Mercredi 11 mai 2011

- Présidence de M. Jean-Luc Fichet, vice président -

Audition de M. Christian Piotre, secrétaire général de l'administration du ministère de la défense

M. Jean-Luc Fichet, vice-président. - Je vous remercie, monsieur le Secrétaire général, d'avoir répondu à notre invitation. Dans le prolongement des auditions et des déplacements entrepris par la mission depuis février, nous sommes très heureux d'entendre le secrétaire général du ministère de la défense.

M. Christian Piotre, secrétaire général de l'administration du ministère de la défense. - Le ministère de la défense est engagé depuis 2008 dans ce que je pourrais presque appeler une révolution. Cette grande réforme résulte d'une double démarche, avec d'un côté le livre blanc sur la défense et la sécurité, approuvé par le chef de l'Etat à l'été 2008, et qui fixe à l'horizon 2010 les contrats opérationnels des armées et l'organisation de notre défense, et, de l'autre, la révision générale des politiques publiques, démarche interministérielle pour optimiser l'emploi des ressources de toutes les administrations de l'Etat. La Défense s'est inscrite résolument dans cette révision, et aucun secteur d'activité, nulle de ses organisations n'y a échappé.

La loi de programmation militaire 2009-2014 définit de nouvelles capacités opérationnelles, mais aussi un nouveau format, se traduisant par une réduction sensible des effectifs comme des implantations. Cependant, la réforme ne s'accompagne pas d'une réduction des ressources : elle passe par une réallocation substantielle. Les économies sur la masse salariale et sur le fonctionnement courant ont vocation à financer la modernisation des équipements et l'amélioration de la condition des personnels.

L'effet territorial de ce processus est non négligeable. Environ quatre-vingts fermetures et une cinquantaine de transferts d'unité ont été programmés entre 2009 et 2014, avec deux années particulièrement lourdes, 2010 et 2011. Quelque 35 projets de modernisation conduits dans le cadre de la RGPP contribuent à la réduction du format. Le ministère doit supprimer 54 000 emplois d'ici 2015, dont les trois quarts dans l'administration générale et le soutien commun, et une répartition entre militaires (75%) et civils (25%) conforme à leurs proportion respective.

Le ministère de la défense n'est pas organisé selon la logique de déconcentration régionale et départementale des services de l'Etat. L'exception qu'était l'ancienne direction des anciens combattants sera corrigée à la fin de l'année, l'Office national des anciens combattants devenant l'unique service de proximité pour les ayants droit.

La conduite et l'accompagnement de la réforme ont fait l'objet d'une réflexion. Il fallait en effet des objectifs précis. Le ministre préside le comité exécutif ; le comité de modernisation du ministère, que je préside, se réunit tous les mois et entretient le rythme de la réforme ; une mission de coordination, dirigée par un officier général, est en charge du contact quotidien sur les 35 projets de la RGPP et, suivant l'instruction du ministre, privilégie l'initiative. Chacun des trois grands responsables du ministère, le chef d'état-major des armées, le délégué général pour l'armement, et le secrétaire général pour l'administration, est en charge de la partie de la réforme qui lui est confiée dans son domaine de compétence. Enfin, le ministère s'inscrit dans le dispositif interministériel que vous a décrit M. Migeon.

L'accompagnement de la réforme est d'abord social. Il a alors pour objet de faciliter les réductions d'effectifs et la mobilité des personnels. Les incitations au départ sont le principal levier ; il s'agit des pécules pour les militaires et des indemnités de départ volontaire pour les civils, ainsi que de l'indemnisation de la mobilité géographique (déménagement ou éloignement du lieu de travail) et des dispositifs de reclassement dans les trois fonctions publiques et de formation. Au total, nous y consacrons 238 millions en 2011.

C'est aussi le dialogue, l'écoute et l'accompagnement individuel, avec une antenne mobilité reclassement dans chaque organisme concerné par une restructuration et des médiateurs mobilité au niveau local. Le nombre de personnes en difficulté en 2009 et 2010 se compte sur les doigts de la main. Les organisations syndicales pour les personnels civils, les commissions participatives, le conseil supérieur de la fonction militaire pour les militaires, aident à percevoir les difficultés sur le terrain, mais aussi les réussites.

L'accompagnement immobilier, ensuite. On le sait peu, le ministère gère 40% du domaine de l'Etat. La loi de programmation militaire a identifié un volume de ressources spécialement destinées aux opérations immobilières et d'infrastructure directement liées aux restructurations et réorganisations - il ne s'agit pas du Rafale à Saint-Dizier mais de dédensification et de sites à aménager. Le Parlement peut suivre la consommation des 1,2 milliards prévus à ce titre. Pour 2011, cela représente 498 millions en autorisations d'engagement. Des cessions à titre gratuit bénéficient aux collectivités les plus touchées. La Défense participe à la réduction du parc immobilier de l'Etat aux stricts besoins. Nous avons réalisé des schémas directeurs de base de défense pour les dix années à venir.

L'accompagnement économique, enfin, a été conçu dès 2008. Il a fait l'objet d'une circulaire du Premier ministre en juillet 2008. Le délégué interministériel à l'aménagement du territoire vous l'a décrit lors de son audition. Les collectivités les plus touchées élaborent des contrats de redynamisation qui peuvent ouvrir droit à l'acquisition, à l'euro symbolique, des immeubles dont la Défense n'a plus l'usage. Là où l'impact des restructurations est plus diffus sans être négligeable, des plans locaux de redynamisation peuvent être définis à l'échelle départementale. Des crédits du Fonds national d'aménagement du territoire et du Fonds pour les restructurations de la Défense (FRED) peuvent y contribuer. Sur 320 millions ainsi mobilisés, 225 millions sont destinés aux contrats de redynamisation, 75 millions aux plans locaux, et 20 millions à l'outre-mer. L'objectif fixé est de 25 contrats et 30 plans.

La délégation aux restructurations, dirigée par Hervé Oudin, qui m'accompagne aujourd'hui, s'appuie sur tous les services compétents du ministère et travaille en coordination étroite avec la Datar.

