Mardi 18 octobre 2011

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Modalités de sortie de la crise de la zone euro - Table ronde

La commission procède tout d'abord à l'audition conjointe de MM. Jacques Delpla, économiste, membre du conseil d'analyse économique, Jean Pisani-Ferry, directeur de l'institut Bruegel, et Romain Rancière, professeur d'économie à l'Ecole d'économie de Paris, dans le cadre d'une table ronde sur les modalités de sortie de la crise de la zone euro.

M. Philippe Marini, président. - Nous sommes réunis pour débattre des conditions de stabilisation de la zone euro et de l'éventuelle émission d'euro-obligations ou eurobonds. Cette table ronde était prévue de longue date, mais elle arrive à point nommé : les tensions sur le financement des Etats de la zone euro sont plus vives que jamais, et l'avenir même de la monnaie unique n'est pas gravé dans le marbre. Tout dépendra des décisions prises par le Conseil européen le 23 octobre, et des orientations définies par le G 20 les 3 et 4 novembre. Nul n'a encore trouvé le moyen de rassurer durablement les marchés sur les capacités des Etats de la zone euro à honorer leur dette en temps et en heure. Il n'est plus temps d'user de cataplasmes, de réponses partielles ou tactiques : il nous faut réfléchir à des solutions de fond.

Dès l'an dernier, la commission des finances s'est montrée sensible à ce sujet, évoquant la création d'un Fonds monétaire européen, ou encore, le 8 septembre dernier, la transformation du Fonds européen de stabilité financière (FESF) en banque autorisée à se refinancer auprès de la Banque centrale européenne (BCE). Nous nous interrogeons désormais sur les euro-obligations : sont-elles souhaitables, sont-elles même possibles ? Doit-on mutualiser totalement ou partiellement la dette des Etats de la zone euro, et faut-il le faire immédiatement, à court ou à moyen terme ? Ces questions apparemment techniques sont en fait éminemment politiques et juridiques, comme nous l'a rappelé le récent arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Celle-ci n'a-t-elle pas tracé les limites de ce qu'il est possible d'envisager ? Dans cette période critique, face à l'imprévu, il nous faut remettre en cause les modes de raisonnement habituels.

Nous avons invité M. Jean Pisani-Ferry, directeur de l'institut Bruegel, centre d'un foisonnement ...

M. Charles Guené. - ... naïf ?

M. Philippe Marini, président. - ...coloré ; M. Jacques Delpa, économiste et membre du Conseil d'analyse économique, qui a été, avec M. Jakob von Weizsäcker, l'un des premiers à formaliser un projet d'eurobonds, et qui a joué un rôle important d'homme de doctrine au sein du groupe de travail Camdessus sur la règle d'équilibre des finances publiques ; et enfin M. Romain Rancière, professeur à l'Ecole d'économie de Paris, qui dans une tribune récente a qualifié les euro-obligations de « songe », et qui insiste sur un possible rôle du Fonds monétaire international (FMI). C'est donc une table ronde très pluraliste.

M. Jean Pisani-Ferry, directeur de l'institut Bruegel. - Je suis heureux d'être parmi vous. Le moment est grave, et il est difficile de surestimer les risques que court la zone euro : il ne s'agit pas seulement des difficultés d'une économie périphérique comme la Grèce, mais de problèmes plus profonds, qui touchent au coeur de l'Union monétaire. L'écart ou spread de taux d'intérêts payés par la France et l'Allemagne vient de dépasser 100 points de base. On peut craindre une nouvelle crise bancaire d'une ampleur comparable à celle de 2007 et 2008. Tout le monde attend l'issue du prochain Conseil européen, mais les premières indications ne sont guère rassurantes.

Vous avez raison d'aborder les sujets de fond, car la question posée par les marchés est bien celle des fondements de l'Union monétaire et de sa capacité à résister aux temps difficiles. La crise actuelle a fait resurgir des problèmes et des désaccords enterrés lors de la création de l'euro. Le débat était jusqu'à présent plus approfondi en Allemagne, et il est très bienvenu que votre commission des finances contribue à la réflexion française sur ce sujet.

Qu'avons-nous compris à la faveur de la crise ? En premier lieu, que les indicateurs habituels de comptabilité nationale ne permettaient pas d'appréhender correctement l'état des finances publiques et les risques encourus par les Etats : la situation de l'Irlande et l'Espagne, qui paraissait excellente, est brutalement devenue alarmante. En second lieu, que la zone euro était exposée à des crises de la dette résultant de prévisions auto-réalisatrices : un pays solvable lorsqu'il connaît un certain taux d'intérêt devient insolvable lorsque le taux augmente. L'Italie par exemple, dont le déficit public avoisine 4 % du PIB et dont la dette, importante, peut être réduite sans trop d'effort, reste solvable tant qu'elle est exposée à un taux de 3 %, mais à supposer que ce taux atteigne 7 %, il lui faut faire un tel effort pour redresser ses finances que cela justifie les préventions des prêteurs.

Or, dans les pays qui disposent d'une monnaie propre, la banque centrale peut interdire ces mécanismes auto-réalisateurs : elle n'empêche pas l'Etat de faire défaut si les finances publiques sont gérées de manière irresponsable, mais, si ce n'est pas le cas, elle peut acheter de la dette publique et assurer la solvabilité du pays. Autrement dit, la banque centrale assume le rôle de prêteur en dernier ressort, ce qui n'est pas le cas de la BCE. C'est ce qui explique que le Royaume-Uni ou les Etats-Unis, dont les finances publiques ne sont pas en meilleur état que celles de l'Espagne, empruntent à des taux beaucoup plus faibles. Certes, la BCE a acheté des obligations grecques, italiennes et espagnoles, mais ce Securities Markets Programme est très controversé et a sans doute précipité la démission d'Axel Weber, puis celle de Jürgen Stark. L'establishment monétaire allemand est farouchement opposé à cette politique. J'estime que la BCE a bien fait de racheter de la dette italienne et espagnole ; pour la dette grecque, je suis plus circonspect. Mais elle n'est pas faite pour cela. Tout d'abord, contrairement à une banque centrale nationale, elle a plusieurs actionnaires, et en cas de pertes - par exemple si un Etat à qui elle a prêté fait défaut -, elle doit réduire les dividendes de chacun, voire demander à tous de la recapitaliser, ce qui revient à opérer une redistribution au sein de la zone euro. Or elle n'a pas le mandat pour le faire. Son mode de gouvernance n'est pas non plus approprié, puisqu'en matière de politique monétaire chaque gouverneur y dispose d'une voix, alors qu'en cas de redistribution il serait normal que les droits de vote dépendent de la contribution de chacun. A cela s'ajoutent des raisons doctrinales, notamment en Allemagne où, dès avant l'union monétaire, la Bundesbank ne jouait pas le rôle de prêteur en dernier ressort.

Que faire ? Le plus simple serait de mettre le risque à la charge des Etats, et de faire racheter de la dette souveraine par le FESF plutôt que par la BCE. Mais le FESF ne dispose que de 440 milliards d'euros, dont il faut retrancher 40 milliards déjà accordés au Portugal et à l'Irlande, 100 milliards promis pour le deuxième plan d'aide à la Grèce, et une certaine somme pour la recapitalisation des banques. Il reste à peu près 250 milliards ; or le FESF a racheté en deux mois pour 100 milliards d'obligations italiennes et espagnoles. Avec 250 milliards, on peut donc tenir à peu près cinq mois. Le FESF ne suffit donc pas à rassurer les marchés. Lorsque les réserves de change d'une banque centrale sont épuisées, les marchés font sauter la banque ; c'est ce qu'il faut éviter à présent.

Une meilleure solution consisterait à utiliser une ligne de crédit de la BCE, qui prêterait au FESF pour lui permettre d'acheter des obligations ; celles-ci seraient mises en dépôt auprès de la BCE, qui imposerait une décote pour tenir compte du risque, et qui prêterait de nouveau le montant correspondant. Si la décote était de 20 %, on obtiendrait un coefficient multiplicateur de 5 : au lieu de 250 milliards d'euros, on aurait 1 250 milliards. Ce n'est pas la solution qui se dessine, et je ne me l'explique pas, car elle est techniquement propre et préserverait les missions de la BCE en les séparant clairement de celles des Etats.

On s'oriente vers une couverture des premières pertes par le FESF. Ce serait, me semble-t-il, une assez mauvaise solution, techniquement incertaine, qui segmenterait le marché des obligations, n'offrirait pas de défense efficace contre la spéculation et ne rassurerait pas les marchés.

Certains voudraient que les Etats soient solvables en toutes circonstances, quels que soient la conjoncture, les risques bancaires ou les besoins de recapitalisation des banques. Mais cela exigerait un niveau de dette publique beaucoup plus faible que ce à quoi nous sommes habitués. Une dette inférieure ou égale à 60 % du PIB n'offre pas une garantie suffisante : celle de l'Espagne ne dépassait pas 40 % du PIB en 2007, celle de l'Irlande 25 % ! Réduire drastiquement le niveau d'endettement imposerait partout une très longue cure d'austérité.

D'autres considèrent qu'il faut laisser les Etats faire faillite, après avoir renforcé le système bancaire en réduisant l'exposition des banques à la dette souveraine de leur Etat, en les incitant à diversifier leurs actifs publics, voire à diminuer la part de ceux-ci dans leur bilan - aux Etats-Unis, ce ne sont pas les banques qui détiennent la dette publique -, et en les recapitalisant. Cette solution est inspirée de l'exemple des Etats-Unis, où les Etats fédérés peuvent faire faillite. Mais le rapport entre la dette publique de l'Italie et le PIB de la zone euro est égal au rapport entre la dette de tous les Etats fédérés et le PIB américain : environ 20 % ! Le défaut d'un pays de la zone euro serait donc un événement financier de très grande ampleur, guère comparable à celui de la Californie, dont la dette équivaut à 2 % du PIB américain.

La dernière solution consiste en une garantie conjointe et solidaire des Etats, c'est-à-dire, sous une forme ou sous une autre, des eurobonds. Mais pour cela, il faudrait passer d'une surveillance budgétaire ex post à une surveillance ex ante, car les Etats garantiraient les dettes émises jusqu'à leur échéance. Cela impliquerait une modification de l'ordre juridique européen et l'instauration, soit d'un recours devant la Cour de justice, soit d'une procédure de validation démocratique au niveau européen des budgets nationaux.

M. Philippe Marini, président. - Un tout petit peu de démocratie...

M. Jean Pisani-Ferry. - Une instance habilitée à rejeter le budget voté par un parlement national devrait être démocratiquement légitime : ce ne pourrait être un tsar, un comité ou un conclave de ministres. Le Parlement européen lui-même n'a pas d'autorité suffisante, puisqu'il ne peut pas lever l'impôt : il faudrait impliquer les parlements nationaux.

M. Jacques Delpa, économiste, membre du Conseil d'analyse économique. - Il y a deux sortes de pays dans la zone euro : d'un côté l'Allemagne et ses voisins, dont le crédit est très bon, de l'autre les pays du Sud. Lorsque j'ai été invité à participer à cette table ronde, la France était du bon côté, mais depuis hier soir je n'en suis plus si sûr... Si nous passons du mauvais côté, le vote du budget ne servira à rien : M. Draghi décidera de la politique budgétaire de la France ; il mettra des conditions au rachat par la BCE d'une partie de la dette par la BCE, et les procédures de validation parlementaire ne seront plus que formelles...

Pour l'éviter, il faut d'abord recapitaliser fortement les banques françaises. Le spread de taux d'intérêts entre la France et l'Allemagne s'accroît. L'Autriche connaît le même problème, non pas en raison de ses finances publiques, mais parce que les banques y sont fortement exposées du fait de leurs investissements en Europe de l'Est et en Italie. En 1936, face au « mur d'argent », Vincent Auriol disait : « Les banques, je les ferme, et les banquiers, je les enferme. ». Aujourd'hui, il faut forcer les banques à se recapitaliser, car les marchés craignent que toute la zone euro ne s'effondre. Des mesures radicales sont nécessaires à court terme.

Pas plus que Jean Pisani-Ferry, je ne crois que le FESF suffira à résoudre la crise, même en comptant sur un effet de levier : personne n'achètera sa dette, parce que les Etats ne la garantissent pas solidairement : l'Allemagne garantit 25 %, la France 20 %, etc. Dans la presse spécialisée, on lit que le FESF absorbera toutes les pertes, mais que les investisseurs devront se tourner vers le Trésor italien pour être remboursé des pertes italiennes !

M. Philippe Marini, président. - Il me semblait que l'on ne prenait en compte que la capacité de financement correspondant aux quotes-parts des Etats notés « triple A ».

M. Jacques Delpa. - Vous avez techniquement raison, mais les marchés ne le croiront pas. Il y a aujourd'hui un problème de crédibilité de la parole publique : on nous assurait que la Grèce ne ferait pas défaut, c'est chose faite depuis le 21 juillet ; la solidité financière des banques était réputée à toute épreuve, et il a fallu sauver Dexia...

Je suis un Européen de coeur et un fédéraliste, mais la solution que je préconise ne l'est pas ; elle est en revanche pleinement démocratique. Pas de mise en commun des dettes publiques, pas de zone euro ! L'Italie, l'Espagne ou le Portugal ne pourront pas procéder aux ajustements budgétaires indispensables ni, surtout, améliorer leur compétitivité - ce qui suppose de baisser les coûts et les salaires et de procéder aux réformes ajournées depuis quarante ans - avec une croissance nulle pendant plusieurs années et des taux d'intérêt de 6 %. Je comprends les réticences des Allemands, qui ne veulent pas donner un chèque en blanc aux pays endettés. Le gouvernement italien avait promis le 8 août de procéder à toutes les réformes exigées par la BCE, avant d'annoncer le contraire le 15 août... Le FESF ne suffira pas à éteindre l'incendie ; on ne peut pas non plus demander à la BCE de racheter toutes les dettes, car cela inciterait au laxisme. D'où la proposition que je formule dans un article à paraître demain dans Les Echos : tous les pays qui demanderont au FESF ou à la BCE de racheter une partie de leur dette devront se soumettre à un programme du FMI ; ce sera peut-être humiliant, mais c'est le seul moyen de rassurer les marchés. Car si la BCE a les poches larges, le FMI seul sait imposer une conditionnalité - alors qu'il n'a plus d'argent à prêter, et que les Asiatiques rechignent à renflouer les Européens.

En outre, je propose d'appliquer la jurisprudence du Club de Paris. Que se passe-t-il lorsqu'un pays africain voit s'effondrer le cours d'une matière première dont il est très dépendant ? Il demande l'aide du FMI ou de la Banque mondiale et procède aux ajustements budgétaires nécessaires ; il peut parvenir à réduire son déficit, mais si le cours de la matière première ne remonte pas, il n'arrive pas à rembourser sa dette. Alors, on applique la jurisprudence suivante, acceptée par tous les investisseurs publics ou privés : si les flux sont maîtrisés, on restructure le stock, c'est-à-dire que l'on redéfinit a posteriori la qualité des dettes accumulées. Toute la dette émise avant l'accord conclu avec le FMI ou une autre institution est considérée comme restructurable et appelée junior ; toute la dette émise après cette date est considérée comme non restructurable et appelée senior.

M. Philippe Marini, président. - Cela revient à accepter un défaut partiel.

M. Jacques Delpa. - A terme et éventuellement. De la même manière, l'Italie ou l'Espagne pourraient conclure un accord avec le FMI, disons, le 1er décembre ; l'aide financière apportée par le FMI et surtout par la BCE serait considérée comme de la dette senior, et ne ferait donc peser aucun risque sur les Etats ou les contribuables.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Mais comment parvenir à un accord d'ici le 1er décembre ?

M. Jacques Delpa. - Un accord avec le FMI peut être conclu en quinze jours. Dans trois ans, on relèverait les compteurs : si le pays avait alors retrouvé sa crédibilité, il ne serait pas nécessaire de restructurer sa dette junior ; dans le cas contraire, la restructuration ne pèserait que sur les investisseurs privés. On éviterait ainsi de trancher dès à présent le débat théologique sur la restructuration. Cette solution, tout en étant conforme à l'objectif des Français qui souhaitent accorder une ligne de liquidité massive à l'Italie et lui permettre de lever de l'argent à 3 %, rassurerait les Allemands.

Voilà pour le court terme. A long terme, M. von Weizsäcker et moi-même suggérons de séparer les risques et de distinguer une dette « bleue » d'une dette « rouge ». Nous partons du principe qu'une garantie solidaire pour l'ensemble de la dette publique des pays de la zone euro est impossible ; elle n'est envisageable que sur la partie la plus sûre de la dette de chaque pays ou dette senior, jusqu'à 60 % du PIB, soit le seuil défini par le traité de Maastricht. Tous les pays, y compris la Grèce, sont capables de servir leur dette jusqu'à 60 % du PIB. Chaque année, le Parlement français accepterait donc de garantir la dette senior des seize autres pays de la zone euro. D'après une agence de notation à laquelle je me suis ouvert de cette proposition, la dette ainsi garantie, ou « dette bleue », serait notée AAAA !

Mme Fabienne Keller. - Mais le reste de la dette sera plus risqué.

M. Jacques Delpa. - Peut-être, mais ce système permettrait à l'Europe du Sud de se refinancer à bas prix.

Le reste de la dette, dette junior ou « dette rouge », relèverait de la responsabilité des pays et serait restructurable. La « dette rouge » porterait ainsi l'intégralité du risque souverain. Pour éviter tout risque systémique, on interdirait aux banques d'en acheter, pour la réserver aux investisseurs spécialisés, assureurs et gestionnaires de Sicav. On pourrait même rendre cette dette « contingente ». En Europe occidentale, on ne sait pas mettre en défaut un Etat ou une grande institution. L'idée est de créer une dette qui absorbe les chocs sans passer par la case faillite. Si un pays devait se soumettre à un programme du FMI, on pourrait ainsi suspendre le versement des intérêts de la dette « rouge » pendant quelques années.

La gouvernance serait intergouvernementale : une dette fédérale est impossible à court terme, car les Allemands n'en veulent pas. D'ailleurs, dans les institutions communautaires comme le Parlement européen, la Commission européenne ou l'Ecofin, trois petits pays peuvent avoir plus de poids que l'Allemagne, ce qui est inacceptable pour cette dernière. Nous suggérons donc que chaque année, un comité budgétaire européen propose une allocation de dette commune : les pays dont les finances publiques sont saines auraient droit à l'intégralité de leur quota, les pays semblables à la Grèce ou à l'Italie, non. On aurait donc une riposte graduée. En outre, le système serait transparent et démocratique : tous les parlements nationaux voteraient chaque année la garantie de leur pays sur la dette « bleue ». Dans la pratique, le comité budgétaire s'adresserait en priorité aux Trésors publics des pays les plus importants. Ce ne serait ni un gouvernement des juges, ni un gouvernement des experts.

M. Romain Rancière, professeur à l'Ecole d'économie de Paris. - On dit souvent que la Grèce n'est pas le fond du problème. Au contraire, le fait qu'il ne soit pas réglé de façon satisfaisante a entraîné une chute abyssale de la confiance dans les institutions européennes. Il est un peu rapide d'affirmer que la Grèce est petite, que ce qui importe, c'est l'Italie ou l'Espagne. On n'a pas été capable de régler des problèmes urgents de solvabilité et de restructuration de la dette grecque, d'où une perte de crédibilité.

On nous a dit : « dans la zone euro, on ne peut faire défaut ». Pourquoi ? On ne sait pas très bien. Il y a eu ce lien mythique, entre le défaut et la sortie de l'euro. Pourquoi ? On ne sait pas non plus très bien. Ces préjugés idéologiques ont provoqué une fuite en avant, jusqu'au moment où la situation apparaît comme aujourd'hui insoutenable. Tout cela a créé une incertitude massive, on met un peu tout dans le même sac, on achète indifféremment de la dette grecque ou de la dette espagnole ou italienne, alors que les problèmes sont différents.

On progressera quand on traitera enfin sérieusement la question de la restructuration de la dette grecque. Je l'écris ce matin dans Libération, le plan de juillet est une imposture. Le secteur privé a prétendu prendre une décote de 21 %, c'est faux. Il n'a pas donné plus de 6 % à 7 %. On est très loin du plan Brady des années quatre-vingts, avec des restructurations de 40 % à 45 %. D'où vient ce décalage ? Il faut aller au fond des choses pour regagner de la crédibilité. Dans l'option standard du plan, on arrive avec 100 euros de dette grecque et l'on repart avec 80 euros de nouvelle dette, de maturité étendue et à des taux d'intérêt similaires au début, qui montent ensuite graduellement. On demande à la Grèce, en empruntant auprès du FESF, d'acheter du collatéral, formé d'obligations AAA, à un taux relativement intéressant et pour environ 26 % de la dette initiale. Le total est donc supérieur à 100 %. Le taux d'escompte proposé par les créanciers, qui marque la différence entre les flux que doit payer la Grèce avant et après la restructuration, est de 9 % - l'on pense donc que la Grèce restera risquée, même après la restructuration. Où sont les 21 % ? En fait, les créanciers comparent la valeur faciale de la dette grecque, et la valeur présente de la dette réémise, ce qui n'a de sens qu'en termes de provision comptable. Pourquoi n'ont-ils pas passé de provision avant ? Mystère, mais ils disent : « nous avons pris nos 21 % de pertes » ! Ce qui importe pour la Grèce, ce sont les 6 % à 7 % dont j'ai parlé initialement et les modifications des termes de la dette : décote, coût du collatéral et évolution des taux d'intérêt. Je le répète : on n'a pas proposé de mécanisme sérieux de restructuration de la dette grecque.

