Mardi 28 juin 2011

- Présidence de M. Claude Belot, président -

Les collectivités locales aux États-Unis : les enseignements à tirer de modèles économiques équivoques - Communication

La délégation procède à l'examen d'une communication de M. Pierre-Yves Collombat sur les collectivités locales aux États-Unis, dans le cadre préparatoire d'un projet de rapport sur le rôle économique des collectivités locales.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Les États-Unis forment un État très fédéral où le pouvoir central joue cependant un rôle de plus en plus important. En application du 10e amendement de la Constitution américaine, « Les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux États-Unis [c'est-à-dire au gouvernement fédéral] par la Constitution, ni refusés par elle aux États, sont réservés aux États ou au peuple ». Les États fédérés disposent ainsi de quasiment tous les attributs de la souveraineté, à savoir le pouvoir constituant, le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire, le drapeau et le pouvoir de grâce du gouverneur.

L'organisation est homogène avec, dans chaque État, un gouverneur élu au suffrage universel direct, un gouvernement, deux chambres - Chambre des représentants et Sénat - sauf dans le Nebraska, une cour suprême, des tribunaux et la capacité à dire le droit (pénal, commercial, municipal et relatif à l'organisation territoriale...). Les pouvoirs transférés, partagés ou retenus localement sont les mêmes pour tous les États membres de l'Union.

Les États fédérés disposent des compétences régaliennes non fédérales comme l'éducation, la santé, les transports, la gestion des infrastructures - avec des exceptions et une part importante des financements ainsi que de la réglementation, qui reste fédérale -, et les retraites des fonctionnaires locaux.

Pour sa part, l'État fédéral dispose de pouvoirs exclusifs avec la monnaie, la politique étrangère, l'armée, le commerce extérieur et, entre États, le service postal (United states postal service). En outre, les pouvoirs de police, de lever une milice (garde nationale), l'impôt sur le revenu et les bénéfices - principale recette de l'État fédéral - sont partagés.

L'État central joue cependant un rôle de plus en plus important. En effet, les programmes financés par celui-ci représentent aujourd'hui 34,7 % des dépenses des États fédérés contre 1,3 % en 1929. A cet égard, je soulignerai deux temps forts, le New deal et la Présidence Johnson, et deux domaines particuliers, le social et l'économique. Dans le domaine social, il convient de noter la création de la Social Security par le président Roosevelt et le programme de lutte contre la pauvreté réalisé par Lyndon Johnson (Medicare et Medicaid). Dans le domaine économique, l'État fédéral mène une politique contra-cyclique de l'emploi qui le conduit, en période de crise, à des interventions financières diverses. L'aide aux budgets des États fédérés en est une des modalités importantes. La question des pouvoirs respectifs des États et de l'État fédéral demeure au coeur du débat politique : les Républicains militent traditionnellement pour une stricte limitation des pouvoirs du fédéral, à l'inverse des Démocrates.

Par ailleurs, les États-Unis disposent aussi d'une organisation pragmatique. L'étendue, la diversité du territoire et l'histoire expliquent les particularités des États, le nombre des entités sub-étatiques « locales » et leur diversité. Une diversité qui s'explique aussi par la superficie, la population et sa répartition sur le territoire, les conditions climatiques... et l'histoire du peuplement des États-Unis. Une diversité qui n'exclut pas des régularités, à l'instar du couple comté/municipalités. Les institutions locales se différencient principalement par leur rôle (qui peut être multi ou uni fonctionnel), le type de territoire desservi, leurs liens avec les autres institutions locales et le caractère élu ou non de l'autorité qui les administre.

Les États-Unis sont ainsi composés d'institutions nombreuses, mais dont l'activité est très variable. En 2002, il était dénombré 87 525 entités locales, dont 3 034 comtés, 35 933 municipalités assumant des compétences larges, 13 506 secteurs scolaires et plus de 35 052 districts spéciaux (dont le nombre est en constante progression).

Selon leur mode de constitution, deux sortes de municipalités peuvent être distinguées :

- les « municipal governments », au nombre de 19 429, correspondant à des aires de peuplement et une volonté politique locale (du village à la ville de New-York) ;

- les « town and township governments » (communes ou villes), au nombre de 16 504, correspondant à des secteurs géographiques.

Dans les faits, il arrive d'ailleurs que les deux catégories se recouvrent.

Dans le système américain, une particularité intéressante peut en outre être observée : il s'agit des « toy governments ». En 2000, 29 522 entités locales n'avaient aucun employé « équivalent temps plein » dont 3 comtés, 3 737 « municipal governments », 7 678 « town and township governments », 17 787 districts spéciaux.

Dans l'organisation territoriale américaine, les comtés et les municipalités sont les collectivités les plus courantes.

Le comté est l'équivalent d'une instance départementale s'étendant sur le territoire de plusieurs municipalités, voire sur des territoires où il n'y en a aucune. Il y joue alors ce rôle. Il est administré par un conseil élu au suffrage universel. Il dispose de revenus spécifiques comme les taxes foncières ou les taxes sur les ventes, et de transferts de l'État à hauteur de 40 % de ses ressources. Ses activités varient considérablement d'un endroit à l'autre du pays, en fonction de l'importance des territoires non « municipalisés », des municipalités et des compétences que celles-ci exercent ou lui délèguent, ainsi qu'en fonction des délégations de l'État fédéré, notamment en matière de gestion des programmes sociaux fédéraux. Le comté administre généralement l'ensemble de la population de son territoire en matière de police locale (sheriff), de justice et de prison, d'état civil, de bibliothèque, et en matière de services publics (adduction d'eau, assainissement, services incendies, ordures ménagères, transports en commun etc.) ; il intervient en matière de développement économique dans les territoires non « municipalisés » ou par délégation des municipalités. L'aide sociale, concurremment avec l'État fédéré et l'État fédéral, est également une compétence des comtés.

Les municipalités, quant à elles, sont constituées de « municipal governments » et de « town and township governments ». Les townships sont plutôt de type rural, mais pas toujours. Les municipalités s'occupent plus particulièrement de l'organisation socio-économique et de l'aménagement du territoire urbain ou périurbain : urbanisme et politique de la ville, développement économique, travaux publics et réseaux, secours incendie et urgences, transport, logement. Les plus importantes interviennent aussi dans le domaine de la police et de la justice (procureur), de l'éducation, des hôpitaux et de la santé, de la distribution d'électricité. Il faut toutefois noter que la répartition des compétences varie d'un État à l'autre et en fonction des situations, notamment urbaines ou rurales.

Par ailleurs, les districts spéciaux sont des entités publiques spécifiquement dédiées à la création et la gestion d'équipements ou d'infrastructures (eau, assainissement, énergie, transports, logements...) ou la fourniture de services (culturels, hospitaliers, protection contre l'incendie, cimetière...) sur un territoire donné, pouvant dépasser celui d'un État. Les compétences d'attribution des districts spéciaux sont variables. 92 % d'entre eux ont une compétence unique, mais le nombre des districts multifonctionnels augmente rapidement. Ces districts disposent d'une certaine indépendance administrative et financière. Ils peuvent encaisser le prix du service offert, lever des taxes et emprunter pour financer le service. Ils sont généralement dirigés par des élus et s'apparentent à nos syndicats de communes ou syndicats mixtes.

Le système de répartition des compétences au sein de l'organisation territoriale américaine se fait donc quasiment à la carte, en fonction des territoires, de l'histoire et des problèmes à régler. Il s'agit d'une organisation entre le « deux mille feuilles » et le pudding !

En ce qui concerne les finances et les budgets, les collectivités américaines disposent d'une autonomie très relative. Certes les ressources propres sont importantes, dans la mesure où elles atteignent 2 179 milliards de dollars pour les États fédérés et les collectivités locales contre 2 524 milliards de dollars annuels pour l'État fédéral. Il faut toutefois noter que l'État fédéral en reverse plus de 500 millions par transfert au bénéfice des États fédérés et collectivités locales. L'impôt sur le revenu des personnes et sur les bénéfices des entreprises se répartit entre 80 % pour l'État fédéral et 20 % pour les États fédérés alors que, pour les taxes sur la consommation et le foncier, le partage est égal. Pour le reste des principales recettes, l'État fédéral perçoit les contributions sociales et les collectivités subfédérales bénéficient de la contrepartie des services en termes de prix et de frais.