Quant au bilan, le calendrier des restructurations est respecté, les réductions d'effectifs sont au rendez-vous et les principales échéances honorées. En 2011, nous avons généralisé l'organisation autour des bases de défense. La pente de réduction des effectifs est tenue : sur 54 000 emplois à supprimer avant 2015, 53 400 ont déjà été identifiés. Rien ne laisse présager un affaiblissement de l'effort. Le ministère est tendu vers l'objectif de dégager des ressources, le différentiel de masse salariale finançant des équipements nécessaires.

Les outils d'accompagnement ont fait la preuve de leur efficacité. Même si nous sommes en ligne avec nos objectifs, nous devons rester extrêmement vigilants, ne serait-ce que parce que les marges de reclassement peuvent se rétrécir - cette problématique nous préoccupe.

Nous avons signé 14 contrats de redynamisation pour plus de 90 millions d'euros, 15 millions allant aux plans locaux de redynamisation. Le ministre a souhaité que la quasi-totalité des contrats et plans soient finalisés avant la fin de l'année. L'objectif est de construire un projet pour rebondir après les restructurations. Une trentaine d'emprises ont été cédées à l'euro symbolique. Leur valeur (50 millions) participe à la compensation des pertes subies par les territoires.

Le ministère est préoccupé par la reconversion des personnels dans la fonction publique d'Etat. Nous avons du mal à trouver des postes pour les militaires. Malgré nos efforts, le dispositif interministériel mis en place voilà dix-huit mois ne donne pas les résultats escomptés. L'échange d'informations entre ministères n'est pas parvenu à un degré de maturité suffisant et à la transparence souhaitable - il est vrai que chaque administration a ses préoccupations... A contrario, le bilan des reclassements dans la fonction publique territoriale est encourageant, avec plus de 500 militaires en 2010.

Les procédures immobilières sont longues et la réglementation pour la dépollution très contraignante. Nous nous imposons des obligations, et tout cela affecte le calendrier de mise à disposition. Un travail interministériel serait de nature à améliorer les procédures.

La réforme se met en place alors que l'engagement militaire de la France est très soutenu. On ne peut pas isoler celui-ci de celle-là, car ce sont les mêmes agents, les mêmes personnels. La Défense met à la disposition de la France et du chef des armées un outil adapté aux menaces comme aux engagements et aux choix de notre pays. Nous devons protéger le périmètre opérationnel sans renoncer aux économies recherchées. L'équilibre à trouver est délicat.

Nous entendons préserver la cohésion globale de la communauté de défense. Tous les personnels du ministère sont concernés par ses évolutions. Les accompagner est prioritaire au moment où on leur demande beaucoup. Les personnels dont le service a été regroupé à Toulon sont heureux de voir leur avenir assuré, mais, s'ils travaillent dans de meilleures conditions, le nombre de dossiers par personne est passé de 400 à 1 200 voire plus. Malgré un meilleur outil informatique, la productivité doit satisfaire à des critères plus exigeants. Le personnel doit être motivé, formé, reconnu, d'où la notion de retour. De même, j'ai passé 24 heures non stop à bord du Charles de Gaulle au large de la Libye. Nos hommes y sont depuis 50 jours, concentrés sur des missions opérationnelles. N'ont-ils pas droit, quand ils retournent dans leur base, à des capacités d'entraînement à la hauteur de l'effort opérationnel ? Cette communauté est une richesse, préservons-là. Les civils représentent aujourd'hui la moitié des personnels des armées, et l'on compte 20 000 entrées et 20 000 sorties tous les ans. Gérer ce flux de ressources humaines représente un défi permanent. Il ne faut pas fragiliser cet outil.

- Présidence M. François Patriat, président -

M. François Patriat, président. - Vous avez évoqué l'engagement des forces armées après nous avoir donné une vision presque idyllique de leur réorganisation. Certes, vous avez engagé des moyens financiers à la hauteur des enjeux que vous avez constatés, mais, vue d'en bas, la réalité n'est pas celle-là. La commune de Joigny reçoit une aide à l'investissement de 3 millions d'euros et, pour l'euro symbolique, 12 hectares de terrain, mais avec des bâtiments à maintenir hors de l'eau et un projet à monter. J'étais vendredi dans cette collectivité : les élus sont désemparés parce qu'ils ont perdu le 28e groupe géographique, envoyé à Haguenau. On se mobilise mais il y a aussi le tribunal, l'hôpital et, au total, la ville a perdu 10% de sa population. Expliquer au buraliste que la baisse de son chiffre d'affaires contribue à l'effort de défense de la France ne suffit pas.

Bien sûr, M. Houpert est content d'avoir sauvé Luxeuil et nous sommes contents pour Dijon. Pourtant, ne pourrait-on prolonger l'accompagnement et éviter le sentiment d'injustice provoqué par les variations de calcul de la compensation d'un lieu à l'autre ?

M. Christian Piotre. - Est-on armé pour traiter de cette problématique ? La Défense et la Datar souhaitent éviter le syndrome du fire and forget, tirer un missile et l'oublier. Les contrats et les plans ne dédouanent pas l'Etat de sa responsabilité, et Gérard Longuet va écrire aux préfets des territoires concernés : attention, l'Etat doit veiller au devenir des projets. L'accompagnement, c'est un plan sur plusieurs années. L'engagement financier n'est pas pour solde tout compte et nous pourrons aller au-delà. Il revient au représentant de l'Etat de poursuivre le dialogue au-delà de la signature de manière continue. Le ministère se mobilise également pour faire venir des entreprises. Je partage votre conviction, il faut prolonger l'action.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Il y a de moins en moins de militaires, ce qui nous renvoie à ce trait général de la RGPP qu'est l'externalisation, l'agencialisation des missions. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? En février, je suis allé trois jours sur les bases aériennes en Bretagne (Landivisiau, Lanvéoc, Lorient). Des missions ont été externalisées, la restauration mais aussi l'entretien des équipements, qu'assurent les constructeurs. Mais sur le Charles de Gaulle, que vous évoquiez, Sodhexo ne prépare pas les repas, et M. Dassault n'est pas présent sur le théâtre des opérations. La RGPP est-elle adaptée à la spécificité des armées ?