Prenons le cas de l'Argentine, qui peut se reproduire : la pays annonce qu'il ne peut plus payer, suspend ses paiements ou menace de le faire. Si la Grèce agissait ainsi, elle pourrait économiser 30 % de son PIB l'an prochain. Et ensuite, elle renégocierait. Il serait préférable d'obtenir une restructuration ordonnée de la dette grecque. Mais cela ne peut se faire dans les termes de l'accord du 21 juillet, qui a enclenché un cercle vicieux, d'étranglement par la dette. Je propose de faire l'hypothèse que l'on peut sortir de cet étranglement par une restructuration forte, atteignant 100 % de la dette. Cela suppose une décote, dite haircut, de l'ordre de 40 %, mais bien calculée, c'est-à-dire en valeur présente et non comme une perte comptable bancaire. Si l'on fait cela, la Grèce peut retrouver un sentier de croissance et de stabilité de sa dette. Un tel mécanisme, à l'inverse d'une solution comptable truquée destinée à rassurer l'opinion, franchirait un pas important vers la solution des problèmes et la crédibilité.

La solution à court terme proposée par Jacques Delpla est excellente. Je penchais plutôt pour une solution intermédiaire, où le FMI mettrait en place une ligne de crédit de précaution, qui aurait un moindre niveau de conditionnalité qu'un vrai programme du FMI. « Plan FMI » ou « semi-plan FMI », cette voie me paraît la bonne.

Sur les eurobonds, je suis plus sceptique, en raison de la « tragédie des biens communs » : quand chacun pêche dans son petit étang, la ressource est mieux gérée que si tout le monde pêche dans un grand étang. Il en va de même pour la mutualisation des ressources fiscales, qui conduit naturellement vers l'excès d'endettement, davantage d'ailleurs en période favorable qu'en temps de crise. En période d'embellie budgétaire, si notre dette est garantie par l'Allemagne, pourquoi nous restreindre ? On aura toujours tendance à trop pêcher dans l'étang commun. La crise nous a montré que l'on peut poser les conditions que l'on veut, elles se relâchent toujours lorsque des difficultés surviennent. C'est au moment où l'Europe deviendra fédérale que sa dette sera fédérale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Avec les économistes, nous bénéficions d'une spéculation intellectuelle formidable et, dans le même temps, nous nous faisons peur. Si j'en crois MM. Delpla et Rancière, il ne faut pas croire les banquiers - en ce qui me concerne, je ne les ai jamais crus - ni les ministres des finances, ni les Etats, puisque, M. Rancière l'a répété, l'accord du 21 juillet ne règle en rien les problèmes de la Grèce. Mais revenons à la réalité, c'est-à-dire, comme l'a bien montré Jean Pisani-Ferry, au court terme, avec la réunion de dimanche : si l'Europe n'est pas capable de trouver une solution cohérente, adoptée en particulier par la France et l'Allemagne, le G20 et la présidence française en pâtiront dans les semaines suivantes.

Je rappelle qu'il s'agit de contenir les risques de contagion à l'Espagne et à l'Italie. Un dispositif a minima, c'est-à-dire assuré par le FESF, qui continuera à décider à l'unanimité, suffira-t-il à contenir le risque Italie-Espagne ? C'est une question de crédibilité, vis-à-vis des marchés.

Monsieur Rancière, vous avez repris l'idée, que vous aviez développée dans un article publié en août, d'utiliser des lignes préventives du FMI. C'est intellectuellement séduisant, mais est-ce politiquement possible ? Nous sommes parlementaires et nous savons que des idées brillantes se heurtent parfois au mur des réalités, au mur d'argent.

Aucun d'entre vous n'a évoqué l'éventuel recours à la banque européenne d'investissement (BEI).

Quant aux eurobonds, je n'ai jamais pensé que c'était un talisman magique. Vous savez que le recours au FMI se heurte à des obstacles politiques, nous en avions parlé lors de la crise de 2008, avec le directeur général du FMI...

M. Philippe Marini, président. - A Washington !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Mais nous n'étions pas dans la même situation. Il y a quand même de la honte, que l'Europe ne soit pas capable de régler ses problèmes. Si l'on retient votre schéma de dette bleue et rouge, ne va-t-on pas favoriser une dimension autoréalisatrice, pour la part de la dette supérieure à 60 points de PIB ? Il faudrait que les eurobonds portent sur la totalité de la dette.

J'en viens à la question institutionnelle. Mme Merkel a fait une ouverture vers la révision des traités. Quelles que soient les difficultés politiques de cette affaire, la création d'eurobonds peut supposer la modification de l'article 125 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en particulier. Comment les marchés réagiraient-ils à un tel débat ?

Enfin, il me paraît évident que la contrepartie à la création des eurobonds est la surveillance budgétaire ex ante. Vous avez parlé des sanctions, mais pas du volet préventif, adopté par le Parlement européen avec le paquet « gouvernance », et qui donne tout de même certaines garanties.

M. Jacques Delpla. - On peut se prémunir contre la « tragédie des biens communs », par un traité intergouvernemental liant les Etats de la zone euro autour de la définition de la dette « senior », des modalités de son paiement dans chaque loi de finances, de l'éventuelle intervention de la Cour de justice des Communautés européennes. Un comité budgétaire européen apporterait la réponse aux problèmes de gouvernance. Je suis d'accord avec Romain Rancière, tout cela peut exploser en cas de crise. Mais la réponse, c'est la dette rouge, la dette junior : si elle s'évapore en cas de crise, il n'y a plus de « tragédie des biens communs ». En effet, il y aura un contrat, écrit à l'avance, stipulant en substance que le jour où il y a un problème, les coupons de cette dette subordonnée ne seront plus payés.

Bien sûr, j'ai conscience que l'intervention du FMI sera un coup de tonnerre !

M. Philippe Marini, président. - C'est pourtant ce que l'on a fait pour les pays de l'Union européenne hors zone euro !

M. Jacques Delpla. - J'aimerais une Europe où il n'y aurait pas eu tous ces problèmes, mais ils sont là ! Plus on va vers le sud de l'Europe, aujourd'hui, plus on est fédéraliste.

M. Philippe Marini, président. - C'est un fédéralisme utilitaire !

M. Jacques Delpla. - C'est un fait : il y a un problème de confiance. Les Allemands, les Autrichiens, les Hollandais, les Finlandais ne font plus confiance aux pays méditerranéens, on peut le regretter, mais c'est ainsi...

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - La France est un pays intermédiaire...

M. Philippe Marini, président. - La France est ambivalente...

M. Jacques Delpla. - Je suis du Sud de la France ! Les pays du Nord ne font pas confiance à l'Italie, à l'Espagne, à la Grèce, au Portugal. Ils savent tous que dans les réunions européennes, on est tous d'accord, on s'embrasse, on ne veut pas se fâcher. Entre Européens, à cause de notre histoire, nous ne savons pas être durs les uns avec les autres. Qui peut le faire, en dehors du FMI ?

C'est ce que j'appelle le scénario de Canossa inversé. En l'an 1077, le futur empereur du Saint-Empire romain germanique Henri IV est allé faire pénitence devant le pape Grégoire VII, qui refusait qu'il nomme les évêques. Celui-ci l'ayant excommunié, il ne pouvait plus régner et n'était plus reconnu par les princes et ducs. Il est donc allé à Canossa, en Italie, où il est resté deux jours pieds nus, dans la neige, vêtu d'une simple robe de bure, en attendant que le pape, le 28 janvier 1077, lève finalement l'excommunication. Le Canossa inversé, c'est la possibilité pour les pays du Sud de revenir sur les marchés de dette, en bénéficiant de la garantie allemande. La nomination des évêques, c'est le pouvoir. On a commis une erreur collective avec l'euro, en disant aux Allemands : vous êtes un pays parmi n, 17 aujourd'hui. On a prétendu que la Bundesbank égalait la banque centrale du Portugal ou celle de Malte. C'est faux. Ma proposition de dette bleue et le passage par le FMI contribuent à un rééquilibrage. L'intervention du FMI en Italie est nécessaire pour faire comprendre à la classe politique italienne qu'il est temps d'arrêter de faire semblant et de mettre en oeuvre des réformes claires.

M. Jean Pisani-Ferry. - Je suis d'accord avec Romain Rancière sur le coût, considérable en termes de crédibilité, de gestion de l'affaire grecque.

M. Philippe Marini, président. - Si, par extraordinaire, au moment où la première crise grecque est apparue, les pays de la zone euro avaient acté le défaut partiel de la Grèce, le coût de l'opération n'aurait-il pas été beaucoup plus faible qu'aujourd'hui ?

M. Jean Pisani-Ferry. - Il aurait représenté deux points de PIB de la zone euro, bien moins que le coût de la gestion de la crise et de la récession...

M. Philippe Marini, président. - Doit-on imputer le surcoût à M. Trichet ?

M. Jean Pisani-Ferry. - Sa responsabilité réside dans son opposition résolue à la restructuration des dettes, qui m'étonne, car ce n'était pas inacceptable pour une banque centrale. Ce n'était pas au premier rang une affaire de banque centrale, mais une responsabilité budgétaire qui relève des gouvernements. Il était légitime, pour la banque centrale, de poser des conditions. Il n'a pas tenu ce discours et la BCE a refusé toute obligation pour le secteur privé, ce qui a eu pour effet de lui laisser l'initiative des termes de la restructuration.

Au lieu de créer un cadre commun de négociation, on a dit aux banques : « allez faire une offre » ! Il ne faut pas s'étonner que cette offre soit trop favorable aux créanciers et ne permette pas de résoudre le problème de solvabilité.

Sur le FMI, j'ai des réserves, non parce que l'Italie est un pays du G7, mais parce que faire passer des pays comme l'Italie ou l'Espagne sous programme FMI, c'est les sortir du marché, or ils sont très différents de la Grèce ou du Portugal. Je rappelle que la dette espagnole est inférieure de vingt points de PIB à la dette publique allemande. Après avoir un peu tardé dans la prise de conscience de la gravité de ses problèmes, l'Espagne a adopté une série de mesures extrêmement vigoureuses. Il y a un moment où il faut exprimer un vote de confiance envers la politique économique de ces pays et oser dire aux marchés qu'ils se trompent lorsqu'ils prétendent qu'ils ne sont pas solvables.

Oui, on a besoin d'un cadre. On ne peut pas subir, comme en Italie, un revirement de la politique budgétaire après l'annonce d'un programme d'achat de titres. Mais le cadre n'a pas besoin d'être celui d'un programme classique du FMI. Le Fonds a introduit il y a quelques années la possibilité d'assistance financière à faible conditionnalité. Il faut s'en inspirer, pour créer un cadre européen plus souple que celui actuellement défini pour la Grèce et qui permette à un gouvernement de prendre ses responsabilités.

J'ai des réserves importantes sur le mécanisme d'assurance car je ne suis pas sûr qu'il soit souhaitable de segmenter le marché obligataire, entre marché primaire et secondaire, entre détenteurs de vieille dette et de nouvelle dette. Ensuite, on couvre les premières pertes. Quand vous êtes porté au-delà du seuil de 20 %, vous n'êtes plus couvert, et si la situation s'aggrave, vous n'avez plus les moyens d'agir, alors que dans les programmes d'achat de titres, le spread de taux d'intérêt est couvert, ce qui est à la fois une pression et une limite, empêchant d'aller vers un équilibre de faillite. C'est aussi une question de taille : pour couvrir beaucoup, vous aurez un multiplicateur faible et vous vous retrouverez avec un trésor de guerre limité. Bref, ce n'est pas une très bonne solution.

Sur le cadre institutionnel, les euro-obligations remettent en cause l'article 125. On peut essayer de jouer avec les dispositions propres à la zone euro (l'article 136), mais il est clair qu'il s'agit de remplacer un principe par un autre.

M. Philippe Marini, président. - Une révision du traité, à l'unanimité, ne se fait pas à chaud, dans une crise !

M. Jean Pisani-Ferry. - Non, mais on peut annoncer la mise en place de quelque chose qui conduira à une conférence intergouvernementale et à une révision du traité. Cela permet d'indiquer aux marchés qu'on ne travaille pas seulement à court terme, mais aussi sur les questions profondes de la zone euro.

M. Philippe Marini, président. - Si l'on entre dans un processus qui suppose un référendum dans chaque pays, ce ne sera pas un long fleuve tranquille...

M. Jean Pisani-Ferry. - Aujourd'hui, les marchés voient les incertitudes, leur dire « ne vous inquiétez pas ! » les inquiète encore plus ! Nous ne sommes plus il y a deux ans...

M. Romain Rancière. - Sur la « honte » de faire appel au FMI, l'Angleterre, membre du G7, a fait appel au fonds dans les années soixante-dix. Cet organisme n'est pas là pour stigmatiser, mais pour assurer le partage des risques au niveau du monde. L'accroissement des ressources du FMI pour répondre aux défis qui se posent en Europe aujourd'hui peut bénéficier demain à d'autres zones du monde, comme la Chine ou la Thaïlande. Le FMI continuera à assurer le partage du risque. En accroissant la part de la Chine ou du Brésil, on accroît ce partage. Les tabous successifs, tabou du défaut, tabou du FMI, nous ont empêchés de trouver les outils les plus efficaces pour gérer la crise.

Je suis pour essayer des outils moins conditionnels que les plans du FMI, comme les lignes de crédit flexible. Dans les pays qui en ont bénéficié, comme le Mexique et la Pologne, ils ont servi de gages de leur politique macroéconomique, sans être mobilisés. C'est plutôt encourageant. Quant à la crédibilité de la politique économique, le cadre que nous évoquions à l'instant, s'il est complété par un engagement européen, est à mon avis adapté.

M. François Marc. - Ma première question porte sur la recapitalisation des banques. M. Pisani-Ferry nous dit qu'il est souhaitable qu'elle soit massive. Mais nous avons entendu la semaine dernière le gouverneur de la Banque de France : il nous a une nouvelle fois garanti que nous pouvons être tranquilles, que tout cela, c'est pour montrer qu'on agit, mais qu'au fond les banques n'en ont pas besoin. N'est-on pas en train de prendre un marteau-pilon pour tuer une mouche ?

Le FMI paraît l'acteur incontournable de toute solution à court ou moyen terme aujourd'hui selon M. Delpla. J'ai bien compris son articulation avec la BCE, sponsor qui apporte l'argent, le fonds jouant le rôle d'un manager qui gère et contrôle le club. J'avais cru que le sommet des ministres des finances avait marqué une réticence à l'action de ce levier du FMI. Allons-nous, une fois de plus, manger notre chapeau, après avoir prétendu que la dette de la Grèce ne serait pas restructurée, que la BCE n'interviendrait pas, que les banques ne seraient pas recapitalisées, enfin que le FMI n'interviendrait pas ? L'Europe a-t-elle les moyens de ses ambitions ou n'est-elle qu'un tigre de papier face à ces enchaînements financiers qui nous dépassent, et nous obligent à chaque fois à nous renier ?

M. Joël Bourdin. - Les ratios des banques, par exemple ceux de liquidité, évaluent les titres souverains à leur valeur nominale, comme si c'était de la quasi-monnaie. Qu'en pensez-vous ?

M. Albéric de Montgolfier. - Quels signaux les investisseurs asiatiques, attendent-ils, notamment en matière de baisse des déficits, pour restaurer leur confiance dans les dettes souveraines de la zone euro ?

M. Jacques Delpla. - La banque de France n'a jamais vu aucun problème dans nos banques, à commencer, récemment, par Dexia et, à la différence de la banque d'Italie, n'a pas cru bon d'interdire à nos banques de distribuer des dividendes. Il est normal que la Banque de France s'exprime ainsi si elle juge les événements à l'aune de l'éventuelle faillite de la Grèce. Mais il ne s'agit plus de cela ! Aujourd'hui, la moitié des investisseurs pensent que la zone euro va tomber ! La recapitalisation est un élément de réponse.

Ma position n'est pas que le FMI assure l'intégralité des financements de l'Espagne et de l'Italie, mais qu'il soit un agent capable de restaurer la conditionnalité et la confiance, là où elles ont disparu. Je propose un programme du FMI avec un apport symbolique de ce dernier, de l'ordre de 10 milliards d'euros. La BCE rachèterait de la dette « senior » à la seule condition que le pays s'engage dans son programme FMI. Il s'agit de lui déléguer le monitoring des réformes. Il n'y a pas d'argent au FMI et on a entendu un ancien ministre des finances qui ne souhaite pas augmenter les pouvoirs du FMI. Ma proposition consiste à utiliser le pouvoir du FMI pour faire de la « conditionnalité ».

La question de la crédibilité est très importante. Il ne doit pas y voir de débat entre la droite et la gauche sur le sentier de déficit à venir. Le débat public peut porter sur le niveau des dépenses et des recettes, sur la compensation des charges, mais l'écart entre les deux ne doit pas être un débat politique.

M. Philippe Marini, président. - Je serais volontiers prêt à vous suivre pour qu'il y ait consensus sur le solde. Sur la manière d'y aboutir, plus ou moins de dépenses, plus ou moins de recettes, chacun son modèle !

M. Jacques Delpla. - Le spread entre la France et l'Allemagne est de 100 points de base. Une fois que c'est parti, ça peut aller très loin. Il ne faudrait pas que le prochain président de la République se retrouve dans la situation de l'Italie aujourd'hui.

Je recommande de reprendre de manière bipartisane le débat sur la « règle d'or » et que chacun fasse la moitié du chemin. On peut imaginer une autre règle, j'avais voté contre celle proposée par le rapport Camdessus. En Espagne, le gouvernement socialiste a adopté une règle en accord avec la droite. L'Allemagne, en 2009, a accepté une règle constitutionnelle proposée par le SPD.

M. Roland du Luart. - On ne pourra pas y échapper...

M. Jacques Delpla. - La majorité présidentielle pourrait accepter des compensations, je propose par exemple la baisse en loi de finances du plafond des niches fiscales...

M. Philippe Marini, président. - C'est simple !

M. Jacques Delpla. - Nous savons qu'elles ne sont pas efficaces !

M. Philippe Marini, président. - Nous aurons l'occasion de revenir sur ces considérations de politique budgétaire !

M. Jean Pisani-Ferry. - Je suis d'accord sur le fait qu'une règle est souhaitable, mais pessimiste sur la possibilité d'y arriver en période d'élection présidentielle. Renforcer la crédibilité au moment d'une telle échéance pose un problème sérieux. Je serais pour l'objectif d'éliminer le déficit en fin de législature, sous des hypothèses raisonnables de croissance, c'est-à-dire ni trop optimistes, ni cataclysmiques...

M. Philippe Marini, président. - Si l'on choisit une estimation basse, et l'on peut être tenté de le faire - j'ai souvent défendu ce point de vue - on prend le risque de mettre en place un budget un peu déflationniste.

Si l'on prend l'hypothèse médiane, on peut être plus optimiste que la moyenne du panel des conjoncturistes, mais si on le fait, il faut se réserver des marges de manoeuvre, avec un volume de crédit à supprimer au cas où la conjoncture ne serait pas au niveau souhaité.

M. Jean Pisani-Ferry. - Une bonne politique du point de vue macro-économique fixe un cadre sous une hypothèse prudente et n'ajuste pas les dépenses ou les recettes en fonction de la conjoncture, mais laisse jouer les stabilisateurs automatiques.

Il n'est pas certain que la perception des marchés soit très différente. Ceux-ci peuvent varier, jugeant qu'un effort budgétaire est insuffisant, puis qu'un effort trop important peut tuer la croissance.

Dans les circonstances actuelles, je ne suis pas favorable à un objectif de solde. Je préfère un objectif gagé sur des hypothèses prudentes. Cela nécessite un investissement en crédibilité. Les pays qui ont pris des mesures d'urgence pour ajuster leurs comptes pendant l'été, l'ont fait dans les pires conditions et sont en train de tuer leur croissance. Ils courent le risque que les marchés leur disent : « vous avez fourni des efforts budgétaires, mais votre croissance insuffisante obscurcit vos perspectives ». Bref, il faut faire preuve de raison et de prudence.

Sur la recapitalisation des banques, on est en train de sortir d'une logique de valorisation nominale...

M. Joël Bourdin. - On y est arrivé.

M. Jean Pisani-Ferry. - ... pour aller vers une valorisation de marché. Les derniers stress tests ont conservé la valeur nominale, mais en publiant l'exposition à la dette souveraine. La prochaine étape consistera à se rapprocher des valeurs de marché. L'ensemble des dettes sujettes à la suspicion des marchés représente 50 % de la valeur des dettes européennes : c'est considérable et c'est ce qu'a dit Mme Lagarde cet été, sans évaluer la recapitalisation. Elle a estimé à 200 milliards ce que le portefeuille comporte de pertes, ce qui paraît réaliste. Cela nous oblige à aller vers une recapitalisation, même si l'on pense que la perception du risque espagnol ou italien est excessive et si d'autres facteurs, comme leur business model, expliquent l'affaiblissement des banques européennes. On ne prend donc pas un marteau-pilon pour écraser une mouche. Il faut accepter cette situation. Le déni serait une mauvaise réponse.

Quant au FMI, nous avons un problème de capacité financière de la zone euro elle-même, à force de nous mettre des obstacles sur les ressources que nous pouvons mobiliser. La question du recours aux ressources du FMI ou d'autres structures qui lui sont liées ne peut donc être éludée, notamment à Cannes.

L'Allemagne n'a pas les ressources fiscales pour gager l'ensemble de la zone euro. Si notre modèle est de se retrouver avec le « meilleur emprunteur » supposé garantir tout le reste, il ne peut pas le faire !

