Mardi 8 novembre 2011

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Loi de finances pour 2012 - Audition de Mme Laurence Franceschini, directrice générale des médias et des industries culturelles au ministère de la culture et de la communication

La commission auditionne Mme Laurence Franceschini, directrice générale des médias et des industries culturelles au ministère de la culture et de la communication, sur le projet de loi de finances pour 2012 (programme « action audiovisuelle extérieure » de la mission Médias).

M. Jean-Louis Carrère, président - Nous sommes heureux, Madame la directrice générale, de vous accueillir à nouveau devant notre commission pour cette audition consacrée aux crédits destinés à l'audiovisuel extérieur dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012. Vous pourrez peut-être nous dire s'ils ont fait l'objet d'un réexamen dans le prolongement de l'annonce, lundi dernier, par le Premier ministre, de mesures d'économies supplémentaires.

Comme vous le savez, notre commission, et tout particulièrement nos rapporteurs pour avis, Mme Joëlle Garriaud-Maylam et M. Yves Rome, suivent avec un grand intérêt le déroulement de la réforme de l'audiovisuel extérieur.

Permettez-moi une observation. Du temps de l'O.R.T.F., on reprochait à l'Etat sa mainmise sur les médias. Aujourd'hui, on peut se demander si nous ne sommes pas tombés dans l'excès inverse avec l'audiovisuel extérieur. En effet, il semble que l'Etat, face à la crise de gouvernance dont chacun a entendu parler, ait plutôt choisi l'attentisme, voire le « laisser faire ». On a ainsi laissé se développer des contentieux dont les conséquences médiatiques et financières ne paraissent pas bénéfiques à l'audiovisuel extérieur. La question, pour nous essentielle, est de savoir si la dotation budgétaire sur laquelle nous devons émettre un avis est employée de façon optimale au service du rayonnement audiovisuel de la France. En prenant soin d'éviter toute polémique à caractère personnel, je serais tenté de résumer la situation de la manière suivante : soit la gouvernance ne fonctionne pas bien, et alors pourquoi l'Etat actionnaire n'intervient-il pas en conseil d'administration pour la faire évoluer ? Soit elle donne satisfaction et, dans cette hypothèse, la logique devrait conduire à réexaminer la construction même de l'édifice de l'audiovisuel extérieur.

Nous souhaiterions donc vous entendre sur le bilan de la réforme de l'audiovisuel extérieur, son financement et son avenir. Nos rapporteurs et les autres membres de la commission auront certainement des questions plus détaillées à vous poser.

Mme Laurence Franceschini, directrice générale des médias et des industries culturelles au ministère de la culture et de la communication. - Je vous remercie de votre accueil. Comme vous le savez, la réforme de l'audiovisuel extérieur de la France a été engagée durant l'été 2007, à l'initiative du Président de la République, un an après le lancement de France 24 - je rappelle, par une incidente, que la création de cette chaine est née de la volonté de faire entendre la voix de la France au moment où on a pu constater que la guerre d'Irak était principalement couverte par des médias anglo-saxons. La réforme de l'audiovisuel extérieur a pour objectif d'améliorer la cohérence de la politique audiovisuelle extérieure de la France et l'efficacité de chacune de ses entités.

Cette réforme ambitieuse repose sur le choix, effectué au terme de plusieurs années de débats, de constituer un groupe consacré à l'audiovisuel extérieur. Cette solution a été préférée à celle -qui semble d'ailleurs renaître dans la réflexion conduite par la mission d'information de l'Assemblée nationale- d'un rapprochement avec le reste de l'audiovisuel public (France Télévisions et Radio France), qui, bien que présentant des avantages au niveau du potentiel de synergie des métiers, aurait présenté le risque de voir l'activité audiovisuelle extérieure marginalisée au sein d'entités avant tout préoccupées par la satisfaction du public résidant sur le territoire français.

Une des principales décisions prises dans le cadre de la réforme a ainsi été de créer une société holding regroupant l'ensemble des participations publiques dans les sociétés de l'audiovisuel extérieur. La société Audiovisuel Extérieur de la France (AEF) a donc été créée en avril 2008 et son capital est détenu à 100 % par l'État. Elle a pour filiales à 100 % Radio France Internationale (RFI) et France 24 ; TV5 Monde, qu'elle détient à 49 %, en est un partenaire.

Vous m'interrogez sur le bilan de cette réforme aujourd'hui largement engagée et qui commence, trois ans après son lancement, à produire un certain nombre d'effets.

On constate tout d'abord que la présence française et francophone dans le paysage audiovisuel mondial s'est globalement renforcée depuis 2008. RFI, France 24 et TV5 Monde ont étendu leur couverture mondiale, et France 24 a lancé une diffusion 24h/24 en langue arabe en octobre 2010. France 24 dispose donc, désormais, de trois canaux, en français, en anglais, en arabe.

On a vu, lors des récents événements dans le monde arabe, que la notoriété de France 24, notamment en Tunisie, s'était affermie, ce qui est un réel succès pour une chaîne aussi jeune. La forte progression de la fréquentation des sites internet des entités du groupe montre que la qualité de l'information produite a été appréciée.

Sur le plan de la gestion, le plan global de modernisation de RFI a permis d'assainir la situation financière du groupe. Les choix stratégiques qui ont été faits, notamment sur les langues de diffusion, ont permis d'adapter la radio aux nouvelles évolutions politiques et technologiques de son environnement. J'ajoute que cette volonté de réforme des langues de diffusion sur RFI s'était manifestée dès la fin des années 1990, mais qu'elle n'avait pas pu aboutir en raison des tensions sociales qu'elle provoquait.

Enfin, la mise en oeuvre du plan stratégique de TV5 Monde a permis de renforcer la distribution de la chaîne, de consolider ses audiences et de proposer une offre de média global.

Par ailleurs, des synergies se développent au sein du groupe. Ainsi, les journalistes de France 24, RFI et TV5 Monde collaborent régulièrement. En particulier, les journalistes de MCD et de France 24 travaillent ensemble au sein du pôle arabophone, et une fusion du site internet de MCD avec celui de France 24 arabe a été opérée en mars 2010. Des rapprochements sont également intervenus dans le domaine de la distribution. Alors qu'on entend parfois évoquer l'existence d'une sorte de concurrence entre France 24 et TV5 Monde, en matière de distribution - qui constitue le « nerf de la guerre » du rayonnement médiatique-, je tiens à rappeler que TV5 détient un mandat exclusif de prospection, de distribution et de promotion de France 24 dans un nombre important de pays d'Asie. Les synergies sur les mesures d'audience sont également, aujourd'hui, une réalité.

Toutefois, les défis auxquels le groupe AEF doit encore faire face sont nombreux, et la réforme n'est pas encore achevée. Il est donc essentiel, pour le groupe et les salariés qui le composent, de continuer à avancer. Je rappelle l'échéance très importante que constitue l'installation de RFI à proximité de France 24 dès le printemps prochain, pour faciliter le travail en commun des équipes. RFI pourra ainsi bénéficier de locaux plus spacieux et d'équipements modernisés. L'année 2012 sera également marquée par la poursuite du plan stratégique 2009-2012 de TV5 Monde, le développement de la distribution mondiale de France 24 et de la diffusion multilingue de RFI sur tous les supports.

S'agissant du PLF 2012, après un effort soutenu pour accompagner la constitution du groupe, les économies résultant des synergies entre les différentes sociétés du groupe Audiovisuel Extérieur de la France permettent de réduire les ressources publiques de 3,8 % entre la LFI 2011 et le PLF 2012, tout en maintenant les objectifs de développement de l'audiovisuel extérieur. Cette logique de diminution de la dotation publique émane du projet d'AEF. Le total de la dotation publique du groupe qui réunit France 24, RFI et le partenaire TV5 Monde passe ainsi de 330,1 M€ TTC (327,5 M€ HT) en LFI 2011 à 318,7 M€ TTC (315,2 M€ HT) dans le PLF 2012. S'agissant de la négociation du contrat d'objectifs et de moyens, les orientations stratégiques du contrat d'objectifs et de moyens d'AEF ont été fixées en concertation entre AEF et les administrations concernées. Le président Jean-Louis Carrère m'a interrogé sur les éventuelles conséquences pour l'audiovisuel extérieur du nouvel effort demandé aux finances publiques par le Gouvernement : je peux simplement, à mon niveau administratif, vous indiquer que j'ai mis en avant les arguments qui militent pour un maintien des crédits. A mon sens, une sévérité budgétaire accrue permettrait difficilement de financer la poursuite de la réforme de l'audiovisuel dans de bonnes conditions.

Par ailleurs, je précise que la négociation du contrat d'objectifs et de moyens d'AEF a achoppé sur la définition du plan d'affaires de la société, celle-ci ayant dû revoir plusieurs fois ses prévisions. Compte tenu de l'ampleur de la réforme engagée, le fait que des hypothèses soient révisées n'est pas surprenant en soi. Afin de conclure au plus vite ce contrat, le Gouvernement a confié à l'Inspection générale des finances la mission de procéder à une analyse détaillée de la situation financière du groupe. A partir de l'étude des conclusions de l'Inspection générale des finances et en étroite collaboration avec AEF, le Gouvernement définira les suites qui doivent être données à ce rapport. En particulier, il s'agit d'arrêter définitivement la trajectoire de ressources publiques d'AEF sur la période 2011-2013, afin de finaliser au plus vite le contrat d'objectifs et de moyens du groupe. Les travaux sur le COM reprennent activement en ce moment.

Enfin, à votre question embarrassante sur la gouvernance de l'AEF, vous comprendrez que je ne puis vous apporter qu'une réponse incomplète : j'observe simplement que la désignation de M. Pierre Hanotaux me semble très positive au plan humain et je crois également qu'elle est de nature à faciliter le dialogue de l'AEF avec ses interlocuteurs administratifs.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam - J'ai plusieurs interrogations et je mentionnerai également celles de M. Yves Rome avec lequel je rapporte ces crédits. Tout d'abord, on constate une baisse de la dotation globale à l'audiovisuel extérieur pour 2012, mais nous ne sommes pas en possession d'éléments précis sur la répartition de cette dotation ni sur la stratégie de la société de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF). Qui de TV5, France 24 ou RFI risque plus particulièrement de subir les conséquences de cette diminution des crédits ? Yves Rome et moi-même nous inquiétons particulièrement du sort réservé à TV5 Monde, qui demeure le pilier fondamental de notre audiovisuel extérieur, mais dont on peut craindre qu'elle soit le « parent pauvre » à l'intérieur de la l'AEF. Je rappelle que TV5 Monde n'est pas, à la différence de France 24 et RFI, une filiale à 100 % mais un partenaire de la holding.

En second lieu, nous avons été un peu surpris de ne pas avoir été destinataires du rapport de l'Inspection des finances chargée d'examiner la gestion de la holding Audiovisuel extérieur de la France. Permettez-moi de me demander pourquoi ce n'est pas plutôt la Cour des comptes qui a été sollicitée pour cette tâche, alors que, conformément à l'article 47-2 de la Constitution, cette juridiction financière « assiste le Parlement dans le contrôle de l'action du Gouvernement » et « assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances. »

En ce qui concerne les difficultés de conclusion du contrat d'objectif entre l'Etat et l'AEF, et comme le président Alain de Pouzilhac l'a indiqué à plusieurs reprises, un des points d'achoppement des négociations concernerait un point très particulier : la compensation d'un financement, à hauteur de 1,2 million d'euros, qui permettrait de supprimer une émission de prêche évangéliste sur Monte Carlo Doualiya. Est-ce bien la seule difficulté, et, en tous cas, quelle est la solution envisagée pour y remédier ?

Notre président a évoqué les dysfonctionnements de la gouvernance de l'AEF et je me demande également dans quelle mesure ils sont le révélateur de difficultés structurelles au sein de l'AEF. En même temps, comme Mme Franceschini, je me réjouis de la nomination de M. Pierre Hanotaux dont je peux personnellement témoigner qu'il a fait preuve de remarquables qualités.

Par ailleurs, lorsque nous l'avons entendu, le président de l'AEF a semblé accorder autant et sinon plus d'importance à la francophilie - avec, en particulier, la diffusion en langue arabe ou anglaise de France 24 - qu'à la francophonie. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec cette position de principe et je m'appuie sur un certain nombre d'exemples d'émissions diffusées par France 24 en anglais pour constater que le rôle de la France et les événements essentiels de la vie politique ou sociale de notre pays ne sont pas suffisamment et parfois pas du tout- relatés. Il me semble également que France 24 pourrait mieux mettre en évidence le rôle des femmes.

J'ajoute que j'attache une importance fondamentale à l'usage de la langue française et c'est pourquoi le recours accru au sous-titrage en anglais des programmes d'informations diffusés en français me paraît a priori préférable à la diffusion de programmes en langue anglaise, surtout lorsque ces derniers ne parlent pas assez de l'action internationale de la France. Sans doute pourrait-on trouver des solutions innovantes au problème du sous-titrage des émissions d'information qui paraît soulever des difficultés techniques particulières.

Je voudrais également vous interroger sur le coût du déménagement de RFI et, enfin, sur la tutelle de l'audiovisuel extérieur. Enfin, je ne suis pas convaincue qu'une double ou une multi-tutelle soit un gage d'efficacité, et il me semblerait plus judicieux de réserver au ministère en charge des affaires étrangères celle de l'audiovisuel extérieur : quel est votre point de vue à ce sujet ?

Mme Nathalie Goulet - Je rappelle m'être résolument opposée à toute mesure de privatisation de Radio France Internationale lors des débats parlementaires de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie. Je souhaite ensuite bien souligner la différence entre une radiodiffusion par voie hertzienne et par le biais d'internet, surtout dans les pays où ce dernier est contrôlé. J'estime ainsi nécessaire que la diffusion de la voix de la France en langue persane, à laquelle j'attache un intérêt tout particulier, ne soit pas cantonnée à une radio par internet. Enfin, je voudrais vous interroger sur la gestion et les issues possibles des conflits sociaux à RFI, ainsi que sur les conséquences budgétaires des licenciements qui ont été décidés.

Mme Laurence Franceschini, directrice générale des médias et des industries culturelles au ministère de la culture et de la communication, - Voici les éléments de réponse que je puis vous apporter.

Au plan budgétaire, vous savez que l'AEF, comme les autres sociétés en charge de l'audiovisuel, se voit attribuer une dotation globale, sur laquelle se prononce le Parlement, et non pas des crédits individualisés pour chaque entité qui la compose. La ventilation de la subvention versée au groupe AEF en 2012 entre les différentes entités du groupe n'est pas arrêtée. Elle le sera dans le budget 2012 du groupe, qui sera voté au conseil administration de décembre 2011, et dépendra des discussions qui se tiendront entre AEF et les administrations de tutelle, notamment suite aux préconisations de l'Inspection générale des finances. Par ailleurs, je partage pleinement l'appréciation très positive que vous portez sur TV5 Monde : la conférence ministérielle de TV5 qui aura lieu les 5 et 6 décembre prochain sera placée sous présidence française, ce qui témoigne de l'intérêt de la France pour cette chaîne. La contribution de la France y sera confirmée : il est prévu de la maintenir en 2012 au moins au niveau de 2011.

En second lieu, le choix de confier une mission d'audit à l'Inspection générale des finances a été fait par Matignon. La Cour des comptes s'est, dans le passé, illustrée en publiant des rapports d'un très grand intérêt sur l'audiovisuel extérieur et rien ne dit qu'elle ne va pas très bientôt se saisir à nouveau de cette question : si elle prenait une telle initiative je suis convaincue qu'on ne pourrait que s'en féliciter.

Vous avez également soulevé une problématique très intéressante en évoquant les émissions diffusées en anglais par France 24. Vous comprendrez qu'il m'est difficile de me prononcer à ce sujet car, bien entendu, l'Etat n'exerce pas de contrôle éditorial sur les chaînes. Le Parlement a cependant toute latitude pour évoquer ces questions lorsqu'il dialogue avec le président de l'AEF.

Vous avez également souligné, à juste titre, combien TV5 Monde, par nature, porte l'étendard de la francophonie. J'ajoute que des garanties ont été apportées aux partenaires de la France sur le positionnement de TV5 Monde dans l'audiovisuel extérieur : elles seront bientôt réaffirmées. S'agissant de France 24, plutôt que de rattacher le message qu'elle diffuse à un concept de francophilie ou même de rayonnement de la France, je préfère rappeler très concrètement qu'avant le lancement de cette chaine le point de vue français n'était pas suffisamment exprimé dans le paysage audiovisuel international. Plus généralement, le soutien de la « francophonie » ne s'oppose pas au fait de s'adresser aux autres publics, francophiles ou moins proches de nous. La francophonie reste une dimension essentielle de notre rayonnement international, et TV5 l'incarne avec brio, mais il faut également s'adresser au monde dans des langues accessibles à des publics plus larges ou prioritaires, je pense notamment à l'arabe. Je saisis l'occasion de rappeler que, selon la charte qui fixe les missions principales et le cadre organisationnel de TV5, la mission générale de service public de cette chaîne consiste à « servir de vitrine à l'ensemble de la francophonie ». Ce texte précise également que TV5 doit « favoriser les échanges de programmes entre les pays francophones et l'exportation internationale de programmes francophones » et « favoriser l'expression de la créativité audiovisuelle et cinématographique francophone ». En particulier, TV5 est le relais d'expression de la francophonie du Sud : la Charte TV5 prévoit, à ce sujet, que « la place des programmes des pays du Sud, notamment ceux d'Afrique francophone » doit être « valorisée dans les grilles de TV5 ». Il est également prévu que « TV5 diffuse un journal quotidien consacré à l'actualité africaine ». Par ailleurs, la charte indique que « TV5 Monde s'assure, dans la construction de sa programmation, d'un équilibre entre les programmes provenant des territoires des partenaires de la Francophonie ». Je souligne également qu'en tant que chaîne généraliste internationale francophone, TV5 Monde soutient l'apprentissage et l'enseignement de la langue française. Elle est enfin présente lors de tous les grands événements de la francophonie.

Assurément, les raisons pour lesquelles le COM n'a pas été conclu ne se réduisent pas au désaccord relatif au prêche évangélique, que vous avez mentionné et dont l'enjeu financier est modeste. Je fais d'ailleurs observer plus généralement que la négociation du COM ne se limite pas à une analyse ligne par ligne ; elle s'attache avant tout à définir une stratégie globale sur laquelle les dirigeants doivent s'engager.

En ce qui concerne la diffusion du canal de RFI en persan, je rejoins votre analyse qui consiste à souligner les limites de la seule diffusion par internet, ce qui est éloigné des préoccupations et des moyens d'écoute à la disposition de certaines populations, et j'ajoute qu'il en va de même pour le mandarin. Je saisis l'occasion pour saluer la capacité de RFI à réinstaller des émetteurs hertziens lorsqu'une situation de crise l'exige et je rends hommage au dévouement des journalistes de RFI blessés ou tués dans l'exercice de leurs fonctions en essayant de faire vivre l'information dans des zones de conflit. Plus généralement, la réforme des langues à RFI était tout à fait nécessaire : les langues de diffusion de RFI ont été revues et les rédactions en langue étrangères ont été réorganisées. Il s'agit d'adapter l'organisation aux priorités géostratégiques, avec la mise en place de deux rédactions, l'une consacrée spécifiquement à l'Afrique et la seconde regroupant l'ensemble des autres langues, et d'accroitre la dimension de média global de RFI en intégrant les rédactions Internet aux rédactions classiques. En tous cas, je réaffirme que la porte n'est pas fermée à l'introduction de nouvelles langues de diffusion, en particulier lorsque les effectifs et l'organisation de RFI seront stabilisés. S'agissant du calendrier de réorganisation de RFI et de France 24, il ne pourra être défini qu'à partir du 18 novembre, date à laquelle une décision judiciaire statuera sur les conditions des consultations des instances représentatives du personnel s'agissant du processus de fusion.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam - Je précise simplement que mon propos consistait à se demander, sur la base d'exemples, si le canal de France 24 diffusé en anglais exprime suffisamment, en l'état actuel des choses, une vision authentiquement française de l'actualité.

Mme Hélène Conway Mouret - En ce qui concerne le projet de fusion entre France 24 et RFI, je souhaiterais savoir dans quelle mesure vous avez pu tirer des enseignements de l'expérience de la BBC, qui a conservé deux rédactions différentes mais en désignant un directeur de l'information commun. Par ailleurs, je m'interroge sur les économies attendues par la réorganisation. Enfin, quelles sont les perspectives de développement des liens entre l'Institut français et l'audiovisuel extérieur ?

M. Jean Besson - Je regrette l'insuffisance des efforts accomplis pour faire avancer les négociations avec les grandes compagnies hôtelières pour élargir la diffusion de TV5 Monde : l'enjeu est fondamental puisqu'il s'agit de centaines de milliers de téléspectateurs potentiels supplémentaires. En second lieu, je suis moi aussi très favorable au développement de l'effort de sous-titrage d'émissions diffusées en français : Arte y parvient de façon exemplaire et j'estime plutôt choquant que la France soit représentée par un canal d'information en anglais.

M. Jean-Louis Carrère, président - Je rappelle qu'on nous oppose habituellement, à ce sujet, que les anglo-saxons ne regardent pas les chaînes sous-titrées.

M. Robert del Picchia - Voici mon point de vue en tant que téléspectateur vivant à l'étranger et en tant qu'ancien journaliste de RFI. Il y a une trentaine d'années la multiplication des langues avait créé une situation à la fois excessivement complexe et coûteuse : la réorganisation était donc nécessaire. Aujourd'hui, il faut se rendre à l'évidence : l'anglais domine partout dans le monde, ce qui ne veut pas dire que l'usage du français ne doit pas être encouragé -bien au contraire, surtout en Afrique. J'ajoute qu'il est essentiel de tenir compte des rythmes de vie et du décalage horaire dans la diffusion des programmes de notre audiovisuel extérieur. Ainsi, la radio est un média très écouté le matin, notamment par ceux qui se déplacent en voiture vers leur lieu de travail et qui ne sont pas connectés à internet. Par ailleurs, j'estime que les mécanismes de rediffusion utilisés par TV5 sont exemplaires car ils permettent de suivre les programmes quel que soit l'endroit du monde où l'on se trouve. Je signale également que certains hôtels sont liés par le contrat qui les lie avec un câblo-opérateur ou un diffuseur par satellite. J'ajoute enfin qu'internet est un moyen moderne d'écouter toutes les radios du monde, et il existe aujourd'hui de nouveaux appareils qui le permettent.

Je termine en m'interrogeant sur les raison pour lesquelles aucun contrat d'objectifs et de moyens n'a pu être conclu entre l'Etat et l'AEF et en réaffirmant mon attachement indéfectible à la liberté de la presse.

M. Jean-Louis Carrère, président - Tout le monde n'a pas accès à internet et nous devons nous inquiéter de l'accès à l'information des populations en difficulté et gouvernées par des régimes qui ne respectent pas les bases de la démocratie.

M. Jean-Pierre Demerliat - Je suggère, pour ma part, de favoriser la diffusion par l'audiovisuel extérieur de programmes en langue étrangère, à condition que ces derniers parlent de la France et des événements qui s'y produisent.

Mme Laurence Franceschini - La réorganisation des rédactions qui est envisagée, avec un travail en commun des équipes de France 24 et de RFI, est un élément déterminant de la réussite des objectifs de la réforme de l'audiovisuel extérieur. Grâce au partage de l'information, des savoirs et des compétences, elle doit permettre de porter un projet éditorial ambitieux et cohérent entre les différents médias du groupe. Rien ne dit d'ailleurs que la BBC ne sera pas un jour tentée de s'inspirer de la réforme conduite en France. Je pense, à cet égard, qu'il est préférable de laisser l'audiovisuel extérieur aller jusqu'au bout de ces choix. Je souligne que le but principal de cette réorganisation des rédactions n'est pas de réaliser des économies budgétaires mais d'améliorer l'efficacité de notre audiovisuel extérieur. S'agissant des économies budgétaires induites par l'ensemble des synergies, on peut les apprécier évaluer, pour 2012, au travers de la diminution des ressources publiques allouées à l'AEF.

Je rejoins votre diagnostic sur la nécessité d'établir des liens entre l'audiovisuel extérieur et l'Institut français : des conventions seront conclues entre ces deux entités.

En ce qui concerne la négociation avec les compagnies hôtelières pour améliorer la diffusion de TV5, beaucoup a été fait, mais nous allons cependant, dans le sillage de vos recommandations, redoubler d'efforts.

Votre proposition tendant à généraliser le sous-titrage des émissions diffusées par France 24 me paraît également très pertinente et cette dernière pourrait bénéficier de l'expérience et du savoir-faire de TV5 Monde dans ce domaine.

Je rappelle enfin, en ce qui concerne la négociation du COM, que la trajectoire financière très ambitieuse prévue par les dirigeants d'AEF n'a pas été confirmée dans les faits.

M. André Trillard - A propos du sous-titrage, je déplore qu'on ne puisse pas avoir accès au radio-texte, permettant de s'informer sur le morceau de musique en cours de diffusion, sur France-Musique, alors que Radio classique le permet sans difficulté. J'en déduis, à partir de cet exemple, qu'il est utile de combattre les réflexes un peu rétrogrades qui peuvent subsister et de s'inspirer des expériences réussies

Mme Laurence Franceschini - Je me rallie pleinement à votre observation. J'ajoute que, s'il est nécessaire de laisser une marge de manoeuvre suffisante aux dirigeants de l'audiovisuel, l'Etat doit également faire valoir son point de vue.

Création de la force de gendarmerie européenne EUROGENDFOR - Examen du rapport et du texte de la commission

Puis la commission examine le rapport de M. Jean-Louis Carrère sur le projet de loi n° 669 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité entre le Royaume d'Espagne, la République française, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas et la République portugaise, portant création de la force de gendarmerie européenne EUROGENDFOR.

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. - Le Sénat est saisi du projet de loi n° 669 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité portant création de la force de gendarmerie européenne (FGE ou EUROGENDFOR), dont j'avais été désigné comme rapporteur, avant l'été, et dont notre collègue Alain Néri a été le rapporteur pour la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale l'année dernière.

Si l'on ne peut que se féliciter de la création de cette force de gendarmerie européenne, le projet de loi qui nous est soumis pose une question de principe, qui tient au statut et à l'usage du français au sein de cette force.

Mais avant d'évoquer ce point, je voudrais rappeler brièvement l'origine, le rôle et le fonctionnement de la force de gendarmerie européenne et vous présenter le texte sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer.

La Force de gendarmerie européenne a été créée en 2004, à l'initiative de l'ancien ministre de la défense, Mme Michèle Alliot-Marie.

Cette force n'est pas un organisme de l'Union européenne, mais une coopération intergouvernementale, une sorte de « coopération renforcée », menée en dehors du cadre des traités, entre plusieurs pays membres de l'Union européenne qui disposent d'une force de police à statut militaire.

Les cinq pays fondateurs de cette force sont : l'Espagne, la France, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal. Ils ont été rejoints en 2008 par la Roumanie.

Outre ses six pays membres, la Force de gendarmerie européenne compte deux pays partenaires : la Pologne et la Lituanie. Enfin, en 2009, la Turquie s'est vu octroyer le statut d'observateur.

Je précise d'emblée que ni le Royaume-Uni, ni l'Allemagne ne font partie de la Force de gendarmerie européenne, car ces pays ne disposent pas de force de police à statut militaire.

Il s'agit là d'une spécificité que l'on retrouve surtout dans les pays de tradition latine, avec par exemple la garde civile espagnole ou l'Arme des carabiniers italiens, même si le modèle de la « gendarmerie » attire aussi de nombreux pays d'Europe centrale et orientale, comme la Pologne par exemple.

La Force de gendarmerie européenne a été créée afin de contribuer au développement de la politique européenne de sécurité et de défense, et, plus particulièrement, à l'objectif de doter l'Union européenne d'une capacité à conduire toutes les missions d'une force de police lors d'opérations de gestion de crise.

Elle peut aussi être mise à la disposition de l'ONU, de l'OSCE, de l'OTAN ou bien d'autres organisations internationales ou encore d'une coalition ad hoc.

La principale « valeur ajoutée » de la Force de gendarmerie européenne tient au fait qu'il s'agit d'une force « robuste », capable d'agir dans un environnement non stabilisé et de faire face aux différentes situations de maintien de l'ordre et de sécurité publique.

Le caractère « militaire » de cette force lui permet, en effet, d'être utilisée dans un très large spectre de missions et dans l'ensemble de l'arc de la crise, depuis la phase militaire, jusqu'à la phase de stabilisation, avec une aptitude particulière pour les situations intermédiaires entre la guerre et la paix.

Opérationnelle depuis 2006, la Force de gendarmerie européenne est engagée depuis 2007 en Bosnie-Herzégovine, dans le cadre de l'opération Althéa de l'Union européenne (132 gendarmes, dont 4 français). En 2010, elle a également été engagée à Haïti sous mandat de l'ONU (270 effectifs dont 147 gendarmes français). Depuis décembre 2009, la FGE contribue à la formation de la police afghane au sein de la mission de l'OTAN. C'est dans ce cadre que la France a engagé près de 200 gendarmes, qui assurent des missions de formation dans les écoles de police ou qui accompagnent les policiers afghans sur le terrain.

A l'image de l'OTAN, la Force de gendarmerie européenne n'est pas un corps de gendarmerie multinational. Elle ne dispose pas en propre de personnels ou d'équipements.

En effet, chaque composante de cette force reste placée sous les ordres de ses autorités nationales.

L'instance de décision est le Comité interministériel de haut niveau (CIMIN), qui est composé de représentants des ministères des affaires étrangères, des ministères de la défense ou de l'intérieur de chaque Etat membre, et qui statue à l'unanimité.

La Force de gendarmerie européenne comprend un état-major permanent, multinational, modulable et projetable, installé à Vicenza (en Italie), qui se compose d'une trentaine d'officiers et de sous-officiers supérieurs, issus des six pays participant à la force.

La répartition des différents postes fait l'objet d'une rotation égalitaire entre les six pays tous les deux ans (la France compte six officiers français insérés à l'état-major).

Elle dispose d'une capacité initiale de réaction rapide de 800 gendarmes pouvant être déployés sur un théâtre extérieur dans un délai inférieur à 30 jours. L'effectif maximal mis à la disposition de la force peut atteindre 2 300 hommes et femmes.

Les forces mises à la disposition de la force par les pays participants sont regroupées en unités, comprenant chacune environ cent vingt gendarmes. La gendarmerie française est le plus gros contributeur en personnels de la force.

La Force de gendarmerie européenne est financée par des contributions des Etats participants, selon une clé de répartition fondée sur le nombre d'officiers de la nationalité de l'Etat concerné.

En 2010, la contribution de la France s'élevait à plus de 56 000 euros sur un budget total de 290 000 euros. Cette contribution est prélevée sur le budget de la gendarmerie nationale.

S'y ajoute le coût du déploiement des gendarmes français dans les opérations, en Bosnie et en Afghanistan.

Actuellement, la Force de gendarmerie européenne repose sur une simple déclaration d'intention, signée en septembre 2004 par les ministres de la défense des cinq pays fondateurs.

Cette déclaration d'intention a été complétée depuis par plusieurs documents, comme des arrangements techniques sur les questions financières, un document relatif au statut des membres, des observateurs et des partenaires, ou encore un document relatif à la participation des Etats au processus de planification.

Toutefois, son statut juridique actuel n'est pas très clair.

Son remplacement par un véritable traité international devrait permettre de doter la Force de gendarmerie européenne d'un fondement juridique incontestable et de clarifier un certain nombre de questions d'ordre juridique, comme les droits et obligations du personnel ou encore le droit applicable lors d'opérations extérieures.

Le traité portant création de la Force de gendarmerie européenne a été signé à Velsen aux Pays-Bas, le 18 octobre 2007, par les cinq Etats fondateurs. Il comporte 47 articles.

Ses stipulations s'inspirent de la déclaration d'intention de 2004 et des arrangements techniques ultérieurs, mais elles apportent également certaines précisions utiles, par exemple en ce qui concerne les privilèges et immunités ou encore le droit applicable.

Ainsi, le statut des personnels détachés au quartier général de la force s'inspire de celui prévu pour les personnels des organisations internationales ou des représentations diplomatiques.

Ces personnels bénéficient de la plupart des privilèges et immunités, et peuvent même porter leur arme et leur uniforme, sous réserve du respect de la législation du pays hôte.

De même, les biens de la Force sont inviolables et leur accès est soumis à l'autorisation du commandant de la force.

En définitive, ce traité permet de conforter le statut juridique de la Force de gendarmerie européenne et d'apporter certaines précisions.

Il a d'ores et déjà été ratifié par les quatre autres pays signataires et il ne manque plus que la ratification par la France pour permettre son entrée en vigueur.

Le projet de loi autorisant sa ratification a déjà été adopté par l'Assemblée nationale et il nous appartient désormais de nous prononcer.

Que faut-il penser de ce traité ?

La création, à l'initiative de la France, de la Force de gendarmerie européenne me paraît être une excellente chose.

Elle illustre, en effet, l'intérêt pour un pays de disposer d'une force de police à statut militaire, à l'image de la gendarmerie nationale, en particulier dans le cadre d'opérations extérieures.

L'expérience des Balkans, comme au Kosovo par exemple, montre, en effet, qu'il existe une phase intermédiaire, entre l'action militaire proprement dite et le rétablissement de la paix, qui nécessite une action parfois « musclée » de maintien de l'ordre, pour laquelle ni les militaires, ni les policiers ne sont bien préparés et pour laquelle les forces de police à statut militaire, de type « gendarmerie » paraissent au contraire particulièrement adaptées.

Le présent traité permettra donc de conforter son statut et de clarifier certaines incertitudes juridiques.