Un mot aussi du retour sur investissements : comment les économies réalisées améliorent-elles pouvoir d'achat des serviteurs de la République ?

M. Christian Piotre. - J'ai parlé d'une réduction de 54 000 emplois. Il convient de distinguer ici le livre blanc et la RGPP : si 18 000 emplois à caractère opérationnel ont été touchés, c'est en raison de l'évolution des armées, du fait de la disparition d'unités ou de matériel obsolète, dans le génie, l'artillerie, le train et autres régiments d'appui à la volumétrie ancienne. Le reste, c'est l'administration générale et le soutien, c'est l'administration centrale, ce sont à 75% des fonctions purement administratives sans lien avec l'opérationnel.

La réduction d'effectifs porte à 75% sur des militaires et à 25% sur des civils. Si la part de ces derniers augmente légèrement, le personnel sous statut militaire se concentre dans l'opérationnel.

Vous posez la question de l'externalisation en termes très clairs. Sur le Charles de Gaulle, les Rafale sont à 95% entretenus par les personnels militaires hautement qualifiés, l'industriel pouvant apporter des précisions techniques à nos mécaniciens et ingénieurs militaires. Voilà exactement ce que nous devons préserver. Aussi bien les enjeux de l'externalisation ne sont-ils pas très bien perçus. Nous engageons des expérimentations. L'externalisation a parfois un sens, par exemple pour la formation, comme à Cognac, où l'on achète des heures de vol et non du matériel pour l'entraînement. Nous sommes plus prudents sur l'alimentation : 8 sites vont faire l'objet d'une expérimentation - le ministère ne se jette pas dans cette affaire à corps perdu pour des raisons idéologiques. Les trois ministres qui se sont succédé depuis le début de la RGPP ont toujours été très prudents : ils ont demandé des travaux convaincants avant d'autoriser une expérimentation. Nous venons même d'avoir pour instruction de comparer non seulement entre le système actuel et son externalisation mais aussi avec son amélioration, ce qui signifie bien qu'on modernise et qu'on rationalise avant d'externaliser... J'allais oublier de répondre sur le retour sur investissement. La programmation 2011-2013 prévoit 75 millions d'euros pour le retour catégoriel vers le personnel.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Sur ?

M. Christian Piotre. - L'équation globale 2008-1011 était de 1,4 milliard sur la masse salariale, et de 900 millions pour les coûts de fonctionnement, soit 2,3 milliards, essentiellement pour l'équipement.

M. François Patriat, président. - Je vous remercie de vos réponses. N'oubliez pas les collectivités locales.

Audition de M. Jean-Jacques Brot, préfet de la Vendée

M. François Patriat, président. - Nous sommes heureux de vous recevoir, monsieur le préfet. Vous connaissez bien les territoires, puisque vous avez été affecté à Mayotte, en Eure-et-Loir, en Vendée, mais aussi à Tokyo et en Guadeloupe. Or notre mission s'efforce de dresser un bilan objectif de la RGPP et de son impact sur les collectivités. J'ai rencontré jeudi soir un sous-préfet qui me disait que la RGPP était nécessaire, que les choses allaient bien pour les cadres A et B, mais qu'il voyait chaque semaine des cadres C pleurer, accablés de travail. En Haute-Saône, la DDT demande des mois pour répondre à une question sur les points d'eau et les zones humides. Nous comprenons tous que l'Etat doive se réformer, et les collectivités assumer les tâches qui leur ont été déléguées. Mais ces dernières ont été très affectées, par exemple, par la réforme des cartes scolaire, militaire et judiciaire.

Sur la RGPP, on entend deux discours contradictoires : les uns invoquent les contraintes économiques et vantent les succès de la réforme, les autres déplorent les problèmes de terrain qui s'ensuivent. Il y a eu des réussites, comme la réforme des finances. Mais dans l'ensemble, les maires se plaignent de la complication des procédures : auparavant, ils s'adressaient à la DDA au sujet de l'eau, à la DDE au sujet des routes, à présent ils ne savent même pas s'ils doivent se tourner vers le département ou la région. Quel est d'ailleurs, selon vous, le rôle respectif des préfets de régions, des préfets de départements et des sous-préfets ?

M. Jean-Jacques Brot. - Merci de m'avoir invité. Pour ma part, je reste assez sceptique sur l'efficacité de la RGPP, même si je conçois que les traités européens et l'objectif de réduction des déficits publics la rendent nécessaire. Le principe de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux a été appliqué sans trop de discernement, et après la fermeture de divisions et de sous-préfectures viendra peut-être celle de préfectures... Prenons garde !

Je nuancerai cependant les propos que j'avais tenus devant la mission d'information sénatoriale sur la tempête Xynthia. La RGPP et la réforme de l'administration territoriale de l'Etat (RéATE) ont eu des effets positifs, comme la création de directions départementales interministérielles (DDI) qui sont de mieux en mieux connues des élus, même si des efforts restent à faire. La réorganisation des services régionaux me laisse plus dubitatif. En règle générale, on assiste au transfert des moyens financiers et humains du niveau départemental au niveau régional, non sans lien avec la réforme concomitante des collectivités territoriales. Mais le département demeure un échelon de proximité indispensable : c'est là que s'adressent en premier lieu les élus, les chefs d'entreprises et les responsables associatifs. Un palier a été atteint, et il serait dangereux d'aller plus loin dans la baisse des moyens.

Encore une fois, il y a eu des succès, comme les DDI. Les ministères des affaires sociales, du travail, de l'agriculture, de l'intérieur ont joué le jeu. Cependant il y a encore des îlots de résistance : la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DDCCRF) rechigne, ce qui a des conséquences directes au sein des directions départementales de la protection des populations (DDPP). On a créé des mastodontes régionaux comme les agences régionales de santé (ARS) ou les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). En 2011, au terme d'un prétendu « dialogue de gestion », les cinq directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) des Pays-de-la-Loire ont cédé 80 postes, mais la Dreal n'en a gagné que deux... Les réorganisations sont parfois absurdes : 40 ETP avaient été transférés de la DDTM de Vendée vers la Dreal des Pays-de-la-Loire, mais celle-ci a dû nous renvoyer des ingénieurs après la tempête Xynthia, lorsque mes services ont dû préparer les plans d'hiver...