M. Romain Rancière. - A quel jeu les banques jouent-elles ? La dernière fois, on leur a prêté de l'argent dans des conditions finalement assez favorables. Il y a une sorte d'aléa moral lié au plan de renflouement précédent. Si les banques veulent augmenter leur capital, ce sera extrêmement coûteux, dans les conditions actuelles du marché. Elles savent aussi que si leur situation se détériore, on ne les laissera pas chuter d'elles-mêmes. Donc, la prochaine intervention dans le capital de banques devra être plus pénalisante pour leurs actionnaires pour restaurer une vraie discipline de marché.

M. Philippe Marini, président. - Avez-vous répondu à la question de M. de Montgolfier ?

M. Jean Pisani-Ferry. - Implicitement... Les marchés asiatiques ne sont guère différents. Simplement, la distance est plus grande, la perplexité aussi, de même que la tentation de considérer l'ensemble de l'Europe comme un seul et même risque. Mais l'on retrouve aussi cette attitude chez les investisseurs américains.

M. Philippe Marini, président. - Je tiens à vous remercier : sur ces sujets complexes, voire contradictoires, vous ne nous avez pas apporté « la » solution, mais des idées, des perspectives, de la liberté intellectuelle, dont nous avons besoin !

Troisième loi de finances rectificative pour 2011 - Examen du rapport

Puis la commission procède à l'examen du rapport de Mme Nicole Bricq, rapporteure générale, sur le projet de loi n° 30 (2011-2012), adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2011.

EXAMEN DU RAPPORT

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Nous voici réunis pour un nouveau collectif, moins de six semaines après l'adoption du précédent. La LOLF impose, en effet, d'inscrire l'octroi de garanties dans une loi de finances et le Gouvernement ne souhaite pas attendre la promulgation du budget fin décembre. La pression est forte pour éviter la navette parlementaire. Néanmoins, le Sénat peut-il voter conformes deux collectifs en si peu de temps ? Je ne le pense pas, a fortiori quand il vient de changer de majorité...

Ce texte vise d'abord à venir au secours de la banque Dexia. Nous nous situons donc dans la temporalité du sommet européen extraordinaire du 23 octobre prochain. Après notre journée marathon d'auditions du 12 octobre dernier, je dresserai un tableau rapide de la situation de cet établissement. L'année 2011 a été extrêmement difficile pour les banques : après l'épisode d'août, on a constaté un grippage du financement interbancaire, comme en 2008, qui a conduit le président de la Commission européenne, M. Barroso, et l'Autorité bancaire européenne à envisager - c'est une première ! - une recapitalisation des banques.

Les banques françaises ont réagi en annonçant des réductions de coûts et des cessions d'activités ainsi qu'un renforcement des fonds propres pour atteindre 9 % dans les délais de Bâle III. Dexia, elle, doit faire face à des difficultés amplifiées par la nature de son bilan : outre qu'elle est très exposée au risque souverain de la Grèce et, surtout, de l'Italie, ses besoins de financement à court terme restent importants. De plus, des doutes subsistent quant à sa capacité à réduire le bilan et à respecter le plan de cession d'actifs, d'autant qu'elle a enregistré des pertes semestrielles de 4 milliards au 30 juin 2011. Résultat, nous avons assisté cet été, pour reprendre une expression d'une personne auditionnée le 12 octobre, à une « accélération de l'histoire ».

M. Philippe Marini, président. - De la petite histoire !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Certes, mais de celles qui font la grande ! Dexia a fait une syncope après un marathon commencé en mai, avec l'annonce de l'accélération des cessions d'actifs. L'agence Moody's, qui avait dégradé la note de long terme de ses trois principales entités le 8 juillet, lui a donné le « coup de grâce » le 3 octobre dernier, d'où la nécessité d'un plan pour stabiliser Dexia, mais aussi pour apporter une réponse pérenne aux besoins de financement des collectivités territoriales, domaine dans lequel oeuvrait le groupe franco-belge.

Le plan de restructuration comporte deux volets. Dans un premier temps, l'objectif est que la banque regagne la confiance des marchés pour couvrir de nouveau son besoin de financement à court terme, de 96 milliards d'euros. C'est la garantie publique, dont le précédent plan de sauvetage des banques a montré toute l'efficacité. Conjointe, mais non solidaire - j'y insiste - elle s'élève à 90 milliards d'euros, dont 36,5 % pour la France, ce qui correspond au plus à 32,85 milliards. Elle est accordée pour dix ans seulement. Impossible de faire davantage, paraît-il, sans s'exposer à un refus de la Commission européenne ; un argument d'autorité sur lequel j'aimerais obtenir davantage d'éclaircissements... La garantie est accordée par le ministre de l'économie, après signature d'une convention. Nos voisins belges qui n'ont pas, eux, de Gouvernement...

M. Philippe Marini, président. - Quel heureux pays !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - ...mais un roi, se contentent d'un édit royal. Procédure similaire, du reste, chez les Luxembourgeois. Enfin, pour satisfaire aux règles du marché intérieur et inciter Dexia à redevenir rapidement viable, la garantie sera rémunérée par une soulte de 164 millions d'euros pour la France dès la signature de la convention de garantie puis, chaque année, en fonction des financements couverts par la garantie.

Dans un second temps, Dexia devra céder une partie de ses actifs, dont sa « pépite » turque, DenizBank, qui pourrait être cédée à un prix que Pierre Mariani avait qualifié de correct, contrairement aux banques italienne et catalane Dexia Crediop et Dexia Sabadell. Si le plan est mené à bien, toutes les entités du groupe, sauf Dexia SA et Dexia Crédit Local (DCL), ont vocation à être vendues, y compris Dexia Municipal Agency (DexMA). Cette dernière entité, contrairement à ce que son nom indique, ...

M. Philippe Marini, président. - Il fut un temps où l'anglais était à la mode !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - ...est la société de crédit foncier française de DCL, sa centrale de refinancement de prêts aux collectivités locales. A ce titre, DexMA nécessite de mobiliser en permanence 10 milliards d'euros de liquidités. Cette activité devient un vrai boulet, un handicap irréfragable pour redresser le groupe. Il en est résulté des négociations pour adosser DexMA à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), laquelle deviendra sa banque sponsor, celle qui lui fournira les liquidités dont elle a besoin. Conséquence de cette évolution, la CDC détiendra 65 % de DexMA, la Banque postale se portant acquéreur de 5 %. Mais, surtout, DCL devra fortement réduire la voilure de son activité de prêt aux collectivités territoriales, faute d'une centrale de refinancement.

Dès lors, quel financement pérenne pour les besoins des collectivités ? La solution passe par la création d'une joint-venture, une co-entreprise détenue à 65 % par la CDC et à 35 % par la Banque postale. Si la question du partage opérationnel entre les deux acteurs n'est pas encore réglée, c'est la CDC qui apportera les liquidités dans un premier temps. Cette nouvelle entité sera une « anti-Dexia » - M. Bouvard, le président de la commission de surveillance de la Caisse, l'a souligné - en ce qu'elle commercialisera, auprès des seules collectivités françaises, uniquement des « prêts vanille », ceux qui plaisent à tout le monde par leur simplicité. M. de Romanet, le directeur général de la Caisse, souhaite qu'elle soit effective au printemps 2012. En attendant, le Premier ministre a annoncé le 7 octobre une mesure très attendue : le déblocage rapide de 3 milliards d'euros de prêts pour les collectivités avant la fin de l'année. Le mécanisme est le même qu'en 2008 à la seule différence que nous ne sommes pas dans la même phase du cycle municipal : à l'époque, les élections venant d'avoir lieu, les collectivités ne s'étaient pas précipitées pour bénéficier de la mesure. En somme, pour reprendre l'expression de M. Carrez à l'Assemblée, nous reconstituons le Crédit local de France...

M. Jean Arthuis. - La CAECL !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Cette opération fait peser des risques sur la CDC : elle oblige à mobiliser 10 milliards d'euros de liquidités et consomme 1 milliard d'euros de fonds propres. Pour les limiter, la Caisse a obtenu le rachat par DexMA de tous les actifs liés aux dettes souveraines grecque et islandaise et l'octroi de deux garanties. De nature contractuelle, celles-ci ne figurent pas dans le projet de loi. Par la première, Dexia s'engage à prendre en charge toutes les pertes au-delà de 70 millions par an pendant dix ans (garantie dite de « stop loss »). La seconde garantie immunise la CDC contre toute perte résultant d'un contentieux ou d'une renégociation des 10 milliards d'euros de prêts structurés, dont 4,5 milliards d'euros de prêts « toxiques ». Pour bien border les choses, la CDC a exigé une contre-garantie de l'Etat qui fonctionne de la manière suivante : une franchise de 500 millions d'euros en deçà de laquelle Dexia assume seule les pertes ; au-delà, Dexia conserve un ticket modérateur de 30 % et l'Etat prend à sa charge 70 % du fardeau, soit 6,65 milliards d'euros. Quid des 3,35 milliards d'euros restants ? A l'Assemblée nationale, M. Bouvard a finalement retiré son amendement après avoir obtenu des engagements du Gouvernement sur l'après-2021. Malgré tout, des interrogations subsistent sur la renégociation des prêts toxiques...

Quelles conclusions tirer de ce plan de sauvetage ? Les collectivités peuvent se féliciter de l'apparition d'un nouvel acteur qui entend mener une politique simple et saine à l'heure où les banques traditionnelles se désengagent. La co-entreprise répondra-t-elle à tous les besoins des collectivités ? Surtout, comment s'articulera-t-elle avec l'agence de financement des collectivités territoriales si celle-ci était créée ? Je demanderai des précisions au Gouvernement et formule des observations sur ce point dans mon rapport écrit.

La CDC, qui constate dans ses comptes une moins-value latente de 400 millions d'euros en tant qu'actionnaire historique de Dexia, accepte, au nom de ses missions d'intérêt général, de se lancer dans une nouvelle activité, sans savoir si elle sera rentable. Elle a obtenu des garanties fortes, mais partielles. Je vous renvoie au débat sur les 3,35 milliards restant à la charge de Dexia en cas de défaillance sur l'encours de prêts structurés après 2021.

L'État, quant à lui, s'est appauvri d'un point de vue patrimonial : sa moins-value latente est de l'ordre de 900 millions d'euros. Et, prélevant la moitié du résultat de la CDC, ses recettes non fiscales diminueront en 2011. En revanche, il a perçu, en contrepartie de sa garantie accordée fin 2008, 511 millions d'euros et touchera une soulte de 164 millions d'euros. Bref, nous devrons faire les comptes. A ce stade, le coût de ce plan est nul pour le contribuable, mais alourdit nos engagements hors bilan de 42,85 milliards d'euros. Après son annonce, les agences de notation avaient confirmé le triple A de la France. Néanmoins, il n'a échappé à personne que Moody's vient de mettre la note de la France sous surveillance...

La recapitalisation des banques est plus que jamais à l'ordre du jour : M. Barroso a admis son urgence le 12 octobre et, après notre table ronde de cet après-midi, le G20 des 3 et 4 novembre y sera consacré, de même que le sommet européen extraordinaire de dimanche prochain. Elle est nécessaire pour parer à un risque de contagion à l'Italie et à l'Espagne.

Pour autant, la recapitalisation ne constitue qu'une partie de la solution. J'en veux pour preuve que Dexia était une banque bien capitalisée dont l'effondrement s'explique par ses difficultés de financement à court terme. Il faut donc également s'appuyer sur l'effet de levier du Fonds européen de stabilité financière. L'idée est de faire d'abord appel au marché, ensuite seulement de prévoir l'intervention des Etats, de l'Union européenne ou de la zone euro. Le renforcement de la gouvernance budgétaire et économique de la zone euro est aussi un élément indispensable pour restaurer la confiance, de même qu'un encadrement des rémunérations variables plus strict que celui prévu dans la directive « CRD 3 ». Pour parer un éventuel credit crunch, l'on doit également prévoir des conditionnalités européennes sur l'octroi de crédits à certaines catégories d'emprunteurs.

Plus fondamentalement, les banques françaises doivent se remettre en question dans l'esprit de Bâle III : le modèle de la banque universelle n'a pas réponse à tout ! La chronique de Dexia valide le principe des testaments bancaires, des documents qui consistent à prévoir le pire. Le groupe de travail sur la régulation financière a travaillé sur ce sujet dès 2009, preuve de la prescience de notre commission ! Les Américains ont pris beaucoup d'avance en ce domaine quand nos banques faisaient preuve d'arrogance, voire de morgue. La question de la séparation des banques de détail et d'investissement ne doit donc plus être taboue. Tranchons ce débat, avant le 6 mai 2012, à la lumière de la règle Volcker adoptée aux Etats-Unis ou encore de la filialisation recommandée par la commission britannique Vickers.

Quelles contreparties exiger au soutien public ? S'agissant de Dexia, nous pourrions envisager un pacte liant les actionnaires français afin de rechercher une position commune sur les résolutions en assemblée générale et de prévoir une obligation d'information préalable en cas de mouvement au capital. Vis-à-vis des banques en général, l'Etat, s'il prend une participation au capital, doit entrer au conseil d'administration et interdire les bonus, indemnités de départ et retraites chapeau : les indemnités de départ de MM. Richard et Miller en 2008 ont marqué, à juste titre, les esprits !

Enfin, pour conclure, quelques observations sur les débats à l'Assemblée nationale. Si le sauvetage de Dexia faisait consensus, on s'est beaucoup interrogé sur les risques pour la CDC après 2021, avant que le Gouvernement, par ses assurances, n'obtienne le ralliement de M. Bouvard. Le sentiment est que le Gouvernement n'a pas tiré toutes les leçons de la crise de 2008 quant au rôle de l'Etat et aux contreparties à demander en cas de soutien public.

M. Philippe Marini, président. - Merci de cet exposé très clair qui complète heureusement les auditions de la semaine dernière.

Mme Michèle André. - Quid du rôle de la Banque postale dans la nouvelle co-entreprise ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - La question n'est pas bouclée. Ce sujet sera à l'ordre du jour de la réunion de la commission de surveillance de la Caisse demain. Cette dernière voudrait que la Banque postale s'investisse dans l'affaire. Dans un premier temps, la CDC apporterait les liquidités et la Banque postale, son important réseau de proximité. L'opération est bonne pour cette dernière : La Poste attire les dépôts dans cette période, ce qui est un facteur de réassurance et de retour de la confiance pour les collectivités territoriales.

M. Philippe Marini, président. - En somme, cette opération est une belle opportunité stratégique pour la Banque postale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Je préfère la voir faire du crédit aux collectivités territoriales plutôt qu'aux entreprises, comme elle en avait demandé l'autorisation il y a plusieurs mois. C'est une activité beaucoup moins risquée, ce que l'on l'oublie un peu trop dans le maelström actuel, et indispensable à notre économie vu la place qu'occupent les collectivités territoriales. Si ce moteur de l'investissement public s'arrêtait par manque de financement, la croissance serait faible, voire négative.

M. Yannick Botrel. - Le bruit court que les hôpitaux publics auraient également contracté des prêts toxiques auprès de DexMA. Qu'en est-il exactement ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - L'information est confirmée : sur les 10 milliards d'euros de prêts structurés, 8 milliards concernent les collectivités territoriales, 1,5 milliard les établissements de santé et 500 millions les bailleurs sociaux.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je me réjouis de la rapidité de l'intervention de l'Etat. En 2008, lors de la chute de Lehman Brothers, on avait laissé faire. Et l'on connaît la suite... Ce plan apporte aux déposants, aux créanciers et aux collectivités les garanties qu'ils sont en droit d'attendre. L'émergence d'un nouvel acteur solide qui fournira des produits de crédit plus simples et plus transparents est également à souligner alors que les collectivités verront leurs conditions d'accès au crédit singulièrement restreintes avec les critères de Bâle III.

Quelques mots sur les prêts toxiques : on oublie trop souvent que les collectivités ont bénéficié de taux extrêmement favorables et, surtout, qu'aucune chambre régionale des comptes n'a tiré la sonnette d'alarme.

M. Philippe Marini, président. - Madame la rapporteure générale, vous avez posé une question fort opportune sur la relation entre la co-entreprise et l'agence de financement des collectivités territoriales. Comment deux acteurs publics pourront-ils se positionner de manière concurrente et, qui plus est, sur le même marché ? L'affaire Dexia n'avait pas encore éclaté quand on a projeté la création de cette agence... De fait, quel que soit l'effort particulier annoncé par le Premier ministre, nous connaîtrons certainement un problème de dimensionnement. Il faudrait réfléchir à un mécanisme de mutualisation des risques afin que les petites et moyennes collectivités puissent, comme les grandes, s'approvisionner sur le marché quand les banques font défaut. Lors d'un récent dîner organisé par la Fédération nationale du Crédit agricole, j'ai été choqué d'entendre les banquiers expliquer que Bâle III les empêchera de satisfaire à la totalité des demandes de crédits. Pourquoi avoir accepté ces règles sans tenir compte de la spécificité du système français ? Il faut donc trouver d'autres solutions que l'intermédiation bancaire et remettre en cause le modèle de la banque universelle. Je propose que nous travaillions sur ces sujets de fond après la période budgétaire.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Parfait ! Ce sera l'occasion, aussi, de se pencher sur l'agence et les besoins de financement des collectivités territoriales et de consulter les élus locaux, qui sont bien représentés au Sénat, puisque les associations d'élus sont très allantes.

Madame Des Esgaulx, le projet de loi n'apporte pas de solution pour les prêts structurés, notamment ceux liés au franc suisse. Ceux-ci relèvent de la négociation contractuelle. Soyons clairs : la franchise de 500 millions incitera plutôt Dexia à négocier pied à pied avec les collectivités territoriales.

Quant aux banquiers, ils ont toujours raison sur tout !

M. Philippe Marini, président. - Essayons de ne pas leur ressembler...

M. Francis Delattre. - La co-entreprise vise à prendre 20 % du marché, quand Dexia en détenait 40 %. Laissez-moi vous dire que feue la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales, ce n'était pas l'âge d'or. Pour une ville de 35 000 habitants, cela se passait ainsi : le maire recevait une fois par an le délégué de la Caisse. Celui-ci, sans se préoccuper le moins du monde de vos besoins, vous disait alors : « Monsieur le maire, j'ai bien regardé votre budget. Nous avons décidé de vous donner 10 millions cette année. J'en prendrai la moitié, le Crédit foncier 20 % et le Crédit mutuel le reste. » Il n'y avait rien à discuter. Depuis, avec les lois de décentralisation et l'arrivée de nouveaux prêteurs, on a fait beaucoup de progrès qui sont remis en question ces derniers temps. Déjà, dans mon département, on prête beaucoup moins aux collectivités. Tout cela pour vous dire que, si nous ne parvenons pas à constituer un pôle, le retour à l'ancien système n'est pas gagné d'avance.

Monsieur le président, permettez-moi une autre précision. Lorsqu'on a créé le Crédit local de France, on a demandé aux élus de s'impliquer. J'ai fait la meilleure affaire de ma vie : j'avais souscrit 1 million et j'en ai récupéré trois quand Pierre Richard nous a demandé de retirer nos billes parce qu'il ne voulait plus des élus. La mutualisation est donc parfaitement viable : travaillons rapidement à ce projet d'agence avant de nous retrouver vraiment en difficulté.

M. Albéric de Montgolfier. - Réfléchir au financement des collectivités territoriales après le budget est une excellente idée, notamment au regard de qui a été fait à l'étranger. La situation de la France est assez paradoxale au regard de celle de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne.

Concernant les 3 milliards d'euros annoncés par le Premier ministre, avez-vous une idée de leur affectation précise ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - En 2008, la moitié avait été affectée au réseau bancaire par adjudication et l'autre directement mise à disposition par la CDC. En ce qui concerne le dispositif prévu, nous devrons interroger plus précisément le ministre.

M. Éric Bocquet. - Qu'en est-il de la situation des 3 000 agents de Dexia en France ? La semaine dernière, M. de Romanet évoquait un plan social. La réponse du Gouvernement est rapide, dont acte. En revanche, nous aurions voulu plus de garanties pour éviter de nouveaux errements. Nous n'avons pas tiré toutes les leçons de 2008. S'agissant des deniers publics, nous n'avons plus le droit à l'erreur. Notre responsabilité est de border les choses au maximum. Autre zone d'ombre : les prêts toxiques sur lesquels les collectivités, que nous représentons, ont besoin de visibilité. Il faut demander de nouvelles garanties, changer le logiciel. Un Etat présent au conseil d'administration ? Il était actionnaire de Dexia ; cela n'a pas suffi. Pour nous, les élus locaux doivent être impliqués dans la gestion de cette structure qui concernera au premier chef les collectivités. Cela constituera une garantie supplémentaire. Enfin, une dernière remarque sur la séparation des activités bancaires : Lehman Brothers était une banque d'investissement et Northern Rock en Grande-Bretagne, une banque de dépôt ; elles ont pourtant subi le même sort.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Exact, mais je peux vous citer d'autres exemples, tel celui de la Royal Bank of Scotland, une banque universelle !

Concernant la gouvernance, vous touchez un point sensible. Notre commission, par le passé, a considéré que le représentant de l'Etat au sein d'EADS était « transparent » compte tenu du montage de la holding. Elle est la seule à avoir mené un tel travail. M. Bouvard, pour pallier cet inconvénient, a proposé la création d'un poste de censeur au conseil d'administration, qui serait tenu par un parlementaire. L'amendement n'a pas été accepté.

M. Philippe Marini, président. - Je souscris au rapport tout en émettant une petite réserve sur sa conclusion : « le sentiment est que le Gouvernement n'a pas tiré toutes les leçons de la crise de 2008 ». Effectivement, cela est affaire de sentiments...