Il présente toutefois une difficulté importante, qui tient au régime linguistique.

En effet, l'article 38 stipule - je cite : « les langues officielles de l'EUROGENDFOR sont celles des Parties. Une langue de travail commune peut être utilisée ».

Certes, cet article prévoit que toutes les langues officielles des Etats parties - comme le Français, l'Espagnol ou l'Italien - auront le statut de langue officielle au sein de la Force de gendarmerie européenne. Mais cet article ouvre la possibilité de recourir à une seule langue de travail.

Or, en pratique, c'est l'anglais qui est d'ores et déjà utilisé comme unique langue de travail au sein de la Force de gendarmerie européenne.

Ainsi, les documents publiés sur le site Internet de la Force sont uniquement disponibles en anglais.

Et, cela alors que la Force de gendarmerie européenne ne comprend pas le Royaume-Uni, ni aucun autre pays anglo-saxons, mais qu'elle ne comporte -outre les Pays-Bas - que des pays latins, comme l'Espagne ou l'Italie !

Certes, on comprend tous les avantages d'une langue de travail unique, en termes de réduction des coûts et d'efficacité. Mais n'est-il pas paradoxal, au sein d'une institution européenne qui ne comporte aucun Britannique ou Irlandais, d'encourager les gendarmes français, les gardes civils espagnols ou les carabiniers italiens à s'exprimer uniquement en anglais ?

N'aurait-il pas été préférable de prévoir la possibilité de recourir à au moins deux langues de travail, afin de garantir au français un statut comparable à celui dont il dispose au sein de l'OTAN, de l'Union européenne ou des Nations unies ?

Comme vous le savez, le français - parlé par plus de 220 millions de francophones dans le monde - dispose d'un statut reconnu dans la plupart des organisations internationales.

Le français fait ainsi partie des six langues officielles des Nations unies et il est, avec l'anglais, l'une des deux langues de travail du secrétariat général des Nations unies. Il est, avec l'anglais, l'une des deux langues officielles de l'OTAN. Il est aussi, avec l'anglais et l'allemand, l'une des trois langues officielles et de travail au sein de l'Union européenne.

Comme l'a rappelé récemment le ministre des affaires étrangères et européennes, M. Alain Juppé, lors des états généraux de promotion du français dans le monde, il convient d'être particulièrement vigilant sur la défense de ce statut et sur l'obligation faite pour les fonctionnaires français de s'exprimer en français.

Malheureusement, nous ne pouvons plus modifier le texte de la convention et nous devons soit l'approuver, soit le rejeter.

On pourrait toutefois demander au ministre un engagement afin que la France demande de revoir le régime linguistique.

Il existe, en effet, un précédent, que nous avons rencontré lors de l'examen du projet de loi autorisant la ratification des statuts de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables IRENA.

Lors de l'examen de ce projet de loi, nous nous étions interrogés sur le fait que l'anglais ait été reconnu comme la seule langue de travail de cette agence, même si cela ne figurait pas explicitement dans le texte de la convention (il s'agissait d'un accord verbal, repris ensuite dans le règlement intérieur).

Lors du débat en séance publique au Sénat, le 16 février 2011, Mme Michèle Alliot-Marie, alors ministre des affaires étrangères, avait pris l'engagement selon lequel la France demandera d'aligner le régime linguistique d'IRENA sur celui des Nations unies, dans lequel la langue française a toute sa place. Je compte donc interroger demain le ministre de l'Intérieur, M. Claude Guéant, sur ce point.

Dans l'attente de cette audition, je vous proposerai donc de reporter notre décision sur ce projet de loi.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je partage entièrement votre préoccupation au sujet de la place du français et il me paraît important que notre commission s'attache à défendre fermement le statut et l'usage de notre langue au sein des différentes organisations ou instances internationales. Comme vous l'avez rappelé, le français est l'une des deux langues officielles de l'OTAN et l'une des trois langues de travail au sein de l'Union européenne.

J'avais d'ailleurs exprimé devant notre commission la même préoccupation lors de l'examen en décembre 2006 du traité relatif au corps européen (ou « eurocorps »), entre la France, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne et le Luxembourg, l'anglais étant la seule langue de travail au sein de ce corps européen. Toutefois, malgré notre intervention, aucun progrès n'a été fait concernant la place du français au sein du corps européen.

Il faut donc faire preuve d'une très grande vigilance et fermeté sur ce point.

M. Alain Néri. - Je suis heureux de constater que nous sommes tous d'accord pour défendre le statut et l'usage du français.

Il est paradoxal, voire caricatural, que l'anglais soit la seule langue de travail utilisée au sein de la force de gendarmerie européenne, alors que cette coopération ne comporte aucun pays anglophone.

Je partage donc entièrement votre avis.

Suivant l'avis du rapporteur M. Jean-Louis Carrère, la commission décide à l'unanimité de reporter sa décision à une date ultérieure dans l'attente de l'audition du ministre de l'intérieur sur ce point.

Mercredi 9 novembre 2011

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Loi de finances pour 2012 - Audition des représentants des syndicats des personnels civils de défense

Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission auditionne les représentants des syndicats des personnels civils de défense sur le projet de loi de finances pour 2012 (mission Défense) :

M. Jean-Louis Carrère, président - Nous recevons aujourd'hui, pour la première fois, et à ma demande, les représentants des syndicats des personnels civils de la défense. Je leur souhaite la bienvenue en votre nom à tous. Il s'agit de :

- M. Serge Guitard, de la Fédération syndicaliste FO de la défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés ;

- M. Luc Scappini et Mme Sophie Morin de la CFDT - Fédération des établissements et arsenaux de l'Etat ;

- M. Alain Le Cornec et Mme Christine Moyse, de la Fédération des travailleurs de l'Etat - FNTE-CGT ;

- M. Jean-Yves Placenti, de l'UNSA Défense ;

- MM. Roland Denis et Jean-Michel Rey, de la Fédération CGC-Défense ;

- MM. Patrick Doupsis et Yves Naudin, de la Fédération CFTC du personnel du ministère de la défense et des établissements et structures connexes.

J'ai souhaité en effet que les syndicats des personnels civils de la défense puissent nous apporter leur éclairage sur la mise en oeuvre de la réforme de notre outil de défense. Cette réforme met largement à contribution les personnels civils aussi bien dans la diminution des effectifs que dans les restructurations ou la mise en place des bases de défense.

M. Serge Guitard, de la Fédération syndicaliste FO de la défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, tout d'abord, nous vous remercions de nous recevoir afin d'entendre nos analyses et nos revendications sur un budget qui, c'est le moins que l'on puisse dire, n'est pas fait pour rassurer les personnels. Nous soulignons que, pour la première fois, votre commission et, à travers elle, le Sénat, porte un intérêt aux personnels civils du ministère de la défense et à leurs organisations syndicales.

Force Ouvrière a toujours considéré que la politique de défense de la France ne relevait pas de sa responsabilité. Notre rôle n'est pas ici de dénoncer la présence de la France dans quelque théâtre d'opération quel qu'il soit (ce qui en l'occurrence serait faire injure aux soldats qui combattent actuellement hors de France) ou d'apporter un quelconque jugement sur la pertinence de la dissuasion nucléaire.

Nous nous permettrons cependant de considérer que le projet de budget de la défense pour 2012 est loin de répondre aux objectifs et ambitions assignés par le Président de la République. Ceci n'est pas un fait nouveau et traduit une mauvaise habitude des garants de nos institutions qui, depuis de nombreuses années, traitent la défense comme une variable d'ajustement budgétaire. En cela, on peut faire le constat que ce gouvernement ne se distingue pas des précédents quelle qu'en soit leur couleur politique.

Certains chiffres parlent d'eux-mêmes : alors que le Président de la République vante de façon quasi permanente la règle du non-remplacement d'un agent de l'Etat partant en retraite sur deux, le ministère de la défense va bien au-delà puisque ce sont 79 % des effectifs qui ne sont pas remplacés (quasiment 8 sur 10). C'est la RGPP mais en quatre fois plus brutale !

Dans le même ordre d'idées, sur les 460 millions d'euros d'annulation de crédits sur le budget général de I'Etat au second semestre 2011, 211 M€, soit 46 %, seront supportés par le seul ministère de la défense, une majorité de ces suppressions portant sur les autorisations d'engagement du programme 146 « équipement des forces ».

Il va devenir compliqué de nous expliquer que la réforme actuelle qui vise essentiellement les fonctions de soutien, et par voie de conséquence les personnels civils, doit permettre de dégager des marges financières pour mieux équiper nos armées.

Toujours le même contraste entre l'ambition qu'on affiche et les moyens qu'on y consacre. Comment porter le moindre crédit à un budget dont le ministre de l'économie lui-même dit qu'il fera vraisemblablement l'objet d'un réajustement en 2012 et que nous venons de vivre cette semaine une deuxième vague de mesures d'austérité.

Si le budget de la défense est la variable d'ajustement du budget de l'État, les personnels civils sont pour leur part la variable d'ajustement interne au sein du ministère. En effet, loin des engagements pris par M. Hervé Morin, alors ministre de la défense, un peu plus de 11 % des effectifs civils ont été supprimés depuis 2008 contre 9 % des effectifs militaires.

Faut-il rappeler ici que nous sommes passés de 145 000 personnels civils il y a à peine 15 ans à quelque 68 000 aujourd'hui ? En l'occurrence, quand nous disons « personnels civils », nous ne pouvons faire l'impasse sur la précarisation de l'emploi avec le recours accru à des personnels contractuels en lieu et place d'agents sous statut.

La réforme actuelle mise en place depuis 2008 devait, selon le ministre de l'époque, s'accompagner d'un rééquilibrage des effectifs militaires-civils dans les fonctions de soutien. Nous connaissons le discours, mais il y a encore cette fois-ci très loin des paroles aux actes.

Force Ouvrière est et reste attachée à la complémentarité entre les militaires et les civils, mais encore faut-il que cet attachement soit partagé par tous les échelons du ministère jusqu'à son plus haut niveau. Alors que nous attendons toujours les Référentiels en Organisation (REO) 2012 des Groupements de Soutien de Base de Défense (GSBdD), aucun signe tangible de rééquilibrage sur les fonctions de soutien n'apparaît.

Les prévisions de recrutement de personnels civils en 2012 s'élèvent à 1 200, contre 21 000 militaires, sans que vous soyez en mesure de nous dire sur ces 21 000 militaires, combien seront employés sur des fonctions opérationnelles et combien sur des fonctions de soutien.

Cela fait maintenant des années que nous revendiquons notre juste place sans que quiconque nous écoute, ni même nous entende. Les mois et les années passent, et les armées continuent de se réserver les postes à responsabilité, y compris sur des fonctions sans aucun caractère opérationnel.

Est-ce qu'enfin quelqu'un pourrait nous expliquer pourquoi le corps des commissaires, tous officiers avec la masse salariale correspondante, se réserve les postes de chefs de GSBdD sans que personne ne trouve à y redire ?

Pourquoi, lorsqu'un personnel civil est transféré vers un GSBdD, il faut deux, voire trois sous-officiers pour remplir la même fonction ? Faut-il donner des exemples, des noms, de sous-officiers chefs de restauration ou de secrétariat, contrôleurs de gestion qui ne partent jamais en opérations extérieures (OPEX), ou alors vers des destinations considérées OPEX dont le seul danger réside dans la température extérieure ?

Tout cela devient fatigant, usant, de devoir inlassablement répéter les mêmes discours, devant les mêmes interlocuteurs, avec l'étrange sentiment que ceux qui sont censés être aux ordres de la République, appliquent une réforme en prenant soin d'en tirer le meilleur parti pour eux-mêmes en taxant les organisations syndicales de corporatisme.

Il nous faut batailler becs et ongles pour arracher un poste de niveau 1 et, quand nous y parvenons, l'heureux élu est bien souvent victime de suspicion, même s'il justifie de 20 ou 25 ans de carrière et est lauréat de plusieurs concours de la fonction publique. Qu'il ne commette surtout aucune faute, ou c'est toute la composante civile sur laquelle on jette l'opprobre.

La situation ne s'améliore pas, loin s'en faut, et ce ne sont pas les éléments budgétaires pour 2012 qui nous rendront optimistes sur cet aspect des choses.

Et comme si cela ne suffisait pas, on en rajoute en présentant aux agents de l'État la facture d'une crise dont ils ne sont en rien responsables en gelant leur traitement en 2011 et 2012. Allez expliquer à une catégorie C rémunérée à 1.200 € par mois qu'elle ne bénéficiera d'aucune augmentation de salaire pendant au moins deux ans. Il y a même, dans le projet de budget 2012, une catégorie complètement oubliée et qui compte tout de même quelque 28 000 agents : je veux parler des ouvriers de l'État.

Leurs décrets salariaux sont suspendus et ils ne font pas l'objet de la moindre ligne budgétaire sur les 24 millions d'euros alloués à la revalorisation de la condition des personnels civils. Montrés du doigt depuis des années, traités comme d'affreux privilégiés par les conseillers ministériels et hauts fonctionnaires de Bercy qui, pourtant, ne crachent pas sur les largesses qui leur sont octroyées et qui proviennent des mêmes deniers publics, ils sont purement et simplement passés par pertes et profits dans le budget à venir. Et nous ne sommes pas sûrs que ces 24 millions d'euros seront dépensés dans la mesure où nous n'avons aucune lisibilité sur la réalisation des mesures envisagées.

Alors que les besoins en effectifs d'ouvriers de l'Etat se font criants dans des domaines sensibles comme le maintien en condition opérationnelle (MCO), aéronautique ou terrestre, nos décideurs refusent tout recrutement, portés qu'ils sont par leur vision de ce qu'est un ouvrier de l'Etat et qui confine aujourd'hui à la haine. Et on s'étonnera après cela que des militaires occupent des fonctions normalement dévolues aux personnels civils ou que l'on en soit réduit à externaliser par manque d'effectifs.

Les personnels civils sont confrontés à des vagues successives de restructurations depuis maintenant plus de quinze ans. Certains agents ont été restructurés deux ou trois fois et on leur explique que ce n'est peut-être pas fini. En effet, alors que nombre de personnels civils ont subi une mobilité vers des GSBdD lors de la fermeture de leur établissement, ils découvrent que leur poste sera peut-être menacé à partir 2012 lorsque passera la deuxième lame de la révision générale des politiques publiques (RGPP) sur les GSBdD au titre des réorganisations.

Cette réforme en deviendrait absurde si ce n'était pas aussi dramatique. Alors que le ministre de la défense se déplace actuellement et organise des séminaires en région pour faire un bilan de la mise en place des bases de défense (BdD), nous sommes confrontés à des mises en scène pathétiques dans lesquelles la plupart des participants ont sans aucun doute ordre de dire « tout va bien monsieur le ministre » et des groupes de travail où on évite soigneusement d'inviter des personnels civils. Tout ceci n'est pas sérieux et relève plus de l'autosatisfaction que d'une réelle volonté d'établir un bilan de la mise en place d'une politique.

Mesdames et messieurs les sénateurs, les personnels civils de la défense souffrent : ils souffrent de travailler dans un ministère désorganisé, où la création des BdD est davantage source de dysfonctionnements que de progrès ; ils souffrent de ne pas se voir confier de postes à responsabilité ; ils souffrent d'être déconsidérés par un pouvoir qui n'aime pas ses fonctionnaires et qui l'annonce.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous ne savons pas si nos déclarations d'aujourd'hui auront un quelconque effet sur un budget qui n'est pas de nature à envisager l'avenir des personnels civils au sein de ce ministère avec sérénité, mais, à Force Ouvrière, nous sommes profondément et viscéralement républicains et, à ce titre, nous osons croire que la représentation nationale ne peut pas se désintéresser de nos analyses et revendications.

M. Luc Scappini, de la CFDT - Fédération des établissements et arsenaux de l'Etat - Monsieur le président, mesdames et messieurs, c'est avec grand intérêt que nous nous adressons aujourd'hui à la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées du Sénat. Le contexte extraordinaire, provoqué par la crise et ses rebonds, est en train de connaître un nouvel épisode et n'accordera sans doute pas de répit à la défense, pourtant premier élève de la classe pour le gouvernement, à chaque fois qu'il s'agit de réduire les dépenses.

Je ne m'étendrai pas sur ce que pense la CFDT des mesures gouvernementales, des plans de rigueur en réponse à la crise, que la CFDT juge inadaptés, sans parler du fait qu'il est parfaitement inacceptable qu'un sommet social ait été refusé aux syndicats avant que le gouvernement fasse ses annonces.

Il faudra pourtant savoir tirer les leçons de ce qui vient de se passer en Grèce, c'est-à-dire du manque de débat démocratique.

La CFDT Défense souhaite aujourd'hui vous sensibiliser et attirer votre attention, mesdames et messieurs les parlementaires, sur les graves inquiétudes générées par la réforme en cours, réforme qui s'est appuyée sur deux principes, celui de la RGPP et celui des conclusions du Livre blanc dans son volet opérationnel.

Je précise ici que la CFDT s'est toujours intéressée au cadre et à l'environnement des personnels de la défense, parce que lorsque l'on réduit la voilure des missions, des matériels et des armées, c'est l'emploi même des personnels civils, chargés du soutien, qui se retrouve menacé.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité intérieure s'est retrouvé dépassé par les événements quelques mois à peine après sa sortie officielle. Je pourrais citer de nombreux exemples que vous connaissez, mais n'aborderai que la non-anticipation du véritable arc de crise, le développement des guerres asymétriques ou encore le phénomène de piraterie au large de la Somalie. Nos armées ont été confrontées à plus de six théâtres d'opération sans parler des missions pour les forces pré-positionnées. Le Livre blanc a donc explosé en vol devant le principe de réalité. Il est prévu une actualisation de son contenu avant la fin de l'année 2012.

Le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale doit produire un document interministériel d'évaluation stratégique qui sera présenté aux commissions compétentes du Parlement puis validé par le Conseil de défense et de sécurité nationale à la fin de l'année 2011. Pour la CFDT, il serait logique et cohérent de procéder à un arrêt des restructurations et réorganisations en cours puisqu'elles sont appuyées sur un livre blanc en cours de refonte.

La RGPP, dénoncée par la CFDT comme étant une démarche à seule visée comptable, avait prévu 54 000 suppressions d'emploi à la défense entre 2008 et 2014. Pour la CFDT, ce chiffre doit être reconsidéré.

Le CEMA, l'Amiral Guillaud ou le DGA Laurent Collet-Billon ont expliqué ici même que les 10 000 suppressions restantes seront extrêmement périlleuses à réaliser, à moins de renoncer à certaines capacités.

L'accompagnement social des personnels, déclaré comme important par le ministère, afin que l'intégralité des agents puisse trouver une solution positive, pourrait connaître des lendemains difficiles. Pour 2011, 30 % des cas restent encore à régler, du fait de la raréfaction des possibilités de reclassement du personnel dans des structures de défense susceptibles de les accueillir. Quid des 115 millions d'euros prévus pour 2012 en faveur de cet accompagnement social des restructurations au regard du nouveau plan de rigueur ?

Le projet de budget 2012 avait été présenté par le ministre de la défense aux organisations syndicales, comme un budget à la hausse, tel un défi, en cette période de crise et d'austérité, alors qu'il se traduit par une suppression de 7 432 postes.

La CFDT rappelle qu'un budget s'apprécie au terme de son exécution.

En témoigne celui de 2011, raboté par le biais d'une LFR de 200 millions d'euros, arrivant d'ailleurs en tête des réductions budgétaires publiques.

Les budgets Défense depuis 2008 ne sont que le miroir des décisions politiques inspirées par la RGPP et les conclusions du Livre blanc.

A ce sujet et en lien avec l'annonce d'un nouveau plan de rigueur par le premier ministre, M. Gérard Longuet a précisé hier soir, devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale, que le budget 2012 sera réduit de près de 285 millions d'euros.

Les économies porteront sur les écoles. On prépare l'avenir sur les fonds « restructuration » des territoires -les élus locaux apprécieront-, et sur le maintien en condition opérationnelle des matériels, alors que les armées s'inquiètent déjà du budget consacré face aux matériels vieillissants.

Pour la CFDT, il est temps de faire une pause et redéfinir les contours des besoins en défense de la Nation, en tenant compte, certes, des nécessaires économies et modernisations, mais sans poser des initiatives seulement à vocation comptable et sans avoir mesuré les effets sur les femmes et les hommes de la communauté défense, qu'ils soient civils ou militaires ; ou encore sur les programmes, qui impacteront le rang même de la France, que ce soit au sein de l'Europe ou de l'Otan.

Le chef d'état-major des armées (CEMA) n'a-t-il pas déclaré lui-même devant vous : « Pour ce qui est des économies, dites-moi de quel montant vous souhaitez réduire le financement des armées et je vous dirai ce que nous devrons enlever... Cela pourra alors aller jusqu'à l'abandon de certaines capacités. Mais un jour nos diplomates ne pourront plus s'appuyer sur l'outil militaire pour porter la voix de la France. En 2011, les dépenses de défense sont tombées à 1,56 % du PIB. »

Quelques mots sur la Gendarmerie, puisque vous entendrez demain le général Mignaux, directeur général de la Gendarmerie nationale. Sachez, monsieur le président, que les déclarations du général devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale, sur le moral des gendarmes, jugé bon selon lui, ont choqué la communauté civile et militaire de la Gendarmerie. La réalité est toute autre. Effectifs réduits, congés maladie masquant le malaise, demandes de mutation, de départ anticipé à la retraite ou pour une reconversion, sans parler des tentatives de suicide. Les personnels ne voient plus leur avenir au sein de l'institution. Il est temps que la chape du silence soit levée.

Sur la question des externalisations et des partenariats public-privé, malgré les annonces du ministre d'un ralentissement, nous ne pouvons que constater que, malgré les remarques et les recommandations de la Cour des comptes, la démarche se poursuit avec l'attribution à un groupement de sociétés conduit par Alcatel-Lucent, d'un contrat de 350 millions d'euros, portant sur la rénovation, la modernisation et l'exploitation des réseaux informatiques et de communication, des bases de l'armée de l'air pour une durée de 16 ans. Il en est de même avec le projet « Erable » qui concerne la bureautique informatique des armées, même si les décisions ne sont pas encore prises.

Plus inquiétant, voire choquant, en ces temps de crise et de rigueur, le projet Balard, projet pharaonique qui engagera les dépenses pour 30 ans alors qu'on se mord les doigts du côté des Britanniques qui sont engagés dans ces expériences de partenariat public-privé. C'est donc avec du benchmarking aveugle qu'on s'inspire à la défense alors que, plus près de nous, le naufrage de l'hôpital sud-francilien, avec ses 500 millions d'euros de surcoût, ses 130 défauts majeurs, des factures qui s'envolent et des délais qui s'étirent, démontre les limites du partenariat public-privé.

Ne joue-t-on pas aux apprentis sorciers avec les questions régaliennes ? Les sociétés privées assumeront-elles demain les tâches dévolues aux militaires et aux personnels civils de la défense ?

La question peut se poser au vu de l'extension sans fin des domaines externalisés depuis près de dix ans.

Si les externalisations ont touché jusqu'à présent de nombreux services périphériques, comme les cantines ou l'entretien des locaux, elles concernent aujourd'hui des missions de sécurité et de gardiennage ou les télécommunications de plus en plus pointues.

Et ce au gré d'une lecture souple et fluctuante de la notion de «coeur de métier», qui permet au ministère de justifier ces externalisations.

La transition est faite pour aborder le phénomène des sociétés militaires privées qui se développent là où nos armées en manque d'hommes et de moyens se retirent.

Sur les mers, par exemple, ces sociétés privées, a priori et par définition en recherche de contrats, pourraient provoquer une escalade de violence au large de la Somalie selon de nombreux experts.

La CFDT, qui tire le signal d'alarme depuis de nombreux mois, ne peut que constater que ce phénomène se développe alors que les moyens de la Marine nationale sont considérablement réduits par les budgets successifs.

Après avoir nié l'existence des sociétés militaires privées, le ministre de la défense semble vouloir en encadrer leur utilisation, contraint par les arbitrages budgétaires et les mesures d'économie.

La défense va mal. Restructurations et réorganisations ont bousculé les équilibres de l'outil défense. La désertification des unités de la défense sur les territoires met un peu plus en péril le lien armées-nation. Il y a aujourd'hui à peine un militaire pour 600 Français.

La fin de la conscription et la professionnalisation des armées ont également provoqué un éloignement d'année en année, à tel point que le chef d'état-major des armées s'est ému de l'indifférence, selon lui, des citoyens et de la Nation, pour nos soldats tombés en Afghanistan.

Si la CFDT demande une pause, elle demande également l'organisation d'états généraux de la défense, avec l'ensemble des composantes de la société civile autour de la table, à même de recréer l'indispensable lien Armées-Nation, pour définir la défense que nous voulons et les besoins pour la réaliser.

Et parce que c'est l'actualité très récente, sachez mesdames et messieurs les sénateurs, que DCNS, fleuron de la navale militaire en Europe, à 75 % capitaux d'Etat, vient d'annoncer un plan de départs volontaires, avec prime et inscription au chômage à la clé, au lendemain de l'annonce par François Fillon de mesures de rigueur qui porteront sur le passage de la retraite à 62 ans. L'adage « faites ce que je dis et non ce que je fais » est une fois de plus à mettre sur le compte des décisions du gouvernement.

M. Alain Le Cornec, de la Fédération des travailleurs de l'Etat - FNTE-CGT - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, mesdames et messieurs, le changement de majorité n'est certainement pas étranger à cette invitation au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Cela constitue une première.

Monsieur le président, la CGT prend acte de cette invitation, toutefois nous espérons que le traitement que vous nous réservez ne sera pas à l'image de votre homologue de l'Assemblée nationale qui, lors de notre audition du 19 octobre, a envoyé les affaires courantes en ne daignant nous accorder au mieux que 10 minutes de débat.

Que retenir de ce nouveau budget du gouvernement Sarkozy/Fillon suite à l'annonce récente de son deuxième plan d'austérité et des implications pour la défense ?

En premier lieu, le gouvernement souhaite tenir dans les abîmes la revalorisation des salaires de l'ensemble des agents civils du ministère par le maintien du blocage du point d'indice de la fonction publique et le blocage de la revalorisation des bordereaux de salaire des agents à statut ouvrier de l'Etat par la suspension des décrets salariaux.

A l'heure où les milliards d'euros pleuvent pour sauver un système libéral et boursier en déroute, les salariés civils du ministère sont très amers quant à la diminution de leur pouvoir d'achat.

Le gouvernement préfère donc répondre aux injonctions de la financiarisation plutôt que de répondre aux besoins sociaux urgents de ses propres agents.

Le gouvernement nous explique que le surcoût des OPEX (600 millions d'euros) serait partagé en interministériel comme s'y est engagé le Premier ministre.

Pourquoi ne pas se poser la question sur le financement de la dissuasion nucléaire qui, chaque année, engloutit 3,4 milliards d'euros ?

L'addition ne se mesure pas uniquement par le blocage des salaires des agents. Au titre de multiples réductions de budgets, le ministère a engagé une vaste politique de vente des bijoux de familles, espérant pouvoir réaliser les fameuses recettes exceptionnelles. C'est irréaliste, mais ce même gouvernement vient de confirmer lundi 7 novembre son intention d'accroître les ventes des biens d'Etat et plus particulièrement les surfaces occupées. Une fois de plus, les visionnaires de l'hôtel de Brienne sont atteints d'une cécité sans limite. Dans un contexte de crise, les rentrées financières ne sont pas au rendez-vous et de facto le budget prévisionnel devient compliqué à tenir. En témoigne la 2ème loi de finances rectificative, et comment ne pas citer les 1,35 million d'euros manquant dans les mesures catégorielles votées par le Parlement dont les personnels civils ne verront jamais la couleur.

Au même titre des fameuses économies à venir par le biais de l'inter-armisation, la CGT reste très dubitative quant aux éventuelles économies générées par les externalisations. 

En 2008, la Cour des comptes avait validé, dans un rapport, le montant de 1,7 milliard d'euros pour le coût annuel des externalisations. Qu'en est-il exactement des sommes dépensées depuis 2008 pour le coût de ces externalisations ?

Le gouvernement vient d'annoncer une réduction des finances de l'ordre de 500 millions d'euros sur le budget de l'Etat. Ce mardi 8 novembre, le ministre de la défense a été convoqué de toute urgence devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale afin de s'expliquer sur les conséquences directes pour le ministère. Monsieur le président, nous souhaitons connaître la teneur de cet entretien.

De déficit de vision de gestion en déficit financier en passant par le trou béant du futur Balardgone qui, pour le moment ne se rebouche pas, il y a de quoi être pessimiste pour notre avenir. Ce pessimisme se traduit dans l'ensemble du ministère pour les personnels civils par un mal-être croissant qui, hélas, se traduit parfois par une fin dramatique. A l'heure actuelle le ministère compte lui aussi de multiples cas de suicides depuis le début de cette réforme.

Pour la CGT, les membres de la majorité gouvernementale actuelle, de par leurs décisions politiques, sont responsables de ces disparitions tragiques de personnels civils.

Les restructurations voulues par la majorité actuelle ont engendré une désorganisation permanente des services du ministère, avec à la clé un mensonge permanent des autorités auprès des personnels civils afin de les rassurer sur le bien-fondé de la disparition de leur activité, emploi, régiment, établissement, etc...

Au sujet des disparitions d'emplois, un récent rapport parlementaire est assez critique sur la notion de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux qui semble avoir atteint ses limites. Le sous-dimensionnement des équipes et le manque de recrutement placent les agents dans des conditions de travail inadmissibles, et mettent en danger la pérennité de nos missions, comme l'ont rappelé très récemment, ici même, le délégué général pour l'armement (DGA), le chef d'état-major des armées (CEMA) et le chef d'état-major de l'armée de terre (CEMAT).

Mais le gouvernement veut continuer dans ce sens en indiquant, dans la présentation du budget, la diminution des effectifs de 2 000 emplois supplémentaires pour 2012. Parlementaires de la majorité gouvernementale, vous continuez dans votre politique anti-sociale et destructrice d'hommes et de femmes.

Cette restructuration est porteuse de l'éclatement de la communauté de travail qui faisait la force d'un établissement ou d'un régiment. Ce recentrage sur le « coeur de métier » engendre une incompréhension sur le travail que les agents doivent faire. Dorénavant, le travail ne se conçoit que par le biais de contrats de service entre collègues.

Cette refonte du ministère est comme une pelote de laine que l'on déroule sans fin, de restructuration en restructuration. Nous sommes dans la tourmente d'une gestion par le chaos ou plus personne n'est responsable de rien.

Tout semble être fait pour que le ministère ne fonctionne plus et, de surcroît, cela alimente l'idée pour la majorité : "puisque l'étatique ne fonctionne pas, on va privatiser".

Le but de cette réforme est bien de vendre aux entreprises privées les prestations "rentables" et de facto de privatiser dans leur quasi-totalité les entreprises et missions de défense. Alors il faut, de la part du gouvernement, sectoriser, pour ne pas dire "filialiser", les multiples fonctions de soutiens et autres.

Le seul dilemme pour le ministre est de savoir s'il doit s'orienter vers des acquisitions patrimoniales ou plutôt préférer des fumeux partenariats public-privé. A ce sujet, l'exemple de l'hôpital sud francilien de l'Essonne est un exemple à ne pas suivre.

Cette limite très floue entre l'étatique et le privé est criante sur le cas du Maintien en Condition Opérationnelle. La bataille qui est engagée par les industriels afin de récupérer les charges de travail de la maintenance des matériels des armées est symptomatique d'une envie de privatisation de l'ensemble du soutien par le gouvernement.

Il est un fait avéré que, sur un coût global de possession d'un matériel, le maintien en condition opérationnelle représente 70 % de ce coût global. A l'heure de l'aveuglement du tout financier, les appétits s'aiguisent.

Mais quel avenir pour nos régiments de soutien, pour nos Ateliers Industriels Aéronautiques, pour notre Service de Soutien à la Flotte ? Pour la CGT, cette maîtrise du soutien doit rester sous maîtrise étatique. A ce titre, il convient de relancer le recrutement de personnels à statut afin de pouvoir assurer la transmission des savoirs.

La CGT rappelle sa proposition d'édification d'un Pôle Public National de Défense qui assurerait la pérennité de nos établissements sous maîtrise étatique. Afin de totalement sortir notre industrie de défense du joug de la financiarisation, ce Pôle Public serait adossé à un Pôle Financier Public.

Concernant particulièrement le secteur industriel, le gouvernement aurait tout intérêt à respecter les engagements qu'il a formulés lors du Grenelle de l'environnement. Durant ce Grenelle, la CGT a été force de proposition quant à l'édification d'une filière de déconstruction des navires en fin de vie, mais aussi pour le matériel terrestre et aéronautique.

Force est de constater que, hélas, ces projets ne sont pas assez portés par le gouvernement qui s'en remet aux préfets de régions pour des propositions. Quoiqu'il en soit, il est inscrit dans le budget 2012 que les maîtres d'ouvrage ont été retenus ainsi qu'une programmation financière. Nous formulons ici officiellement dans cette assemblée une demande afin de connaître la liste des maîtres d'ouvrage ainsi que le montant de la programmation budgétaire.

A l'heure où l'hexagone, et surtout les salariés, vivent des heures très sombres suite aux fermetures de différents sites industriels, il nous apparaîtrait incompréhensible d'abandonner de tels engagements.

Nous sommes face à un manque cruel et crucial de politique industrielle en France.

Le seul axe de réflexion des décideurs est l'impérieuse nécessité de marier les entreprises, tant sur le champ national qu'européen afin de construire un EADS de la navale et un de l'armement terrestre, avec comme ambition d'inonder le marché mondial de l'armement sans aucune réflexion sur la stabilité des équilibres régionaux.