La RGPP et la RéATE, mises en oeuvre contre l'avis du personnel et sans grande concertation avec les préfets, ont donc produit des résultats mitigés. Les trois DDI de Vendée forment avec les directeurs de la préfecture une équipe soudée et loyale, bien comprise du président et des vice-présidents du conseil général, ainsi que des communes et EPCI. Mais au niveau régional, la conférence administrative régionale qui se réunit toutes les six semaines passe plus de temps à examiner les budgets opérationnels de programmes (BOP) qu'à définir des politiques publiques. Le secrétaire général aux affaires régionales (SGAR) est de moins en moins un chargé de mission, et il assume de plus en plus la gestion des BOP.

Quant au droit d'évocation, il n'a pas trouvé à s'appliquer en Pays-de-la-Loire, mais il est parfois dévoyé. Le préfet coordonnateur du bassin d'Orléans, mon ami M. Michel Camus, s'est mis en tête de régler les arrêtés-cadres de limitation des usages de l'eau dans tous les départements du bassin, sans aucune base juridique. Souhaitant en outre que la plupart des communes adoptent un plan communal de sauvegarde, il m'a fait savoir qu'il écrirait à tous les maires du bassin. Mais en vertu de l'article 72 de la Constitution, je suis maître dans mon département !

J'espère qu'il n'y aura pas de deuxième vague de la RGPP, pas plus pour les cadres A que pour les cadres B ou C. Dans le cas contraire, je me verrais dans l'obligation d'allonger le délai de délivrance des titres, par exemple. Quoi qu'il en soit, je ferai tous mes efforts pour continuer à aider les communes et intercommunalités, ainsi que les entreprises qui s'installent, et à assurer un contrôle de légalité rigoureux, faute de quoi on s'exposera à des catastrophes, comme les vingt-neuf morts de la tempête Xynthia.

M. François Patriat, président. - Merci d'avoir parlé avec franchise, réalisme et expérience. Nous entendons parfois des discours convenus.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - J'avais déjà apprécié votre liberté de ton lors de la mission sur la tempête Xynthia. La réforme de l'administration territoriale de l'Etat et celle des collectivités territoriales privilégient l'échelon régional. Mais le département reste l'échelon de proximité. Quelles sont vos relations avec le préfet de la région Pays-de-la-Loire ? Le considérez-vous comme un supérieur hiérarchique ?

Vous avez dit que face à la pénurie, il vous faudrait bientôt faire des choix, mais quelles sont vos marges de manoeuvre ? On raisonne en général verticalement et par ministère. La règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux a surtout touché les services déconcentrés de l'Etat, et les services départementaux plus que les régionaux, car le préfet de région procède aux arbitrages.

Quel rôle les sous-préfectures peuvent-elles encore jouer? Sont-elles nécessaires, selon vous, pour que l'Etat reste proche des citoyens et des élus ?

Les services déconcentrés ont un caractère de plus en plus interministériel, mais les préfets dépendent toujours du ministère de l'intérieur. Ne serait-il pas plus judicieux de vous rattacher au Premier ministre ? Vous avez eu raison d'évoquer quelques mastodontes : les ARS, mais aussi les services des finances et de l'éducation nationale.

Je voudrais aussi aborder la question de l'ingénierie publique. Vous l'avez dit à l'occasion de la tempête Xynthia : il vous paraît impossible que les préfectures continuent à instruire les dossiers de permis de construire et à assurer en même temps le contrôle de légalité, car c'est être à la fois juge et partie. Qu'est-ce donc que les collectivités peuvent continuer à attendre de l'Etat ? Pour ce qui est du contrôle de légalité, contrôlez-vous tous les actes, comme la loi l'impose en principe ? Ou lesquels contrôlez-vous en priorité ?

M. Jean-Jacques Brot. - Comme vous l'avez dit, les moyens humains et financiers continuent à être alloués verticalement, et le dialogue de gestion n'a pas lieu entre le préfet de région et celui du département, mais par exemple entre la DDTM, la Dreal et le ministère de l'écologie. Un lien quasi hiérarchique s'est créé entre les DDTM et les Dreal, et le préfet de département est peu à peu mis hors jeu.

Mes relations avec le préfet de région, dans le Centre comme en Pays-de-la-Loire, ont toujours été excellentes, et nous n'avons même pas trouvé le moyen d'appliquer le droit d'évocation du préfet de région, même si je souhaiterais que la Vendée et la Loire-Atlantique coordonnent leurs politiques sur l'éolien off-shore, l'extraction de granulats marins ou la défense contre la mer. Mais vu le champ immense des politiques publiques et le temps requis par les arbitrages sur les BOP, nos rapports sont condamnés à rester un peu superficiels. J'aimerais d'ailleurs passer plus de temps à définir les politiques publiques qu'à discuter des moyens. La gestion des demandes d'asile a été transférée des départements aux régions ; en conséquence, les autorisations provisoires de séjour sont délivrées en quatre semaines au lieu de deux jours, et l'on doit pour loger les nouveaux venus puiser sur le BOP 177 destiné aux personnes sans domicile fixe. Voilà un bel exemple d'inefficacité de la RGPP !

Quant aux sous-préfectures, leur rôle doit évoluer, mais il faut absolument les maintenir si l'on veut éviter un déséquilibre entre le chef-lieu et le reste du département. En Vendée, la sous-préfecture de Fontenay-le-Comte a vu ses effectifs diminuer de moitié ; elle ne s'occupe plus de contrôle de légalité et ne délivre plus de titres, mais se concentre sur l'accompagnement des entreprises et des collectivités, notamment pour les programmes de développement territorial. Aux Sables-d'Olonne, plusieurs services de délivrance de titres ont été maintenus, ainsi que des services d'ingénierie territoriale : aide aux collectivités, aux entreprises, mais aussi aux associations pour l'hébergement d'urgence ou l'accueil des gens du voyage. Les sous-préfectures assurent des missions de proximité, et il faut y maintenir des cadres A, B et C.

