper dans un seul endroit tous ceux qui aident les entreprises à exporter.

Si j'en avais le temps et les moyens, je regarderais l'organisation de l'État en région. En Rhône-Alpes, il y a 5 000 fonctionnaires d'État chargés de l'économie. Or, seuls cinq d'entre eux s'occupent de l'exportation ! Je préfèrerais que la politique économique soit organisée localement et que l'État accompagne les entreprises susceptibles d'exporter. Il faut arrêter de multiplier les structures qui se marchent sur les pieds, d'autant que nous avons en face de nous des pays très bien organisés. Je vais proposer aux présidents de région des chartes à l'exportation afin que chacun remplisse sa part du contrat et que nous évitions de dépenser l'argent du contribuable pour des résultats misérables. Je suis tout à fait favorable à la mutualisation des moyens et des structures. Vous l'aurez compris, je refuse toute querelle institutionnelle.

Cette remarque vaut aussi, Gérard César, pour les questions de portage entre les PME et les grands groupes. Ces derniers doivent aider les petites entreprises. A chaque fois qu'un grand groupe viendra me voir pour s'assurer du soutien inconditionnel de l'État à l'export, je leur demanderai de sous-traiter en France afin de créer des emplois. Si le but est de signer un contrat et d'acheter du matériel à l'étranger, je refuserai l'aide de l'État ! Il faut que le financement public crée de l'emploi dans notre pays. Ce que je dis pour les grands groupes vaut aussi pour les entreprises publiques.

Nous avons aussi été à l'origine d'une mini-révolution dans l'agroalimentaire en instaurant des relations entre Ubifrance et Sopexa. Avant, le ministère de l'agriculture et le ministère du commerce extérieur ne se parlaient pas ! Les filières et les habitudes étaient différentes et Bruno Le Maire et moi-même avons du batailler ferme pour instaurer des liens et esquisser un rapprochement.

Pour l'exportation du vin, notre marge de progression est immense ! Regardez ce que fait l'Italie qui vend tous ses vins - et tout le reste - dans un seul lieu alors que les filières professionnelles du vin français sont en compétition les unes avec les autres, dans un même territoire. N'y a-t-il pas place pour tout le monde ? Nos habitudes culturelles sont étranges ! Je veux vendre du vin identifié « France » comme les Sud-Africains, les Chiliens, les Espagnols le font pour des produits de moyenne gamme.

Je suis en train de lancer une campagne de promotion commerciale dans l'agroalimentaire mais tel grand groupe refuse d'y participer au prétexte qu'un concurrent moins prestigieux y figure. Moi, j'essaye de vendre les produits France, mais certains veulent encore faire bande à part. J'ai besoin de l'aide de tout le monde pour faire évoluer ces mentalités suicidaires face à la concurrence étrangère.

Odette Herviaux m'a interrogé sur la PAC : nous serons intraitables. Quand nous avons la chance d'être un des premiers exportateurs mondiaux en matière agroalimentaire, croyez-vous que nous accepterons de fusiller la PAC, et ce alors que la planète va bientôt compter neuf milliards d'hommes et de femmes ? Ce serait une faute stratégique ! Sur la question du Mercosur, ma feuille de route est simple : je protègerai nos agriculteurs, notamment nos éleveurs.

Il y aura des négociations difficiles lors de la préparation du budget européen après 2013, mais je note que le Conseil a évolué : il y a un an, personne ne croyait en l'avenir de l'agriculture. Aujourd'hui, les mentalités ont évolué et chacun a conscience qu'il s'agit d'un enjeu stratégique de première importance. Il en est de même au G20. D'ailleurs, une partie des problèmes que connaît le monde arabe, notamment en Égypte, provient du renchérissement des denrées alimentaires.

La question du tourisme relève de mon collègue Frédéric Lefèbvre. Dans le cadre de notre campagne « So french, so good », nous allons vendre la France et nous allons décliner les paysages, la gastronomie, les arts de la table.

Roland Courteau a posé une bonne question : pourquoi le commerce extérieur était-il excédentaire entre 1992 et 2003 et plus maintenant ? Est-ce une pique politique ?

M. Roland Courteau. - Un constat.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Nous avons été exportateurs positifs dans les années 1970 puis durant la décennie 1990. Structurellement, nous sommes désormais en déficit pour des raisons structurelles : en France, on sait inventer mais on ne sait pas vendre. Si nous avons eu une balance commerciale positive dans les années 1990, c'est parce que la mondialisation ne faisait que commencer et que l'Allemagne, confrontée à la réunification, était moins compétitive. Lorsque les pays émergents ont décollé, tout a changé. De plus, le chancelier Gehrard Schröder a remis en ordre les comptes allemands alors que les nôtres continuaient à filer. Enfin, dans bien des secteurs, nous restons plus chers que les Allemands qui ont, surtout dans le domaine agroalimentaire, recours à de la main d'oeuvre bon marché des pays de l'Est.

Tous ceux d'entre vous qui ont parlé d'innovation ont raison : les entreprises qui exportent sont celles qui innovent. La politique export de la France doit donc comprendre plusieurs volets : innovation, finance et meilleure organisation.

Louis Nègre m'a interrogé sur le rapport de la Cour des comptes qui a épinglé Ubifrance : il a tout à fait raison. D'ailleurs, quand j'ai rencontré les responsables d'Ubifrance, je leur ai demandé du qualitatif et pas seulement du quantitatif.

François Patriat m'a répondu « banco ! », j'en suis ravi. Quant au patriotisme économique, j'y crois : à prix et à qualité comparables, nos donneurs d'ordre doivent acheter français. S'ils ne le font pas, c'est qu'ils n'ont rien compris à ce qui se passait dans le monde.

Je compte me rendre en Afrique du Sud, Ladislas Poniatowski : j'espère que nous allons pouvoir l'emporter et vendre nos centrales nucléaires. Vous m'avez aussi interrogé sur un sujet d'importance : le FASEP-études (Fonds d'études et d'aide au secteur privé). Les études de faisabilité financées par l'État permettent d'obtenir des contrats à l'export. Les FASEP sont liés à des entreprises d'ingénierie françaises. Ces dernières mettent au point le cahier d'appel d'offre qui, en général, correspond à un savoir-faire français. Grâce aux FASEP, nous réalisons beaucoup de contrats à l'export, notamment dans le domaine de l'eau et des infrastructures. En revanche, il n'y a pas eu de FASEP accordé sur le Zimbabwe.

Enfin, vous m'avez interrogé sur les délocalisations. En début d'après-midi, j'ai participé à la signature d'un contrat entre Alstom, le Russe TMH et les Kazakhs pour un montant de 1,6 milliard, dont un milliard est garanti par l'État français. Nous allons refaire toute la base ferroviaire russe ce qui nous permettra de vendre des locomotives franco-russes aux Kazakhs puis à d'autres nations. Grace à la signature de ce contrat, nous allons créer des emplois à Belfort et à Tarbes, mais aussi en Russie et au Kazakhstan. Il s'agit d'un accord gagnant-gagnant.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Merci pour toutes ces réponses, monsieur le ministre.