Les récents massacres perpétrés par l'armée libyenne sur les populations civiles, par l'intermédiaire d'armements français, doivent faire réfléchir sur notre politique d'exportation à tout crin.

A l'heure où l'Europe et les apôtres de la concurrence libre et non faussée veulent faire entendre leur voix, la CGT rappelle et affirme que les armes ne sont pas des marchandises comme les autres.

Dans ce no man's land de réflexion stratégique, quel avenir réserve le gouvernement aux entreprises dans lesquelles il est un actionnaire majoritaire ? Nous voulons parler de Nexter, DCNS et SNPE. Ces entreprises doivent rester dans le giron étatique et nous refusons par avance toute forme de restructuration capitalistique ou fusion avec d'autres entreprises.

Ce dont ont besoin ces entreprises, mais surtout les salariés, ce sont des carnets de commande qui permettent de garantir l'emploi et la stabilité, de garantir les besoins en équipements de nos forces armées pour une défense nationale non agressive.

Les femmes et les hommes de ces entreprises sont les garants de notre souveraineté et de notre indépendance industrielle et militaire. C'est pourquoi il convient de doter ces entreprises de plans d'investissement à la hauteur de l'enjeu industriel à venir.

A ce jour, un point commun de ces deux entreprises vient de leurs PDG qui ont un sens du partage des bénéfices très très très restrictif ! ! !

450 € de prime Sarkozy à Nexter après mobilisation des personnels, 150 € à DCNS de prime Sarkozy (pour un coût global de 3 millions d'euros) avec une fin de non recevoir du PDG pour de vraies négociations. Mais il est vrai que le PDG préfère donner 37 millions d'euros à l'actionnaire majoritaire, donc l'Etat, plutôt que de rémunérer à sa juste valeur la force de travail, donc les salariés.

Mesdames et messieurs les sénateurs, prenez la mesure de l'oeuvre de destruction mise en place depuis les annonces du 24 juillet 2008 : suppression des 54 000 emplois, fermeture de multiples établissements et de régiments, destructions de nos savoir-faire et de nos compétences, mise en dépendance de notre industrie à l'égard des fourches caudines du monde de la finance et des industries étrangères, retour dans le commandement intégré de l'OTAN et de facto inféodation aux tentations guerrières des Etats-Unis ; invocations explicites du ministère pour " avoir la peau des décrets salariaux " et mise en place de statuts précaires pour les personnels.

Tous ces plans dévastateurs, qui plus est en période de grave crise économique, doivent être abandonnés.

Quoiqu'il en soit, les salariés du ministère et des sociétés nationales sont debout face à la tempête. Ils résistent et font oeuvre de propositions revendicatives. La CGT est et restera à leurs côtés afin de promouvoir une défense souveraine et indépendante, une politique d'emplois qualifiés et bien rémunérés.

C'est cet engagement sans faille des salariés pour le maintien de leur emploi, statut et rémunération, dont nous tenons à témoigner devant vous ce jour. La CGT continuera d'interpeller la représentation nationale afin que les attentes légitimes des personnels soient enfin prises en compte.

M. Jean-Louis Carrère, président - Je suis très heureux que nous puissions nous rencontrer pour cette première fois autour des enjeux liés à l'examen de la loi de finances pour 2012. J'attire votre attention sur le fait que nous ne représentons pas ici le gouvernement. C'est à lui de répondre sur un certain nombre de questions que vous vous posez, je pense notamment aux nouvelles mesures d'économies demandées au budget de la défense. Pour notre part, nous ne manquerons pas de demander au ministre de la défense de venir expliquer devant la commission comment il compte répartir les 285 millions d'économies évoqués. Vous avez devant vous l'ensemble des rapporteurs des différents programmes budgétaires qui composent la mission Défense. Aussi je vous demanderai de bien vouloir vous concentrer sur des observations et des propositions relatives au débat budgétaire. Nous aurons, je l'espère, l'occasion d'avoir un débat plus général sur la politique de défense.

M. Jean-Yves Placenti, de l'UNSA Défense - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, L'UNSA-Défense exprime tout d'abord sa satisfaction à la tenue de ce débat au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Elle en remercie le président et souhaite que cette première rencontre avec les organisations représentatives des personnels civils se perpétue et s'institutionnalise.

Venir vers vous évoquer un budget dans le contexte actuel relève du numéro d'équilibriste. Nous savons tous que le projet de budget 2012 constitue une étape incontournable vers des projets de loi de finances rectificatives et que les éléments dont nous disposons relèvent d'éléments de langage en période pré-électorale plus que l'amorce d'un projet politique pour la défense de notre pays. Faute de pouvoir s'asseoir sur des chiffres réalistes, l'UNSA-Défense souhaite évoquer devant vous des sujets portant sur son appréciation de la situation des personnels et du dialogue social au sein du ministère de la défense.

L'UNSA-Défense est bien consciente des difficultés économiques du pays et de la nécessité d'un budget rigoureux. Mais l'addition de la politique de gel salarial pour les fonctionnaires et les ouvriers, et des efforts d'adaptation permanents demandés aux personnels civils de toutes les catégories du ministère de la défense (ainsi qu'aux personnels militaires d'abord, qui s'expriment assez franchement dans certains blogs) n'est plus supportable. Nous ne pouvons donc qu'exprimer une fois de plus l'inquiétude et la colère des personnels civils de ce ministère.

La révision générale des politiques publiques, avec les suppressions d'emplois correspondantes (7 462 emplois l'an prochain essentiellement sur les fonctions de soutien), ainsi que les restructurations incessantes dans les établissements et services (184 mouvements programmés, notamment la dissolution de 5 régiments et de 4 bases aériennes, le transfert de 2 régiments, de la direction des ressources humaines de l'armée de terre, de la SIMMAD) ont des effets particulièrement néfastes sur les conditions de travail, notamment pour les personnels d'encadrement, avec des risques psycho-sociaux accrus, comme en témoigne un cas particulièrement douloureux qui s'est traduit récemment par un suicide.

Les restructurations pleuvent, les structures sont souvent à durée de vie limitée, les agents ne sont plus considérés comme attachés à un service avec la compétence liée, mais comme interchangeables, ce qui entraîne souvent des pertes de compétences et d'autonomie. Bien des agents sentent dans la réorganisation des tâches que l'expertise-métier et les compétences professionnelles acquises précédemment ne sont pas prises en compte. Nous avons l'impression d'être traités comme des équivalents temps plein (ETP) et rien d'autre. Le changement semble véhiculer, pour les autorités, une image de progrès, tandis que la stabilité est perçue comme un manque de capacité d'adaptation. C'est le ton qui a été donné au plus haut niveau, alors on réorganise à tout crin avec des résultats plus ou moins heureux.

A ce sujet, il n'est qu'à lire les réactions des personnels sur les effets merveilleux de la mise en place des bases de défense et des résultats extraordinaires obtenus en matière de soutien.

L'UNSA-Défense n'est pas opposée par principe à cette mise en place des bases de défense (BdD), mais force est de constater qu'il y a un gouffre entre le discours officiel et la réalité vécue sur le terrain par les agents civils et militaires de ces structures confrontés à un déficit de moyens humains et matériels pour accomplir leurs missions.

Les désagréments sont nombreux et ne semblent pas être une préoccupation réelle des autorités. Pour elles, pas d'état d'âme : il faut suivre vaille que vaille !

Devant tant de raideur de la part de l'administration, l'état du dialogue social dans notre ministère n'est pas ce qu'il devrait être, il conduit à une situation de découragement, voire d'épuisement des agents, qui ne peuvent se projeter dans aucun avenir. Le lien de confiance entre l'UNSA et la direction des ressources humaines du ministère de la défense s'est dégradé au fil des années. Aujourd'hui il est proche de son point de rupture. De promesses non tenues en engagements oubliés, en déclarations artificielles, en affirmations fallacieuses, la Direction des ressources humaines du ministère de la défense a eu raison de la patience de nos délégués.

Nous faisons face à un déni de démocratie sociale, nous ne sommes pas loin de penser, au vu du dernier épisode malheureux des Techniciens Supérieurs d'Etudes et de Fabrications (TSEF) en faveur desquels des élus s'étaient engagés, que vous n'êtes guère plus écoutés que nous par cette direction des ressources humaines, obnubilée par la seule gestion de la masse des ETP.

Un coup particulièrement malheureux est porté par ce biais à l'ensemble de la filière technique, quelle que soit la catégorie des agents. Nous considérons que l'absence d'écoute est un facteur-clé de la souffrance au travail des agents, qui, lassés de cette attitude, sont en phase de perdre l'attachement fort qu'ils avaient vis-à-vis du ministère de la défense.

Nous en avons touché un mot tout à l'heure, la situation matérielle des agents ne les incite pas non plus au sourire. Que dire, notamment, des agents de la catégorie C écrasée par le bas à cause de l'effet « SMIC » et bloquée par le haut compte tenu du déséquilibre des voies de passage en catégorie B ?

La situation matérielle des agents partis avec l'indemnité de départ volontaire (IDV) nous inquiète également depuis que la réforme des retraites a reculé l'âge où ils vont pouvoir faire valoir leurs droits à pension. A cette question cruciale, nous n'avons toujours pas de réponse, nous osons espérer qu'au cours de votre débat sur la loi de finances, ce point sera abordé.

Et nos collègues de DCNS ne sont pas mieux lotis. En effet, l'Etat actionnaire ne suit pas les recommandations de l'Etat régalien. La prime « dividende » proposée aux personnels de cette entreprise est ridicule au vu des bénéfices réalisés et des dividendes touchés par l'Etat, d'autant qu'en sont exclus les ouvriers d'Etat, ce qui apparaît au mieux comme une anomalie, au pire comme une non-reconnaissance de ces personnels à la performance de l'entreprise.

2012 sera marquée par une actualisation du Livre blanc et de la loi de programmation militaire. Le Livre blanc proposait d'accorder une place plus importante aux civils dans le soutien des forces. Cela n'a pas été fait. Les « efforts » du ministère sur ce point ont été pour le moins timides, très loin des objectifs annoncés. Au vu du coût plus élevé des militaires sur les postes de soutien, voilà une piste qu'il faudrait creuser pour réaliser des économies substantielles.

En conclusion, le personnel civil est confronté à une situation de mépris de la part de l'institution. Sommé d'assurer le succès de réformes qu'il subit, de remplir des objectifs qu'il ne peut atteindre, ou de voir ses métiers cédés au sacro-saint secteur concurrentiel, il est en attente d'écoute et de reconnaissance. Cette écoute et cette reconnaissance doivent passer par un réel progrès en termes de civilianisation des postes de soutien. Au-delà des chiffres, I'UNSA jugera la crédibilité du budget 2012 à l'aune des progrès de la civilianisation.

Dans cette perspective, il semble utile de faire une étude comparative du coût respectif des militaires et des civils tout ou long de la carrière. Nous ne remettons pas en cause le primat des militaires ou ministres de la défense dans les domaines opérationnels. Cela n'aurait pas de sens. Mais nous récusons la culture qui consiste à privilégier les militaires par rapport aux civils dans les postes qui n'ont rien d'opérationnel, alors même que le coût moyen d'un militaire à compétence égale est de 30 à 40 % plus élevé.

M. Roland Denis de la Fédération CGC-Défense - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je voudrais au préalable rendre un hommage aux soldats morts en opération. S'agissant du budget, la Défense-CGC est consciente des difficultés économiques de la France et des difficultés financières de l'Etat.

Néanmoins, les efforts subis, depuis plusieurs années, par les personnels civils de toutes catégories du ministère de la défense deviennent insupportables.

Quelques exemples :

- situation salariale des personnels civils qui se dégrade ;

- personnels civils considérés comme des unités de compte ;

- personnels des filières sociale et médicale qui se sentent mis de côté depuis des années, alors qu'ils sont en première ligne pour absorber le choc des restructurations ;

- que dire de la catégorie C, notamment administrative, écrasée par le bas à cause de l'effet « SMIC » et bloquée par le haut, compte tenu du déséquilibre des voies de passage en catégorie B ;

- les agents contractuels du décret 49 qui sont exclus du projet de loi relatif à l'accès à l'emploi titulaire ;

- les ouvriers de l'Etat, qui, en plus d'être les premières cibles des réductions d'effectifs depuis 15 ans, ont perdu cette année leur indexation salariale.

Les personnels civils n'admettent pas que les promesses qui leur ont été faites n'aient été que de la poudre aux yeux :

- requalification de tous les Techniciens Supérieurs d'Etudes et Fabrication (TSEF) volontaires en catégorie A ;

- création d'un corps A+ technique civil : nécessaire pour créer un débouché au corps des Ingénieurs d'Études et de Fabrications (IEF) mais également pour permettre la titularisation de certains agents contractuels. Dans le même temps, le ministère crée un corps particulier pour les ingénieurs militaires de l'infrastructure (qui est un corps A+),

- mise en place de la prime de fonctions et de résultats pour les ingénieurs d'études et de fabrications, ainsi que pour la filière sociale ;

- réduction de l'écart indemnitaire entre la filière administrative et la filière technique, de même qu'entre services déconcentrés et administration centrale.

Aujourd'hui donc, le sentiment de frustration est immense, d'autant que, dans le même temps, les personnels militaires ont obtenu, ces dernières années, une revalorisation substantielle de leur carrière.

Nous arrêterons là cette énumération et revenons donc au projet de loi de Finances.

En ce qui concerne l'évolution des effectifs de personnels, le pourcentage de personnels civils par rapport à la population globale du ministère s'établissait à 23,7 % en 2009, et 23,5 % en 2010. Les prévisions 2011 indiquent un pourcentage de 23,4 %. Le constat est sans appel, la population de personnels civils baisse dans notre ministère. Un comble, alors que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de juin 2008 prônait la civilianisation des postes dans le soutien et l'administration.

Ainsi, on trouve des personnels militaires sur des postes ne présentant aucun caractère opérationnel, en dehors d'une part minime permettant d'assurer une rotation entre les différentes affectations en opérations. De même, est-il plus normal de trouver des personnels militaires en charge de la gestion des personnels civils ? Les mêmes questions peuvent se répéter pour les fonctions achats et financières et pour bien d'autres encore.

Plus globalement, les postes d'encadrement sont peu occupés par des personnels civils, non pas parce qu'ils n'en ont pas la capacité, mais parce que la préférence est donnée à des personnels militaires.

La position de Défense-CGC est constante : compte tenu du coût trois fois plus élevé, pour les finances de l'État, d'un personnel militaire par rapport à un personnel civil, il faut accélérer la transformation des postes de militaires affectés au soutien et en administration en autant de postes de personnels civils.

Ainsi, dès 2012, et exécutable au PAM 2012, le pourcentage de postes transférés doit être augmenté. Ce transfert doit se faire en douceur, un plan quinquennal de transfert doit être défini pour atteindre 30 % de personnels civils à l'horizon 2016. S'agissant de l'encadrement supérieur, la proportion de civils parmi les chefs de groupement de soutien de base de défense (GSBdD), adjoints au chef de GSBdD et chefs de service, doit être portée à 50 %. La création du corps A+, dont nous avons parlé plus haut, permettrait de faciliter la civilianisation par reclassement de personnels militaires dans un corps civil.

S'agissant de mesures catégorielles, la moitié des gains réalisés sur le dos des personnels civils (par les réductions d'effectifs) devait revenir aux agents sous la forme de mesures catégorielles. Pour mémoire, cela n'a pas été le cas en 2009 et 2010, puisque une partie des gains réalisés n'a pas été redistribuée.

LFI 2011 : en 2011, 25,5 millions d'euros étaient inscrits dans le PLF. Quel est le bilan ? Quitte à se répéter, beaucoup de mesures catégorielles n'ont pas été réalisées. Où sont passées les sommes économisées ? Vu les éléments fournis et les explications données, nous ne pouvons pas trancher. Nous regrettons le manque de clarté.

PLF 2012 : pour 2012, nous prenons acte des 24 millions d'euros (en baisse de 1,5 million d'euros) de mesures nouvelles. Nous retrouvons d'ailleurs bon nombre d'engagements 2011 non réalisés.

Défense-CGC est très perplexe sur la mise en oeuvre de ces mesures.

En matière de formation, sur la base du bilan social 2010, le budget consacré à la formation des personnels civils a continué de diminuer pour s'établir à 71,6 millions d'euros. Celui des personnels militaires s'établit à environ 1,5 milliard d'euros selon les estimations de Défense-CGC, le montant n'ayant pas été fourni.

Le nombre de journées théoriques de formation par individu est de 15,1 journées pour les personnels militaires et de 2,7 journées pour les personnels civils.

Défense CGC est consciente que les comparaisons sont difficiles. Néanmoins, ne faudrait-il pas s'interroger sur l'opportunité de former, hors reconversion, des personnels militaires à moins d'un an de la retraite ?

Les économies réalisées pourraient d'ailleurs être en partie réaffectées. Elles serviraient notamment à parfaire la formation de nos jeunes militaires.

Pour le projet Balard, le partenariat public-privé (PPP) est certes innovant, mais risque d'être plus coûteux sur la durée globale. Lors de la présentation du budget 2012 le 28 septembre dernier, aucune information financière n'a été divulguée. Voudrait-on nous cacher la réalité des chiffres ?

En matière d'harmonisation des pratiques, il serait souhaitable de coordonner enfin les pratiques des bases de défense (BdD) et de Groupements de Soutien de Base de Défense (GSBdD); alors que l'objectif était de faire des économies d'échelle par la mutualisation des moyens et la mise en cohérence des pratiques, nous constatons trop souvent des situations divergentes par rapport à l'objectif.

De plus, sous couvert d'un besoin de coordination des BdD, la mise en place des états-majors de soutien de défense (EMSD) n'est pas en cohérence avec les pratiques des autres ministères visant à la mise en place de deux structures, l'une centrale, l'autre locale. Elle présente par ailleurs le risque de s'opposer à la bonne mise en oeuvre des CMG en complexifiant les circuits d'information.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, nous vous remercions de votre attention.

M. Yves Naudin, de la Fédération CFTC du personnel du ministère de la défense et des établissements et structures connexes - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est une première d'être reçus ainsi en audience au sein de cette honorable commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ! Nous vous en remercions très sincèrement car lorsque notre congrès fédéral nous a confié la gouvernance de notre fédération CFTC Défense, en 2007/2008, notre président, Monsieur Douspis et moi-même, trouvions pour le moins bizarre et inélégant d'être reçus chaque année par nos députés à l'occasion notamment des PLF, et jamais par nos sénateurs. Nous nous en étions ouverts plusieurs fois au président Larcher et à votre prédécesseur, M. Josselin de Rohan. Mais rien n'avait bougé !

Pourtant, nous les OS, si nous répondons habituellement et volontiers à toute invitation parlementaire, vous savez bien, ou vous allez l'apprendre, que nous constatons que nos propositions sont rarement reprises et viennent trop rarement modifier les projets de textes sur lesquels vous êtes appelés à délibérer !

Avant de rentrer dans le vif du sujet, pouvons-nous nous permettre, Monsieur le président, de vous poser une simple question de citoyen néophyte de cette institution sénatoriale ? Pourquoi votre commission porte-t-elle un nom fort différent de celui de la commission homologue de l'Assemblée nationale ? Pourquoi une telle association de mots et redondance ?

L'exercice d'aujourd'hui est un peu particulier pour nous : comment vous donner notre opinion sur le PLF 2012 sans qu'elle soit rigoureusement identique à celle qui figure sur le site de la commission de défense nationale en compte rendu de notre dernière audience du 18 octobre ? Nous pensons que l'actualité hélas va nous y aider.

Situons d'abord votre mission d'élu aujourd'hui. Vous avez à peine commencé à examiner le projet de loi de finances 2012, que la sincérité avec laquelle le gouvernement l'avait préparée est remise en question par les annonces de rigueur budgétaire faites avant hier par le Premier ministre, François Fillon. Non, vous n'avez pas la tâche facile cette année dans vos travaux parlementaires !

S'il y a ce plan d'austérité, c'est qu'il s'inscrit dans la nécessité de contrer la crise financière, née en 2007/2008 par l'activité de certains malfrats voire délinquants américains de la finance internationale, et qui a crucialement mis à jour l'endettement excessif de nos Etats !

Le sommet du G20 à Cannes des 3-4 novembre dernier a eu en trame de fond la crise eurogrecque, la réforme du système monétaire international et le renforcement de la régulation financière. Au-delà de cette tragédie grecque à coups de milliards d'euros, est ce que la baisse de la croissance, la crise morale, les diktats des agences internationales de notation financière (instances non démocratiques), la défiance toujours latente dans le système bancaire, la fragilité des monnaies, la crise de la dette vont s'estomper comme par enchantement ? Non bien sûr !

Vous pourriez nous dire, que la bientôt centenaire CFTC en a connu d'autres, des crises, depuis 1919, celle de 1929 entre autres ! Les citoyens, les syndicalistes CFTC que nous sommes ont constamment défendu des solutions...comme celle notamment de jeter les bases d'une véritable et équitable économie au service des hommes et femmes et de l'environnement, de redonner un sens à nos vies et à nos comportements économiques, de re-réglementer les conduites financières et de renouer avec certaines missions régaliennes de l'État au nom du bien commun dont il est le garant.

Honorables parlementaires que vous êtes, aidez-nous à réinstaller ces valeurs dans notre gouvernance nationale et internationale ! Nos mandants CFTC ont en effet l'impression que le monde marche sur la tête !

Que vaut ce projet de budget Défense 2012 ? Est-il crédible encore dans un tel contexte international ? La CFTC Défense a t-elle le droit d'être mécontente du PLF 2012, sur lequel avant même que vous ne le votiez, l'épée de Damoclès d'un 3e tour de vis budgétaire (annoncé par M. Hollande) est suspendue et qu'il va être soumis aux aléas des incertitudes électorales de l'an prochain ?

Notre président confédéral, Jacques Voisin, commentait ainsi le projet de budget général gouvernemental, première mouture, le 28 septembre 2011 :

« Budget 2012 : entre méthode Coué et déni de réalité.

Imaginer réduire le déficit budgétaire à 3 % en 2012/2013 avec un taux de croissance de 2 % relève, au mieux, de la méthode Coué, au pire, du déni de réalité. Ce sont pourtant les prévisions du gouvernement présentées ce matin à l'issue du conseil des ministres.

La CFTC estime que ces objectifs ne sont pas atteignables, essentiellement parce que l'austérité pèsera sur la croissance [...]. Il existe d'autres moyens de réduire les déficits que par l'austérité.

La CFTC regrette que le gouvernement soit plus enclin à « convaincre les marchés » et les agences de notation que de protéger les Français des méfaits de la crise financière : cela relève du déni de démocratie [...].

La CFTC s'inquiète également des conséquences que ne manquera pas d'avoir l'austérité sur des services publics essentiels : la RGPP a aujourd'hui atteint ses limites [...]. »

Le Premier ministre, avant hier, vient de justifier hélas les craintes que nous avions.

Peut-on encore maîtriser ce système monétaire, ces dérives pseudo-libérales ? Il va falloir rompre avec ce mauvais, très et trop mauvais capitalisme financier ! Il est pour nous en phase terminale et il convient d'en changer rapidement sous peine de plonger le monde dans le chaos. Car, pour la CFTC, avant d'être économique et financière, cette crise est d'abord politique : elle résulte de la décision des États au début des années 80, de s'en remettre à la stricte loi du marché. De la sphère politique, la crise s'est propagée aux sphères sociales puis économiques ! Où est passé le rôle de l'État régulateur, garant du bien commun, cher à notre CFTC ?

Et nous revoilà sur un des budgets régaliens, par excellence, celui de notre défense nationale ! Cela aurait pu être pire, comme nous le disions devant les députés, ce qui a provoqué chez certains une commissure aux lèvres.

Quelques points de satisfaction parmi d'autres donc :

- le projet s'inscrit bien dans la lignée du budget triennal et respecte la loi de programmation militaire 2009/2014 ! Compte tenu d'une inflation prévue à 1,7 %, ce budget est stable en volume et affiche 39,37 milliards d'euros, soit 1,9 % du PIB (31,72 milliards d'euros, hors pensions) ;

- les économies générées par les réductions d'effectifs et la rationalisation des soutiens sont, semble-t-il, redéployées au profit de l'équipement de nos forces et de la condition du personnel, civil et militaire : équipements : 16,5 milliards d'euros au lieu de 16 milliards d'euros en 2011, l'amélioration de la condition du personnel civil maintenu à un bon niveau : 24,15 millions d'euros, effort soutenu pour la seconde année budgétaire (bien qu'il manque les mesures spécifiques concernant les OE)...

- le maintien en condition opérationnelle (MCO), qui accompagne le développement des équipements, enregistre une progression de 200 millions d'euros, soit 7,5 %, pour atteindre un montant de 2,75 milliards d'euros ;

- le montant des provisions pour les OPEX maintenu....

Plusieurs points d'insatisfaction et d'inquiétude aussi, en sus de ce que nous avons dit en introduction à propos du contexte :

- les dissolutions et les transferts de formations et d'unités vont continuer à un rythme élevé en 2012 avec près de 184 mouvements, lit-on dans les propos des autorités ministérielles qui nous ont précédés, avant de décroître significativement en 2013 ;

- le plafond ministériel d'emplois autorisé (PMEA) du ministère de la défense et des anciens combattants s'élève, en 2012, à  293 198 personnes équivalents temps plein travaillés (ETPT), soit  224 595 militaires et 68 603 civils, pour la première fois ce PMEA des PC passe en dessous de la barre des 70 000 !

- le gel du salaire de ces personnels va perdurer ici comme dans toute la fonction publique !

- inquiétude et désaccord quand certains de vos orateurs vous disent que, par exemple, pour les majors de soutien de la défense (EMSD) et les 60 BDD, le ministère de la défense dispose ainsi d'un dispositif de soutien modernisé et pleinement opérationnel, non pas pleinement opérationnel et « modernisé ». A quel prix ? Rappelons que la DGA traîne les pieds pour rejoindre ce dispositif !

- le bon élève « Défense » dont nous avons parlé dans nos précédentes audiences devant vos collègues députés se traduit par une sorte d'avance de phase dans les déflations, signalée par MM. les députés Cornut-Gentille et Cazeneuve, dans leur 3e rapport relatif au suivi de la modernisation en cours, à sortir à la fin de cette année ;

- en ce qui concerne la manoeuvre RH, relevons devant vous le fait, qu'en ce qui concerne le plan d'accompagnement des restructurations (PAR), qu'aucun parlementaire ne nous ait écoutés sur notre proposition de défiscaliser aussi les indemnités de départ volontaire (IDV) des agents fonctionnaires et contractuels, alors que vous aviez voté cette même mesure pour nos collègues Ouvriers d'État et personnels militaires !

Notons aussi, en matière de restructuration, la faible solidarité de certains ministères et de la Fonction publique territoriale et hospitalière quand il s'agit de reclasser une ressource humaine compétente de la défense. D'ailleurs, ne serait-il pas intéressant de connaître le nombre des personnels Défense "restructurés" que les honorables parlementaires de cette commission ont pu recruter au titre de leurs divers autres mandats locaux ?

- Relevons enfin la trop faible et trop lente civilianisation des postes dédiés à l'administration générale et au soutien commun, métiers de prédilection pour notre Personnel civil, dixit aussi le Livre blanc en sa page 237.

Avant de conclure, Monsieur le président, voici quelques idées de la CFTC Défense que vous pourriez reprendre à votre actif -je précise qu'elles ont été exposées aussi aux députés.

Afin de donner du travail dans le bassin d'emploi de Toulon, pourrait-on reprendre l'idée d'un entretien des SNA américains dans le seul port méditerranéen à pouvoir assurer cette sécurité nucléaire, plutôt que de voir ces navires mouiller trop souvent à Cannes ou ailleurs ? Le député et vice-président de la commission de la défense nationale Vitel, approché par notre syndicat toulonnais et notre fédération dès 2007, ainsi que l'EMM, DCNs trouvent tous l'idée très bonne. Pourquoi ne pas l'avoir reprise dans la LPM ? Peut-être que M. le sénateur-maire Falco voudrait nous faire partager son sentiment ?

Nous souhaiterions voir repris le cadre législatif et réglementaire du télétravail qui pourrait permettre à des personnels handicapés de la fonction publique, qui ne peuvent pas forcément muter géographiquement, suite aux restructurations, sur certains sites, car malcommodes pour leurs déplacements, d'exercer leur fonctions à distance dans certaines conditions.

Une nouvelle idée aussi est à rappeler vis à vis de notre endettement européen : la France investit grandement dans sa défense et ses forces armées aux lieu et place de tous les autres États européens. Peut-être faudrait-il que les agences de notation en tiennent compte aussi dans leurs critères ?

Conclusion en deux temps :

- retour pour le premier sur le plan d'austérité du gouvernement : il vient de proposer de geler les salaires de ses ministres et de notre chef des armées ; les citoyens que nous sommes disent que c'est un signe qui montre un début de solidarité, comme le réclament d'ailleurs les citoyens grecs vis-à-vis de leur propres gouvernants et élus ! Et vous, nos élus, est-ce que cela vous interroge aussi ? Est ce que ce serait indécent de notre part, représentants des salariés auxquels on demande toujours plus d'efforts, est ce que ce serait passer pour des « antiparlementaires primaires » que de vous demander quel effort vous pourriez vous aussi produire pour montrer une solidarité sénatoriale d'une institution que l'on dit parmi les plus prestigieuses ?

Deuxième temps, concernant les 7 séminaires sur les réformes qu'entreprend notre ministre en région, puissent-ils, au-delà d'une opération de communication avérée, l'aider à mieux prendre en compte les fortes inquiétudes et souffrances du personnel civil de la défense.

Le pire n'est jamais sûr ! C'est le souhait que formule la CFTC Défense quant à ce PLF 2012, dans le contexte très spécial de crise et après les importantes élections du 20 octobre 2011, qui ont permis à notre fédération de rester représentative, et ce sans alliance !

Dans cette société, aidez-nous enfin à passer de l'étalon-dollar à l'étalon-homme ! Je vous remercie de votre attention.

M. Jean-Louis Carrère - Sachez qu'au Sénat les temps d'intervention sont proportionnels aux effectifs des groupes politiques. Je pense que cette règle serait inapplicable en l'état pour la représentation syndicale, et sans doute faut-il faire attention à ce que les temps d'intervention ne soient pas inversement proportionnels à la représentativité de chacun. Sachez que devant cette commission la parole est absolument libre, c'est donc bien volontiers que je réponds à vos questions, même si l'objet de cette audition porte moins sur les questions que vous souhaitez adresser à la représentation parlementaire que sur le budget de la défense et la condition du personnel civil de ce ministère. Vous avez évoqué les économies que pourrait faire le Sénat pour contribuer au redressement des finances publiques. Pour répondre à vos interrogations sur ce sujet, je vous invite à assister à la conférence de presse du Président du Sénat le 16 novembre prochain. M. Jean-Pierre Bel devrait, à cette occasion, annoncer des économies substantielles conformes à une gouvernance modeste pour un Sénat moderne que nous appelons de nos voeux. Je dois souligner que l'audition par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées des syndicats des personnels civils du ministère de la défense n'est pas une première, puisqu'un de mes illustres prédécesseurs, M. Xavier de Villepin, avait déjà, en son temps, organisé de telles auditions. Quant à l'intitulé de notre commission, il correspond à sa double compétence en matière de défense et d'affaires étrangères. Cette double compétence nous distingue de la situation qui prévaut à l'Assemblée nationale où, comme vous le savez, il existe une commission de la défense et une commission des affaires étrangères. Ces deux dimensions de l'action de l'Etat sont effet intimement liées comme en témoignent les interventions en Libye ou en Afghanistan. Comme vous le savez, il y eu des velléités de scinder la commission en deux, mais l'ensemble des groupes politiques consultés sur le sujet ont manifesté leur attachement à la situation actuelle. S'agissant des relations entre les députés et les sénateurs, sachez qu'elles sont cordiales et constructives dans le respect des prérogatives de chacun. Nos travaux témoignent de préoccupations communes et manifestent une forte complémentarité. J'ai bien entendu vos préoccupations concernant l'emploi des civils au ministère de la défense, initialement la réduction du format des armées de 54 000 personnes d'ici 2014 devait concerner pour 75 % les militaires et 25 % les civils.

M. Gilbert Roger - Pouvez-vous nous indiquer les éléments qui vous font dire que les bases de défense ont créé plus de dysfonctionnements que d'économies ? Considérez-vous que les mesures de revalorisation au sein du ministère ont traité les personnels civil et militaire de façon inégale ? Quelle appréciation portez-vous sur l'agence de reconversion ? Vous évoquez les collectivités territoriales comme un débouché naturel pour le personnel de la défense en reconversion, c'est une voie, mais celles-ci connaissent également des difficultés.

M. Serge Guitard, de la Fédération syndicaliste FO de la défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés le soutien des bases de défenses représente 10 % des effectifs, 30 000 personnes, 16 000 militaires et 14 000 civils. Or sur 2000 postes d'encadrement de niveau 1, il n'y a qu'environ 300 postes occupés par des civils. Au niveau 2, vous avez sur 8 000 postes 7 000 sous-officiers. Or sur l'ensemble de ces fonctions, nous n'avons pas besoin de militaire. Une des pistes serait de remplacer ces militaires par des civils, du fait des obligations des militaires en matière d'entraînement, on peut remplacer 50 000 militaires par 30 000 civils car les militaires dans le domaine du soutien consacrent réellement que 60 % de leur temps à leur poste de travail stricto-sensus, le reste du temps étant consacré à des obligations militaires annexes et notamment à de l'entraînement. Il y a dans le soutien des possibilités de substitution entre les militaires et les civils qui seraient une source d'économie évidente, car d'un point de vue financier le coût d'un militaire est de ce fait 30 % plus cher qu'un personnel civil à poste identique.