Au total, les ressources propres de l'État fédéral représentent 54 % du total des recettes, celles des États fédérés, 25 %, et celles des collectivités locales, 21 %. La plupart des aides qui parviennent aux collectivités locales transitent par l'État fédéral à l'image du système fédéral allemand et le niveau subfédéral dépense au final plus d'argent que le niveau fédéral.

En ce qui concerne les investissements, les données sont plus incertaines. En effet, il n'y a pas de chiffres agrégés au niveau national, pas de formation brute de capital fixe (FBCF) des administrations publiques et le mode de ventilation des dépenses varie selon les États. Le niveau d'investissement est aussi important. En 2008, il était évalué entre 300 milliards de dollars (selon le NASBO) et 350 milliards de dollars (selon la FED), soit 2,3 % du PIB national (chiffre FED), avec la clé de répartition suivante : 113 milliards de dollars pour les États, soit 0,75 % du PIB et 9,6 % de leur budget de fonctionnement ; 235 milliards de dollars pour les collectivités, soit 1,55 % du PIB et 15,8 % de leur budget de fonctionnement. Les États fédérés et les collectivités locales américaines ont donc un niveau d'investissement plus important qu'en France : 2,3 % du PIB contre 1,9 % du PIB.

L'endettement, pour sa part, est en principe réservé à l'investissement. En effet, l'équilibre budgétaire est constitutionnellement requis pour 49 des 50 États, la seule exception concernant le Vermont. Pour autant, des dispositions législatives et administratives destinées à contenir l'endettement, les dépenses et les impôts ont été adoptées. La dette des États et des collectivités est financée par des obligations sur les marchés financiers (muni-bonds ou M-bonds). Les encours sont généralement estimés à 2 600 milliards de dollars et l'engagement annuel est de l'ordre de 200 milliards de dollars. Différents types de muni-bonds sont recensés : les General Obligation Bonds, gagés sur les recettes fiscales ; les Revenue Bonds, gagés sur les revenus des investissements et services ; les Pension Obligation Bonds, destinés à financer les caisses de retraites.

Un budget opérationnel finance les biens et services publics proposés et les montants consommés au cours de l'année budgétaire : éducation, santé, services publics, administration. Les recettes fiscales proviennent, pour leur part, essentiellement des taxes à la consommation et de l'impôt sur le revenu des ménages et des entreprises. Le budget d'investissement est alimenté par toutes les catégories de recettes, y compris par l'endettement (le service de la dette est supporté par le budget opérationnel). Il est financé à 32,5 % par la dette, 16,5 % par des fonds fédéraux, 5 % par des ressources propres non affectées et 35,1 % par d'autres ressources (chiffres 2009). En outre, il existe un fonds de stabilisation et un fonds pour les « jours de pluie » (Rainy Days Fund) ainsi que divers budgets annexes et des fonds hors budget.

La procédure budgétaire est généralement annuelle (du 1er juillet au 30 juin de l'année suivante après une proposition de budget du gouverneur établie en janvier/février), mais dans certains cas, elle peut s'étendre sur deux années. L'État doit faire une estimation du déficit potentiel (manques à gagner) pour décider de mesures correctrices : augmentation d'impôts, coupes budgétaires, utilisation du fonds de réserve, aides fédérales attendues... Mais cette pratique ne va pas sans difficultés. Il est ainsi impossible d'évaluer sérieusement l'impact de la conjoncture et des mesures compensatoires prises en matière de recettes et de dépenses. En outre, en période de crise, la gestion est heurtée, voire brutale et ce système incite à contourner « légalement » les règles budgétaires. En effet, plus les règles sont strictes, plus l'ingéniosité pour les contourner est grande. Le gouvernement fédéral dispose d'une réelle marge de manoeuvre en matière budgétaire et d'endettement, contrairement aux États fédérés et collectivités (obligation d'équilibre budgétaire inscrit dans la constitution, etc.) mais dans la pratique, les États et collectivités contournent les règles (gimmickry). La règle de l'équilibre du budget de fonctionnement est de fait à géométrie variable. L'obligation d'équilibre s'applique aux General Funds (entre 20 et 60 % du budget total des États) qui disposent de l'affectation de fonds spéciaux, ou inversement, des dépenses des fonds généraux sont supportées par des fonds budgétaires moins contraints comme les fonds fédéraux, spéciaux, ou les Off-Budget Entities (OBE). Par ailleurs, le champ des dépenses d'investissements pour lesquelles le recours à l'endettement est autorisé, est étendu.

De facto, une grande flibusterie peut être observée. Ainsi certains États financent leurs déficits de fonctionnement à crédit, avec un endettement à court terme pour financer le long terme et des crédits de trésorerie pour équilibrer les comptes (comme on l'a aussi constaté à propos de l'Allemagne). A côté de cette « grande flibusterie », une « petite flibusterie » consiste à reporter du déficit sur l'année suivante, à retarder le paiement des fonctionnaires et des remboursements d'impôts au 1er juillet plutôt qu'au 30 juin, à jouer avec les échéances pour les mesures d'allègement fiscaux...

Dans ce contexte, les caisses de retraites et de sécurité sociale sont sous-financées (en 2008, 54,4 milliards de dollars de participation contre 64,4 milliards recommandés) et se financent par l'endettement avec les « Pension Obligation Bonds » (43 milliards de dollars émis entre 1992 et 2009).

Les collectivités locales américaines, face à la crise, ont connu une chute de leurs ressources propres (entre le 2e trimestre 2008 et le 2e trimestre 2009, les recettes fiscales des États fédérés et des collectivités ont baissé de 9 %), une fonte des « rainy days funds » (de 20 à 25 % pour les villes les plus prudentes), une contraction (- 10,5 % entre 2008 et 2010) des budgets de fonctionnement (general funds), une dévalorisation des fonds de retraite (entre le 3e trimestre 2007 et le 1er trimestre 2009, ces actifs ont fondu d'un tiers, leur valorisation passant de près de 3 300 à environ 2 200 milliards de dollars) et de maladie ainsi qu'une explosion des « manques à gagner ».

En 2010, le déficit se montait à 191 milliards de dollars pour les États, soit 12 % de leurs recettes avant transferts aux collectivités locales et 16,5 % après transferts. En 2012, il atteindra encore 112 milliards de dollars, soit 18 % du budget total des États ou 0,7 % du PIB américain. Le déficit cumulé des États a explosé : 13 milliards de dollars en 2008, 117 en 2009 et 174 en 2010, soit une hausse de 1 240 % en deux ans.

Dans les finances locales, l'État fédéral dispose d'une présence structurellement importante. Les transferts fédéraux dans les dépenses des États croissent régulièrement (1,3 % en 1929, 20 % au début des années 2000, 26,5 % en 2008 et 34,7 % en 2010). Ces transferts sont constitués essentiellement de cofinancements, à modalités variables. Par ailleurs, les ressources fiscales sont sensibles à la conjoncture puisque les ressources des États sont principalement constituées de l'impôt sur la consommation et le revenu, et les ressources des collectivités des taxes sur l'immobilier. Sur ces dernières années, les subventions fédérales sont d'ailleurs en croissance constante (386 milliards de dollars en 2005, 478 milliards de dollars en 2009) alors que les taxes ont subi un revers en 2009 (715 milliards de dollars, contre 782 milliards en 2008). Entre le 2e trimestre 2008 et le 2e trimestre 2009, les recettes fiscales des États fédérés et des collectivités ont chuté de 9 %.

Dans ce contexte, on observe des politiques contraires au niveau fédéral et au niveau des États fédérés avec un État fédéral largement plus endetté que les États fédérés et les collectivités : une politique contra-cyclique menée par le gouvernement fédéral, le Trésor et la FED ; une politique pro-cyclique menée par les États et les collectivités avec un effet de neutralisation. En effet, l'État fédéral se limite à combler une partie des « manques à gagner » (un tiers pendant la crise).

