Mercredi 18 janvier 2012

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Évolution des pratiques culturelles des Français depuis 1973 - Audition de M. Olivier Donnat, chargé de recherche au Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture et de la communication

La commission procède à l'audition de M. Olivier Donnat, chargé de recherche au Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture et de la communication sur l'évolution des pratiques culturelles des Français depuis 1973.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous recevons aujourd'hui M. Olivier Donnat, accompagné de Mme Carole Spada, adjointe à la coordination des politiques culturelles au secrétariat général du ministère de la culture, qui va nous présenter les résultats de la dernière enquête sur les pratiques culturelles des Français.

M. Olivier Donnat, chargé de recherche au Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture et de la communication. - Sociologue de formation, je suis en charge de l'étude des comportements culturels au sein d'un service du ministère de la culture qui, créé en 1963, a très vite réalisé des enquêtes de ce type. La première grande enquête sur les pratiques culturelles de Français date de 1973. Elle a depuis, été reconduite à quatre reprises, en 1981, 1988, 1997 et 2008, cette dernière publiée sous le titre : « Les pratiques culturelles des Français à l'ère du numérique ».

Pour l'enquête de 2011, il nous est apparu important d'exploiter les résultats de ces cinq enquêtes, afin de retracer les évolutions intervenues entre 1973 et 2008. Il en ressort que le discours sur la révolution numérique, que l'on présente trop souvent aujourd'hui comme étant à l'origine d'une transformation radicale des comportements, mérite d'être relativisé. La mise en perspective des résultats des cinq enquêtes fait en effet apparaître que les évolutions aujourd'hui observées sont pour une bonne part imputables à des mutations antérieures, intervenues au cours des années 1980-1990, et qui expliquent du même coup pourquoi les Français se sont si vite emparés des nouvelles technologies.

L'exercice, cependant, comporte ses limites : l'analyse rétrospective ne peut porter, si l'on veut en assurer la continuité, que sur des questions qui étaient déjà posées en 1973, soit sur des activités qui existaient déjà alors - usage des médias traditionnels, fréquentation des équipements culturels, pratiques amateur... Je précise enfin que l'enquête ne concerne pas les moins de 15 ans.

Ces enquêtes, enfin, reposent sur le déclaratif : on ne cherche pas à vérifier l'exactitude des réponses. Ce qui complique l'analyse sur la durée, puisque les évolutions peuvent renvoyer à une évolution réelle des comportements mais aussi à une évolution dans la perception des personnes interrogées.

On relève, cependant, quatre grandes évolutions, que vous trouverez retracées dans notre rapport, disponible en ligne, en même temps que d'autres documents, sur le site www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr. Pour ce qui concerne l'audiovisuel, en premier lieu, on observe un allongement considérable du temps passé devant la télévision. La progression est régulière au cours des années 1970 à 1990, avant de marquer le pas, reculant même dans les jeunes générations, phénomène à rapprocher du développement du numérique. Parallèlement, la musique, très concernée aujourd'hui par le téléchargement, gagne du terrain. L'écoute journalière augmente régulièrement depuis les années 1970, en lien avec les mutations technologiques, de la chaine hifi au mp3, en passant par le baladeur. Pour les jeunes générations, de moins de 40 ans, le rapport à la culture passe de plus en plus par la musique.

Deuxième évolution marquante, le recul de la lecture des imprimés, tant pour la presse quotidienne que pour le nombre de livres lus au cours des douze derniers mois. La baisse est constante depuis l'enquête de 1981, preuve que cette désaffection n'a pas pour seule cause la montée en puissance des technologies numériques, mais tient plutôt à un phénomène générationnel, dont le mouvement s'est entamé dans les années 1980 et s'accentue aujourd'hui à mesure que croit le nombre de générations concernées, sachant que chacune d'entre elles compte un nombre de grands lecteurs moindre que la précédente au même âge, et que son vieillissement ne change pas la donne. Le renouvellement des générations aboutit donc à une baisse mécanique du lectorat. On voit par là que tout ne peut être imputé au phénomène, bien réel de transfert vers les écrans du numérique, puisque le recul de la lecture est bien antérieur à leur apparition.