M. Luc Scappini de la CFDT - Fédération des établissements et arsenaux de l'Etat - Comme l'a souligné le chef d'état major de l'armée de terre devant votre commission, une des difficultés pour réformer le soutien est liée aux problèmes de débouché des très nombreux colonels de l'armée de terre qui ne veulent pas céder leur responsabilité à des civils. Sur l'ensemble de la réforme notre propos est politique, comme vous l'avez observé, parce que nous récusons le bien-fondé de l'ensemble de la réforme de la politique de défense issue de la loi de programmation et du livre blanc. Nous ne sommes pas les seuls, même les responsables militaires reconnaissent que la suppression des derniers 10 000 postes sur les 54 000 prévus sera problématiques.

M. Jean-Louis Carrère - Votre liberté de parole est entière, mais aujourd'hui nous souhaiterions consacrer cette séance au projet de budget pour 2012.

Mme Nathalie Goulet - Je souhaiterais avoir un bilan de l'impact de l'intégration des gendarmes au sein du ministère de l'intérieur.

Mme Michelle Demessine - J'apprécie particulièrement la présence des syndicats aujourd'hui car leur réflexion est particulièrement éclairante. Je souhaiterais savoir quel bilan vous dressez des mesures prises sur l'accompagnement social des restructurations, quels regards sur les externalisations, quelle vision sur Balard ? Je comprends que vous ayez des réticences. Avez-vous été bien associé à la programmation de ce projet, est ce que vous avez une idée du taux de féminisation du personnel civil et des moyens de le faire progresser ?

M. Jean-Marie Bockel - J'ai été sensible aux propos tenus sur le regard que portent souvent les militaires sur le personnel civil de la défense. Je crois également que certaines missions pourraient être assurées dans de bonnes conditions par les personnels civils. Je souhaiterais avoir votre vision du bilan de l'accompagnement social des restructurations.

M. Jean-Yves Placenti, de l'UNSA Défense - Le projet Balard est une opération complexe dont toutes les difficultés n'ont pas été anticipées. Les syndicats n'ont pas été associés à ce projet. Nous nous sommes interrogés sur les conditions dans lesquelles certains salariés civils du ministère seront employés à Balard en tant que salariés du groupe OPAL.

M. Didier Boulaud - J'espère que vous avez pris connaissance du rapport sénatorial sur Balard dans lequel nous avions manifesté nos réticences sans être malheureusement entendus.

M. Roland Denis de la Fédération CGC-Défense - Sur la différence de traitement, il faut savoir que la grille indiciaire des militaires a connu des revalorisations indiciaires substantielles, ce qui est loin d'être le cas du personnel civil. Sur le coût respectif des militaires et des civils, nos calculs conduisent à penser qu'un personnel militaire coûte, sur une carrière, trois fois plus cher qu'un civil. Nous sommes contre les externalisations car on ne nous a jamais démontré que cela conduit à des économies.

M. Luc Scappini de la CFDT - Fédération des établissements et arsenaux de l'Etat - Je crois qu'il faut rompre avec le type de dialogue social en cours dans la fonction publique. Il nous faut des accords sur la méthode. Sur l'accompagnement social, cela nous a été refusé. Sur l'externalisation, nous n'avons pas été consultés, nous n'avons pas eu accès à suffisamment d'informations ni d'expertises. Or on travaille à l'aveugle sur des dossiers comme l'externalisation où aucun comparatif sérieux n'a été établi pour savoir si c'était plus rentable que des services en régie.

M. Alain Le Cornec de la Fédération des travailleurs de l'Etat - FNTE-CGT - Pour nous, il ne s'agit pas d'opposer les civils et les militaires. Ce sont les questions d'ensemble sur l'avenir du ministère qui nous préoccupent. Concernant l'accompagnement social, au-delà des indemnités, c'est la question de la distance du lieu de travail qui est au coeur des préoccupations. Il y a une dimension qui n'est pas assez prise en compte c'est, lors des mutations, le sort des conjoints. Ces mobilités forcées provoquent un chômage élevé chez les conjoints. Au-delà de ces questions, il y a la question industrielle, pas seulement la question financière. La France doit assurer la sauvegarde de ses industries souveraines plutôt que d'acheter des armements sur étagère à l'étranger ou de transférer notre production à l'étranger.

M. Serge Guitard, de la Fédération syndicaliste FO de la défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés - Quelques observations sur le budget. Nous observons l'évolution du budget de la réserve avec inquiétude car la réserve conduit souvent à remplacer des postes de civils par des ESR, à un coût généralement supérieur. Il ne faut pas opposer les catégories de personnels, mais force est de constater que le niveau des postes confiés aux civils est systématiquement inférieur au niveau des postes attribués aux militaires, l'encadrement est très systématiquement confié aux militaires, notamment dans les bases de défense. Sur le reclassement, les résultats sont bons parce que les gens n'ont pas le choix, mais, dans la réalité, il y a des dégâts dans les familles. On fait déplacer les civils parfois très loin alors qu'il y a des postes non opérationnels détenus sur place par des militaires qu'on ne veut pas confier à des civils. Un dernier point : certes, les collectivités territoriales ne peuvent pas accueillir tout le personnel touché par les restructurations, mais naturellement on se tourne vers elles car les autres ministères sont également en restructuration. L'ARD est une superbe machine à ne rien produire, car elle externalise l'essentiel de son activité. On peut se demander, par ailleurs, pourquoi ce sont des militaires qui dirigent des organismes comme l'ARD, les infrastructures de la défense ou le service militaire qui est aujourd'hui essentiellement civil.

M. Daniel Reiner - A Metz, j'ai participé à des réunions publiques sur les restructurations et j'en ai retiré le sentiment que les civils étaient moins bien traités que les militaires. Cette audition me confirme dans ce sentiment, mais je n'ai cependant pas d'exemple précis de personnes à qui l'on n'a pas proposé de reclassement. Je suis preneur d'exemples concrets, sur ce sujet mais aussi sur celui de la substitution entre les emplois civils et militaires. Concernant la formation, je regrette vivement la différence de traitement entre les civils et les militaires. Nous sommes rapporteurs du programme 146, sachez que nous suivons avec attention les restructurations en cours. J'ai enfin des questions sur le traitement des bâtiments en fin de vie.

M. Alain Néri - Je suis préoccupé par les conséquences des mutations en cours sur l'aménagement du territoire : avez-vous des évaluations sur les conséquences pour les équipements collectifs qui environnent les bases qui font l'objet de restructuration ?

M. Alain Le Cornec de la Fédération des travailleurs de l'Etat - FNTE-CGT - DCNS souhaite se positionner sur le traitement des sous-marins en fin de vie, mais néglige, à l'instar du gouvernement, l'enjeu d'ensemble de la déconstruction et du traitement des navires en fin de vie. Il y a des possibilités importantes de construction de filières de déconstruction. Sur les restructurations, nous avons des exemples. Ainsi la DAS, à Angers : la réforme du site s'est traduite par la suppression de 83% des postes dispatchés dans toute la France.

M. Jean-Yves Placenti, de l'UNSA Défense - Le ministère est organisé par et pour les militaires, ce qui est normal, mais faut-il pour autant traiter ainsi les civils ? Il y a des mesures symboliques lors des cérémonies, en matière de décorations ou autres qui sont autant de sujet de crispation.

M. Serge Guitard, de la Fédération syndicaliste FO de la défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés - Il faudrait avoir un débat sur la politique industrielle de l'Etat dans le domaine de la défense. Vous demandez des exemples, mais vous pouvez demander au ministère la comparaison des coûts entre civils et militaires. Sur les restructurations, nous n'avons pas de visibilité sur les établissements et bases qui vont fermer.

M. Luc Scappini de la CFDT - Fédération des établissements et arsenaux de l'Etat - Nous allons vous fournir des exemples concrets. Sur l'activité sur les territoires, les syndicats sont les premiers à avoir attiré des élus sur la question. Sur la question industrielle, nous sommes demandeurs des états généraux de l'industrie pour sensibiliser l'opinion publique. Car il est important que les Français s'approprient leur outils de défense.

M. Jean-Louis Carrère - Merci beaucoup de votre présence. C'était un exercice très utile pour nous éclairer sur des enjeux qui sont importants pour l'avenir de notre politique de défense.

- Co-présidence de M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères et de la défense, et de Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture -

Contrat d'objectifs et de moyens entre l'Etat et l'Institut français - Audition de M. Xavier Darcos, ambassadeur en mission pour la politique culturelle extérieure de la France, président exécutif de l'Institut français

Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission auditionne, conjointement avec la commission de la culture, M. Xavier Darcos, ambassadeur en mission pour la politique culturelle extérieure de la France, président exécutif de l'Institut français, sur le contrat d'objectifs et de moyens entre l'Etat et l'Institut français.

Mme Marie-Christine Blandin, co-présidente - Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Xavier Darcos en sa qualité de président de l'Institut français afin de nous dresser un premier bilan d'étape de la mise en place de la nouvelle agence culturelle et de l'exécution des missions qui lui ont été confiées par la loi du 27 juillet 2010. Cette audition sera également l'occasion de l'interroger sur le contenu du projet de contrat d'objectifs et de moyens qui liera l'Institut à l'État pour la période 2011-2013 et qui a été transmis pour avis à nos deux commissions au début de cette semaine.

Après avoir longtemps milité pour un sursaut de notre diplomatie culturelle et d'influence, nous serons particulièrement attentifs à la définition stratégique de notre action culturelle extérieure et aux moyens que les pouvoirs publics sont prêts à consentir à prestige intellectuel, culturel, linguistique et moral que nous entretenons à l'étranger.

M. Jean-Louis Carrère, co-président - Je souhaite la bienvenue à notre ancien collègue Xavier Darcos. Vous savez l'intérêt que portent nos deux commissions à l'action culturelle extérieure de la France. Je rappelle que le Sénat a beaucoup travaillé sur l'acte de naissance de l'Institut français, c'est-à-dire le projet devenu loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État, rapporté par MM. Joseph Kergueris et Louis Duvernois.

Nous sommes donc impatients d'entendre son nouveau président. J'observe également que la stratégie de l'Institut français est indissociable de son financement, comme le précise explicitement le contrat d'objectifs et de moyens sur lequel nous vous entendons. C'est pourquoi nos rapporteurs budgétaires sur les crédits de l'action extérieure de l'Etat, MM. Jean Besson et René Beaumont, auront l'occasion de vous interroger en détail sur les enjeux du déploiement de l'Institut français.

M. Xavier Darcos, président de l'Institut français. - Je vous remercie de votre accueil et suis particulièrement heureux de venir devant les deux commissions de la Culture et des Affaires étrangères du Sénat pour présenter le contrat d'objectifs et de moyens de l'Institut français, qui, je le rappelle est le nouvel opérateur de l'action culturelle extérieure, depuis sa création, le 1er janvier 2011. J'adresse tout particulièrement mon amical souvenir aux rapporteurs René Beaumont et Jean Besson.

Il s'agit pour moi d'accomplir, au nom de l'Institut français, une obligation statutaire. En effet, le contrat d'objectifs et de moyens (COM) doit recevoir, conformément à l'article premier de la loi du 27 juillet 2010 sur l'action extérieure de l'Etat, un avis des deux assemblées avant son approbation par le Conseil d'administration. Le projet de contrat d'objectifs et de moyens a d'ores et déjà reçu un avis favorable du Comité d'orientation stratégique de l'Institut français, le 28 septembre dernier, sous la présidence du ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes, M. Alain Juppé, et du ministre de la culture et de la communication, M. Frédéric Mitterrand. Il est prévu, par la suite, de soumettre le COM à l'approbation définitive du conseil d'administration de l'Institut le 15 décembre prochain. Je rappelle également que le projet de COM prévu par les statuts et proposé par le ministère des affaires étrangères et européennes doit être co-signé par le ministère de la culture et de la communication et le ministère du budget, même si l'Institut français n'est soumis à la tutelle du seul ministère des affaires étrangères et européennes.

Ce projet s'articule en quatre objectifs : le premier est d'inscrire l'action culturelle extérieure dans les objectifs de notre politique étrangère ; le deuxième consiste à soutenir et à développer l'action du réseau culturel dans le monde : permettez-moi à ce sujet de souligner combien les personnels de ce réseau parviennent à « soulever des montagnes », avec des moyens réduits mais un dévouement exceptionnel. Le troisième objectif fixé par le COM est de développer des partenariats au profit d'une action plus cohérente et efficace. C'est une nécessité pour le rayonnement et l'efficacité de l'action du nouvel Institut français. Enfin, le quatrième objectif vise à améliorer le pilotage et l'efficience dans la gestion des ressources.

Le préambule du contrat d'objectifs assigne à l'Institut français une mission claire : porter une ambition renouvelée pour notre diplomatie d'influence, contribuer au rayonnement de la France à l'étranger, accompagner le développement culturel des pays envers lesquels nous avons un devoir de solidarité et promouvoir la diversité culturelle et linguistique, dans une démarche d'écoute et de partenariat. L'Institut français a également pour mission de renouveler les modalités d'action de notre diplomatie culturelle, de renforcer nos leviers d'influence et de dialogue avec les sociétés civiles et les nouvelles élites. Il met en oeuvre les priorités géographiques définies par le département.

Pour compléter ce rappel des quatre objectifs, je veux souligner l'ambition qui sous-tend ces différents chapitres du projet de contrat d'objectifs et de moyens.

Tout d'abord, il nous est demandé d'adapter nos actions aux zones géographiques prioritaires pour le ministère et de les orienter plus particulièrement cette année vers le sud de la Méditerranée ainsi que de mettre l'accent sur les pays émergents. Une discussion avec notre autorité de tutelle est en cours pour définir précisément les pays prescripteurs pour notre action. Ensuite, l'accent est mis sur l'appui à la création française contemporaine, dans tous les domaines : artistique, littéraire, cinématographique, et pour la diffusion des savoirs. Cela confirme notre rôle essentiel en matière de soutien aux créateurs vivants, d'arts visuels et d'aide à la traduction d'auteurs. Je tiens à souligner que la diffusion à l'étranger de la création française actuelle est fondamentale à mes yeux : elle implique les hommes et les femmes auteurs, acteurs, artistes, metteurs en scène qui vont entretenir l'image de la France dans les grands médias internationaux. Nous voulons aussi que les créateurs du monde de nationalité étrangère puissent venir se manifester chez nous. Nous favoriserons également le débat d'idées, c'est-à-dire la diffusion de la pensée française, économique, sociale ou scientifique pour défendre notre place intellectuelle dans le monde. J'ajoute que l'enseignement de la langue française, qui est le socle commun de notre action, est pour moi une priorité essentielle et transversale pour l'Institut français. La coopération culturelle et la promotion de la diversité culturelle fait également partie de nos priorités : mes déplacements récents m'ont permis de constater à nouveau combien les créateurs et les artistes africains, par exemples, comptent sur nous pour trouver des plateformes leur permettant de trouver une visibilité et de renforcer leurs chances d'accéder ensuite aux grands circuits internationaux de distribution commerciale.

Sur le terrain, c'est, bien entendu, le réseau culturel de coopération qui a un rôle essentiel dans la mise en oeuvre de ces objectifs. L'Institut français qui a pour mission de créer une nouvelle relation avec ce réseau - dans lequel, je le souligne, les alliances françaises ont une place éminente - doit d'abord s'efforcer de le soutenir au mieux. Pour cela, nous mettons tout d'abord en place des outils numériques mutualisés et structurants : un effort particulier est consenti pour la diffusion des films français qui seront très aisément accessibles pour le réseau culturel grâce à la mise à la disposition instantanée de fichiers. Ensuite, l'Institut est chargé de l'ensemble des actions de formation des agents du réseau culturel, à la fois les agents expatriés et les agents de recrutement local ; deux millions d'euros ont été consacrés cette année à cette action, qui a concerné 900 personnes, que nous prenons très au sérieux. Nous avons également pour objectif de développer une stratégie de communication visant à construire une image forte, d'instituer une nouvelle marque et de la faire vivre dans le réseau, en coopération avec les alliances françaises avec lesquelles nous travaillons en commun.

Nous sommes par ailleurs en train de nouer des partenariats avec l'ensemble des grands opérateurs de l'action culturelle ; cette politique active nous conduit à signer de nombreuses conventions de partenariat afin de démultiplier notre action. Tel est, par exemple, le cas avec le Centre national du cinéma, avec la Bibliothèque nationale de France et bientôt Campus France. Cette contractualisation permettra de délimiter avec précision nos champs d'intervention respectifs et d'éviter les confusions.

Enfin, conformément à la loi, nous sommes conduits à mener une expérimentation de rattachement de douze postes diplomatiques à l'Institut français. Un bilan d'évaluation en sera tiré d'ici 2013 : il sera soumis aux commissions parlementaires et servira de base à l'éventuelle généralisation de cette expérience.

J'en viens aux questions budgétaires car les objectifs opérationnels formulés dans le projet de contrat sont assortis de moyens nécessaires à leur mise en oeuvre. Je me félicite, au vu de la conjoncture actuelle, que l'Institut français ait pu bénéficier dès sa création d'un cadrage budgétaire triennal. Ainsi, le projet de COM prévoit que l'établissement public dispose d'un budget annuel de 37,6 M€ en 2011, de 37,06 M€ en 2012 et de 36,5 M€ en 2013. Un tableau d'indicateurs de performance et de gestion, en cours de finalisation, servira à vérifier la bonne exécution de ce budget.

Pour conclure, je tiens à souligner, que depuis l'audition à laquelle vous m'aviez convié le du 7 février dernier, le processus d'installation de l'Institut français et de lancement de la réforme a bien avancé dans des délais très brefs. Aujourd'hui même, l'Institut français déménage dans ses nouveaux locaux. L'année 2011 est une année de démarrage pour le nouvel opérateur et l'adoption de son COM marquera une étape importante de sa création.

M. Jean Besson - Ma première question porte sur le caractère industriel et commercial de l'Institut Français. Du point de vue fonctionnel, ce choix peut assurément se justifier par une souplesse de gestion accrue. Cependant, je note d'abord, de façon générale, que le recours aux « agences » est de nature à affaiblir la précision du contrôle parlementaire sur les dotations qui leur sont allouées : c'est pourquoi nous devons observer une vigilance particulière à l'égard de leur stratégie ainsi que de leur gestion et votre audition est, à ce titre, particulièrement opportune. En second lieu, je me demande également de quelle façon vous prenez en compte la dimension symbolique de cette gestion par un établissement industriel et commercial car elle semble, selon certaines organisations syndicales, comporter un risque de démotivation pour certains personnels dont le dévouement procède d'un engagement au service d'une cause désintéressée.

En second lieu, on a souvent déploré une excessive complexité du réseau culturel qui s'accompagnait d'une certaine dissémination des crédits. La mise en place de l'Institut français est, de ce point de vue, un progrès indéniable. Mais certains craignent que le développement de l'Institut amène une dépossession progressive de l'ambassadeur sur la partie culturelle du réseau : qu'en pensez-vous ?

M. René Beaumont - Je le réaffirme : la France n'a pas de meilleur ambassadeur que sa culture et je souhaite donc avant tout vous féliciter pour la rapidité de la mise en place de l'Institut français. Comme vous le savez, les Alliances françaises s'inquiètent des conséquences du déploiement de l'Institut Français et font valoir qu'au moment de la discussion de la loi du 27 juillet 2010, le Gouvernement s'était engagé, pour éviter les « doublons », à ce qu'on ne crée d'Instituts français par fusion que dans les villes où existaient un service culturel (SCAC) et un centre culturel (EAF) ; les alliances française ont besoin d'être confortées sur ce point. Par ailleurs, n'y a-t-il pas un risque de confusion entre les deux « marques » ou logos de l'Institut français et de l'Alliance française pour le citoyen qui a peut-être quelques difficultés à comprendre la distinction entre les entités qui composent le réseau culturel. En outre, au plan financier, le projet de contrat d'objectifs et de moyens comporte des dispositions extrêmement volontaristes pour, je cite, « lever des cofinancements » à tous les niveaux (entreprises, collectivités territoriales et Union européenne) : il est, dès lors, compréhensible que les Alliances françaises puissent s'inquiéter de l'éventuelle concurrence qui pourrait résulter de cette démarche ? Sur ces deux points, quels apaisements et garanties pouvez-vous apporter au réseau des alliances françaises : la voie conventionnelle vous parait-elle suffisante ou faut-il, à votre avis, légiférer dans ce domaine ?

En second lieu, à mon avis, à l'heure de l'Internet, la diplomatie culturelle et la francophonie seront numériques ou ne le seront pas : où en sont la stratégie de l'Institut français et les mesures prises dans ce domaine ?

M. Louis Duvernois, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - La conception et l'élaboration de la loi du 27 juillet 2010 a été un exercice compliqué pour diverses raisons. Mais, un an après, on peut se féliciter du chemin parcouru. Aujourd'hui, l'Institut français est en ordre de marche.

Parmi les difficultés déjà évoquées, l'une d'entre elle concerne les relations avec les postes diplomatiques. Au-delà des 12 postes concernés par l'expérimentation, l'Institut français parvient-il à nouer des relations étroites et constructives avec les missions diplomatiques ?

Et quelles sont les perspectives de la refonte du décret relatif au pouvoir des ambassadeurs ?

Enfin, quel est le rôle des collectivités territoriales, déjà présentes bien avant l'adoption la loi ? Elles sont plus que jamais des sources de financement. Elles travaillent déjà à l'international. Ne faut-il pas prévoir un indicateur de résultat dans le contrat d'objectifs et de moyens sur le nombre de partenariats conclus avec les collectivités territoriales afin d'évaluer votre ambition dans le soutien à la coopération décentralisée qui est un acteur important de notre action extérieure de l'État ?

M. Xavier Darcos, président de l'Institut français. - En réponse à M. Besson sur la question du choix du statut de l'EPIC, il s'agit tout d'abord de la volonté du législateur. C'est une structure souple. Aujourd'hui, on a besoin de partenariats, du soutien des entreprises, de la mobilisation des administrations publiques, d'associations croisées. Je comprends bien que vous vous inquiétez du contrôle parlementaire. Les grandes manifestations que porte l'Institut comme les Années croisées se font évidemment avec une partie du budget qui provient de partenaires et de soutiens de toute nature. Porter l'image « France » est valorisant. C'est une tradition française d'utiliser sa culture et son patrimoine comme un moyen de valoriser sa présence dans des pays où elle voudrait par ailleurs avoir une action commerciale et économique. C'est une force.

S'agissant de la complexité du statut du personnel, c'est l'inverse. Il demeure sous statut privé dans la continuité du statut existant à CulturesFrance. Quant à l'Institut, il supervise le rattachement des personnels et la formation, ce qui favorise les débouchés et facilite la transformation des contrats en CDI. Le passage en comptabilité publique est plutôt un avantage aussi bien pour la transparence du contrôle parlementaire que pour la gestion.

En réponse à M. Beaumont, sur la question des rapports avec les alliances françaises, il y a eu une débauche d'affichage de l'Institut français pendant sa période de promotion. Nous avons tout à fait conscience que les alliances françaises représentent la moitié du réseau culturel français, qu'elles sont présentes à des endroits différents de l'Institut et que leur action est tout à fait essentielle, en particulier en matière de promotion de la langue française. Nous aurions pu représenter un nouveau concurrent qui s'installerait avec une nouvelle signalétique et une grande puissance de feu. Mais, l'objectif est bien sûr de travailler ensemble, d'être complémentaire et non concurrent. Nous travaillons ensemble à une convention qui devrait voir le jour en janvier prochain. Je regrette juste que l'on n'ait pas réussi un rapprochement visuel.

Sur la question du numérique, nous mettons un effort considérable dans ce domaine (IF cinéma, IF map). Nous cherchons à mettre en place un site unique qui soit un centre de ressources et d'information. Par contre, il existe encore des difficultés au niveau des récepteurs, le haut débit étant encore loin d'être reçu partout.

En réponse à M. Duvernois, sur les relations entre l'Institut français et les postes diplomatiques, il y a eu dans les premiers temps une inquiétude de la part des ambassadeurs, qui est aujourd'hui levée. L'ambassadeur reste bien entendu le coordonateur de l'action culturelle. Il perçoit clairement les enjeux et inscrit la politique culturelle dans la stratégie diplomatique qui est la sienne.

En ce qui concerne la place des collectivités territoriales, nous avons conscience de la difficulté d'embrasser tous les secteurs de la coopération décentralisée. Nous sommes bien entendu en contact avec les grandes associations d'élus, notamment l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'Association des régions de France (ARF) afin de coordonner au mieux les actions et d'apporter notre soutien aux actions d'envergure. Mais nous ne souhaitons pas tout quadriller.

Mme Hélène Conway Mouret. - Je souhaite revenir sur deux points : pouvez-vous préciser les termes de la convention qui doit être signée en janvier prochain avec l'Alliance française et quelle est la position des conseillers culturels qui seront chargés d'un nouvel organisme dans leur relation avec l'ambassadeur et le ministère ?

M. Bernard Piras. - Je m'intéresse aux comparaisons internationales.

Le British Council dispose d'un budget de 600 millions d'euros dont 220 millions proviennent de financements publics, ce qui lui permet d'être présent dans 109 pays.

L'Institut Goethe bénéficie d'implantations dans 183 pays avec un budget de 260 millions d'euros dont 215 millions de subventions publiques.

L'institut dispose d'un budget de 37 millions d'euros.

Pourquoi de telles différences ?

Mme Claudine Lepage. - Je voudrais revenir sur les relations entre l'Institut et l'Alliance française. Si les relations entre les deux organismes sont amicales, elles sont aussi tendues. Pouvez-vous apporter des précisions sur les termes de la future convention et quelles sont les difficultés que vous rencontrez ? Par ailleurs, concernant les 12 postes expérimentaux, comment se passe le rattachement quand il y a déjà une alliance sur place et quelles sont les conséquences pour l'Institut en terme de gestion de projet et de gestion de personnel ?

M. Xavier Darcos, président de l'Institut français. - Concernant les termes de la convention entre l'Institut et l'Alliance française, une première convention avait déjà été signée en septembre 2010 à l'initiative de M. Bernard Kouchner, avant la création de l'Institut, qui précisait la nécessité de travailler ensemble.

La nouvelle convention portera sur la rationalisation du travail, la répartition des tâches, la collaboration des personnels et les effectifs à mobiliser, dans une démarche de qualité.

Tout ceci dans un souci de respect des territoires et des compétences de chacun.

Sur la question du rattachement, il y a eu un malentendu. Il s'agissait d'une question très ponctuelle localisée à Abou Dabi due à une législation locale particulière. Le problème a été réglé et il n'est absolument pas question de rattacher le personnel des alliances françaises à l'Institut.

Sur la question de M. Piras, il faut comparer ce qui est comparable. Le British Council est une « charity », association à caractère caritatif (qui inclut des financements privés), et l'Institut Goethe est également une association. La structure juridique de ces organismes est donc très éloignée de celle de l'Institut français qui est un établissement public à caractère industriel et commercial. Si on intègre les fonds privés et les appels à projet au budget central, nous obtenons des chiffres comparables qui atteignent 200 millions d'euros.

Nous avons d'ores et déjà signé une lettre d'intention avec l'Institut Goethe en vue de coordonner nos actions. Et, nous avons un projet similaire avec le British Council.

Mme Marie-Christine Blandin, co-présidente. - La commission de la culture est très attachée à la culture scientifique et je sais que le British Council est très avancé sur le sujet.

Mme Josette Durrieu. - Je regrette que la culture ne soit pas assez au centre des actions de coopération décentralisée dans les départements.

Dans mon département des Hautes-Pyrénées, je me pose la question de savoir comment mieux accompagner les collectivités qui veulent s'investir dans des projets culturels.

Je constate et regrette un manque de coordination dans l'organisation des initiatives locales. D'où la nécessité d'être accompagné et informé par le ministère.

Nous avons créé, il y a une quinzaine d'années, une « maison du savoir » qui se révèle être un outil de terrain qui devrait être mieux exploité, car il peut être très performant notamment en terme de francophonie. J'aimerais savoir comment faire pour créer un réseau de ces maisons du savoir, maintenant que je sais qu'il en existe déjà un certain nombre.

M. André Gattolin. - Je me pose la question de la programmation et des choix artistiques qui seront mis en avant par l'Institut.

L'action événementielle dispose d'une forte visibilité surtout celle de l'année croisée. Mais l'instabilité des choix de programmation, comme l'annulation de l'année du Mexique due à des considérations diplomatico-politiques, ne facilite pas l'obtention de subventions, ni la levée de fonds au titre du mécénat et des partenariats. Il me paraît important de redonner de la stabilité dans la programmation.

Par ailleurs, des problèmes structurels demeurent. L'action extérieure menée par des grandes institutions comme le Louvre, le château de Versailles ou encore la Comédie française participe à la propagation de la culture française à l'étranger. Mais j'ai le sentiment qu'ils considèrent plus CulturesFrance et maintenant l'Institut français comme un pourvoyeur de subventions que comme un partenaire qu'ils associent à leurs choix de programmation.

Enfin, je note l'importance que vous accordez à la promotion des acteurs contemporains émergents de la culture. Toutefois, il existe une contestation sur les choix de programmation considérés parfois comme arbitraires et relationnels.

Comment allez-vous faire dans cette nouvelle structure pour redonner à la fois une diversité, une stabilité, une vigueur et un engagement créatif de notre pays, tout en stabilisant notre programmation et en trouvant des partenaires capables d'amplifier vos capacités budgétaires ?

M. Xavier Darcos, président de l'Institut français. - Il existe beaucoup de micro-projets qui débouchent sur des opérations importantes. L'Institut français est-il là pour les accompagner ? Nous allons examiner la compétence de l'Institut sur tous ces petits projets locaux.

Sur la question de la programmation, je voudrais vous dire tout d'abord que la programmation s'élabore de longue date que ce soit dans le cadre des années croisées, des saisons ou des opérations « tandem ». Nous préparons actuellement les années croisées avec l'Afrique du Sud qui se dérouleront en 2012-2013. C'est vrai que nous avons parfois des déceptions parce que nous avons effectué des choix discutables avec des répercussions financières, mais généralement cela fonctionne bien et nous avons de bons résultats.

Concernant l'action extérieure des très grands établissements publics, ce sont des projets très lourds qui doivent bien entendu être soutenus par l'Institut. C'est notre rôle d'accompagner ces grands opérateurs.

Enfin, sur la question du choix des contenus, quelque soit le choix il sera toujours discuté. Je laisse la programmation à ceux dont c'est le métier, même si leurs choix me laissent parfois perplexe.

M. Jean-Jacques Pignard. - Ma remarque concerne la complexité des projets de coopération décentralisée. Nous sommes en relation avec CulturesFrance, l'Alliance française, le conseiller culturel de l'ambassade. Il s'agit d'un véritable parcours du combattant. Je souhaite que l'Institut français devienne l'interlocuteur unique des collectivités territoriales dans ce domaine, surtout dans le contexte actuel d'argent public rare.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je m'interroge sur deux points : la gestion du personnel expatrié et les projets de coopération avec l'audiovisuel extérieur de la France (AEF) afin de promouvoir notre patrimoine culturel et notre tourisme.

M. Xavier Darcos, président de l'Institut français. - Que l'Institut soit l'interlocuteur principal des collectivités, c'est l'esprit même de la loi. Nous verrons comment les choses évolueront.

Sur le personnel expatrié, il dépend du ministère des affaires étrangères et européennes. C'est la loi.

Sur les relations avec l'AEF, le sujet est compliqué. Ce domaine d'activité a été écarté de la compétence de l'Institut. Nous avons donc essayé de contourner cette difficulté en passant des accords avec les organismes compétents : France 24, TV Monde, RFI, afin de préciser nos missions respectives. Il y a bien entendu des secteurs où nous devons agir ensemble comme dans le domaine du patrimoine cinématographique. Tout n'est pas encore stabilisé du côté de l'AEF.

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Loi de finances pour 2012 - Audition de M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration

Puis, la commission auditionne M. Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l'Immigration, sur le projet de loi de finances pour 2012 (programme « gendarmerie » de la mission Sécurité et programme « immigration et asile » de la mission Immigration, asile et intégration).

M. Jean-Louis Carrère, président. - Je vous remercie, Monsieur le ministre, d'avoir répondu à notre invitation pour venir devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, pour cette audition consacrée aux crédits de la gendarmerie nationale et ceux destinés à l'immigration et l'asile dans le projet de loi de finances pour 2012.

Avant de nous présenter les grandes lignes de ces budgets, peut-être pourriez vous, Monsieur le ministre, nous dire quelques mots sur le bilan que vous tirez du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur et de la loi du 3 août 2009, à la lumière notamment du rapport d'évaluation présenté par notre collègue député M. Alain Moyne-Bressand et notre collègue sénatrice Mme Anne-Marie Escoffier. Je pense notamment à la préservation du caractère militaire de la gendarmerie, auquel nous sommes tous ici particulièrement attachés.

Nous serions également intéressés de connaître votre sentiment sur les conclusions et les recommandations formulées par la Cour des comptes dans son récent rapport public sur l'organisation et la gestion des forces de sécurité publique. Dans ce rapport, la Cour des comptes relève notamment, qu'entre 2002 et 2010, les résultats obtenus dans la lutte contre la délinquance ont été contrastés, avec un recul des atteintes aux biens mais une augmentation des atteintes aux personnes. Par ailleurs, elle estime que la « culture de résultat », érigée en 2012 en mode de fonctionnement des services de sécurité publique, a fait -je cite- « prévaloir une gestion par objectifs exprimés en fonction des statistiques de la délinquance ».