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE LA RAPPORTEURE GÉNÉRALE

Article 2

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Mon amendement n° 1 a pour objet de supprimer les ouvertures de crédits portant sur la mission « Provisions ». L'article 7 de la LOLF dispose que la mission « Provisions » regroupe notamment les crédits d'une dotation « pour dépenses accidentelles, destinée à faire face à des calamités, et pour dépenses imprévisibles ». L'inscription de crédits sollicitée par le Gouvernement n'est pas conforme à cette vocation : elle ne pourvoit pas à des dépenses accidentelles ou imprévisibles, mais à la couverture de besoins de fin de gestion non encore précisément recensés et quantifiés.

Par cette ouverture de crédits, le Gouvernement fait donc de la mission « Provisions » une sorte de réserve de crédits à répartir en vue des impasses budgétaires qui ne manqueront pas de survenir d'ici à la fin de l'exercice.

Cette opération prive donc de sa portée l'autorisation parlementaire, qui s'apparente à un blanc-seing lorsque les crédits demandés ne sont pas justifiés au premier euro. Cet article prouve que ce principe n'est pas respecté pour de simples raisons de commodité. Mieux vaut supprimer les ouvertures de crédits portant sur la mission « Provisions ». Bref, l'amendement n°1 évite une atteinte à la LOLF.

M. Philippe Marini, président. - Doit-on le considérer comme un amendement d'appel ?

M. Philippe Dallier. - L'intention est bonne, mais nous serons obligés de revenir sur cette mesure en fin d'année.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Nous y reviendrons. Mais, au moins, les parlementaires y verront clairs et ce, quel que soit le Gouvernement.

M. Philippe Dallier. - Nous prenons date !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Je rappelle que M. Carrez à l'Assemblée nationale a demandé que la mesure figure, au moins, dans un décret d'avances. Il y en a un qui serait déjà en préparation. Pourquoi reculer ?

L'amendement n° 1 est adopté.

Article 3

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - L'amendement n° 2 est un amendement d'appel : il s'agit de supprimer les crédits affectés au dispositif Borloo de bonus et malus automobile. Celui-ci connaît un déficit cumulé d'environ 1,5 milliard d'euros depuis 2009. Il a essentiellement profité aux entreprises allemandes et n'a rien d'écologique.

L'amendement n° 2 est adopté.

Article 4

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Lors de la création de la Société de financement de l'économie française (SFEF) et de la Société de prise de participation de l'Etat (SPPE), nous avions demandé des contreparties insuffisantes concernant le soutien à l'économie réelle. Je propose avec l'amendement n° 3 de lier le soutien public à un strict encadrement des rémunérations variables des dirigeants des banques.

M. Philippe Marini, président. - En somme, vous donnez une portée permanente à l'amendement Arthuis que le Gouvernement avait repris dans un décret effectif jusqu'au 31 décembre 2010. Je m'interroge : vous ne visez que les dirigeants et les mandataires sociaux ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Je suis prête à l'étendre aux opérateurs de marché et à l'encadrement inférieur...

M. Philippe Marini, président. - Je crains que cela ne nuise à la valorisation des actifs publics...

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Si les traders français veulent aller à la City, qu'ils y aillent ! L'effet de ces rémunérations variables et indemnités de départ sur l'opinion publique est déflagrateur en pleine crise. Celles-ci concentrent toutes les exaspérations. Elles sont devenues un problème culturel, moral, voire idéologique. Le PDG de Dexia, Pierre Richard, s'est vu accorder 13 millions d'euros de retraite chapeau en 2008. Est-ce normal qu'un dirigeant gagne 1 000 fois plus que le salaire minimum ?

M. Philippe Dallier. - Prudence : nous risquons de provoquer la délocalisation de milliers d'emplois liés aux salles de marché !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Je vous propose d'adopter l'amendement en attendant éventuellement une autre rédaction que je pourrais vous soumettre demain soir.

L'amendement n° 3 est adopté.

A l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat d'adopter l'ensemble des articles du projet de loi de finances rectificative pour 2011 ainsi amendés.

Mercredi 19 octobre 2011

- Présidence de M. Philippe Marini, président, puis de Mme Michèle André, vice-présidente -

Loi de finances pour 2012 - Nomination des rapporteurs spéciaux

Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission procède tout d'abord à la nomination de ses rapporteurs spéciaux conformément à la liste établie par son Bureau :

Missions

Rapporteurs spéciaux

Action extérieure de l'Etat

Richard YUNG

Roland du LUART

Administration générale et territoriale de l'Etat

Michèle ANDRÉ

Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales 

· Compte spécial : Développement agricole et rural

Yannick BOTREL

Joël BOURDIN

Aide publique au développement

· Compte spécial : Prêts à des États étrangers

· Compte spécial : Engagements en faveur de la forêt dans le cadre de la lutte contre le changement climatique

Yvon COLLIN

Fabienne KELLER

Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation

Philippe MARINI

Conseil et contrôle de l'Etat

Charles GUENÉ

Culture

Yann GAILLARD

Défense

· Compte spécial : Gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien

Yves KRATTINGER

François TRUCY

Direction de l'action du Gouvernement

· Budget annexe : Publications officielles et information administrative

Philippe DOMINATI

Ecologie, développement et aménagement durables

Gérard MIQUEL
François FORTASSIN
Marie-Hélène des ESGAULX
Vincent DELAHAYE

· Budget annexe : Contrôle et exploitation aériens

François FORTASSIN

· Compte spécial : Avances au fonds d'aide à l'acquisition de véhicules propres

Gérard MIQUEL

· Compte spécial : Contrôle de la circulation et du stationnement routiers

Vincent DELAHAYE

· Compte spécial : Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs

Marie-Hélène des ESGAULX

Economie

· Compte spécial : Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés

Christian BOURQUIN

André FERRAND

Engagements financiers de l'Etat

· Compte spécial : Accords monétaires internationaux

· Compte spécial : Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics 

· Compte spécial : Participations financières de l'Etat

Jean-Claude FRÉCON

Enseignement scolaire

Thierry FOUCAUD

Claude HAUT

Gestion des finances publiques et des ressources humaines et Provisions

· Compte spécial : Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat

Albéric de MONTGOLFIER

Philippe DALLIER

Immigration, asile et intégration

Roger KAROUTCHI

Justice

Edmond HERVÉ

Médias, livre et industries culturelles

· Compte spécial : Avances à l'audiovisuel public

Claude BELOT

Outre-mer

Georges PATIENT
Eric DOLIGÉ

Politique des territoires

Frédérique ESPAGNAC

Pouvoirs publics

Jean-Paul ÉMORINE

Recherche et enseignement supérieur

Michel BERSON

Philippe ADNOT

Régimes sociaux et de retraite

· Compte spécial : Pensions

Francis DELATTRE

Relations avec les collectivités territoriales

· Compte spécial : Avances aux collectivités territoriales

François MARC

Pierre JARLIER

Remboursements et dégrèvements

Marie-France BEAUFILS

Santé

Jean-Pierre CAFFET

Sécurité

Jean-Vincent PLACÉ

Sécurité civile

Dominique de LEGGE

Solidarité, insertion et égalité des chances

Eric BOCQUET

Sport, jeunesse et vie associative

Jean-Marc TODESCHINI

Travail et emploi

Programmes 102 « Accès et retour à l'emploi » et 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi »

· Compte spécial : Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage

François PATRIAT

Travail et emploi

Programmes 111 « Amélioration de la qualité de l'emploi et des relations du travail » et 155 « Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail »

Serge DASSAULT

Ville et logement

Jean GERMAIN

Affaires européennes (article de 1ère partie)

Marc MASSION

Jean ARTHUIS

M. Serge Dassault. - Je voudrais préciser que les deux programmes qui m'ont été attribués ne représentent qu'une petite partie de la mission « Travail et emploi ». Ils ne traitent ni de l'apprentissage, ni de Pôle Emploi et ni du financement de la politique de l'emploi qui représente près de 10 milliards d'euros, sujets sur lesquels je souhaite continuer à m'exprimer.

M. Philippe Marini, président. - J'observe que le programme 155 qui vous est attribué est intitulé « Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail ». Il présente un champ suffisamment large pour que vous puissiez vous exprimer, avec la liberté qui est la vôtre, sur ces sujets qui vous tiennent à coeur. J'ajoute que la formule des binômes de rapporteurs, que l'on peut souhaiter voir se développer, permet de nourrir un dialogue dans lequel chacun sera libre de son approche et de ses propositions. Après tout, ceux qui partent avec le sentiment d'être en profond désaccord constateront peut-être que ces désaccords sont moins profonds qu'ils ne l'imaginent. Ne préjugeons donc pas de l'avenir.

Loi de finances pour 2012 - Mission Sport, jeunesse et vie associative - Examen du rapport spécial

La commission procède ensuite à l'examen du rapport de M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial, sur la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - C'est la première fois que j'ai à vous présenter le rapport sur la mission « Sport, jeunesse et vie associative » au nom de notre commission, cette charge étant auparavant dévolue à notre ancien collègue Michel Sergent.

Cette mission fait partie des plus petites du budget général. C'est encore plus vrai depuis l'année dernière : en effet, le programme de « soutien » de la mission, qui portait notamment l'ensemble des effectifs, a été fusionné au sein du programme 124, figurant dans la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », pour y prendre l'appellation « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative ».

En conséquence, cette mission ne compte désormais plus que deux programmes, intitulés « Sport » et « Jeunesse et vie associative ». Ses crédits de paiement (CP) n'atteignent que 477,9 millions d'euros et elle ne rémunère plus directement aucun emploi. La marge d'arbitrage du Parlement sur ces crédits est donc réduite à la portion congrue.

Dans l'ensemble, à périmètre constant, les crédits de la mission sont en augmentation de 1 %. Comme ces dernières années, cette évolution résulte de deux mouvements opposés : d'une part, une diminution notable, de 5,6 %, de la dotation du programme « Sport » et, d'autre part, une hausse importante, de 7,7 %, des crédits du programme « Jeunesse et vie associative ».

Tout d'abord, s'agissant du programme « Sport », les moyens sont donc en baisse. Encore faut-il préciser que les 247,9 millions d'euros de CP demandés ne représentent guère que 30 % des fonds dévolus à la politique sportive de l'Etat.

Il faudrait, en effet, ajouter à la fois les crédits du programme support qui sont affectés à cette politique - soit 309,8 millions d'euros de crédits et 2 620 emplois en équivalents temps plein travaillés (ETPT) sous plafond - et les 276,6 millions d'euros de ressources affectées à l'établissement public « Centre national pour le développement du sport » (CNDS).

Hormis le constat de cette débudgétisation, mes principales observations sont les suivantes.

En premier lieu, il est indispensable de disposer d'une évaluation claire de l'action et de la gestion du CNDS. Comme nous l'avons vu, il dispose de davantage de crédits que le ministre des sports. De plus, l'article R. 411-2 du code du sport lui donne de vastes missions. Quant à sa gouvernance, elle est « collégiale », réunissant représentants du Gouvernement, représentants du « monde sportif », personnalités qualifiées et représentants des collectivités territoriales. Au vu des enjeux, il me semble que nous devons nous assurer que tout cela fonctionne bien et que l'action du CNDS s'articule de manière efficace avec celle du Gouvernement. C'est pourquoi j'estime qu'il serait utile de demander à la Cour des comptes de faire une enquête sur ce sujet, conformément aux dispositions de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Ensuite, pour ce qui concerne le budget stricto sensu, on observe un fort déséquilibre. Ainsi, les crédits de l'action 2 « Développement du sport de haut niveau », qui pesaient déjà 68 % des CP du programme en 2011, en représenteront 75,4 % en 2012. Dans le même temps, les crédits dévolus à l'action 1 « Promotion du sport pour le plus grand nombre », en baisse en valeur absolue, passeront de 8,3 % à peine 3,3 % des mêmes CP. D'après les documents budgétaires, l'augmentation du fonds de concours du CNDS devrait en partie compenser la diminution des crédits de l'action 1. Il serait néanmoins précieux d'entendre les explications du Gouvernement sur ce sujet : la politique du développement du sport de masse, qui comporte des enjeux en termes d'éducation et de santé publique, est-elle sacrifiée ou bien doit-elle être, à terme, entièrement sous-traitée au CNDS ?

S'agissant du problème du Stade de France, je vous rappelle qu'aux termes du contrat de concession conclu dans l'urgence en avril 1995, l'Etat doit verser chaque année une pénalité au concessionnaire en raison de l'absence d'un club de football résident. Cette pénalité, de 16 millions d'euros par an en valeur 2012, est réduite par une redevance due à l'Etat en cas de bénéfice supérieur à celui figurant dans la simulation de référence du contrat. Pour 2012, la pénalité nette de l'Etat apparaît en forte augmentation et devrait passer à 12 millions d'euros - contre 8,2 millions d'euros en réalisation probable 2011. Cette évolution s'explique, en partie, par le contexte économique, mais aussi, ce qui est plus inquiétant, par des raisons structurelles. Ainsi, l'annuité traduit surtout les effets du nouveau partage de ressources financières entre la Fédération française de football (FFF) et le consortium gérant le Stade de France, bien plus favorable à la FFF que le contrat antérieur. D'autre part, la Fédération française de rugby (FFR) est désormais très engagée sur le projet devant aboutir, vers l'horizon 2016 ou 2017, à la construction de son propre « grand stade ». Au vu des conséquences financières qu'aurait pour l'Etat une sous-utilisation du Stade de France, il est nécessaire que le ministre précise en séance publique sa position sur le sujet, et dise les mesures qu'il envisage de prendre pour garantir les intérêts financiers de l'Etat.

J'en arrive au programme « Jeunesse et vie associative ».

Celui-ci regroupe 230 millions d'euros d'AE et de CP, soit 48,1 % des CP de la mission. Comme je l'ai indiqué, à périmètre constant, les crédits affichent une augmentation de 7,7 % par rapport à 2011. Rappelons que cette hausse fait suite à une progression de 10 % l'année dernière et de 60,5 % en 2010. A l'instar du programme « Sport », ce programme ne comporte aucun emploi rémunéré inclus dans le plafond d'emplois du ministère. Mais il faut noter que 121,9 millions d'euros de crédits et 1 081 ETPT sont inscrits, au titre du soutien au présent programme, au sein du programme 124 de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Au-delà de ces dotations, pas moins de treize dépenses fiscales, dont le coût cumulé pour l'Etat est évalué à 1 776 millions d'euros, sont rattachées à ce programme. Il s'agit, pour l'essentiel, des différentes réductions d'impôts accordées au titre des dons aux « bonnes oeuvres ».

Comme pour le sport, on relève un grand déséquilibre des choix budgétaires avec, d'un côté, un service civique qui monte en puissance et capte entièrement (et même au-delà) la hausse des crédits et, de l'autre, une politique d'austérité.

Ainsi, 108 millions d'euros sont destinés à assurer le financement de la subvention pour charges de service public de l'Agence pour le service civique (ASC), devenue, en un an, le principal opérateur du programme. Pour avoir le « coût complet », il faut ajouter les 26 millions d'euros de remboursement à l'ACOSS de cotisations de retraite non-perçues pour les volontaires du service civique. Les chiffres fournis par le Gouvernement sur l'évolution du nombre des volontaires sont éloquents : après avoir atteint 5 195 volontaires en 2010, le service civique devrait concerner 15 000 volontaires en 2011 et 25 000 en 2012. Lors de la communication qu'elle a effectuée sur ce sujet en Conseil des ministres, le 23 mars 2011, Jeannette Bougrab, secrétaire d'Etat chargée de la jeunesse et de la vie associative, a qualifié le dispositif de « réel succès ». J'en prends acte tout en considérant qu'à terme, l'objectif est plus flou. Certes, l'ambition d'atteindre 10 % d'une classe d'âge dès 2014 a été réaffirmée par la secrétaire d'Etat mais la contrainte budgétaire va peser de plus en plus lourdement. En effet, selon la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, les crédits de la mission doivent progresser, à périmètre constant, de 50 millions d'euros sur trois ans. Cela ne permet absolument pas de financer 75 000 volontaires du service civique. Il conviendrait donc que le Gouvernement précise dès à présent le format que devra présenter ce dispositif en « régime de croisière ».

Le Fonds d'expérimentations pour la jeunesse (FEJ), qui est l'autre grand « chantier » lancé par Martin Hirsch, lorsqu'il était haut commissaire à la jeunesse, ne semble pas aussi favorisé que le service civique. Il s'agissait, je vous le rappelle, de favoriser la réussite scolaire des élèves et d'améliorer l'insertion sociale et professionnelle des jeunes de moins de 25 ans par le financement d'expérimentations d'actions innovantes en faveur des jeunes. En cas de réussite, ces expérimentations pouvaient éventuellement être généralisées. Si aucune annonce n'a été faite, la trajectoire budgétaire du FEJ laisse à penser qu'il pourrait lui-même n'avoir été qu'une expérimentation. Certes, la diminution de ses crédits, de 25 millions à 6 millions d'euros, s'inscrit dans une trajectoire globale. Toutefois, cette évolution pose clairement la question de la pérennité de cette structure. Dans sa contribution à la dernière loi de règlement, Michel Sergent s'était interrogé à la fois sur le respect par l'Etat de son engagement à verser 150 millions d'euros à ce fonds et, plus encore, sur sa vocation à moyen terme. Je partage ces doutes et je souhaite que le Gouvernement s'exprime en séance publique sur sa vision de l'avenir de cet outil.

Enfin, comme ces deux dernières années, de nombreuses actions traditionnellement financées par le présent programme subissent de nouvelles coupes. Au mieux, les crédits sont maintenus en euros courants, ce qui correspond à une diminution de moyens. Parfois, ils sont en baisse en valeur absolue, comme, par exemple, pour les subventions aux associations agréées. Cet état de fait pourrait encore être aggravé par les 400 millions d'euros d'économies que l'Assemblée nationale est invitée à réaliser sur les crédits des missions du budget général.

A l'issue de cet examen, j'avoue être réticent face à ce budget déséquilibré, dans lequel le gonflement d'une ligne ne saurait masquer le choix de faire porter l'ensemble des efforts aux acteurs de terrain, qu'il s'agisse du financement du sport pour tous ou des associations de proximité. En l'état, du fait du peu de temps dont j'ai disposé pour procéder à cet examen, et dans l'attente des arbitrages que devra rendre l'Assemblée nationale, je recommande à la commission de réserver sa position sur l'adoption des crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».

M. Philippe Marini, président. - Merci au rapporteur spécial pour sa présentation argumentée. Je pense aussi que nous pouvons rendre hommage à notre ancien collègue Michel Sergent, qui, en plus de sa convivialité, était très efficace dans sa mission de rapporteur spécial. Pour revenir au sujet, je vois que de nombreux commissaires ont des questions à poser...

M. Roland du Luart. - Je partage les inquiétudes de Jean-Marc Todeschini concernant la pénalité due au Stade de France. Nous savons tous combien l'équilibre financier est difficile à atteindre pour les grandes infrastructures sportives. Dans ces conditions, l'Etat n'est-il pas fondé à mettre la FFR devant ses responsabilités sur son projet de grand stade ?

M. Serge Dassault. - A propos du même sujet, je voudrais savoir quelles modalités de financement sont prévues pour ce stade de rugby. L'Etat doit-il participer financièrement à ce projet ?

M. Éric Doligé. - Une problématique voisine concerne les « grandes salles » de sport, également appelées « Arenas ». Je crois que le monde sportif attend plusieurs dizaines de millions d'euros d'aides publiques à ce titre. Ce budget contient-il des financements de tels équipements ?

M. Pierre Jarlier. - Ma question concerne le Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire (FONJEP), qui apporte une aide indispensable à l'emploi associatif. Le rapporteur spécial pourrait-il préciser comment évoluent les crédits dont il bénéficie dans ce budget 2012 ?

M. Vincent Delahaye. - A propos du « grand stade » de rugby, je voudrais préciser, en tant qu'élu de Massy, site d'accueil possible de cette infrastructure, que la FFR n'envisage pas de solliciter une aide financière de l'Etat. Pour boucler son opération, elle compte essentiellement sur ses fonds propres et sur l'apport d'investisseurs privés qui l'accompagneraient dans cette démarche. Cela dit, la construction d'un nouveau stade affecterait bien le budget de l'Etat, ne serait-ce qu'au travers de la pénalité qu'il doit verser au consortium « Stade de France ». Celle-ci augmente d'ailleurs déjà hors « effet rugby ». Est-il possible d'évaluer le coût pour l'Etat d'un éventuel retrait du rugby du Stade de France ?

D'autre part, je voudrais exprimer mon inquiétude face au coût des mises aux normes des équipements sportifs, que l'on peut constater, par exemple, dans les stades devant accueillir l'Euro 2016 de football. Ces dépenses peuvent-elles constituer une priorité dans notre situation budgétaire actuelle ? J'estime, pour ma part, que les normes édictées par l'Union des associations européennes de football (UEFA) ne sont plus en rapport avec nos moyens...

M. François Trucy. - Au sujet du CNDS, je voudrais simplement préciser que les ressources dont il bénéficie proviennent, dans leur grande majorité, de prélèvement sur les mises des jeux de la Française des jeux ou des paris sportifs en ligne. L'action du CNDS consiste ensuite à redistribuer ces fonds, en lien avec le ministère des sports.

M. Philippe Marini, président. - Le rapporteur spécial a justement proposé de demander à la Cour des comptes une enquête sur le CNDS au titre de l'article 58-2° de la LOLF et, en anticipant un peu, je considère que c'est une demande opportune. Nous devons y voir plus clair sur la gestion des sommes qui transitent par cet établissement public.

M. Georges Patient. - La Guyane doit accueillir un institut de formation et d'accès au sport de haut niveau, afin de faire émerger et de préparer nos athlètes de demain. Est-il possible d'avoir des détails sur les crédits consacrés à ce chantier ?

M. Roger Karoutchi. - J'en reviens au Stade de France, pour indiquer que si la pénalité de l'Etat augmente, c'est notamment parce que la région Ile-de-France lui verse moins d'argent ! Elle reçoit, en effet, des sollicitations très nombreuses afin de financer des spectacles de toute sorte devant se dérouler dans un Stade de France qui accueille moins d'événements sportifs qu'auparavant, mais je veille à ce qu'elle se montre parcimonieuse. La région n'a pas vocation à assurer l'équilibre financier du consortium.

Par ailleurs, je voudrais préciser à Vincent Delahaye que la FFR ne compte peut-être pas demander de subvention à l'Etat pour construire son propre stade, mais qu'elle en a, en tout cas, demandé une - conséquente - à la région. Je m'y suis opposé car je suis persuadé que, si l'on construit un autre stade de ce niveau en Ile-de-France, on multipliera les demandes de financement de manifestations en tout genre uniquement destinées à rentabiliser ces équipements. A mes yeux, un tel chantier ne correspond pas au besoin de la région parisienne en matière d'organisation d'événements sportifs.

M. Jean Arthuis. - Je voudrais prolonger le propos de Vincent Delahaye relatif aux fédérations sportives qui édictent une grande quantité de normes, par exemple sur l'encadrement des sportifs, la taille des vestiaires ou les locaux réservés aux arbitres... En pratique, ces fédérations sont des activatrices de dépenses publiques locales et je crois que nous devrions leur adresser un « message ».

M. Yannick Botrel. - Au sujet du Stade de France, je crois que la pénalité de l'Etat est plafonnée à 16 millions d'euros. En outre, je m'interroge car la FFF semble gagnante dans l'opération, au détriment des finances publiques. J'aimerais bien comprendre par quel mécanisme on aboutit à ce résultat.

M. Francis Delattre. - L'origine de la pénalité due par l'Etat au consortium « Stade de France » est l'absence de club résident. Or, aux yeux des habitants de la région, le « vrai » stade de football de la région reste le Parc des princes. Certes, celui-ci doit être rénové, ce qui emmènera peut-être le Paris Saint-Germain à Saint-Denis pendant une saison. Mais, à moyen terme, seul le club de rugby du Stade français serait en mesure de remplir régulièrement le Stade de France... à ce détail près qu'il construit, lui aussi, son propre stade, à côté du Parc des princes ! Je crois donc qu'il faut que le monde du rugby, à commencer par la FFR, s'accorde avec le consortium.

M. Philippe Marini, président. - On se demande où est l'Etat dans l'ensemble de ces débats...

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Je vais aller dans le sens de la plupart des observations des commissaires en étant assez bref, certains intervenants ayant déjà répondu aux questions des autres.

Est-il raisonnable d'envisager la construction d'un autre grand stade en région parisienne ? C'est bien en ces termes que la question se pose et il faudra que le ministre nous réponde lors de la séance publique, d'autant que ce chantier devrait comporter une part de financement public, que celui-ci vienne de l'Etat, de la région ou d'autres collectivités.

M. Vincent Delahaye. - Juste une remarque. Le coût de cet équipement serait de l'ordre de 600 millions d'euros. Mais il serait bien plus fonctionnel que le Stade de France, dont la conception n'est pas extraordinaire. En tout cas, c'est un vrai sujet et il serait utile que nous entendions les initiateurs du projet.

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Au sujet du contrat de concession liant l'Etat au consortium, je rappelle qu'il a été signé, pour une durée de trente ans, entre les deux tours de l'élection présidentielle de 1995, à un moment où il fallait absolument lancer le chantier dans la perspective de la coupe du monde de football de 1998. L'Etat n'était donc pas en position de force.

Ensuite, les fédérations de football et de rugby ont-elles-mêmes conclu des conventions avec le consortium afin de disposer d'un cadre pour l'organisation de leurs matchs. La FFF vient de renégocier la sienne et d'obtenir un partage plus avantageux des bénéfices. Mais cela aboutit à minorer le résultat du consortium qui, lui-même, diminue le montant de la pénalité pour absence de club résident. C'est pourquoi cette pénalité versée par l'Etat doit augmenter en 2012. Cependant, comme l'a indiqué Yannick Botrel, elle est plafonnée et ne peut pas excéder 16 millions d'euros en valeur de 2012.

Au sujet des Arenas, aucune ligne budgétaire n'est prévue l'an prochain.

Sur les postes FONJEP, il est proposé de reconduire la ligne budgétaire de l'année dernière, soit 25 millions d'euros.

A propos du CNDS, je confirme ce qu'a dit François Trucy : ses financements proviennent, pour l'essentiel, de prélèvements sur les mises de la Française des jeux ou sur les paris sportifs. Il dispose également d'une fraction de la taxe sur les droits de diffusion des événements sportifs. Au vu des sommes en jeu, un éclairage de la Cour des comptes nous serait précieux.

Pour répondre à Georges Patient, je n'ai pas vu de ligne budgétaire spécifique sur le futur institut de formation et d'accès au sport de haut niveau guyanais, mais cette dépense relève sans doute des contrats de plan Etat-régions et transite peut-être par le CNDS. Le ministre devrait pouvoir vous le confirmer.

Enfin, je partage le sens de l'intervention du président Jean Arthuis sur les conséquences financières des normes édictées par les fédérations sportives.

M. Christian Bourquin. - Je voudrais simplement souligner que la France dispose déjà d'une base sportive nationale, à Font-Romeu. Or l'Etat tend à se décharger de ses responsabilités sur la région et à laisser cette remarquable infrastructure se dégrader. C'est pourquoi plusieurs fédérations choisissent d'entraîner leurs athlètes à l'étranger, alors même que nous disposons d'un tel site. Cela n'est pas acceptable et je le dirai.

M. Philippe Marini, président. - Mes chers collègues, il est temps de conclure. Je pense que notre commission s'associe aux interrogations du rapporteur spécial ainsi qu'à sa demande d'enquête à la Cour des comptes sur le CNDS. Peut-être que, par ailleurs, s'il le souhaite, la question des grands stades pourrait faire l'objet d'un de ses contrôles ultérieurs.

Sur cette mission, qui implique plusieurs grands opérateurs, nous devrons veiller à ce qu'ils soient bien soumis aux mêmes normes de rigueur que l'Etat. Et nous devrons aussi nous montrer attentifs au résultat des dépenses fiscales, dont Jean-Marc Todeschini a justement souligné le poids.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Je prêterai une grande attention à l'ensemble des niches fiscales dans nos prochains débats sur le projet de loi de finances pour 2012.

A l'issue de ce débat, la commission décide de réserver sa position sur les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis

Puis la commission demande à se saisir pour avis du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, sous réserve de son examen par l'Assemblée nationale et de sa transmission, et nomme M. Jean-Pierre Caffet rapporteur pour avis sur ce texte.

- Présidence de Mme Michèle André, vice-présidente -

Mise en oeuvre des investissements financés par l'emprunt national - Audition de M. René Ricol, commissaire général à l'investissement

La commission procède ensuite à l'audition de M. René Ricol, commissaire général à l'investissement, et de M. Jean-Luc Tavernier, commissaire général adjoint sur la mise en oeuvre du programme des investissements d'avenir.

M. Philippe Marini, président. - Il y a maintenant plus d'un an et demi, nous donnions notre aval à une opération d'investissement exceptionnel de 35 milliards d'euros sur les investissements porteurs d'avenir.

Si la commission des finances avait alors approuvé cette réhabilitation de la notion d'investissement public, elle n'en avait pas moins regretté la voie choisie, avec la mise en place d'un financement public parallèle à celui du budget de l'Etat.

Elle a toujours néanmoins été attentive au suivi de l'utilisation de ces fonds. Ce suivi se concrétise notamment, comme aujourd'hui, par l'audition des personnes en charge de ce dossier : M. René Ricol, commissaire général à l'investissement et M. Jean-Luc Tavernier, commissaire général adjoint.

Cette audition devrait permettre de faire utilement le point sur l'avancement du programme d'investissements d'avenir, ainsi que sur les deux projets d'avenants à des conventions qui m'ont été récemment adressées par lettre et que j'ai transmis immédiatement à l'ensemble des commissaires. Ces deux projets d'avenant concernent, d'une part, la mise en place d'un nouvel appel à projets pour les « formations innovantes » et, d'autre part, la création d'un pôle de recherche hospitalo-universitaire en cancérologie.

M. René Ricol, commissaire général à l'investissement. - Nous vous avons, en effet, transmis deux projets d'avenant et un troisième devrait vous parvenir prochainement sur la sûreté nucléaire, car nous avons établi trois constats :

- le jury international devant sélectionner les instituts hospitalo-universitaires (IHU) n'a pas retenu de projet sur la thématique du cancer ce qui nous est apparu impensable. C'est pourquoi, un nouvel appel à projet sera lancé qui sera faiblement doté par redéploiement de crédits à hauteur de 20 millions d'euros ;

- s'agissant de la sélection des initiatives d'excellence et des laboratoires d'excellence, l'accent a été, dans certains cas, insuffisamment mis sur le volet « formation ». C'est pourquoi, nous proposons de lancer un nouvel appel à projet spécifique sur les formations innovantes. C'était une demande de la conférence des présidents d'université (CPU) et de madame Valérie Pécresse, alors ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. La procédure sera sélective. Il s'agit de ne retenir qu'une vingtaine de projets sous le contrôle d'un jury international. Il y a, par exemple, beaucoup de progrès à faire en matière de médecine afin d'éviter les échecs des étudiants en deuxième année ;

- il nous est, enfin, apparu indispensable, après la catastrophe nucléaire de Fukushima, de consacrer, par redéploiement, des fonds à la sûreté nucléaire. C'est un souci de sécurité publique, mais cela permet également de préserver notre filière industrielle.

En ce qui concerne l'état d'avancement du programme des investissements d'avenir, il convient de noter que nous respectons le rythme fixé en termes d'engagements, soit environ 15 milliards d'euros en cumulé à la fin d'année. Ce rythme peut paraître lent, mais il ne s'agit pas de « jeter l'argent par les fenêtres ».

En revanche, la phase de décaissement est un peu plus lente qu'annoncée, ce qui résulte notamment de la difficulté à contractualiser avec les lauréats. Cette phase peut prendre du temps et, parfois, trop de temps. Certains points de blocage ont pu être identifiés. Nous rencontrons l'ensemble des opérateurs à ce sujet, la semaine prochaine.

Je répète ensuite que les décisions du programme des investissements d'avenir ne reposent pas sur des critères d'aménagement du territoire ni de politique industrielle, mais d'identification de l'excellence des projets. Ce n'est que, dans un second temps, que ces éléments peuvent être éventuellement pris en considération. Pour l'instant, nous avons, en tous les cas, de formidables surprises : des projets émergent dans des zones inattendues.

Enfin, pour conclure, je tiens à souligner que nous avons été heureusement surpris par la mobilisation que l'emprunt national a suscitée partout en France.

M. Philippe Marini, président. - Il serait intéressant de pouvoir disposer d'un tableau comparant la prévision et la réalisation effective des engagements et des décaissements.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Ces rendez-vous réguliers avec le commissaire général à l'investissement (CGI) permettent de pallier quelque peu le problème de départ, à savoir que le programme des investissements d'avenir se situe en dehors du budget général de l'Etat. J'ai plusieurs questions.

Dans son discours du 27 juin dernier sur le programme des investissements d'avenir, le Président de la République a souligné principalement trois éléments : la nécessité de valoriser davantage les initiatives d'excellence en matière de formation ; son regret que la thématique du cancer n'ait pas été retenue dans le cadre de la sélection des instituts IHU et sa volonté de renforcer la recherche dans le domaine de la sûreté nucléaire. Ces trois éléments ont, ou vont très probablement, donn[é]er lieu à des projets d'avenant aux conventions afin de permettre leur financement par le Programme des investissements d'avenir.

N'y a-t-il pas ainsi une tentation de faire financer par l'emprunt national tout un ensemble de dépenses au gré des événements ? N'y a-t-il pas un nouveau risque d'éparpillement des crédits ?

La tendance au « saupoudrage » des crédits dénoncée par la commission, dès l'examen du projet de loi de finances rectificative, avait également été analysée par elle comme une éventuelle réponse au risque d'incompatibilité du programme des investissements d'avenir avec le droit communautaire et les règles de l'Organisation mondiale du commerce. Pouvez-vous dresser un bilan des démarches effectuées par le CGI auprès de la commission européenne en termes d'information et de notification des financements assurés par l'emprunt national ?

Vous avez indiqué dans votre propos général que vous respectiez votre rythme d'engagements de crédits. Qu'en est-il des décaissements ? Lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2010, le Gouvernement prévoyait des décaissements de l'ordre de 4 milliards d'euros par an entre 2010 et 2014. Or, selon le dernier relevé trimestriel des engagements et des décaissements du programme des investissements d'avenir reçu par la commission, seul 1,4 milliard d'euros de dotations consommables a été décaissé en cumulé sur 2010-2011.

Lors de l'examen des conventions passées entre l'Etat et les opérateurs, la commission des finances a toujours été attentive à la question des « effets de leviers » que devait entraîner l'emprunt national. Pouvez-vous donner le détail de ce montant par type de co-financeurs (entreprises, opérateurs, collectivités territoriales,...) ?

Vous avez également parlé de la phase de conventionnement avec les lauréats. Comment concrètement pourra-t-on être assuré d'un suivi efficace des projets ? L'Agence nationale de la recherche (ANR), un des principaux opérateurs, en a-t-elle les capacités matérielles ? Disposez-vous d'une estimation du « coût de gestion » lié à la mise en place et au suivi de l'emprunt national ?

Dans son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat en 2010, la Cour des comptes dresse un bilan assez sévère du programme des investissements d'avenir et indique notamment, je la cite : « le défaut d'articulation d'ensemble de plusieurs actions, associé à l'empilement actuel des dispositifs de soutien à la recherche et à l'innovation comporte deux types de risques : un risque opérationnel, le suivi et l'évaluation de projets en multi partenariats reposant sur l'efficacité des opérateurs, au premier rang desquels l'ANR, un risque budgétaire et financier, dès lors que la traçabilité des fonds n'est pas parfaitement assurée et pourrait conduire au financement de dépenses non éligibles et à la création d'emplois publics ». Quelle réponse apportez-vous à ces remarques de la Cour ?

Dans un entretien que vous accordiez à l'agence de presse AEF le jeudi 13 octobre dernier, vous indiquiez également à propos des Instituts de recherche technologique (IRT) : « Aujourd'hui certains industriels sont bien dans le cadre des projets qu'ils ont déposés, mais d'autres ne le sont pas du tout, envisageant une mise en oeuvre différente de ce qu'ils avaient annoncé dans le seul souci d'optimiser leurs intérêts ». Combien de projets sont concernés ? Comment comptez-vous sanctionner ces « effets d'aubaine » ?

J'ai enfin une dernière question à propos de Saclay. Après la démission de Paul Vialle à la tête de la Fondation de coopération scientifique du plateau de Saclay, Jean-Marc Monteil a été chargé par François Fillon d'une « mission temporaire pour la finalisation du Projet Saclay ». Nous avons été très surpris que Saclay n'ai pas été retenu lors de la première vague des « Initiatives d'excellence ». Saclay redépose un dossier pour le deuxième appel à projets. Où en est aujourd'hui ce dossier ?

M. René Ricol. - Vous souhaitez que l'on vous transmette un tableau des décaissements effectifs année après année. Cependant, au stade où nous en sommes, je pense qu'il serait plus efficace de vous donner un tableau des engagements.

M. Philippe Marini, président. - On pourrait faire un double tableau, avec les engagements et les décaissements, mais il faut rapprocher la réalisation de la prévision.

M. René Ricol. - Il me paraît plus important de considérer les engagements, car les décaissements vont s'échelonner sur dix à douze ans.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - C'est le rôle du Parlement d'en faire l'évaluation !

M. René Ricol. - Je ne refuse pas de donner les décaissements, mais il faut les mettre en perspective avec les engagements, sinon, personne n'y comprendra rien. A cet égard, je tiens à souligner que nous effectuons un rapport annuel, qui vous sera envoyé, qui présente le détail de nos actions. Vu le nombre de projets que l'on sélectionne, il est important que l'on vous informe sur les engagements, avant de regarder ce qui se fait projet par projet, au niveau des décaissements. Cela vous permettra d'apprécier si notre gestion est rigoureuse.

Madame Bricq, sur la question de la ratification a posteriori, je suis en désaccord avec vous. Aucune convention n'a été signée sans obtenir l'accord préalable des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, dont les commentaires ont été intégrés dans les conventions.

En ce qui concerne la sûreté nucléaire, l'IHU cancer et les « formations innovantes », je rappelle la procédure : le commissariat général a constaté que nous avions trois sujets. Il a alors saisi son conseil de surveillance, qui a approuve et a à son tour saisi le Gouvernement pour les modifications nécessaires. Au terme de cette démarche, tout est suspendu à la validation des deux commissions des finances. Nous suivons cette procédure dans le souci d'avoir une gestion transparente.

En ce qui concerne la Cour des comptes, nous avons eu de nombreuses discussions avec l'institution. Je leur ai demandé de venir voir comment nous travaillons. La question est de savoir si nous serons en mesure, demain, de justifier l'ensemble de nos décisions, ce qui n'a encore jamais été fait dans le détail, au stade où nous sommes, dans nos relevés de diligence.

Il ne m'appartient pas de décider s'il faudrait une autorisation annuelle du Parlement pour chacune des dépenses. Ce qui est certain, c'est que ? par nature, le programme des investissements d'avenir est pluriannuel, et cela implique forcément des ajustements permanents. On ne peut tenir dans la durée que si notre conseil de surveillance regarde précisément ce que l'on fait. Cela dit, je n'ai encore jamais entendu parler d'un rapport où celle-ci adressait un satisfecit... Ces critiques nous permettront certainement de progresser.

La Cour relève avec justesse la complexité du système, que nous compliquons peut-être davantage. C'est sans doute vrai, mais, d'après mon expérience depuis trente-cinq ans, la simplification n'est pas propice à l'action. Nous avons donc décidé de mettre les gens en réseau, afin de remédier à cette complexité.

Par exemple, dans le domaine de la recherche, les opérateurs sont multiples : le Centre national de recherche scientifique (CNRS), le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et d'autres. Il s'agit de créer un réseau d'opérateurs pour que les acteurs travaillent ensemble. Je suis convaincu que l'on peut répondre à la complexité à travers une action en réseau.

En ce qui concerne la Commission européenne, nous lui posons systématiquement une question préalable pour vérifier la conformité des projets au droit communautaire, et nous attendons son feu vert pour avancer. Nous sommes très transparents et ne cherchons pas à fausser les règles du jeu de la concurrence en cachant ce que l'on fait. Par exemple, pour le fonds national d'amorçage, nous nous sommes adressés à la Commission, ce qui a retardé le lancement du dispositif de six mois, le temps que le dossier soit examiné.

Ce fonds a une utilité. En effet, il existe une multiplicité d'organismes de recherche. Lorsqu'un chercheur effectue une découverte, il dépose son brevet, généralement avec le CNRS, mais il doit ensuite faire le tour des différents fonds d'innovation pour apporter la preuve du concept, ce qui n'est pas toujours facile. Or, une fois que cette étape est réalisée, il vend assez vite, généralement à l'étranger. L'objet du fonds national d'amorçage est de financer les chercheurs au stade de la preuve du concept, de manière plurirégionale et décentralisée, avant la phase d'amorçage elle-même. Ce seront des fonds apportés par l'Etat. Ensuite, l'amorçage sera effectué selon nos conditions avec des règles de rémunération qui inciteront les fonds à favoriser davantage l'industrialisation en France qu'à l'étranger.

M. Philippe Marini, président. - Quelle est la nature des interventions financières effectuées au titre du fonds national d'amorçage ? S'agit-il de fonds propres ou de prêts à des conditions privilégiées par exemple ? Comment cela fonctionne-t-il ?

M. René Ricol. - Il s'agit plutôt de fonds propres. La phase primordiale est celle qui précède l'amorçage. Nous consacrons ainsi, via le fonds national d'amorçage, quelque 900 millions d'euros au financement de la preuve du concept. Actuellement, cinq sociétés d'accélération des transferts technologiques, qui permettent de faire la preuve du concept, sont en cours de constitution. Nous en aurons une douzaine au bout du compte. Nous décentralisons la gestion auprès des organismes de recherche et des universités, et le contrôle sera opéré par des gens de terrain et non pas par l'Etat.

Une fois la preuve du concept apportée, le fonds national d'amorçage apporte une aide à hauteur de 400 millions d'euros. Nous souhaitons investir dans des fonds existants, afin de faire effet de levier. Comme je l'ai déjà dit, nous leur posons des conditions. Beaucoup de gens se sont récriés en nous expliquant que nous n'aurions jamais aucun partenaire, tant celles-ci étaient drastiques. Or nous avons obtenu de multiples réponses et l'on pourrait, si on le souhaitait, débloquer tout de suite les 400 millions d'euros.

En termes d'effet de levier, sur 35 milliards d'euros, nous attendons un retour global de 4 à 6 milliards d'euros de l'Europe et des collectivités locales, et de 20 à 27 milliards d'euros du financement privé. Actuellement, la répartition des co-financements, hors projet relatif à l'Agence national de la recherche, pour lequel nous ne disposons pas d'éléments suffisants, est la suivante : 2,4 milliards de la part des collectivités locales, 6 milliards  du secteur privé, et 272 millions d'euros en provenance des opérateurs.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Je reviens aux décaissements effectifs et aux engagements, sur lesquels nous avons besoin d'un suivi régulier, d'autant plus que ces investissements ne sont pas retracés dans le budget général. Les chiffres que vous venez de nous communiquer concernent bien les engagements signés, et non des prévisions ?

M. René Ricol. - Effectivement.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Il est intéressant que nous ayons connaissance du type de collectivités concernées. Vous avez dit tout à l'heure que votre mission ne comprenait pas l'aménagement du territoire ni la politique industrielle, mais à travers ces co-financements, c'est tout comme.

M. René Ricol. - Je n'ai pas dit qu'il ne doit pas y avoir au final une politique d'aménagement du territoire. Notre préoccupation principale est d'abord d'identifier et de faire remonter les bons projets. Peut-être Jean-Luc Tavernier peut-il apporter quelques précisions sur les co-financements ?

M. Jean-Luc Tavernier, commissaire général adjoint à l'investissement. - Seule une minorité d'appels à projets attendent des co-financements des collectivités locales, co-financements qui font partie des projets eux-mêmes. C'est le cas dans le domaine du développement de la fibre optique ou de l'action « ville de demain ». Mais, pour la majorité des appels à projets, les co-financements peuvent être présents sans pour autant représenter une condition nécessaire de leur réussite. Les 2,4 milliards d'euros cités concernent l'action « ville de demain », avec les transports en commun en site propre. Plus 200 millions d'euros sont dédiés aux écocités, par exemple pour le projet du métro de Rennes.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Un investissement public n'a d'intérêt que s'il induit un effet de levier par rapport aux investissements privés. L'un des problèmes de notre pays est bien son incapacité à produire un tel effet de levier. C'est la participation effective du privé dans ces projets qui montrera la pertinence du choix effectué il y a deux ans.

M. René Ricol. - Nous allons vous proposer un tableau de bord de suivi facile à lire et efficace, qui vous permettra de suivre les investissements chaque trimestre. Nous nous mettrons d'accord sur les modalités de ce suivi.

M. Jean-Luc Tavernier. - Je tiens à préciser que dans le reporting trimestriel que nous réalisons et que nous vous envoyons depuis un an, les co-financements attendus sur les projets sélectionnés sont indiqués.

M. René Ricol. - Nous constatons avec satisfaction que, sur de nombreux projets sélectionnés, les collectivités locales participent. Toutefois, lorsque des dossiers nous parviennent, mais que les collectivités concernées ne veulent pas s'engager, comment voulez-vous que nous ayons foi en ces projets ?

Quand j'étais médiateur du crédit, j'avais souhaité la création d'un poste de médiateur de la sous-traitance et des relations entre les grandes entreprises et les PME. Je pense que si les grandes entreprises ne jouent pas le jeu des PME pour les aider à se structurer, elles se détruisent elles-mêmes à moyen terme. La force des grandes entreprises allemandes et japonaises tient précisément à la puissance de leurs sous-traitants et de leurs fournisseurs. Nous devons développer une telle culture en France. C'est bien dans cette solidarité intelligente que résidera le succès des investissements d'avenir à terme.

Les pôles de compétitivité sont un succès. Plusieurs appels à projets les concernent. Notre but est de les renforcer, mais aussi d'inciter l'Etat et les collectivités locales à abandonner ceux qui ne fonctionnent pas. Nous avons une démarche constructive, illustrée par le domaine aéronautique. Une compétition avait eu lieu entre Bordeaux et Toulouse. Cette dernière a gagné, mais nous avons réuni les autres acteurs et conclu un accord gagnant-gagnant pour tous. Du coup, nous avons aujourd'hui un pôle de compétitivité implanté à Bordeaux et à Toulouse, mais qui aura une envergure nationale. A l'inverse, lorsque l'on constate que le pôle de compétitivité ne tourne pas, nous émettons des recommandations. La question est de renforcer ceux qui fonctionnent bien, et de s'interroger sur ceux qui ne donnent pas les résultats escomptés.

En ce qui concerne le conventionnement, il est vrai que l'ANR a dû faire face à une masse de travail à laquelle elle n'était sans doute pas habituée. Mais force est de constater qu'elle a fait un « sans faute » avec assez peu d'effectifs en plus. Pour l'instant, il n'y a pas lieu, je pense, de dégager des moyens supplémentaires. Il est vrai que nous devons faire face à certains blocages, mais il faut que tout le monde fasse des efforts.

S'agissant des lauréats qui ne respecteraient pas leurs engagements, il est clair qu'ils devront renoncer à leurs projets.

Enfin, au sujet de Saclay, nous avons été « ravis» de la décision du jury qui a expliqué que Saclay ne pourrait être sélectionné tant qu'un projet solide ne sera pas présenté. Il est vrai que ce serait sans doute dramatique que Saclay ne soit pas au final sélectionné. Il y a plusieurs vagues d'appels à projets. Mais je ne sais pas quelle sera la décision prise par le jury.

M. Edmond Hervé. - Je suis d'accord avec la rapporteure générale sur la nécessité d'éviter le saupoudrage. Je me réjouis également, comme le commissaire général à l'investissement, de tous les projets présentés. Je souhaite simplement que l'on fasse attention de ne pas décourager les jeunes équipes.

Trois choses m'importent :

- je souhaiterais que l'ADEME, comme d'autres agences, ait une capacité d'entraînement industriel. Il n'est pas normal que dans la construction des éoliennes, par exemple, seuls 10 % des composants soient français ;

- j'ai été sensible à ce que vous indiquez s'agissant de Saclay. Nous ne pouvons pas continuer à fonctionner comme nous fonctionnons aujourd'hui. Il faut, sur chaque site, des rapprochements entre grandes écoles et universités ;

- il faudrait enfin que chaque année, à l'occasion de la remise du rapport d'activité du Programme des investissements d'avenir, nous consacrions un temps d'approfondissement à ces questions.

M. René Ricol. - Dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche, il y a des endroits en France où la greffe prend et nous assistons à des projets formidables dès lors qu'il y a concertation entre les acteurs.

En ce qui concerne l'ADEME, je ne peux pas être plus en accord avec vous. Nous nous sommes, par exemple, battus sur un programme aéronautique pour imposer qu'il y ait systématiquement des sous-traitants français.

Toujours au sujet de l'ADEME, nous avons réussi à diminuer ses délais d'instruction des dossiers de dix-huit à neuf mois. Cependant, pour de petits projets, neuf mois demeurent une durée trop longue. C'est pourquoi, nous souhaitons que ces petits projets soient financés par un fonds géré par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Afin de coordonner les travaux de la CDC et de l'ADEME, un comité d'investissement réunissant ces deux acteurs devra sans doute être créé.

S'agissant des décaissements, il convient également de distinguer les dotations consomptibles et dotations non consomptibles. Il nous faut donc trouver des indicateurs adéquats pour vous aider dans le suivi du programme des investissements d'avenir.

Le véritable problème auquel nous sommes confrontés est que les industriels sont encore trop habitués à une logique de subventions, ce qui n'est pas la logique du programme des investissements d'avenir.

M. Yves Krattinger. - Je souhaite intervenir sur le volet numérique du programme des investissements d'avenir et notamment sur celui du développement du très haut débit sur l'ensemble du territoire et son équation financière.

Les départements sont aujourd'hui dans l'expectative sur ce sujet. Il y a en fait deux types de territoires : on va sans doute avancer rapidement dans les zones denses, en revanche, la question demeure entière pour le reste de la France. L'équation financière ne tient pas dans les zones sous-denses. Tous les opérateurs m'ont alerté sur ce sujet.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - J'appuie notre collègue sur cette question. Ces problématiques valent pour tous les départements. La couverture en très haut débit, par ailleurs, est vécue par nos concitoyens comme un facteur d'inégalité profonde.

M. René Ricol. - Sur ce sujet, nous avons reçu tous les acteurs. Personne ne nous a convaincus. En fait, le vrai problème est que les zones sous-denses n'ont même pas encore le haut débit.

En tous les cas, nous ne subventionnerons que les schémas départementaux ou pluri-départementaux afin que toutes les collectivités discutent entre elles.

Par ailleurs, nous avons fait acter par le Gouvernement que si les délais ne sont pas tenus année par année par un opérateur, la collectivité territoriale reprend ses droits.

Enfin, selon notre analyse, nous pensons raisonnable de considérer que d'ici 2020, si tout le monde respecte ses engagements, nous aurons une couverture de 65 % grâce à un apport de 6 milliards d'euros du secteur privé, 2 milliards d'euros des collectivités territoriales et 1 milliard d'euros du programme des investissements d'avenir. Pour le reste du territoire, 15 milliards d'euros au moins seront nécessaires.

Loi de finances pour 2012 - Mission Conseil et contrôle de l'Etat - Examen du rapport spécial

Enfin la commission procède à l'examen du rapport de M. Charles Guené, rapporteur spécial, sur la mission « Conseil et contrôle de l'Etat ».

M. Charles Guené. - La mission « Conseil et contrôle de l'Etat » se compose de trois programmes très indépendants les uns des autres et correspondant au Conseil d'Etat et aux autres juridictions administratives, à la Cour des comptes et aux autres juridictions financières, et au Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Elle s'appuie sur une enveloppe budgétaire totale de 601,4 millions d'euros consacrée à 58 % à la justice administrative, les juridictions financières pesant pour près de 36 % de ces crédits et le CESE pour « seulement » 6 %.

Avant d'en détailler les orientations, je tiens à souligner qu'en raison de leurs spécificités, ces trois programmes dérogent à la règle générale fixée par le Gouvernement de réduction des effectifs par non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partis en retraite.

Le programme « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » comporte 349,4 millions d'euros de crédits de paiement, soit un budget en progression de 3,4 % par rapport à 2011. Dans le contexte budgétaire tendu que nous connaissons, cette progression confirme l'importance attachée aux moyens de la justice administrative.

Poursuivant la tendance engagée depuis déjà plusieurs années dans le but de réduire les délais de jugements, les effectifs des juridictions augmentent de 62 emplois équivalent temps plein travaillé (ETPT) en 2012.

Afin de rétablir un niveau de performance très dégradé, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a fait l'objet d'un renforcement conséquent de ses moyens humains depuis 2010. Pour 2012, 15 recrutements supplémentaires sont prévus, avec un plafond d'emplois fixé à 318 ETPT. Alors que le délai moyen de jugement devant cette Cour s'élève à neuf mois actuellement, l'objectif consiste à réduire ce délai à six mois en 2012. Cet objectif paraît à la fois raisonnable et atteignable.

Par ailleurs, votre rapporteur spécial se félicite de l'introduction, répondant au souhait formulé par la commission des finances en 2010, de la mesure du nombre d'affaires traitées par chaque rapporteur de la CNDA dans le volet « performances » du programme. Cet ajout permettra ainsi, à l'avenir, un suivi efficace de l'efficience au sein de cette Cour.

Le CESE disposera en 2012 d'un budget de 37,4 millions d'euros, en diminution de 0,3 % par rapport à 2011.

Ce budget pour 2012 peut donc être qualifié de « budget de stabilité », en ce qu'il ne prévoit aucun moyen supplémentaire pour faire face aux nouvelles missions du CESE, issues de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Celles-ci seront donc mises en oeuvre, soit par redéploiement des moyens existants, soit par économie nette. Toutefois, en l'absence de précisions sur la mise en application concrète de la réforme, celle-ci apparaît toujours délicate à évaluer budgétairement. Il en est ainsi par exemple du coût de traitement des pétitions citoyennes ou de la durée de nomination des membres associés, tous les décrets chargés de mettre en oeuvre la réforme n'étant pas encore parus.

Par ailleurs, la problématique du financement de la caisse de retraite du Conseil, dont le fragile équilibre est menacé par le rajeunissement et la féminisation résultant du dernier renouvellement, demeure un sujet de préoccupation. Une réforme salutaire a toutefois été amorcée en 2011, permettant d'assurer l'équilibre jusqu'en 2017.

Il semble que cela ne soit qu'une première étape, vers le processus de transparence et de clarté qu'a souhaité mettre en oeuvre le président Delevoye, au plan des effectifs.

Le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » est doté de 214,6 millions d'euros en crédits de paiement, soit un budget maîtrisé en progression d'à peine 0,2 % par rapport à 2011.

Hors dépenses de personnels, les crédits diminuent globalement de 13 %. A elles seules, les dépenses d'investissement chutent de 80 %.

Ce budget est élaboré à « périmètre constant », c'est-à-dire hors impact de la réforme des juridictions financières, dont la mise en oeuvre est toujours en suspens et l'impact financier difficile à évaluer.

S'appuyant sur une stabilité des effectifs, la Cour des comptes poursuit sa politique de recrutement d'« experts extérieurs » qui donne entière satisfaction et a permis de véritablement professionnaliser les missions de certification des comptes de l'Etat et de la sécurité sociale.

En conclusion, je propose, à titre personnel, à la commission d'adopter, sans modification, les crédits proposés pour la mission et chacun de ses programmes. Je souhaite, enfin, remercier le Conseil d'Etat, le Conseil économique, social et environnemental et la Cour des comptes pour la qualité et le sérieux de leurs réponses au questionnaire budgétaire qui leur a été adressé.

Mme Michèle André, présidente. - Le CESE connaît désormais une parité réelle. Avant que les femmes membres de ce Conseil n'atteignent l'âge de la retraite, la caisse de cette institution sera certainement à l'équilibre.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat ».

- Présidence de Mme Michèle André, vice-présidente -

Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes

Au cours d'une deuxième réunion tenue l'après-midi, la commission procède à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur l'agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM).

Mme Michèle André, présidente. - Puisque le président Philippe Marini m'a demandé de le remplacer, il me revient d'excuser notre rapporteure générale, Nicole Bricq, retenue par une importante réunion à la Caisse des dépôts et consignations. Nous voici réunis pour la première de trois auditions de suivi suite à des enquêtes réalisées par la Cour des comptes, à la demande de notre commission des finances, en application de l'article 58-2° de la LOLF.

L'enquête sur l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) a été lancée à l'initiative de nos collègues Eric Doligé et Marc Massion, rapporteurs spéciaux de la mission « Outre-mer » lors de la saisine de la Cour. Depuis, Georges Patient a repris les attributions de Marc Massion. Nos collègues élus des départements d'outre mer étaient invités à cette audition, qui est ouverte à la presse. La commission aura ensuite à prendre une décision sur la publication de l'enquête de la Cour des comptes au sein d'un rapport d'information.

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - LADOM est l'unique opérateur de la mission « Outre-mer ». Créée en 2010 par la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM), elle remplace l'Agence nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs d'outre-mer (ANT), qui avait pour mission de favoriser l'insertion professionnelle des ultramarins par des actions de formation professionnelle ou des stages en métropole, et prenait en charge leurs déplacements à ce titre.

Le changement de dénomination de l'agence résulte de l'extension de son champ d'intervention par la LODEOM, en mai 2009. Celle-ci a créé un nouveau dispositif, le passeport mobilité-formation professionnelle, qui se substitue aux dispositifs existants. LADOM s'est, d'autre part, vu confier la gestion du nouveau fonds de continuité territoriale. Elle prend donc en charge l'ensemble de l'aide à la continuité territoriale, ce qui se traduit par la délivrance de bons pour financer les déplacements des ultramarins en métropole, ainsi que le passeport mobilité-études.

Parallèlement, le montant de son financement par l'État a, en apparence, quadruplé : on est passé de 17 millions en 2010 à 65,3 millions en 2011. La commission des finances a voulu évaluer les causes et l'efficacité de cet effort supplémentaire. Je salue le travail de la Cour des comptes, et remercie Marc Massion, avec qui j'ai eu plaisir à travailler.

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - La commission des finances a demandé à la Cour des comptes de contrôler la mise en oeuvre de la réforme des dispositifs de continuité territoriale. Le Parlement n'a pas disposé des informations détaillées nécessaires pour évaluer l'efficacité de cet opérateur : outre les projets annuels de performance annexés aux projets de loi de finances, seul un compte de résultat prévisionnel simplifié lui a été fourni. Contrôler LADOM visait donc à disposer de données quantitatives précises pour juger de sa performance : le nombre de formations et leur coût moyen, leur effet sur l'insertion des travailleurs, le nombre de billets subventionnés et leur coût moyen. Il s'agissait également de recueillir des informations sur son personnel, ses moyens matériels, ses coûts de fonctionnement.

Je remercie les magistrats de la Cour des comptes d'éclairer la représentation nationale.

M. Jean-Pierre Bayle, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. - La Cour a mené cette enquête au premier semestre 2011, au titre de l'article 58-2° de la LOLF, pour répondre à des interrogations récurrentes de votre commission. Celle-ci s'interrogeait sur la gestion de LADOM et sur le quadruplement apparent des contributions de l'État depuis 2010, sur les conditions d'exercice de ses nouvelles missions de continuité territoriale, et sur l'articulation entre LADOM et l'Institut de formation aux carrières administratives, sanitaires et sociales (Ifcass) de Dieppe, l'un des multiples organismes de formation auxquels l'agence a recours.

LADOM est une entreprise publique qui gère 100 millions d'euros de crédits exclusivement publics, issus de l'État, des collectivités locales et des fonds européens. Elle disposait en 2011 de 126 ETP et 30 agents temporaires, qui seront intégrés dans son plafond d'emploi dès 2012.

Sa mission historique est la formation professionnelle des ultramarins dont elle organise la mobilité en métropole : environ 4 000 jeunes formés chaque année. Sa nouvelle mission de continuité territoriale comprend le passeport mobilité-études et la délivrance de bons finançant une partie des voyages, sous condition de ressources : au moins 60 000 bons délivrés chaque année. Le décret d'application datant de novembre 2010, cette deuxième mission n'a été mise en oeuvre qu'à compter de 2011, mais l'agence s'y était préparée en créant des plateformes communes entre les deux missions. L'organisation, stabilisée pour ce qui concerne la formation professionnelle, est encore expérimentale en ce qui concerne l'aide à la continuité territoriale ; nous nous limitons donc sur ce point à formuler des recommandations et alertes.

L'opérateur est soumis à un contrôle obligatoire et régulier de la Cour ; le dernier date de 2004. LADOM, qui a son siège à Saint-Denis, compte neuf délégations régionales métropolitaines et cinq ultramarines. En sus des contrôles sur pièces et sur place, nous nous sommes rendus dans les antennes de Paris, Nantes et Marseille, de Saint-Denis de la Réunion et de Mamoudzou, à Mayotte. La phase de contradiction s'est déroulée dans d'excellentes conditions.

Nos douze recommandations, qui figurent en annexe du rapport, s'articulent autour de trois volets. D'abord, l'évolution institutionnelle et financière. LADOM a le statut de société d'État, alors qu'elle présente toutes les caractéristiques d'un établissement public administratif (EPA). Compte tenu des problèmes de gestion observés, pourquoi ne pas mettre son statut en adéquation avec la réalité de ses missions et de son fonctionnement, d'autant que le statut d'EPA entraîne la présence d'un comptable public ?

Le quadruplement des crédits est la conséquence d'un effet de périmètre et d'échelle, avec l'intégration de crédits qui jusqu'ici ne transitaient pas par ses comptes, et l'attribution de nouvelles ressources pour assurer ses nouvelles missions. Les ressources dédiées à la mobilité professionnelle n'ont augmenté que de 15 %, les crédits consacrés à la continuité territoriale s'élevant à 28 millions en 2011. Les frais de fonctionnement représentent 16 % des dépenses totales. Le nouveau contrat de performance devra intégrer les nouvelles missions et préciser les indicateurs et les modalités de leur suivi.

Deuxième volet, la gestion. L'Agence ne respecte pas l'ordonnance du 6 juin 2005 en matière de marchés publics, privilégiant les négociations directes sur les procédures d'achat formalisées. Elle s'est toutefois engagée à y remédier, et a recruté un spécialiste des marchés publics. La tutelle s'est également engagée à ce que cette situation soit régularisée. Autres problèmes : la défaillance du contrôle interne, l'inexistence du contrôle de gestion, l'hétérogénéité des procédures, l'inadaptation des ressources humaines aux missions, l'absence de rationalisation de la politique immobilière, malgré les remarques répétées de la Cour.

Le dernier volet dresse un bilan de l'efficacité de LADOM. Pour la formation professionnelle, le choix politique de confier à l'agence une compétence relevant a priori des régions se justifie par la situation particulière des jeunes ultramarins. L'agence a entrepris une mutation appréciable pour renforcer l'adéquation entre offre et demande d'emploi, mettant l'accent sur les métiers en tension et le partenariat avec les entreprises. Reste des progrès à faire pour assurer un suivi qualitatif, garantir l'insertion dans l'emploi, développer les partenariats. Si l'indicateur d'inclusion dans l'emploi a progressé - 45 % des jeunes ayant suivi une formation et donné de leurs nouvelles en 2010, contre 32 % en 2005 -, la performance reste limitée, ne donne aucune indication sur la nature de l'emploi, et ne porte que sur 70 % des jeunes suivis par l'Agence : on est loin de l'objectif fixé par la convention d'objectifs et de moyens de 60 % de jeunes insérés sur 95 % suivis.

L'aide à la continuité territoriale est une activité de guichet, sans valeur ajoutée. L'État souhaitait reprendre le contrôle d'un dispositif confié aux régions et largement détourné de ses fins. L'organisation de cette nouvelle activité au sein de LADOM n'est pas encore stabilisée. Des plateformes de continuité territoriale ont été créées en 2010, avec du personnel temporaire. La mise en place du contrôle interne n'est pas aboutie.