Sur la carte des sous-préfectures, j'exprimerai un avis qui n'est peut-être pas celui du ministère de l'intérieur. Dans les départements ruraux, sans doute est-il possible de regrouper certaines sous-préfectures, là où elles sont nombreuses comme dans les Deux-Sèvres, en Charente-Maritime ou en Gironde, mais il faut veiller à ce que les gens n'aient pas à parcourir des kilomètres pour une carte d'identité ou un passeport. Dans les zones urbaines sensibles, en revanche, il est indispensable de maintenir toutes les sous-préfectures existantes, voire d'en créer. A Boulogne-Billancourt, par exemple, la sous-préfecture a joué un rôle crucial dans la politique de la ville, avec les collectivités et les associations.

Depuis 1802, le corps préfectoral dépend du ministère de l'intérieur, mais nos missions de plus en plus interministérielles rendent tout à fait légitime que l'on s'interroge sur un rattachement au Premier ministre. Sur le BOP 133, qui définit les moyens alloués aux DDI, notre interlocuteur est déjà le secrétariat général du Gouvernement. D'ailleurs, en vertu de l'article 72 de la Constitution, le préfet représente tous les membres du Gouvernement.

Sur l'ingénierie publique, je répéterai ce que j'ai dit l'an dernier. Depuis lors, l'affaire Xynthia est passée à l'ère médiatico-judiciaire, et le maire se défend en arguant que la DDE a instruit les dossiers et la préfecture exercé son contrôle de légalité. Il est indispensable que les collectivités se dotent de services d'ingénierie publique ou recourent par convention aux services de bureaux d'études.

M. François Patriat, président. - Avec quel argent ?

M. Jean-Jacques Brot. - Cela suppose bien sûr de revoir les dotations. Mais le système actuel ne garantit ni le préfet, ni les maires contre les poursuites.

En 2010 la préfecture de Vendée a reçu 88 990 actes, elle en a effectivement contrôlé 12 191, elle a émis des observations sur 241 d'entre eux et n'en a déféré que dix - dont neuf dans le domaine de l'urbanisme et un seul concernant la fonction publique territoriale. Il faut s'interroger sur les modalités d'exercice du contrôle de légalité. Faut-il sélectionner de manière aléatoire les actes, ou identifier des « dossiers à fort enjeu », comme dans l'administration fiscale ? En Vendée, l'urbanisme et les marchés publics me semblent être les sujets prioritaires. Quoi qu'il en soit, nous devons disposer de structures juridiques fortes. La préfecture de Vendée compte quatre bureaux d'études consacrés au contrôle juridique interministériel, dont un qui ne s'occupe que de contentieux interministériel, et nous gagnons la plupart de nos procès.

Comme je l'ai dit à l'assemblée des maires, la baisse de nos moyens nous obligera à faire des choix. Ma préfecture perd sept emplois par an, et compte désormais moins de deux cents agents pour 636 000 habitants, alors que la commune des Herbiers en compte 230 pour 15 000 habitants... Quoi qu'il arrive, je continuerai à aider les responsables consulaires et les entreprises, notamment au sujet des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) qui posent de redoutables problèmes juridiques, et à assurer le contrôle de légalité pour protéger les élus autant que la préfecture.

La mutualisation a réussi lorsqu'elle ne s'est pas faite de manière technocratique. Nous n'avons pas attendu la RGPP pour mettre en place le standard commun à Nantes et La-Roche-sur-Yon, ni pour mutualiser certaines fonctions juridiques ; je compte le faire aussi pour la communication. En revanche, mutualiser les achats au niveau national par le biais de l'Union des groupements d'achats publics (UGAP) ne fait faire aucune économie.

Les préfectures et sous-préfectures ne doivent pas être privées des moyens humains et financiers dont elles ont besoin. Je suis obsédé par la proximité, surtout en cette période de crise sociale : le nombre de surendettés a augmenté de 50 % en Vendée. Les citoyens comme les élus ont besoin du corps préfectoral ; ils ont besoin d'être écoutés, je dirai même d'être aimés.

M. Gérard Miquel. - Dans le Lot, j'ai soutenu les efforts de réorganisation de l'ancien préfet M. Georges Geoffrey. Mais votre exposé me confirme dans le sentiment que le jacobinisme n'est pas mort en France ; il a même repris une nouvelle vigueur depuis quelque temps. Certes, les collectivités doivent assumer les compétences qui leur ont été attribuées. Mais peut-on faire remonter tous les dossiers au niveau régional, alors que la région Midi-Pyrénées est plus grande que la Belgique ? Vous n'imaginez pas la difficulté que l'on a à obtenir un avis de la DREAL ! Il était question de construire une plateforme de distribution de Mr Bricolage pour le grand Sud-Ouest, et d'abattre pour cela quelques chênes du Causse : il a fallu un an pour obtenir le permis de construire ! Les inspecteurs d'établissements classés ne connaissent plus le terrain, et je ne parle même pas des ARS... Les élus ont besoin d'un Etat facilitateur, mais on ne fait que compliquer les choses.

M. Jean-Jacques Brot. - Je connais bien le Lot, puisque j'ai une maison à Cavagnac. Votre diagnostic est juste. Autrefois, pour obtenir un avis sur un plan local d'urbanisme, on se tournait vers la DDE ou la DDT, mais aujourd'hui il faut s'adresser à la Dreal. Les agents de la Dreal se prononcent depuis le chef-lieu de région - Toulouse ou Nantes - sans jamais se déplacer sur le terrain, et le préfet de département doit parfois se battre pour obtenir la révision d'un avis négatif. En mars 2010, un mois après Xynthia, je voulais entreprendre des travaux d'urgence à La-Faute-sur-Mer pour consolider un cordon dunaire, mais un fonctionnaire de la Dreal n'était pas d'accord ; pour me couvrir, j'ai écrit que si je n'étais pas autorisé à faire ces travaux, la Dreal répondrait des conséquences d'une inondation, et éventuellement des morts, et c'est alors seulement que j'ai obtenu gain de cause. Mais que de temps et d'agent perdus !