Plus généralement, nous aimerions connaître vos priorités, en matière de sécurité, notamment à la lumière du récent Livre blanc, mais aussi en ce qui concerne la politique d'immigration et d'asile. Comment expliquez-vous par exemple votre revirement en ce qui concerne le recours à l'immigration économique ou encore votre politique s'agissant des visas ou des autorisations de travail délivrés pour les étudiants étrangers ?

Mais, surtout, nous souhaiterions vous entendre sur le projet de loi de finances pour 2012. Est-ce que ce budget donne à la gendarmerie nationale les moyens de fonctionner et de répondre aux fortes attentes des élus locaux et des citoyens en matière de sécurité ? Comment justifiez-vous la forte diminution des effectifs de policiers et de gendarmes et quelles en sont les conséquences, notamment en termes de maillage territorial ou de présence des gendarmes sur le terrain ?

Enfin, nous aimerions connaître votre sentiment concernant le projet de loi autorisant la ratification du traité portant création de la force de gendarmerie européenne, et notamment son article 38 qui prévoit la possibilité d'utiliser une langue de travail unique, que notre commission a examiné hier et sur lequel elle a décidé de reporter sa décision dans l'attente de votre audition.

En effet, on constate que l'anglais est, en pratique, la seule langue de travail utilisée au sein de la force de gendarmerie européenne, alors même que ni Royaume-Uni, ni l'Irlande n'en font partie et qu'elle comprend en majorité des pays latins, comme l'Espagne, l'Italie ou le Portugal. Ne pensez-vous pas que les gendarmes français devraient s'exprimer en français et que notre langue devrait être reconnue comme la deuxième langue de travail au sein de la force de gendarmerie européenne, comme c'est le cas à l'ONU, à l'OTAN ou dans l'Union européenne ? Pourriez-vous prendre l'engagement, devant notre commission, que la France oeuvrera pour la reconnaissance de ce statut au sein de la Force de gendarmerie européenne ?

Voilà, Monsieur le ministre, quelques questions d'ordre général, mais les deux rapporteurs pour avis du budget de la gendarmerie, nos collègues MM. Gérard Larcher et Michel Boutant, ainsi que les deux rapporteurs pour avis sur l'asile et l'immigration, nos collègues MM. Alain Néri et Raymond Couderc, ainsi que d'autres collègues, auront certainement d'autres questions à vous poser, à l'issue de votre exposé liminaire.

M. Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. - J'ai le plaisir de répondre à l'invitation de votre commission pour répondre à vos questions sur la présentation du budget 2012 de la gendarmerie nationale et de la politique d'immigration, d'asile et d'intégration.

L'exercice d'aujourd'hui présente un caractère particulier, deux ans après la publication de la loi du 3 aout 2009 relative à la gendarmerie nationale, et un an après que la politique d'immigration est désormais conduite par le ministre de l'intérieur.

Où en sommes-nous deux ans après la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale ?

Ayant suivi de près, au titre de mes précédentes fonctions, la préparation de cette loi, qui a donné lieu à certaines inquiétudes concernant le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur, j'ai été agréablement surpris, lors de ma prise de fonction en tant que ministre de l'intérieur, de constater que la gendarmerie nationale avait pris toute sa place au sein du ministère de l'intérieur et que la coexistence entre la police et la gendarmerie se déroulait au quotidien dans un climat apaisé.

Le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'Intérieur permet d'accroître l'efficacité de notre réponse face aux évolutions de la délinquance et d'adapter notre outil de sécurité aux nouvelles menaces.

Le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur répond d'abord à une exigence d'efficacité. Nos compatriotes n'entrent pas dans les détails d'organisation, mais nous demandent simplement d'assurer leur protection. Ils expriment une attente d'autorité, de protection, de justice et nous devons donc réfléchir au meilleur moyen de répondre à cette triple attente.

Je pense que le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur apporte une réponse, en nous permettant de nous adapter en permanence, dans nos modes d'action et dans notre organisation. Il permet d'avoir une plus grande efficacité, une meilleure synergie et un renforcement de la coopération opérationnelle entre la police et la gendarmerie.

Chacun en sera d'accord, une plus grande efficacité suppose d'abord une meilleure cohérence dans l'utilisation des moyens. C'est pour cette raison que ce rattachement s'est imposé comme une nécessité.

A titre d'illustration, on peut citer les mutualisations logistiques et de soutien, qui sont systématiques. Les réseaux d'ateliers automobiles sont en synergie, les réseaux immobiliers se rapprochent, les achats en commun sont désormais systématisés.

Des structures communes ont été mises en place, par exemple dans le domaine des systèmes d'information et de communication, cette structure commune étant dirigée par un officier de gendarmerie.

La coordination opérationnelle permanente est désormais la règle en matière de forces mobiles pour le maintien de l'ordre, de sécurité dans les transports, de sécurité routière, de forces d'intervention exceptionnelles.

La coordination opérationnelle au niveau d'un territoire est mise en place à travers la CORAT (coopération opérationnelle renforcée dans les agglomérations et territoires). Elle s'applique autant en zone rurale qu'en zone urbaine ou péri-urbaine.

Je me suis rendu récemment dans le département de l'Ain, où policiers et gendarmes se félicitent de pouvoir faire appel aux renforts de l'une ou l'autre force en cas de besoin. Les brigades de gendarmerie font appel aux brigades anti-criminalité de la police nationale et inversement lorsqu'elles sont confrontées à une situation d'urgence.

Enfin, je voudrais rappeler que le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur a permis une amélioration des perspectives de traitement et de carrières au sein de la gendarmerie, qui sont désormais à l'unisson avec celles de la police nationale, grâce notamment au Plan d'adaptation des grades aux responsabilités exercées (PAGRE).

Je constate, lors de mes déplacements sur le terrain, que de plus en plus de brigades départementales sont désormais commandées par un lieutenant, à l'image d'ailleurs de ce qui se passe dans les sections de l'armée de terre.

Concernant le rapport d'évaluation établi par la sénatrice Mme Anne-Marie Escoffier et le député M. Alain Moyne-Bressand, que j'ai rencontré le 18 octobre dernier, je retiens de leurs travaux un constat de satisfaction. Les deux parlementaires estiment, en effet, que ce rattachement, qui avait pour objectif premier l'amélioration du service public de sécurité, a été conduit de manière équilibrée. Ils soulignent que les inquiétudes et les interrogations initiales qui ont pu s'exprimer au sein de la gendarmerie se sont dissipées et que la confiance s'est installée.

Les conclusions des deux parlementaires font apparaître que le travail approfondi qui a été conduit par le ministère de l'intérieur s'est fait dans le souci permanent de l'équilibre et du respect de l'identité de la gendarmerie nationale.

Le caractère de « force armée » de la gendarmerie nationale, auquel le gouvernement est tout comme vous très attaché, est assuré.

Je retiens également de ce rapport que des coordinations et des mutualisations entre les forces de sécurité sont mises en oeuvre pour une plus grande efficacité du service public de sécurité. Naturellement ces mutualisations doivent respecter l'identité de chaque force.

Je voudrais souligner l'appréciation finale du rapport qui rappelle que « cette réforme (...) s'est calmement, presque sereinement, installée »

Je retiens également le souhait des rapporteurs de voir le ministre de l'intérieur davantage associé au fonctionnement du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), notamment pour ce qui concerne l'ordre du jour, fera l'objet d'une discussion avec le ministre de la défense.

J'en viens maintenant aux conclusions du rapport de la Cour des comptes, sur lequel vous avez souhaité m'interroger.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, je considère que ce rapport de la Cour des comptes sur la sécurité publique ne constitue pas un exemple d'objectivité car il contient plusieurs approximations et erreurs d'analyse.

Ce rapport contient un certain nombre d'erreurs. Je pense notamment aux chiffres mentionnés concernant le département des Yvelines qui ne correspondent pas à la réalité.

Surtout, j'estime qu'il y a une sorte de vice de raisonnement dans ce rapport.

Dans un premier temps, je regrette que la Cour n'ait retenu que la période 2002-2009 pour analyser les efforts de réorganisation. L'inscription de cette étude dans un temps un peu plus long aurait, très certainement, permis de mieux révéler les contrastes entre les résultats obtenus aujourd'hui et les politiques de sécurité menées antérieurement, afin d'en tirer tous les enseignements utiles en matière de gestion et d'organisation des forces de sécurité publique.

Parmi les différentes observations de la Cour, vous avez rappelé les affirmations du rapporteur sur le caractère soi-disant « contrasté » des résultats obtenus dans la lutte contre la délinquance depuis 2002.

Le contraste, c'est très certainement la rupture en 2002 avec plusieurs années de hausse ininterrompue de la délinquance pour atteindre le niveau historiquement le plus élevé. Rappelons que cette mobilisation s'est traduite par huit années consécutives de baisse de la délinquance et ce, alors que la population française, dans le même temps, augmentait de 3,2 millions d'habitants, soit plus que la seule ville de Paris.

Entre 2002 et 2010, la délinquance a diminué de 17 %, après avoir enregistré une forte hausse entre 1997 et 2002.

Il faut surtout différencier les atteintes volontaires aux personnes et les atteintes aux biens. Les premières représentent 13 % de la délinquance, tandis que les secondes représentent quasiment tout le reste, soit plus de 85 %. On ne peut donc pas mettre sur le même plan la diminution de 20 % des atteintes aux biens et l'augmentation de 20 % des atteintes aux personnes, car la proportion des deux n'est pas du tout la même.

Par ailleurs, au sein des atteintes volontaires aux personnes, il faut tenir compte des violences infra familiales, qui, par définition, sont difficiles à prévenir pour la police et la gendarmerie. Pour les autres formes d'atteintes volontaires aux personnes, comme les violences crapuleuses, la délinquance a baissé de 10 % depuis 2002.

Enfin, depuis 2002, le taux d'élucidation est passé de 26 % à plus de 37 % en 2009, ce qui témoigne de la mobilisation des services et de l'efficacité du travail d'enquête et des progrès enregistrés en matière de police scientifique et technique ou en matière de fichiers, par exemple avec le fichier des empreintes génétiques.

Ces résultats attestent de l'efficacité de la politique du gouvernement et, contrairement à ce que laisse entendre la Cour, la « culture du résultat » n'est pas une politique du chiffre, mais bien une politique d'action, car l'action conduit aux résultats et nos concitoyens attendent bien des forces de sécurité de faire baisser la délinquance. Il est normal que le ministre de l'intérieur fixe des objectifs aux forces de sécurité.

Vous avez évoqué le livre blanc sur la sécurité qui vient de m'être remis par MM. Michel Gaudin et Alain Bauer. Ce document, qui n'est pas un document gouvernemental mais une étude très complète, dégage des perspectives de travail et d'évolution. Parmi les sujets principaux évoqués, qui rejoignent les préoccupations du ministère de l'intérieur, je veux notamment citer l'importance de l'amélioration de l'accueil pour les victimes et les plaignants, le développement du contact entre les forces de sécurité et la population, l'amélioration du partenariat entre les forces de sécurité nationales et les polices municipales, l'évolution du cadre juridique des enquêtes avec la mise en place d'une retenue judiciaire, le développement des outils technologiques et des moyens modernes de police technique et scientifique ou encore la poursuite du développement des synergies entre les forces de sécurité, en s'appuyant notamment sur la CORAT (coopération opérationnelle renforcée des agglomérations et des territoires).

Ce livre blanc, dresse donc des perspectives intéressantes et recueille beaucoup de bonnes pratiques déjà connues des services. En revanche, aucun bouleversement des structures administratives n'est proposé, ni spécialisation des forces sur de missions spécifiques. Nous travaillons actuellement sur les conclusions de ce document.

Ainsi, nous avons développé, à mon initiative, les « patrouilleurs » de la police nationale, afin de renforcer la présence des policiers sur le terrain, à la fois pour mieux lutter contre la délinquance mais aussi rassurer les citoyens. A cet égard, la gendarmerie a une longue tradition de proximité avec la population, avec notamment les « tournées de gendarmes », qu'elle a toutefois eu tendance à perdre ces dernières années, et que je m'emploie à renforcer.

Enfin, tout en étant intégrée au ministère de l'intérieur, la gendarmerie continue naturellement à participer aux opérations extérieures. A ce titre, elle est présente sur tous les théâtres d'opérations, aux côtés des armées. Elle participe également à la force de gendarmerie européenne (FGE).

Dans ce cadre, vous avez appelé mon attention, Monsieur le président, sur l'usage de la langue anglaise comme langue de travail au sein de la Force de gendarmerie européenne.

L'article 38 du Traité stipule que les langues officielles de la FGE sont les langues des Parties et qu'une langue de travail commune peut être utilisée. Il ne préjuge pas du choix de la ou des langue(s) de travail.

En pratique, les représentants français, dont le directeur général de la gendarmerie nationale, s'expriment systématiquement en français lors des réunions du Comité Interministériel de la FGE (CIMIN), seule instance à revêtir un caractère décisionnel.

On note d'ailleurs que, sur le terrain, en Bosnie-Herzégovine dans un cadre européen, en Haïti sous mandat des Nations unies comme en Afghanistan sous bannière de l'OTAN, les personnels de la FGE ont approfondi leurs connaissances mutuelles et ont développé un climat de confiance qui passe aussi par la maîtrise de la langue de l'autre.

Toutefois, afin de répondre à votre demande, le gouvernement engagera la démarche diplomatique nécessaire afin de renforcer la place du français au sein de la Force de gendarmerie européenne.

J'en viens maintenant au budget de la gendarmerie pour 2012 et aux moyens dont disposera la gendarmerie nationale pour assurer sa mission de service public.

Depuis 2002, ce sont 3,4 milliards d'euros qui auront été consacrés à la modernisation des forces de sécurité. Dans un cadre d'action marqué par la maîtrise des dépenses publiques, l'Etat doit pouvoir garantir aux citoyens leur sécurité. Pour conjuguer l'impératif de la bataille contre les déficits et la lutte contre l'insécurité, j'ai souhaité que les forces de l'ordre bénéficient d'un budget qui préserve leurs capacités opérationnelles.

Comme la police nationale, la gendarmerie dispose d'un budget en progression de 7 892,4 millions d'euros en autorisations d'engagement (soit une hausse de +2,9%) et de 7 853 millions d'euros en crédits de paiement (soit une augmentation de +1,7%), qui lui permet d'atteindre ses objectifs opérationnels. Les capacités opérationnelles de la gendarmerie sont donc préservées, notamment dans les moyens de fonctionnement courant qui sous-tendent directement le niveau de performance opérationnelle. D'un montant de 946,4 millions d'euros, le budget de fonctionnement courant de la gendarmerie pour 2012 s'inscrit dans la continuité de celui voté en 2011. Il augmente de +4,8 millions d'euros à périmètre constant (soit une hausse de +0,5%). En particulier, les budgets des régions de gendarmerie, sont préservés pour la totalité des dépenses de loyers et d'énergie, y compris l'inflation.

Les contraintes budgétaires imposent des choix en termes d'investissement. Les choix d'équipements concilient souci de la sécurité et modernisation afin de satisfaire aux besoins incompressibles liés au recrutement et à la sécurité des militaires en intervention, mais également de préserver la capacité opérationnelle de la gendarmerie en portant notamment l'effort sur les projets de la LOPPSI 2. Ainsi, la modernisation des équipements de protection et d'intervention se poursuit avec les nouvelles tenues de maintien de l'ordre (3500), les nouvelles tenues motocyclistes (220), les tenues de spécialistes et paquetages initiaux. Un effort est également placé sur les véhicules des unités territoriales et de sécurité routière (à hauteur de 17,6 millions d'euros en 2012). 2200 véhicules de brigade et de police de la route seront ainsi livrés en 2012 soit l'équivalent de 50 millions d'euros. Pour l'ensemble des forces de sécurité, il s'agit d'un plan d'un volume global de 100 millions d'euros, ce qui représente une augmentation de 70% par rapport à l'an dernier.

La modernisation est notamment illustrée par la poursuite du développement des capacités de police technique et scientifique et de police judiciaire dans le cadre de la LOPPSI 2, avec, par exemple, 8,5 millions d'euros pour les dispositifs de lecture automatisée des plaques d'immatriculation (LAPI).

Enfin, l'engagement dans le domaine immobilier est accentué. L'effort porte, d'une part, sur l'entretien courant et la maintenance des casernes domaniales, avec 53 millions d'euros, en hausse de 45 %. Cet effort permettra la remise aux normes de plus de 2 200 logements en gendarmerie mobile et, d'autre part, sur l'évolution du parc locatif, notamment grâce à la forte implication des collectivités territoriales, 15 millions d'euros de subventions seront alloués aux communes pour permettre la mise en chantier de 885 unités logements qui viendront compléter les 354 livraisons d'unités logement attendues. Notre priorité est d'accentuer, dans les années à venir, la rénovation du parc immobilier de la gendarmerie nationale, compte tenu de l'âge de certaines casernes.

Enfin, s'agissant des effectifs, la gendarmerie continue à contribuer à l'effort de réduction de l'emploi public. Les mesures de réorganisation, de mutualisation et d'allègement des tâches permettent de faire face à ces réductions. Dans ce cadre, les effectifs de la gendarmerie seront réduits de 1 466 équivalents temps plein travaillé (ETP) en 2012, la diminution d'effectifs portant sur l'ensemble des périmètres commandement, soutien et opérationnel. Cette évolution ne remet pas en cause l'évolution globale, depuis 10 ans, qui est positive : 2 200 emplois ont été créés entre 2001 et 2010 au sein de la gendarmerie. Le solde reste positif de plusieurs centaines d'emplois. Par ailleurs, les suppressions d'effectifs portent en priorité sur les fonctions de commandement ou de soutien. Cette baisse d'effectif ne remet pas en cause le maillage territorial qui fonde l'organisation même de la gendarmerie. Je réaffirme donc toute la pertinence de ce maillage, même si, dans certaines situations, des ajustements sont nécessaires pour prendre en compte l'évolution des bassins de vie et de délinquance. Ces ajustements sont toujours réalisés en concertation avec les élus locaux.

S'agissant des dépenses de personnels, qui restent stables, les engagements pris au profit des militaires et civils de la gendarmerie nationale sont tenus. Sont ainsi financés la dernière annuité de la nouvelle grille indiciaire des militaires, la dernière annuité du PAGRE rénové (plan d'adaptation des gardes aux responsabilités), ainsi que le nouvel espace statutaire de la grille indiciaire B appliqué aux sous-officiers de gendarmerie comme aux fonctionnaires du corps d'application et d'encadrement de la police nationale dans le cadre de la catégorie B.

J'en viens maintenant à la politique d'immigration.

L'immigration professionnelle représente aujourd'hui environ 20 000 entrées annuelles. Le Gouvernement souhaite réduire ce flux. Il s'agit tout simplement de tenir compte des réalités de notre marché du travail. Notre pays compte plus de 2,7 millions de demandeurs d'emploi. D'après l'INSEE, le taux de chômage des ressortissants étrangers non européens atteint 24 %, ce qui est considérable. Cela signifie que notre pays dispose d'une main d'oeuvre abondante et disponible. Mon objectif est donc de réduire l'immigration légale et l'immigration professionnelle de 10 %.

Notre devoir consiste donc à tout faire pour assurer l'insertion professionnelle des demandeurs d'emploi déjà présents en France, qu'ils soient de nationalité française ou étrangère. Il faut donc développer la formation professionnelle, et organiser les réorientations et les reconversions lorsqu'elles sont nécessaires. Le Gouvernement s'y emploie, comme l'illustre le « plan alternance » qui prévoit de faire passer de 450 000 à 800 000 le nombre de jeunes formés en alternance, d'ici 2015. Je note, par ailleurs, que notre population active va continuer d'augmenter, durablement, d'environ 110 000 personnes par an. Ce sont les chiffres de l'INSEE. Il ne faut donc pas surestimer le besoin d'immigration professionnelle. A l'occasion des réunions des ministres de l'intérieur de l'Union européenne, je constate que nombre de mes homologues partagent ce point de vue.

Avec mon collègue M. Xavier Bertrand, nous avons donné des instructions aux préfets pour une réduction des flux. Ces instructions ont été suivies d'effet : au cours des neuf premiers mois de l'année 2011, le nombre de titres « salarié » a baissé de 43 % par rapport à 2010.

Par ailleurs, nous avons réduit de moitié la liste des « métiers en tension ». Il faut savoir que le recours à l'immigration professionnelle est facilité pour les métiers inscrits sur cette liste. Mais nous vivions sur des idées reçues. Par exemple, nous vivions dans l'idée que les métiers du bâtiment sont en tension. Or, c'est faux : lorsque Pôle Emploi diffuse une offre d'emploi de « chef de chantier du BTP », il y a deux candidats qui postulent. Nous avons donc rationalisé cette liste. La confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) a d'ailleurs indiqué qu'elle y était favorable. La fédération nationale des travaux publics (FNTP) a dit que cela ne lui posait pas de problème.

Vous m'avez questionné également sur l'accueil des étudiants étrangers.

La France est très attachée à sa tradition d'accueil des étudiants étrangers, qui constitue un élément important de l'attractivité internationale de ses écoles et de ses universités. Il s'agit d'attirer les meilleurs étudiants, en particulier dans les filières menant au grade de master et au doctorat, au bénéfice du rayonnement de notre pays. Cette politique d'attractivité s'accorde avec le souci de mieux maîtriser l'immigration professionnelle pour tenir compte de la réalité de notre marché du travail, et d'un chômage qui touche aussi les jeunes diplômés. Elle prend en compte notre volonté de lutter contre les abus et les détournements dont peut parfois faire l'objet le régime de la mobilité étudiante. Elle prend en compte, également, le besoin qu'ont certaines entreprises françaises de s'attacher les compétences d'étudiants étrangers du meilleur niveau.

Vous avez fait allusion à la circulaire sur l'accueil des étudiants étrangers, que j'ai élaborée avec M. Xavier Bertrand. Cette politique n'ajoute rien au droit en vigueur. Elle ne fait que rappeler les termes de la loi du 24 juillet 2006. Cette loi ouvre un droit au séjour aux étudiants de niveau au moins égal au master, qui souhaitent bénéficier d'une première expérience professionnelle en France. Mais la loi en fixe aussi les conditions : le projet de l'intéressé doit « participer directement ou indirectement au développement économique de la France et du pays dont il a la nationalité », et se faire « dans la perspective du retour dans le pays d'origine ».

Il n'y a donc pas une volonté de fermeture. Le nombre de visas étudiants reste stable en 2011 par rapport à 2010. Le nombre de changements de statut, c'est-à-dire de passages du statut d'étudiant étranger à celui de travailleur étranger bénéficiant d'un titre de séjour lui permettant d'occuper un emploi dans une entreprises française, lui, continue d'augmenter (35 % d'augmentation par rapport à 2010). La controverse autour de cette circulaire est donc, au mieux, un malentendu, au pire, un mauvais procès.

Quelques cas d'étudiants, s'inscrivant dans cette stratégie, n'ont pu obtenir un titre leur permettant de travailler en France à la suite de leurs études. Une application pragmatique de la circulaire a permis de régler ces cas. Sur 359 dossiers transmis, 129 ont donné lieu à une décision favorable de changement de statut. En revanche, les abus manifestes, les logiques de dumping social n'ouvriront aucun droit à un changement de statut. Par ailleurs, la France est attachée à une politique de développement solidaire qui justifie l'emploi, dans leur pays d'origine, de jeunes actifs talentueux, après avoir été formés en France.

A cet égard, je voudrais citer une anecdote qui me semble révélatrice. Lors d'un récent déplacement au Bénin, le président de ce pays me faisait part des très grandes difficultés qu'il rencontre pour créer un système de santé, étant donné que plus des deux tiers des médecins béninois n'exercent pas dans leur pays mais en France. Au Bénin, on ne trouve qu'une dizaine de cardiologues pour tout le pays. Personnellement, je considère que notre pays n'a pas vocation à « piller » les pays en voie de développement de leurs élites dont ils ont grand besoin.

M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis sur la gendarmerie. - Avant toute chose, je voudrais souligner que la gendarmerie nationale a connu depuis 2009 une mutation sans précédent.

Le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur, opéré par la loi du 3 août 2009, s'est, en effet, accompagné de profondes réformes, avec notamment les mutualisations de moyens, la création de structures communes ou encore le renforcement de la coopération opérationnelle entre la police et la gendarmerie. 

Parallèlement, la révision générale des politiques publiques a eu un impact important sur la gendarmerie, avec notamment la rationalisation de ses soutiens, la fermeture de la moitié de ses écoles ou encore la diminution de ses effectifs.

Or, malgré un contexte budgétaire délicat, non seulement la gendarmerie, en tant qu'institution, s'est parfaitement adaptée, comme l'ont souligné nos collègues le député Alain Moyne-Bressand et la sénatrice Anne-Marie Escoffier dans leur rapport d'évaluation, mais la gendarmerie a également obtenu de très bons résultats en matière de lutte contre la délinquance et l'insécurité routière.

Je souhaiterais donc saluer l'action des hommes et des femmes de la gendarmerie nationale, qui accomplissent, sur le territoire national, outre-mer ou sur les théâtres d'opérations extérieures, comme en Afghanistan, une mission difficile au service de la sécurité des Français.

Je voudrais également rendre hommage aux gendarmes décédés ou blessés dans l'exercice de leurs fonctions.

Après ces remarques d'ordre général, je souhaiterais, Monsieur le ministre, vous poser trois questions sur le budget de la gendarmerie pour 2012.

Tout d'abord, je souhaiterais vous interroger sur la question de l'immobilier de la gendarmerie nationale. Comme vous le savez, 70 % du parc domanial de la gendarmerie a plus de 25 ans et certains logements sont dans un état préoccupant. Je pense notamment aux logements des gendarmes mobiles à Versailles-Satory, où je compte me rendre prochainement. Or, les conditions de logement des gendarmes et de leur famille ont un impact direct sur le moral et la manière de servir. Compte tenu des fortes contraintes budgétaires, les crédits destinés à la construction ou à la rénovation immobilière sont très limités dans le projet de loi de finances pour 2012. Quelles sont donc vos priorités en matière de construction ou de rénovation immobilière ?

Ma deuxième question porte sur les gendarmes déployés en opérations extérieures et le financement des opérations extérieures. Comme les années précédentes, on constate une sous-dotation des crédits destinés à couvrir les opérations extérieures. ainsi, le projet de loi de finances pour 2012 prévoit une dotation de 15 millions d'euros, identique à l'an dernier, alors que le surcoût des OPEX s'est élevé à près de 30 millions d'euros en 2010. A elle seule, l'opération en Afghanistan représente un budget de plus de 20 millions d'euros. Or, faute de financements suffisants, ces surcoûts sont pris sur le budget de fonctionnement de la gendarmerie, par des redéploiements de crédits.

Ne pensez vous pas, Monsieur le ministre, qu'il serait préférable que les surcoûts des opérations extérieures soient financées par un fonds interministériel, à l'image de ce qui existe pour les armées ? Je compte d'ailleurs déposer un amendement lors de l'examen du projet de fois de finances afin d'attirer l'attention du gouvernement sur cette question en demandant au Gouvernement de présenter annuellement au Parlement un rapport sur les surcoûts occasionnés par les OPEX pour la gendarmerie.

Enfin, pourriez-vous nous dire votre sentiment à propos des relations entre les préfets et les commandants de gendarmerie ? Est-ce que la loi du 3 août 2009 a permis de trouver un équilibre satisfaisant sur ce point, comme semble le suggérer le rapport d'évaluation de nos collègues Alain Moyne-Bressand et Anne-Marie Escoffier ?

Que pensez-vous, en particulier, du rôle du préfet de région et du préfet de zone à l'égard des commandants régionaux de la gendarmerie et de la recommandation de nos collègues de maintenir le dispositif juridique en l'état, afin d'empêcher toute interprétation abusive sur le rôle d'autorité hiérarchique ?

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis sur la gendarmerie. - Vous avez évoqué le cas des médecins béninois. Mais je voudrais vous rappeler qu'un grand nombre d'hôpitaux français, en particulier, situés en zone rurale, ne pourraient pas fonctionner correctement sans la présence de médecins ou de personnel médical d'origine étrangère. Or, on peut avoir certaines inquiétudes concernant le non-renouvellement de cartes de séjour ou d'autorisations de travail de ces personnels.

J'ai trois questions à vous poser concernant le budget de la gendarmerie.

Ma première question portera sur la réduction des effectifs de gendarmes et ses conséquences sur le maillage territorial des brigades territoriales et en termes de présence des gendarmes sur le terrain. L'application de la règle de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite devrait se traduire par une nouvelle suppression de 1 185 emplois dans la gendarmerie en 2012. Au total, 6 500 postes devraient être supprimés dans la gendarmerie entre 2008 et 2013. Alors que la gendarmerie a déjà rationalisé ses écoles et supprimé de nombreux postes au sein des états-majors ou des escadrons de gendarmerie mobile, quels sont les postes qui devraient être supprimés à l'avenir ? Le maillage territorial assuré par les brigades territoriales sera-t-il préservé ? Est-ce que cela ne vous paraît pas contradictoire avec l'objectif de vouloir renforcer la présence des gendarmes sur le terrain ?

Je souhaiterais également vous interroger sur le faible niveau des crédits d'investissement, qui ne permettra pas de lancer de grands programmes d'équipement, comme le renouvellement des véhicules blindés et des hélicoptères de la gendarmerie. Or, l'état des véhicules blindés, qui datent des années 1970, est préoccupant, puisque le taux de disponibilité n'était que de 71 % en 2007.

De même, le remplacement de la flotte des hélicoptères de type Écureuil, dont certains datent des années 1970, par de nouveaux modèles s'impose au regard de la réglementation européenne qui interdit le survol des zones urbaines aux appareils monoturbine.

Enfin, je souhaiterais connaître votre sentiment sur le rôle joué par les réservistes de la gendarmerie nationale. Comme vous le savez sans doute, j'avais rédigé, avec notre collègue Mme Joëlle Garriaud-Maylam, un rapport d'information consacré au rôle joué par la réserve en cas de crise majeure, qui a donné lieu à une proposition de loi adoptée par le Parlement. Je souhaiterais donc savoir si l'objectif affiché d'une réserve de gendarmerie comptant 40 000 réservistes (contre 25 000 aujourd'hui) vous paraît toujours atteignable et soutenable budgétairement.

M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur. - Il est vrai qu'une partie de l'immobilier de la gendarmerie est vétuste. Nous avons prévu de consacrer en 2012 38 millions d'euros à l'entretien courant des logements et 52,7 millions d'euros à la maintenance lourde, contre 37 millions en 2011, ce qui permettra de réhabiliter plus de 2 200 logements, notamment des casernes de gendarmerie mobile.

Concernant le site de Versailles-Satory, où la gendarmerie dispose d'un foncier très important, nous envisageons de céder une partie des terrains à la ville de Versailles, ce qui permettrait de consacrer une partie du produit de la vente de ces terrains à la réhabilitation des logements.

Concernant le financement des OPEX, il s'agit d'une question récurrente car il est toujours difficile de prévoir à l'avance le coût des OPEX. Toutefois, une solution est toujours trouvée en fin de gestion. En 2012, la baisse des effectifs engagés en OPEX devrait permettre de limiter le surcoût.

S'agissant des relations entre les préfets et les commandants de gendarmerie, la loi du 3 août 2009 a permis de trouver un bon équilibre. Cette loi ne précise cependant pas les relations entre le préfet de région, qui n'exerce pas de compétences en matière d'ordre public, et le commandant de région de gendarmerie. Cette lacune a donné lieu à quelques difficultés sur le terrain. Toutefois, je ne pense pas qu'une modification de l'ordre juridique soit nécessaire. Plutôt qu'un décret, je pense qu'il suffira de donner des instructions aux préfets de région et aux commandants de régions afin de préciser leurs relations.

En réponse à M. Michel Boutant, je précise que le projet de loi de financement de la sécurité sociale, actuellement en discussion au Sénat, permet de régler la question des médecins étrangers jusqu'en 2014. Il est vrai qu'un certain nombre d'hôpitaux ne pourraient pas fonctionner sans la présence de médecins ou d'infirmiers étrangers. Nous avons d'ailleurs signé récemment un accord avec la Tunisie qui permettra à une centaine de médecins ou d'infirmières de ce pays de travailler en France.

La diminution de 1 466 ETP dans la gendarmerie en 2012 s'explique par la volonté du gouvernement de réduire les déficits publics. Tout notre effort vise à compenser cette baisse des effectifs par une meilleure utilisation des effectifs et une plus grande visibilité et efficacité sur le terrain. Ainsi, la baisse du nombre des escadrons de gendarmerie mobile a permis de redéployer des gendarmes dans les brigades territoriales.

Concernant les matériels lourds, la gendarmerie nationale dispose d'un parc de plus de cinquante hélicoptères, composé pour moitié d'Écureuils et pour l'autre moitié d'appareils récents de type EC135 ou EC145, qui sont très bien équipés en nouvelles technologies. Un plan de renouvellement des 26 Écureuils par de nouveaux appareils devra être confirmé. 3 EC 135 seront toutefois commandés et livrés en 2012. En revanche, le renouvellement des véhicules blindés à roue de la gendarmerie, en service dans la gendarmerie depuis 1970, n'a pas pu être programmé. La gendarmerie dispose d'environ 90 véhicules blindés à roue, dont environ 80 sont opérationnels, grâce aux travaux de maintenance. Par ailleurs, en Afghanistan, la gendarmerie dispose de véhicules avant blindés (VAB), cédés à titre gratuit par les armées et dont le blindage a été renforcé dans les ateliers de la police nationale.

M. Alain Néri, rapporteur pour avis sur l'asile et l'immigration. - Je souhaiterais, Monsieur le ministre, vous poser deux questions sur les moyens destinés à financer l'action 2 du programme 303.