Surtout, le suivi budgétaire demeure fragile, et l'enveloppe de 19,2 millions pourrait être dépassée. Dans certains départements, dont la Réunion, les engagements au 1er juillet représentaient 100 % des montants annuellement disponibles. Si la consommation effective des bons est incertaine, la visibilité des tutelles est insuffisante. Le sujet est politiquement sensible, d'autant que cette aide est désormais perçue comme un droit. Qu'adviendra-t-il si les crédits viennent à manquer ? Il faut mettre en place le comité de suivi prévu par les textes réglementaires, afin d'ajuster les paramètres - seuil de ressources ou montant des aides.

Enfin, l'action de LADOM ne serait pas renforcée par la création de groupements d'intérêt public (GIP) entre État et collectivités, envisagée par l'article 50 de la LODEOM, qui seraient au contraire source de frais supplémentaires et de stratification institutionnelle. La voie du conventionnement paraît préférable, afin de prévoir une association plus étroite entre services d'accueil, gérés par les collectivités, et services de validation et de contrôle plus resserrés gérés par LADOM.

Les recommandations de la Cour, qui figurent en annexe, serviront de cadre lors de futurs contrôles de l'agence.

M. François-Xavier Bieuville, directeur général de LADOM. - L'Agence a évolué dans son action, son périmètre et son organisation entre 2009 et 2011. Aujourd'hui, la situation se stabilise.

En matière d'aide à la continuité territoriale, LADOM a produit en 2011 99 500 bons, dont 68 200 ont été consommés : environ 50 500 sur la part État, le solde sur la part régionale, les conseils régionaux de la Martinique et de la Réunion ayant contracté avec LADOM afin qu'elle serve pour leur compte une partie de cette aide. Au titre du passeport mobilité-études, 8 600 billets ont été émis ou remboursés, ce qui représente 75 % de l'enveloppe.

En matière de formation, LADOM a mis en place 5 000 parcours de formation et 2 000 parcours de stage au 19 octobre. Elle réalise 72 % de validation des parcours de formation professionnelle ; 52 % des jeunes ayant bénéficié d'une formation sont effectivement inclus dans l'emploi au cours de l'année 2010. Nous espérons faire mieux en 2011. Entre 2009 et 2010, la production de jeunes en formation a progressé de 6 %.

Le rapport d'observation provisoire préconisait d'améliorer la trésorerie de l'agence, dont les problèmes sont liés à l'encaissement des crédits du fonds social européen (FSE). Nous avons anticipé en recrutant à la DIECCTE de La Réunion un spécialiste en la matière, dédié au FSE. En matière de contrôle interne et de contrôle de gestion, l'agence a mis en place un nouvel outil de contrôle dématérialisé, qui succèdera à notre ancien système informatique. Fin 2011, un site de pré-production permettra un meilleur contrôle de nos mesures auprès de nos délégués régionaux, en métropole et dans les DOM.

Enfin, l'agence a recruté un délégué national chargé des marchés publics. Nous nous sommes rapprochés de la tutelle pour nous mettre en ordre de bataille et nous conformer à l'ordonnance de 2005. Deux secteurs prioritaires ont été identifiés : le transport aérien, à l'exception de l'aide à la continuité territoriale, et l'achat de formations professionnelles. Nous étudions également la question des fournitures et de la téléphonie.

M. Vincent Bouvier, délégué général à l'outre-mer. - L'adoption de la LODEOM et la création de LADOM en 2010 ont entraîné des décalages chronologiques dans les appréciations faites par la Cour.

J'évoquerai d'abord la relation entre l'agence et ses tutelles. La Cour a relevé l'insuffisance des indicateurs d'activité définis lors de l'élaboration de la convention d'objectifs et de moyens 2009-2011. Il avait été décidé alors de ne conserver que les indicateurs les plus qualitatifs, centrés sur les objectifs de performance, comme l'inclusion dans l'emploi ou la mesure de la productivité interne et de l'efficience. La convention ayant été signée préalablement à l'entrée en vigueur de la LODEOM, certains indicateurs n'étaient plus adaptés à la nouvelle agence. La délégation générale à l'outre-mer prend acte des remarques de la Cour. Nous les intégrerons dans les négociations en cours sur le nouveau contrat de performance.

S'agissant de la gestion de l'agence, je renouvelle l'engagement de la délégation générale à l'outre-mer : LADOM appliquera l'ordonnance du 6 juin 2005 en matière de marchés publics. S'agissant du contrôle interne, le ministère de l'outre-mer prend acte des observations de la Cour : deux des trente postes attribués en 2010 sont d'ores et déjà destinés à renforcer le contrôle de gestion.

J'en viens au bilan de l'efficacité de l'agence, et à la soutenabilité budgétaire des dispositifs. À ce jour, sur les 43,6 millions destinés à financer l'aide à la continuité territoriale, le taux de consommation est d'environ 70 %. Il n'y a donc pas à craindre un éventuel dépassement des enveloppes initiales. Certains territoires consomment vite et bien ; c'est le cas de la Guadeloupe, de la Réunion, de la Martinique ou de Mayotte. En revanche, dans les collectivités du Pacifique, l'enveloppe d'aide à la continuité territoriale se consomme moins facilement.

Le comité de suivi des activités de l'Agence a été constitué, et s'est réuni le 20 septembre dernier. Les résultats d'une première évaluation sur les conditions de mise en oeuvre du nouveau dispositif de continuité territoriale sont attendus pour la fin de l'année. Une évaluation plus ambitieuse sera menée l'an prochain sur l'efficacité même du dispositif.

Enfin, je prends acte des observations de la Cour sur les GIP : l'expérience montre que ce système ne se justifie pas dans le contexte des régions et collectivités d'outre-mer.

Mme Michèle André, présidente. - Pouvez-vous nous en dire plus sur le Pacifique ?

M. Vincent Bouvier. - Les aides à la continuité territoriale sont accordées sous condition de ressources. Dans les collectivités du Pacifique, le plafond de ressources a été fixé trop bas. Le reste à charge est en outre trop élevé, même si le pourcentage pris en charge par l'État est le même. Il faudra y revenir lors de l'évaluation du dispositif.

Mme Marie-Astrid Ravon, sous-directrice de la huitième sous-direction du ministère du budget. - Je remercie la Cour des comptes ; son rapport très complet sera une base de travail précieuse pour améliorer la performance de l'agence.

La Cour a dénoncé le non-respect par l'agence des règles de l'ordonnance de 2005 sur la passation des marchés publics. Nous nous sommes mis en ordre de bataille pour que l'agence s'y conforme au plus vite. Nous nous sommes rapprochés du contrôle général économique et financier pour construire un cadre rénové ; un arrêté est en cours de rédaction.

En matière de ressources humaines, la direction du budget a autorisé un dépassement du plafond d'emplois de l'opérateur pour mettre à sa disposition trente emplois temporaires. Une fois la stabilisation effectuée, il est apparu que le GIP n'était pas le modèle le plus opérant, et que c'était à l'agence de gérer le dispositif. Le projet de loi de finances pour 2012 augmente donc de trente emplois le plafond de l'agence.

Le ministère du Budget a lancé en 2009 un processus visant à garantir que l'ensemble des opérateurs présentent un schéma de rationalisation de leur implantation immobilière. Chacun devait établir une stratégie immobilière pour juin 2010. LADOM a présenté des propositions à son conseil d'administration, mais, son document étant incomplet, France Domaine n'a pu émettre un avis. L'agence n'est pas le seul opérateur à avoir pris du retard, et le ministère va envoyer un nouveau courrier à l'ensemble des opérateurs...

Le dispositif d'aide à la continuité territoriale commence tout juste à être mis en oeuvre. À ce stade, le taux de consommation ne laisse pas craindre une impasse budgétaire. Nous suivons avec attention la soutenabilité du programme, en lien avec le ministère de l'outre-mer. Le calibrage ex ante des aides n'était pas évident à modéliser ; nous avons besoin d'un peu de recul avant d'ajuster, le cas échéant, les différents paramètres.

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - Vous avez répondu sur les difficultés de trésorerie liées au FSE mais pas sur la question de l'inadaptation du statut. Absence de but lucratif, contrôle de l'État, budget annuel : beaucoup d'éléments se rapprochent en effet du statut d'EPA. Un changement est-il été envisagé ?

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Certains territoires, à commencer par le conseil régional de Guadeloupe, n'ont toujours pas accepté la recentralisation de l'aide à la continuité territoriale. Où en est le contentieux engagé devant le tribunal administratif par le conseil régional de Guadeloupe ?

M. François-Xavier Bieuville. - À compter de la publication des textes d'application de la LODEOM, nous avons démarché les conseils régionaux pour conclure des partenariats. La Réunion, le 16 août 2010, et la Martinique, le 1er janvier 2011, se sont engagées dans ce sens. La même démarche a été menée auprès du conseil régional de Guadeloupe, pour installer deux antennes de continuité territoriale : l'une à Pointe-à-Pitre, l'autre à Basse-Terre, qui n'a pas vu le jour. Les discussions n'ont pas abouti, et le conseil régional a créé son propre dispositif. Le préfet de Guadeloupe a contesté avec succès devant le tribunal administratif de Basse-Terre la légalité de la délibération du conseil régional. Nous en restons pour l'heure au statu quo, car le président Victorin Lurel attendait la fin du contentieux pour répondre à nos propositions de partenariat.

M. Vincent Bouvier. - C'est la première fois que la Cour soulève la question du statut de l'agence. Missions, but, financement, tutelle : nombre d'éléments rapprochent en effet LADOM d'un EPA. Le statut actuel ne semble toutefois pas faire obstacle au bon fonctionnement de la relation avec les tutelles, pour autant que les modalités de suivi soient formalisées. L'Etat est représenté au sein du conseil d'administration. Une hypothétique transformation de l'agence en établissement public aurait par ailleurs des conséquences sur le statut des personnels et sur la souplesse de gestion.

M. Michel Vergoz. - J'ai entendu parler de 60 000, puis de 90 000 bons par an. De quoi s'agit-il exactement ? Ces bons sont-ils exclusivement alloués au titre de la continuité territoriale ? Combien reviennent aux Réunionnais ? Le président Jean-Pierre Bayle a dit que, malgré de multiples relances, des défaillances subsistaient dans la gestion de LADOM, par exemple dans les achats mobiliers. Sont-elles imputables à l'agence ou aux institutions qui l'ont précédée, l'ANT ou le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer (Bumidom) ?

M. François-Xavier Bieuville. - Il faut distinguer les bons émis des bons effectivement réalisés, les engagements budgétaires de leur consommation. Lorsqu'une personne est éligible à un bon, un logiciel détermine si elle a droit à une aide simple ou majorée. Un bon d'une valeur faciale lui est accordé, qui lui permet d'acheter un billet auprès d'une compagnie aérienne ou d'une agence de voyage. Les bons émis sont au nombre de 99 500, dont 45 000 pour La Réunion : 30 000 proviennent d'aides d'Etat, 15 000 d'aides du conseil régional.

M. Michel Vergoz. - La région et l'Etat n'interviennent-ils pas de concert pour la continuité territoriale ?

M. François-Xavier Bieuville. -Il faut distinguer trois configurations. Lorsque les ressources d'une personne sont inférieures à un certain plafond, elle a droit à une aide majorée de 360 euros prise en charge à 100 % par l'Etat. Si ses ressources sont comprises entre ce premier seuil et un deuxième, elle n'a droit qu'à une aide simple, mais le conseil régional prend en charge la différence avec l'aide majorée. Si ses ressources sont comprises entre le deuxième seuil et un troisième, l'aide est totalement prise en charge par la région. Sur 45 000 bons émis pour La Réunion, je vous l'ai dit, 30 000 le sont par l'Etat et 15 000 par la région. Dans l'ensemble de l'outre-mer, sur 99 500 bons émis, 68 200 sont effectivement réalisés.

M. Jean-Pierre Bayle. - La Cour n'a pas parlé de multiples relances, mais de remarques répétées. Les rapports précédents concernaient bien sûr l'ANT.

M. Gérard Moreau, conseiller-maître à la Cour des comptes. - La Cour contrôlait tous les cinq ans l'ANT et le Bumidom, comme n'importe quel organisme public. La LODEOM a modifié le nom de l'agence et lui a transféré des compétences. La Cour avait soulevé en 2005 des problèmes de gestion immobilière et le ministère de l'outre-mer s'était engagé à les résoudre ; mais, cinq ans après, rien n'avait changé. Lors des contrôles antérieurs, la question de l'équilibre financier et de la gestion de l'agence supplantait celle du statut juridique, mais depuis que ces problèmes plus urgents ont été en partie résolus, la question du statut refait surface. N'est-il pas curieux de fixer un plafond d'emplois à une entreprise de droit privé ? Certes, le législateur peut tout faire, mais il doit organiser le droit. En outre, comment opérer un contrôle efficace sans système de contrôle interne autre que le système de gestion ?

Mme Michèle André, présidente. - Je suggère à Michel Vergoz de vérifier auprès de LADOM que les erreurs du passé n'ont pas été reproduites.

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - Comme l'a dit Gérard Moreau, les questions naguère secondaires deviennent principales, et il faut s'interroger sur le statut de l'agence.

J'en viens à la formation professionnelle, et d'abord à la sélection des organismes de formation. La Cour des comptes estime qu'elle repose excessivement sur le discernement des délégués régionaux, et qu'il faut réfléchir à une harmonisation des critères, ce qui renvoie à la négociation des tarifs - vous m'avez déjà répondu en partie.

En outre, on a parfois l'impression que l'agence cherche à répondre à la demande sans se soucier que les formations offertes s'insèrent dans des parcours professionnels et répondent aux besoins du marché de l'emploi.

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - La Cour recommande aussi d'améliorer la formation des conseillers d'insertion professionnelle. Des efforts ont-ils été faits en ce sens ?

Le suivi des stagiaires ne serait pas systématique. On manque de données fiables sur la proportion de stagiaires ayant trouvé un emploi au terme de leur stage, sur la qualité des emplois trouvés en CDI ou en CDD, sur le taux de retour en outre-mer. Dans ces conditions, comment être sûr que l'action de LADOM est efficace ?

M. François-Xavier Bieuville. - S'agissant des critères de sélection des formations par les délégués régionaux ou la direction de l'emploi et de la formation, nous tirons parti de l'expérience de l'ancienne ANT pour proposer les meilleures formations au meilleur coût, en veillant toujours à ce qu'elles soient adaptées aux projets professionnels des demandeurs. L'agence se comporte donc comme un acheteur de formations, et le coût unitaire pédagogique moyen est de 8 euros hors taxe. Plus d'un jeune sur deux est orienté vers un parcours de formation qui conduit à l'emploi. La convention d'objectifs et de moyens pour 2009-2011 nous a fait passer d'une logique de guichet à une logique de l'offre : nous nous efforçons de proposer des formations qui correspondent au plus près aux besoins du marché du travail, en nous rapprochant de grandes entreprises comme Derichebourg, Veolia ou EDF. Veolia par exemple nous ouvre des places dans son campus du Val-d'Oise et lorsqu'un jeune conclut un contrat de professionnalisation avec l'entreprise, il est presque sûr de se faire embaucher en CDI à l'issue de sa formation. Mais nous travaillons avec une « pâte humaine », et malgré notre coopération avec Pôle emploi, il est difficile de parvenir à une parfaite adéquation entre les formations proposées et les besoins des entreprises.

Depuis deux ans, nous menons une politique active afin d'améliorer la formation de nos conseillers d'insertion. Nous avons pris les conseils d'une entreprise extérieure afin d'élaborer un plan de formation adapté à l'évolution du métier, qui a connu une première redéfinition en 2010. Les partenaires sociaux au sein du comité d'entreprise viennent d'approuver ce plan. Nous voulons progresser pour remplir au mieux les objectifs fixés par notre tutelle.

Sur les stagiaires, nous disposons du système d'information ANT mobilité (SIAM) qui recense les actions de formation professionnelle ainsi que leur coût horaire, l'hébergement, la rémunération... LADOM suit aussi les stagiaires à l'issue de leur formation, mais lorsqu'ils ont perdu la qualification juridique de stagiaires, rien ne les oblige, dans l'état actuel de la réglementation, à faire état de leur situation. Nombreux sont ceux, toutefois, qui conservent des liens avec leur conseiller, et l'information nous parvient par ce biais.

Nous savons bien quelle proportion de stagiaires retournent dans leur territoire d'origine après leur stage : 42 %, qu'ils aient ou non obtenu un titre professionnel, trouvé ou non un emploi. Nous pouvons en effet comptabiliser ceux qui s'adressent à la délégation dont ils relevaient en métropole pour obtenir le remboursement de leur billet de retour.

M. Marc Massion. - On lit, dans l'enquête de la Cour des comptes, que le complément de financement de L'Ifcass de Dieppe « devrait » être apporté par les conseils régionaux d'outre-mer et de Haute-Normandie. Faut-il le croire ? Lors de l'examen du budget pour 2011, la fermeture de l'institut avait été envisagée, mais le ministère avait promis d'assurer son financement. L'Etat a-t-il négocié avec les régions, ou ont-elles été mises devant le fait accompli ?

M. Vincent Bouvier. - L'Ifcass est financé par trois biais : le programme 138 pour les frais pédagogiques et les passeports mobilité-étudiants, à hauteur d'1,6 million d'euros ; une participation de 150 000 euros du conseil régional de Haute-Normandie ; enfin une subvention de fonctionnement d'1,6 million sur le programme 177 du ministère de l'écologie. Lors de la dernière discussion budgétaire, il avait été envisagé de ramener cette dernière subvention à 800 000 euros en 2011 et de la supprimer en 2012. Après une délibération interministérielle, il a été convenu de maintenir la contribution du programme 138 et de ramener celle du programme 177 à 600 000 euros en 2012, à 300 000 euros en 2013, puis à rien en 2014. Le complément - 1 million en 2012, 1,3 million en 2013 - doit provenir des conseils régionaux d'outre-mer et de Haute-Normandie, ce qui n'est pas aberrant puisqu'il s'agit de formation professionnelle. Mme la ministre de l'outre-mer a adressé le 3 août un courrier en ce sens aux présidents des conseils régionaux intéressés, et les discussions sont en cours. Aucun engagement n'a été pris pour le moment.

Mme Michèle André, présidente. - Nos collègues seront certainement attentifs à la suite de ces discussions.

M. Marc Massion. - Y compris en Haute-Normandie !

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - Pour ce qui est de la continuité territoriale, Le président Jean-Pierre Bayle a souligné que l'agence jouait surtout un rôle de guichet, sans véritable valeur ajoutée. L'achat des billets ne donne lieu ni à publicité ni à mise en concurrence, contrairement à ce que prévoit la législation. La masse financière en jeu est pourtant loin d'être négligeable ! Que comptez-vous faire, à part embaucher quelqu'un ?

L'agence a-t-elle les moyens de satisfaire la quantité de bons distribués et non encore consommés ? Comment votre enveloppe a-t-elle été évaluée, et quid de la régulation financière ? Vous attendez-vous à un afflux lors des fêtes de fin d'année ?

Les critères d'éligibilité aux aides à la mobilité sont larges : dans certains territoires, les quatre cinquièmes des habitants peuvent y prétendre. Ces aides bénéficient-elles à ceux qui en ont vraiment besoin ? Les familles les plus pauvres peuvent-elles financer le reste à charge du billet d'avion ?

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - On peut se demander si la politique de continuité territoriale n'encourage pas les compagnies aériennes à augmenter leurs prix. L'article 50 de la LODEOM les contraint à communiquer des données sur la structure de leurs coûts et les prix qu'elles pratiquent sur les lignes soumises à obligation de service public entre la métropole et l'outre-mer. Cette disposition est-elle appliquée, et permet-elle de contrôler effectivement les prix ?

En Guyane, pourquoi le taux de consommation ne dépasse-t-il pas 0,3 % du budget réservé ?

Les aides relevant de la politique de continuité territoriale peuvent financer des titres de transport entre une collectivité et une autre, mais aussi à l'intérieur d'une même collectivité. Pourquoi n'a-t-on pas recours à cette facilité ? La Guyane en a fait la demande.

M. François-Xavier Bieuville. - Parmi les aides à la mobilité versées par LADOM, il faut distinguer entre les aides à la continuité territoriale, les passeports mobilité-étudiants et les subventions accordées dans le cadre de la formation professionnelle. Les premières ne sont pas soumises à l'ordonnance de 2005, et les bénéficiaires mettent eux-mêmes les compagnies en concurrence. Il y a des raisons de croire que cette politique est efficace, puisque les prix ont baissé en 2011 au départ des DOM. Le reste à charge est de 310 euros en Martinique, où le conseil régional contribue, et de 389 euros en Guadeloupe, où ce n'est pas le cas. Quoi qu'il en soit, il est modeste : l'aide semble bien calibrée. Les compagnies n'ont jamais proposé autant d'offres promotionnelles : Air France, Corsair et Air Caraïbes, qui desservent la Martinique, en ont lancé plus d'une quarantaine cette année ! De leur aveu même, c'est la première année qu'elles font effectivement jouer la concurrence.

Pour ce qui est des passeports mobilité et des subventions relevant de la formation professionnelle, la Cour des comptes a recommandé de lancer un marché public pour mettre les compagnies en concurrence, et LADOM fait en sorte de se conformer à cet avis : nous nous orientons vers un marché public de distributeurs plutôt que de producteurs.

L'aide à la continuité territoriale produit des effets réels. A la date du 28 septembre, 16 300 bons ont été émis pour la Guadeloupe, 24 000 pour la Martinique, 1 600 pour Mayotte, 279 pour la Guyane et 51 000 pour la Réunion. L'aide est-elle bien calculée ? Il n'appartient pas à l'opérateur de le dire, mais elle semble répondre aux besoins de la population visée. Les trois quarts des bons émis sont consommés, ce qui est aussi un signal positif.

Nous sommes en pourparlers avec le conseil régional de Guyane pour faire bénéficier certaines communes guyanaises et leurs résidents de l'aide à la continuité territoriale pour des déplacements à l'intérieur de la Guyane : ce devrait être chose faite d'ici la fin de l'année. Il s'agit essentiellement d'aider les habitants des communes du fleuve, comme Maripasoula ou Papaïchton, à se rendre à Cayenne. L'État et le conseil régional se partageraient les frais.

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - La Cour a relevé une certaine instabilité dans les ressources humaines de LADOM : contrats temporaires, mises à disposition de personnel des conseils régionaux, remèdes trouvés dans l'urgence sans réflexion à long terme... Quelles sont vos perspectives ? Ne faudrait-il pas formaliser les mises à disposition pour clarifier les moyens humains sur lesquels peut s'appuyer l'agence ?

J'ai reçu un courrier de l'intersyndicale de LADOM, qui se plaint que la Cour n'ait pas répondu à sa demande d'être auditionnée. Elle s'étonne que l'on n'ait pas entendu les représentants de la délégation de Guyane, qui a ses spécificités. Elle pointe également des problèmes d'effectifs et de trésorerie, ou encore la création de nouvelles fonctions centrales sans véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Enfin elle plaide pour que les crédits affectés à la formation des ultramarins et relevant d'autres ministères, comme ceux de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), soient tous pilotés par la délégation générale à l'outre-mer.

M. François-Xavier Bieuville. - Puisque LADOM, sous l'impulsion de sa tutelle, doit substituer aux GIP des conventions de gestion financière avec les conseils régionaux, les emplois temporaires qui ont été créés ont vocation à devenir durables, et le plafond d'emplois de l'agence sera relevé de 30 unités.

Les agents mis à disposition le sont en toute transparence, dans le cadre de conventions financières et de gestion avec les conseils régionaux.

Les syndicats s'inquiètent de frais de trésorerie liés à la lourde procédure de vérification et de contrôle du Fonds social européen, qui a été annualisée : il y a un décalage entre la constatation et le contrôle d'un côté, le versement des subventions de l'autre, et c'est l'agence qui en supporte les frais financiers.

Depuis deux ans et demi, le budget de l'AFPA est passé en marché public, et LADOM est éligible au lot 3. Le marché public arrive à échéance le 15 juin prochain, et nous négocions avec la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et l'AFPA pour qu'il soit renouvelé. LADOM organise ainsi près de 1 200 parcours de jeunes ultramarins dans le cadre de formations assurées par l'AFPA, pour un budget d'environ 19 millions d'euros.

Enfin, je vous rappelle que le nouveau plan de formation vient d'être accepté par le comité d'entreprise, et que les syndicats n'ont émis aucune réserve.

Mme Adeline Baldacchino, auditrice à la Cour des comptes. - Pour choisir les sites à visiter, nous avons procédé à une analyse de risques classique, et sélectionné les délégations ultramarines qui émettaient le plus de bons et formaient le plus de jeunes, comme La Réunion ; en métropole, le choix s'est aussi fondé sur des critères financiers et sur le nombre de conseillers d'insertion professionnelle.

En ce qui concerne les mises à disposition, nous appelons l'agence à être vigilante. Une trentaine d'emplois vont être stabilisés, mais il n'est pas impossible que de nouveaux besoins se fassent sentir. Peut-être les mises à disposition ont-elles été régularisées depuis notre contrôle, mais nous avons alors relevé quelques bizarreries, comme la présence d'agents mis à disposition de manière informelle, sans aucun contrat.

L'intersyndicale a demandé à recevoir le rapport de la Cour, mais les destinataires des rapports sont définis strictement par le code des juridictions financières. J'ai bien sûr rencontré des délégués du personnel, notamment à La Réunion, mais l'intersyndicale n'a pas sollicité de rencontre, que j'aurais évidemment acceptée.

M. Jean-Pierre Bayle. - J'insiste sur le problème posé par la communication des rapports. Vincent Bouvier a fait allusion à nos observations provisoires, mais la commission des finances du Sénat est seule destinataire de notre rapport définitif et l'administration peut en éprouver de la frustration. Cette procédure est tout à fait exorbitante, puisque d'ordinaire nous adressons d'abord nos observations provisoires, après quoi nous procédons à des auditions, avant d'envoyer nos observations définitives, selon le principe du contradictoire. Dans le cas présent, l'administration doit répondre spontanément à un rapport dont elle n'a pas connaissance. Si, dans sa sagesse, votre commission décidait de ne pas publier le rapport...

Mme Michèle André, présidente. - Cela n'arrive jamais...

M. Jean-Pierre Bayle. - C'est arrivé une fois, à l'Assemblée nationale. Comment la Cour pourrait-elle alors faire connaître aux administrations concernées ses observations définitives ? Si nous retournions visiter LADOM en 2012 sans qu'aucun rapport ait été publié cette année, cela poserait problème.

M. François-Xavier Bieuville. - J'ai une part de responsabilité dans le choix des sites car j'ai souhaité donner à Adeline Baldacchino la meilleure connaissance possible du fonctionnement de l'agence. Nous avons sélectionné trois des neuf délégations métropolitaines, et deux des cinq ultramarines : la plus importante, celle de La Réunion, et la plus récente, celle de Mayotte.

Lorsque l'agence a reçu le rapport d'observations provisoires de la Cour, elle a pris des mesures d'anticipation pour lever toute incertitude sur sa volonté de se conformer aux recommandations émises et d'améliorer son fonctionnement.

Mme Michèle André, présidente. - Nous ferons savoir à l'intersyndicale qu'Adeline Baldacchino aurait volontiers reçu ses représentants s'ils lui en avaient fait la demande.

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - La politique immobilière de LADOM doit être rationalisée, juge la Cour. Certaines de ses propriétés en Guyane et à Paris restent inoccupées, alors que d'autres locaux sont loués à Paris. Des ventes sont-elles envisagées ? Le coefficient d'occupation des sols est plus de deux fois plus faible que dans les préconisations applicables aux opérateurs. Comment expliquez-vous cet écart ? Enfin, Georges Patient m'a parlé d'un terrain acheté à Macouria en Guyane et destiné à être revendu sans avoir été utilisé, alors même que la spéculation immobilière sévit dans ce département. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. François-Xavier Bieuville. - LADOM est propriétaire de 500 hectares de forêt à Macouria, ce qui peut paraître curieux pour un opérateur de la mobilité... Lorsque Madagascar est devenue indépendante, les employés d'une société de développement agricole relevant du Bumidom ont été envoyés en Guyane dans une nouvelle filiale du bureau dédiée notamment au développement de l'élevage porcin. C'est de cette époque que date l'acquisition des 500 hectares de forêt. L'activité s'est arrêtée, mais la propriété s'est transmise du Bumidom à l'ANT, puis à LADOM. Le conseil d'administration, qui devra autoriser la cession, m'a permis en juin d'engager des démarches pour vendre ce domaine, et j'ai fait une offre au maire de Macouria. Les négociations, qui se poursuivent cahin-caha depuis dix-huit mois, n'ont pas abouti. Ces terrains sont situés non loin de Cayenne, et il y aurait sans doute une opération immobilière à accomplir, même s'il ne me revient pas d'en juger.

A Paris, l'ANT avait son siège dans un hôtel particulier de la rue Brissac, que nous louons aujourd'hui à Airparif. Le loyer perçu nous permet de louer le siège de l'agence à Saint-Denis - le siège de l'ANT avait été délocalisé en 1993 - et celui de la délégation régionale d'Ile-de-France près de la gare du Nord. Il paraîtrait rationnel de relocaliser le siège à Paris, dans un site partagé avec la délégation régionale ; mais il faudrait pour cela l'accord du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT).

Il est difficile pour l'agence de définir une politique immobilière cohérente étant donné la disparité de prix entre ses neuf implantations métropolitaines et ses cinq d'outre-mer. En métropole, nous bénéficions de baux historiques à bon marché : certes, le taux d'occupation est faible, mais il n'est pas sûr que nous gagnerions à résilier ces baux pour louer des bâtiments moins vastes aux conditions actuelles du marché.

Mme Michèle André, présidente. - Après les rapporteurs spéciaux, je passe la parole à nos autres collègues. Je salue tout particulièrement les sénateurs nouvellement élus : ils verront que l'on fait au Sénat un excellent travail.

M. Michel Vergoz. - J'aimerais donner un coup de projecteur sur la politique dite de « continuité territoriale ». Je n'aime pas que l'on parle de « bons » accordés aux ultramarins pour leurs déplacements : je préférerais « avoirs sur titres ». Sénateur de La Réunion, je suis avant tout un élu de la République ! La continuité territoriale est une notion que l'on a vidée de son sens. La Corse bénéficie chaque année de 180 millions d'euros d'aide d'État pour la continuité territoriale, à quoi s'ajoutent les subventions de la collectivité de Corse, quand les Antilles, la Guyane et La Réunion réunies ne touchent que 100 millions pour la continuité territoriale et les passeports mobilité ! N'y a-t-il pas là deux catégories de Français ? La continuité territoriale avec l'outre-mer n'est qu'un leurre. Il faudrait que l'on puisse décider dans la journée de se rendre en métropole, que les chefs d'entreprise puissent se déplacer en fonction de la demande !

L'article 50 de la LODEOM a créé une usine à gaz. Il y a un an, je me suis étonné que le conseil régional de La Réunion ne soit pas représenté au conseil d'administration de LADOM, qu'il finance à hauteur de 8 millions d'euros, autant que l'État qui prélève une partie du produit de la taxe de l'aviation civile !

La Cour des comptes recommande de « consolider et d'approfondir la voie du conventionnement avec les collectivités ». Il faut ramener tous les partenaires autour de la table, et créer un guichet unique de la mobilité. Je dis bien : de la mobilité. Il sera temps lorsque la crise sera passée de songer à la continuité territoriale, mais ne nous payons pas de mots !

Un bémol sur l'offre de formation, qui est loin d'être toujours satisfaisante. Il y a quinze jours, EDF cherchait encore des ouvriers pour monter une usine thermique ! Et souvenez-vous, il y a dix ans, des carreleurs du port et des soudeurs de l'usine hydro-électrique de Saint-André ! Que dire des infirmières et des aides-soignantes, que nous recrutons dans les autres pays d'Europe ? On ne peut pas tout faire depuis Paris : il faut aller sur le terrain pour rencontrer les dirigeants de PME, de TPE, de services publics. Je me réjouis que ce rapport contribue à bousculer les certitudes.

La politique de mobilité ne favorise pas la concurrence entre les compagnies aériennes ni la baisse des prix. J'ai suggéré au président de région de lancer un appel d'offres sur des ensembles de sièges : le prix serait sûrement inférieur ! Les compagnies s'entendent, comme dans le secteur de l'importation de produits pétroliers, où des entreprises ont été condamnées en première instance puis en appel. Il y a d'immenses chantiers à ouvrir, et je remercie la Cour des comptes et tous les intervenants de nous aider à aller au fond des choses.

Mme Michèle André, présidente. - Soyez-en sûr : la nouvelle délégation à l'outre-mer, voulue par le président Jean-Pierre Bel, y travaillera. Je retiens de votre intervention votre ferme intention d'être considéré comme un sénateur de la République française, et je suis persuadée que vous saurez mettre votre belle énergie au service de notre institution et de nos concitoyens.

M. Félix Desplan. - L'extension des aides à la continuité territoriale aux déplacements internes à la Guyane est à l'étude. Y réfléchissez-vous aussi pour la Guadeloupe, où le même problème se pose pour relier les îles du Sud à la Grande-Terre et à Basse-Terre ?

M. Vincent Bouvier. - L'extension du dispositif aux déplacements internes sera d'abord expérimentée en Guyane, où certaines communes sont très enclavées, et fera l'objet d'une évaluation. Mais nous ne fermons pas la porte à ce que d'autres territoires en bénéficient à l'avenir.

M. Maurice Antiste. - En Martinique, j'ai pu constater l'acharnement de LADOM à résoudre les problèmes rencontrés. Il est bien normal que la Cour des comptes contrôle l'agence, puisqu'elle reçoit des fonds publics, mais je souhaiterais que ses moyens soient renforcés : ses armoires sont pleines de dossiers en souffrance !

La continuité territoriale n'implique pas seulement de faciliter les déplacements. Il y a aussi une continuité immatérielle, qui passe par la culture, l'éducation, etc.

J'ai été heureux de participer à ce débat. Il faut préserver l'outil dont nous disposons et redoubler nos efforts pour répondre aux besoins.

M. François-Xavier Bieuville. - Nous mettons en place une procédure dématérialisée qui permettra de déposer en ligne les demandes d'aide à la continuité territoriale et de passeport mobilité.

M. Maurice Antiste. - Je m'en réjouis : les queues devant les guichets ne sont pas dignes du vingt-et-unième siècle !

Mme Michèle André, présidente. - Maurice Antiste a raison de parler de continuité immatérielle. Au Sénat, nous portons beaucoup d'affection à Aimé Césaire et aux autres poètes et artistes antillais et ultramarins. Le président Jean-Pierre Bayle veut-il conclure ?

M. Jean-Pierre Bayle. - La Cour prend acte des engagements très clairs pris devant votre commission par les représentants de LADOM et de sa tutelle. Ils ne nous ont pas surpris : les auditions nous avaient déjà persuadés de leur bonne volonté. Nous nous assurerons que ces engagements soient tenus.

Mme Michèle André, présidente. - Il me reste à vous remercier, et à demander aux membres de la commission des finances s'ils acceptent la publication du rapport.

M. Éric Doligé, rapporteur spécial. - Je n'y vois pour ma part aucun inconvénient, bien au contraire. Nos nouveaux collègues constateront qu'au Sénat, on s'intéresse beaucoup à l'outre-mer. Si toutes nos recommandations avaient été suivies d'effet, il n'y aurait plus guère de problèmes !

La commission autorise, à l'unanimité, la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte-rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.

Troisième loi de finances rectificative pour 2011 - Examen des amendements

Au cours d'une troisième réunion tenue le soir, la commission procède tout d'abord à l'examen des amendements au projet de loi n° 30 (2011-2012), adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2011.

Article 4

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - L'amendement n° 6 de Mme Beaufils et les membres du groupe CRC propose que tout relèvement de la garantie de l'Etat soit également partagé avec la Belgique et le Luxembourg.

Je comprends l'intention de cet amendement qui vise à protéger l'Etat français au cas où cela irait plus mal, ce qui est légitime. Mais ce faisant, le Parlement adresserait une injonction au gouvernement, de surcroît à une échéance qui n'est pas connue. Il reviendrait à engager l'Etat dans une négociation internationale avec la Belgique et le Luxembourg, Dexia étant, je vous le rappelle, une banque majoritairement belge. Est-ce bien notre rôle ? Je souhaite le retrait de cet amendement.

La commission émet une demande de retrait de l'amendement n° 6.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - L'amendement n° 7 de Mme Beaufils et les membres du groupe CRC a pour objet de protéger les collectivités territoriales en prévoyant que tout relèvement éventuel du plafond de garantie fera l'objet d'une consultation des associations représentatives d'élus locaux. Dans la mesure où les collectivités sont concernées au premier chef, cette démarche est légitime mais pour rendre la procédure plus simple et plus efficace, je vous propose de remplacer la consultation des associations par celle du comité des finances locales.

M. Philippe Marini, président. - De quel plafond de garantie s'agit-il ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Il s'agit des 10 milliards d'euros de prêts structurés qui reste logés dans Dexia-MA.

Mme Marie-France Beaufils. - J'accepte la rectification.

M. François Trucy. - Je m'abstiendrai ainsi qu'un certain nombre de mes collègues.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - L'amendement étant rectifié, avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 7 rectifié.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - L'amendement n° 10 de Mme Goulet propose que Dexia Crédit Local SA et l'ensemble de ses filiales s'engagent à dresser un état complet des procédures contentieuses ou amiables en cours qui les opposent aux collectivités territoriales en raison d'emprunts toxiques souscrits avant le 31 décembre 2011. Il comprend plusieurs imprécisions. Que désignent exactement les procédures judiciaires en cours ? S'agirait-il d'une simple liste nominative ?

De plus, il pourrait être préjudiciable pour les collectivités de voir leur anonymat levé par ce type de document. La publication par un journal du matin d'une liste des collectivités concernées ne leur a pas rendu service. Ne recréons pas ce genre de difficultés pour les collectivités territoriales que nous sommes censés défendre.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Tout à fait. D'ailleurs, nous savons combien de procédures judiciaires sont engagées. Il y en a actuellement huit.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - L'amendement n° 11 du même auteur propose qu'avant le 31 décembre 2011, Dexia S.A fournisse au Parlement un état précis de certains prêts structurés commercialisés sur le territoire national depuis 2007. Je souscris à l'objectif de fournir une information sur ce type d'emprunts mais la préférence prise ici est moins bonne que celle qui est proposée dans un amendement que nous allons examiner.

M. Philippe Marini, président. - En effet les termes contenus dans l'amendement n° 11 ne sont pas juridiques.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 11.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - L'amendement n° 4 de Mme Beaufils et les membres du groupe CRC propose de geler tout versement de dividendes aux actionnaires des sociétés du groupe Dexia afin de consolider la situation financière de celles-ci. Il est satisfait par un amendement de la commission dont la portée est plus large.

La commission émet une demande de retrait de l'amendement n° 4.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - L'amendement n° 5 des mêmes auteurs interdit le versement de rémunérations sous forme d'attributions d'actions gratuites, d'indemnités différées ou encore de bonus aux membres des conseils d'administration et de surveillance des sociétés du groupe Dexia. Cet amendement est satisfait par un amendement de la commission.

La commission émet une demande de retrait de l'amendement n° 5.

Articles additionnels après l'article 4

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - L'amendement n° 8 des mêmes auteurs prévoit de subordonner l'octroi de la garantie de l'Etat à l'examen de chaque situation par une commission spéciale, associant le ministre chargé de l'économie et des finances, le ministre chargé de l'intérieur, les représentants du Parlement, les organismes prêteurs et les associations représentatives d'élus.

Je rappellerai que les collectivités ayant souscrit des emprunts toxiques ont la possibilité de saisir le médiateur du crédit. Nul besoin de créer une telle structure.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - L'examen systématique de chaque dossier sans demande préalable de collectivités ne serait-il pas contraire au principe de l'autonomie locale ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Effectivement, il pourrait y avoir un problème de comptabilité avec le principe de libre administration des collectivités territoriales.

Mme Marie-France Beaufils. - Compte tenu du temps particulièrement court dont nous avons disposé pour préparer ces amendements, il n'est pas impossible que certains éléments de nos propositions puissent être affinés. Cela vaut peut-être pour les problèmes que pourrait poser le caractère systématique de la saisine de la commission. Mais je ne suis pas certaine que le médiateur du crédit soit en état de répondre aux demandes des collectivités.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - En résumé, je comprends l'objet de cet amendement mais j'en demande le retrait.

La commission émet une demande de retrait de l'amendement n° 8.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Je vais maintenant donner la parole au groupe socialiste pour la présentation de l'amendement n° 12 dont le premier signataire est notre collègue Maurice Vincent, qui est aussi maire de Saint-Etienne.

M. François Marc. - Cet amendement vise toute simplement à ce que la clarté soit faite sur la situation des collectivités territoriales et des organismes publics ayant souscrit des emprunts toxiques ainsi que sur l'étendue des risques qu'elles encourent. A cette fin, il s'agit d'obtenir avant le 1er février 2012 un rapport du gouvernement au Parlement donnant la vision la plus exhaustive possible de la situation actuelle. Cette demande vient de notre collègue Maurice Vincent qui, en tant que maire de Saint-Etienne, connaît ces situations délicates

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Avis favorable à cet amendement qui prévoit un bilan de la situation conservant l'anonymat des collectivités.

M. Aymeri de Montesquiou. - On est tout de même un peu surpris d'entendre qu'une collectivité puisse avoir besoin d'un rapport pour connaître sa propre situation au regard des emprunts toxiques. Et que deviendra ce rapport ? A quoi servira-t-il ?

M. François Marc. - Il s'agit d'un rapport informant le Parlement, non les collectivités.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - En effet, au-delà des problèmes rencontrés par notre collègue Maurice Vincent, il s'agit d'assurer une information sur la situation de l'ensemble des collectivités. Nous en avons besoin car nous n'arrivons pas à savoir ce qu'il en est du montant total de 4 milliards d'emprunts toxiques qui a été avancé, ni à connaître la façon dont il évolue.

Je vous rappelle que l'Assemblée nationale a créé une commission d'enquête sur le sujet. La demande de ce rapport est bien le moins que le Sénat puisse faire.

M. Aymeri de Montesquiou. - Je comprends mais telle que les choses étaient présentées, elles donnaient le sentiment que l'information était destinée aux collectivités concernées.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 12.

Troisième loi de finances rectificative pour 2011 - Désignation des candidats à une éventuelle commission mixte paritaire

Puis, M. Philippe Marini, Mme Nicole Bricq, MM. François Marc, François Patriat, Eric Bocquet, Charles Guené et Aymeri de Montesquiou sont désignés comme candidats titulaires, et Mme Michèle André, MM. Georges Patient, Marc Massion, Yvon Collin, Francis Delattre, Philippe Dominati et François Trucy sont désignés comme candidats suppléants, pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi n° 30 (2011-2012) de finances rectificative pour 2011.