La décentralisation devait s'accompagner d'une déconcentration des services de l'Etat. C'est cet équilibre que perturbe la RGPP. Les élus locaux et les préfets travaillent chaque jour ensemble sur le terrain, pour l'intérêt général ; ils sont d'ailleurs co-responsables des défaillances et, le cas échéant, co-inculpés. Il est absurde qu'un préfet de bassin veuille se mêler des plans de prévention des risques d'incendie, car ce sont le préfet de département et le maire que la loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août 2004 rend responsables devant les tribunaux !

Face à l'émiettement et à l'avalanche normative, il faut retrouver le bon sens républicain. Vous avez raison de mettre en cause un mauvais jacobinisme, qu'il ne faut pas confondre avec celui d'un grand républicain comme Clemenceau. Revenons à une vision départementaliste, à une proximité garante du pacte républicain. Nos concitoyens, de même que les élus égarés par les rapides évolutions réglementaires, ont besoin d'être entendus et soutenus.

M. Gérard Bailly. - Pensez-vous que les conséquences de la RGPP soient les mêmes dans les départements où sont situés les chefs-lieux de région, et où le préfet de région est aussi préfet de département ?

Qui a eu l'idée saugrenue de faire traiter au niveau régional les questions environnementales ? Dans ce domaine plus qu'ailleurs, il faut être proche du terrain et pouvoir se déplacer. J'ai posé une question écrite au Gouvernement à ce sujet, mais je n'ai pas eu de réponse.

Nous avons voté plusieurs lois de simplification du droit. Constatez-vous dans les faits une simplification des normes ?

Des maires se plaignent que certains fonctionnaires leur mettent des bâtons dans les roues pour prouver que le système ne fonctionne pas. Pensez-vous que cela soit fondé ?

Enfin, les agriculteurs étaient inquiets de la suppression des directions départementales de l'agriculture, et craignaient même que l'instruction des dossiers n'échappe au ministère de l'agriculture pour être confiée à celui de l'équipement. Qu'en est-il réellement ?

M. Jean-Jacques Brot. - Pour répondre à votre première question, les préfets de régions sont accaparés par les dossiers régionaux - finances, visites ministérielles, etc. - et ils n'ont pas le temps de s'occuper des questions départementales : M. Jean Daubigny, préfet des Pays-de-la-Loire et de Loire-Atlantique, s'en plaignait récemment auprès de moi.

Je ne sais pas qui a eu le vice de vouloir confier aux préfectures de régions la gestion de l'environnement, mais c'est un vice répandu ! Un décret en préparation prévoit de transférer au niveau régional les commissions départementales des objets mobiliers - chargées de classer les objets au patrimoine et d'assurer leur entretien - et par conséquent les conservateurs des objets d'art et antiquités. Mais dans ce domaine comme dans celui de l'environnement, il faut être proche du terrain, sillonner le pays, travailler avec les sociétés savantes dans un cas, les associations de chasseurs ou de pêcheurs de l'autre ! Une manie technocratique de la régionalisation s'est emparée de certains cercles parisiens...

On est bien loin d'assister à une simplification des normes ! Cela fait des mois que je demande à cor et à cri une simplification des dispositions du code minier relatives à l'extraction de granulats en mer. Actuellement, le code impose une enquête publique, puis une concertation conduite par le préfet de département et le préfet maritime, après quoi le ministre chargé de l'industrie établit le titre minier, pour qu'enfin le préfet de département puisse délivrer l'autorisation. On pourrait faire plus simple ! Le sujet est sensible, puisque l'extraction peut abîmer les côtes.

De même, le nouveau système d'immatriculation des véhicules nous fait perdre le temps gagné grâce au passeport biométrique, car les documents établis par les professionnels doivent le plus souvent être revus en préfecture.

M. François Patriat, président. - Et c'est le contribuable qui paie !

M. Jean-Jacques Brot. - Il paie même deux fois, chez le garagiste, et pour financer le travail des préfectures.

On se heurte indéniablement aux résistances de certains syndicats, mais aussi d'agents des anciennes directions départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui estiment que leur culture n'est pas compatible avec celle des directions des services vétérinaires. Pour manifester leur mécontentement, ils se montrent extrêmement tatillons : au Puy-du-Fou, ils sont allés vérifier huit fois que l'on vendait bien du jambon de Vendée... En revanche, France Domaine fait un travail remarquable : suite à la tempête Xynthia, nous avons acheté en huit mois 660 propriétés. Il est rare que les résistances viennent des ministères. Mais je me suis trouvé dans une situation ubuesque lorsque j'ai voulu faire réparer le portail de la sous-préfecture de Fontenay, endommagé par un malfaiteur ; il s'agissait de recourir au BOP 309, qui finance les travaux dans les immeubles appartenant à l'Etat. Il a fallu quatre mois pour obtenir l'autorisation d'effectuer ces travaux, d'un coût de 356 euros ! Naturellement, j'avais fait réparer le portail sans attendre...

Les agriculteurs étaient inquiets, en effet, de la disparition des DDA, et en Vendée comme en Eure-et-Loir ils ont fait pression pour que l'ancien directeur de l'agriculture prenne la tête de la nouvelle direction départementale de l'équipement et de l'agriculture (DDEA). Mais ils ont été rassurés de voir que le préfet continuait à s'occuper des problèmes : eau, nitrate, phosphore, etc.

M. Jean-Luc Fichet. - Vous avez parlé de bon sens républicain. Eh bien ! le bon sens implique de sauvegarder des échelons de proximité dans l'administration de l'Etat. Je suis de plus en plus inquiet de l'avenir des sous-préfectures, car j'entends à ce sujet les avis les plus variés : certains disent qu'elles sont devenus superflues dans les campagnes, d'autres au contraire considèrent qu'il faut les y maintenir pour éviter que les usagers ne parcourent des distances trop longues, mais qu'ailleurs la préfecture suffit.

Il est heureux que certaines sous-préfectures subsistent, encore faudrait-il qu'elles aient les moyens de fonctionner. Je suis maire de Lanmeur, dans le Finistère, et je m'adresse de moins en moins à la sous-préfecture, car je tombe le plus souvent sur un répondeur téléphonique... D'après M. Alain Rousset, plutôt que de maintenir des sous-préfectures dénuées de moyens, il vaut mieux préserver les services publics essentiels : santé, éducation, etc. Qu'en pensez-vous ? Les sous-préfectures sont-elles vouées à disparaître ?