Pour commencer, il y a un an, le décret visant à supprimer le ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire était publié. Il rattachait également la politique de l'immigration à votre ministère. Ce rattachement, si l'on se réfère au décret relatif aux attributions du ministère de l'intérieur du 25 novembre 2010, n'a aucune incidence sur la mise en oeuvre pratique de cette politique, puisque la configuration des services reste la même. Pouvez-vous nous le confirmer Monsieur le ministre ? Quelles améliorations peuvent être attendues de ce pilotage unique au sein de votre ministère ?

La hausse des crédits de l'action 2 « garantie de l'exercice du droit d'asile » est seule responsable de l'augmentation des crédits du programme 303, puisque la dotation passe de 327,75 millions d'euros en 2011 à 408,91 millions en 2012, soit une hausse de 24,76 %. Ceci résulte notamment de l'augmentation de la dotation relative à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile et de celle relative à l'allocation temporaire d'attente. Pouvez-vous nous expliquer cette hausse et quels coûts impactent le plus cette action 2 ?

Par ailleurs, il apparaît que cette augmentation des dotations risque d'être insuffisante eu égard à l'accroissement parallèle du nombre de demandes d'asile. L'hypothèse sur laquelle le budget a été élaboré est de 60 000 demandeurs d'asile en 2012. Or la tendance actuelle laisserait présager un nombre supérieur. Au premier semestre 2011, la hausse de la demande de protection internationale était, selon vos services, de 14,1 % par rapport à la même période en 2010. N'y a-t-il pas une sous-estimation du nombre prévisionnel de demandeurs d'asile et, par conséquent, une budgétisation biaisée de l'action 2 du programme 303 ?

Enfin, je souhaiterais également connaître vos priorités concernant l'hébergement des demandeurs d'asile et la question sensible des mineurs étrangers isolés. L'Etat ne semble pas en mesure de remplir ses obligations dans ces deux domaines et nos collectivités doivent, en effet, faire face à ce qui s'apparente à un transfert de charges de la part de l'Etat aux départements.

Qu'en est-il des efforts concernant l'apprentissage de la langue française chez les primo-arrivants. Est-ce que les dispositifs mis en place, comme les cours de français, seront généralisés ?

M. Raymond Couderc, rapporteur pour avis sur l'asile et l'immigration. - Je souhaiterais, Monsieur le ministre, revenir sur les moyens visant à garantir l'exercice du droit d'asile et, en particulier, les indicateurs rattachés à l'action 2.

Afin de faire face au stock de dossier, ainsi qu'aux nouvelles demandes déposées, le recrutement par l'OFPRA de 30 officiers de protection était prévu et a été réalisé cette année. Or, ce recrutement, tout à fait nécessaire, se révèle insuffisant. Le délai moyen de traitement des dossiers s'accroît pour atteindre 150 jours en prévision actualisée pour 2011. Si le recrutement des 30 officiers de protection a permis une augmentation du nombre de décisions de l'OFPRA, la hausse parallèle du nombre de demandes déposées modère l'impact sur le délai de traitement des dossiers. Quelles solutions envisagez-vous afin de remédier à ce problème qui a des conséquences à la fois sur le demandeur d'asile et sur les finances publiques ?

Je voudrais également revenir sur un point soulevé dans le rapport d'information de nos collègues MM. Pierre Bernard-Reymond et Jean-Claude Frécon sur la Cour nationale du droit d'asile, à propos de l'hébergement en CADA. Nos deux collègues pointaient que seules 51 % des places en CADA étaient occupées par des demandeurs d'asile en attente d'une réponse de la CNDA fin 2009, l'autre moitié se composant soit de demandeurs en attente d'une décision de l'OFPRA, soit d'anciens requérants restés logés en CADA. Ces données sont-elles toujours d'actualité ?

La conséquence est que des solutions alternatives doivent être trouvées, comme l'hébergement d'urgence ou l'allocation temporaire d'attente qui sont, comme mon collègue l'a souligné, en forte augmentation. Comment remédier à cette situation et comment optimiser les solutions d'hébergement des demandeurs d'asile en cours de procédure ?

M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur. - Le ministère de l'intérieur a repris les attributions du ministère de l'immigration et le pilotage par un seul ministère est gage d'une plus grande efficacité. Par ailleurs, cela a permis de réduire les dépenses publiques. Certes, il existe deux secrétaires généraux, mais il n'y a pas de doublons car leurs attributions sont distinctes.

Nous sommes confrontés en France, comme en Europe d'ailleurs, à une véritable crise du droit d'asile. Depuis trois ans, le nombre de demandes d'asile a augmenté de 50 %. Dans le même temps, le nombre de décisions visant la reconnaissance du statut de réfugié est resté stable, autour de 10 000 par an. Il y a donc clairement un détournement de la procédure d'asile par l'immigration économique. Or, cela se fait au détriment des vrais demandeurs d'asile qui doivent attendre plus longtemps pour se voir accorder le statut de réfugié. Il s'agit là d'une réelle préoccupation pour le HCR. Face à cette situation, nous constatons une déficience des procédures, illustrées par l'augmentation des délais de traitement des demandes au sein de l'OFPRA et des recours au sein de la CNDA. Cette année, 30 nouveaux emplois ont été créés et 15 nouveaux postes devraient être ouverts en 2012. L'objectif est de réduire le délai de la procédure de deux à un an.

Concernant l'hébergement des demandeurs d'asile, une augmentation des crédits est prévue en 2012. Nous constatons, cependant, des situations très différentes entre les communes, certaines supportant cette charge plus que d'autres. Nous souhaitons donc aller vers une répartition des charges plus équitable entre les communes.

La situation des mineurs étrangers isolés est très préoccupante. Les services départementaux d'aide à l'enfance doivent en effet faire face à l'augmentation de ce phénomène, qui donne parfois lieu à de véritables drames humains avec des enfants exploités par des réseaux criminels, à des fins de prostitution, de mendicité ou de vols. L'aide à l'enfance relève du ministère de la justice, mais le ministère de l'intérieur est concerné lorsque ces mineurs étrangers isolés sont victimes ou auteurs de délits. Prenons le cas des mineurs roumains par exemple. La Roumanie dispose d'un service d'aide à l'enfance, qui a été profondément réformé et qui correspond aujourd'hui aux standards européens. Il n'y a donc aucune raison pour que les mineurs roumains isolés demeurent en France car il serait préférable qu'ils bénéficient d'une protection dans leur pays, au sein d'une institution ou qu'ils retrouvent leur famille.

M. Jean-Marie Bockel. - En tant que rapporteur de la commission chargé de la cyberdéfense, je souhaiterais connaître, Monsieur le ministre, l'action de votre ministère dans ce domaine. Est-ce que votre ministère est suffisamment protégé contre d'éventuelles tentatives de piratage informatique, voire de cyberattaques ? Quelles sont vos priorités en matière de cybersécurité ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je souhaiterais revenir sur les conditions d'application de la circulaire relative à l'accueil des étudiants étrangers.

Ne pensez vous pas, Monsieur le Ministre, qu'il conviendrait, afin de renforcer l'attractivité du système français d'enseignement supérieur hors de nos frontières, inciter davantage les étudiants étrangers à s'inscrire dans les universités et grandes écoles françaises, et, pour ce faire, faciliter la délivrance des visas ?

M. Daniel Reiner. - Je voudrais vous interroger, Monsieur le ministre, sur votre décision, prise en février dernier, de retirer l'escadron de gendarmerie mobile déployé au Kosovo dans le cadre de la mission « EULEX » de l'Union européenne.

Comme l'ont souligné nos anciens collègues MM. Jean Faure et André Vantomme, dans le rapport qu'ils ont publié après leur déplacement au Kosovo, la décision prise par la France de retirer l'escadron de gendarmerie mobile, si elle était motivée par des considérations de sécurité intérieure et financières, a eu pour conséquence de désorganiser l'unité d'EULEX chargée du maintien de l'ordre dans le secteur de Mitrovica et dans le nord du Kosovo, d'affaiblir sa capacité opérationnelle et même de fragiliser les conditions de sécurité d'engagement pour la quarantaine de gendarmes français encore présents. Or, comme l'ont montré les affrontements de l'été dernier, la tension reste vive au nord du Kosovo, majoritairement peuplé de Serbes. En outre, cette décision, qui aurait été annoncée sans aucune concertation préalable avec nos partenaires européens, et qui coïncidait avec le retrait des soldats français de la KFOR, s'est traduite par une perte d'influence et de visibilité de notre pays au sein de la mission EULEX de l'Union européenne, pourtant commandée par un français, le général Xavier Bout de Marhnac. Il me semble, pour ma part, que cette décision illustre tous les risques du rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur. En effet, pour le ministère de l'intérieur, la présence sur le territoire prime sur la participation de la gendarmerie aux opérations extérieures, qui constitue pourtant un aspect fondamental de son statut militaire et représente un atout pour les opérations de gestion de crise.

Je souhaiterais également vous interroger, Monsieur le ministre, au sujet du récent déplacement du Président de la République en Libye et du choix qui a été fait d'assurer la protection du chef de l'Etat par des policiers et non par des gendarmes, comme cela est pourtant la tradition.

M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur. - Pour répondre à M. Jean-Marie Bockel, le ministère de l'intérieur a été victime de plusieurs attaques informatiques par le passé, heureusement moins graves que celles ayant visé le ministère de l'économie et des finances dans le cadre de la préparation de la présidence française du G8 et du G20. En 2010, nous avons recensé une trentaine d'incidents. Face à ce type de menace, nous avons renforcé nos outils de protection, grâce au soutien de l'agence nationale de sécurité des systèmes d'information, qui dépend du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Nous nous efforçons également d'améliorer la culture de sécurité informatique, par exemple en limitant le nombre d'ordinateurs fonctionnant en réseau.

En réponse à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, le gouvernement n'envisage par de revenir ou de modifier la loi de 2006 concernant l'accueil des étudiants étrangers. La circulaire ne fait que reprendre les principes contenus dans cette loi. Toutefois, nous souhaitons faire preuve de souplesse dans son application. Ma conviction est que la France doit rester attractive pour les étudiants étrangers qui veulent étudier en France mais qu'elle n'a pas vocation à « piller » les élites des pays en développement.

A M. Daniel Reiner, je voudrais indiquer que le retrait de l'escadron de gendarmerie mobile du Kosovo s'est fait en concertation avec nos partenaires européens. Notre constat était simple : les gendarmes français présents au Kosovo ne servaient pas à grand-chose. Ils étaient surtout employés à des gardes-statiques. Nous avons donc estimé qu'ils seraient plus utiles ailleurs. Cela ne traduit aucune mauvaise volonté de la part du ministère de l'intérieur à l'égard de l'emploi de gendarmes en OPEX. D'ailleurs, une telle décision relève en règle générale du Président de la République ou du Premier ministre. Ainsi, les gendarmes français ont été envoyés en OPEX en Haïti ou en Côte d'Ivoire. Quant au déplacement du Président de la République en Libye, dont la protection était assurée par la police nationale, l'absence de gendarmes s'explique par le fait que la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies relative à la Libye interdit la présence sur le sol libyen de forces armées étrangères. Elle tient donc au statut militaire de la gendarmerie.

Mme Nathalie Goulet. Je partage les préoccupations de mes collègues concernant les médecins étrangers. Je souhaiterais également vous interroger sur la politique des visas et des préconisations formulées à ce sujet par notre ancien collègue M. Adrien Gouteyron, qui a rédigé un excellent rapport sur ce sujet.

M. Jean-Pierre Chevènement. - Je souhaiterais également revenir sur la question des médecins d'origine étrangère. Certes, il serait injuste de priver les pays en développement de leurs élites et de leurs médecins, en particulier, mais pourquoi ne pas envisager une migration circulaire qui soit profitable à tous. Or, je constate que, sur le terrain, on a tendance à privilégier l'emploi de médecins originaires d'Europe orientale qui, généralement, ne maîtrisent pas notre langue, plutôt que les médecins originaires du sud de la Méditerranée, qui sont pourtant francophones. N'y-a-t-il pas là un paradoxe ?

M. Christian Cambon. Les compétences en matière d'immigration et de contrôle des frontières relèvent désormais en partie de l'Union européenne, en raison de la libre circulation des personnes au sein de l'espace Schengen. Or, la situation des pays européens reste très contrastée en la matière, avec des pays qui doivent faire face à une forte pression migratoire, notamment au sud de la Méditerranée. Quelle est votre appréciation, Monsieur le ministre, de l'action de l'Union européenne, et notamment de l'agence européenne chargée de la gestion des frontières extérieures de l'Union européenne (Frontex) dans ce domaine ?

M. Jacques Berthou. - Je voudrais vous interroger sur l'action de la gendarmerie nationale en matière de lutte contre l'orpaillage clandestin en Guyane, qui avait donné lieu à un déplacement et à un rapport d'information de notre commission. Est-ce que la coopération policière avec le Brésil et le Suriname s'est améliorée et ne faut-il pas craindre une montée de la violence ?

M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur. En réponse à Mme Nathalie Goulet, je voudrais également saluer l'excellent rapport de M. Adrien Gouteyron sur les visas. Notre ministère s'efforce de suivre ses préconisations, notamment concernant la généralisation des visas biométriques.

Monsieur Jean-Pierre Chevènement, je partage votre sentiment concernant la migration circulaire, que nous nous efforçons de mettre en oeuvre aussi bien pour les professions médicales que pour les chercheurs ou les universitaires. Mais cette migration doit jouer dans les deux sens.

A M. Christian Cambon, je voudrais confirmer que, sur Schengen et Frontex, la situation est difficile. Nous assistons actuellement à une forte tension, notamment à la frontière entre la Grèce et la Turquie, où il y aurait environ 300 passages d'embarcations de clandestins par jour. Mon sentiment personnel est que Frontex n'est pas assez efficace car cette agence souffre d'un déficit de pilotage politique. Il existe une lutte d'influence entre le Conseil et la Commission en matière de pilotage, ce qui explique l'absence d'instructions politiques données à cette agence. En conséquence, Frontex n'est pas assez pilotée. L'agence peut aussi faire appel aux moyens dont disposent les Etats membres. Or, lorsque la France a proposé de mettre ses moyens à la disposition de l'agence pour assurer la sécurité des frontières maritimes au sud de la Méditerranée l'été dernier, Frontex n'a pas donné suite à notre proposition.

Vous avez raison, M. Jacques Berthou, de souligner que la situation en Guyane est préoccupante, en raison de l'orpaillage clandestin, de l'immigration clandestine ou de délinquance. Nous nous efforçons de renforcer notre coopération avec le Brésil et le Suriname, même si la coopération avec ce dernier pays n'est pas aisée.

Mme Hélène Conway Mouret. - Le ministère des affaires étrangères et européennes dispose d'un centre de crise d'une très grande qualité. Est-ce que le ministère de l'intérieur contribue à ce centre de crise et de quelle manière ?

Mme Josette Durrieu. - Je souhaiterais avoir des précisions au sujet de la réforme de la garde à vue. Est-ce que la France applique pleinement les principes posés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de garde à vue ?

M. Jeanny Lorgeoux. - Qu'en est-il des effectifs et du budget de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) ? Que pensez vous de son positionnement institutionnel actuel au sein de la direction générale de la police nationale et de l'idée d'en faire une direction autonome au sein du ministère de l'intérieur ?

M. André Trillard. J'ai eu l'occasion de me rendre à l'OFPRA et à la CNDA pour constater sur place la situation. Vous avez mentionné l'augmentation des effectifs de ces deux organismes pour faire face à l'augmentation des demandes. Est-ce que ceux-ci font toujours appel à des vacataires ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - Pourriez-vous, Monsieur le ministre, faire le point sur le transfert à l'administration pénitentiaire de la charge des transfèrements judiciaires assurés par la police et par la gendarmerie ? Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées ? Quelles sont les conséquences de ce transfert sur les effectifs de la gendarmerie et quels seront les postes supprimés, puisque la gendarmerie ne dispose pas d'unités dédiées à cette tâche ?

Pourriez-vous également nous dire un mot du recentrage des policiers et des gendarmes sur leur coeur de métier et de la suppression de certaines tâches dites indues, comme les garde-statiques par exemple ?

Enfin, dans le prolongement de la question de ma collègue Mme Josette Durrieu, je souhaiterais savoir quelles ont été les conséquences pour la gendarmerie nationale de la réforme de la garde à vue ?

M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur. Le centre de crise du ministère des affaires étrangères et européennes est une réussite et fonctionne très bien. Le ministère de l'intérieur contribue et apporte son soutien aux situations de crise, comme, par exemple, lors des événements de Fukushima.

La réforme de la garde à vue s'est imposée par la décision du Conseil constitutionnel. Le ministère de l'intérieur, et les services de police et de gendarmerie, appliquent pleinement cette réforme. Mon sentiment personnel est que cette réforme aboutit à transformer la nature de la garde à vue, qui était auparavant un élément de l'enquête judiciaire et qui devient de plus en plus une étape de la procédure. Par ailleurs, cette réforme s'est traduite par une charge administrative supplémentaire non négligeable pour les services de police et de gendarmerie, avec une dizaine de formulaires et procès-verbaux à remplir. Nous avons donc là une vraie source de préoccupation. Plus généralement, cette réforme s'inscrit dans le cadre du passage de notre droit d'une culture de l'aveu à une culture de la preuve, ce qui souligne toute l'importance de la police technique et scientifique.

En réponse à M. Jeanny Lorgeoux, la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) compte actuellement environ 3 300 agents et dispose d'un budget d'environ 25 millions d'euros, hors dépenses de personnel. Pour ma part, je considère qu'il est souhaitable qu'un service aussi sensible soit placé au sein de la direction générale de la police nationale. Par ailleurs, cela permet certaines synergies, notamment en matière de police judiciaire, car il faut savoir que la DCRI intervient également dans ce domaine.

A M. André Trillard, je voudrais confirmer que l'OFPRA et la CNDA ont toujours recours à des vacataires.

Enfin, en réponse à M. Yves Pozzo di Borgo, je voudrais préciser que la réduction des tâches indues des policiers et des gendarmes et le recentrage sur le coeur de métier sont pour moi une priorité. Ainsi, nous procédons actuellement à une évaluation des gardes statiques affectés à la protection du ministère de l'intérieur et de ses services afin de réduire les effectifs, notamment par l'usage de la vidéosurveillance ou du gardiennage, pour permettre de redéployer ces policiers ou gendarmes sur le terrain.

A la suite de l'accord portant sur la reprise par l'administration pénitentiaire des transfèrements judiciaires assurés par la police et la gendarmerie, une expérimentation a été lancée dans deux régions, la Lorraine et l'Auvergne. Toutefois, il faut bien constater que les choses ne se passent pas aussi bien qu'on aurait pu l'espérer, même si nous sommes toujours dans une période de transition et que les personnels de l'administration pénitentiaire sont encore en formation. J'espère donc que nous pourrons progresser sur ce sujet dans les prochaines semaines.

- Présidence de M. Daniel Reiner, vice-président -

Audition de M. Michel Foucher, directeur de la formation, des études et de la recherche de l'Institut des Hautes Etudes de Défense nationale (IHEDN)

Enfin, la commission auditionne M. Michel Foucher, directeur de la formation, des études et de la recherche de l'Institut des hautes études de défense nationale.

M. Jean-Louis Carrère, président - C'est avec un grand plaisir que nous vous accueillons devant notre commission pour cette audition consacrée aux évolutions du contexte stratégique depuis 2008, c'est-à-dire depuis l'adoption du Livre blanc sur la sécurité et la défense.

Vous êtes directeur de la formation, des études et de la recherche à l'Institut des hautes études de défense nationale. Vous êtes géographe et diplomate et un spécialiste incontesté des affaires internationales et c'est à ce titre que nous vous avons demandé de nous faire part de vos analyses sur les changements en cours.

Si la révision du Livre blanc doit intervenir en 2012, vraisemblablement à cheval sur les élections présidentielles et législatives, le Gouvernement a demandé au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) de conduire, dès à présent, une réflexion sur les évolutions du contexte stratégique. Cette réflexion a commencé dès le mois de septembre et devrait se conclure fin décembre par la remise d'un rapport qui sera examiné par le Conseil de défense et approuvé par le Président de la République. Le Secrétaire général, M. Francis Delon, devrait venir présenter les travaux du SGDSN devant notre commission début décembre.

Afin de pouvoir exprimer nos propres analyses de manière utile, nous avons mis en place des groupes de réflexion dont le mandat est d'identifier, non pas tous les changements intervenus de manière exhaustive, mais les principales lignes de fracture ou les principaux mouvements de la tectonique des pouvoirs.

Nous avons ainsi souhaité nous concentrer sur :

- les conséquences des printemps arabes ;

- OTAN, Union européenne et « alliances » en général ;

- menaces transverses ;

- les conséquences des crises économiques et financières.

M. Michel Foucher, directeur de la formation, des études et de la recherche de l'Institut des hautes études de défense nationale - Pour déterminer les principaux changements intervenus depuis le Livre blanc, il faut tout d'abord rappeler qu'il a été élaboré dans le contexte politique de 2007 et du choix du rapprochement fait par les autorités politiques françaises des Etats-Unis et dans le contexte idéologique qui est celui de 2001. Cela explique que le terrorisme ait été considéré à une menace de niveau stratégique. On peut s'interroger aujourd'hui sur l'opportunité de maintenir cette analyse.

En 2007-2008, une partie du Livre blanc reprend les thèses du document de sécurité nationale des Etats-Unis qui datent de 2002. Ces années correspondent également à une rupture avec la politique chiraquienne de distanciation avec la puissance américaine telle qu'elle était au moment de l'invasion de l'Irak. La France décide de réintégrer totalement l'OTAN. En quelque sorte, la carte mentale des stratèges américains devient la nôtre. On fait l'hypothèse que ce qui va structurer notre deuxième décennie du XXIe siècle, ce sont les événements du 11 septembre. Je ne crois pas à cette hypothèse même s'il est évident que les événements du 11 septembre ont conduit à des décisions des Etats-Unis qui à leur tour ont eu des conséquences durables (Irak).

Le principal changement par rapport au contexte intellectuel et stratégique de 2007/2008 est la fermeture de la parenthèse occidentale de l'unipolarité qui débuta avec l'effondrement de l'URSS et culmina avec l'intervention en Irak.

Cette configuration a changé autour de cinq éléments structurants.

Le premier est l'intervention de la crise économique et financière qui n'avait pas été prise en compte dans le Livre blanc de 2008, « véritable surprise stratégique ». L'épicentre de la crise est aux Etats-Unis, ce n'est pas à l'origine une crise mondiale. Elle se diffuse ensuite sur l'Europe. À l'origine, il y a la dérégulation généralisée menée par l'administration Clinton qui revient à une destruction du New Deal et qui affaiblit stratégiquement l'Occident. C'est une réalité durable. Parallèlement à cette politique, les expéditions militaires des Etats-Unis ont alourdi la facture surtout si l'on y ajoute le coût du 11 septembre et les coûts à venir des dépenses pour les vétérans de ces guerres. Au total ce sont 3 300 milliards de dollars, soit 1/5 de la dette des Etats-Unis. Les conséquences de ces crises affaiblissent les Etats, particulièrement en Europe. C'est ce qui explique que le quatrième groupe de travail du SGDSN porte sur les conséquences de la crise sur la souveraineté nationale.

Le deuxième élément structurant, c'est le changement de ton des acteurs dits émergents à l'égard des puissances occidentales. La proposition qu'ont fait le Brésil et la Turquie pour résoudre la question du nucléaire iranien est symptomatique à cet égard. De même, les « BRICS » (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) s'opposent à la résolution 1973 sur la Libye. Un magazine brésilien, paru fin août, soulignait que c'étaient « les vieilles puissances qui avaient remporté la victoire en Libye et qu'il s'agissait du premier événement de la nouvelle guerre froide qui les opposait aux pays émergents ». Les nouveaux acteurs que sont le Brésil, la Turquie, l'Inde, la Chine, jugent publiquement l'attitude occidentale. Le 6 août dernier, le porte-parole chinois faisait la leçon aux Etats-Unis après la dégradation de leur notation en leur conseillant notamment de diminuer leur budget militaire.

Pour reprendre une expression imagée, il faut porter plus d'attention au « blé qui pousse ». Nous assistons à un mouvement de fond d'émancipation de pays qui veulent leur place au soleil et qui adoptent une posture gaullienne d'affirmation de la souveraineté nationale.

Le contexte à envisager pour une relecture du Livre blanc doit donc, à mon sens, prêter plus d'attention à ces mouvements de fond. Les mouvements tectoniques plus que les points critiques immédiats.

Troisième élément structurant : dans les 17 Livres blancs qui ont été rédigés depuis 2008 dans le monde, il est pourtant question d'intérêts nationaux. La situation qui succède à la parenthèse unipolaire ne ressemble pas à une multipolarité coopérative. Il suffit du reste d'observer la progression des budgets de défense dans le monde. Sans rentrer dans les détails, la moyenne mondiale est une augmentation de 13 % des budgets de défense sur la période 2007-2010. En Europe, ce taux est de 0 % en moyenne, en tenant compte de l'effort français et de l'effort britannique. Les budgets militaires des pays émergents progressent au rythme de leur croissance alors qu'en Europe les dépenses militaires sont considérées comme des variables d'ajustement de budgets contraints.

Quatrième élément structurant : le début de repositionnement stratégique des Etats-Unis à l'échelle du monde. La réorganisation du dispositif américain après l'Irak fait naître un certain nombre de craintes dans la région où il y aurait un moindre contrepoids avec l'Iran et Al Qaïda. Les Etats-Unis concentreraient leurs installations au Koweït et s'appuieraient sur le conseil des états du Golfe qui pourrait évoluer vers une sorte d'OTAN régional. Il y a du reste une volonté de sous-traiter à des acteurs régionaux les actions que l'Amérique ne prend plus directement en charge. Par exemple, la Turquie ou l'Indonésie. On l'a vu particulièrement dans l'opération en Libye. Cela correspond également au discours de Robert Gates et de Léon Panetta appelant les Européens à prendre leur part du fardeau et annonçant le retrait américain.

On note du reste au Congrès une psychologie du désengagement et une logique de retrait d'une Amérique jugée surexposée. Il y a une fatigue de l'opinion sur l'engagement extérieur. Repli et réorganisation sont évoqués aux Etats-Unis par de nouveaux concepts : « leadership from behind » (oxymore, issu de la Harvard Business School, à partir de la métaphore du berger chère à Nelson Mandela), « offshore balancing ». Pour les Etats-Unis, ce qui reste prioritaire, c'est la relation avec Israël, la prolifération nucléaire et la nécessité de contenir l'expansion chinoise (d'où le développement de la présence militaire en Australie (Darwin), de l'alliance avec les Philippines et Singapour).

C'est donc un deuxième mouvement tectonique, même s'il s'agit d'un mouvement lent.

Dernier élément structurant : les révoltes arabes. Celles-ci n'ont pas été anticipées par le Livre blanc mais la France et ses forces armées ont fait preuve d'une grande capacité de réaction, dans le cas de la Libye, au titre de la RAP. Le retour d'expérience a montré leur capacité à travailler en interarmées. L'OTAN a été une boîte à outils efficace. Le clivage Europe/Monde musulman a été brisé par l'engagement français et à la coopération avec le Qatar et les EAU. Le cycle qui commence après cette intervention présente de nouveaux enjeux (Constitution, confrontation des partis islamo-conservateurs avec les réalités, ...). Le fait de se focaliser sur le théâtre sud-méditerranéen avec les révolutions arabes ne doit pas faire oublier l'Afrique. Les événements en Côte d'Ivoire peuvent se répéter ailleurs. Ils ont montré que les forces des Nations unies d'interposition pouvaient avoir besoin d'un appui militaire décisif.

Des événements affectant notre sécurité peuvent se dérouler très loin de nos zones d'influence directe comme par exemple en mer de Chine.

Les évolutions en cours indiquent que le maintien d'un effort de défense est nécessaire pour continuer à peser sur les crises à venir. Il faut également approfondir notre réflexion stratégique avec les grandes démocraties des pays émergents qui veulent disposer des instruments de leur sécurité, ce qui ouvre d'importantes possibilités commerciales.

L'Europe ne dispose pas de Livre blanc depuis le document stratégique de 2003. Un Livre blanc européen serait tout à fait nécessaire de manière à définir les intérêts communs des Européens.

M. Daniel Reiner - La disparition des conflits d'intérêts tactiques en Europe est-elle définitivement acquise ?

Mme Hélène Conway Mouret - La définition donnée dans le Livre blanc pour l'arc de crise est-elle toujours valable ? Ne faudrait-il pas mieux parler d'arc des crises ? De quels moyens de contrôle disposons-nous pour faire face à la dissémination des armes dans la zone sahélienne à la suite de la guerre en Libye ? Quel rôle voyez-vous pour l'Algérie, après les opérations en Libye, qui a vu une certaine remise en cause de sa position ?

M. Jacques Berthou - Face à un constat assez pessimiste de la situation, je m'interroge sur les moyens de rebondir et de réagir notamment vis-à-vis des pays émergents. Existe-t-il un plan stratégique européen pour reprendre la main ?

M. Michel Foucher - En ce qui concerne les menaces étatiques contre notre pays, le Livre blanc avait identifié la menace balistique essentiellement en provenance d'Iran. La réponse qui a été faite est une participation à certains éléments de la défense antimissile balistique (DAMB), sans affecter la posture de dissuasion. Même si le risque de conflits interétatiques paraît écarté en Europe, le reste du monde n'est pas un monde post-national. Il ressemble beaucoup à ce qu'il était à la fin du XIXe siècle. Les guerres entre Etats sont possibles et peuvent entraîner des conséquences pour notre pays. Ainsi sur l'Iran, compte tenu de nos accords de défense avec les Émirats arabes unis.

Dans le Livre blanc, les enjeux de cyberdéfense et cybersécurité ont été identifiés mais ils ont pris une ampleur inédite depuis lors. Au-delà des attaques directes comme les a connues l'Estonie de la part des hackers patriotes russes, et qui relèvent du déni d'accès, la véritable menace est celle de l'espionnage du potentiel économique, industriel et diplomatique. Les acteurs des cyberattaques sont étatiques. La France travaille sur la cyberstratégie, alors que des pays comme le Royaume-Uni, les Etats-Unis ou l'Allemagne ont investi massivement.

La question algérienne est compliquée, La politique algérienne au Mali est liée à notre soutien au Maroc sur cette question. Rappelons également que, à l'origine, AQMI est algérien. Une initiative européenne, financée par l'Union européenne et impliquant les acteurs régionaux, est en cours de mise en place pour surveiller et contrôler la zone sahélienne. Il faut par ailleurs faire du franco-algérien pour sécuriser le sud algérien. La politique du Président malien avec les Touaregs pourrait connaître une remise en cause alors même que ceux-ci se sont réarmés à l'occasion de l'affaire libyenne. Comment réagir ? Devant le risque de rétrécissement stratégique, la France et la Grande-Bretagne ont signé les traités de Lancaster House. Ces traités sont importants mais ils doivent également permettre une ouverture sur les pays qui ont en Europe une volonté de défense, comme la Pologne par exemple. Un plan stratégique européen traduisant une perception partagée des menaces et des intérêts géostratégiques devrait être mis en chantier. Il est possible de commencer à travailler en petit format et de définir une liste courte d'intérêt commun. Le problème de l'Europe c'est celui du rapport à l'usage de la force qui est par exemple écarté par un pays comme l'Allemagne. Il en va différemment pour la France ou la Grande-Bretagne. Un sondage récent sur le sens de l'engagement met en avant le fait de servir son pays, ce qui dénote la résurgence d'un véritable esprit de défense. Il nous faut réfléchir aux conditions d'un réengagement stratégique européen. Nous avons également besoin d'une remise à plat de la relation franco-allemande.

M. Jeanny Lorgeoux - Quelle est la place de la Russie dans la réflexion géostratégique actuelle ?

Mme Leila Aïchi - S'agissant du Mali, la politique du Président Amadou Toumani Touré vis-à-vis des Touaregs ne va-t-elle pas être remise en cause après les élections d'avril 2012 ?

M. Michel Foucher - Les élections au Mali ne manqueront pas d'avoir une incidence, d'où l'importance des messages que nous pouvons passer aux responsables politiques pour prévenir une crise d'ici cette échéance. De manière générale, on a sous-estimé le rôle de Khadafi dans les pays du Sahel où il était considéré comme un bienfaiteur et où les mercenaires qu'il recrutait étaient des soldats réguliers de ces pays.

Le rôle et la présence de la France en Afrique seront plus durables que ce qui était envisagé dans le Livre blanc. Aucun des pays africains ne souhaite un départ de la France. Il faut disposer d'une vraie stratégie intégrée qui inclut l'Agence française de développement, qui implique une relation étroite avec l'Algérie et qui s'élargisse aux questions tierces.

Sur la Russie, le Livre blanc était assez lucide. Le Président Poutine a entrepris la construction d'un État-nation. L'évolution de l'étranger proche peut avoir une incidence directe sur la Russie. De ce point de vue, la Grèce ne doit pas sortir de l'euro pour des raisons géostratégiques, puisque cette sortie permettrait à la Russie d'épanouir sa politique néo-balkanique. Si nous avons de bonnes relations économiques et culturelles avec la Russie, les relations diplomatiques sont difficiles. Nous devons aider la Russie à renoncer à l'empire tout en étant parfaitement conscients qu'elle ne renoncera jamais à l'Ukraine. Les Russes n'ont pas une idée claire de leur statut géopolitique. Ils sont obsédés par l'Asie centrale et voient le Pakistan comme un adversaire. Il y des éléments de coopération avec la Russie en Asie centrale. Vis-à-vis de la Russie, nous pouvons choisir deux attitudes : la première consiste à juger le régime et à dénoncer l'absence d'État de droit. Ou bien on regarde nos intérêts à long terme, ce qui doit nous conduire à essayer d'européaniser la Russie, à travailler à une moindre dépendance économique, à développer les échanges étudiants et l'apprentissage commun des langues et à libéraliser la circulation des hommes sous réserve de réciprocité. Face à une Russie arrogante, qui se réjouit publiquement des difficultés européennes, où sont nos intérêts ? Les Russes sont des consommateurs, pas des citoyens, il n'existe pas de société civile et de contrepoids. Il faut prendre en compte tous ces éléments.