Troisième évolution notable, celle des pratiques amateurs, que l'on a vu de développer depuis les années 1980, dans de multiples domaines - musique, comme en témoigne l'expansion des conservatoires mais aussi arts plastiques ou écriture, avec l'épanouissement du journal intime, qui n'est pas sans incidence sur la rapide prospérité, après l'avènement du numérique, des blogs, qui facilitent une expression de soi déjà bien réelle dans les années 1980-1990. Plus globalement, on note que le rapport à la culture passe davantage par une volonté d'expression personnelle, de participation, que le numérique, en retour, favorise.

Quatrième évolution, enfin, la fréquentation des établissements culturels, dont la tendance est à la hausse. La question de la fréquentation de ces lieux au cours des douze derniers mois fait apparaître que ce n'est pas seulement la fréquence des visites qui progresse, mais bien la proportion de la population française qui s'y rend. La hausse du niveau scolaire moyen n'y est pas étrangère, mais on observe cependant que les écarts entre groupes sociaux ne varient pas : bien qu'il y ait aujourd'hui plus de diplômés, de cadres supérieurs, et moins d'ouvrier, l'écart entre ces groupes n'a pas bougé, preuve que l'on reste encore loin d'une démocratisation - au sens d'un rattrapage des catégories les moins favorisées - de la culture.

Ces évolutions générales prennent, pour peu que l'on entre dans le détail, des formes contrastées. Ainsi, la hausse de la fréquentation des bibliothèques au cours des années 1980-1990 doit largement être attribuée aux femmes...

M. André Gattolin. - Grandes lectrices devant l'Éternel !

M. Olivier Donnat, chargé de recherche au Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture et de la communication. - ... tandis que la baisse de la lecture est surtout sensible chez les hommes. Sur les dernières enquêtes, on constate un véritable décrochage dans les milieux populaires masculins.

Cette féminisation s'observe dans d'autres domaines, comme celui des pratiques amateur, avec le théâtre, notamment. Il est vrai que les progrès de la scolarisation ont davantage profité aux femmes qu'aux hommes, sensibilisées de surcroît par leur plus grande implication dans les activités culturelles des enfants.

Autre phénomène important, le vieillissement des publics, particulièrement marqué pour les concerts de musique classique. Certes, entre l'enquête de 1973 et celle de 2008, l'âge moyen des sondés est passé de 43 ans à 46 ans, mais il n'en reste pas moins que le vieillissement des amateurs de concerts classiques est supérieur à celui de la population française. Ceci nous renvoie à un double phénomène. D'une part, la génération dont l'investissement culturel est le plus fort, celle des baby boomers, de l'après 68, pour dire vite, est peu à peu remplacée par une autre, dont l'investissement culturel est moindre. Et cet éloignement se cumule à mesure que se succèdent les générations. Cela est vrai pour la musique classique, comme pour la lecture. La musique, de surcroît, est le domaine où les préférences générationnelles se sont le plus renouvelées depuis les années 1970, depuis le jazz jusqu'à la musique électro, qui ont aujourd'hui la faveur chez les plus jeunes, et dont il est peu probable qu'il sera détrôné, l'âge venant, par le classique, comme ce fut le cas pour la génération 68, que l'on a vue se déporter, avec l'âge, du rock vers le classique.

Se pose, dès lors, la question du renouvellement des publics et celle de l'éducation artistique à l'école.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous remercie de ce panorama, qui aiguise notre appétit de questions.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci de cette présentation très claire. Nous nous sommes beaucoup intéressés, au Sénat, à la corrélation entre gratuité et fréquentation. Nous étions assez réticents au principe de la gratuité, qui nous semblait devoir être de peu d'effet s'il n'est pas accompagné de dispositifs de sensibilisation au profit des publics les plus éloignés de la culture. L'enquête apporte-t-elle, sur ce point, des précisions ? Il en va de même, à notre sens, du livre numérique, dont la seule apparition ne saurait déterminer, en l'absence d'une politique incitative à l'adresse des jeunes générations, un retour vers la lecture.

M. Maurice Antiste. - La qualité de votre exposé m'a séduit. Un document récapitulatif a-t-il été publié autrement que sur Internet ? Autre question, les sondés, fussent-ils déjà bien ancrés dans une pratique, ont-ils été interrogés sur leurs attentes ?

M. Michel Le Scouarnec. - Ce que vous avez dit des femmes m'a vivement intéressé. Dans ma ville, qui compte 12 500 habitants, on dénombre quelque 3 500 abonnés à la bibliothèque, mais je ne m'étais pas inquiété de savoir si les femmes étaient les plus nombreuses. Je n'en serais pas étonné, au vu des résultats scolaires des filles.

Les collectivités locales ont, à mon sens, un rôle important à jouer. La gratuité pour les moins de dix-huit ans à la bibliothèque nous a aussitôt amené cinquante lecteurs de plus. Il en va de même pour les spectacles. Les tarifications incitatives pour les familles produisent leurs effets. Je suis persuadé qu'il peut en aller de même pour les journaux : à nous de les mettre à disposition dans les bibliothèques, dans les foyers culturels.

L'État a également sont rôle à jouer, en particulier avec l'enseignement artistique et musical au lycée et au collège. On ne peut pas refaire mai 68 tous les jours : à chacun de travailler pour amener les nouvelles générations à la culture.

Mme Françoise Laborde. - Je salue la qualité de votre exposé. La question du renouvellement des publics, des « publics de demain » comme nous avons ici coutume de dire, est, à mon sens, essentielle. Nous nous efforçons, dans nos communes, d'y travailler. Pour le spectacle vivant, nous organisons des séances pour les scolaires. Nous pourrions faire de même pour la musique classique. Mais outre les inévitables batailles budgétaires dans lesquelles nous sommes pris, nous manquons d'indications, de préconisations : et les populations vieillissent, sans qu'un nouveau public soit prêt à prendre la relève. Avez-vous des pistes à nous suggérer ? Pour le livre, j'ai ainsi pu constater, dans ma commune de 35 000 habitants, que si la fréquentation de la médiathèque augmente, il n'en va pas de même pour le prêt.

M. André Gattolin. - Très intéressante étude. Même si je sais que cela est difficile, disposez-vous d'indicateurs agrégés, qui donneraient des indications par déciles ? Pour les 10 % de la population ayant les plus fortes pratiques culturelles, et les moindres, par exemple, disposez-vous d'éléments quant à leur profil, leur répartition géographique - critère important, tant est marquée la fracture territoriale. Nous savons qu'il existe une corrélation entre niveau de diplôme et capital culturel. Mais dans quel sens faut-il la lire ? L'acquisition d'une culture tout au long de la vie aide-t-elle à construire un capital social, une réussite, ou le contraire est-il plus souvent vrai, le capital social entraînant derrière lui culture et réussite ?

M. Olivier Donnat, chargé de recherche au Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture et de la communication. - Sur le site dont je vous ai indiqué l'adresse, vous trouverez non seulement le rapport dont je fais état, mais également un autre, plus méthodologique, ainsi que la série des tableaux qui ont fondé nos analyses et un ensemble d'autres documents, dont un article que j'ai écrit sur l'histoire de cette enquête et les résultats de l'enquête 2008.

La gratuité ? Même si l'étude sociologique montre que les principaux obstacles sont moins économiques que sociaux, symboliques, que c'est le niveau de diplôme plus que de revenu qui est déterminant, il reste que l'argent peut être un frein à une pratique plus intensive. Si bien que c'est la population à fort niveau culturel et capital économique faible - étudiants, cadres moyens - qui est le plus sensible aux politiques tarifaires, lesquelles ne vont pas, cependant, sans effets d'aubaine pour ceux dont les revenus sont confortables, et méritent donc d'être ciblées et de s'accompagner d'un effort de médiation vers les publics visés : une opération lancée sans cette réflexion préalable est vouée à l'échec.

Il est vrai que le développement du numérique ne fait pas venir à la lecture ceux qui en sont éloignés. Aux États-Unis, où le livre numérique est plus développé que chez nous, les lecteurs sont plutôt âgés. En revanche, la lecture sur écran change les façons de lire. Cela est vrai pour les quotidiens, que l'on s'approprie différemment. J'ajoute que certains contenus, comme l'information ou les encyclopédies, sont sans doute mieux adaptés que d'autres, comme le roman, à l'écran, qui fera sans doute naître, aussi, d'autres formes de contenus, associant, par exemple, images, son et écrit, peut-être mieux adaptés aux nouvelles générations.

L'enquête ne traite pas des attentes des sondés : les procédures qui sont les siennes rendraient la chose difficile. Ma réflexion personnelle m'incline à penser qu'il faut être attentif aux publics de demain. On se focalise beaucoup sur la question de l'enfance, avec l'idée que plus on est tôt initié, mieux cela vaut. Mais c'est oublier du même coup cette longue période, d'une dizaine d'années, où s'opère le passage à l'âge adulte. Je pense par exemple aux étudiants : les politiques culturelles des universités sont inexistantes. C'est pourtant le moment où s'ancrent les habitudes adultes. Or, les bibliothécaires, les libraires, soulignent tous que les jeunes adultes décrochent : rien n'est prévu pour eux entre le coin réservé à la littérature enfantine et les rayonnages des adultes. L'enjeu est, à mon sens, de taille.

Nous ne pouvons extraire des informations par déciles, car cela supposerait de suivre une cohorte. Pour la première fois, une enquête panel a été lancée conjointement par l'Ined et l'Insee. C'est le seul moyen de mesurer si ceux qui partent avec peu de bagage parviennent à l'enrichir.

Sur les questions territoriales, nous avons des éléments, mais les réponses ne sont pas simples. Le taux des pratiques a longtemps varié selon la taille des agglomérations, puis on a assisté, entre 1973 et 2008, à un rattrapage des petites villes et des campagnes : sous l'effet de l'aménagement du territoire, l'écart avec la moyenne nationale s'est réduit. Ceci s'accompagne, cependant, d'un renforcement de la spécificité de Paris, marquée par un surinvestissement culturel, en raison de la structure de sa population, qui change sous la pression des loyers, et d'importants aménagements.

Mme Françoise Cartron. - Vous relevez l'augmentation du temps passé devant la télévision. Avez-vous analysé l'évolution de ses contenus, de la place des émissions culturelles ? Vous vous inquiétez des jeunes adultes, mais avez-vous mesuré l'impact de la sensibilisation des jeunes publics, même après une période de « blanc », sur les pratiques culturelles adultes ? Le grain semé dans la jeunesse lève-t-il à l'âge adulte ?

M. Jean Boyer. - Bien que je vienne du Puy-en-Velay, où l'on fait dans la dentelle, j'estime que plus de simplicité, y compris dans l'expression, ne serait pas malvenue. Nous ne sommes pas assez concrets. Ni assez courts. La presse la plus lue est la plus synthétique. Au-delà de la demi-page, le lecteur se lasse. Imaginez ce qu'il peut en être face à nos textes de loi ou à nos compte rendus d'auditions... Et pourquoi tous ces mots anglais, week-end, sandwich, que l'on pourrait avantageusement remplacer par des images bien françaises ? Il y a deux HEC, l'école connue sous ce nom, et celle des hautes études communales, une formation tout au long de la vie souvent plus proche de la réalité que vivent les Français. Il faut être plus concrets : plus on apporte de précisions, plus il faut de dictionnaires.

M. Jean-Jacques Pignard. - Pour être depuis vingt ans chargé de la culture dans le département du Rhône, je ne suis pas sûr que le grand trou que l'on observe parmi les 25-50 ans relève de motifs culturels. Pour un jeune couple avec enfants, passer ensemble une soirée au théâtre pose des problèmes très pratiques, de garde d'enfants et de coût. Je suis sûr que le même couple, à dix ou quinze ans de distance, ira plus souvent au théâtre, parce qu'il sera dans un âge où ces problèmes ne se posent plus.

Les publics se féminisent, soit, mais pas dans tous les domaines. Je pense en particulier à la danse, où l'on observe une tendance inverse : le public, peut-être parce que les formes ont changé, se fait plus masculin. On le voit à la Biennale de Lyon, mais aussi dans les conservatoires.

M. Daniel Percheron. - La langue française, monsieur Boyer, vient du latin, langue de paysans, très concrète. C'est ainsi que lira, le sillon, a donné délirer, soit au sens étymologique, sortir du sillon... On ne peut faire plus simple !

Notre hôte, avec la très honorable culture post 68 qui est la sienne, considère-t-il que l'évolution des pratiques culturelles justifie, conforte, exalte l'exception culturelle française ? Telle est ma question. Les élus locaux que nous sommes consacrent toute leur énergie à nager contre les courants dominants, ce que chacun comprend dans l'expression contemporaine de « main stream », dans un effort vers la démocratisation de la culture. Cela mérite reconnaissance, mais aussi réflexion permanente.

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Votre exposé nous éclaire beaucoup, en effet, sur notre démarche d'élus locaux. Nous avons fait beaucoup d'efforts pour l'enseignement artistique. Avez-vous, dans votre étude, perçu des domaines plus fragiles que d'autres ? Faut-il conforter, à l'école, le théâtre, les arts plastiques, la musique ?

Mme Maryvonne Blondin. - Je rebondis sur le lien entre éducation culturelle et Éducation nationale. Sans oublier le rôle des collectivités, qui ont repris le flambeau. Avez-vous étudié ce lien ? En avez-vous mesuré l'impact ?

Les régions ont des identités culturelles propres. La mienne est marquée par la musique et la danse. Avez-vous mesuré ces différences ? Il est des âges, avez-vous dit, oubliés. Certains publics le sont aussi, je pense à ceux qui sont en prison. Avez-vous mesuré l'action politique à leur égard ? La prison sert aussi à réinsérer. Avez-vous mesuré des évolutions depuis 1973 ? Des efforts ont-ils été faits ?

Mme Dominique Gillot. - Comment votre enquête prend-elle en considération les expérimentations menées pour aller à la rencontre des publics éloignés, pour les fidéliser, leur rendre plus accessible ce à quoi ils pensent n'être pas convoqués ?

Les territoires, sur leurs expérimentations, se sont dotés d'outils d'analyse, notamment pour ce qui concerne la première fréquentation. Dans mon département, des études publiques vérifient l'efficacité de la gratuité, de la sensibilisation, de l'accompagnement. Les lieux d'accueil évoluent. Les bibliothèques, autrefois cathédrales de culture, se sont faites lieux de vie, offrant toutes sortes de services, de l'écrivain public à la traduction. Elles sont aussi devenues des lieux d'accueil et de calme pour les jeunes qui ne le trouvent pas à la maison. Voilà qui rompt avec les pratiques des vingt dernières années, parce que les populations concernées doivent être accueillies avec plus d'attention.

M. Olivier Donnat, chargé de recherche au Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture et de la communication. - Il m'est difficile de répondre à toutes ces questions, très pointues au regard du caractère généraliste de notre enquête, qui ne délivre pas d'information sur les régions : comparer le Finistère à l'Alsace supposerait un budget plus de quinze fois supérieur au nôtre. Même problème pour les prisons, les populations spécifiques : le grain de l'enquête est trop gros. A ma connaissance, cependant, il existe une étude ancienne de Jean-Louis Fabiani sur la lecture en prison. Même difficulté pour les festivals. Nous prenons en compte leur développement depuis 2008, qui va dans le bon sens, mais nous manquons de points de comparaison dans le temps.

Notre enquête, j'y insiste, ne sert pas à évaluer les politiques publiques. Elle est d'une autre nature ; elle offre une photographie des comportements à un temps t. Elle mesure surtout les transformations sociétales : démographie, pouvoir d'achat, niveau scolaire, mutations technologiques. Il est difficile de démêler, au milieu de tout cela, les effets des politiques publiques, dont je puis dire cependant qu'ils sont sans doute, en dépit de tous les efforts, moindres que ceux qu'entraînent les mutations scolaires ou technologiques.

Sur l'évolution des contenus des programmes télévisuels, il m'est difficile de répondre. A champ constant, les changements sont manifestes. Peut-on dire pour autant que l'offre est inférieure à celle des années 1970 ? Cela me semble difficile, compte tenu du développement des chaînes thématiques, cinéphiles, historiques... qui rassemblent des audiences limitées, mais dont la somme n'est pas négligeable.

M. Jean-Jacques Lozach. - Vous avez compris que notre préoccupation va à l'accès pratique aux oeuvres de l'esprit, à leur démocratisation, ce qui était la mission première du ministère de la culture à sa création, en 1959. Le fait est que les objectifs n'ont pas pleinement été atteints. Depuis 1982-83, il y a eu la décentralisation. Faut-il aller plus loin ? Voyez les départements, qui, alors qu'ils engagent d'énormes investissements, n'ont pourtant qu'une compétence obligatoire, celle de la lecture publique, et encore, pour les seules communes de moins de 10 000 habitants. Vous avez évoqué l'augmentation significative des pratiques amateurs : l'implication des collectivités n'en est-elle pas un facteur essentiel ?

M. Olivier Donnat, chargé de recherche au Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture et de la communication. - Je me vois contraint de me réfugier derrière la neutralité axiologique...

M. Maurice Antiste. - Le nombre de questions restées sans réponse ne vous engage-t-il pas à pousser la réflexion ? Avons-nous pouvoir de vous passer commande ?

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous ne l'avons pas, mais nous le ferons tout de même. J'allais vous demander : « A quand la prochaine enquête ? » Nous savons ce que sont vos contraintes budgétaires, mais reconnaissez que faire porter l'étude jusqu'au niveau des régions, des villes, serait riche d'enseignements. Quel est le rythme de vos études ?

M. Olivier Donnat, chargé de recherche au Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture et de la communication. - Si notre enquête est générale, nous réalisons aussi d'autres études, sortes de zooms sur certains domaines, comme le théâtre ou la danse, qui sont l'occasion d'approfondir. Nous avons également mis en place deux enquêtes sur les moins de quinze ans, qui donnent lieu à deux publications. Existent également des études menées par les établissements culturels ou les collectivités, comme celle publiée il y a deux ans par la ville de Grenoble.

Entre deux enquêtes générales, il s'écoule huit à dix ans. C'est qu'en matière culturelle, les évolutions sont de long terme. Aujourd'hui cependant, l'évolution rapide du paysage numérique peut conduire à s'interroger sur la pertinence de cet intervalle.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Le glissement d'une enquête à l'autre doit vous permettre, de surcroît, d'établir de nouveaux points de comparaison, puisque de nouvelles questions sont posées.

M. Olivier Donnat, chargé de recherche au Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture et de la communication. - Il est difficile d'avoir une vision d'ensemble sur le numérique. Bien des questions perdent rapidement de leur pertinence ; c'était déjà le cas en 2008. Les réponses à la question de la consommation de télévision n'avaient déjà plus le même sens. On ne se référait déjà plus à l'écoute directe de programmes télévisuels sur une télévision. Cette question du différé et de la multiplicité des supports est plus prégnante encore aujourd'hui. Même problème pour la radio : on télécharge aujourd'hui des programmes radio dont on visionne un enregistrement vidéo. C'est même l'argument publicitaire central d'une radio comme France Inter. Ce glissement des références rend les comparaisons difficiles.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Il me reste à vous remercier d'avoir répondu à notre invitation.