Dès février 2009, le congrès a adopté l'ARRA (American Recovery and Reinvestment Act) avec pour objectif de relancer la croissance et l'emploi par un plan de relance de 787 milliards de dollars, soit 5,6 % du PIB de 2009. L'impact de l'ARRA peut être mesuré ainsi : la préservation de 1,2 à 3,3 millions d'emplois, ce qui conduirait à une baisse du taux de chômage comprise entre 0,7 et 1,8 % ; une aide aux États de plus de 160 milliards de dollars sur plus de deux ans - soit 30 à 40 % des déficits projetés pour les exercices 2009 à 2011 - ; cette aide doit être échelonnée de 2009 à 2012 (31 milliards de dollars en 2009, 68 milliards en 2010, 59 milliards en 2011, 6 milliards en 2012).

Les effets de la politique pro-cyclique des États et des collectivités conduisent à une compression des dépenses avec des mesures d'austérité qui pèsent sur la demande, directement et indirectement, avec des dépenses locales de consommation et d'investissement qui amputent la croissance du PIB (entre 0,1 point et 0,2 point). En 2011, 14 États ont réduit leur budget, pour un montant total de 4 milliards de dollars. Il en avait déjà été de même en 2010 pour 39 États, pour un montant de 18 milliards de dollars. Cette politique pro-cyclique a également conduit à la suppression de 450 000 emplois publics depuis septembre 2008 (15 000 par mois), dont les principales victimes sont les comtés, les municipalités et les districts, ainsi que le secteur éducatif (50 % des suppressions de postes). Cette tendance n'est pas près de s'inverser puisque 710 000 suppressions de postes sont prévues en 2012. Au final, le service public est à l'abandon et des conflits sociaux naissent dans divers États comme le Wisconsin, l'Ohio, l'Indiana, le New-Jersey...

Cet état des lieux conduit à s'interroger sur le risque d'une crise majeure des finances locales aux États-Unis. Les motifs d'inquiétude sont nombreux dans la mesure où :

- les fonds de réserve s'épuisent : ils ne représentent plus que 5,6 % des dépenses des États en moyenne, contre 11,6  % en 2006 ; si on exclut le Texas et l'Alaska (65 % des réserves), le solde passe à 2,4 % ;

- des déficits importants ont des conséquences calamiteuses : 44 États et le district de Columbia sont en déficit budgétaire pour l'exercice 2012 (112 milliards de dollars de déficit, avec 6 milliards d'aide fédérale seulement) ; on observe des records de déficit pour le Nevada (1,5 milliard de dollars et 45,2 % du budget), le New Jersey (10,5 milliards de dollars et 37,4 % du budget), la Californie (25,4 milliards de dollars et 29,3 %), l'Oregon (1,8 milliard de dollars et 25 %) et le Texas (13,4 milliards de dollars et 31,5 %). A cet égard, l'exemple du Texas est paradoxal comme l'indique Paul Krugman « [...] c'est au Texas qu'a été appliquée à la lettre la théorie budgétaire conservatrice moderne, cette croyance qu'il ne faudrait augmenter les impôts sous aucun prétexte, qu'on peut toujours équilibrer le budget en réduisant les dépenses inutiles. Si la théorie ne fonctionne pas là-bas, elle ne peut fonctionner nulle part [...] » ;

- l'aide fédérale est en voie de disparition (6 milliards de dollars en 2012 avant la fin de l'ARRA).

Il existe néanmoins des raisons d'espérer dans la mesure où il y a :

- de moins en moins d'États en difficulté. Le nombre d'États en déficit est en lente amélioration (48 en 2010, 44 en 2011, 26 prévus en 2013) ;

- des déficits budgétaires locaux relativement modestes. Le montant des « manques à gagner » rapporté au PIB reste faible. Seuls 7 États ont un écart budgétaire supérieur à 1 point du PIB (dont la Californie avec 2 points du PIB) ;

- une dette globale relativement limitée. Fin 2010, l'encours de la dette des États et collectivités s'élève à 2 450 milliards de dollars, soit 16,5 % du PIB. Il s'agit par conséquent d'une dette locale modérée comparée à la dette fédérale (63,2 % au même moment, et 70 % aujourd'hui) ;

- un endettement qui a peu évolué avec la crise. En effet, depuis le début de la récession fin 2007, l'endettement des États et des collectivités locales a très peu varié (+ 1,2 point). Ce constat souligne que l'endettement ne constitue pas, pour les administrations locales, une « variable d'ajustement » en cas de difficultés budgétaires, comme c'est le cas au niveau fédéral (où le ratio d'endettement est passé de 35,9 % à 63,2 % dans le même temps) ;

- un coût de la dette supportable. Le montant des intérêts payés demeure légèrement inférieur à celui des intérêts reçus (115 milliards de dollars en termes annualisés en 2010, contre 119 milliards de dollars). C'est un montant qui représente seulement 5,3 % des recettes totales (5,5 % en 1950) ;

- une dette gagée sur des actifs suffisants. Les actifs financiers détenus en 2010 représentent, hors fonds de retraite, 2 739 milliards de dollars, soit 18,4 % du PIB.

Tous ces éléments, qu'il s'agisse des raisons de craindre ou des raisons d'espérer, constituent cependant la partie émergée de l'iceberg. La partie immergée ne doit pas être oubliée et elle n'est pas particulièrement réjouissante.

Il y a d'abord une véritable incertitude sur le montant exact de la dette des États et des collectivités : l'estimation courante tourne entre 2 400 et 2 600 milliards de dollars, mais la FED a annoncé, en septembre 2010, le chiffre de 4 200 milliards de dollars. Le différentiel s'explique par le fait qu'il est très difficile de mesurer le montant des dettes des petites collectivités et des innombrables « entités hors budget », par la titrisation de certains bonds et, surtout, par une dette virtuelle liée au sous-financement des caisses de retraites et de santé estimée entre 2 000 et 3 000 milliards de dollars. Ce montant de la dette publique pourrait d'ailleurs atteindre 7 200 milliards de dollars, c'est-à-dire être trois fois supérieur au chiffre officiel, ce qui constitue un défi effrayant pour les collectivités locales américaines.

Une épée de Damoclès pèse donc sur ces dernières, liée à la dette à court terme. On peut en mesurer l'ampleur en regardant la progression de l'endettement à court terme auprès des banques, à hauteur de 122 milliards en 2008, pour pallier l'effondrement de la demande sur le marché des muni-bonds. Aujourd'hui, les lettres de crédit arrivent à expiration. Soit les collectivités payent leur dû, soit elles renégocient avec les banques - moyennant un coût supplémentaire -, soit elles tentent d'emprunter des muni-bonds sur le marché.

La partie immergée de l'iceberg, c'est aussi la bombe à retardement des fonds de pension, retraite et maladie. Les plans de retraites concernent 19 millions de fonctionnaires locaux et représentent 28 % du total des actifs des fonds de pension. Ils sont alimentés par les contributions régulières des États, des collectivités et des employés, soit 30 à 35 milliards de dollars annuels selon les catégories. Avec la crise, les revenus du capital qui constituaient l'essentiel des recettes ont fondu (+ 400 milliards de dollars en 2007, - 39 milliards en 2008, - 520 milliards en 2009). Cela conduit à un sous-financement qui occasionne un besoin estimé entre 700 et 2 900 milliards de dollars. La situation n'est guère meilleure pour les caisses de santé où 5 % des 635 milliards de dollars ont été financés en 2009, sans obligation constitutionnelle de financer ni d'honorer ce type de dette.

Par ailleurs, le marché des muni-bonds est dans la tourmente. Comme je l'ai dit, le volume d'encours est habituellement estimé entre 2 500 et 2 800 milliards de dollars, alors que M. Bernanke, le Président de la FED, a annoncé un chiffre de 4 200 milliards de dollars. Il existe, en outre, des zones d'ombre, liées au nombre important d'émetteurs (70 000 émetteurs distincts). Or ce marché est historiquement stable et défiscalisé, car il s'adresse aux ménages américains, mais il attire désormais les fonds de pension et hedge funds. Avec la crise, l'explosion des déficits a réduit l'attractivité des titres et a fait imploser le système de garanties offert par les rehausseurs de crédit. De même, les monolines ont été gagnés par la fièvre spéculative, et les aventures de la filiale américaine de Dexia en ont été un exemple marquant. Après la chute des monolines, les Build American Bonds (BABs) ont constitué un système de garantie fédérale, mais le marché des muni-bonds demeure encore sous tension avec des taux d'intérêt très hétérogènes. Le système de financement de la dette s'est stabilisé, au moins temporairement, et le risque de défaut à l'échelon local, qui était considéré comme probable, semble s'éloigner un peu.

Une distinction doit cependant être opérée entre les États fédérés et les collectivités locales. Les collectivités locales américaines souffrent en effet de deux handicaps par rapport aux États fédérés : d'une part, des revenus basés davantage sur les taxes foncières (elles devraient subir l'ajustement à la baisse des valeurs immobilières de façon plus brutale) et, d'autre part, une dépendance par rapport aux États car elles doivent encaisser les effets de l'austérité décidée par ces derniers.

M. Yves Détraigne. - A l'analyse de cette vision américaine, la situation des collectivités territoriales françaises n'est finalement pas si mauvaise.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - A l'instar de Talleyrand, on pourrait dire « quand je me regarde, je m'inquiète ; quand je me compare, je me rassure ».

M. Claude Belot, président. - La situation américaine, avec une très faible épargne des particuliers, pose des problèmes aux États-Unis, mais également au monde entier. Elle a fait perdre beaucoup d'argent à certaines banques françaises, qui n'avaient probablement pas le savoir-faire. Les États-Unis sont sur le point de franchir la limite autorisée de l'emprunt public. La situation décrite par Pierre-Yves Collombat montre une situation américaine, qui ne peut que nous inquiéter fortement.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - La bataille de la dette n'est que la partie émergée de l'iceberg car la vraie bataille se situe sur le terrain de la politique fiscale américaine.

M. Claude Belot, président. - La période où les États-Unis étaient les gendarmes du monde est terminée. Ils devront se retirer de divers terrains extérieurs sous la contrainte financière.

Le bilan de la décentralisation - Examen du rapport

La délégation procède à l'examen du rapport de M. Edmond Hervé, rapporteur, sur le bilan de la décentralisation.

M. Edmond Hervé, rapporteur. - Avant d'entrer dans le vif du sujet, je veux procéder à des remerciements :

- à vous tout d'abord, monsieur le président, qui, non seulement, avez confirmé notre entreprise, mais l'avez favorisée y compris en nous recevant dans votre département et à Jonzac ;

- à tous nos collègues qui nous ont accompagnés et reçus, notamment Yves Détraigne et Antoine Lefèvre ici présents. Nous nous sommes rendus dans dix-sept départements ;

- à toutes les personnes auditionnées, qui ont témoigné de leur compétence et de leur disponibilité.

La présentation de notre rapport se fera en deux parties. Tout d'abord, nous ferons une synthèse du rapport proprement dit, puis, nous vous résumerons nos vingt et une propositions.

Le rapport proprement dit se divise en deux parties : la première est intitulée « la richesse des textes » et la seconde est intitulée « les évidences ».

J'ai choisi, en introduction, de montrer que la décentralisation n'était pas née au début des années 80, mais qu'il s'agit d'un long processus puisque, déjà, en 1789 un débat initié par Mirabeau avait abouti à un équilibre entre le rationalisme départementaliste et le respect des communes. C'est un élément majeur de notre culture et de notre histoire, sans oublier les avancées successives bien avant les lois Defferre : sous la IIIe République, avec la grande loi de 1884 portant charte des communes ; sous la IVe République, en particulier avec la Constitution de 1946 qui a consacré en son sein le principe de libre administration des collectivités locales ; sous la Ve République, qui a notamment vu la création des districts urbains et de la région en tant qu'établissement public, et précisé que l'échec du référendum sur la régionalisation, décidé par général de Gaulle en 1969, n'était pas vraiment dû à la décentralisation.

La première partie de mon rapport est consacrée à la richesse des textes. Pour en effectuer l'analyse, j'ai choisi de m'en tenir aux principaux documents généraux, institutionnels intéressant la métropole de 1982 à 2010. Ces documents, ce sont les textes législatifs, les débats et les rapports divers susceptibles de les éclairer. Dans un souci d'objectivité, j'ai suivi un ordre chronologique. En conclusion de cette première partie, je propose différentes classifications :

- selon une première classification, nous pouvons distinguer une période fondatrice, dans la première moitié des années quatre-vingt, puis une période de consolidation et de stabilisation et, plus récemment, une période de rupture ou d'innovation ;

- on peut aussi distinguer une période pragmatique puis une période doctrinale ;

- une autre classification nous permet de distinguer une période où la décentralisation a mis l'accent sur les élus et les citoyens puis une période, les années 2003-2010, que je qualifierai de globalité et qui a notamment été marquée par la révision de la Constitution (ce qui correspond à une approche nationale) et les réformes de la taxe professionnelle et de décembre 2010 (dans le cadre desquelles l'approche des collectivités territoriales a été mise au service d'une approche nationale, d'ordre économique, liée en particulier à la maîtrise des déficits publics).

Nous tirons un certain nombre d'enseignements de l'examen de ces textes : tout d'abord, leur grande richesse ; ensuite, les limites du droit, car il ne suffit pas de décréter des règles pour qu'elles vivent ; enfin, les périodes marquantes et qui durent sont toujours celles qui s'identifient par l'équilibre, comme sous la période révolutionnaire ou encore lors de l'élaboration des lois Defferre.

Le thème de la seconde partie de ce rapport concerne « les évidences ». Nous en avons relevé sept principales, parmi lesquelles nous opérons une distinction entre les évidences négatives et les évidences positives :

- au nombre des évidences négatives, il y a d'abord un oubli qui me paraît important : la fonction économique et redistributive des collectivités territoriales est trop souvent occultée. Il y a aussi des illusions : je pense à la notion de « blocs de compétences » ; je pense aussi à la constitutionnalisation de certains principes, car il ne suffit pas, par exemple, d'inscrire dans le marbre le principe d'autonomie financière pour que celui-ci soit effectif. Enfin, nous soulignons l'absence de réforme fiscale locale, souvent réclamée mais qui n'a en réalité jamais eu lieu ;

- au nombre des évidences positives, il y a la transformation du paysage territorial avec la coopération intercommunale ou la régionalisation. Il y a aussi les chances de transformations du département. J'ajouterai également la fantastique mutation de la fonction publique territoriale, riche en personnels de qualité et qui s'est dotée de solides dispositifs de formation. Enfin, je citerai les nombreuses contributions à la formation d'un accord qui dépasse les clivages politiques, traduites dans différents rapports (Mauroy, Mercier, Belot, Balladur...) issus de différentes institutions (Assemblée nationale, Sénat, Conseil économique, social et environnemental...).

J'en viens à présent aux propositions du rapport :

1.  Nous nous sommes dotés de principes constitutionnels : principe de décentralisation (art. 1er), principe de libre administration (art. 34), principe d'existence (art. 72), principe d'autonomie financière (art. 72-2), principe de non-tutelle (art. 72 alinéa 5), principe d'expérimentation (art. 72 alinéa 4), principe de subsidiarité (art. 72 alinéa 2), droit au pouvoir réglementaire (art. 72 alinéa 3)... Tant qu'ils demeurent, nous devons les rappeler, les faire vivre, en nous y référant et en assurant leur contenu.

A cet égard, je voudrais souligner que nous sommes dans un État unitaire et non pas dans un État fédéral : le contenu de ces principes dépend de la loi. Vouloir par exemple inscrire les compétences de l'État ou des collectivités territoriales dans la Constitution n'est pas une solution adaptée à un État unitaire. D'ailleurs, l'observation pratique montre qu'il y a de moins en moins de différences entre ces deux types d'État.

2.  Il conviendrait, dans le respect de la vie associative, de mettre en oeuvre l'article 53 de la loi Administration territoriale de la République (ATR) du 6 février 1992 prévoyant la création d'un institut des collectivités territoriales et des services publics locaux.

La multiplication d'organisations représentant nos collectivités territoriales ne facilite pas l'expression de l'unité dans notre pays. Il en est de même au niveau de l'État : les acteurs n'ont pas toujours les mêmes références lorsqu'ils s'intéressent aux collectivités territoriales ; par exemple, l'Observatoire des Finances locales et la Cour des comptes ne donnent pas les mêmes chiffres sur les montants des investissements des collectivités locales.

Un Institut des collectivités territoriales permettrait de disposer de données uniformes. Cela participerait du souci de favoriser la modernisation et la cohérence de la décentralisation, le bon fonctionnement des services publics locaux, de la démocratie locale, et le dialogue des collectivités territoriales entre elles et avec l'État. C'est un besoin qui a souvent été exprimé tout au long de ces trente dernières années, notamment dans des rapports signés par Claude Martinand (janvier 1986), Michel Bernard (juillet 1988), Jean-Louis Langlais (avril 1989), Humbert Battist (juillet 1983) ou moi-même (octobre 1990). Il a été proposé de créer une « agence de la décentralisation » ou un « haut conseil des territoires »... Peu importe le titre, ce sont les fonctions qui comptent. Au service de tous et notamment des associations d'élus (très nombreuses) le travail de cette organisation devrait faciliter leur coopération avec l'État et permettre de rapprocher les points de vue, sans se substituer aux parlementaires.

3.  Ensuite, il faut restaurer le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. Nous nous référons sur ce point au rapport de nos collègues Jacqueline Gourault et Didier Guillaume. De nombreuses instances existent : la conférence nationale des exécutifs, le comité des finances locales, la commission consultative d'évaluation des charges (CCEC), la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), la conférence nationale des finances publiques, le conseil d'orientation des finances publiques...

Mais il convient de s'interroger sur le nombre et la compétence de ces commissions, comités et conférences. On peut par exemple se demander si la grande réforme de la taxe professionnelle à donné lieu au sein de la Conférence nationale des exécutifs à des discussions à la hauteur de l'enjeu.

Les contraintes budgétaires et financières obligent à un dialogue, à la concertation et à la contractualisation. Dans un souci d'efficacité et de coordination, on pourrait imaginer que ces commissions deviennent des instances spécialisées du Comité des Finances locales, comme le sont la CCEN et la CCEC. Cette institution pourrait ainsi « chapeauter » ces différentes commissions.

Au niveau local, la conférence des exécutifs régionaux et départementaux doit être obligatoire et effective.

4.  Il faut affirmer la priorité de la relation contractuelle, dans le cadre de la loi, entre l'État et les collectivités territoriales d'une part, et entre les collectivités territoriales et leurs établissements d'autre part.

5.  Le département, s'il veut demeurer, doit aussi se moderniser. Il doit ainsi devenir le « Sénat des communautés » en réunissant des élus émanant de circonscriptions communautaires, et en assumant une double mission de solidarité sociale et territoriale.

Au titre de cette dernière, il faut tirer les conséquences de la RGPP. Le département, en tant que collectivité territoriale, doit pouvoir mettre à disposition des communes et communautés qui le souhaitent une capacité d'expertise et de conseil en lien avec l'État, les collectivités décentralisées et leurs établissements, la chambre régionale des comptes, le tribunal administratif et les organismes privés compétents. En tout état de cause, il y a place au niveau départemental ou régional, pour un organisme « conseil-expert-service » auprès des collectivités et de leurs établissements. Il pourrait prendre la forme d'une « agence territoriale », mais d'autres formes sont tout à fait concevables.

6.  Il est absolument nécessaire ensuite de reconnaître la fonction économique et redistributive des collectivités territoriales et de leurs établissements. Il ne faut pas oublier que ces dernières années, la part des collectivités territoriales dans le PIB est passée de 8 % à 11 %. Celles-ci ont donc une capacité d'entraînement notamment en matière de transport, de logement, ou encore de maîtrise de l'énergie.

7.  La libre administration des collectivités territoriales suppose également qu'une partie des ressources de celles-ci repose sur le respect du principe de l'autonomie fiscale. L'abandon de ce principe constituerait une rupture car, historiquement, toutes nos collectivités territoriales, depuis le Moyen Age, se sont constituées à partir de l'affirmation d'une liberté fiscale locale.

La justice fiscale commande en outre, et en priorité, la révision des valeurs cadastrales qui doit se faire à un niveau cohérent (celui qui est le plus souvent mentionné étant le territoire intercommunal).

La taxe d'habitation devrait également avoir une assiette incluant les revenus et retrouver une progressivité tenant compte de la capacité contributive des intéressés.

8.  La région doit, pour sa part, retrouver une autonomie fiscale.

En tant qu'autorité organisatrice des transports, il serait logique qu'elle puisse percevoir une part du versement transport, le montant total de celui-ci étant encadré. Dans ce même souci d'autonomie fiscale, la région pourrait percevoir une part de la TVA, sous réserve d'euro-compatibilité de la mesure.

9.  Le département doit, quant à lui, être en charge d'une mission de solidarité sociale, mais le financement des allocations de solidarité individuelle définies par la loi doit bien relever de l'impôt national (avec, cependant, un « ticket modérateur » à la charge du département).

10.  La crise politique et la crise fiscale étant liées, il est ensuite proposé, tout en respectant le principe de la capacité contributive des personnes, de limiter au maximum les exonérations fiscales.

Le divorce citoyen-contribuable fait en effet courir des dangers à notre société et à la démocratie. Je suis d'ailleurs très inquiet de l'évolution de la citoyenneté, notamment de la progression de l'abstentionnisme en France. C'est pourquoi je suis d'avis que toutes les personnes s'acquittent, même symboliquement, d'un impôt.

11.  Nous devons créer de véritables dispositifs de péréquation.

La commission des Finances du Sénat travaille actuellement sur ce point.

Il y a un préalable à une péréquation juste et efficace : le calcul de la richesse des collectivités territoriales. Ce préalable renvoie, lui aussi, à la révision des valeurs cadastrales.

Par ailleurs, je suis d'avis que le niveau de base de la péréquation verticale doit être les communautés.

12.  Nous devons favoriser l'application du titre III de la loi du 16 décembre 2010 relatif au « développement et à la simplification de l'intercommunalité ». Nous devons ainsi veiller à la cohérence entre les différents schémas, projets ou plans ; favoriser la coopération entre collectivités ; favoriser la coopération transfrontalière en désignant une autorité déconcentrée unique.

13.  Il convient de conjuguer critères quantitatifs et qualitatifs pour définir les métropoles.

La loi du 16 décembre 2010 a retenu des critères quantitatifs (seuils de population) pour la constitution de métropoles. Cette logique purement arithmétique doit être complétée par la prise en compte de paramètres qualitatifs (recherche, développement technologique...), de nature à donner du sens à une initiative tendant à créer une métropole.

14.  Il faut renforcer la fonction stratégique de la région en donnant un caractère réglementaire à ses différents schémas territoriaux, devenant ainsi opposables. Bien entendu, cela doit se faire sans préjudice du pouvoir règlementaire du Premier ministre.

15.  Nous devons impérativement valoriser et renforcer la fonction publique territoriale et le service public local : en sensibilisant les jeunes diplômés au service public territorial ; en favorisant la préparation aux concours de la FPT ; en assurant un niveau de financement satisfaisant du CNFPT ; en favorisant la fluidité entre les filières de la FPT, entre les trois fonctions publiques ; en développant les collaborations INET-ENA pour la formation initiale et continue des hauts fonctionnaires de l'État et des collectivités territoriales ; en ouvrant l'enseignement supérieur aux cadres territoriaux et aux élus ; en enrichissant la maîtrise d'ouvrage publique.

16.  Il convient d'assurer les autorités déconcentrées (tout spécialement l'autorité préfectorale) d'une certaine stabilité utile, à la représentation de l'État, à la connaissance, au dialogue et à l'action. Les élus locaux sont très attachés à la décentralisation, mais aussi à la présence de l'État et à la stabilité de ses représentants : il n'est pas admissible qu'un préfet reste à peine six mois dans un département.

17.  Il appartient aux responsables administratifs et politiques, dans le respect de leur statut, de s'investir dans une pédagogie civique fondée sur la proximité. Cette proposition est en lien direct avec la dérive que je constate en matière de citoyenneté : les acteurs publics peuvent contribuer à inverser les choses et il est de leur devoir de le faire.

18.  Nous devons faire vivre pleinement les politiques d'information, de consultation, de participation et d'orientation pour redonner du dynamisme à la société civique.

J'ai constaté avec une grande satisfaction que le dernier rapport du Conseil d'État portait en partie sur les rapports au public, les politiques participatives, les consultations délibératives. J'estime que les textes existants dans ces domaines sont de bons textes ; il faut simplement les mettre en oeuvre.

Dans mon rapport, je fais état d'analyses quantitatives et des différentes propositions qui ont été faites. Et je ne vois pas pourquoi il a fallu attendre une loi pour mettre en place des comités consultatifs dans les villes de plus de 80 000 habitants.

19.  Il faut faire participer les tribunaux administratifs et les chambres régionales des comptes à une fonction conseil dans le champ de la décentralisation.

Je reprends ici l'une des propositions de M. Mauroy. J'estime que les tribunaux administratifs et les chambres régionales des comptes doivent avoir une fonction de conseil dans le champ de décentralisation. Ce n'est pas une fonction de conseil particulière sur un projet ou une délibération, mais un avis général. Le Conseil d'État est le conseiller du Gouvernement et du Parlement. Je trouverais tout à fait normal que les chambres régionales des comptes et les tribunaux administratifs aient cette fonction de conseil pour les collectivités territoriales. Reste à déterminer qui pourrait les saisir. Concernant les chambres régionales des comptes, j'ai été très heureux de constater que, au départ critiquées, elles sont aujourd'hui plébiscitées.

20.  Il nous faut ouvrir plus largement les corps d'inspection générale aux administrations territoriales et leur donner des missions de conseils aux collectivités territoriales.

21.  Enfin, il faut reprendre l'initiative législative parlementaire pour des textes à thème unique.

En matière de décentralisation, les lois doivent être spécifiques, thématiques. Je pense par exemple qu'il faudrait une loi spécifique sur la formation professionnelle et la décentralisation, ou encore sur la décentralisation et la santé. Je suis frappé de voir les critiques adressées aux agences régionales de santé (ARS) comme éléments de centralisation. Et bien évidemment, sur un territoire marqué par une extrême diversité, il faut avoir suffisamment de confiance pour laisser une certaine respiration dans l'application des lois. Voilà, monsieur le président, un résumé de mon rapport.

M. Claude Belot, président. - Monsieur Hervé, vous êtes riche d'une longue expérience publique. Vous vous êtes d'abord impliqué dans l'évolution de l'un des territoires de notre pays puis dans celle de notre pays dans son ensemble. Vous nous avez fait part de vos convictions, sur le rôle fort que doivent jouer les collectivités territoriales - une conception que je partage - et sur la nécessité d'un État fort. Ce qui n'empêche pas pour autant une grande liberté d'action des collectivités territoriales.

Je tiens à dire que je souscris à la quasi-totalité des propositions et qu'aucune ne me choque.

Le débat s'ouvrira dans quelques instants et va honorer notre délégation et le Sénat. Je parle sous le contrôle de nos collègues : depuis un certain temps, on voit arriver à maturité au sein de la délégation toute une réflexion, conduite par les uns ou par les autres. Tout cela représente une belle moisson d'intelligence et de volonté d'action. Ce travail s'inscrit dans cet esprit. Je tiens à vous remercier pour ce travail de 300 pages. J'ai le souvenir de rapports tirés à 500 exemplaires, dont 400 prenaient la poussière dans la bibliothèque, ici ou là. Aujourd'hui, avec internet, les rapports ont un énorme écho, et souvent dans des endroits où l'on ne s'y attendait pas. Ce que nous faisons est très important. Par ailleurs, la réflexion que mène la délégation montre également que le Sénat sait anticiper de quinze ans, vingt ans les débats futurs.

M. Yves Détraigne. - Tout d'abord, quelques mots de félicitations pour notre collègue Edmond Hervé qui a fait un énorme travail. Dix-sept départements visités, c'est considérable.

Je crois que ce travail, à travers les vingt et une propositions qui sont faites, montre, d'une certaine manière, que les collectivités n'ont pas si mal travaillé jusqu'à présent, que ce soit les communes, les intercommunalités, les départements ou les régions. Car, en fait, les propositions sont pour l'essentiel un rappel. En effet, ce ne sont pas forcément des principes nouveaux qui sont affirmés ici mais c'est la réaffirmation de principes qui, depuis une trentaine d'années, ont porté leurs fruits.

Le paysage local a beaucoup changé et les collectivités territoriales ont contribué à faire évoluer notre territoire. Il n'y a rien de révolutionnaire dans ce qui est proposé. On peut adhérer à l'essentiel.

Il y a peut-être un point sur lequel j'appelle à une certaine prudence : c'est la proposition 18, « faire vivre pleinement les politiques d'information, de consultation, de participation et d'orientation pour redonner du dynamisme à la société civique ». Je suis tout à fait d'accord sur la nécessité de faire vivre pleinement les politiques d'information et de redonner du dynamisme à la société civique. Je suis néanmoins plus prudent sur les politiques de consultation, car la multiplication des différents conseils de quartier, des référendums locaux, ont fini par faire croire à nos concitoyens que la démocratie directe a remplacé la démocratie représentative. Au bout du compte, dans de nombreux cas aujourd'hui, l'autorité des conseils élus, qui ont la légitimité du suffrage universel pour exercer leurs fonctions, est remise en cause par un petit groupe de mécontents regroupés en association. Ainsi aujourd'hui, il est parfois plus difficile qu'il y a une dizaine d'années de mener à bien un projet. Il faut mettre l'accent sur la politique d'information, car il ne faut pas que nos concitoyens se désintéressent de la politique. Mais il faut trouver le juste milieu pour que les conseils élus disposent d'un pouvoir de décision, éclairée certes, mais un pouvoir de décision.

Votre proposition 5 en appelle à la mise en place, par exemple sous la forme d'une agence, à un organisme local de « conseil-expert-service » auprès des collectivités et de leurs établissements. C'est quelque chose de tout à fait important et innovant. Nous devons en effet tirer les conséquences d'un désengagement de l'État : pendant vingt ans, la décentralisation a été mise en oeuvre sans que l'État en ait tiré toutes les conséquences. Par exemple, l'État a continué à assurer l'essentiel de l'instruction des documents en matière d'urbanisme, alors que depuis trente ans, les autorisations de l'urbanisme sont délivrées au nom de la commune et pas au nom de l'État. Aujourd'hui, l'État se retire du fait du déficit de la prestation de services qu'il fournissait et les communes doivent se prendre en main, alors qu'elles profitaient de manière assez confortable d'un service gratuit de l'État. Or, je ne suis pas sûr que toutes les collectivités territoriales soient prêtes.

A cela s'ajoute mon expérience d'élu marnais : on a eu une perte de compétence. C'est certain du côté de l'État, car il n'y a plus, localement, les services pour assurer le conseil ; le contrôle de légalité a été fortement réduit.

C'est pourquoi il est important que les collectivités territoriales s'organisent pour mettre en place un service ou un organisme de conseil, d'expertise et d'assistance. Les formes envisageables peuvent être diverses : cela peut passer, comme dans le département de la Marne, par un conseil dispensé par l'Association des maires ; cela peut être confié à une agence, départementale ou régionale... L'essentiel est que cela soit fait. Il est nécessaire de le mettre en place du fait du recul de l'État, qui assurait jusque là une surveillance, au bon sens du terme, de ce que faisaient les collectivités territoriales. Cela ne va pas coûter des millions, mais c'est fondamental pour continuer à travailler en évitant des écueils juridiques. Ce rapport a le mérite de rappeler certains principes qui ont fait leur preuve.

M. Claude Belot, président. - Rien ne nous empêche de faire ce qui est proposé. Il suffit que quelqu'un, au département ou ailleurs, prenne cette initiative. Je l'ai fait dans mon département. Cela se passe très bien, très simplement et ne coûte pas cher. A titre d'exemple, nous avons un syndicat qui s'occupe depuis longtemps de la voirie pour l'ensemble du département ; quand l'État s'est retiré du conseil à la voirie pour les communes, nous avons embauché les meilleurs de ses employés et, aujourd'hui, dans un département assez vaste, nous réalisons avec cinq ou six personnes le travail que faisait l'État. Le montant des prestations n'a pas été augmenté, et la marge du syndicat n'a pas diminué. Le travail est effectué par des personnes de qualité, qui savent ce qu'est le service public. Le droit français est ainsi conçu que si l'on veut prendre des responsabilités, on peut le faire.

M. Antoine Lefèvre. - Je voulais, à mon tour, remercier et féliciter notre collègue pour son rapport. J'ai eu la chance et le plaisir de le recevoir dans l'Aisne avec notre collègue Yves Daudigny et de l'accompagner dans certains déplacements. Ce rapport est une bonne bouffée d'oxygène, très optimiste dans les pouvoirs locaux. Je crois que l'on a besoin, notamment après tous les débats qui ont été tenus pendant la récente réforme territoriale, de voir ce qui marche bien et ce qui peut être amélioré.

Il y a deux propositions sur lesquelles je tenais particulièrement à exprimer mon plein accord.

D'abord, sur la stabilité du personnel préfectoral : on a en effet besoin de représentants de l'État disponibles et stables.

Ensuite, je trouve intéressant et original de proposer que les chambres régionales des comptes et les tribunaux administratifs ne soient pas réduits à des fonctions de juge et de censeur, ou de sanction de nos gestions. On se rend d'ailleurs compte qu'ils n'ont pas toujours de connaissances précises sur notre mode de gestion dans les collectivités. Cette expertise que propose le rapporteur éviterait bien des soucis. Par ailleurs, cela permettrait une compréhension réciproque : nous, élus, pourrions utiliser de leurs compétences et eux, par une implication renforcée, auraient une meilleure connaissance de nos pratiques locales.

J'espère que ces propositions pourront être suivies dans les faits.

M. Philippe Dallier. - Je partage également beaucoup des propositions qui sont faites.

Cependant, la proposition numéro 2 me gêne un peu. On parle d'un institut des collectivités territoriales, d'un haut conseil des territoires, peu importe l'appellation : il est dit que seul le contenu compte.

J'ai envie de poser la question : « et le Sénat dans tout cela ? » Nous avons déjà évoqué en termes plus généraux « l'agenciation » de l'État. On crée de plus en plus de comités, d'agences, de commissions. On dit qu'il faut rationaliser, mais il ne se passe pas une session parlementaire sans que l'on ne crée un comité de quelque chose.

Lorsque l'on parle des collectivités locales, il me semble que c'est d'abord le Sénat qui doit être le lieu de débats privilégiés. Or, j'ai parfois l'impression que ce rôle qui doit être le sien s'efface peu à peu. C'est particulièrement vrai en matière de finances locales, avec le poids pris par le comité des finances locales. Je le regrette. Ce type de débat devrait être organisé au Sénat. Cela ne veut pas dire qu'il aurait un monopole sur les thèmes concernant les collectivités territoriales, mais cela vaut le coût de s'interroger sur le rôle du Sénat. Peut être est-ce la prochaine question à se poser afin de faire vivre au mieux la décentralisation. Je souhaiterais pouvoir récupérer au Sénat une partie du pouvoir qui a peut-être été dans cette maison autrefois. Il y a les communes, les intercommunalités, les associations, les régions, les départements, les comités des finances locales... Et au bout du compte, le rôle fédérateur du Sénat semble s'effilocher au fil du temps.

M. Claude Belot, président. - J'ai un long vécu du Sénat. Je ne partage pas ce sentiment. Pendant longtemps, il n'y a pas eu au Sénat les débats de fond qui s'y tiennent depuis quelques années sur ces sujets. Le Sénat est le fruit d'une alchimie complexe entre les collectivités locales de France, la vie politique, et les réalités des unes et des autres 

Le Sénat est un des acteurs de l'élaboration du droit français, mais il n'est bien sûr pas tout seul en piste.

Il n'est pas contestable que le Sénat doit être très actif sur le sujet des collectivités territoriales, qu'il doit être force de propositions. C'est ce que nous sommes aujourd'hui : on a quand même sorti des choses qui reçoivent un véritable écho, depuis deux ou trois mois ; nous avons traité de questions qui ont eu un certain retentissement, dont on nous parle, et qui inspirent aussi la prose des élus locaux, parce que tout ce qui se dit ici se retrouve dans les différentes revues.

Le Sénat existe grâce à des individus, et ce depuis un certain nombre d'années. Avec la Délégation, il existe de façon plus institutionnalisée : demain, avec le président du Sénat, nous tenons une conférence de presse sur les nouveaux contours de l'intercommunalité ; nous sommes en pleine actualité, puisqu'on fait l'état des réflexions qui se déroulent, au moment où nous parlons, dans les départements.

Parallèlement, je crois qu'il faut un organisme, qui ne peut pas malheureusement être le Sénat, qui puisse parler au nom de toutes les collectivités et au sein duquel nous n'ayons pas les départements contre les régions, les maires ruraux contre les maires des villes... et dont l'expertise irait beaucoup plus loin que celle dont disposent actuellement les associations d'élus.

J'ai le sentiment que la capacité d'expertise est beaucoup plus grande à la direction générale des collectivités locales (DGCL) qu'elle ne l'est dans les associations d'élus. J'ai essayé de comprendre la situation sur les transferts liés à la disparition de la taxe professionnelle - il y a des choses qui m'interpellaient : les associations d'élus que j'ai interrogées n'ont pas pu me donner un seul élément d'explication, parce qu'elles n'avaient pas la matière nécessaire. Il a donc fallu que je me tourne vers le directeur général des collectivités locales en personne. Cela veut dire qu'il n'y a, dans le dispositif institutionnel français tel qu'il fonctionne aujourd'hui, aucun lieu où l'on puisse mener, avec la capacité d'expertise voulue, un travail d'inspection et de compréhension comme le fait la DGCL.

M. Philippe Dallier. - Pourquoi est-ce que cela ne pourrait pas être le Sénat qui tiendrait ce rôle-là ? ou la délégation ? ou quelque chose à créer ? On avait essayé, avec Jean Arthuis, effectivement, de doter la commission des Finances, et l'Observatoire de la décentralisation, à l'époque, des moyens informatiques qui permettraient d'être un tant soit peu indépendants de la DGCL. On l'a bien vu avec la réforme de la TP : si les associations d'élus ont été incapables d'y voir clair, nous nous sommes, nous aussi, heurtés à la nécessité de recourir aux simulations de la DGCL, sans lesquelles nous sommes complètement aveugles.

Nous n'avons pas les moyens aujourd'hui, mais est-ce qu'il est vraiment impossible de les avoir ? Je pense que non. Et pourquoi un institut indépendant, quel que soit son nom, y arriverait, alors que le Parlement - et plus précisément la chambre qui est censée représenter les collectivités territoriales - ne pourrait pas se doter de cet outil ? Franchement, je pense que cela « regonflerait » le Sénat, si vraiment on avait cet outil-là et on serait, là, un vrai centre de conseil pour les collectivités.

M. Claude Belot, président. - Il serait, en effet, dans son rôle de contrôle parlementaire.

M. Edmond Hervé, rapporteur. - Tout travail sur les collectivités territoriales doit pouvoir être connu, évalué, critiqué... C'est aussi vrai pour les travaux du sénat, en particulier de notre délégation, et le meilleur moyen pour y parvenir c'est d'avoir un organisme qui permette au président de la délégation d'aller présenter les travaux de celle-ci et de les faire connaître.

Néanmoins, rien n'empêche effectivement la délégation d'avoir ses propres systèmes d'investigation. Je suis, à cet égard, favorable à ce que le Parlement français dispose d'un pouvoir d'investigation équivalent à celui du Parlement américain. C'est d'ailleurs un moyen d'enrichir les débats. Comment les différentes associations d'élus prennent-elles connaissance de nos travaux ? Quelle utilisation en font-elles ?

Ces associations doivent avoir un vrai pouvoir d'impulsion. Par exemple, sur la péréquation, je rêve d'un texte précis, détaillé, technique émanant des grandes associations d'élus, déposé devant le Gouvernement, déposé devant la délégation, devant la commission des Finances, et sur lequel on discuterait.

M. Claude Belot, président. - Le problème, c'est qu'elles peuvent avoir beaucoup de mal à se mettre d'accord entre elles. L'État en joue très habilement.

Je me suis intéressé, il y a vingt ans, au thème de la péréquation : c'était évident qu'il y avait des injustices, fabuleuses, entre la région parisienne et beaucoup de régions, et à l'intérieur même de la région parisienne. Dès qu'on commençait à évoquer ce sujet, même ceux qu'on pouvait penser intéressés pour trouver une solution se défaussaient, parce qu'à l'intérieur du parti ce n'était pas le sujet : on se débrouillait, on arrivait à donner des gages aux situations les plus flagrantes de manière à faire taire les revendications.

Il y a une vingtaine d'années, nous avions, avec Jean Arthuis, à la commission des Finances, fait une proposition de loi sur le financement des transports parisiens - le contribuable en payant une grande partie. Nous avions voulu faire évoluer le système. Le lendemain, lors d'un petit déjeuner organisé à l'initiative de Charles Pasqua, qui avait réuni tout « l'arc-en-ciel » politique du Sénat, et avait fait une contre-proposition, notre amendement, qui revenait sur les équilibres en cours, a été renvoyé dans ses filets à la quasi-unanimité.

M. Pierre-Yves Collombat. - En écoutant Edmond Hervé, qui a fait une revue du paysage français, puis en comparant ce qui a été mes préoccupations, finalement, on s'aperçoit, pour qu'un système fonctionne à peu près efficacement, qu'il faut qu'il y ait une communauté de politiques entre l'État et les collectivités territoriales. En matière de pilotage économique ou en matière d'aménagement ou d'investissement, par exemple, si on veut vraiment que cela marche, il ne faut pas que les uns fassent une chose et les autres le contraire. Il ne faut pas que le jeu consiste, pour équilibrer ses finances, à « pomper » celles des autres, parce que les effets deviennent complètement contre-productifs. Or, j'ai un peu l'impression qu'on a eu une période où c'était à peu près cela qui se passait et ce n'est pas un hasard si, effectivement, on a vu augmenter l'investissement des collectivités territoriales, alors qu'on semble plutôt rentrer dans une période où la grande défausse a commencé. Et si j'en juge par ce qu'il se passe aux États-Unis, on aboutit finalement au contraire de ce que l'on veut faire. Même la situation allemande n'est pas extraordinaire. Là où cela semblerait marcher le mieux, c'est-à-dire au Danemark, on s'aperçoit que les collectivités se plaignent de ce que l'État a une politique de stop and go et change d'avis toutes les années, et que cela n'a pas donné de résultats extraordinaires. Donc, c'est cela qui me paraît extrêmement préoccupant. Je ne dis pas qu'il ne faut pas essayer de bien gérer, de faire des économies là où on peut les faire, mais si c'est faire des économies sur le dos des collectivités, qui ne peuvent plus être des relais locaux de la politique nationale, on aboutit à des effets tout à fait contre-productifs.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Je voudrais ajouter mes félicitations à celles qui ont déjà été adressées au rapporteur.

A propos du département, vous parlez de solidarité sociale et territoriale : vous évoquez l'idée de créer une agence territoriale. Le serait-elle à partir du département, en relation avec les collectivités et les élus, qui siégeraient ou qui seraient appelés à être des relais auprès des autres élus ? Cette proposition me paraît très intéressante parce que, c'est vrai, le tribunal administratif ou la chambre régionale des comptes assurent surtout des couperets qui tombent beaucoup plus que des conseils.

M. Yves Détraigne. - A l'époque où je travaillais dans le milieu des chambres régionales des comptes, ces dernières étaient très prudentes par rapport à la fonction de conseil, de crainte d'être à la fois juge et partie. Mais c'était aussi une époque où les contrôles étaient beaucoup plus techniques qu'aujourd'hui. De nos jours, les contrôles constituent, de fait, des aides à la gestion, davantage que par le passé. Les observations concernent surtout la manière d'appréhender les différentes questions que rencontre la collectivité, alors qu'elles se concentraient auparavant sur le contrôle réglementaire et comptable. D'une certaine manière, l'évolution naturelle des chambres régionales des comptes les a conduites à faire du conseil sans qu'elles en soient forcément conscientes. Mais cela a posé des difficultés au début.

M. Claude Belot, président. - C'est un peu du conseil a posteriori.

M. Yves Détraigne. - C'est du conseil a posteriori, et c'est l'un des défauts du système.

M. Claude Belot, président. - Nous vivons tous ce genre de situation : nous sommes aux manettes, nous avons une décision à prendre, nous n'arrivons pas à savoir si elle est parfaite en droit, par exemple parce que le sujet n'a tout simplement pas été exploré, et nous aimerions avoir un avis, qui n'engage pas automatiquement le magistrat, mais qui soit donné en amont. C'est ce que fait l'État à chaque fois qu'il élabore une loi : il demande l'avis du Conseil d'État. Aujourd'hui les collectivités sont amenées à traiter un nombre important de sujets, dont des matières nouvelles telles que le haut débit par exemple, et le droit n'est pas limpide. Donc ce serait une bonne chose que les chambres expliquent en amont comment les choses peuvent se passer. Mais je comprends qu'elles aient des difficultés déontologiques et redoutent de se retrouver à a fois juge et partie.

Je voudrais, en votre nom à tous, remercier M. Edmond Hervé, dont j'apprécie beaucoup la hauteur de vue. Les sages sont faits pour cela : l'expérience que nous tirons de la vie doit à un moment être transmise à ceux qui vont encore courir longtemps. Il y a un autre aspect des choses, que j'ai vécu dans ma ville, mais qui a également dû être remarqué dans la Marne et lors des autres déplacements : lorsque M. Edmond Hervé a rencontré les élus, ces derniers étaient tous très honorés, en raison de sa personnalité, de son action, de son passé, qui sont connus, et aussi en tant qu'il représentait le Sénat venu à leur rencontre recueillir leurs points de vue. Il a pris le temps de visiter dix-sept départements, or il est important que le département soit connu. Cela va dans le sens de ce que disait M. Philippe Dallier : le Sénat est mieux identifié s'il vient débattre avec les individus. Il faut évidemment que nous ayons le temps de le faire, c'est important. M. Edmond Hervé a pris ce temps et je l'en remercie. Je suis persuadé que ce rapport marquera et qu'il en ressortira à l'avenir des propositions.

L'exercice du premier semestre 2011 de notre délégation sera clos demain, après la conférence de presse tenue par le président du Sénat, M. Gérard Larcher, Mme Jacqueline Gourault, M. Dominique Braye et moi-même sur l'intercommunalité. Je vous remercie du travail que vous avez réalisé dans le cadre de la délégation. Je me réjouis de voir que nous constituons aujourd'hui un noyau dur en son sein qui contribue beaucoup à ses travaux. Merci beaucoup à vous.