Jeudi 10 novembre 2011

- Présidence de M. Daniel Reiner, vice-président -

Loi de finances pour 2012 - Audition du Général Jacques Mignaux, directeur général de la gendarmerie nationale

La commission auditionne le général d'armée Jacques Mignaux, directeur général de la gendarmerie nationale, sur le projet de loi de finances pour 2012 (programme « gendarmerie » de la mission Sécurité).

M. Daniel Reiner, président. -Nous sommes heureux de vous accueillir à nouveau, Mon Général, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, pour cette audition consacrée aux crédits de la gendarmerie nationale dans le projet de loi de finances pour 2012.

Je voudrais excuser le Président, M. Jean-Louis Carrère, qui participe actuellement, aux côtés du ministre de la défense, M. Gérard Longuet, à la cérémonie d'hommage aux militaires français décédés lors d'opérations extérieures, organisée à la veille du 11 novembre, et qui doit ensuite se rendre, avec le ministre, sur la Base Aérienne 118 de Mont-de-Marsan, dans les Landes, afin de saluer l'action des militaires français ayant pris part à l'opération Harmattan en Libye.

Nous avons entendu hier le ministre de l'intérieur, Claude Guéant - vous étiez d'ailleurs présent lors de cette audition - nous exposer les priorités de son action. Nous souhaiterions toutefois aujourd'hui aborder avec vous plus en détails le projet de budget de gendarmerie nationale pour 2012.

Mais avant, peut-être pourriez vous, Mon Général, nous dire quelques mots sur le bilan que vous tirez du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur et de la loi du 3 août 2009, à la lumière notamment du rapport d'évaluation présenté par notre collègue député, M. Alain Moyne-Bressand et notre collègue sénatrice Mme Anne-Marie Escoffier. Je pense notamment à la préservation du caractère militaire de la gendarmerie, auquel nous sommes tous ici particulièrement attachés.

Nous serions également intéressés de connaître votre sentiment au sujet des conclusions et des recommandations formulées par la Cour des Comptes dans son récent rapport public sur l'organisation et la gestion des forces de sécurité publique. Dans ce rapport, la Cour considère notamment que les résultats obtenus dans la lutte contre la délinquance depuis 2002 ont été contrastés.

A ce sujet, peut-être pourriez vous nous apporter quelques éclaircissements au sujet des deux circulaires internes datées des 15 et 23 septembre, intitulées « orientations de la lutte contre la délinquance » et « intensification de la lutte contre les atteintes aux biens », et dont des extraits ont été publiés sur Internet et dans le journal Le Monde.

Nous aimerions aussi connaître votre sentiment sur les recommandations formulées par la Cour des comptes, notamment concernant la répartition des effectifs sur le territoire, qui serait uniquement fondée sur la population et qui ne prendrait pas suffisamment en compte la délinquance.

Mais nous souhaiterions surtout vous entendre sur le projet de budget de la gendarmerie nationale pour 2012. Est-ce que ce budget donne à la gendarmerie nationale les moyens de fonctionner et de répondre aux fortes attentes des élus locaux et des citoyens en matière de sécurité ? Comment parvenez-vous à faire face à la diminution des effectifs de gendarmes et quelles en sont les conséquences, notamment en termes de maillage territorial ou de présence des gendarmes sur le terrain ?

Enfin, peut-être pourriez-vous nous dire un mot de l'action des gendarmes engagés sur les théâtres d'opérations extérieures, notamment en Afghanistan.

Est-ce que les gendarmes français seront concernés par l'allègement de notre dispositif militaire en Afghanistan, à quelle hauteur et selon quel calendrier ? Est-ce que ce retrait partiel concernera le Wardak, où ils sont relativement isolés, ou bien plutôt la Kapisa et Surobi ?

Voilà, Mon Général, quelques questions d'ordre général, mais les deux rapporteurs pour avis du budget de la gendarmerie, nos collègues Gérard Larcher et Michel Boutant, ainsi que mes autres collègues, auront certainement d'autres questions à vous poser, à l'issue de votre exposé liminaire. Mon Général, je vous passe la parole.

Général d'armée Jacques Mignaux, directeur général de la gendarmerie nationale.- J'ai le plaisir de répondre cette année encore à l'invitation de votre commission.

Au cours de l'année écoulée, la gendarmerie a répondu présent sur l'ensemble des fronts. Les évolutions du droit et les contraintes budgétaires combinées aux nombreux impératifs missionnels constituent autant de défis et d'enjeux pour la gendarmerie.

Avant de répondre à vos questions, je vais, si vous le permettez, aborder les perspectives budgétaires de la prochaine annuité.

Le cadre d'action de la gendarmerie est bien celui de la maîtrise des dépenses publiques.

Le budget qui m'est alloué reflète la contrainte financière générale mais me donne cependant les moyens en termes de fonctionnement et de management, pour atteindre mes objectifs opérationnels.

En termes d'investissements, la situation est plus tendue. Les dotations ne me permettent pas de renouveler, en effet, mes moyens au rythme connu jusqu'en 2009.

Mon souhait est que nous puissions retrouver dans les années à venir de nouvelles et nécessaires marges de manoeuvre.

Les dotations de la gendarmerie nationale dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012 progressent de 2,9 % en autorisations d'engagement, et représentent 7, 892 milliards d'euros, et de 1,7 % en crédits de paiement, pour s'établir à 7 853 milliards d'euros.

Cependant, si l'on fait une lecture sur les seuls crédits que je maîtrise, c'est-à-dire hors pensions, le projet de loi de finances pour 2012 affiche une quasi stabilité des crédits par rapport à l'année 2011 (+1,3 % en AE et -0,7 % en CP).

Concernant les effectifs, le plafond d'emploi 2012 sera de 95 883 ETPT (équivalent temps plein travaillé), soit une baisse de 1 185 ETPT par rapport à 2011. Cette diminution d'effectifs portera sur le périmètre « commandement et soutien » mais aussi sur le périmètre opérationnel.

Je reviendrai, pour répondre à votre question, sur la façon dont nous faisons face à la diminution des effectifs. Mais je rappelle en liminaire qu'il n'y a pas eu et qu'il n'y aura pas de plan de dissolution de brigades.

Si des ajustements s'avèrent nécessaires, ils s'effectueront dans le cadre de mesures locales, prises en fonction du contexte.

La couverture du territoire et le maillage assurés par les brigades constituent en effet plus que jamais les fondamentaux de notre action et de notre efficacité opérationnelle.

Il n'est donc pas question de revenir sur ce point, même s'il est évident qu'ici ou là les effectifs des unités les moins sollicitées connaitront un ajustement. Il va de soi que les unités renforcées ces dernières années, en raison d'une augmentation de leurs charges ou de la pression démographique, ne connaitront aucune contraction de leurs effectifs.

Les dépenses de personnel, hors pensions, sont stables (-2 millions d'euros en 2012). Elles permettent le financement de différentes mesures :

- la dernière annuité de la nouvelle grille indiciaire des militaires (à hauteur de 1,4 million d'euros) ;

- la dernière annuité du PAGRE rénové en 2012 (23,2 millions d'euros) ;

- le nouvel espace statutaire (15,2 millions d'euros) de la grille indiciaire B ;

- la prime pour résultats exceptionnels (15 millions d'euros) ;

La réserve opérationnelle de la gendarmerie bénéficie d'une dotation de 46 millions d'euros en 2012, soit une augmentation de 2 millions d'euros par rapport à 2011. La réserve opérationnelle concrétise le lien gendarmerie-Nation. Pour les jeunes adultes issus de la société civile, notamment étudiants, et qui constituent 37 % de mes réservistes, l'emploi au sein de cette réserve en période estivale est un véritable job d'été. Actuellement, la gendarmerie dispose d'un vivier d'environ 25 000 réservistes, servant en moyenne 17 jours par an. J'ambitionne d'aller jusqu'à 28 000 réservistes à l'avenir.

Enfin, les crédits de personnel au titre des OPEX sont reconduits en 2012 avec une dotation de 11 millions d'euros.

J'en viens maintenant aux crédits de la gendarmerie hors dépenses de personnel (Hors titre 2), c'est-à-dire aux crédits de fonctionnement et d'investissement.

Le fonctionnement courant soutient directement l'opérationnel : le titre 3 fonctionnement courant s'élève au total à 946,4 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, soit une diminution de -2,1 % par rapport à 2011.

Cette baisse n'est que visuelle. Elle s'explique par le transfert de 25,2 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement vers l'investissement pour permettre la mise en oeuvre de la réforme du carnet d'habillement.

A périmètre constant, les crédits de fonctionnement courant augmentent de 4,8 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, soit une hausse de 0,5 %.

Mon objectif est de permettre aux unités opérationnelles de mener à bien l'ensemble de leurs missions. Pour y parvenir, j'ai fait des choix. J'ai décidé de préserver les budgets des régions de gendarmerie en couvrant la totalité des dépenses de loyers, d'énergie et de carburant, y compris l'inflation. Je précise qu'une hausse du coût du litre de 10 centimes se traduit pour moi par une dépense annuelle supplémentaire de 5 millions d'euros !

Pour les autres postes de dépense, je limite l'impact de la baisse des dotations globales à 1,5 % en moyenne à périmètre constant.

Le fonctionnement des unités opérationnelles ne doit pas être réduit davantage.

Pour les OPEX, la dotation de 4 millions d'euros est reconduite. Cette dotation est certes insuffisante mais les besoins complémentaires seront traités en gestion comme en 2011. Je pourrai y revenir en répondant à vos questions.

Les crédits qui reflètent la composante « acquisition » sont les crédits du titre 3 « hors fonctionnement courant », du titre 5 et du titre 6.

Après un recul en crédits de paiement de 13 % en 2011, la contraction de l'investissement en 2012 sera de - 4,9 % en crédits de paiement (249 millions d'euros), mais il est à noter que nous bénéficierons d'une augmentation de 40,6 % en autorisations d'engagement (288,9 millions d'euros) par rapport à la loi de finances de 2011.

Ces dotations permettront de couvrir les engagements antérieurs et les dépenses incompressibles, en particulier le maintien en condition opérationnelle des hélicoptères et des systèmes d'information, l'habillement (écoles, spécialistes, réforme du carnet d'habillement), les munitions et matériels indispensables pour la sécurité des personnels. Elles permettront également de continuer le renouvellement des véhicules : on livrera en 2012 plus de 2 200 véhicules de brigades. Je rappelle que mon parc comprend environ 30 000 véhicules. Ces moyens nouveaux sont très attendus par mes personnels. Ces dotations permettront aussi d'accentuer notre effort dans le domaine de l'immobilier en engageant pour l'investissement 175,2 millions d'euros en autorisations d'engagement et 110,1 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui représente respectivement une augmentation de 47 % et 3,1 % par rapport à 2011.

Je précise qu'à ces montants, s'ajouteront 37 millions d'euros en AE et CP pour les travaux d'entretien courant menés par les régions (mises en peinture, menuiserie, plomberie et divers menus travaux).

Je souhaite rappeler ici que mon parc immobilier est composé au total de 77 410 logements répartis au sein de 3 980 casernes domaniales et locatives (65 356 logements, ce qui représente 84,5 % du parc immobilier de la gendarmerie), d'ensembles immobiliers locatifs appartenant aux départements, aux communes, aux offices HLM ou à des opérateurs privés (1 925 logements, soit 2,5 % du parc), ainsi que de prises à bail individuelles (10 129 logements, soit 13 % du parc).

L'âge moyen des logements est de 38 ans. Plus de 70 % des logements domaniaux ont plus de 25 ans.

Les « points noirs » concernent 175 casernes du secteur domanial (3 606 logements, soit 4,6 % du parc) et 58 casernes du secteur locatif (242 logements, soit 0,3 % du parc).

En 2012, mon effort portera sur l'entretien courant et la maintenance des casernes domaniales mais aussi sur l'évolution du parc locatif, notamment grâce à l'implication des collectivités territoriales (dispositif du décret de 1993).

En 2012, j'engagerai 52,7 millions d'euros pour des opérations de maintenance lourde du parc domanial (remise aux normes de plus de 2 200 logements en gendarmerie mobile), je destinerai 38 millions d'euros à des travaux d'entretien courant (domanial et locatif, sous forme principalement de crédits déconcentrés aux régions), je consacrerai 47 millions d'euros aux financements innovants (en les destinant aux 6 AOT relevant du programme, dont 40 millions d'euros seront consacrés à l'hébergement du groupement de gendarmerie départementale du Var et de ses unités subordonnées à La-Valette- du-Var) et j'affecterai 15 millions d'euros de subventions aux collectivités locales en titre 6 pour permettre la mise en chantier de 885 unités logement, qui viendront compléter les 354 livraisons d'unités logement attendues.

Voilà pour les éléments d'ordre budgétaire, mais nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.

J'en viens maintenant aux réponses à vos questions.

En ce qui concerne le bilan du rattachement organique de la gendarmerie au ministère de l'intérieur, comme vous le savez, la loi du 3 août 2009 a consacré le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur, tout en garantissant le respect de son identité militaire. Grace au soutien obtenu et à l'enrichissement du texte au Sénat, la gendarmerie a pu conserver l'intégralité de ses capacités et de ses savoir-faire.

Ce transfert a renforcé la synergie entre les deux forces de sécurité intérieure, même si le rapprochement entre police et gendarmerie était déjà bien engagé depuis 2002.

Des réalisations tangibles ont pu être accomplies dans plusieurs domaines.

Ainsi, en matière de systèmes d'information et de communication, nous avons créé un outil commun, le Service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure : le ST(SI)². A partir de l'existant, des besoins techniques particuliers clairement identifiés et reconnus pour chacune des deux forces, le ST(SI)² va oeuvrer dans le respect des attributions de chaque responsable de programme, pour une meilleure interopérabilité des réseaux, pour une mise à disposition de logiciels professionnels communs et une harmonisation des fichiers opérationnels et bases de données judiciaires.

En matière de police technique et scientifique (PTS), nous avons engagé des réflexions communes et une complémentarité des laboratoires spécialisés.

La réforme de la garde à vue a toutefois rendu la procédure plus complexe, mais nous aurons certainement l'occasion d'y revenir.

Dans le domaine du soutien logistique, nous avons développé les achats et entretiens de matériels en commun, la mutualisation des structures de l'ECASGN et de l'ECLPN, des ateliers automobiles partagés.

Au niveau central, nous avons transféré une partie de notre fonction immobilière au sein de la direction de l'évaluation et de la performance et des affaires financières du ministère de l'intérieur (DEPAFI). Cette mesure a permis de créer aux cotés du bureau des affaires immobilières de la police nationale (BAIPN) un bureau des affaires immobilière de la gendarmerie (BAIGN).

En matière de ressources humaines, nous avons mis en place le dispositif de la passerelle gendarmerie-police, des échanges croisés dans le cadre de la formation et développé une mutualisation de certaines formations spécialisées.

La coopération entre les deux institutions ne saurait se réduire à un rapprochement de moyens. Elle s'inscrit aussi dans une démarche de complémentarité et d'efficacité opérationnelles

Au plan opérationnel, nous avons donné plus de cohérence à nos zones d'action respectives en procédant à des transferts équilibrés de territoires.

Ainsi, onze communes en zone gendarmerie accolées à de grosse plaques urbaines ou faisant partie de grosses agglomérations ont été rattachées à la police nationale (Marck, Rillieux-la-Pape, Ecully, Chassieu, Feyzin, Septèmes-les-Vallons, Cabriès, Le Haillan, Eysines, Bouliac et Artigues-Près-Bordeaux).

Dans le même temps, sept circonscriptions de sécurité publique implantées en zone majoritairement gendarmerie sont ainsi passées sous notre responsabilité (Fourmies, Annonay, Montbrison, Graulhet, Pertuis, Port-Saint-Louis du Rhône et Libourne).

Parallèlement, ces échanges de territoires ont été complétés par la CORAT (coopération opérationnelle renforcée dans les agglomérations et le territoire), qui sur l'ensemble des départements, vient renforcer notre coopération opérationnelle afin de mieux prendre en compte les situations d'urgence et les phénomènes de délinquance communs notamment. Ainsi, les cellules anti-cambriolages (CAC) créées au niveau départemental permettent la systématisation du partage des informations entre les enquêteurs de la gendarmerie et de la police, complétant utilement la mise en commun des fichiers de police judiciaire. Elle permet enfin de mieux coordonner nos dispositifs lorsque cela a du sens. Je prends exemple sur les dispositifs de sécurité déployés à l'occasion des sommets du G8 et du G20, pendant lesquels 10 000 gendarmes et policiers ont agi en parfait accord, dissuadant toute velléité de perturbations par des fauteurs de trouble. Je souligne à cette occasion l'apport des savoir-faire militaires de la gendarmerie, avec la distinction opérée entre la force menante et la force concourante selon la zone d'action ou la capacité mise en oeuvre.

Toutes ces évolutions se sont faites sans que soit remise en cause, l'identité de la gendarmerie qui a trouvé toute sa place au sein du ministère de l'intérieur. Ce constat ressort bien du rapport d'évaluation de la loi sur la gendarmerie établi au cours de l'été par le député M. Alain Moyne-Bressand et la sénatrice Mme Anne-Marie Escoffier, et remis au Premier ministre.

Vous avez évoqué le récent rapport de la Cour des comptes sur l'organisation et la gestion des forces de sécurité publique. Le ministre de l'intérieur a déjà apporté des éléments de réponse, mais je suis heureux de pouvoir vous livrer ici mon point de vue sur certaines de ses conclusions.

Le rapport parle en préalable de « résultats contrastés de la lutte contre la délinquance de 2002 à 2010 », évoquant une baisse des atteintes aux biens, mais une hausse des atteintes aux personnes.

Je vais vous parler de la délinquance constatée par la gendarmerie.

Je souhaiterais vous redonner deux ordres de grandeur : cette délinquance est constituée à 63 % par les atteintes aux biens (AAB) (627 696 faits en 2010). Les atteintes volontaires à l'intégrité physique - AVIP - n'en représentent quant à elles que près de 10 % (95 547 faits en 2010, avec une baisse de 0,3 %, dont seulement 8 859 faits de violences physiques crapuleuses, en hausse de 1,5 %).

Sur la période évoquée par la Cour, la délinquance constatée par la gendarmerie a baissé de 16,7 %. En 2010 et pour la première fois, le nombre de faits est passé en dessous de 1 million (de 1 182 173 faits en 2002 à 984 648 faits en 2010).

Sur cette période de 8 ans, ce sont donc 200 000 victimes en moins dans la zone de compétence de la gendarmerie. Dans le même temps, le taux d'élucidation des crimes et délits est passé de 32 à 40 %. Voilà pour les résultats contrastés du point de vue de la gendarmerie.

La Cour des comptes pointe également la « culture du résultat, érigée en mode de fonctionnement des services de sécurité publique ».

Je préfèrerais parler de culture de la performance. Cette notion me paraît plus conforme à la réalité. Dans sa double acception d'évaluation quantitative et qualitative, elle rend mieux compte de notre démarche. Cette culture de la performance s'impose aujourd'hui à nous comme un impératif : impératif car nous devons rendre publiquement compte de notre action. Impératif car elle découle de l'esprit de la LOLF et des indicateurs du programme annuel de performance, comme la représentation nationale l'a voulu. Impératif enfin car la lutte contre la délinquance n'est pas figée : il nous faut mesurer, d'une manière ou d'une autres, les problématiques auxquelles nous sommes confrontés, analyser l'évolution des phénomènes criminels, pour adapter en conséquence nos réponses voire anticiper les nouvelles menaces. Je pense notamment, dans le domaine de la cybercriminalité, aux escroqueries sur internet.

La culture de la performance - ou du résultat - n'est pas une course à la statistique. Elle permet de mesurer la qualité de notre réponse en matière de sécurité.

Vous avez fait allusion à deux de mes directives écrites du mois de septembre qui ont été rendues publiques, alors qu'il s'agit de documents à usage interne exclusivement.

Ces directives écrites, je les assume pleinement. Des notes de cette nature, j'en signe plusieurs par année. Il est bien dans mes attributions de pilotage de l'action de la gendarmerie de mobiliser mes moyens pour obtenir des résultats concrets.

Je commande et manoeuvre mes moyens. Je veux également tenir les engagements que j'ai pris devant vous pour la sécurité des Français.

Dès lors que j'ai clairement identifié une hausse des cambriolages, j'ai choisi de tout mettre en oeuvre pour en briser la spirale. Sont notamment visées les résidences principales dans lesquelles sont recherchés, en journée pendant les heures ouvrables et en l'absence de leurs occupants partis au travail, argent, or et bijoux.

Le rapport de la Cour des comptes pointe enfin du doigt la répartition des effectifs sur le territoire. Il s'attarde sur le critère de population, soulignant que le critère de délinquance serait plus judicieux.

La pression de la délinquance entre, bien évidemment, en ligne de compte. Mais la gendarmerie est avant tout un service public de sécurité de proximité, dans la profondeur des territoires, même les plus reculés.

Il est hors de question de laisser se déliter notre maillage territorial et de voir s'installer des déserts sécuritaires dans certaines parties du territoire.

La responsabilité de la gendarmerie s'étend sur de vastes espaces territoriaux, qui impliquent une présence partout. Avec aujourd'hui 3 200 brigades territoriales réparties sur 95 % du territoire, la gendarmerie peut dissuader la délinquance par sa seule présence, répondre aux attentes de la population et des élus, veiller les réseaux de communication et les flux, garantir la continuité de la réponse de l'État.

Pour autant, la répartition de nos effectifs, n'est pas figée.

La carte et le format de nos unités évoluent pour les faire correspondre à la réalité de la croissance démographique et de la pression de la délinquance.

J'apporte des réponses structurelles. Ainsi, malgré la baisse globale de mes effectifs, j'ai consenti un effort pour renforcer les 25 groupements de gendarmerie départementale confrontés à la plus forte délinquance. 750 ETP ont ainsi été redéployés à leur profit (dont l'Isère, la Loire-Atlantique, la Haute-Garonne et le Gard), grâce à la dissolution de quinze escadrons de gendarmerie mobile, au lieu des dix prévus.

J'apporte aussi des réponses conjoncturelles. J'accompagne les variations saisonnières de population, hiver comme été. Gendarmes mobiles, réservistes, élèves en formation sont ainsi mis à contribution. Dans les zones touristiques, comme les stations balnéaires ou les stations de ski par exemple, les enjeux sécuritaires et économiques sont étroitement liés.

Concernant votre question sur les diminutions d'effectifs, oui, nous avons réduit nos effectifs. Comme tous les ministères nous avons été mis à contribution.

Ces réductions ont pu être menées sans impact sur les résultats opérationnels. Comme je le rappelais à l'instant, pour la première fois en 2010, nous sommes passés sous la barre des 1 million de crimes et délits constatés par la gendarmerie.

Pour gérer ces baisses d'effectifs, nous avons réformé nos structures de soutien ou les avons mutualisées avec celles de la police nationale. Nous avons fermé 4 écoles en faisant des économies d'échelle. J'ai dissous 15 escadrons de gendarmerie mobile. La gendarmerie de l'armement et la gendarmerie de la sécurité des armements nucléaires ont été transférés au ministère de la défense en 2009. Dans le même temps je n'assure plus, depuis septembre 2011, la mission de garde des Centres de rétention administratif (CRA) reprise par la police nationale.

En 2012, pour absorber la diminution des effectifs, je ferai évoluer mon périmètre de commandement et de soutien (états-majors, groupe de commandement) et j'adapterai mon dispositif opérationnel partout où cela a du sens (création du groupe d'observation et de surveillance en Guyane, renforcement des effectifs de l'office central de lutte contre la délinquance itinérante).

Enfin, en réponse à votre question sur les OPEX, je voudrais rappeler que la gendarmerie a connu en 2011 un fort engagement aux côtés des armées dans les interventions extérieures. Toutefois, je souhaite que s'applique le principe anglo-saxon du « first in ; first out », c'est-à-dire que les interventions en OPEX soient pour une durée limitée. C'est pourquoi j'ai retiré la majorité des gendarmes de la mission EULEX Kosovo.

En Côte d'Ivoire, la gendarmerie mobile a été engagée au sein de l'opération Licorne. 160 gendarmes ont été déployés pendant sept mois sans possibilité de relève, affectés à la protection de nos ressortissants et de leurs biens. Je tiens à souligner la qualité exceptionnelle de nos relations avec les armées.

En Haïti, deux escadrons de gendarmerie mobile ont été déployés, avant d'être retirés.

Enfin, notre engagement en Afghanistan se poursuit. Il y a quelques semaines, je me suis à nouveau rendu sur place et j'ai pu prendre toute la mesure de la situation et du travail remarquable accompli par nos forces, insérées au sein de la zone d'action de la brigade Lafayette.

Depuis 2009, ce sont déjà 1 000 gendarmes qui se sont succédé sur le théâtre. Ils y effectuent notamment à Wardak, dans le cadre de la « NATO training mission », mais en communiquant en français avec les autres formateurs européens, des missions de formation et d'assistance des forces de sécurité intérieure locales. Je précise qu'à la demande de la France, la sécurité du camp a été renforcée par les forces afghanes.

M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis - Mon général, pourriez-vous faire un point de situation sur le recrutement dans la gendarmerie, le profil des gendarmes, et les passerelles police/gendarmerie ? Par ailleurs, pendant longtemps les recrutés étaient issus des zones rurales, constatez-vous une évolution à ce niveau ?

Ensuite, pourriez-vous dresser un panorama de la question du financement des OPEX dans lesquelles les gendarmes sont engagés ? Jusqu'à présent le surcoût des OPEX est assuré par des redéploiements de crédits. J'imagine qu'il doit être difficile pour les responsables de vivre avec cette incertitude financière.

Enfin, qu'en est-il des communautés de brigades, qui permettent de mutualiser les moyens tout en préservant la proximité ? Pourriez-vous revenir sur ce point ?

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis - Mon général, je voudrais revenir sur la question des risques nouveaux et en particulier les cyber-attaques. Quelle est la contribution de la gendarmerie nationale face à ces menaces ?

Ensuite, vous avez évoqué la coopération entre la police et la gendarmerie. Je souhaiterais savoir, notamment sur le trafic de stupéfiants, comment se déroule la coopération avec les douanes ?

S'agissant du budget, en matière d'investissements, les intentions sont affichées, mais pour quelle réalisation effective ? Depuis 2007 le montant des dotations accordées chute, de 970 millions d'euros d'autorisations d'engagement en 2007 on passe à 161 millions aujourd'hui ! En crédits de paiement, nous passons de 570 à 122 millions d'euros.

Enfin, cette année il n'y aurait pas de plan de fermeture de brigades, uniquement des « ajustements » avez-vous dit. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Général d'armée Jacques Mignaux, directeur général de la gendarmerie nationale - Le Président M. Gérard Larcher m'a interrogé sur le recrutement. La situation est difficile. Les flux de recrutement ont sensiblement baissé au cours des dernières années. Il a donc été nécessaire de les relancer, c'est pourquoi des campagnes de communication ont été menées. Pour un coût relativement réduit de 350 000 euros, ces campagnes de communication obtiennent de bons résultats. Nous avons plus de 5 candidats pour un poste pour la catégorie des sous-officiers, et 2,5 candidats pour un poste pour les gendarmes adjoints volontaires. Aujourd'hui le recrutement est plus urbain que rural, et certaines régions sont déficitaires en candidatures. Le recrutement évolue pour devenir un véritable concours de la fonction publique. Les premiers concours sont organisés en 2012. Nous avons actuellement plus de 15 000 candidats pour près de 3 000 places.

A l'initiative de Mme Michèle Alliot-Marie, une passerelle a été créée entre les gendarmes et les gardiens de la paix. On a reçu cette année 150 candidatures de part et d'autre. La sélection a été faite en tenant compte de la motivation et des états de service de chacun. Après trois mois de formation, ils ont rejoint leurs unités. Je rappelle que les affectations avaient été préalablement présentées afin qu'il n'y ait pas d'ambigüité. Les retours sont tous positifs.

Vous m'avez également interrogé sur l'aspect financier des OPEX. Les difficultés se posent surtout sur le volet fonctionnement et les équipements, plutôt que sur la masse salariale. Je préfèrerais avoir des crédits dimensionnés à hauteur de nos besoins.

Enfin, les communautés de brigades permettent aussi de trouver un équilibre entre le statut militaire et le temps libre. Il est nécessaire de s'adapter à l'évolution sociologique de la société. En moyenne, un gendarme travaille 210 jours par an.

M. Michel Boutant, vous m'avez interrogé sur les nouvelles menaces. Celles-ci sont une réalité. Il faut se protéger en interne. Grâce aux réseaux radio police/gendarmerie, plusieurs dispositions ont déjà été mises en oeuvre, d'autres sont envisagées. En externe, les réseaux sociaux permettent aux émeutiers de se regrouper très facilement, comme on a pu le voir en Grande-Bretagne cet été. Le SGDSN pilote un travail sur cette question. L'idée pourrait être de mettre en place un couvre-feu numérique, à voir avec les pouvoirs publics afin de ne pas porter atteinte aux libertés publiques. Nous possédons des experts très compétents en matière de cybercriminalité.

Sur la coopération avec les douanes, elle est opérationnelle et permet de meilleures capacités d'action. En début d'année, à Millau, un « go fast » a été intercepté grâce à la coopération entre le GIGN et les douanes. Idem en outre-mer. Quant au réseau commun police/gendarmerie pour les drogues, il permet d'identifier les axes et de mener des actions partenariales.

Enfin, sur la question budgétaire, il y a une forte chute des investissements. Certes, les autorisations d'engagement sont en hausse en 2012, mais ce qui permet réellement de financer les acquisitions ce sont les crédits de paiement, qui sont en baisse. Toutefois, on ne peut pas engager de crédits de paiement sans autorisation d'engagement. La modernisation des unités est indispensable, mais certains investissements doivent être différés. Je pense notamment au programme de renouvellement des blindés à roue de gendarmerie mobile.

M. Jacques Gautier - La gendarmerie nationale a pris toute sa place au sein du ministère de l'intérieur, tout en conservant son statut militaire. Pourtant, nous recevons parfois les échos d'une certaine grogne des gendarmes. Qu'en est-il exactement ?

Ma deuxième question porte sur les OPEX et en particulier la formation dispensée à la police afghane et l'accompagnement des policiers afghans sur le terrain, comme j'avais pu le constater lors d'un déplacement sur place à vos côtés. Ne conviendra-t-il pas de maintenir un volet formation sur le terrain dans ce pays après 2014 ?

M. Gilbert Roger - Je suis un élu de Seine-Saint-Denis. Dans ce département il n'y a plus de gendarmes alors que le besoin est réel. N'est-ce pas un handicap pour la gendarmerie de ne pas être dans les territoires populaires ?

Enfin, sur la question des recrutements, pourriez-vous nous indiquer le taux de féminisation de la gendarmerie et si des programmes sont mis en place en faveur de la diversité ?

M. René Beaumont - Je voudrais revenir sur le problème du logement. Les crédits affectés baissent, ce qui pèse sur la rénovation des logements qui en ont pourtant besoin, cela participe de la grogne des gendarmes et de leur famille. Afin de résoudre ce problème, est-ce que les opérations de partenariat public/privé (PPP) sont une solution ? Combien de PPP sont menés aujourd'hui ?

Enfin, sur la question de l'orpaillage en Guyane, ce problème a évolué depuis une dizaine d'années. Avant, les équipes étaient composées de 4 ou 5 garimpeiros, aujourd'hui les camps d'orpaillage comprennent entre 150 et 180 personnes, parfois lourdement armés et n'hésitant pas à ouvrir le feu sur les gendarmes, avec toutes les conséquences que cela implique en matière criminelle. Pourquoi la gendarmerie est-elle toujours en première ligne sur ces opérations, alors que des légionnaires sont présents sur place et qu'ils paraissent mieux armés pour agir ? Par ailleurs, la Guyane étant française, de telles opérations ne sont pas considérées comme des OPEX et n'ouvrent donc pas droit à des primes ou médailles pour l'implication dont les gendarmes font preuve.

Général d'armée Jacques Mignaux - A M. Jacques Gautier, sur la question de la prétendue grogne des gendarmes, je crois qu'il convient de la relativiser. On a aujourd'hui beaucoup réduit les facteurs de mécontentement en améliorant la communication au sein de la gendarmerie, en oeuvrant pour une plus grande transparence. Avec la réforme de la concertation et la mise en place de référents, la création d'un forum interne de discussion, des outils de dialogue interne ont été mis en place. Alors parfois, suite à des décisions ou déclarations, il peut y avoir des montées de mécontentement, mais nous restons très attentifs sur cette question.

A propos de l'Afghanistan, le volet formation est très important, mais cette formation peut aussi se dérouler sur le territoire français, par exemple à Saint-Astier. Nous n'avons pas vocation à nous maintenir sur place si la sécurité n'est plus assurée. Nous ferons face à nos engagements sans nous mettre en position de vulnérabilité.

M. Gilbert Roger m'a interrogé sur la logique territoriale. L'idée est qu'il ne doit pas y avoir de doublons avec la police nationale. Il est toutefois nécessaire de rester au contact de toute la population.