On se proposait, grâce à la RGPP, de faire des économies. Ce but est-il atteint ?

M. Jean-Jacques Brot. - Je me suis mal fait comprendre : je considère que les sous-préfectures sont indispensables, surtout dans les zones urbaines sensibles où elles travaillent en étroite collaboration avec les associations et les élus dans les domaines de la politique de la ville et de la sécurité. Dans certains départements ruraux, il est peut-être possible d'en regrouper, afin de préserver le conseil aux élus et aux entreprises tout en maintenant des services de délivrance des titres à une distance raisonnable des usagers. A la sous-préfecture de Fontenay-le-Comte, je vous l'ai dit, on ne délivre plus de titres, mais il y aura bientôt une « maison des services publics » où je compte installer peut-être les inspecteurs de l'éducation nationale - j'avais pensé à l'établissement public du marais poitevin, mais celui-ci est appelé à se développer, les agences et établissements publics de l'Etat étant beaucoup moins affectés par la RGPP que les services préfectoraux... Aux Sables-d'Olonne, il y aura bientôt un troisième fonctionnaire de catégorie A, et je compte installer la subdivision de la mer. Le sous-préfet doit être un facilitateur, et même s'il n'est pas compétent sur tous les dossiers, il sait à qui s'adresser.

La RGPP a-t-elle fait faire des économies à l'Etat ?

M. François Patriat, président. - M. Baroin parle de 7 milliards.

M. Jean-Jacques Brot. - De par ma fonction, je ne peux qu'acquiescer...

M. François Patriat, président. - Monsieur le préfet, merci : ce fut une des auditions les plus vivantes que nous ayons menées. Si notre rapport est à l'avenant, je crois qu'il pourra recueillir l'assentiment général.

Jeudi 12 mai 2011

- Présidence de M. François Patriat, président -

Audition de M. André Marcon, président de l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI)

M. François Patriat, président. - Notre mission a déjà entendu des représentants des collectivités locales, des usagers, des syndicats, ainsi que des ministres, des hauts fonctionnaires et la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire (DATAR). Votre point de vue nous intéresse d'autant plus que les chambres de commerce et d'industrie (CCI) sont également engagées dans un processus de réforme. En quelque sorte, vous faites votre propre RGPP. Une comparaison entre ces deux mouvements menés en parallèle paraît donc d'autant plus instructive.

M. André Marcon, président de l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI). - La réforme des CCI a en effet été accomplie, comme la RGPP, en vue de pouvoir dégager des économies. Elle n'a pas été simple à mener mais elle répond à une forte contrainte qui va peser sur les recettes des chambres dans les années à venir. Comme chacun le sait, une fusion n'est jamais facile à réaliser. Celle des chambres a suscité beaucoup de débats, mais la réorganisation est désormais en cours.

La RGPP représente pour nous un élément positif dans la mesure où elle vise à restructurer et à réorganiser efficacement les services de l'Etat. La question qu'elle pose réside dans le maintien du niveau de service de la part de l'Etat dans un contexte de réduction des moyens. De notre point de vue, cette réforme souffre d'un manque de lisibilité, notamment concernant les partenaires qui sont désormais amenés à dialoguer avec les CCI. D'une manière générale, on peut regretter une certaine perte de la culture commune qui faisait jusqu'à présent la force des services de l'Etat. On constate par ailleurs des différences notables dans les réponses qui sont apportées aux CCI selon les départements.

Dans la région Languedoc-Roussillon par exemple, il est manifeste que la logique des « silos » qui caractérisait les services de l'Etat, a été remplacée par une approche plus globale facilitant les relations de travail. En revanche, dans la région Bretagne, la lisibilité de la réforme est faible et on doit déplorer non seulement l'absence d'une stratégie globale mais aussi des interférences dans les actions menées dans le domaine international. Sur ce dernier point, on peut regretter la disparition de la direction régionale du commerce extérieur (DRCE) qui garantissait auparavant une meilleure répartition des compétences. Du point de vue des petites et moyennes entreprises (PME), il est difficile de trouver un interlocuteur dans chaque service de l'Etat.

Au niveau départemental, la relation avec les services de l'Etat est très bonne dans les Alpes-Maritimes et dans le Gers, par exemple. On peut cependant déplorer une moindre fluidité dès lors qu'on passe au niveau régional.

Au total, la RGPP doit encore réaliser des progrès pour une plus grande efficacité au niveau territorial. Ces difficultés sont d'ailleurs très comparables à celles rencontrées dans le cadre de la réforme des CCI et de la mise en place des CCI territoriales prochainement rattachées à la région.

M. François Patriat, président. - N'y a-t-il pas une contradiction entre la volonté de l'Etat de resserrer ses moyens sur les missions régaliennes et la reprise en main de certaines autres missions (missions exportation, innovation, apprentissage...) ? Par ailleurs, dans le cadre de la réforme des CCI, vous avez opté, à juste titre, pour privilégier le niveau régional. Il en est de même dans le cadre de la RGPP, mais l'échelon départemental est par ailleurs conforté par les lois de 2004 et 2010 relatives à la décentralisation et à l'organisation territoriale. N'y a-t-il pas là une seconde contradiction ?

M. André Marcon. - Nous constatons des redondances entre les structures de l'Etat et nous souhaitons un Etat « architecte » qui permette de répondre à la question : qui fait quoi et comment ?

La réduction des effectifs de l'Etat a en outre pour effet d'affaiblir l'offre en ingénierie. Selon nous, l'Etat doit désormais s'appuyer sur une ingénierie extérieure.

Nous souhaitons également que l'Etat soit « animateur » dans des domaines tels que l'action à l'international, l'intelligence économique ou l'innovation par exemple. Il s'agit là d'une condition d'efficacité et de réduction de la dépense.

Alors qu'auparavant les chambres avaient un très bon contact avec les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), il n'en va pas de même avec les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Il faut donc maintenant renouer avec un système plus efficient au coeur duquel l'Etat devient « animateur ».

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Quel bilan tirez-vous de la création des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), en particulier dans l'aide qu'elles peuvent apporter aux jeunes entreprises ?

Quel jugement portez-vous sur le fonctionnement des DREAL ? Leur action porte-t-elle sur l'accompagnement des entreprises ou plutôt sur la seule application des réglementations ?

La mise en oeuvre du nouveau système d'immatriculation des véhicules (SIV) a fait l'objet d'appréciations contradictoires devant notre commission. Quel impact a-t-il, selon vous, sur les professionnels de l'automobile et les usagers ?

Quelles sont les conséquences de Chorus en matière de délais de paiement ?

Quelles sont vos préconisations pour améliorer les résultats actuels de la RGPP ?

M. André Marcon. - Après une phase d'expérimentation, les DIRECCTE ont fait de grands progrès. Elles doivent toutefois concilier des cultures différentes entre les ex-DRIR et les anciennes directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation (DDEFT), cette situation ne facilitant pas le lancement des projets.

Du côté des DREAL, il faut déplorer qu'elles ne soient plus centrées sur l'opérationnel. Auparavant, avec les DRIRE, il était possible de parler directement à l'ingénieur.

Dans le domaine des cartes grises, les premières difficultés ont été assez vite résolues. La filière automobile n'a pas donné de consignes particulières concernant la commission perçue par les professionnels procédant aux opérations d'immatriculation. Empiriquement, on constate que cette commission s'élève en général entre quarante euros et cinquante euros.

M. François Patriat, président. - Hier, le préfet de la Vendée nous disait que les professionnels de l'automobile remplissent mal les pièces du dossier et qu'il était nécessaire ensuite de refaire le travail dans les préfectures.

M. André Marcon. - Nous n'avons pas eu ce retour du terrain. S'agissant de l'entrée en application de Chorus, il nous semble que ce nouveau système d'information correspond à une initiative intéressante visant à gagner en efficience dans le domaine de la commande publique. Je veux toutefois souligner que cette commande publique ne doit pas systématiquement relever du niveau national, car le service après-vente a besoin de proximité pour être efficace.

La première de nos préconisations consisterait à définir plus clairement les rôles de l'échelon régional et du niveau départemental, notamment dans le cas des services économiques. Nous sommes candidats pour faire de la maîtrise d'oeuvre. Ainsi, par exemple, des référents PME pourraient utilement être mis en place avec le concours des CCI qui disposent d'une excellente connaissance du terrain. Actuellement, on confie des missions aux chambres sans augmenter leurs moyens : la gestion de l'aide aux demandeurs d'emploi créant ou reprenant une entreprise (ACCRE), les contrats d'apprentissage...

La deuxième de nos préconisations réside dans la recherche d'une plus grande simplification, celle-ci passant notamment par la dématérialisation. Cette dématérialisation débouche malheureusement trop souvent sur de véritables usines à gaz et les résultats seraient probablement meilleurs si cette démarche était initiée avec une plus grande proximité du terrain.

M. Jean-Luc Fichet. - La RGPP a-t-elle des implications s'agissant des relations entre les chambres consulaires ?

M. André Marcon. - Lors de la récente réforme des CCI, on est passé à côté de la chance de créer une chambre économique regroupant le commerce, les métiers, l'industrie... La France est le seul pays en Europe ne disposant pas d'une telle chambre. Je milite fortement pour ma part en faveur de l'interconsulaire qui a donné de bons résultats, par exemple, dans le Massif central.

M. Adrien Gouteyron. - Vous nous avez fait part des différences de réponses données par l'Etat selon les départements. Il existe en effet dans notre pays une très grande diversité de situations en fonction des régions et des départements.

J'aimerais savoir ce qui caractérise désormais, selon vous, le rôle des préfets. Y a-t-il des différences entre les préfets dans le domaine de l'animation des politiques ?

M. André Marcon. - Les pôles d'excellence rurale (PER) constituent un bon exemple des différences de réponses que peut donner l'Etat selon les territoires. J'ai personnellement eu beaucoup de difficultés avec ma préfecture lorsque j'ai voulu monter un PER. La préfecture de département m'en a en effet dissuadé en m'assurant que ce pôle ne serait pas éligible à l'aide. Ce PER a cependant reçu le plein agrément de la préfecture de région ainsi qu'à Paris, sans difficulté. On m'a même dit que je n'avais pas assez demandé ! J'ai apporté mon soutien à d'autres projets dans le Gers et dans le Gard avec l'aide active des préfectures de département.

M. François Patriat, président. - De ce que vous nous expliquez, je comprends donc que l'Etat a perdu en compétence du fait de la RGPP.

M. André Marcon. - Avant la RGPP, le préfet de région était d'abord un préfet de département. Selon mon expérience personnelle en Auvergne, cette tendance s'est inversée et il est certain que les préfets de région doivent avant tout se préoccuper de la région.

M. François Patriat, président. - Vous avez créé des antennes territorialisées des CCI, ce qui est intéressant dans le cadre de la réflexion sur le lien entre la région et le département.

J'ai beaucoup porté la dématérialisation dans ma région avec notamment la création d'une plateforme dématérialisée de services aux entreprises qui fonctionne bien (« e-Bourgogne »).

M. André Marcon. - Les CCI territoriales ne sont pas des antennes territorialisées mais des établissements publics rattachés à la région et où chaque département est représenté par des élus. Elles visent à permettre certaines mutualisations telles que dans le domaine de la paie par exemple.

Lorsqu'on réfléchit à la dématérialisation, encore faut-il prendre soin que les systèmes puissent se parler entre eux. A cet égard, il convient de travailler en « cluster », c'est-à-dire en « grappes » afin de permettre l'appropriation du nouvel outil par le plus grand nombre, comme ce fut le cas en Bourgogne. Pour réussir la dématérialisation, il faut simplifier et passer outre une administration trop souvent marquée par le respect de procédures rigides.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Comment est ressentie par les entreprises la fusion des services des impôts et de ceux du Trésor dans les nouvelles directions départementales des finances publiques ?

M. André Marcon. - Cette fusion est trop récente pour qu'on puisse en tirer un bilan. Elle renvoie toutefois à une simplification utile mettant fin à une séparation des services qui était assez kafkaïenne.