Mardi 21 juin 2011

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président, et de M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication -

Les investissements d'avenir - Audition de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

La commission de l'économie procède, en commun avec la commission de la culture, à l'audition de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur les investissements d'avenir.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Madame la Ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui pour parler d'un sujet qui nous tient à coeur, à la commission de l'économie : la recherche appliquée. Sur les 35 milliards que la loi de finances rectificative du 9 mars 2010 a ouverts pour les investissements d'avenir, la mission « recherche et enseignement supérieur » s'en est vu attribuer 21,6, soit 62,5 % du total. Aussi sommes nous très intéressés par le point que vous allez nous faire sur ce plan très ambitieux pour l'avenir de la recherche et de l'innovation dans notre pays. Quels projets, quels équipements d'excellence ont été retenus au terme de cette première tranche d'appels à projets et comment l'Agence nationale de la recherche (ANR) est-elle impliquée dans ces financements ?

Au-delà de cet aspect financier, la recherche française souffre de faiblesses structurelles, notamment d'un lien difficile entre recherche fondamentale et appliquée, d'une capacité de recherche insuffisante de nos entreprises - notamment de nos PME - et du faible attrait de la carrière de chercheur dans notre pays. Le rapport pour 2011 de la Commission européenne sur l'innovation fait état d'un écart grandissant entre l'Europe et ses concurrents, du fait du faible effort de recherche de ses entreprises. Cette situation risque-t-elle de perdurer ? Quelles réponses peut-on y apporter ? Selon vous, la mise en place des pôles de compétitivité fait-elle partie de ces réponses ?

M. Jacques Legendre, président. - Nos deux commissions attachent à la recherche une égale importance et je remercie le président Emorine d'avoir souhaité cette audition conjointe sur un sujet sur lequel on nous interroge souvent dans nos départements ou dans nos régions.

La loi définissant l'emploi des investissements d'avenir a privilégié l'économie numérique. Pouvez-vous nous en dire plus sur les appels à projet dans ce domaine et notamment dans celui de l'e-éducation ?

L'enseignement supérieur privé associatif n'a pas bénéficié de la même manne que le public, lequel s'est vu attribuer depuis 2008 une augmentation de la dépense publique de 1 710 euros par étudiant contre seulement 210 euros au privé, malgré la contractualisation. Pouvez-vous nous dire si l'enseignement privé, au-delà de l'effort budgétaire, profitera des investissements d'avenir ?

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. - En 2007, la France souffrait en effet d'une capacité d'innovation insuffisante. C'est surtout du côté du privé que le bât blessait puisque la recherche-développement (R&D) publique atteignait 1 % du PIB, conformément aux objectifs de Lisbonne. En revanche, la R&D privée était bien en deçà de l'objectif de 2 % puisque son pourcentage n'était que de 1,07. Depuis, le crédit d'impôt recherche (CIR) a permis d'améliorer le niveau de la recherche privée, si bien qu'en 2009 le pourcentage total atteignait 2,21 % du PIB, loin, cependant du score allemand de 2,8 %. L'enjeu est donc que les entreprises investissent davantage dans la R&D et que laboratoires publics et privés travaillent ensemble pour assurer l'indispensable continuum entre recherches fondamentale et appliquée. Nous sommes en effet au cinquième rang mondial pour la recherche fondamentale et les publications...

M. Daniel Raoul. - Merci les mathématiques !

Mme Valérie Pécresse, ministre. - ...mais seulement au douzième pour l'innovation ; et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) comme l'Union européenne nous classent dans la catégorie des « pays suiveurs ». L'autonomie des universités, le CIR et le « grand emprunt » que nous avons décidé d'investir en majeure partie dans l'enseignement supérieur et la recherche permettent de remonter le courant. Tous ces crédits permettront également de rapprocher public et privé puisque le caractère partenarial entre les deux secteurs est un critère essentiel de sélection dans les appels à projets. A côté des universités, les pôles de compétitivité ont donc un rôle essentiel à jouer dans cette entreprise.

Nous sélectionnons les projets sur trois critères : le partenariat public/privé, l'excellence scientifique, le retour sur investissement, dans sa dimension économique et sociétale. Et nous avons défini trois axes pour notre stratégie nationale de R&D : l'agriculture, l'alimentation et la santé ; l'environnement et l'énergie ; la communication et les nanotechnologies. Chaque appel à projet est mené selon un cahier des charges rigoureux, et soumis à un jury international afin d'éviter les conflits d'intérêts. Cette démarche a suscité l'engouement du monde de la recherche et a reçu un très fort soutien des élus locaux : plus de 800 projets ont été déposés.

Nous arrivons au terme de la première vague des projets d'investissements pour l'avenir : 220 projets ont été sélectionnés et plus de 10 milliards d'euros, sur les 22 prévus pour la recherche, ont été engagés. Nous attendons pour le 15 juillet le résultat des initiatives d'excellence.

Je vous rappelle les trois objectifs des investissements d'avenir. Il s'agit d'abord de sélectionner une dizaine de pôles universitaires et de recherche à visibilité mondiale - les initiatives d'excellence. Ensuite, de relever les défis technologiques essentiels pour sortir renforcés de la crise - robotique, équipements de santé ou capacités de génotypage conformes aux standards mondiaux. Enfin, de relever les défis sociétaux de l'époque : environnement, énergies renouvelables, vieillissement, obésité, cancer, numérique.

Je n'ai pas chiffré les appels à projets numériques - qui ne relèvent pas de mon ministère - mais j'ai demandé aux universités, et Luc Chatel a fait de même pour les écoles, de présenter des projets d'e-éducation. Nous en aurons donc un qui sera à partager avec le ministre en charge de l'éducation. Il sera aussi possible de redéployer quelques crédits de la mission interministérielle « recherche et enseignement supérieur » sur des pédagogies et des diplômes d'excellence et de faire de l'e-éducation l'un des instruments de l'innovation pédagogique dans le supérieur. Ce ne sera pas le seul car il y aura aussi la possibilité de diplômes bilingues, de diplômes passerelles, de diplômes en alternance, de diplômes pluridisciplinaires - sciences, lettres, droit et gestion -, de diplômes bidisciplinaires en médecine afin que ceux qui échouent du fait du numerus clausus puissent se réorienter sans reprendre leurs études à zéro. On voit émerger dans les universités autonomes toute une série de nouveaux diplômes, surtout de premier cycle. Si on utilisait une partie du « grand emprunt » pour ces expériences pédagogiques, cela permettrait de faire émerger ces initiatives d'excellence pédagogique et de compléter la palette d'outils qui va des équipements, laboratoires et initiatives d'excellence aux instituts hospitalo-universitaires (IHU) et aux instituts de recherche technologique ou d'énergie décarbonée. Dans cette palette, manque le volet formation car il faudra aussi faire fonctionner ces nouveaux laboratoires qui ont besoin de personnels qualifiés, par exemple en informatique ou en énergies renouvelables.

Depuis 2007, nous avons augmenté de 30 % les moyens de l'enseignement supérieur privé. Mais les comparaisons entre public et privé sont difficiles à faire car la masse salariale du privé n'est pas prise en charge par l'État et ces établissements ont la possibilité de demander des droits d'inscription à leurs étudiants. Cela dit, ces établissements d'enseignement supérieur privé peuvent tout à fait poser leur candidature dans les appels à projets. Il faut toutefois reconnaître qu'ils ont très peu de laboratoires de recherche. Notre stratégie est de les intégrer dans les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES).

M. Daniel Raoul, rapporteur pour avis pour la commission de l'économie de la mission interministérielle « recherche et enseignement supérieur ». - Je suis favorable, bien sûr, au rapprochement entre entreprises et universités. Cela dit, je ne comprends pas grand-chose à la nébuleuse des investissements d'avenir, aux « équipex », « labex », IRT et autres IHU. Prenons l'exemple de l'axe « santé, agriculture, alimentations » - de la fourche à la bouche ou du génome à l'assiette : comment tout cela constituera-t-il de véritables pôles d'enseignement supérieur, éventuellement déconnectés des pôles de compétitivité qui pourtant ont fait leur preuves ? Les cloisons entre public et privé sont tombées, ainsi que les appréhensions réciproques. Les pôles de compétitivité auront au moins eu ce résultat. Dès lors que les jurys internationaux s'attachent plutôt aux aspects académiques des projets, qu'en est-il de l'aménagement du territoire ? Comment pondérez-vous les deux critères dans la sélection ?

Nous avons été déçus par la mésaventure arrivée aux crédits pour les jeunes entreprises innovantes (JEI). C'est un sale coup pour l'innovation. Et sur le CIR, je regrette qu'un amendement adopté à l'unanimité par notre commission, et orientant ce crédit impôt en direction des petites et moyennes entreprises (PME), ait été repoussé par notre éminente commission des finances. L'augmentation du montant du CIR est spectaculaire, c'est vrai, mais le résultat en termes de R&D n'est pas en corrélation avec cette augmentation ; c'est presque le contraire. Il y a là un vrai problème d'affectation ; ce crédit d'impôt devrait davantage aller vers l'innovation. Notre commission de l'économie est unanime pour penser qu'il faut faire davantage pour les PME, trop petites et sous-capitalisées. Le CIR ne peut faire que ces petites entreprises aient la taille critique suffisante pour permettre de se lancer dans la R&D.

M. Michel Houel, rapporteur pour avis pour la commission de l'économie de la mission interministérielle « recherche et enseignement supérieur ». - Le plateau de Saclay est un cluster au potentiel de recherche et de formation exceptionnel, mêlant écoles et entreprises de très haut niveau. Nous avions d'ailleurs pu en juger lors de l'examen du texte sur le « grand Paris » en nous y rendant. Il a pourtant été recalé, lors de la première vague d'appels à projets des initiatives d'excellence. Sa candidature sera réexaminée à l'automne, lors d'une deuxième vague. Comment expliquez-vous cet échec, et où en désormais est le dossier ?

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur pour avis pour la commission de la culture de la mission interministérielle « recherche et enseignement supérieur ». - Je reconnais, même si je ne l'ai pas votée, que votre réforme universitaire, la plus importante depuis trente ans, a engagé notre pays dans la voie du XXIe siècle, et je vous en félicite. Mais j'ai quelques inquiétudes. Je souhaiterais qu'on en revienne à l'ancien régime des JEI. Et pourriez-vous préciser le rôle des instituts Carnot ? Quels moyens y sont consacrés ? Comment et par qui sera évalué l'emploi des crédits d'investissement ?

M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis pour la commission de la culture de la mission interministérielle « recherche et enseignement supérieur ». - J'ai le plaisir de siéger au comité de surveillance de cette grande politique que sont les investissements d'avenir. Néanmoins, ceux-ci ne doivent pas faire oublier le devenir des PME. Est-il prévu de revenir sur la réforme des JEI ? Qu'en-est-il des cofinancements et des partenariats pour la numérisation du patrimoine culturel ?

Il faut se préoccuper du problème de la couverture numérique du territoire, condition de l'accès de tous à l'e-éducation.

Même si ces investissements d'avenir n'ont pas pour but d'aménager le territoire, et même s'il convient d'éviter le saupoudrage, à la lecture des premiers projets retenus, on s'aperçoit que, du fait d'une sélection opérée sur critères strictement universitaires, des zones entières seront privées de ces investissements. Il ne faudrait pas créer de nouvelles disparités géographiques.

Mme Valérie Pécresse, ministre. - Oui, Daniel Raoul, c'est très complexe et j'aurais bien préféré être seule aux commandes, sans avoir à composer avec Bercy ni avec le Commissariat général à l'investissement (CGI). Mais, comme dans la construction d'une maison, chaque élément est nécessaire : ici les laboratoires d'excellence, leurs équipements, les laboratoires hospitaliers, l'institut de recherche technologique, celui de l'énergie décarbonée, les initiatives d'excellence... Au départ de leur réflexion, Alain Juppé et Michel Rocard avaient recherché ce qui, dans l'état actuel des choses, n'était pas financé : les cohortes de patients, par exemple, qu'il faut suivre pendant 20 ans alors que l'ANR ne finance que sur trois ans. Mais au total, ce n'est pas si complexe que cela et lorsque des candidats à appels à projet ont des problèmes, je leur conseille de venir au ministère où on les orientera, on ne les laissera pas seuls. Nous donnons le même conseil aux universités.

Il n'y a pas de déconnection avec les pôles de compétitivité. La différence, c'est que l'objectif des investissements d'avenir n'est pas d'abonder ces pôles mais de lever les verrous technologiques, de faire travailler ensemble chercheurs publics et privés et de faire dispenser les formations adéquates. C'est un rapprochement innovant, celui des PRES et des pôles de compétitivité ; c'est la vraie rencontre public-privé. Avec les PRES, nous avons consolidé le public ; avec les pôles de compétitivité, nous avons consolidé le privé ; maintenant, nous les amenons à travailler ensemble.

Sur l'aménagement du territoire, à présent. Je pensais au départ que l'excellence était partout sur le territoire et que tous sauraient se mobiliser. Je n'ai pas été déçue. Aujourd'hui, je constate que l'excellence est partout et que tous les territoires se sont effectivement mobilisés. Lorsque des universités n'avaient pas la taille critique en matière de recherche, les élus locaux ou les milieux économiques les ont épaulées. Dans le Nord, par exemple, où les structures de recherche n'ont pas toujours une taille suffisante, les milieux économiques leur ont permis de faire émerger un projet d'institut sur les énergies décarbonées, ainsi qu'un institut de recherche technologique sur le ferroviaire. En Lorraine, également, les acteurs se sont mobilisés pour faire émerger un pôle de recherche sur les matériaux de demain. Pour profiter de ces investissements d'avenir, Strasbourg et Mulhouse se sont réunies en réseau, de même que Metz et Nancy, Pau et Bordeaux, Aix et Marseille. Ces investissements ont donc un effet de cohésion et d'intégration territoriales qui a abouti à la formation d'une quinzaine de pôles universitaires de recherche et d'innovation à visibilité mondiale. On voit apparaître des projets innovants inattendus : en Picardie, à Compiègne par exemple, celui sur la chimie verte ; à Amiens, celui de la chirurgie réparatrice, unique au monde ; et celui du professeur Tarascon - sur les batteries - que l'on a ainsi dissuadé de partir à Santa Barbara. L'université de Caen a damé le pion à Lyon avec sa proposition de nouvelles thérapies contre le cancer.

L'intervention de jurys internationaux a aussi changé la donne : ce n'est pas un cabinet ministériel, Matignon ou l'Élysée qui décident. Par exemple la Guyane a récupéré un laboratoire d'excellence sur la biodiversité ; ses 250 chercheurs d'élite désespéraient de l'obtenir mais le jury international les a repérés, eux et les six brevets qu'ils avaient déjà déposés. De même pour la céramique à Limoges et la vulcanologie en Auvergne. Il se dessine ainsi la carte d'une France réindustrialisée par les investissements d'avenir et où, au total, peu de territoires sont restés vides. Contrairement à ce qu'on a prétendu, l'Ouest n'est pas oublié. Brest a un projet sur les énergies marines, Rennes le pôle de télécommunication, Nantes a gagné - contre Bordeaux, à qui Matignon et l'Élysée le destinaient - un institut de recherche technologique sur les matériaux. Chaque région se mobilise, même si certaines ont des handicaps. Le PRES normand a eu du mal à se constituer du fait de la séparation entre Haute et Basse-Normandie.

En outre, nous allons avoir une seconde phase d'appels à projet et j'ai pris l'engagement que tout bon projet non retenu serait repris par le ministère dans le cadre des contrats pluriannuels avec les universités.

Je regrette moi aussi que les contraintes budgétaires aient imposé de diminuer l'ampleur du programme des JEI, lequel a quand même un effet pervers : l'effet de seuil de sortie de ce dispositif. Le CIR est un instrument plus puissant, plus pertinent. On pourrait peut-être, en effet, l'orienter davantage vers les PME mais je suis plutôt favorable à ce qu'on rapproche CIR et JEI. Aujourd'hui, avec Oséo, nous cherchons les solutions pour qu'aucune entreprise innovante ne soit lésée. Cependant, un instrument unique est bien préférable.

Le CIR a eu trois effets. Il a empêché la délocalisation des équipes de chercheurs à l'étranger, sachant que la délocalisation de la recherche appliquée entraîne souvent celle de la production qui en résulte. Il a modifié le comportement des entreprises privées qui veulent désormais investir en France, attirées par son environnement fiscal. Enfin, il a eu un effet bénéfique sur les PME : le montant de ce crédit d'impôt en faveur de cette catégorie d'entreprises a doublé depuis 2008 et elles ont été incitées à faire de la recherche ou à la déclarer. Il faut continuer dans cette voie.

D'une façon générale, je plaide et plaiderai lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2012 en faveur de la stabilité fiscale, et j'inviterai la créativité parlementaire à faire une pause pendant au moins un an. Les entreprises qui ont des projets de R&D portant sur dix années ne peuvent supporter que la règle du jeu change à chaque loi de finances. En 2012, la stabilité fiscale présentera bien plus d'avantages que toute amélioration fiscale.

Pourquoi le plateau de Saclay a-t-il été recalé ? A cause du manque de cohérence de son projet ! Les 21 acteurs devaient se mettre d'accord. Dans un tel cas de figure, chacun doit faire passer ce qu'il croit être son intérêt propre après l'intérêt collectif. C'est la condition sine qua non pour que Saclay devienne un vrai cluster de niveau international. C'est compliqué mais nécessaire et le jury international sera sans indulgence face à ce qui lui apparaît comme une somme de laboratoires, incapables de s'intégrer dans une dynamique commune. A cet égard, il faut saluer l'évolution et la fusion de pôles universitaires que tout séparait : Aix et Marseille par exemple. De même, il faut saluer la fusion, à Lyon, des écoles normales et des universités, ou encore celles opérées à Paris. Saclay doit faire de même.

Les instituts Carnot, ces instituts de recherche partenariale associant le public et le privé, lancés dans le cadre du pacte pour la recherche, ont atteint leur objectif : leurs revenus issus de contrats de recherche partenariaux ont augmenté de 32 % depuis 2006. Nous avons lancé un nouvel appel à projet dans le cadre des investissements d'avenir : 34 instituts ont été labellisés pour la période 2011-2016, dont dix nouveaux. Ce renouvellement permet de mieux cibler certaines thématiques - logiciels, sciences de la vie... - et de rééquilibrer la couverture territoriale. Pas moins de 25 000 chercheurs travaillent dans ces instituts, pour un budget de 2 milliards d'euros, provenant à 40 % de partenariats avec des entreprises. Les investissements d'avenir ont prévu un fonds de soutien de 500 millions d'euros non consommables, dont les intérêts - 17 millions par an - s'ajoutent aux 61 millions du budget de l'ANR.

Les investissements d'avenir feront bien l'objet d'une évaluation : les conventions, conclues en général pour dix ans, prévoient toutes une évaluation à mi-parcours ; des crédits représentant 0,5 % du total y sont consacrés, ce qui permettra de réunir de bons jurys. Les critères seront les suivants : les résultats scientifiques, le retour sur investissement en termes de croissance, d'emploi et de dynamique territoriale, et l'impact sur le paysage universitaire. Ainsi, les contrats conclus avec le ministère tiendront compte des apports des investissements d'avenir et de ce qui reste à financer. Le Parlement sera évidemment tenu informé de ces évaluations.

Jean-Léonce Dupont, vous ne trouverez pas meilleure avocate de la couverture numérique que moi : c'est une condition sine qua non du développement territorial. Mais ce dossier ne dépend pas de moi.

Quant au partenariat public-privé pour la numérisation du patrimoine culturel, c'est le ministère de la culture qui en est chargé. Je puis vous dire, en revanche, que dans le cadre des investissements d'avenir, les laboratoires de recherche patrimoniale - qui s'occupent de conservation, de rénovation, de muséographie, etc. - ont su tirer leur épingle du jeu. Un laboratoire français spécialiste des « lieux de mémoire », financé au titre des investissements d'avenir, doit participer au projet de Ground zero à Manhattan, en lien avec le Mémorial de Caen et New York University. A l'École française de Rome il y a quelques semaines, j'ai eu des discussions sur un éventuel programme de recherche européen consacré au patrimoine, qui aurait d'évidentes retombées touristiques. Tous les pays européens pourraient y être associés.

M. René-Pierre Signé. - J'aimerais me joindre au concert des louanges, mais les grévistes de 2007 avaient sans doute quelques raisons de se plaindre... Je redoute les effets de l'autonomie des universités, autorisées à rechercher des financements privés. Certes, la loi Edgar Faure de 1968 leur donnait déjà ce droit, mais elles n'en ont guère tiré parti ; d'ailleurs, les fonds privés ne pouvaient dépasser 25 % du budget total. Vous avez relancé ces financements privés en les défiscalisant. Faut-il y voir un pas vers la privatisation ?

Malgré les regroupements et les fusions, je crains que l'autonomie ne favorise la concurrence plus que la coopération. Quoi que vous en disiez, l'université ne va pas bien : les inscriptions sont en baisse ; les étudiants les moins riches, qui doivent travailler pour financer leurs études, abandonnent souvent en cours de route ; les entreprises rechignent à recruter des stagiaires ; et les bons élèves s'orientent vers les grandes écoles.

Les pôles de compétitivité sont centrés sur l'industrie au sens large, y compris les services à caractère industriel. Ils ne contribuent guère à l'aménagement du territoire - qui ne relève certes pas des attributions de votre ministère. Bien loin de réduire les inégalités, ils en créent de nouvelles : tout est piloté depuis Paris, et 80 % des subventions sont distribuées à 20 % des pôles, tous situés en région parisienne. (Mme la Ministre le conteste). Je l'ai lu ! A ce que m'a dit François Patriat, il n'y a aucun pôle de compétitivité en Bourgogne.

M. François Patriat. - Vous m'avez mal compris : il y en a deux.

M. René-Pierre Signé. - Toujours est-il que certaines régions restent dépourvues, sous prétexte qu'elles ne disposeraient pas de centres de recherche de niveau européen. On assiste à la concentration des gros projets et à l'émiettement des petits.

Le financement est brouillon. Il existait jusqu'à récemment des projets de R&D collaboratifs, financés en 2005 et 2008. A présent, on dit que le financeur sera Oséo, lui-même abondé par le fonds unique interministériel. Malgré les dépenses déjà consenties - deux fois 1,5 milliard -, 17 pôles réclament une rallonge de 900 millions d'euros.

Je vous sais attachée à certaines régions du centre de la France. Eh bien, elles souffrent de n'être pas aussi bien dotées que Paris.

M. Michel Bécot. - Je sais bien que les banques et assurances sont à la pointe de l'innovation, mais j'aimerais que vous nous confirmiez, Madame la Ministre, que le CIR est prioritairement destiné aux PME et TPE.

M. Claude Léonard. - La création de la première année commune aux études de santé a eu pour effet l'arrivée de promotions de 2 000 ou 2 500 étudiants dans les facultés. Ne faudrait-il pas remettre sur la table le projet, un temps envisagé par la conférence des doyens, d'instituer une présélection à l'entrée, comme pour les brevets de technicien supérieur (BTS) et dans les instituts universitaires de technologie (IUT) ? Les étudiants admis au baccalauréat avec mention sont ceux qui réussissent le mieux.

Mme Valérie Pécresse, ministre. - René-Pierre Signé craint une privatisation des universités : nous en sommes bien loin. Les 39 fondations universitaires ont permis de récolter 70 millions d'euros : ce n'est pas négligeable, mais c'est une goutte d'eau dans le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche - 24 milliards d'euros, dont 14 pour les universités. J'ai appris que l'hôpital universitaire de Columbia University avait reçu 1 milliard d'euros de la part de patients reconnaissants, alors même que les frais d'hospitalisation sont bien plus élevés qu'en France : il nous reste bien du chemin à faire...

J'ai parlé d'une goutte d'eau, mais je préfère dire que c'est « du beurre dans les épinards ». L'université de Clermont-Ferrand dispose ainsi de 2 millions d'euros pour financer des bourses, des équipements, des initiatives pédagogiques, etc. Mais encore une fois, l'État assure plus de 95 % du financement des universités, et si l'on y ajoute les régions, cette proportion doit se monter à 99 %.

Concurrence ou coopération ? L'autonomie stimule à coup sûr l'émulation entre les universités. Mais il est faux de dire qu'avant 2007, toutes les universités aient été sur un pied d'égalité : toutes avaient leurs spécificités, leur logique territoriale, etc. Croyez-vous que l'université de La Rochelle ait fonctionné jusque là comme celles de Jussieu ou d'Assas ? Bien loin d'avoir pénalisé les petites universités, la réforme de 2007 a favorisé celles qui ont fait résolument le choix de l'autonomie : alors que beaucoup de Rochellois partaient jusque là faire leurs études à Poitiers ou à Paris, l'université de La Rochelle, parce qu'elle paraît particulièrement dynamique et pionnière, attire aujourd'hui davantage d'étudiants.

Nous avons augmenté d'environ 13 % le volume des bourses depuis quatre ans, et relevé le plafond de ressources jusqu'à 2,7 fois le Smic pour un foyer, au lieu de 2 fois. Par suite, le nombre de boursiers a augmenté de 100 000, soit 20 %. En contrepartie, a été institué un contrôle d'assiduité : les étudiants qui ne se présentent pas aux examens du premier semestre perdent leur bourse. Cela a fait chuter de 50 000 le nombre de boursiers : certains ne s'inscrivaient sans doute que pour recevoir de l'argent.

L'objectif n'est pas d'accroître le nombre d'inscriptions, mais de faire en sorte que les bacheliers soient orientés vers les formations qui leur conviennent : c'est le principe de l'orientation active. Ceux de la filière professionnelle, par exemple, n'ont pas intérêt à s'inscrire en filière générale à l'université, à moins d'être excellents et très motivés, car ils n'ont que 5 % de chances d'y réussir, au lieu de 50 % en BTS - mais même là, ils doivent être accompagnés. Les IUT sont le débouché naturel des bacheliers technologiques : j'ai d'ailleurs accordé des crédits spécifiques aux instituts pour qu'ils les accueillent. Il faut aussi réformer le diplôme de licence, pour le rendre plus attractif et faire en sorte qu'il prépare à l'insertion professionnelle à bac + 3. La distinction entre formation académique et professionnelle est dépassée : chaque diplôme doit sanctionner la transmission de savoirs et de compétences. Depuis deux ans qu'a été mis en place le portail national de préinscription, 16 % de bacheliers de plus formulent pour premier choix de s'inscrire à l'université : c'est la preuve que le plan « Réussir en licence » est un succès, et que le bouche à oreille est positif. Je dois rencontrer demain les syndicats sur le projet de nouvelle licence.

Encore une fois, les réformes récentes renforcent la coopération entre universités plutôt qu'elles ne les rendent concurrentes. Les universités spécialisées en sciences humaines et sociales, traditionnellement sous-dotées, se trouvent ainsi réunies au sein des PRES avec celles de « sciences dures », mieux loties. De même, les facultés de droit et de santé, qui ont fait face récemment à un afflux considérable d'étudiants, sont heureuses de pouvoir coopérer avec d'autres. Les grandes écoles travaillent aussi avec les universités. Tout le monde est gagnant, car les moyens augmentent, et chaque initiative trouve son financement.

Sur le taux d'échec des étudiants les moins favorisés, le récent rapport de M. Christian Demuynck a produit des chiffres rassurants. Certes, 50 % des étudiants échouent en première année, mais seuls 20 % quittent l'enseignement supérieur sans aucun diplôme : c'est le taux le plus bas de l'OCDE ! J'y vois la preuve que la France se mobilise pour faire réussir ses jeunes, et qu'il existe des filières de rattrapage, même si des efforts restent à faire sur l'orientation et l'accompagnement en première année.

Les bons élèves s'orientent vers les classes préparatoires aux grandes écoles, dites-vous ? Il faut donc que les universités créent des diplômes qui les attirent. Ce sera l'un des objets de la nouvelle licence. Le double diplôme d'histoire et de sciences économiques de l'université Paris-I fait concurrence aux classes préparatoires ; de même, le parcours « droit, économie, gestion » de l'université de Toulouse a pour objectif de concurrencer HEC.

Vous m'avez aussi interrogée sur la répartition territoriale des projets. Vous m'accorderez que je ne pouvais pas financer des universités qui n'existaient pas... Égletons en Corrèze est sans doute un pôle très important du bâtiment - travaux publics (BTP), et l'on y a créé un laboratoire et un master professionnel. Mais Égletons n'est pas Saclay : il faut compter avec l'héritage de l'histoire. Toutefois, nous nous attachons à mettre en réseau les forces universitaires de ce pays. Le très beau projet élaboré par Dijon et Besançon au titre des initiatives d'excellence n'a pas pu être retenu, faute de masse critique, mais il doit pouvoir être financé grâce aux investissements d'avenir. Hormis cela, on compte en Bourgogne deux laboratoires d'excellence, deux infrastructures nationales dans les domaines de la biologie et de la santé - infrastructures de biobanque, de recherche clinique et d'imagerie préclinique - et une plateforme d'innovation « forêt, bois, fibres, biomasse du futur ». Toutes ces structures travaillent en réseau national, et le pôle dijonnais est particulièrement dynamique.

Pour répondre à M. Bécot, 2 % seulement du CIR bénéficie aux banques et assurances. Une erreur dans le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale a fait croire que cette proportion s'élevait à 29 %, parce que l'on avait classé toutes les holdings dans le secteur financier, ce qui revenait à considérer Renault et Thales comme des entreprises financières.

Quant à la première année d'études de santé, monsieur Léonard, la réforme vient seulement d'être introduite. Rassembler toutes les études de santé au sein d'une première année commune me paraît une très bonne idée : cela permettra notamment de créer de solides diplômes de premier cycle « santé et sciences, « santé et droit » ou « santé et gestion ».

M. Daniel Raoul. - On en revient au PCB...

Mme Valérie Pécresse, ministre. - De quoi s'agit-il ?

M. Daniel Raoul. - De l'ancienne formation en physique, chimie et biologie. Mais vous êtes trop jeune pour la connaître...

Mme Valérie Pécresse, ministre. - Il est vrai que certaines facultés de médecine ont eu du mal à gérer l'afflux des étudiants en pharmacie. J'ai envoyé un questionnaire à toutes les universités concernées pour savoir concrètement quels problèmes elles avaient rencontrés, et nous réorganiserons les choses pour qu'il n'y ait plus de groupes surdimensionnés et que les heures d'enseignement nécessaires soient assurées. La réforme prévoyait aussi que les universités pourraient réorienter à la fin du premier semestre les étudiants ayant eu des notes inférieures à un certain seuil, mais pour cela il faut créer des passerelles. Je souhaite en outre que tous les concours paramédicaux soient ouverts aux étudiants en fin de première année, pour leur offrir davantage de débouchés, y compris les concours d'entrée aux écoles d'infirmières ; mais cela relève de la décision autonome de chaque université. Sans doute les formations sanitaires devraient-elles être mieux intégrées aux universités, mais elles ont été décentralisées, et je ne veux pas passer pour excessivement jacobine...

M. Jacques Legendre, président. - Madame la ministre, nous vous envions d'appartenir à une génération qui ignore ce qu'est le PCB ! Nous apprécions votre volonté de changer les choses à l'université, et saluons vos succès. Nous veillons naturellement à ce que les sommes importantes allouées aux projets d'excellence soient utilisées à bon escient, et c'est pourquoi nos deux commissions ont voulu vous entendre conjointement. Chacun ici en est convaincu : ce n'est qu'en développant sa recherche que notre pays pourra faire face à un monde en mutation.

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -

Couverture numérique du territoire - Audition de M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique

M. Jean-Paul Emorine, président. - Merci, Monsieur le Ministre, d'avoir accepté l'invitation de la commission de l'économie, nous sommes heureux de pouvoir vous entendre aujourd'hui sur les problèmes de couverture numérique du territoire.

M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. - Je vous remercie. Le Gouvernement mène une politique ambitieuse pour mettre la France à l'avant-garde de la révolution numérique. Le déploiement de réseaux de qualité est devenu une composante décisive de notre compétitivité et de l'attractivité de nos territoires.

Grâce au plan France numérique 2012, la France sera dotée de l'un des réseaux numériques les plus étendus et les plus compétitifs en Europe. Aujourd'hui, 99,8 % des Français bénéficient d'une couverture en téléphonie mobile, ils sont 99 % à pouvoir accéder au haut débit par l'ADSL et 100 % à être couverts par le haut débit par satellite.

En matière de très haut débit, 4,7 millions de foyers sont couverts en très haut débit par câble, soit 20 % de la population, un million cent-trente-cinq mille foyers sont éligibles à la fibre optique, ce qui représente 4 % de la population, et 11 zones d'activités équipées en fibre optique ont déjà été labélisées par l'État.

La télévision numérique terrestre (TNT) couvre, quant à elle, dès à présent 93 % de la population.

La couverture numérique des territoires se poursuit aujourd'hui dans trois directions : la généralisation de la télévision numérique, le développement des réseaux de téléphonie mobile et le déploiement des réseaux fixes de haut et très haut débit.

La TNT a été lancée en mars 2005 et permet à l'ensemble des Français de recevoir 19 chaines gratuites en qualité numérique pour l'image et pour le son. D'ici au 31 novembre, la couverture en TNT dépassera 95 % de la population française et 91 % de la population de chaque département. Les foyers résidant dans des zones non couvertes par la TNT, au terme du passage au tout numérique, pourront recourir aux offres gratuites de télévision par satellite et bénéficieront des aides à l'équipement prévues par le Gouvernement. Nous sommes et nous serons vigilants pour éviter les écrans noirs et faire de cette transition un succès.

S'agissant des réseaux de téléphonie mobile, nous avons poursuivi la mise en oeuvre du programme « zones blanches », lancé en 2003, pour parachever la couverture en téléphonie mobile. Avec la coopération des opérateurs et des collectivités, il a permis l'installation d'environ 2 000 antennes couvrant près de 3 000 centre-bourgs qui n'étaient encore couverts par aucun opérateur. 364 nouveaux centre-bourgs ont été identifiés en 2008 et sont en train d'être couverts. Ce programme aura nécessité un investissement supérieur à 600 millions d'euros. Nous veillons aussi à faire appliquer les obligations de couverture en technologie 3G. Les opérateurs ont déjà couvert 95 % de la population en haut débit mobile. D'ici à la fin de l'année, ils devront avoir couvert 98 % de la population.

Enfin, nous venons de lancer la procédure d'attribution des licences de 4G, avec, comme le souhaitait le Sénat, des critères très ambitieux en matière d'aménagement du territoire. 99,6 % de la population, ainsi que l'ensemble des axes routiers prioritaires, devront être couverts par l'ensemble des opérateurs d'ici 15 ans. Pour la première fois, une obligation de couverture au niveau départemental est mise en place, puisque 90 % de la population de chaque département devra être couverte d'ici 12 ans ; en outre, les opérateurs sont incités à couvrir 95 % de la population de chaque département d'ici 15 ans. Pour la première fois également, une zone prioritaire a été définie, représentant 18 % de la population mais 60 % du territoire de notre pays ; les opérateurs devront en couvrir 40 % au bout de 5 ans et 90 % au bout de 10 ans. La 4G sera ainsi le premier réseau à être déployé simultanément dans les villes et dans les campagnes.

S'agissant des réseaux fixes, le Président de la République a, là encore, fixé un objectif ambitieux : la couverture de 100 % de la population en très haut débit d'ici 2025. L'équipement de la France en fibre optique représente un chantier majeur de 25 milliards d'euros. Chaque année, cela représente 1,7 million de foyers à équiper ! Afin d'accélérer ce chantier, le Gouvernement intervient de trois façons complémentaires.

Premièrement, nous avons établi un cadre réglementaire qui concilie concurrence et baisse des coûts de déploiement, grâce à la mutualisation. Tous les opérateurs ont aujourd'hui accès aux réseaux déployés dans les immeubles et en partagent les coûts d'installation. Grâce à ce cadre règlementaire, les principaux opérateurs, France Télécom, SFR, Iliad et Numericable, ont lancé des déploiements de fibre optique. Interrogés par le Gouvernement, les opérateurs se sont engagés à couvrir 57 % de la population en fibre optique dans les dix prochaines années. Cela représente un rythme moyen d'un million de logements par an. Le Gouvernement veillera à ce que ces engagements soient respectés. Nous n'accepterons pas que les initiatives des collectivités soient durablement bloquées par des promesses de déploiements non tenues.

Deuxièmement, nous avons décidé d'établir une obligation d'équipement en fibre optique des immeubles collectifs neufs. Ce sont ainsi 200 000 logements qui seront équipés par les promoteurs chaque année. Le décret et l'arrêté détaillant ces obligations seront adoptés cet été.

Troisièmement, nous consacrons 2 milliards d'euros, dans le cadre du programme national « très haut débit » (PNTHD) des investissements d'avenir, au déploiement des réseaux dans les zones les moins denses pour éviter une fracture numérique. Je sais que vous y êtes très attentifs.

Grâce au premier volet de ce PNTHD, 1 milliard d'euros de prêts vont être accordés aux opérateurs pour qu'ils couvrent la plus grande partie de la population. Ces prêts pourront également être accordés aux exploitants de réseaux d'initiative publique intervenant dans le cadre d'un partenariat public-privé.

Le deuxième volet permettra d'accorder 900 millions d'euros de subventions aux projets des collectivités territoriales. Ces projets porteront principalement sur le déploiement de la fibre optique en zones rurales. Ils pourront porter, de manière subsidiaire, sur le déploiement d'un réseau de haut débit de qualité en complément du très haut débit.

Dans le cadre du troisième volet, enfin, 40 millions d'euros serviront à préparer les solutions satellitaires de très haut débit pour les zones les plus reculées de notre territoire. Cette enveloppe pourra être étendue à 100 millions d'euros, en fonction notamment des premiers retours d'expérience sur les offres utilisant le satellite Ka-Sat. Lancé le 27 décembre 2010, ce satellite est le premier entièrement dédié à l'accès Internet haut débit. Les premières offres commerciales, avec des débits de près de 10 Mbt/s, devraient apparaître cet été. Les habitants de certaines zones de montagne pourront notamment avoir recours à cette solution.

Le PNTHD repose sur un principe de complémentarité entre initiative privée et initiative publique. Aujourd'hui, 95 % des lignes de fibre optique ont été installées par des opérateurs privés, 5 % par des réseaux d'initiative publique (RIP). Ces 5 % l'ont été dans des zones qui n'auraient pas été rentables pour un investisseur privé.

Certains d'entre vous s'interrogent sur la réalité des engagements des opérateurs et sur l'articulation entre les réseaux des opérateurs et les RIP. Les lignes directrices de la Commission européenne fixent un cadre clair que nous devons respecter. Durant les trois premières années, c'est-à-dire jusqu'en 2014 pour un projet qui démarre aujourd'hui, les RIP, subventionnés par des collectivités publiques, doivent se concentrer sur les zones de carence de l'investissement privé. La priorité est donc donnée à l'investissement privé, comme cela avait été le cas pour le haut débit. Après la période initiale, les investissements publics peuvent être orientés vers l'ensemble des communes non encore desservies. La coordination entre investissements publics et investissements privés sera assurée notamment par les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (SDTAN), institués par la loi du 17 décembre 2009 relative à la fracture numérique.

Un grand nombre de collectivités ont déjà intégré dans l'élaboration de leurs projets le cadre communautaire et les obligations de la loi relative à la fracture numérique : la région Auvergne, le département du Loiret et celui de la Manche, par exemple. Afin de multiplier ce type d'initiatives, je vous confirme aujourd'hui que des commissions régionales d'aménagement numérique du territoire (CRANT) réuniront les opérateurs, collectivités territoriales et administrations concernées.

Elles accompagneront les collectivités pour l'élaboration de leurs schémas d'aménagement numérique, l'articulation entre investissements publics et privés, l'élaboration des demandes de soutien du PNTHD. Une circulaire est en cours d'élaboration pour définir le mode de fonctionnement de ces commissions.

Aucun Gouvernement n'avait autant fait en si peu de temps pour renforcer l'aménagement numérique de nos territoires.

M. Hervé Maurey. - Merci Monsieur le Ministre. Si nous sommes unanimes pour reconnaître l'importance d'une bonne couverture numérique pour le développement de nos territoires, je ne partage pas votre optimisme sur de nombreux points.

En ce qui concerne la téléphonie mobile, les critères de mesure de la couverture dans les communes situées en « zone blanche » et faisant l'objet du plan d'extension de couverture sont bien trop restrictifs : ils ne prennent en compte que leur « centre-bourg » et permettent trop facilement de considérer comme couverte une commune dont seule une toute petite portion le serait effectivement. Vous avez d'ailleurs vous-même reconnu devant notre assemblée qu'ils n'étaient pas satisfaisants. Que proposez-vous pour les rendre plus pertinents et permettre une mesure qui rende mieux compte de la couverture réelle des territoires ? Sachant qu'en cas d'adoption d'une nouvelle définition de ces critères de couverture, il conviendrait bien entendu d'adapter en conséquence les obligations des opérateurs pour que ce changement soit neutre pour eux en termes de respect de leurs obligations.

Concernant l'attribution des licences 4G, le Sénat est attaché à ce que soit prioritairement pris en compte l'objectif d'aménagement du territoire. Pouvez-vous nous indiquer où en est cette procédure et nous garantir que cet objectif qui nous est cher ne sera pas sacrifié pour obtenir une valorisation plus élevée ?

En ce qui concerne le haut débit, l'objectif affiché par le plan France Numérique 2012 d'un accès de 100 % de la population au haut débit d'ici à 2012 n'est atteint qu'au prix d'un recours à la technologie satellitaire, qui n'est souvent pas -en termes de prix et de débit- ce qu'attendent nos administrés. Que comptez-vous faire pour accélérer l'indispensable montée en débit ?

Concernant enfin le très haut débit, je ne pense pas aujourd'hui que les objectifs ambitieux du Président de la République de 100 % de couverture en 2025 seront tenus.

Plus fondamentalement, nous devrions nous demander si le modèle de déploiement choisi est vraiment optimal.

Le PNTHD privilégie en effet les opérateurs privés : non seulement ils ont le libre choix des zones qu'ils veulent couvrir, mais ils ne font que des promesses de couverture. Dès lors qu'ils n'expriment ainsi que des intentions de déployer, les collectivités ne peuvent s'en satisfaire. L'intervention des collectivités est restreinte aux seules zones non rentables qui n'intéressent pas les opérateurs privés, et elles ne peuvent envisager d'intervenir qu'en se fondant sur la base bien fragile de leurs engagements. Ce système exclut ainsi toute péréquation entre zones denses et zones peu denses, dont la desserte incombera pourtant entièrement aux collectivités. Comment inciterez-vous celles-ci à intervenir dans ces conditions ? Comment veillerez-vous à ce que les opérateurs respectent leurs engagements de couverture ?

Les 900 millions d'euros de subventions aux projets de déploiements des collectivités territoriales que vous annoncez dans le cadre du deuxième volet me semblent au total bien faibles quand plusieurs estimations avancent que ce sont 800 millions d'euros par an qui seraient nécessaires. Il faut doter le fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT) de ressources pérennes. Qu'en est-il des intentions du Gouvernement ?

Vous avez annoncé la création de commissions régionales à ce stade. Qui rassembleront-elles, quel sera leur rôle exact et quand commenceront-elles à se mettre en place ?

Enfin, je suis surpris des annonces faites le 27 avril 2011 lors de la conférence commune avec M. Bruno Le Maire, Ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, et M. René Ricol, Commissaire général à l'investissement : auparavant, les collectivités qui s'engageaient en faveur du déploiement sur leur territoire pouvaient espérer recevoir des subventions pour la partie non-rentable de leur intervention ; désormais les modalités d'attribution des subventions semblent exclure totalement les collectivités qui investiraient en zone non-rentable dès lors qu'elles investissent aussi pour partie en zone rentable. N'est-ce pas aller complètement dans la mauvaise direction ?

M. Philippe Leroy. - L'initiative des RIP pour moderniser les réseaux ADSL a été décisive et c'est une compétence aujourd'hui bien maitrisée par les collectivités. Dès lors que l'objectif de couverture de 100 % de la population en très haut débit d'ici 2025 me semble également difficilement tenable, et que l'initiative privée ne pourra pas seule répondre au problème de couverture, ne faudrait-il pas clarifier le rôle des collectivités et en faire enfin l'acteur majeur du déploiement, et non un simple soutien ? C'est le sens de la proposition de loi que nous préparons avec mon collègue Hervé Maurey.

Nous sommes confrontés dans nos collectivités à des arbitrages très délicats entre déploiement très couteux de la fibre jusqu'à l'abonné (FttH), qui reste la technologie d'avenir mais prendra du temps, et des technologies d'attente (montée en débit sur cuivre, Wimax, satellite...) qui répondent aux demandes immédiates de nos administrés mais risquent de nous engager pour de longues années en repoussant encore l'arrivée de la fibre jusqu'à l'abonné.

Si l'on veut être volontariste, ne faudrait-il pas enfin donner une certaine force obligatoire aux SDTAN en les rendant opposable aux documents d'urbanisme ?

M. Michel Teston. - Je souhaite d'abord rappeler que le groupe socialiste demande depuis de nombreuses années la reconnaissance d'un service universel en matière de haut et très haut débit comme pour la téléphonie mobile, à l'instar de celui déjà instauré pour la téléphonie fixe par la loi du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications. On nous a souvent objecté que ce serait difficile et coûteux, l'Union européenne y réfléchit pourtant désormais !

Concernant le déploiement des réseaux très haut débit, je rejoins Hervé Maurey, tant il est évident, avec le système que vous nous proposez, que les opérateurs pratiqueront un écrémage en ne couvrant que les seules zones rentables. Que proposez-vous contre cela ?

Concernant les enchères d'attribution des licences 4G, leur prix n'est-il pas problématique ? Si elles sont trop chères, peu d'opérateurs seront intéressés par le déploiement, ce qui nuira à l'objectif de bonne couverture qui devrait pourtant être prioritaire.

Enfin, la composition du Conseil national du numérique (CNN) récemment créé et qui ne retient quasiment que des chefs d'entreprises du secteur de l'économie numérique ne lui fixe-t-il pas un horizon bien limité ?

M. François Patriat. - Mon expérience en Bourgogne est celle d'un regrettable désengagement de l'État et de l'opérateur historique laissant les collectivités, et en l'occurrence la région, seuls face à des choix technologiques extrêmement couteux. Concernant le très haut débit, l'échelon départemental a été privilégié sans établir de coordination au niveau régional, comment voulez-vous assurer la cohérence d'ensemble du système ! Face au mécontentement de nos concitoyens qui ne comprennent pas devoir encore attendre pour être enfin desservi par le très haut débit, quels engagements effectifs le Gouvernement prend-il pour accompagner les collectivités ?

Mme Élisabeth Lamure. - Je souhaiterais interroger le ministre sur l'état d'avancement du projet de radio numérique terrestre (RNT). Le CNN se saisira-t-il de la question ? Quelle échéance pour son déploiement ?

M. Éric Besson, ministre. - Les performances françaises en termes de taux de couverture doivent toujours être rapportées, d'une part, à la spécificité de notre géographie, qui se caractérise par des zones très peu densément peuplées, d'autre part, au caractère évolutif de la demande de nos concitoyens, qui souhaitent des débits toujours croissants, et, en dernier lieu, à un contexte réglementaire européen contraint, marqué par un encadrement sévère des aides d'état et des règles de la concurrence. Dans ces conditions, le rythme de progression de la couverture numérique française est l'un des meilleurs.

D'autres problèmes, qui n'ont pas été abordés ici, comme le financement des réseaux dans le cadre d'une explosion des débits ou la juste répartition de la valeur ajoutée au sein de la chaîne des acteurs du numérique devront aussi être résolus.

En réponse, maintenant, à vos différentes questions, je souhaite apporter les éléments de précision suivants :

- la couverture des « zones blanches » mobilise 600 millions d'euros pour couvrir 364 nouveaux centre-bourgs, mais aller plus loin poserait non seulement un problème financier mais également celui de l'acceptation par le public de nouvelles antennes ou d'équipements plus puissants ;

- l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) est naturellement chargée de vérifier que les opérateurs privés respectent leurs obligations de couverture, et elle a défini les critères selon lesquels une zone est réputée couverte. Je prends acte des suggestions d'améliorations contenues dans le rapport de M. Bruno Sido sur ce sujet, j'y suis favorable, une réflexion doit s'engager avec le régulateur ;

- 95 % de la population a accès au haut débit par ADSL. Il faut à présent que tout le monde accède à un haut débit à 2 Mbit/s, ce que permettra notamment le satellite KaSat, lancé fin 2010 et devant offrir 10 Mbit/s sur l'ensemble du territoire. Le PNTHD soutient la réalisation de cet objectif en mobilisant 40 à 100 millions d'euros pour la recherche en solutions satellitaires, et une partie des 900 millions d'euros affectés aux collectivités pour la montée en débit ;

- si les lignes directrices de la Commission européenne sur les infrastructures haut et très haut débit n'empêchent pas des collectivités de déployer des projets en zones denses, elles interdisent en revanche de leur accorder des aides publiques. Ce cadre européen décliné dans tous les secteurs de réseau ne peut être outrepassé, faute de quoi les subventions accordées seraient requalifiées en aides d'État, réputées illégales. Ainsi, sans la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite « loi NOME », les industriels du secteur auraient été contraints de reverser plusieurs milliards d'euros d'aides indues. Ce principe communautaire permet d'éviter les doublons dans les déploiements et de rechercher une bonne coordination entre initiatives publique et privée. Ce sera justement le rôle des commissions régionales d'aménagement numérique du territoire que de favoriser cette articulation, mais aussi d'apporter un soutien à l'élaboration des SDTAN et de s'assurer de la conformité des demandes de subvention des collectivités avec les règles du Fonds national pour la société numérique (FSN). Une circulaire sur la mise en place de ces commissions est en cours, le dispositif devant être finalisé pour l'été ;

- je n'ai jamais écarté l'idée d'un service universel du haut débit, tant ce sujet de préoccupation est parfaitement légitime. La Commission européenne et les États membres examinent actuellement la possibilité de le mettre en place, ce qui n'est pour l'instant pas autorisé. La fraction des 900 millions d'euros affectés aux collectivités destinée à financer la montée en débit constitue une solution d'attente ;

- les 2,5 milliards d'euros exigés par le Gouvernement pour l'attribution des licences 4G ne me semblent pas excessifs, si l'on s'en rapporte aux exemples étrangers. Ce prix a par ailleurs été validé par la commission des participations et des transferts. En outre, la rentabilité n'est que le dernier des trois objectifs fixés à la procédure d'attribution, les deux premiers étant la couverture du territoire et le respect de la concurrence. Il ne faudrait pas, à l'inverse, « brader » ces fréquences « en or » constitutives du patrimoine de l'État ;

- le CNN a en réalité pour champ de compétence spécifique l'économie numérique ; les autres dimensions de la société numérique sont représentées par d'autres institutions ;

- la loi relative à la lutte contre la fracture numérique a lié l'obtention des aides du FANT à l'adoption préalable d'un SDTAN. L'échelle minimale doit en être le département ; 71 se sont ainsi déclarés à cet égard auprès de l'Arcep, quatre schémas ayant une dimension régionale ;

- la RNT a été prévue par la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur. Les stations de radio ont exercé une forte pression pour libérer des fréquences à cet effet, sans que les projets ne suivent. La RNT pose en effet un problème de modèle économique, car elle exige de changer les terminaux de réception de tous les français et implique des coûts de déploiement importants pour des stations ne bénéficiant pas encore des sources de revenus publicitaires qu'elle devrait engendrer. Des rapports et expérimentations sur le sujet ont été récemment réalisés ou sont en cours, le CNN ayant par ailleurs été saisi de ce dossier.

M. Didier Guillaume. - Il ne faudrait pas opposer les collectivités, qui souhaitent constituer des réseaux performants de fibre jusqu'à l'abonné, et les opérateurs, animés par la recherche de rentabilité, car tous deux ont une certaine vision de l'aménagement du territoire et sont indispensables à sa mise en oeuvre. Il faut réfléchir à la création d'un statut d'opérateur d'infrastructure pour les collectivités. Les RIP seront cruciaux dans le déploiement du très haut débit. Le FANT doit être alimenté de façon pérenne et permettre de réaliser une vraie péréquation. L'opposabilité des SDTAN aux documents d'urbanisme est à envisager. Certes, il n'est pas faux de dire que 95 % de la population a accès à du haut débit, mais à condition de préciser que c'est un haut débit à bas seuil, soit 512 kbit/s.

M. Gérard Bailly. - La transition vers la TNT devait permettre de libérer des pylônes émetteurs pour la téléphonie mobile, qu'en est-il ? Quels financements sont prévus pour le déploiement du très haut débit dans les zones de montagne ?

M. Daniel Dubois. - Le projet de déploiement public du très haut débit en Somme, basé sur la location de la fibre installée aux opérateurs en zone rentable, va pâtir de l'absence de subvention ; cela est-il pris en compte par les SDTAN ? Il faudrait prévoir une période de transition consistant à offrir du 10 Mbit/s, avant de passer ensuite au très haut débit. Certains points d'intérêt collectif - écoles, maisons médicales ... - devraient être prioritairement desservis par le réseau fibre ; cela est-il pris en compte par les schémas et fait-il l'objet de financements ? Le FANT doit être alimenté rapidement et de façon pérenne.

M. Bruno Sido. - L'opérateur historique se livre à une véritable préemption pour l'installation ou la modernisation des réseaux locaux. La mise en place de noeuds de raccordement abonnés zone d'ombre (NRAZO), qui permet aux abonnés actuels de bénéficier d'un débit ADSL beaucoup plus important et à ceux inéligibles de devenir éligibles, est facturée par France Telecom à un prix forfaitaire de 17 000 euros, quelle que soit l'ampleur des travaux. L'Arcep a, fort heureusement, obtenu l'accord de la Commission européenne pour publier sa décision permettant aux collectivités de recourir à la montée en débit, mais celle-ci ne peut être réalisée que par l'opérateur historique.

M. Jean-Paul Amoudry. - Exclure les zones denses des SDTAN revient à empêcher toute péréquation par les collectivités, et donc oblige à accroître les subventions ; l'État compensera t-il ces dépenses ? Sur quels textes, très précisément, le Gouvernement s'appuie t-il pour refuser toute subvention dans ces zones alors que le cadre communautaire ne s'y oppose pas formellement ? Le PNTHD prévoit que les zones sur lesquelles un opérateur s'engage à commencer le déploiement d'un réseau à un horizon compris entre 3 et 5 ans et où la concertation entre les opérateurs et les collectivités n'a pu aboutir à un accord entre les parties feront l'objet d'un examen au cas par cas ; quels en seront les critères ? Le FSN commencera t-il bien à octroyer les premières subventions à l'été ?

M. Alain Houpert. - Les pouvoirs publics se montrent trop conciliants par rapport aux opérateurs, et notamment à France Telecom.

M. Eric Besson, ministre. - Je voudrais apporter à vos remarques et interrogations les éléments de précision suivants :

- il n'existe pas d'économie numérique forte sans opérateurs puissants. Or, ces derniers ont aujourd'hui des investissements très lourds à réaliser ;

- il est vrai qu'il y a un réel besoin de partenariat entre collectivités et opérateurs. Néanmoins, on ne pourrait effectivement pas admettre que ces derniers « gèlent » la situation par leurs atermoiements ;

- le concept d'opposabilité du SDTAN aux documents d'urbanisme est intéressant et devrait être approfondi ;

- 95 % de la population a accès à Internet haut débit à 512 kbit/s, et 77 % à 2 Mbit/s ;

- l'enveloppe de 900 millions d'euros du FSN destinée aux collectivités peut leur servir à financer la montée en débit là où la fibre optique ne sera pas déployée à court et moyen termes. Mais cette montée en débit doit être de qualité et préparer le passage à la fibre. Le rôle et la place de France Telecom en ce domaine relève de l'autorité régulatrice, l'ARCEP, qui est entièrement indépendante ;

- les guichets du FSN fonctionneront dès cet été, de façon à permettre le financement des premiers programmes dans la foulée.

D'une façon générale, j'ai bien entendu l'impatience, d'ailleurs très légitime, dont vous faites preuve à l'égard des opérateurs. Le programme de déploiement est pourtant déjà ambitieux, mais nous tenterons de l'accélérer un peu plus encore.

Mercredi 22 juin 2011

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président -

Mission d'information au Maroc - Présentation du rapport d'information

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission entend la présentation du rapport d'information de M. Gérard César, réalisé au nom de la mission d'information s'étant rendue au Maroc.

M. Gérard César, rapporteur. - J'ai eu l'honneur de conduire du 15 au 18 décembre dernier une délégation qui s'est rendue au Maroc au nom de la commission de l'Économie : cette délégation était composée de nos collègues Odette Herviaux, Jacqueline Panis et Marc Daunis. Le but de notre déplacement -à Rabat et Tanger- était d'étudier les politiques de développement durable qui y sont mises en oeuvre et de dresser un état des lieux des relations, notamment économiques, entre ce pays et l'Union européenne.

Nous avons rencontré le ministre des affaires économiques et générales, M. Nizar Baraka, la ministre de l'Énergie, des mines, de l'eau et de l'environnement, Mme Amina Benkhadra ainsi que M. Youssef Amrani, secrétaire général au ministère des affaires étrangères et qui vient d'être nommé, le 25 mai dernier, à la tête de l'Union pour la Méditerranée (UpM) en remplacement du Jordanien M. Ahmed Massa'deh. Nous avons également pu voir le représentant de l'Union européenne au Maroc, M. Eneko Landaburu, dont l'exposé clair et convaincant nous a passionnés.

Je signale que nous avions d'ailleurs rencontré, avant notre départ, Son Excellence M. El Mostafa Sahel, Ambassadeur du Maroc en France, qui a bien voulu nous recevoir pour préparer au mieux notre visite.

Nous avons également pu rencontrer sur place des représentants des différents milieux économiques et institutionnels marocains ainsi que des entreprises françaises présentes dans le pays.

Nous avons enfin effectué un certain nombre de visites de terrain : le site de l'aménagement de la vallée du Bouregreg entre Rabat et Salé, le site de l'usine Lafarge à Tétouan, près de Tanger, avec son parc éolien et aussi le nouveau port Tanger-Méditerranée, où je sais qu'une délégation du groupe de travail sur la réforme portuaire, conduite par notre collègue Charles Revet, s'est également rendue le mois dernier.

Il est important, à ce stade, de souligner que notre déplacement a eu lieu avant les récents événements qu'ont connus les pays arabes et que l'on a appelés « printemps arabes ». En Égypte, en Libye, au Yémen, en Syrie, en Jordanie, en Algérie notamment, mais aussi au Maroc, les manifestations et les contestations ont revêtu des spécificités bien marquées selon le pays et se sont inscrites dans des contextes à chaque fois différent.

Ce dont nous sommes sûrs, du reste, c'est de la vague d'espoir démocratique qui s'est étendue dans l'ensemble de ces pays, notamment à travers la mobilisation de la jeunesse, dont les regroupements spontanés ont été largement relayés par les réseaux sociaux sur internet.

Ce qui est sûr aussi, c'est que le monde arabe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, est en train de connaître une mutation démocratique sans précédent. Il y aura un « avant » et un « après » printemps arabe et il sera important, dans les mois et les années qui viennent, d'analyser les changements politiques et sociétaux profonds qui en auront découlé.

Lors de notre déplacement, en décembre, ce gigantesque bouleversement n'avait pas encore eu lieu et les thèmes choisis par notre mission étaient davantage liés aux aspects économiques et environnementaux qu'aux problématiques politiques ou géopolitiques, tant intérieures qu'extérieures. Notre délégation ne s'est donc pas penchée dans son rapport sur les mutations politiques que connaît actuellement la région car les rencontres et les visites effectuées sur le terrain, axées sur les problématiques économiques et environnementales ne nous permettent pas de proposer une analyse sérieuse et fondée sur des événements récents.

Néanmoins, notre délégation, consciente de l'importance de ces changements, non seulement dans la donne régionale, mais également dans le contexte intérieur du Maroc, a tenu à auditionner la sous-direction du Ministère des Affaires étrangères spécialisée sur l'Afrique du Nord et sur le Maroc, ce qui nous a permis de mieux cerner l'impact de ces révolutions sur le Maroc, sa politique de réformes et son évolution institutionnelle. Dans un discours à la nation du 17 juin, Mohammed VI a ainsi présenté un projet de réformes constitutionnelles qui vise à « consolider les piliers d'une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale » et constitue un pas important - voire révolutionnaire - dans la réforme du pays : ce projet sera soumis à référendum le 1er juillet prochain.

Le rapport de mission que je vais vous présenter comporte trois parties : dans la première, je vous présenterai les caractéristiques du Maroc, notamment au regard de sa situation géographique exceptionnelle de « carrefour » entre l'Europe et l'Afrique ; dans la deuxième, j'évoquerai le cadre spécifique dans lequel s'inscrivent aujourd'hui les relations entre la France et le Maroc : celui d'un partenariat avec l'Union européenne de plus en plus ambitieux ; et enfin, j'insisterai sur les grands chantiers et les grands projets lancés par le Roi Mohammed VI dans le domaine économique et surtout environnemental, dont nous avons pu, pour certains, constater l'avancement sur place.

Comme je vous l'ai indiqué, la position géographique du Maroc est exceptionnelle : il est situé à l'extrême Nord-Ouest du continent africain, et séparé de l'Espagne par le mince détroit de Gibraltar de 13 kilomètres. La fermeture de la frontière algérienne à l'est du pays depuis 1994 a créé des conditions de quasi-insularité. Cette situation a contribué à ce que le pays se tourne de plus en plus vers l'Europe. En effet, si le Maroc constitue une sorte d'isthme en Afrique, il est de l'autre côté, grâce à sa position de porte de la Méditerranée, un véritable pont vers l'Europe, avec qui les relations, tant économiques que politiques et culturelles sont anciennes et n'ont cessé de se renforcer.

Sur le plan économique, la croissance du pays atteint 5,2 % en 2009 et 4,2 % en 2010, pour un produit intérieur brut estimé à 65 milliards d'euros. Cette forte croissance s'explique en grande partie grâce au secteur agricole, dont les résultats dépendent beaucoup des conditions climatiques, et notamment de la pluie. Depuis le début des années 2000, si elle est irrégulière en fonction des pluies justement, la croissance annuelle moyenne est forte, aux alentours de 4,8 %. Le déficit budgétaire est de 2,2 % du PIB.

La société marocaine connaît des mutations profondes. Il est par exemple révélateur que le taux de fécondité soit passé de 7 à 2,4 en 2006. Pourtant, malgré une augmentation de l'indice de développement humain (IDH) - il a augmenté de plus de 50 % en 32 ans - ce dernier reste particulièrement faible au Maroc par rapport à l'ensemble du Maghreb. En effet, malgré des progrès, la population marocaine reste très pauvre, notamment dans les campagnes, et l'analphabétisme est très fort.

Depuis son arrivée sur le trône en 1999, le Roi Mohammed VI a engagé des réformes importantes, notamment sur le plan du développement social. L'initiative majeure qu'il a prise est l'Initiative nationale de développement humain, lancée au printemps 2005 dans le triple but de désenclaver les zones défavorisées du pays, de lutter contre la précarité et d'installer une économie solidaire au profit des catégories les plus démunies. Ce programme a ainsi été doté d'une enveloppe de 900 millions d'euros pour la période 2006-2010. Il a également voulu améliorer la situation des femmes, notamment à travers l'adoption d'un nouveau code de la famille en 2003.

Avec la France, le Maroc entretient depuis longtemps un partenariat privilégié et étroit, tant sur le plan économique et politique que culturel. Premier partenaire commercial du Maroc, la France y est également le premier investisseur étranger avec 797 filiales d'entreprises françaises présentes sur le territoire marocain, employant plus de 115 000 personnes. Parmi les 20 plus grandes entreprises au Maroc, six sont françaises.

Les liens économiques entre les deux pays se doublent d'une très forte proximité culturelle, entretenue par des flux migratoires importants et un tourisme très développé.

Mais ce partenariat étroit et historique s'inscrit aujourd'hui dans le cadre d'une coopération plus large et toujours plus approfondie avec l'Union européenne. Depuis 1963 s'est établi un « partenariat privilégié ». Le premier accord commercial d'association fut conclu en 1969 et un nouvel accord en 1976. Une nouvelle étape est franchie dans le cadre du « processus de Barcelone », lancé en 1995 qui met en place un programme de dialogue, d'échange et de coopération pour garantir la paix, la stabilité et la prospérité dans la région.

Depuis 2002, le Maroc entre dans le cadre de la politique européenne de voisinage, qui a pour but de créer un espace de prospérité et de valeurs partagées, fondé sur une intégration économique accrue, des relations politiques et culturelles plus intenses, une coopération transfrontalière renforcée et une prévention conjointe des conflits.

Ces objectifs se traduisent concrètement par des plans d'action différenciés établis par l'Union européenne et chacun des pays partenaires et qui prennent en compte les spécificités de chacun d'entre eux.

En 2010 a été préparé un nouveau plan d'action UE-Maroc qui permettra d'opérationnaliser la dynamique du statut avancé, forme la plus avancée de coopération sans intégration, obtenu par le Maroc en 2008, dans son ambition de rapprochement avec les normes européennes.

Le nouveau programme de coopération entre le Maroc et l'Union européenne pour la période (2011-2013) s'élève à environ 580,5 millions d'euros de subventions.

Depuis le 13 juillet 2008, l'Union pour la Méditerranée (UpM), qui compte 43 membres à part entière auxquels s'ajoute la Ligue arabe, a donné un nouveau souffle au processus de Barcelone. Six projets principaux sont à la base de ce rapprochement : le projet de dépollution de la Méditerranée sur le thème de l'environnement ; le projet des autoroutes maritimes et terrestres sur le thème des transports ; le développement de la protection civile à l'échelle de la région pour répondre aux catastrophes naturelles ; la création d'une université euro-méditerranéenne ; le soutien aux énergies alternatives, notamment solaires ; le développement des affaires à travers un mécanisme de soutien aux petites et moyennes entreprises.

Aujourd'hui, l'Union pour la Méditerranée comme le contenu du « statut avancé » ne progressent peut-être pas aussi vite que les prévisions initiales : la mise en oeuvre des projets prévus par l'UpM prend du temps ; les capacités de financements européens restent limitées et les différends politiques pèsent parfois sur le fonctionnement de l'UpM. Mais les progrès sont néanmoins certains. Ainsi, la création, le 26 mai 2010, d'Inframed, un fonds d'investissement doté de 385 millions d'euros pour financer les projets de l'UpM pourrait permettre à celle-ci, d'après la Caisse des dépôts et consignations de « mobiliser à terme 1 milliard d'euros », et donc de changer d'ampleur.

Le cadre juridique de ce partenariat est en tout état de cause posé et il fonctionne à travers des réunions interministérielles, notamment sur le problème de l'eau. Certains projets prennent forme : l'université euro-méditerranéenne a ainsi été mise en place à Portoroz ; le programme Desertect, lancé en juillet 2009, a permis d'installer des fermes solaires et éoliennes à grande échelle en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, et le projet Medgrid, lancé en décembre 2010, regroupe une vingtaine de sociétés visant à permettre l'acheminement d'électricité d'origine photovoltaïque du Sud vers le Nord. Un accord a par ailleurs été obtenu sur la création d'un centre stratégique pour la protection civile en Méditerranée, et conformément aux recommandations de notre collègue Roland Courteau, il serait utile d'envisager un centre d'alerte aux tsunamis.

Quant au statut avancé, un rapport relatif à la mise en oeuvre de la politique européenne de voisinage par le Maroc en 2010, paru le 25 mai 2011, souligne un bilan « globalement positif », qui devrait « se traduire par davantage de réalisations concrètes en 2011 », et met en avant la mise en oeuvre des réformes structurelles malgré quelques réserves en matière de droits des femmes, de liberté d'information ou encore de justice.

Enfin, dans une dernière partie, j'évoque certains chantiers de modernisation lancés par Mohammed VI que nous avons pu visiter et dont nous avons pu constater sur place l'ampleur et l'ambition.

Le Maroc est en effet aujourd'hui résolument tourné vers le développement durable, menant dans ce domaine depuis plusieurs années une politique volontariste et diversifiée.

Nous avons tout d'abord pu rencontre Mme Amina Benkhadra, la ministre de l'Énergie, des mines, de l'eau et de l'environnement, qui nous a exposé le programme de développement énergétique privilégiant un bouquet diversifié et équilibré, avec une place de choix pour les énergies renouvelables. D'ici à 2020, le pays s'est donné pour objectifs de tripler la puissance électrique installée et de développer les centrales fonctionnant avec des énergies renouvelables afin qu'elles représentent 42% de la capacité électrique totale installée et un nouveau cadre législatif a été adopté en février 2010, afin d'assurer le développement des énergies renouvelables.

Sur ce sujet, nous avons pu visiter le site de Tétouan de la cimenterie Lafarge au Maroc, qui présente la particularité d'avoir mis en place un système d'autoproduction de son électricité, grâce à un parc éolien permettant de produire 32 MégaWatts par an et correspondant à une réduction des gaz à effet de serre à hauteur de 90 000 tonnes de CO2 par an.

Nous avons également visité la vallée du Bouregreg, entre Rabat et Salé, dont l'aménagement lancé en 2006 symbolise la volonté d'une modernisation soucieuse des enjeux du développement durable. L'organisation des transports constitue un axe important de cet aménagement avec la mise en place du tramway de Rabat-Salé, issu d'une collaboration avec Alstom, la construction du pont Moulay Hassan II et le creusement du tunnel des Oudayas.

La délégation a visité le récent port de Tanger-Méditerranée, véritable port leader en Méditerranée. Bénéficiant d'une situation géographique exceptionnelle, sa capacité initiale s'élève à 3 millions de conteneurs auxquels viendra s'ajouter une extension (Tanger Med 2), dont la capacité devrait être de 5,2 millions de conteneurs à l'horizon 2016. Le port est par ailleurs bordé d'une zone franche comprenant des zones logistiques et industrielles. Un des premiers groupes installés est le groupe franco-japonais Renault-Nissan, qui est en train de construire une usine de production d'une capacité de 200 000 voitures par an.

A l'issue de cette présentation, je vous proposerai d'intituler ce rapport « Les chantiers du Maroc de demain ». Il apparaît en effet que ce pays est entré pleinement dans la voie de la modernisation par le biais de réformes économiques ambitieuses et axées sur le développement durable, d'un partenariat poussé avec l'Union européenne et de réformes sociétales et politiques dont il conviendra de suivre attentivement les retombées.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Le bureau de la commission avait fait le choix d'un déplacement au Maroc car la France, qui assurait la présidence de l'Union européenne, avait mis en avant l'Union pour la Méditerranée. On voit bien que ces pays aspirent à la démocratie. Tout ce qui s'est passé dernièrement le montre, alors même que l'on n'imaginait pas une telle évolution. L'aspiration de ces pays à la démocratie constitue bel et bien l'enjeu de l'Union européenne pour demain. Il est important de les soutenir. C'est une chance pour l'Europe que ces pays se développent.

M. Charles Revet. - Je remercie notre rapporteur pour son bilan très complet de la situation au Maroc. J'ai eu l'occasion de m'y rendre dans le cadre d'un déplacement du groupe de travail sur la réforme portuaire que j'ai l'honneur de présider. On voit que finalement, la France est pratiquement le seul partenaire économique du Maroc. Le récent attentat de Marrakech rappelle d'ailleurs les risques que cela comporte. Cela étant, il est de notre intérêt de continuer cette démarche en facilitant les moyens d'échanges. Mais il y a encore beaucoup à faire. Dans le domaine des échanges maritimes, Tanger peut être, comme Algésiras de l'autre côté du détroit de Gibraltar, un partenaire de nos ports, au Sud comme au Nord.

M. Marc Daunis. - Je voudrais tout d'abord souligner l'excellent travail qui a été fait sous l'impulsion du rapporteur pendant cette mission, dont le rythme s'est avéré très soutenu, peut-être même un peu trop !

De façon plus sérieuse, je crois que le rapport commence par une vérité dont n'avons pas assez conscience : la place stratégique du Maroc par rapport à l'Europe et par rapport au continent africain. J'ai la conviction depuis de nombreuses années que le Maroc constitue un point d'accès et de diffusion pour tout le continent africain particulièrement privilégié. Avec l'Afrique du Sud, ce sont les deux pays qui ont un fort potentiel de développement au niveau de l'Afrique.

C'est pourquoi, je crois que la construction d'un espace euro-méditerranéen est majeure pour les décennies à venir : hélas je ne suis pas persuadé que les ambitions que nous avons en la matière soient à la hauteur. Il conviendrait que le Sénat puisse avoir un suivi particulier sur cette question de l'Union pour la Méditerranée.

Je souhaiterais également nuancer fortement le propos de notre collègue Charles Revet lorsqu'il affirme que la France est le seul partenaire économique du Maroc : historiquement, nous demeurons le principal partenaire mais l'Espagne est en train de développer l'éolien, l'Allemagne le photovoltaïque, les Etats-Unis sont en train sur un plan financier et politique, voire culturel, d'investir au Maroc alors que les élites étaient traditionnellement formées en France.

Je souhaiterais que nous puissions travailler prochainement sur un paradoxe : la France s'investit massivement dans les formations primaires et secondaires or on s'aperçoit qu'au moment des études supérieures, les jeunes élites marocaines préfèrent de plus en plus, se tourner vers les Etats-Unis ou l'Angleterre, ce qui contribue à distendre les liens avec la France. Autrefois, le débouché quasi-obligatoire des étudiants marocains à l'étranger, c'était la France mais nous sommes sur une pente dangereusement décroissante.

Il faut certes une université euro-méditerranéenne, mais il faut aussi faciliter l'accès à la formation, et notamment dans les filières d'excellence, des jeunes qui sont appelés à être les futurs cadres de l'économie marocaine.

Nous devons enfin prendre garde à ce qui se passe autour du développement du port de Tanger Med. Cela va bouleverser les mouvements portuaires et l'organisation globale y compris de notre propre façade maritime.

Notre commission pourrait assurer un suivi sur le long terme en sélectionnant des sujets stratégiques.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Nous devons effectivement garder notre place dans la mondialisation et les échanges extérieurs. Je suis tout à fait d'accord par ailleurs : le suivi de ce pays, qui est à notre porte, doit être un souci de notre commission.

M. Michel Bécot. - Je crois que c'est important d'avoir fait ce déplacement au Maroc. Je suis assez d'accord avec ce que vient de dire notre collègue Marc Daunis, notamment sur la question de l'importance de l'Union pour la Méditerranée. Je crois tout de même que les élites marocaines aiment toujours venir étudier en France.

Je voudrais par ailleurs souligner que très tôt, le Maroc a su faire des réserves d'eau importantes même dans le Sud du Maroc ainsi que des barrages.

J'ai néanmoins une seule inquiétude : c'est la corruption. Il faut une vraie politique pour la fonction publique.

M. Gérard César. - Je vous remercie pour ces interventions. Je voudrais rappeler à Charles Revet que l'objectif du site de Renault sur la zone franche de Tanger c'est la production de 200 000 voitures par an, la création de 6000 à 7000 emplois directs et de 30 000 emplois indirects chez les équipementiers installés autour du site. Le développement de ce port est très important. Marc Daunis a souligné fort opportunément la place du Maroc dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée, qui doit être encouragée, ainsi que les problèmes liés à l'université. La proposition, relayée par notre président, du suivi de ce pays qui est à notre porte va dans le bon sens. Le suivi notamment des réformes et des chantiers mis en oeuvre par le roi Mohammed VI est essentiel. Enfin, Michel Bécot a souligné l'importance de la pluie pour l'économie marocaine. Le problème de la corruption est également à relever et à suivre particulièrement.

La commission autorise, à l'unanimité, la publication de ce rapport d'information.

Audition de Mme Patricia Lemoyne de Forges, président de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA)

Puis la commission procède à l'audition de Mme Patricia Lemoyne de Forges, président de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA).

M. Jean-Paul Emorine, président. - L'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA) a été créée par la loi du 12 juillet 1999 afin de contrôler l'application des dispositifs de lutte contre les nuisances sonores occasionnées par le transport aérien. Le 1er novembre dernier, en application de la loi « Grenelle II » du 12 juillet 2010, l'ACNUSA est devenue l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, car elle doit désormais contrôler les nuisances environnementales d'une manière générale, qu'il s'agisse du bruit ou de la qualité de l'air.

Cette nouvelle compétence constitue une reconnaissance pour la grande qualité du travail effectué par l'Autorité depuis plus de dix ans. Je remercie donc Mme Patricia Lemoyne de Forges, président de l'ACNUSA, d'avoir accepté notre invitation, pour présenter le rapport établi par cette autorité. J'ai également souhaité que les membres de la commission spéciale sur le Grand Paris puissent participer à cette audition.

Madame le Président, sans doute pourrez-vous nous dresser un premier bilan de la mise en oeuvre de la nouvelle compétence de l'Autorité, mais également nous présenter un point sur les nuisances sonores, s'agissant notamment des vols de nuit. Je vous demanderai ainsi comment l'Autorité compte concilier le contrôle des nuisances aériennes d'une part et des émissions polluantes d'autre part : ces deux objectifs sont-ils toujours compatibles ?

Mme Patricia Lemoyne de Forges, président de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires. - L'ACNUSA est la première autorité administrative indépendante dans le domaine de l'environnement. Créée par la loi du 12 juillet 1999, elle a vu ses compétences étendues à la pollution atmosphérique sur et autour des aéroports par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement. C'est une instance de concertation et de dialogue, garante de la transparence des informations. 

L'ACNUSA compte dix membres dont le mandat est de six ans : cinq membres sont renouvelés tous les trois ans. Non révocables et non renouvelables, ils sont nommés par décret en Conseil des ministres. Deux sont désignés par le Parlement et huit par le gouvernement. Leur mandat est incompatible avec toute activité professionnelle et toute responsabilité associative en lien avec l'activité des aéroports, avec tout mandat électif et avec la détention d'intérêts dans une entreprise des secteurs aéronautique ou aéroportuaire.

L'Autorité peut être saisie par un ministre, par une commission consultative de l'environnement, une commune ou un établissement public de coopération intercommunale, ainsi que par une association concernée par l'environnement aéroportuaire. Elle peut également se saisir elle-même.

Elle exerce deux types de compétences. Sur la France entière en premier lieu, elle émet des recommandations sur toute question relative aux nuisances environnementales générées par le transport aérien sur et autour des aéroports :

- pour les nuisances sonores : il s'agit de la mesure du bruit et ses indicateurs, de l'évaluation de la gêne sonore et de la maîtrise des nuisances sonores du transport aérien et de l'activité aéroportuaire, enfin de la limitation de leur impact sur l'environnement, notamment par l'instauration de procédures particulières au décollage et à l'atterrissage ;

- pour la pollution atmosphérique : l'Autorité rend chaque année un rapport de synthèse sur les informations et propositions émises par l'ensemble des parties concernées.

Elle peut prononcer des amendes administratives, sanctionnant le non-respect des arrêtés du ministre chargé de l'aviation civile qui fixent des restrictions permanentes ou temporaires d'usage de certains aéronefs en fonction de leur classification acoustique, des restrictions permanentes ou temporaires de certaines activités en raison des nuisances sonores qu'elles occasionnent, des procédures particulières de décollage ou d'atterrissage en vue de limiter leurs nuisances sonores, par exemple les volumes de protection environnementale sur certains aéroports, des règles relatives aux essais moteurs et des valeurs maximales de bruit à ne pas dépasser.

Ces arrêtés concernent les aéroports de Bâle-Mulhouse, Beauvais-Tillé, Bordeaux, Lyon-Saint-Exupéry, Marseille-Provence, Nantes-Atlantique, Nice-Côte-d'Azur, Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Le Bourget, Paris-Orly et Toulouse-Blagnac. L'aéroport de Strasbourg s'appuie, pour sa part, sur une charte de bonne conduite.

L'Autorité a prononcé des amendes pour un montant de plus de 25 millions d'euros au total depuis 2002, les arrêtés de restriction ayant commencé à être pris à cette date. Ces sommes abondent le budget général de l'État, mais nous souhaiterions qu'elles soient plutôt destinées à des mesures en faveur des riverains. Des amendes d'un montant de 1,685 million d'euros ont déjà été prononcées depuis le 1er janvier 2011.

L'ACNUSA dispose en second lieu de compétences particulières :

- d'une part pour les aérodromes pour lesquels le nombre annuel des mouvements d'aéronef de plus de 20 tonnes a dépassé 20 000. Sont concernés les aéroports de Bâle-Mulhouse, Beauvais, Bordeaux-Mérignac, Lyon-Saint-Exupéry, Marseille-Provence, Nantes-Atlantique, Nice-Côte-d'Azur, Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly, Strasbourg-Entzheim et Toulouse-Blagnac ;

- d'autre part pour les aérodromes dont le nombre annuel de mouvements d'aéronef de plus deux tonnes dépasse 50 000, si le plan d'exposition au bruit (PEB) ou le plan de gêne sonore (PGS) de cet aérodrome possède un domaine d'intersection avec les PEB et PGS d'un aérodrome défini dans le point précédent. Cette disposition vise en fait l'aéroport de Paris-Le Bourget, dont les PEB et PGS sont en cours d'élaboration.

Sur ces aéroports, l'Autorité dispose de pouvoirs spécifiques :

- dans le domaine des nuisances sonores, elle définit les indicateurs de mesure du bruit et de la gêne sonore et les prescriptions techniques relatives aux dispositifs de mesure de bruit, s'assure du respect de ces prescriptions par l'exploitant et diffuse l'information auprès du public. Elle est consultée sur les projets de plans et les révisions des PEB et des PGS ainsi que sur les projets de textes règlementaires, contrôle le respect des engagements pris dans des chartes et peut enfin être saisie d'une demande de médiation ;

- dans le domaine de la pollution atmosphérique, elle est chargée de contribuer au débat en matière d'environnement aéroportuaire et peut formuler des propositions d'études pour améliorer les connaissances et diffuser ces études.

Chaque année, l'Autorité établit un rapport rendant compte de son activité. Ce rapport, qui est remis au gouvernement et au Parlement, doit comporter une partie consacrée aux vols de nuit et une synthèse des informations et propositions relatives à la pollution atmosphérique. Les services de l'administration doivent répondre à ce rapport et aux avis et recommandations de l'Autorité dans un délai de six mois.

Les demandes de l'Autorité peuvent être réparties en trois grandes catégories :

- réduire la gêne lors du survol : il faut encourager la nuit et lors des périodes de jour peu chargées les approches en descente continue, ce qui permet un gain de bruit significatif pour les personnes habitant les communes situées en amont de la trajectoire, conduire de nouvelles réflexions sur la prise en compte globale de l'intérêt général lors de transfert de nuisances, enfin généraliser l'installation et l'utilisation des dispositifs d'alimentation fixes qui fournissent à la fois du courant électrique et de l'air pré-conditionné ;

- réparer et prévenir les nuisances sonores : l'Autorité propose de mettre en place un programme pluriannuel volontariste visant à terminer en cinq ans l'insonorisation des logements, de prendre en charge les travaux à 100 %, d'étudier la création d'une zone de transition aux limites du PGS moins 3 dB où l'aide serait réduite de moitié et d'envisager l'ouverture d'un recours aux riverains hors PGS qui démontreraient que le niveau de bruit est supérieur à celui du PGS. En terme d'urbanisation, l'Autorité recommande d'encadrer le renouvellement urbain et, dans la perspective d'une évolution indispensable du droit, de confier une mission de bilan et de préconisations au Conseil général de l'environnement et du développement durable, de renforcer également le contrôle de légalité en zone C des PEB et de mettre en place, dans le cadre du Grand Paris, une expérimentation portant sur l'accompagnement de la transformation d'une zone bâtie proche d'une plateforme ;

- améliorer les connaissances, la communication et le partage d'informations : une réflexion doit être engagée sur les processus de concertation et de consultation des populations. L'enquête DEBATS tend à mieux connaître et mieux quantifier les effets du bruit des avions sur la santé des populations riveraines des aéroports français : elle comporte une phase d'observation épidémiologique avec mesures ; après la mise au point en 2010 du protocole définitif de recherche, l'étude pilote doit démarrer au deuxième semestre 2011 pour un achèvement de l'enquête en 2016.

Enfin, l'Autorité propose, s'agissant des vols de nuit, de ne les autoriser que pour les avions les moins bruyants, de retenir pour les mesures de restriction une période correspondant à huit heures de sommeil et non à cinq heures comme c'est le cas actuellement à Roissy-Charles-de-Gaulle, de mettre en place un groupe de travail ACNUSA sur les vols de nuit et enfin de porter les réflexions sur ce sujet au niveau européen.

M. Michel Bécot. - Il est bon de préconiser l'interdiction de construction dans les zones les plus concernées par les nuisances sonores, mais jusqu'à quelle distance cette interdiction doit-elle être mise en oeuvre ? Les mesures d'insonorisation ne devraient d'ailleurs pas s'arrêter selon une limite géographique trop précise, car le bruit se répand de manière plus diffuse.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Je constate que le trafic aérien croît de manière exponentielle, mais que la plupart de nos concitoyens ne se sentent pas concernés directement par les nuisances sonores aéroportuaires : comment faire pour parvenir à une meilleure prise de conscience de ces questions, d'autant que la variation des procédures d'atterrissage est susceptible de nuire à un nombre d'habitants de plus en plus important ? Je souligne également que ce problème touche, au-delà de Paris, des villes de province telles que Toulouse dont l'aéroport est bordé par des zones urbanisées.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Tout en évoquant les nuisances, il faut aussi souligner l'apport que jouent les aéroports pour le développement économique régional et national.

Mme Catherine Procaccia. - Dans quel cadre particulier s'organise la concertation avec les élus ? Je rappelle que les nuisances sont souvent transférées sur de nouvelles populations à l'occasion de travaux sur les plateformes aéroportuaires : l'ACNUSA est-elle consultée à cette occasion, de manière à élaborer des recommandations à l'avance ? Je pense ainsi à la construction d'un nouveau terminal à Roissy. Le Grand Paris prévoit la construction de nouvelles gares et de nouveaux logements sociaux et les communes doivent d'ores et déjà respecter les règles de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains : comment peuvent-elles y parvenir lorsqu'elles sont à proximité des aéroports ? Je constate enfin que le nombre de sanctions, qui était en baisse ces dernières années, semble repartir à la hausse cette année : quelle en est la raison ?

M. Marc Daunis. - Quel regard portez-vous d'ores et déjà sur la pollution de l'air autour des aéroports ? S'agissant des nuisances sonores, la tendance est-elle à l'amélioration malgré l'augmentation du trafic ? Je rappelle que Nice-Côte d'Azur est la deuxième plateforme aéroportuaire après Paris : quelle est la position de l'ACNUSA sur la polémique relative aux politiques d'approche, s'agissant d'une zone dense en habitat ? Enfin, quelle est votre avis sur l'évolution de l'aéroport de Cannes-Mandelieu ?

M. Jean-Paul Emorine, président. - Quel bilan l'ACNUSA tire-t-elle de la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, qui a modifié les règles d'urbanisation autour de l'aéroport d'Orly ?

Mme Patricia Lemoyne de Forges. - Je rappelle que l'urbanisation autour des aéroports est réglementée par les plans d'exposition au bruit, dont les zones A et B sont globalement inconstructibles, un accroissement faible de l'urbanisation étant autorisé en zone C. Ces zones sont calculées d'après des perspectives d'évolution du trafic à 25 ans.

Les plateformes de Paris-Orly et de Toulouse-Blagnac sont particulières car elles ont été construites dans des zones déjà bien urbanisées. À Paris-Charles-de-Gaulle, peut-être a-t-on laissé construire trop de logements, d'où notre demande d'un renforcement du contrôle de légalité sur les opérations d'urbanisme en zone C des PEB, afin d'appliquer de manière plus satisfaisante l'article L. 147-5 du code de l'urbanisme. Il est toutefois difficile d'apprécier le critère de faible accroissement de la population et les élus ont besoin de trouver des terrains pour construire. Dans le cas d'Orly, certaines communes ont même vu leur population diminuer en raison de la difficulté à rénover les immeubles.

L'ACNUSA n'est pas favorable à une urbanisation non contrôlée et demande la conduite d'une mission d'étude sur la question. Si les riverains sont souvent résignés, les personnes survolées à plus grande distance ont vu leur situation se dégrader en raison de l'accroissement du trafic aérien. Or leur logement est souvent situé hors du PGS et ne donne donc pas droit aux aides à l'insonorisation, qui n'améliorent d'ailleurs la situation qu'à l'intérieur des bâtiments.

À Toulouse-Blagnac, l'ACNUSA a considéré que l'arrêté relatif aux vols de nuit manquait d'ambition.

Je fais observer que les compagnies aériennes ont rencontré ces dernières années des difficultés qui les conduisent à ralentir leur programme de remplacement des avions par des appareils plus récents et moins bruyants. Certains arrêtés de restriction ont d'ailleurs une date d'application différée de plusieurs années afin de donner aux compagnies le temps de s'adapter. Il faut également prendre garde aux effets pervers de certaines mesures : la réduction des vols entre minuit et 5 heures entraîne un report des vols entre 22 heures et minuit d'une part, entre 5 heures et 6 heures d'autre part. C'est pourquoi nous proposons que la période concernée par les restrictions ait une durée de huit heures.

L'ACNUSA rencontre régulièrement les commissions de concertation et entre en contact avec les élus à cette occasion. Nous avons également organisé des rencontres avec les élus l'an dernier afin de leur exposer les projets de relèvement de trajectoire autour d'Orly et de Roissy. Je précise d'ailleurs qu'il n'y a pas de projet de construction d'une nouvelle piste à Roissy, mais que le trafic risque d'augmenter avec la reprise économique. À Orly, le dernier PEB date de 1975. Or on a constaté que les règles de plafonnement risquaient de rétrécir le nouveau PEB.

S'agissant des sanctions, il faut faire observer que la transition vers la nouvelle procédure de sanctions a réduit le nombre de sanctions prononcées en 2010. En 2011, l'instauration de relevés de manquement sur les plateformes de province commence à produire des effets. Je constate que les sanctions ont eu un effet pédagogique sur les compagnies.

S'agissant du contrôle de la pollution de l'air, nous commençons à prendre la mesure de cette nouvelle compétence et nous savons qu'il faudra établir des compromis. En-dessous de 2 000 mètres, c'est la réduction du bruit qui sera prioritaire, ce qui pourra conduire à l'allongement de certaines trajectoires bien que cela augmente la consommation de kérosène.

À Nice-Côte d'Azur, les règles d'approche sont particulièrement complexes et les manquements fréquents. Quant à l'aéroport de Cannes-Mandelieu, nous avons signé un protocole d'accord et nous surveillons l'application de la charte de développement durable. Nous avons demandé la mise en place d'un indicateur sonore afin de disposer de mesures comparables d'une année à l'autre.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Je vous remercie, Madame le président, pour cette présentation très claire de votre rapport.

Instauration d'un nouveau pacte territorial - Examen du rapport

Enfin, la commission procède à l'examen du rapport sur la proposition de loi n° 541 (2010-2011) visant à instaurer un nouveau pacte territorial.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Je donne d'abord la parole à M. Jean-Jacques Lozach, invité à participer aux travaux de notre commission en tant que premier signataire de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.

M. Jean-Jacques Lozach. - Cette proposition de loi propose un nouveau pacte territorial entre l'État et les espaces ruraux. Il s'agit d'interpeller l'État sur certaines de ses missions, je dirais presque ses devoirs, en termes d'unité nationale, d'aménagement du territoire ou d'équité dans les conditions d'accès aux services publics. Le constat de départ est largement partagé et a fait l'objet de débats récents à l'Assemblée nationale, portés par des parlementaires de toutes les sensibilités politiques. Certains ont mis en avant la notion de bouclier rural, que l'association des petites villes de France avait développée dès 2007. Nous avons repris cette notion en l'intégrant dans une vision plus globale, plus cohérente et plus transversale de la ruralité. Il y a en effet un malaise des espaces ruraux, qui ressentent l'impact de la Réforme générale des politiques publiques (RGPP), de la désindustrialisation, de la crise de l'élevage et, plus récemment, de la sécheresse. La réforme territoriale suscite par ailleurs la crainte qu'on se retrouve dans un face à face entre l'État et les espaces métropolitains, d'où les territoires seraient exclus. Une question orale avec débat, portée par Didier Guillaume, a permis au groupe socialiste de lancer le débat dès le mois de janvier de cette année. Cette proposition de loi s'est aussi appuyée sur plusieurs rapports, notamment parlementaires : le rapport de Michèle André sur l'impact de la RGPP dans les préfectures, le rapport d'Yves Daudigny sur l'ingénierie territoriale, le rapport de Jacqueline Gourault et Didier Guillaume sur les relations entre l'État et les collectivités locales ou encore le rapport du Médiateur de la République. Notre objectif est de remettre la problématique de la ruralité au centre du débat public et d'en souligner les atouts. La ruralité est une chance pour notre pays, mais sous réserve qu'un certain nombre de conditions soient remplies.

Ce sont ces conditions que notre texte expose. Il aborde la gouvernance territoriale des politiques publiques, en soulignant la nécessité de mettre en place un dialogue régulier au niveau national entre l'État et les collectivités. L'actuelle conférence nationale des exécutifs ne fonctionne pas de manière satisfaisante et se réunit, un peu au gré de Matignon. Nous voulons donc lui donner un fondement juridique solide. Nous souhaitons aussi une évaluation réelle de l'impact territorial des politiques nationales sectorielles, la pérennisation des contrats de projets État-région, la mise en place d'un contrat rural de cohésion territoriale, l'ouverture d'une grande conférence territoriale pour réfléchir à une nouvelle étape de la décentralisation, la révision des indicateurs utilisés pour l'implantation des services publics, un moratoire de la RGPP, la révision de l'organisation du système de soins avec la mise en place de mesures plus contraignantes pour l'installation des professionnels de santé libéraux en fonction d'un zonage, l'instauration d'un nouveau pacte éducatif, la définition d'un temps d'accès maximum pour accéder à un certain nombre de services publics de base, une extension des missions du centre national pour le développement du sport, l'instauration d'un pacte national de protection et de tranquillité, une politique de maîtrise foncière pour distinguer ce qui relève de l'équipement agricole, urbain ou commercial et une meilleure coordination des divers schémas nationaux de transports qui visent au désenclavement. Nous souhaitons également un service universel de téléphonie mobile et du haut-débit, un retour de l'épargne vers les territoires où elle est collectée, un accès plus aisé des PME à la commande publique, l'utilisation du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce pour la mise aux normes de l'hôtellerie rurale, la création de caisses de mutualisation publique pour l'indemnisation du chômage des artisans, commerçants, professions libérales et mêmes des agriculteurs, la sécurisation du fonctionnement de l'Office national des forêts et un retour au dispositif des contrats territoriaux d'exploitation. Enfin, le dernier article met l'accent sur la notion de péréquation verticale et horizontale entre les collectivités territoriales.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Avant de donner la parole au rapporteur, je voudrais rappeler que les territoires ruraux n'ont pas toujours été abandonnés. J'ai été rapporteur de la loi sur le développement des territoires ruraux de 2005. C'était la première fois qu'un gouvernement s'intéressait à la problématique de la ruralité. La loi DTR, sans être parfaite, apportait déjà des réponses. On peut en zone de revitalisation rurale, avec l'avis de l'agence régionale de santé, financer des maisons de santé. S'agissant des médecins, je rappelle qu'au début des années 2000, il y avait un numerus clausus réduit à 2 000 médecins formés par an et que nous l'avons relevé à 7 000 depuis trois ou quatre ans. Pour les politiques foncières, vous n'avez pas dû suivre l'évolution de la politique des schémas de cohérence territoriale, pas plus que ce qu'a déclaré le ministre de l'agriculture. Tout le monde a pour objectif une meilleure utilisation des ressources foncières, notamment par la lutte contre la consommation d'espaces naturels ou agricoles. Concernant les infrastructures, je voudrais aussi rappeler que la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire a récemment débattu du schéma national des infrastructures de transport. Je voudrais enfin attirer votre attention sur les contraintes et sur l'impact financier des anciens contrats territoriaux d'exploitation : il aurait fallu multiplier le budget de l'agriculture par trois ou quatre pour y faire face. Je passe maintenant la parole au rapporteur.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Ce texte de M. Jean-Jacques Lozach, membre de la commission de la culture, et de deux de nos collègues de la commission de l'économie, Mme Renée Nicoux et M. Didier Guillaume, est cosigné par l'ensemble des membres du groupe socialiste et apparentés. Ambitieux dans son objet, il vise à instaurer un nouveau pacte territorial.

Cette proposition de loi se situe à la croisée de la question institutionnelle des relations entre l'État et les collectivités territoriales et de la problématique de l'aménagement du territoire. On y retrouve certaines dispositions de la proposition de loi « pour l'instauration d'un bouclier rural au service des territoires d'avenir », présentée par le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, qui a été discutée et rejetée le 29 mars dernier. Mais elle est plus diverse par les sujets abordés. Je relève, d'ailleurs, que son examen aurait pu justifier la constitution d'une commission spéciale.

Afin de bien saisir l'intention des auteurs de ce texte, je crois qu'il convient de lire attentivement son exposé des motifs. Celui-ci débute par une dénonciation, en termes virulents, des effets territoriaux de la révision générale des politiques publiques engagée depuis cinq ans. Le constat de départ des auteurs est celui d'une défaillance radicale de la politique nationale d'aménagement du territoire. Pour expliquer cette situation, les auteurs de la proposition de loi mettent en avant tout particulièrement la révision générale des politiques publiques, politique qualifiée de court termiste, marquée par la volonté de réduire le champ du périmètre d'intervention publique en livrant des biens publics comme l'éducation et la santé aux appétits marchands. Plus généralement, les auteurs de la proposition de loi n'admettent pas la pertinence des outils récents de la politique d'aménagement du territoire. La logique de pôles, de compétitivité ou d'excellence rurale, ne ferait que renforcer, selon eux, les forces d'attraction des zones déjà attractives. Quant à la pratique des appels à projet, elle ne favoriserait pas une politique d'aménagement équilibré des territoires mais les mettrait en concurrence. Enfin, les auteurs de la proposition de loi s'inquiètent de ce qu'ils considèrent comme une crise des relations entre l'État et les collectivités territoriales. Ils dénoncent une crise du dialogue entre l'État et les collectivités territoriales et un désengagement de l'État.

La majorité de notre commission ne peut pas admettre cette critique sans concession de la politique du Gouvernement en matière d'aménagement du territoire. Je rappellerai les rapports d'information produits par M. Rémy Pointereau dans le cadre du groupe de travail sur les pôles d'excellence rurale, par MM. Michel Houel et Marc Daunis dans le cadre du groupe de travail sur les pôles de compétitivité. Je veux citer également les rapports d'information de M. Bruno Sido sur la couverture du territoire en téléphonie mobile, et de M. Louis Nègre dans le cadre du groupe de suivi du schéma national des infrastructures de transports. Je n'oublie pas non plus nos travaux législatifs récents, avec le rapport de M. Bruno Retailleau sur la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique, ni le rapport que je vous ai présenté sur le projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux services postaux.

L'ensemble des travaux de notre commission, tout en proposant des améliorations, donne acte au Gouvernement de ses efforts pour maintenir la cohésion du territoire dans un contexte économique et budgétaire difficile. Nous nous inscrivons ainsi dans une démarche de critique constructive, et non pas de dénonciation virulente.

Cette mise au point faite, j'en viens à mes observations sur le contenu même de la proposition de loi. Ma première observation est que la valeur normative des différentes dispositions de ce texte est très inégale. Beaucoup d'entre elles, et non des moindres, n'ont pas d'effet juridique direct, mais devraient plutôt relever d'une loi de programmation assignant à l'État des objectifs pour l'avenir. Ma deuxième observation est relative au coût financier de cette proposition de loi, qui est vraisemblablement élevé mais n'est aucunement évalué. J'estime qu'au moins neuf articles ont un coût certain et tombent sous le coup de l'article 40 de la Constitution, qui exclut formellement que l'on puisse gager financièrement la création ou l'aggravation d'une charge publique. Enfin, ma dernière observation sera relative au caractère précipité du rythme imposé pour l'examen de cette proposition de loi. Elle respecte de justesse le délai minimum de six semaines prévu par le règlement du Sénat, alors que la diversité et l'ambition des sujets abordés auraient largement justifié davantage de temps pour leur analyse. Mais cette précipitation de la part de ses auteurs est surtout regrettable parce que les domaines abordés par cette proposition de loi recoupent les champs d'investigation de trois missions communes d'information du Sénat qui n'ont pas encore fini leurs travaux ou les achèvent tout juste : celle sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations en matière scolaire, celle sur les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales et les services publics locaux et celle relative à Pôle emploi. Ainsi, cette proposition de loi préjuge largement des conclusions de ces trois missions communes d'information et j'estime indispensable que notre commission puisse se prononcer en bénéficiant de l'éclairage apporté par les analyses solidement étayées qui résulteront de leurs travaux.

Aussi je vous propose, à ce stade, d'adopter une motion tendant au renvoi de ce texte en commission.

M. Jean-Paul Emorine, président. - Les dispositions de la proposition de loi me paraissent plus relever d'un programme présidentiel que d'une éventuelle loi de programmation...

M. Michel Teston. - Vous avez reproché à cette proposition de loi, Monsieur le Président, de faire fi des initiatives prises au cours des dernières années, à l'exemple de la loi DTR de 2005. Le rapporteur a quant à lui évoqué les dispositifs mis en place en faveur des territoires ruraux, comme les pôles d'excellence rurale.

L'efficacité de ces différents dispositifs n'a cependant pas paru évidente au Gouvernement lui-même. En 2006, le Gouvernement dirigé par Dominique de Villepin a ainsi élaboré une charte sur l'organisation de l'offre des services publics en milieu rural, signée notamment avec l'Association des maires de France (AMF), la Poste, la SNCF ou encore l'ANPE. Lors d'une séance de questions cribles thématiques, M. Michel Mercier, alors ministre en charge de l'aménagement du territoire, avait indiqué, en réponse à une question que je lui avais posée sur l'organisation des services publics en territoire rural, que cette charte devait être appliquée. Aujourd'hui, ni la loi DTR ni cette charte ne constituent des réponses adaptées aux difficultés rencontrées par les territoires ruraux. Le groupe socialiste souhaite donc être plus ambitieux.

Enfin, je souhaite indiquer au rapporteur, qui propose d'adopter une motion de renvoi en commission, que nous sommes aujourd'hui même en commission : nous pouvons donc débattre dès maintenant du contenu de ce texte.

M. Martial Bourquin. - Cette proposition de loi aborde la question essentielle du déclin de la ruralité. Il n'est pas dans notre volonté de négliger ce qui a été fait au cours des dernières années : les différents dispositifs sont cependant restés sans effets. Les territoires ruraux rencontrent en effet des problèmes aigus : je le constate dans le département du Doubs avec la fermeture de bureaux de poste, de classes ou encore des regroupements pédagogiques non demandés.

La proposition de loi constitue donc une réponse utile. Je pense que nous pouvons dresser, par delà nos divergences politiques, un constat commun. Un « nouveau pacte territorial » est indispensable, sous peine de voir se produire un nouvel exode rural. L'équilibre auquel est parvenu la Franche-Comté, avec 48 % de population rurale et 52 % de population urbaine, est menacé. A l'avenir, le fait d'habiter à la campagne ou en ville ne sera plus un choix.

Mme Renée Nicoux. - Je m'étonne des attaques virulentes du Président et du rapporteur contre cette proposition de loi.

Ce texte part d'un constat qui peut être fait par des élus de gauche comme de droite : l'absence voire la disparition des services publics en certains endroits du territoire. Nous estimons que les territoires ruraux constituent une chance pour notre pays : la volonté de nombre de nos concitoyens urbains de venir s'installer en milieu rural en est une illustration. Qu'en sera-t-il lorsqu'il n'y aura plus de services publics sur ces territoires ?

Aujourd'hui, les élus ne sont pas consultés sur la fermeture des services publics, comme dans le cas des tribunaux ou des classes. La Charte de 2006 vise certes à permettre le maintien des services publics, mais en partageant les coûts entre l'État, les prestataires ainsi que les collectivités territoriales. C'est une façon de reporter une charge sur des collectivités territoriales démunies : dans les zones urbaines, l'ensemble des coûts est pris en charge par les prestataires.

C'est un des sujets devant être abordé et qui fait partie des objectifs de cette proposition de loi : faire en sorte que les territoires ruraux soient traités de la même façon que les autres territoires et assurer un égal accès aux services publics sur l'ensemble du territoire.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Le diagnostic qui est à l'origine de cette proposition de loi ne semble pas partagé sur l'ensemble de nos bancs. Des initiatives ont bien entendu été prises en faveur des territoires ruraux au cours des dernières années. Cependant, je rappelle que la réforme des cartes judiciaire et hospitalière est intervenue, ainsi que de nombreuses fermetures d'écoles. La fermeture d'une école est un élément très significatif, qui enclenche un déclin démographique et peut conduire à une perte d'attractivité du territoire concerné. Quant aux généralistes, ils sont dissuadés de s'installer en zone rurale, s'ils ne disposent pas du soutien d'un plateau technique hospitalier à proximité.

Je vous invite à relire les comptes-rendus des questions orales sans débat du mardi matin : chaque semaine, des sénateurs de tous bords interpellent les ministres sur la question des services publics.

Il me paraît donc tout à fait adéquat de discuter de ce texte aujourd'hui. Le diagnostic me paraît réaliste. Il y a en effet un clivage idéologique entre la majorité et notre groupe sur cette question. La majorité est cohérente avec la politique de la révision générale des politiques publiques : il s'agit d'appliquer aux services publics locaux la logique qui a été appliquée aux services publics nationaux.

M. Dominique Braye. - Je suis d'accord sur la nécessité d'avoir un débat sur ce sujet d'importance, mais une proposition de loi déposée ainsi à la sauvette est une insulte à la ruralité. Est-ce de la démagogie à l'approche des élections ou de l'amateurisme parlementaire ? Je me demande, en outre, si nos collègues de l'opposition ont conscience du problème de la dette publique. Les territoires ruraux représentent 85 % du territoire national et 20 % de la population : ils méritent mieux que ce texte. C'est donc avec enthousiasme que je voterai son renvoi en commission.

M. Alain Houpert. - Je suis représentant d'un territoire dont la densité est de quatre habitants au kilomètre carré. Je connais bien la ruralité. Habiter dans un village est un choix : c'est le choix du bonheur avec des contraintes. J'ai vu évoluer la ruralité et j'ai pu la comparer à la ville. Je constate qu'il y a plus de services au public qu'avant. On peut avoir des assistantes sociales. On ferme moins d'écoles en territoire rural qu'en territoire urbain. Il y a 17 000 points de présence postale en France. La Poste propose des agences communales : les gens en sont satisfaits. Il y a des transports scolaires. C'est mieux qu'avant. On ne peut pas juger l'offre de services en territoire rural par rapport à celle des villes : ce serait déraisonnable. Concernant la carte hospitalière, on ne peut pas garder des hôpitaux qui font la même chose partout, sinon on perd en qualité des soins. L'avenir, c'est de spécialiser les sites, et de développer le télédiagnostic. Donc je suis résolument optimiste pour la ruralité. Pour citer Bernanos, « le pessimiste est un imbécile malheureux ».

M. Gérard Bailly. - Je connais bien aussi la ruralité. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas de problèmes dans la ruralité, mais il faut les analyser avec sérénité en prenant en compte notamment ce que permettent les techniques modernes de communication. Chacun sait que certains bureaux de poste dans des petits villages ne voyaient aucun client pendant des après-midi entières. Dans les petites communes, la présence postale telle qu'elle est organisée aujourd'hui est meilleure qu'auparavant. Je voudrais aussi rappeler la « loi Chevènement » du 12 juillet 1999 qui réforme la dotation globale de fonctionnement au détriment des petites communes. Pourquoi votre proposition de loi ne revient-elle pas là-dessus ? Je crois que le grand mérite de ce texte est qu'on pourra vous le rappeler s'il y a une alternance politique l'année prochaine. Vous aurez les finances de l'État dans la même situation que la majorité actuelle : vous devrez bien tenir compte de cette réalité ! On ne peut pas conserver dans chaque bourg la totalité des administrations. Il faut plutôt privilégier une approche en termes de maison des services publics. Donc, je voterai aussi le renvoi en commission parce que les problèmes de la ruralité ne se règlent pas à travers une approche politicienne mais par une action sereine et pragmatique.

M. Alain Fauconnier. - La présentation qui a été faite de la réforme hospitalière est risible. La tarification à l'activité est un mécanisme qui crée du déficit dans les petites structures, que ce soit les maternités ou les services d'urgence, car elle ne permet pas de couvrir les coûts fixes imposés par les normes. Elle condamne donc ces structures à disparaître. La disparition de toute notion de budget global au profit exclusif de la tarification à l'activité est bien un outil de restructuration.

M. Pierre Hérisson. - Les débats de ce matin confirment qu'il faut se donner le temps d'approfondir la réflexion et de pouvoir exploiter les travaux considérables des missions communes d'information. C'est sans aucune hésitation que je vous soumets donc une motion de renvoi en commission.

M. Michel Teston. - Le vote de cette motion renverra l'examen du texte à la prochaine session parlementaire. Vous bottez en touche pour repousser le débat après les sénatoriales de septembre.

La motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi est adoptée.

Audition de M. Emmanuel Berthier, délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission entend M. Emmanuel Berthier, délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale.

M. Jean-Paul Emorine, président. - J'ai le plaisir de vous accueillir devant la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, pour une audition portant sur l'ensemble des activités de la DATAR. Vous êtes le délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale après avoir fait l'essentiel de votre carrière au sein du corps préfectoral. Les sujets que vous pourriez aborder au cours de votre audition sont nombreux. Il y a tout d'abord la politique européenne de cohésion et la mise en oeuvre des fonds structurels, sujet sur lequel travaille notre collègue Rémy Pointereau. Vous pourriez aussi nous parler des travaux de prospective menés par la DATAR à l'horizon 2040. Je pense que nous serions tous intéressés de savoir comment la DATAR conçoit le suivi du plan d'action en faveur des territoires ruraux, adopté lors du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 11 mai 2010. Vous pourriez également nous parler des pôles d'excellence rurale, dont la seconde génération vient d'être lancée. Enfin, nous serions intéressés par le point de vue de la DATAR sur la problématique de l'aménagement numérique du territoire.

M. Emmanuel Berthier, délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR). - Je ne suis à mon poste que depuis cinq mois. Lors du dernier CIADT, réuni le 11 mai 2010 sous l'autorité du Premier ministre, deux thèmes ont été mis en avant : les pôles de compétitivité et les aménagements en faveur des territoires ruraux. Sur les 70 mesures décidées, beaucoup sont déjà en vigueur.

Le plan d'action spécifique en faveur des territoires ruraux a retenu quatre axes. Le premier axe vise à l'amélioration de l'accessibilité de ces territoires, avec des mesures en faveur de la téléphonie mobile, de la couverture numérique du territoire, ou des aménagements prévus dans le cadre du schéma national des infrastructures de transport (SNIT). Le deuxième axe consiste à favoriser le développement économique, notamment en modifiant le dispositif des zones de revitalisation rurale (ZRR) et en lançant la seconde vague des pôles d'excellence rurale (PER). Le troisième axe concerne l'amélioration de la vie quotidienne des habitants dans les territoires ruraux, avec l'encouragement à la mise en place de maisons de santé, l'expérimentation « plus de services au public » visant à regrouper des services essentiels à la population ou encore l'aide aux propriétaires occupants modestes, portée par l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH). Le quatrième axe concerne l'amélioration de la gouvernance, sujet au coeur de la réunion du réseau rural français (RRF) à Agen en décembre 2010. Dans ce but, un centre national de ressources sera mis en place.

Concernant les ZRR, leur régime est revu sur deux points : d'une part les exonérations sont ouvertes aux cas de transmission d'entreprises ; d'autre part, conformément aux engagements pris par le Gouvernement lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2011, le zonage sera révisé après une réflexion à laquelle devraient être associés six députés et six sénateurs, au sein d'un groupe de travail piloté par la DATAR. Les nouveaux critères de zonage devraient pouvoir être élaborés pour l'exercice budgétaire 2012.

Concernant les maisons de santé, le CIADT du 11 mai 2010 avait décidé du financement de 250 projets de ce type d'ici à 2013. Je rappelle que le comité interministériel des villes (CIV) du 18 février 2011 a décidé, pour sa part, de promouvoir des maisons de santé dans les quartiers couverts par la politique de la ville. Les objectifs devraient être atteints voire dépassés. Un cahier des charges national a été élaboré par la DATAR avec la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS). Une enveloppe budgétaire de 75 millions d'euros est prévue sur les exercices 2011, 2012 et 2013. S'y ajoutent 15 millions d'euros provenant de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et 10 millions d'euros provenant du fonds national pour l'aménagement et le développement du territoire (FNADT). 400 projets ont été recensés, et tous ne pourront être retenus. Mais certains seront financés par d'autres canaux, comme par exemple les hôpitaux. Pour aboutir, un projet doit être porté par une communauté médicale. Une circulaire a été envoyée aux préfets de région pour fixer à 100 000 euros le montant moyen de subvention par projet, le préfet ayant certaines marges de manoeuvres à l'intérieur de l'enveloppe déléguée. Les préfets doivent transmettre les projets à la DATAR avant la fin juin.

L'expérimentation « plus de services au public » a l'ambition d'offrir une offre complémentaire de services publics dans les territoires ruraux, en mutualisant des services alliant présence physique et services par borne. Un accord national a été signé à cet effet par le ministre chargé de l'aménagement du territoire le 28 septembre 2010, avec neuf opérateurs de services public, la Caisse des dépôts et consignations et l'Union nationale des Points information médiation multi services (PIMMS). L'expérimentation concerne 23 départements. La DATAR réunit un comité de pilotage national toutes les semaines. Les projets ont été transmis par les préfectures à la DATAR depuis début 2011 et les premiers contrats (Hautes-Alpes, Manche, Mayenne) devraient prochainement être signés. Les collectivités territoriales sont naturellement associées aux projets. Techniquement, rendre les télé-services interopérables - par exemple entre Pôle emploi et l'assurance maladie - s'avère difficile. Par ailleurs, il sera nécessaire de former les agents intervenant dans les lieux d'accueil. Enfin, un guide de bonnes pratiques et une cellule d'animation nationale seront mis en place. Le nouveau réseau ainsi créé sera rapproché du réseau des points services publics piloté par la direction générale de la modernisation de l'État (DGME).

La première génération de PER a été lancée par le CIADT en 2003 et les premiers appels à projets ont eu lieu en 2005, permettant la labellisation de 379 pôles. Une deuxième génération de PER avait été réclamée lors des Assises des territoires ruraux fin 2009. Deux vagues ont été prévues par le Premier ministre : la première a été lancée en juillet 2010, permettant de désigner les 114 lauréats dès octobre 2010 ; lors de la deuxième vague, 461 dossiers ont été déposés et 150 ont été retenus. Des financements de substitution sont recherchés pour les projets de qualité mais qui n'ont pu être retenus. Les 20 propositions formulées par le sénateur Rémy Pointereau, qui avait procédé à l'évaluation des PER de première génération, ont été intégrées pour la deuxième génération de PER. Le bilan des PER est largement positif : d'une part on constate un « effet label », et d'autre part, les PER permettent une bonne articulation des politiques locales. Les PER accélèrent les dynamiques territoriales. Mais l'évaluation montre une grande inégalité des territoires en matière d'ingénierie de construction de projet, à laquelle il faudra remédier en renforçant le réseau rural. Le suivi des indicateurs n'est cependant pas encore satisfaisant.

Le CIADT de mai 2010 avait aussi prévu de renforcer la politique d'aménagement numérique du territoire, à travers des mesures concernant la téléphonie mobile et l'accès au haut et très haut débit. Au début des années 2000, 2 946 communes relevaient de zones blanches de téléphonie mobile. Le plan de couverture de ces zones, qui a mobilisé 400 millions d'euros d'investissements des opérateurs de téléphonie mobile et 110 millions d'euros d'investissements des collectivités publiques (dont 30 % provenant de l'État), a été exécuté à 99 %. Un second plan a été lancé en 2008 : il concerne 354 communes. Dans certains secteurs il existe des difficultés de financement, même si l'État s'est engagé à apporter 30 % des subventions publiques nécessaires. La DATAR a engagé des études de couverture radio, dont les résultats sont attendus à l'automne 2011, pour identifier les dernières zones non couvertes. Le débat sur les critères de définition de la couverture en téléphonie mobile n'est pas clos et devra se poursuivre pour aboutir à une révision du protocole national de juillet 2003, qui adoptait une définition qui ne correspond plus aujourd'hui aux usages du téléphone mobile.

En ce qui concerne l'accès au très haut débit, le Programme national « très haut débit » (PNTHD) a été lancé lors du dernier CIADT. Au titre des investissements d'avenir, l'État consacrera 4,5 milliards d'euros au très haut débit, dont 2 milliards pour le développement des usages et 2,4 milliards pour les investissements. Les cartes de déploiement de la fibre optique par les opérateurs ont été publiées. La politique du très haut débit repose sur un encouragement des initiatives privées complémentaire du soutien aux initiatives publiques. Les opérateurs en zones difficiles bénéficieront d'1 milliard de prêts. Ces opérateurs devraient avoir la qualité de délégataires des réseaux d'initiative publique. Pour les réseaux publics, 900 millions d'euros seront mobilisés. Il s'agit d'une préfiguration du fonds d'aménagement numérique du territoire. Une modulation de la subvention à la prise, défendue par la DATAR, consistera à prendre en compte la proportion de population vivant en territoires ruraux. Les modalités de cette modulation restent à déterminer, sur la base des statistiques fournies par l'INSEE. Une part des subventions doit être consacrée à la montée en débit, à condition que cette montée en débit prépare le déploiement ultime du très haut débit, par exemple en prévoyant la réutilisation des répartiteurs lors du passage à la fibre optique. Un montant de 40 millions d'euros pourrait également être consacré aux accès par satellites. Le Gouvernement lancera les appels à projets sur le très haut débit durant l'été, sur la base d'un cahier des charges précis. Notons que la DATAR consacre 6 millions d'euros pour accompagner les collectivités territoriales à élaborer leurs schémas de développement du numérique.

La politique de cohésion entre dans une période cruciale. La commission européenne a publié au mois de novembre 2010 son cinquième rapport sur la politique de cohésion. Les États membres y ont répondu en janvier 2011. Les nouvelles perspectives financières devraient être proposées par la commission européenne le 29 juin prochain. Enfin, les lignes directrices de la politique de cohésion et pour la politique agricole commune (PAC) seront connues en octobre 2011.

La commission européenne souhaite maintenir l'architecture de la politique de cohésion, y compris le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), géré au sein de la PAC, mais en recherchant davantage de cohérence grâce à un cadre stratégique commun aux différents fonds, défini par référence à la stratégie UE 2020. Par ailleurs, la commission européenne souhaite créer de nouveaux instruments financiers pour aller vers plus de prêts et avances et moins de subventions. La commission souhaite aussi davantage de souplesse dans la programmation sur les territoires. La France est globalement d'accord avec la réforme de la politique de cohésion proposée par la commission européenne. En ce qui concerne l'extension de la politique de cohésion aux régions intermédiaires, à laquelle la France aurait a priori intérêt, le Gouvernement souligne que la France est aujourd'hui contributeur net au budget européen et ne souhaite pas que sa position s'aggrave. Constatant que l'objectif de convergence a été globalement atteint, grâce à la politique de cohésion, des économies sont possibles. Le débat porte sur l'utilisation de ces économies et la négociation européenne se terminera au plus tard fin 2013, et probablement fin 2012 dans les grandes lignes. En tout état de cause, la nouvelle politique de cohésion devra être anticipée, pour permettre une entrée rapide dans son exécution, à l'inverse du programme 2007-2013, qui n'a commencé à fonctionner que fin 2007.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je veux d'abord remercier le président Emorine d'avoir associé le groupe d'études sur le développement économique de la montagne à cette audition. Personnellement, je ne crois pas que l'on puisse mener une politique d'aménagement du territoire sans politique des infrastructures. Or, je constate que le ministre en charge de la ruralité et de l'aménagement du territoire, M. Bruno Le Maire, n'a pas son mot à dire sur les infrastructures de transport, qui sont l'apanage du ministre en charge de l'écologie, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, qui applique en la matière les arbitrages du Grenelle de l'environnement. C'est, à mes yeux, un vrai problème : je considère qu'un même ministre devrait avoir compétence pour l'aménagement du territoire et pour les infrastructures de transport.

Le département des Hautes-Alpes est enclavé, et sa population est convaincue qu'aucun progrès sérieux ne sera possible tant que l'on n'aura pas réglé le problème de son désenclavement par les infrastructures de transport. 80 % de l'économie des Hautes-Alpes dépend du tourisme, et 94 % des touristes viennent dans le département par la route. Or, on continue de refuser de réaliser l'autoroute A51. Depuis Gap, il faut plus de deux heures pour rejoindre Marseille, Valence ou Grenoble, à une moyenne de 60 kilomètres par heure. Mais le problème ne concerne pas que la route. La liaison ferroviaire entre Marseille et Briançon est constituée par 300 kilomètres de voie unique, avec un détour parfaitement inutile de 40 kilomètres. J'ai retrouvé une décision datant du Second Empire concernant le tunnel du Montgenèvre, qui n'est toujours pas fait.

Bref, nous sommes dans une situation digne du XIXe siècle, dont tout le monde s'accommode à Paris. Les habitants des Hautes-Alpes, comme ceux des Alpes de Haute-Provence, ne peuvent se satisfaire qu'on leur annonce la réalisation de maisons de santé en guise de politique d'aménagement du territoire. Je comprends bien la nécessité de développer encore Paris et les grandes métropoles d'équilibre. Mais comment puis-je expliquer la situation à ma population, qui ne s'estime pas entendue ?

Les dysfonctionnements sont quotidiens. En 2011, pour des raisons d'économies, il faut une heure de plus qu'en 2010 pour joindre Paris à Briançon par train de nuit. La politique de réservation est chaotique. Réseaux Ferrés de France n'ouvre pas les créneaux demandés par la SNCF en temps utile. Et je ne comprends pas la politique des trains à horaires variables, qui veut que vous soyez prévenu de l'heure exacte de votre départ au mieux huit jours avant.

Il y a encore des zones dans notre pays pour qui les annonces de la politique d'aménagement du territoire sont dépourvues de sens. Nous n'avons quasiment plus d'industries dans notre territoire, et le développement de l'accès à Internet n'y pourra rien. Malheureusement, personne n'en a conscience à Paris.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet est le treizième ministre à étudier la question du doublement de la desserte routière de la vallée du Rhône par les Alpes. Seul M. Gilles de Robien avait fait l'effort de venir se rendre compte sur place. Mais ses services ont fait en sorte qu'il ne voit pas l'état de la route actuelle, et notamment pas la tristement célèbre descente de Laffrey, où 103 personnes sont mortes dans cinq accidents de cars. J'ai aussi demandé au ministre de faire une comparaison des émissions de CO2 liées à la route actuelle et celles qui résulteraient d'une autoroute. L'étude n'a toujours pas été faite, mais je sais, d'après les informations que m'ont transmises les transporteurs routiers, que la différence est d'au moins 30 %. Je n'ai pas eu davantage de réponse à ma demande de connaître les statistiques des accidents sur routes et sur autoroutes dans le département de l'Isère. Au final, j'ai le sentiment d'être ignoré et bafoué. On s'obstine à ne pas réaliser le « barreau » manquant de l'autoroute A51 pour des raisons purement idéologiques.

M. Michel Teston. - Nous avons entendu hier en commission M. Eric Besson sur le sujet du désenclavement numérique. J'aimerais seulement connaître votre sentiment sur les « zones grises » en téléphonie mobile, c'est-à-dire celles qui sont desservies uniquement par un ou deux opérateurs. Pensez-vous que la question pourra être réglée avec le passage à la quatrième génération ?

La problématique du schéma national des infrastructures de transport (SNIT) est au coeur de la politique d'aménagement du territoire. Le groupe de suivi constitué au sein de notre commission a formulé des remarques qui ont été prises en compte dans l'avant-projet consolidé du SNIT. Néanmoins, nous avons l'impression qu'il s'agit surtout d'artifices rédactionnels destinés à calmer les élus. Les territoires enclavés ne peuvent guère être desservis que par la route. A cet égard, je veux citer une étude prospective de la DATAR remontant à 2003 qui comportait une carte d'accessibilité par la route identifiant précisément les territoires enclavés. Monsieur le Délégué, seriez-vous prêt à reprendre à votre compte cette étude prospective ?

M. Benoît Huré. - Les infrastructures de transport sont un préalable nécessaire au renouveau des territoires, mais pas suffisant. Je crois qu'à condition d'avoir une vision globale, on peut réaliser des travaux par étapes, qui améliorent la vie des populations et rendent le territoire attractif. Dans mon département, l'autoroute a été construite avec les financements de l'État et de la région, mais le conseil général y a également investi 15 millions d'euros sur quinze ans. L'aménagement du territoire est une question de moyens, certes, mais doit aussi être porté par une volonté locale.

L'esprit et la pratique des zones de revitalisation rurale méritent d'être amplifiés. Les périmètres sont peut-être à revoir. Mais surtout, il faut s'engager dans une spirale inverse, qui soit positive, et notamment gagner la bataille de la démographie. Pour cela, on a besoin de logements de qualité, que ce soit en locatif ou en accession à la propriété, et de davantage de pôles de services publics. On peut accepter un éloignement du point de présence postale, mais il faut se battre pour la halte garderie ou la crèche.

Nous devons être plus vertueux pour la péréquation verticale et horizontale. Le différentiel entre la dotation globale de fonctionnement par habitant urbaine et celle rurale ne se justifie plus : il devrait être inverse. Je salue la politique du gouvernement, qui a gelé les dotations aux collectivités territoriales, sauf les dotations de solidarité rurales et urbaines. Il nous faut poursuivre le chantier de la péréquation de la richesse économique. Nous observons un décrochage des territoires, avec une concentration des richesses dans les métropoles.

L'histoire de l'aménagement du territoire montre que nous n'avons pas tout à attendre de l'État. Mais il faut donner un minimum de moyens à la gouvernance locale. La situation n'est pas désespérée, nous avons des outils, à commencer par le numérique.

M. Jean-Paul Emorine, président. - En ce qui concerne le « barreau » manquant de l'A51, qui serait long de 90 kilomètres, le financement n'est pas un problème puisque l'on recourrait au système de la concession autoroutière. Il suffit d'une volonté politique inspirée d'un souci de cohérence. Ce n'est pas seulement une question de désenclavement, mais aussi de délestage de la vallée du Rhône qui se trouve arrivée à saturation. Nous allons demander qu'une décision soit prise au plus haut niveau de l'État.

M. Emmanuel Berthier. - Le Premier ministre vient de parler d'aménagement du territoire, lors de son déplacement à La Mure du 20 juin dernier. Il s'est prononcé en faveur d'un accompagnement par l'État des ambitions des territoires. M. Bernard-Reymond, j'ai travaillé pendant quatre années en région Provence-Alpes-Côte-D'azur, et je connais bien la problématique des Hautes-Alpes. Je sais aussi que vous êtes en contact avec le cabinet du Président de la République. La DATAR est une administration modeste, qui se contente de gérer les 400 millions d'euros du FNADT et ne comporte que 120 personnes. Elle ne peut être que le « poil à gratter » des autres ministères, où existent de très puissantes directions générales. Je vois d'ailleurs demain le directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, et je lui ferai part de vos observations.

Vous avez noté les améliorations apportées à l'avant-projet consolidé du SNIT. Elles résultent des recommandations du groupe de suivi de votre commission, mais aussi des travaux menés par la DATAR pour déterminer les zones enclavées, qui a proposé d'identifier 14 routes de désenclavement des territoires. Au final, la dernière version du SNIT prévoit un peu plus de mode routier que la première version. Le désenclavement ferroviaire avance aussi : 210 millions d'euros seront versés chaque année au titre des lignes d'aménagement du territoire. Lors du comité de suivi réuni par le Premier ministre début juin, nous avons beaucoup parlé de la ligne Paris-Briançon. Le ministre en charge des transports a promis une réponse avant la fin de l'année. Il existe aussi des lignes aériennes d'aménagement du territoire. La Cour des Comptes a préconisé un dialogue entre la direction générale de l'aviation civile et la DATAR pour produire des critères robustes de financement des lignes concernées.

En ce qui concerne l'aménagement numérique du territoire, l'ARCEP a posé la question des « zones grises » dans son appel à manifestation d'intention d'investir pour la quatrième génération de téléphonie mobile. En ce qui concerne les zones de revitalisation rurale, nous nous préoccupons de la bonne application de la réglementation fiscale qui leur est attachée.

M. Jean-Paul Emorine, président. - J'ai été rapporteur de la loi sur le développement des territoires ruraux, qui a défini les dispositions fiscales liées aux ZRR. Le coût total de celles-ci est de l'ordre de 200 à 300 millions d'euros, et il n'y a pas de grandes marges d'économies à réaliser de ce côté-là.

M. Benoît Huré. - Je regrette le véritable « déménagement du territoire » auquel nous assistons depuis trente ans. Avant, nous avions un ministre de l'aménagement du territoire qui avait les moyens de fixer des priorités. Depuis, nous avons concentré 90 % de la population sur 10 % du territoire. Il faudra que l'on fasse un jour le bilan de ce que cela coûte. Je suis persuadé que l'investissement dans le rural sera à moyen terme générateur d'économies.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je veux rappeler les résultats d'un sondage récent, qui montre que 65 % des Français vivant en ville préféreraient vivre à la campagne.