Le taux de féminisation de la gendarmerie est actuellement de 16,4 %. Ce chiffre est en croissance permanente. Quant à la diversité du recrutement, nous avons une classe d'excellence à Paris, nous avons sélectionné et accompagné 15 jeunes. Les résultats sont probants. Nous allons recommencer et créer également des classes d'excellence dans chaque DOM-COM.

Pour répondre à M. René Beaumont, en matière de logement, les PPP existent, 6 sont actuellement en cours, mais cela coûte globalement 30 % plus cher qu'une opération classique via le décret de 1993.

Quant à l'orpaillage clandestin en Guyane, la diffusion de cartes détaillées dans les années 90 a certainement contribué à son développement. Il existe plusieurs centaines de sites qui sont des reproductions en Guyane de ce qu'il se passe au Brésil ou au Surinam. Une section de recherche a été créée à Cayenne. Quant à l'opération Harpie, il s'agit d'une opération de police judiciaire et administrative avec le concours des armées, notamment sur le plan logistique. L'usage des armes est volontairement limité lors des opérations, ce qui fait aussi baisser le seuil de violence des clandestins.

M. Joël Guerriau - Un des éléments très favorables de la coopération police/gendarmerie est la synergie technologique qui en découle. Y a-t-il des éléments de recherche sur la modernisation des outils technologiques grâce à ces synergies ?

Enfin pour revenir à la question de la cybercriminalité, internet favorise la délinquance masquée. Quels éléments de recherche avez-vous sur cette question ?

M. Jean-Marie Bockel - Comment envisagez-vous la coordination entre la réserve de gendarmerie et l'ensemble des autres réserves qui existent aujourd'hui ?

A la lumière de ce qui s'est passé en Alsace, un meilleur équilibre dans la présence des escadrons de gendarmerie mobile sur le territoire peut-il être mis en place ?

M. Marcel-Pierre Cléach - Pouvez-vous faire le point sur l'octroi à l'administration pénitentiaire de la charge du transfert des détenus ?

Quelles ont été les conséquences pour la gendarmerie de la réforme de la garde à vue ?

Enfin, pourriez-vous faire un point sur la question des carburants ?

M. Jean Besson - Une remarque sur la question de l'immobilier, qui est très importante, notamment son impact sur le moral et la grogne des gendarmes. C'est réellement une question à suivre de près.

Quant à la possibilité de mettre en place un couvre-feu numérique sous certaines conditions, il conviendra de l'encadrer très précisément par le droit.

M. Jeanny Lorgeoux - Pourriez-vous faire un point sur la situation de Jean-Hugues Matelly ?

Général d'armée Jacques Mignaux - Pour répondre à M. Joël Guerriau, nous sommes très attentifs à la question de la recherche et du développement. Nous travaillons actuellement sur la question de la reconnaissance faciale, mais également sur d'autres outils permettant d'aller plus vite et plus loin, sans pour autant supprimer des effectifs sur le terrain.

Sur la question d'internet, nous menons des opérations avec Interpol notamment dans les domaines de la lutte contre la contrefaçon ou la pédopornographie. Des opérations simultanées ont été déclenchées dans 80 pays sous le contrôle des autorités judiciaires locales.

M. Jean-Marie Bockel m'a interrogé sur les réserves. Il est nécessaire de se coordonner, il y a actuellement un problème de gouvernance à ce niveau, on reste attentif à cela. Sur les escadrons de gendarmerie mobile, je considère que leur nombre actuel ne peut plus être baissé. Je pense notamment à l'utilisation de ces escadrons outre-mer. Il existe un seuil incompressible et celui-ci a été atteint.

A M. Marcel-Pierre Cléach, concernant la reprise des transfèrements judiciaires par l'administration pénitentiaire, je voudrais rappeler que depuis janvier dernier, la gendarmerie a du transférer 130 ETP, 1 million d'euros en crédits de fonctionnement et la cession d'un certain nombre de véhicules est en cours. L'administration pénitentiaire doit donc être au rendez-vous pour reprendre cette tâche et nous espérons qu'elle le sera le plus rapidement possible.

En ce qui concerne la réforme de la garde à vue, on constate une baisse de 20 % des gardes à vue au niveau national, mais une hausse de 10 % pour les cambriolages. La gendarmerie nationale s'adapte à la loi, il y a une flexibilité des personnels mais cela a un coût. Il faut s'organiser, et cela nécessite plus d'enquêteurs et plus de moyens.

Enfin, sur la question des carburants, nous sommes abonnés au marché du service des essences des armées (SEA). Nous bénéficions de deux modes d'approvisionnement : remplissage de nos cuves par le SEA ; approvisionnement aux bornes des compagnies pétrolières à partir de cartes-carburants mises en place dans les véhicules.

Pour répondre à M. Jean Besson, à l'avenir je pense qu'il sera indispensable de réfléchir à une adaptation de la présence de la gendarmerie dans certaines zones très peu peuplées.

Enfin, sur la question de M. Jeanny Lorgeoux, le chef d'escadron Mattely a franchi la ligne rouge selon le Conseil d'État, mais cela n'implique pas la radiation. Il a payé son dû : il a été suspendu de ses fonctions pendant plusieurs mois et a reçu un blâme du ministre. Aujourd'hui, j'ai tourné la page. J'ai demandé à mes services d'examiner la possibilité de l'affectation de cet officier en administration centrale l'été prochain.

Loi de finances pour 2012 - Audition de M. Edouard Courtial, secrétaire d'Etat chargé des Français de l'étranger

La commission auditionne M. Edouard Courtial, secrétaire d'Etat chargé des Français de l'étranger, sur le projet de loi de finances pour 2012 (programme « Français de l'étranger » de la mission Action extérieure de l'Etat).

M. Daniel Reiner, vice-président. - Je vous prie d'excuser l'absence de M. Carrère, président de la commission, retenu à Mont-de-Marsan, où le ministre rend hommage aux troupes qui sont intervenues en Libye.

Nous sommes heureux de vous recevoir, monsieur le ministre. Nous souhaitons que vous nous éclairiez sur votre action aux côtés de M. Juppé, ministre d'Etat. Bien que nous soyons en période budgétaire, votre audition ne s'inscrit pas dans ce cadre puisque vous ne disposez pas de crédits d'intervention. En revanche, pouvez-vous nous éclairer sur la préparation, dans les pays étrangers, des échéances électorales de 2012, présidentielle et législatives avec, pour la première fois, l'élection de onze députés représentant les Français de l'étranger ? Les difficultés qu'a mentionnées M. Juppé au Canada sont-elles isolées ou affectent-elles d'autres pays ?

Pouvez-vous nous retracer les mensures prises par nos consulats pour assurer la préparation de ces élections, ainsi que leur coût, et la réparation de ceux-ci entre le ministère des affaires étrangères et celui de l'intérieur ? L'Assemblée des Français de l'étranger (AFE), les sénateurs représentants ces Français sont-ils associés à cette préparation ?

M. Edouard Courtial, secrétaire d'Etat. - Voila quarante-trois jours que le Président de la République et le Premier ministre m'ont fait l'honneur de me charger des affaires relatives aux Français de l'étranger auprès de M. Alain Juppé, ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes.

Voilà quarante-trois jours que je suis constamment au contact des Français de l'étranger, au ministère et surtout sur le terrain, au plus près des réalités. Je me suis d'abord rendu à Maurice pour représenter notre pays à la Conférence de l'Océan indien, puis dans une dizaine de pays. J'effectuerai la semaine prochaine un déplacement aux Etats-Unis.

Mon apprentissage a été rapide. Je me suis expliqué sur des prises de position antérieures qui ne traduisaient pas une bonne approche de ma part, tant en matière de bi-nationalité que de fiscalité. Je n'ajoute rien aux regrets que j'ai présentés. Si j'évoque ce point, ce n'est pas pour raviver inutilement la controverse, mais pour souligner que l'idée qui m'animait reflétait un sentiment assez répandu chez nos compatriotes à l'égard des Français qui ont fait le choix de vivre hors de France.

Car, lorsqu'on demande à nos compatriotes ce qu'ils pensent des Français de l'étranger, ils répondent le plus souvent que ce sont des privilégiés à la vie facile et dorée alors qu'eux sont confrontés aux duretés de l'existence. C'est d'ailleurs aussi l'image que véhiculent les documentaires télévisés sur les diplomates.

Je m'en rends compte chaque jour davantage à la faveur de mes contacts avec les Français que je rencontre lors de mes déplacements. Pour avoir passé plus de la moitié de mon temps hors de France depuis ma prise de fonction, je connais mieux maintenant la réalité des rues de Shanghai, de Manille ou de Port-au-Prince. Elle est bien différente de ce qu'on imagine habituellement.

Dans ce contexte, mon rôle est double : d'abord, faire prendre conscience que les Français de l'étranger font partie intégrante de la nation, qu'ils sont confrontés à des difficultés de vie quotidienne comme tout le monde, avec des contraintes différentes selon le pays où ils vivent. Si vous ouvrez un manuel de géographie sur la France, vous constatez qu'on y parle à peine des Français d'Outre-mer et encore moins des Français de l'étranger. Or, Français de France, Français d'outre-mer et Français de l'étranger forment tous le peuple français. Il serait temps qu'on prenne la mesure d'une situation pourtant évidente à mes yeux.

Je veux ensuite mobiliser les Français de l'étranger autour de l'idée qu'ils sont aux avant-postes de la mondialisation, qu'ils sont aussi des acteurs du développement, du rayonnement et de l'influence de la France. Les Français de l'étranger ne sont pas une poignée d'originaux, à la vie facile, partis au loin courir l'aventure. Ils représentent désormais une masse dont il faut prendre la mesure et définir en leur faveur une véritable politique.

Il y avait au 1er janvier 2010, 1 504 000 inscrits au registre des Français établis hors de France, c'est-à-dire entre deux et deux millions et demi de Français puisqu'une grande partie d'entre eux, pour toutes sortes de raison, ne juge pas utile de se faire connaître de l'autorité consulaire.

Le nombre des Français établis hors de France a augmenté de 14,06 % de 1990 à 2000 et de 50 % de 2000 à 2010. Les conditions de l'expatriation ont considérablement évolué en 50 ans. L'intensification des échanges, les perspectives professionnelles, la possibilité de suivre un cursus universitaire ou une formation hors de France conduisent un nombre croissant de Français à s'expatrier non plus définitivement mais pour quelques années, dans des pays différents, en alternance avec des retours en France. Les séjours à l'étranger se banalisent et deviennent l'élément valorisant d'un curriculum vitae.

Les Français de l'étranger ne sont plus simplement des Français qui vivent hors de France. La vie à l'étranger leur confère un particularisme, variable selon le lieu de résidence. Ce particularisme doit être pris en compte par une intervention interministérielle afin de mettre en place une véritable politique. Ils ont besoin au Gouvernement d'un interlocuteur attentif et privilégié. C'est ce qu'ils me disent lors de mes déplacements car ils ressentent la nomination d'un membre du Gouvernement chargé des Français de l'étranger comme une marque d'intérêt significative à leur égard.

Mon rôle de secrétaire d'Etat chargé des Français de l'étranger ne consiste pas à faire des coups, ni à vouloir attacher mon nom à une loi ou à me lancer dans des réformes qui ne verraient pas le jour avant la présidentielle et les législatives.

En outre, je n'ai que peu de moyens propres. Je n'ai comme soutien administratif que les directions et services du ministère des affaires étrangères, mis à ma disposition, « en tant que de besoin », en particulier la direction des Français de l'étranger et de l'administration consulaire et le centre de crise. Je peux évidemment recourir au concours des services des autres ministères. Mon cabinet comporte le minimum de membres prévu par le Premier ministre, soit six collaborateurs. Je ne dispose d'aucun crédit de fonctionnement propre.

Ma véritable force réside dans mon action de terrain : je veux être un ministre de proximité et agir hors de France, comme je le fais dans ma commune ou ma circonscription, pour avoir une perception directe des préoccupations des Français de l'étranger en allant voir, chez eux, à Wuhan, ceux qui me racontent leur première expérience de l'expatriation, ou à Manille - où aucun ministre français ne s'était rendu depuis 2006 - des jeunes Français qui ont créé une boulangerie, ou à Singapour, les élèves de l'ESSEC. Je rencontre aussi les représentants d'associations, d'entreprises, les sénateurs et les membres de l'Assemblée des Français de l'étranger mais aussi les consuls, les consuls généraux et leurs collaborateurs dont je salue la très haute qualité. Je m'attacherai à préserver leurs moyens, afin qu'ils puissent travailler dans de bonnes conditions parmi leurs compatriotes, leur apporter des services administratifs mais aussi contribuer à maintenir un lien social, un lien avec leurs racines, avec leur culture, avec en définitive, leur civilisation.

Tous ces contacts me servent à établir un état des lieux et à travailler pour l'avenir. La sécurité, la protection sociale et les aides à la scolarité sont les trois préoccupations majeures de nos compatriotes. J'ai d'ailleurs tenu à les faire figurer comme telles dans mon décret d'attributions. Publié hier au Journal officiel, ce texte met l'accent de façon explicite sur le rôle qui m'est attribué au sein du Gouvernement, sous l'autorité du ministre d'Etat.

A ces trois grands chapitres, je souhaite ajouter des champs d'actions prioritaires : je veux dresser un état général de toutes les dispositions juridiques applicables aux Français de l'étranger. Résider hors du territoire national ne leur confère aucun privilège et ne les soustrait à aucun de leurs devoirs, mais ne les écarte pas non plus du bénéfice des droits reconnus à tout Français. Cependant, peu de textes spécifiques leur sont consacrés. Dans la plupart des cas, ils sont inclus dans le champ d'application de textes plus généraux.

En second lieu, je veux avoir une meilleure approche de la vie et des préoccupations des Français dans les grandes régions du monde, en m'appuyant sur l'AFE. J'ai d'ailleurs demandé à ses membres de me faire parvenir les propositions de simplifications administratives qui, à coût constant, dépoussiéreraient certaines formalités ou procédures. Je sais que la Commission européenne a déjà travaillé sur ces sujets et je lui demanderai d'établir un panorama de la vie des Français dans les pays de l'Union en mettant en évidence les difficultés.

Je souhaite aussi travailler en tables rondes géographiques lors des sessions de l'AFE. Une première expérience de ce genre, une table ronde « Europe », a été menée à l'occasion de la session plénière de septembre.

En troisième lieu, nous devrons réfléchir à des politiques d'ensemble, notamment en matière sociale.

A l'écoute de tous les Français de l'étranger, je veux être celui qui porte leurs préoccupations au sein du Gouvernement. Je souhaite avoir une action interministérielle concrète en travaillant directement avec mes collègues pour trouver des pistes et des solutions afin de faciliter la vie de nos compatriotes expatriés.

J'ai annoncé à l'AFE que j'avais une ambition pour les Français de l'étranger : je souhaite qu'ils s'affirment en France et dans le monde. L'année prochaine, la participation électorale aux deux grandes échéances démocratiques sera déterminante. En votant, les Français de l'étranger enverront un message à la Nation. Ils diront leur fierté de faire ce geste civique et républicain, ils diront qu'ils ont conscience de faire partie d'une même et seule nation en dépit de leur éparpillement sur la surface du globe, ils diront qu'ils sont chacun une parcelle du peuple français. Au-delà des résultats proprement dits, c'est-là que réside à mes yeux un des véritables enjeux de 2012.

Je souhaite aussi mobiliser leur énergie, leur force et leur dynamisme au service de la France dans le contexte de la globalisation économique. J'ai en mémoire deux phrases prononcées devant des communautés françaises, la première par le Président de la République, à Washington, le 6 novembre 2007 : « Je veux vous dire une chose : on a besoin de vous. Votre pays a besoin de vous parce qu'ici vous êtes au contact du monde ». La deuxième, par le Premier ministre, à Abidjan, le 14 juillet dernier : « Chaque Français doit se souvenir que la France est une grande Nation, mais que cette grandeur n'existe pas sans effort et sans vertu individuelle. Chacun de nous doit se demander ce qu'il peut faire pour son pays, parce que son avenir ne dépend pas seulement de l'Etat ou des responsables politiques, il dépend aussi du courage, du civisme, de la générosité qui doivent inspirer chaque individu ».

Ces deux citations orientent ma réflexion.

Les Français de l'étranger ressentent directement les vibrations du monde. Au contact de réalités, profondément différentes de la France métropolitaine ou d'outre-mer, ils voient le monde et la France avec un regard particulier, sous un angle plus aigu et plus critique, relativisant et replaçant à leur juste proportion les événements de la vie. Avec le recul qu'impose l'éloignement, mais confrontés au mouvement du monde, ils mesurent et soupèsent avec lucidité les forces et faiblesses de la France.

Si les Français de l'étranger sont une force, cette force doit être mobilisée. Mais il faut également leur montrer que la France les apprécie et compte sur eux : nous devons les valoriser et non pas les stigmatiser en faisant d'eux des nantis. L'étranger n'est pas un Eldorado, c'est un champ de compétition où il faut être excellent pour réussir car la confrontation avec un univers différent est, au départ, une source de difficultés plus qu'un avantage.

C'est à cette prise de conscience collective que je veux oeuvrer. (Applaudissements à droite)

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteur pour avis. - Lors de la plénière de l'AFE en septembre, vous avez dit vouloir faire de 2014 l'année des Français de l'étranger. Nous fêterons en effet le centenaire de la Première guerre mondiale et vous voulez rendre hommage aux Français de l'étranger qui se sont engagés pour défendre la patrie.

L'année de l'outre-mer a sensibilisé nos compatriotes à la richesse de nos territoires ultra-marins mais la plupart des évènements se sont déroulés en métropole. En 2014, peut-être sera-t-il bon de sensibiliser nos compatriotes aux Français de l'étranger mais cela pourrait aussi être l'occasion aussi de faire la promotion de la France dans ces pays d'accueil.

Pourquoi ne pas également rendre hommage aux anciens combattants étrangers qui se sont joints à nos troupes et leur reconnaître ce statut ?

Le programme 151 traite de la rémunération du personnel affecté à la délivrance des visas. Il faudrait également se préoccuper du coût de ces visas pour les demandeurs, du fait de l'externalisation des procédures. Certes, le système mis en place a permis de supprimer certaines files d'attentes mais les demandeurs doivent payer à la fois le consulat et le prestataire. Ainsi, au Caire, la société TLScontact organise les rendez-vous et constitue le dossier du demandeur mais il en coûte 24 euros. Cette externalisation ne devrait pas pénaliser les demandeurs : avez-vous prévu quelque chose en ce domaine ?

Autre problème : en Algérie, une expérimentation d'externalisation des données biométriques est en cours. En septembre 2009, la CNIL a émis de sérieuses réserves sur l'éventuelle utilisation de ces données par le prestataire de service et par les autorités locales. Comme l'expérimentation va être élargie aux consulats de Londres et d'Istanbul, ces remarques ont-elles été prises en compte ?

M. Robert del Picchia, rapporteur pour avis. - Les propos que vous venez de tenir, monsieur le ministre, confirment que vous mériteriez d'être un Français de l'étranger. Nous partageons votre point de vue, que nous soyons de droite, de gauche ou du centre.

J'ai sous les yeux deux décrets d'attribution, celui de votre prédécesseur et le vôtre, monsieur le ministre. Celui de M. Douillet tenait en une phrase, « Il assiste le ministre d'Etat et connaît les affaires des Français de l'étranger qu'il lui confie ». C'est assez vague. En revanche, celui qui vous concerne est très précis puisqu'il fait référence aux questions relatives à la représentation des Français de l'étranger, à leur sécurité, à leur protection sociale et à l'enseignement du français à l'étranger. Or, tous ces points intéressent au plus haut point les Français de l'étranger.

J'en viens à l'enseignement du français à l'étranger. Depuis 2007, beaucoup d'efforts ont été faits en ce domaine : le montant des bourses a été multiplié par deux en quatre ans. La prise en charge des frais de scolarité coûte une trentaine de millions. Quelle sera la politique du Gouvernement en ce domaine ?

Les élections : le système est difficile à mettre en place et je remercie les personnels des consulats qui mettent à jour les listes électorales et qui préparent le vote par Internet pour les députés. La question du vote par correspondance devra encore être précisée. Je note un retard dans la publication des textes relatifs aux candidats députés, notamment en ce qui concerne les dispositions financières. Avez-vous des informations de Matignon ?

Je vous félicite enfin d'avoir reconnu le rôle de l'AFE. Cette assemblée n'est pas assez souvent sollicitée.

M. Edouard Courtial, secrétaire d'Etat. - Je confirme les propos que j'ai tenus deux jours après ma nomination devant l'AFE, madame Conway-Mouret : je souhaite que 2014 soit l'année des Français de l'étranger. Ce sera l'occasion à la fois de mieux faire connaître l'importance des Français de l'étranger à nos compatriotes et d'inciter les Français de l'étranger à faire la promotion de la France dans leur pays d'accueil. Je partage votre point de vue concernant les commémorations de la Grande guerre.

En ce qui concerne les visas, je n'ai pas de compétence propre : les ministères des affaires étrangères et de l'intérieur exercent une tutelle commune.

Merci, monsieur del Picchia, pour les paroles aimables que vous avez eues à mon égard. Vous vous êtes réjouis de mon décret d'attribution qui me permet, en effet, d'en revenir au coeur du métier : la représentation, la sécurité, la protection sociale et l'enseignement. En même temps, je pourrai disposer du centre de crise autant que de besoin.

S'agissant des bourses et des frais de scolarité, ces sujets sont de la plus haute importance. Je suis absolument convaincu de l'importance de notre système d'enseignement du français à l'étranger : il s'agit d'un outil culturel et politique exceptionnel, un instrument de rayonnement. Nous devons donc nous employer à le faire vivre. Je souhaite que le Gouvernement continue sur la voie tracée en 2007 par le Président de la République. Certes, l'objectif est ambitieux et le chemin un peu rude, mais, depuis 2007, l'aide à la scolarisation s'est considérablement accrue. La mise en place de la prise en charge des frais de scolarité (PEC) ne s'est pas faite au détriment des bourses puisque le montant de celles-ci est passé de 50 à 90 millions d'euros tandis que le budget global était porté à 120 millions d'euros.

Vous avez aussi évoqué les élections législatives et la sortie de décrets relatifs au financement et aux comptes de campagne. Ils devraient être publiés très prochainement.

Vous voulez tous que l'AFE joue un rôle plus important. Je lui ai demandé de me soumettre ses réflexions. Mi-décembre, je rencontrerai son bureau et nous verrons quelles sont ses propositions. Je suis très satisfait des contacts que j'ai pu avoir avec les conseillers de l'AFE : ce sont des gens de qualité qui connaissent leur sujet. Je souhaite que cette assemblée joue un rôle plus important qu'à l'heure actuelle. Elle a tout mon soutien.

M. Pierre Charon. - En 43 jours, vous avez visité 11 pays. Quelles sont vos premières impressions ?

M. Jean-Pierre Cantegrit. - Je me félicite que nous ayons un secrétaire d'Etat chargé des Français de l'étranger.

J'ai été un des seuls sénateurs des Français de l'étranger à ne pas souhaiter la création de députés représentant les Français de l'étranger. Pourquoi ? Un retour historique s'impose : en 1980, François Mitterrand avait prévu la création de tels députés. Après des négociations que j'ai menées avec Guy Penne et Michel Charasse, et avec le Président du Sénat, M. Mitterrand a tenu en quelque sorte son engagement puisqu'il a doublé le nombre de sénateurs représentants les Français de l'étranger en les faisant passer de six à douze. Quand M. Sarkozy a annoncé qu'il voulait des députés des Français de l'étranger, je me suis rapidement rendu compte que mes onze collègues n'élevaient aucune objection. Je me suis donc rangé à leur avis et j'ai voté la réforme. J'ai d'ailleurs bien fait car la révision constitutionnelle est passée à deux voix... S'il n'y a pas de problèmes particuliers pour certaines circonscriptions comme la Suisse ou le Benelux, j'en vois en revanche de majeurs pour des circonscriptions plus vastes : je rappelle que l'une d'entre elles regroupe 49 pays ! Comment un député va-t-il pouvoir exercer correctement son mandat ? Ces députés ne vont-ils pas être choisis par les deux grands partis et non pas par les élus de terrain ? D'ailleurs, les membres de l'AFE n'ont pas été très gâtés en ce qui concerne le choix des circonscriptions.

En second lieu, je m'interroge sur le taux de participation à ces élections. L'éloignement de nos compatriotes fait qu'il leur est très difficile de voter, même si des efforts ont été faits pour faciliter leur vote. Mais je m'inquiète du taux de participation qui risque de nuire à l'image de nos compatriotes expatriés. Vous êtes décidé à faire un effort en ce domaine et je vous en félicite.

J'en viens à la couverture sociale des Français de l'étranger. J'ai déposé un amendement sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale afin que ces derniers puissent s'affilier à l'assurance volontaire vieillesse, car désormais, nos compatriotes français qui sont nés à l'étranger, qui y ont toujours vécu et qui ne peuvent justifier de cinq ans de cotisations à l'assurance maladie en sont exclus alors que cette assurance avait été créée pour eux. Une décision de la Cour de cassation - qui d'ailleurs empiète de plus en plus sur les prérogatives du Parlement - leur interdit toute affiliation. Un ressortissant sénégalais ayant travaillé en France avait en effet demandé à pouvoir adhérer à l'assurance volontaire vieillesse réservé aux Français de l'étranger. Pour qu'il n'y ait pas de discrimination, la Cour a estimé que cette personne pouvait adhérer, ce qui est tout à fait normal. En revanche, suite à un amendement de M. Dominique Leclerc voté l'année dernière, un décret a interdit aux Français de l'étranger n'ayant pas cotisé en France au moins cinq ans d'adhérer à l'assurance volontaire vieillesse. Je ne puis accepter cette discrimination. J'ai déposé un amendement mais l'on m'a opposé l'article 40 : pourtant, il s'agit d'une cotisation volontaire, payée par l'adhérent, mais on m'a rétorqué que cette assurance était déficitaire et mon amendement aurait accru les charges de l'Etat ! Un exemple de cette discrimination que je dénonce : un des fils de Dominique de Villepin né à l'étranger et qui a toujours vécu à l'étranger ne peut pas adhérer à cette assurance. Trop, c'est trop.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Je me félicite que nous ayons un secrétaire d'Etat chargé des Français de l'étranger. Je suis en revanche beaucoup plus sceptique sur l'affaire des députés. L'action de nos collègues sénateurs représentant les Français hors de France est très efficace. A chaque fois que je voyage, je constate à quel point les délégués des Français de l'étranger sont reconnus. L'arrivée des députés va troubler les repères.

Quel sera le coût de la campagne législative pour ces députés ? Le décret n'a pas encore été publié, mais avez-vous une idée des moyens qui leur seront octroyés ? Quand ils auront été élus, quelle sera leur ligne budgétaire, notamment pour les grandes circonscriptions ?

M. Edouard Courtial, secrétaire d'État. - Merci de suivre avec une telle attention mes déplacements dans le monde, monsieur Charon...

Lors de chacun des onze déplacements, j'ai constaté que notre réseau d'enseignement était partout synonyme d'excellence. Nous disposons là, en effet, d'un grand outil d'influence et de rayonnement.

Les trois piliers que sont la scolarisation, la protection sociale et la sécurité rendent ma mission de coordination interministérielle complexe, et les priorités ne sont pas identiques à Port-au-Prince et à Shanghai.

Monsieur Cantegrit, je vous félicite pour la discipline dont vous avez fait preuve malgré votre désaccord de principe avec la création des députés élus par les Français de l'étranger. J'ignorais que François Mitterrand l'eût envisagée il y a une trentaine d'années... Au demeurant, j'y vois la conclusion logique d'un mouvement de reconnaissance dont la première étape remonte à la Constitution du 4 octobre 1958. La loi du 7 juin 1982 a ensuite instauré l'élection au suffrage universel des délégués et l'élection des douze sénateurs par les seuls membres élus du CSFE, devenu l'AFE. J'observe que cette évolution institutionnelle semble appréciée par nos compatriotes. Certes, avec un territoire incluant la Russie et l'Australie, la onzième circonscription est extrêmement vaste, mais il n'y a pas là d'inconvénient majeur, puisque l'étiquette politique joue un rôle prédominant dans toute élection législative. Je rejoins votre analyse quant à l'importance cruciale du taux de participation à l'occasion de ce nouveau scrutin. Nous devons tous faire oeuvre de pédagogie. C'est pourquoi j'utilise chaque déplacement pour inciter nos concitoyens à s'inscrire sur les listes électorales et à voter. La hausse des abstentions lors des scrutins présidentiels depuis une trentaine d'années est inquiétante.

Vous connaissez parfaitement l'assurance vieillesse, sujet technique s'il en est, monsieur Cantegrit. Après 43 jours de fonction, je confesse ne pas le maîtriser totalement ce sujet, mais je serais heureux de reprendre la discussion avec vous.

Monsieur Pozzo di Borgo, merci pour vos paroles aimables à mon endroit. Vous aussi avez exprimé des réserves sur la création de onze circonscriptions législatives hors de France. Le coût de la campagne n'est pas totalement calé. Comment l'action des nouveaux parlementaires sera-t-elle financée ? Je vous renvoie à la décision que l'Assemblée nationale prendra. C'est elle qui a réservé des segments aériens pour les députés dont la circonscription est éloignée de Paris, par exemple en Corse. Pourquoi ne prendrait-elle pas de décision concernant ses membres élus hors de nos frontières ?

Ancien député de l'Oise, j'ai sincèrement regretté d'avoir signé il y a quelques mois une proposition de loi controversée. La présence des députés élus par les Français de l'étranger permettra une veille législative écartant toute disposition séduisante pour les habitants de l'hexagone, mais dévastatrice pour ceux qui résident à l'extérieur. Le Président de la République ne s'est pas trompé.

M. Daniel Reiner, vice-président - Les sénateurs assurent fort bien cette veille législative.

M. Edouard Courtial, secrétaire d'État. - Il faut donc instaurer la même chose à l'Assemblée nationale. La proposition de loi à laquelle je viens de faire allusion n'aurait pas franchi le stade de la rédaction si nous avions eu des députés élus par les Français de l'étranger.

M. Christian Cambon. - La création du secrétariat d'État me réjouit, car nos concitoyens ont besoin de se sentir mieux identifiés et soutenus au sein de l'équipe gouvernementale.

Je tiens à souligner un fait : les Français expatriés ne sont pas tous riches, il y a parmi eux des jeunes partis dans des conditions incertaines pour leur avenir. Or, ambassades et consulats ne sont pas équipés pour soutenir nos concitoyens pauvres. À Casablanca, une association bénévole intervient en faveur de jeunes Français ayant tenté leur chance sur place. Comment comptez-vous aider nos compatriotes pauvres de l'étranger ? J'en ai vu aussi en Argentine. Leurs difficultés sociales étant réelles, comment comptez-vous faire jouer la solidarité nationale ?

M. André Trillard. - Pensez-vous que la localisation géographique des consulats soit appréciée par les Français de l'étranger éloignés des capitales ?

Ma deuxième question concerne les passeports biométriques, dont la délivrance est précédée de deux rencontres en métropole, mais d'une seule à l'étranger. Or, les demandeurs, dans certains pays, peuvent être des criminels notoires. Les précautions sont-elles toutes prises dans les consulats, à l'instar de ce qui se passe sur le territoire national ?

- Présidence de M. Robert del Picchia, vice-président -

M. Edouard Courtial, secrétaire d'État. - Je suis très attentif à la politique sociale. La réalité des difficultés est indéniable au Maroc, mais aussi à Shanghai, ville où certains Français tentent de rester sans titre de séjour, car ils pensent y avoir trouvé un eldorado, par exemple à l'occasion d'un stage. J'ai vu des associations leur accorder un soutien.

Au sein de l'Union européenne, nous avons prorogé le filet de sécurité transitoire, qui permet d'attribuer à nos compatriotes des aides sociales plus élevées que celles en vigueur dans le pays de résidence.

La répartition géographique des consulats pose parfois problème, notamment en Espagne, où la fermeture du consulat de Malaga n'a pas été sans inconvénient. En dix ans, nous avons supprimé une dizaine de consulats généraux et ouvert à peu près autant de consulats généraux ou de consulats généraux à gestion simplifiée, nous avons composé avec l'explosion du nombre des Français résidant en Chine.

Notre pays dispose aujourd'hui d'un réseau formé de 496 consuls honoraires. J'ai réuni les consuls honoraires en Espagne, avec l'ambassadeur de France. Il est vrai que le passeport biométriques est délivré à l'étranger après un seul déplacement, mais je me suis assuré de toutes les questions de sécurité.

M. André Trillard. - Lorsque le passeport biométrique n'est pas délivré à temps, l'administration délivre un passeport provisoire de couleur verte. Celui dont j'étais porteur m'a valu de gros ennuis en Israël, où sa couleur verte a suscité de la suspicion et des contrôles répétés.

M. Edouard Courtial, secrétaire d'État. - J'enregistre cette information.

M. André Trillard.- Distinguer le passeport ordinaire du document temporaire n'est pas illégitime, mais certains pays sont plus tatillons que d'autres. Je suggère une couverture noire ou bleue.

M. Robert del Picchia, président. - Monsieur le ministre, je vous remercie.

Nomination de rapporteurs

La commission nomme rapporteurs :

- M. Jean-Marie Bockel sur le projet de loi n° 3813 (AN - 13e législature) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à la Brigade franco-allemande ;

- M. Xavier Pintat sur le projet de loi n° 3856 (AN - 13e législature) autorisant la ratification de la convention relative à la construction et à l'exploitation d'un laser européen à électrons libres dans le domaine des rayons X ;

- M. Jacques Gautier sur le projet de loi n° 3876 (AN - 13e législature) autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan dans le domaine de l'exploration et de l'utilisation de l'espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques.