Mardi 27 mars 2012

- Présidence de M. Philippe Dominati, président -

Audition de M. Philippe Steing, secrétaire général du Haut conseil du commissariat aux comptes

La commission procède tout d'abord à l'audition de M. Philippe Steing, secrétaire général du Haut conseil du commissariat aux comptes.

M. Philippe Dominati, président de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. - Mes chers collègues, nous accueillons M. Philippe Steing, secrétaire général du Haut conseil du commissariat aux comptes.

Je vous rappelle, monsieur le secrétaire général, que, conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment et que tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

En conséquence, je vais vous demander de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, et, pour ce faire, de lever la main droite et de dire : « Je le jure. »

(M. Philippe Steing prête serment.)

Je vous remercie.

Mes chers collègues, je vous propose de débuter l'audition par l'exposé liminaire de M. Philippe Steing, puis de la poursuivre par les questions du rapporteur, M. Éric Bocquet, et des membres de notre commission d'enquête.

Vous avez la parole, monsieur le secrétaire général.

M. Philippe Steing, secrétaire général du Haut conseil du commissariat aux comptes. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par rappeler brièvement les missions du Haut conseil avant d'en venir aux missions du commissaire aux comptes et à son rôle éventuel en matière d'évasion fiscale. Pour appuyer mon propos, je mets à votre disposition un document qui synthétise les missions du Haut conseil et donne quelques éléments d'information concernant la mission du commissaire aux comptes.

Le Haut conseil du commissariat aux comptes a été créé en 2003, à la suite notamment de l'affaire Enron. Nous sommes une autorité publique indépendante, instituée auprès du garde des sceaux, qui a en charge la surveillance de la profession de commissaire aux comptes.

À ce titre, nous émettons un avis sur les normes d'exercice professionnel encadrant la mission de commissaire aux comptes, ainsi que sur le code de déontologie avant son homologation par décret en Conseil d'État. Nous émettons périodiquement des avis sur des situations déontologiques rencontrées par les commissaires aux comptes, l'une des préoccupations du législateur de l'époque étant non seulement de surveiller la profession de commissaire aux comptes mais aussi de renforcer son indépendance.

Nous sommes également chargés de la supervision des contrôles. Nous réalisons nous-mêmes le contrôle des commissaires aux comptes, notamment des plus importants cabinets d'audit. Nous supervisons les contrôles des commissaires aux comptes « délégués » à la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, qui apporte son concours à cette mission.

Nous sommes en outre une instance d'appel en matière disciplinaire et en matière d'inscription des commissaires aux comptes. Nous sommes aussi saisis en appel des contestations d'honoraires entre les commissaires aux comptes et les entités qu'ils auditent.

Telles sont, rappelées à grands traits, les missions du Haut conseil du commissariat aux comptes.

Je rappelle que nous menons parallèlement un travail au niveau international et européen : nous participons à la coordination regroupant les superviseurs nationaux instituée auprès de la Commission européenne ; nous sommes également membres d'un forum international des régulateurs d'audit. À ce titre, nous participons à la normalisation du métier d'auditeur, pour reprendre l'expression anglo-saxonne.

La mission principale du commissaire aux comptes, rappelée dans le code de commerce, est de certifier les comptes.

La traduction concrète de cette notion juridique est explicitée dans les normes d'exercice professionnel. À ce titre, le commissaire aux comptes doit s'assurer que les comptes de l'entité qu'il audite ne comportent pas d'anomalies significatives de nature à induire en erreur le lecteur des comptes. Nous ne sommes donc ni dans le cadre de l'exhaustivité, ni dans celui d'une obligation de résultat.

Le commissaire aux comptes doit mettre en oeuvre des obligations de moyens décrites précisément dans les normes d'exercice professionnel et homologuées par le garde des sceaux depuis la loi de sécurité financière. Il doit mettre en oeuvre un certain nombre de diligences, suivre une démarche, des procédures conformes aux normes d'exercice professionnel. À l'issue de ce processus, il est à même de déterminer si les comptes comportent ou non des anomalies significatives. Il peut, dès lors, certifier les comptes, émettre des réserves sur un point qui ne serait pas conforme ou encore refuser la certification en cas d'anomalies de nature à induire en erreur le lecteur des comptes.

J'en viens maintenant à la question des fraudes fiscales et à la façon dont elle est appréhendée par le commissaire aux comptes.

Détecter les fraudes n'est pas le coeur de métier du commissaire aux comptes, qui n'a pas de démarche « active » en la matière ; il n'est pas tenu de mener des investigations. En revanche, dans la mesure où il occupe une place privilégiée en étudiant les comptes, il a une obligation de vigilance sur un certain nombre de points. Une norme d'exercice professionnel définit le type de vigilance que le commissaire aux comptes doit exercer au regard des risques de fraude.

Une fraude, une erreur fiscale peuvent induire des anomalies significatives dans les comptes. C'est sous cet angle que la notion de risque fiscal ou de fraude est appréhendée par le commissaire aux comptes. Dans son approche d'audit, il procède à l'analyse du risque de fraudes et, en fonction du résultat, met en oeuvre un certain nombre de diligences. S'agissant, par exemple, d'un groupe possédant plusieurs filiales éparpillées dans des pays sensibles ou en présence de conventions un peu curieuses, le commissaire aux comptes va organiser des entretiens avec les instances de gouvernance de l'entreprise pour déterminer comment celle-ci s'est organisée face à ce risque. C'est un peu la même chose pour le risque fiscal.

En l'absence de contexte de risque de fraude ou de risque fiscal, il n'engagera pas d'investigations pour les détecter. Il peut toutefois en découvrir au cours des procédures d'audit.

Voilà comment le commissaire aux comptes peut être amené à analyser la question des risques de fraude, des litiges fiscaux. Mme Marjolein Doblado, qui m'accompagne, a participé à des missions de commissariat aux comptes avant de rejoindre le Haut conseil, où elle exerce les fonctions de directrice technique. Je l'invite, le cas échéant, à compléter mes propos.

La notion d'évasion fiscale n'a pas de sens, en tant que telle, pour un commissaire aux comptes. Il n'engage pas de procédures en fonction de cette notion. Dans sa pratique, il connaît la question de l'« optimisation fiscale », qui s'en rapproche.

Le commissaire aux comptes regarde si l'optimisation fiscale, les « montages fiscaux » ne génèrent pas d'erreurs significatives dans les comptes. L'entité peut opérer un choix fiscal, opter pour des montages juridiques de sociétés, de filiales ou d'activités localisées ici et là, choisir d'implanter une activité et de payer un impôt dans tel endroit, sous telle forme, etc. Parfois c'est clair, parfois se posent des questions d'interprétation. Si un montage d'optimisation fiscale comporte un risque provisionné conformément aux normes comptables, le commissaire aux comptes constate la justesse des comptes. Il ne le remet pas en cause. En revanche, si ce montage tend vers la fraude, il le signalera, mettra en oeuvre des procédures et, au besoin, révélera un fait délictueux.

Le commissaire aux comptes a l'obligation de révéler les faits délictueux. C'est une particularité assez unique des auditeurs français, que nous essayons de promouvoir au sein des coordinations européennes et internationales.

En partant de mécanismes d'optimisation fiscale, de risques fiscaux, de conformités de montages juridiques et fiscaux ne devant pas induire d'erreurs dans les comptes, le commissaire aux comptes peut intervenir sur des fraudes.

Lorsqu'un commissaire aux comptes audite un groupe comprenant des localisations à l'extérieur du pays d'origine, il a une obligation de vigilance à l'égard des parties liées. Il doit vérifier que toutes les entités sont bien prises en compte et que, au plan de la consolidation, des satellites ne se promènent pas en électrons libres. À partir de cette notion de parties liées, une norme d'exercice professionnel lui impose une vigilance quant à la pertinence du périmètre présenté par l'entité.

Si une société développe une marque avec différentes localisations, par exemple, les commissaires aux comptes vont consulter les licences, les prestations, les documentations produites par l'entité pour s'assurer que les prix de transferts ne sont pas en décalage total avec la pratique. Il leur est difficile, en revanche, de déterminer si ce sont les prix vraiment pratiqués. Nous savons que certaines techniques permettent, en droit des sociétés, d'implanter une activité dans un endroit et le siège social ailleurs. Le commissaire aux comptes réalise certaines vérifications pour s'assurer que le siège n'est pas fictif et déploie un minimum d'activités. Souvent, les sièges administratifs comportent un secrétariat, même si l'activité opérationnelle s'effectue dans un autre pays. Ces procédures étant régulières, le commissaire aux comptes ne procède pas à des investigations pour essayer de détecter une fraude.

Il peut s'interroger également en cas de problème d'identification de bénéficiaire.

Il ne faut pas oublier l'aspect blanchiment qui peut également être sous-jacent à une pratique fiscale. Le législateur a renforcé les obligations des commissaires aux comptes et des contrôleurs externes, y compris celles des autorités de surveillance comme la nôtre, en matière de blanchiment. Nous avons demandé l'homologation d'une norme relative au blanchiment pour encadrer l'obligation de déclaration de soupçon qui incombe au commissaire aux comptes.

En partant de l'évasion fiscale, on en arrive à des problèmes de fraude, de faits délictueux éventuels, de blanchiment. En cas de fraude, tout un arsenal de mesures est prévu. Dans la sphère de l'optimisation fiscale, le commissaire aux comptes vérifie surtout que les montages ne comportent pas d'anomalies significatives qui les empêcheraient de certifier les comptes.

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à Mme Doblado.

Mme Marjolein Doblado, directrice technique au Haut conseil du commissariat aux comptes. - Le commissaire aux comptes va s'assurer que toutes les informations figurent dans les comptes et que l'ensemble des charges ont été prises en compte. S'il constate des irrégularités ou des faits délictueux au cours de sa mission, il les déclare. Dans le cadre de ses obligations en matière de blanchiment, il pourra, le cas échéant, transmettre une déclaration de soupçon à TRACFIN, l'organisme chargé du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins.

M. Philippe Dominati, président. - Nous allons maintenant passer aux questions. Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. Éric Bocquet, rapporteur de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. - Dans le document que vous nous avez remis, monsieur le secrétaire général, j'ai relevé que vous étiez en relation avec des autorités analogues dans d'autres pays. Disposez-vous d'un cadre commun d'évaluation des comptes d'une entreprise ? Comment avez-vous construit cette relation au niveau européen et international ? Vous paraît-il possible et judicieux d'établir des mesures de coordination, d'harmonisation en droit interne ou européen ?

Vous avez évoqué le renforcement de l'indépendance du commissaire aux comptes dans votre propos introductif. Est-ce à dire qu'elle était auparavant insuffisante, voire parfois sujette à caution ? Je me permets de poser la question. Je m'interroge sur la relation entre le commissaire aux comptes et l'entreprise qui l'a désigné et donc le rémunère. Sans vouloir jeter le discrédit ou la suspicion de manière systématique, je me demande comment on peut éviter le risque que cette relation nuise à un examen sincère, entier et authentique des comptes ?

S'agissant du contrôle des groupes disposant d'entités dans différents territoires, y compris parfois dans des paradis fiscaux non coopératifs, pensez-vous qu'il serait judicieux et possible de mettre en place des mesures de coordination, d'harmonisation en droit interne et en droit européen ? Serait-il opportun de procéder à un reporting pays par pays, de manière à avoir accès à tous les documents ? Lors des contrôles, l'entreprise joue-t-elle le jeu ? Avez-vous accès aux documents de toutes les entités, où qu'elles se trouvent ? Quelle démarche adoptez-vous en particulier à l'égard des trusts ?

De quels outils efficaces disposez-vous pour détecter les anomalies ? Vous évoquez des erreurs, des anomalies significatives, pourriez-vous nous en donner quelques exemples ? Une fois l'anomalie ou l'erreur détectée, où s'arrête votre travail et que se passe-t-il dans la phase suivante ?

En ce qui concerne la lutte contre le blanchiment d'argent, la Cour des comptes, dans son rapport de février 2012, signale « l'implication très hétérogène selon les professions » dans la détection et le signalement des opérations suspectes. Le rapport précise qu'en 2010 les commissaires aux comptes ont effectué 46 déclarations de soupçon contre 674 pour les notaires. Quels commentaires pouvez-vous faire sur ce point ?

M. Philippe Steing. - La fonction d'auditeur, ses missions et obligations sont encadrées depuis plusieurs années par des normes d'exercice professionnel, ou normes ISA, d'inspiration anglo-saxonne. Elles ont été créées à la suite de mises en cause d'auditeurs. D'aucuns ont trouvé opportun d'encadrer leurs missions et de définir ce que l'on attend des auditeurs et les obligations auxquelles ils doivent se soumettre.

La France dispose de son propre jeu de normes d'exercice professionnel, homologué par un arrêté réglementaire. Dans de nombreux pays, c'est l'IAASB, ou International Auditing and Assurance Standards Board, qui a proposé de normaliser la démarche de l'auditeur. Cette initiative privée née dans les années soixante-dix est devenue la référence, à tel point que la huitième directive tend à homologuer les normes ISA. Le commissaire européen Michel Barnier, dans son projet de réforme de l'audit, propose que les ISA deviennent les normes d'exercice professionnel de référence.

La France s'est fortement inspirée de ces ISA dans sa réglementation. L'approche diffère sur la forme : les Français publient un arrêté synthétique rappelant strictement les obligations sans les commenter. Les Anglo-Saxons commentant la règle, les normes et les doctrines comptent une trentaine de pages. Au-delà de quelques spécificités françaises sur le fond, la démarche d'audit est la même : nos normes d'exercice professionnel sont similaires aux normes d'exercice professionnel internationales.

À ce titre, on observe une harmonisation du rôle du commissaire aux comptes. Dans sa proposition de réforme, M. Barnier tend à renforcer plus encore l'harmonisation des missions d'auditeur en proposant un passeport européen. La Commission européenne a mis en place une coordination qui va voir ses pouvoirs renforcés pour harmoniser les pratiques du commissariat aux comptes.

Au niveau international, en l'absence de cadre juridique contraignant, ce sont les régulateurs d'audit, de leur propre initiative, qui ont trouvé nécessaire d'harmoniser les missions du commissaire aux comptes et les méthodes de contrôle.

Le constat est le suivant : les grands cabinets d'audit et les grands groupes étant internationaux, il est vain d'envisager une régulation purement locale ; celle-ci est en tout cas insuffisante. Face aux grands réseaux, aux sociétés, aux marchés boursiers internationalisés, il convient d'harmoniser les règles, celles qui encadrent la mission des commissaires aux comptes comme celles qui s'imposent aux régulateurs contrôlant la qualité du travail de ceux-ci. Nous essayons par conséquent d'harmoniser la démarche, le rôle, les missions du commissaire aux comptes.

Le rapport entre l'entité et le commissaire aux comptes est un grand sujet pour les pouvoirs publics : l'auditeur étant rémunéré par l'entité qu'il contrôle, est-il suffisamment indépendant ? Les carences de l'audit, dans certaines affaires, ont mis en lumière un manque d'indépendance. Les problèmes relevaient moins de compétences techniques que d'un défaut d'indépendance.

La France, avec la loi de sécurité financière, puis l'Europe ont souhaité organiser un contrôle de cette profession. Pour notre part, nous avions mis l'accent sur cette question de l'indépendance, qui figure d'ailleurs en bonne place dans la réforme de l'audit proposée par M. Barnier. Voilà dix ou quinze ans, nos homologues ne considéraient pas cette question comme cruciale. Aujourd'hui, tout le monde y est sensible et bien des pays s'accordent à reconnaître avec nous que l'indépendance est l'un des critères de qualité de la mission de commissaire aux comptes.

C'est ainsi que le cumul des missions de conseil et d'audit a été interdit. Les contraintes sont plus ou moins strictes selon les pays : la France a prévu des interdictions strictes, d'autres États se fondent sur des notions de risque. Notre code de déontologie rappelle les prestations que peuvent fournir les commissaires aux comptes, celles qui leur sont interdites et celles qui nécessitent d'importantes mesures de sauvegarde.

Cette question de l'indépendance du commissaire aux comptes à l'égard de l'entité est un vrai sujet, elle fait partie de notre quotidien. Compte tenu de ce lien, nous vérifions la compétence, la qualité de la démarche et des travaux de l'auditeur. Nous contrôlons attentivement que des prestations incompatibles ou mettant en cause l'indépendance des commissaires aux comptes n'ont pas été réalisées.

La notion de groupe est également au coeur de nos préoccupations. La fonction de régulateur d'audit est relativement récente et nous ne détenons pas de solution miracle. Au sein de la coordination européenne, nous commençons à envisager la possibilité pour les régulateurs d'audit de partager des informations et de mener des inspections conjointes au sein de l'Union européenne - voire avec d'autres pays, mais c'est plus compliqué - afin d'appréhender les groupes.

Il est assez courant, par exemple, qu'un grand réseau audite la tête de groupe d'une holding tandis que des associés à ce réseau auditent les filiales localisées dans différents pays. Il faudrait parvenir à rassembler les informations, à harmoniser les contrôles, voire à réaliser des contrôles conjoints pour détecter les défaillances, les carences dans la qualité des audits. Cette démarche, embryonnaire, n'est pas facile à mettre en oeuvre. Elle est conforme à la philosophie de la directive, qui est de chercher à appréhender la notion de groupe via des harmonisations, des contrôles conjoints, des échanges d'informations, des rapprochements entre régulateurs.

Les risques fiscaux - je parle sous le contrôle de Mme Doblado - ne font pas l'objet d'une approche ou d'une réflexion commune. Depuis environ un an et demi, les régulateurs d'audit se sont focalisés sur la crise financière et la question des dettes souveraines. Il leur est apparu essentiel de déterminer la façon dont les commissaires aux comptes appréhendaient les questions liées aux dettes souveraines, comment ils auditaient la variation des instruments financiers, les modèles de valorisation des entreprises, etc. Pour l'instant, le risque d'optimisation fiscale n'est pas un thème majeur pour les coordinations.

Mme Marjolein Doblado. - Les contrôleurs légaux, en Europe, sont soumis aux normes professionnelles, souvent aux normes ISAs. Pour des raisons d'indépendance, leur mission est fortement encadrée : les travaux que le commissaire aux comptes doit réaliser sont précisément définis pour que l'entité ne puisse pas influer sur sa façon de travailler. Un certain nombre de règles édictées par les normes d'exercice professionnel se retrouvent dans les normes ISA au niveau européen et international.

Les questions de fraudes, comme l'indiquait Philippe Steing en introduction, sont également abordées via la norme spécifique d'exercice professionnel relative à la prise en considération de la possibilité de fraudes. Sur ce point, le référentiel européen est relativement précis, à l'exception de la révélation des faits délictueux, qui n'est pas prévue dans les pays avec lesquels nous travaillons.

En application de la troisième directive européenne relative à la lutte contre le blanchiment, les commissaires aux comptes sont soumis à une obligation de déclaration de soupçon. Une norme française - il n'y a pas de norme au niveau européen - définit les obligations des commissaires aux comptes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux.

Vous évoquiez la question du reporting pays par pays. Il paraît intéressant de noter que le commissaire aux comptes certifie les comptes au niveau d'une entité juridique dans le pays dans lequel il intervient. Il peut travailler au niveau d'une SA en France. Si cette SA est détenue par une autre société située dans un autre pays, son commissaire aux comptes sera un commissaire aux comptes qui intervient dans le pays. Les montages faisant intervenir différents pays nécessitent l'intervention de plusieurs commissaires aux comptes, sachant que le commissaire aux comptes qui certifie les comptes du groupe est celui du pays de la holding dans lequel les comptes sont établis. La structure est calquée sur la structure juridique du groupe. Dans ce cadre, les différents commissaires aux comptes peuvent échanger des informations, chacun certifiant les comptes de la société sur laquelle il intervient et, éventuellement, de la consolidation établie à partir de celle-ci.

Le commissaire aux comptes va par exemple s'assurer que les redevances facturées à la société pour des prestations intragroupes, des marques, des brevets correspondent à des prestations réelles. Il vérifiera que des transferts de résultat ne sont pas opérés via des montages qui ne seraient pas légaux ou qui ne correspondraient pas à une situation réelle.

Chaque commissaire aux comptes sera vigilant au niveau de l'entité juridique qu'il audite. Celui qui intervient au niveau de l'ensemble du groupe - il s'agit parfois du même - s'assurera à la fois que chaque entité a intégré l'ensemble des prestations et des charges qui lui sont liées et que, in fine, une bonne traduction des opérations économiques a été effectuée au niveau des comptes du groupe.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Lorsque l'audit est achevé, quelles sont les suites données aux erreurs ou anomalies que vous avez détectées ?

Mme Marjolein Doblado. - Le commissaire aux comptes, au cours de sa mission, s'assure que l'ensemble des charges et des produits est bien pris en compte. Il peut constater qu'il manque une charge importante dans l'exercice en recoupant des informations, en examinant les opérations, ou alerté par les entretiens qu'il a menés, par les réponses de tiers à des courriers, les « circularisations », dans notre jargon. Dans la pratique, il contacte alors l'entité pour qu'elle corrige l'oubli ou l'erreur. Dans ce cas, il a fait son travail de détection et si la charge est intégrée, il peut certifier les comptes. S'il s'aperçoit qu'une charge fiscale significative, par exemple, n'a pas été prise en compte et que l'entité ne souhaite pas y remédier, il émettra dans son rapport une opinion avec réserve. Ce n'est pas la situation la plus courante. En effet, l'obtention d'une certification sans réserve est ressentie comme une nécessité par l'entreprise. Si le commissaire aux comptes signale qu'il ne pourra pas certifier les comptes, l'entité s'exécute le plus souvent de façon à obtenir une certification sans réserve, qui est la garantie que les comptes ne contiennent pas d'anomalies significatives.

M. Philippe Steing. - En tant que régulateurs et contrôleurs, nous vérifions que le commissaire aux comptes n'a pas oublié de relever une anomalie significative qui aurait dû faire l'objet d'une réserve. En cas de carence, nous pouvons engager une action disciplinaire pour non-respect des normes d'exercice professionnel.

Le commissaire aux comptes a donc des suites à donner face à une anomalie significative. Si elle n'a pas été détectée, nous essayons de comprendre pourquoi. Le cas échéant, le commissaire aux comptes pourra être sanctionné civilement, disciplinairement.

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à Mme Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux - Monsieur le secrétaire général, je formulerai à la fois une remarque et une question.

En siégeant bénévolement, au début des années deux mille, au sein du conseil d'administration d'un grand groupe de presse, j'ai constaté avec stupéfaction que ses membres, tous d'illustres gérants ou directeurs de grands groupes au plan national voire international, arrivaient les mains dans les poches sans avoir consulté les budgets et la certification des comptes qui leur étaient présentés. À l'époque, j'avais été la seule à recourir aux services d'une personne capable de m'éclairer. J'avais constaté que, dans n'importe quel collège de France, on examine avec plus de curiosité et de pugnacité ce qui nous est présenté.

Dans cette entreprise, très honnête au demeurant, s'appliquait le principe de la « confiance mutuelle » : toutes ces personnes se connaissaient, siégeaient dans d'autres conseils d'administration et n'avaient pas l'ombre d'un doute sur l'absence de problème. Je m'étais renseignée pour savoir comment cela se passait dans les autres pays, et l'on m'avait expliqué qu'en Allemagne les actionnaires pratiquaient le système du « dialogue critique ». Il existe à cet égard des études anthropologiques et d'économistes sur l'attitude des actionnaires.

J'en viens à ma question. Vous arrivez en bout de chaîne, vous contrôlez que les commissaires aux comptes ont bien vérifié la sincérité et la régularité des comptes, ne pensez-vous pas que la culture de cooptation, cette « confiance mutuelle » qui règne en France, puisse expliquer un certain nombre de soucis, le travail des commissaires aux comptes étant d'autant plus difficile que les comptes dont ils certifient la régularité, la sincérité n'ont pas suffisamment été examinés par les actionnaires ? Que pensez-vous des pratiques des actionnaires qui siègent dans de nombreux conseils d'administration et qui n'ont matériellement pas le temps d'éplucher les comptes de toutes les entreprises concernées ?

M. Philippe Steing. - Je ne me prononcerai pas sur les missions des actionnaires, mais notre préoccupation au sujet de l'indépendance des commissaires aux comptes répond partiellement à votre interrogation, en ce sens que cette indépendance peut avoir une incidence sur la capacité, pour les actionnaires, d'avoir une meilleure connaissance du contenu des comptes.

Nous élaborons des règles éthiques, déontologiques. Nous nous efforçons également d'améliorer les règles de nomination des commissaires aux comptes. Vous avez évoqué la cooptation. L'un des objets de la réforme de l'audit est justement d'assurer une meilleure transparence au moment de la nomination.

Aujourd'hui, l'Autorité des marchés financiers, l'AMF, et l'Autorité de contrôle prudentiel, l'ACP, peuvent émettre un avis sur les nominations proposées par l'assemblée générale. Nous contribuons à forger les avis de ces entités puisque nos rapports de contrôle sont transmis à l'AMF et à l'ACP. Cela fait partie du renforcement de la réglementation sur la nomination des commissaires aux comptes.

Vous avez parlé d'esprit critique. Nous sommes un certain nombre de régulateurs, à l'échelon européen, voire mondial, à partager le constat selon lequel il faut non seulement être vigilant quant à l'indépendance des commissaires aux comptes, mais aussi renforcer leur esprit critique. S'agissant de la question des dettes souveraines, en particulier, nous nous sommes parfois demandés si le commissaire aux comptes avait été assez loin dans ses entretiens avec l'entité sur les hypothèses de valorisation qu'elle proposait.

Ma réponse est certes éloignée de votre question, mais, en tant que régulateurs d'audit, nous travaillons sur l'indépendance, la transparence au moment des nominations, l'esprit critique.

La question du décalage, expectation gap, pour reprendre l'expression anglo-saxonne, fait également partie de la réforme de l'audit. Le décalage entre ce que font les commissaires aux comptes, ce qu'ils disent dans le rapport d'audit et ce qui est compris par les entités est un vrai sujet.

Les régulateurs réfléchissent en outre au contenu du rapport d'audit. Aujourd'hui, grosso modo, l'auditeur indique dans son rapport s'il certifie ou non les comptes, même s'il apporte quelques explications. En France, nous avons introduit la notion de justification des appréciations. Nous avons demandé que les rapports d'audit soient motivés sur certains points pour savoir sur quelles zones de risque le commissaire aux comptes a fait porter ses travaux. Aux niveaux européen et international, une réflexion est engagée pour savoir comment mieux informer les actionnaires sur le contenu du rapport d'audit, les méthodes employées par l'auditeur : la méthode par sondage, sur quel cycle, quel poste comptable, etc.

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. - Monsieur le secrétaire général, j'ai parcouru le document que vous nous avez distribué. Je note que les procédures d'alerte existent mais qu'elles ne sont guère développées. Vous avez indiqué dans votre exposé que vous commenciez à appréhender la notion de groupe. Cette commission d'enquête porte sur l'évasion des capitaux et vous nous parlez, en gros, de fraude fiscale. Quelle est donc votre appréhension de la fraude ?

Si vous commencez seulement à appréhender la notion de groupe, nous pouvons légitimement nous interroger sur l'évasion de capital, alors que vous contrôlez 609 cabinets détenant des mandats d'entités d'intérêt public, ou EIP, c'est-à-dire des établissements de crédits, des organismes de sécurité sociale, des compagnies d'assurance, c'est-à-dire ceux qui ont contribué à la dette souveraine, mais aussi 6 275 cabinets, soit 90% du portefeuille, qui contrôlent des petites et moyennes entreprises.

Pourriez-vous nous expliquer la différence de contrôle selon que le cabinet détient ou non des mandats d'entités d'intérêt public ?

En matière d'évasion fiscale, suivez-vous une procédure d'alerte ou notez-vous simplement un problème dans la constitution des bilans, du contrôle ? Je tiens à préciser que l'évasion fiscale se distingue de la fraude ou du manque de provisions qui a une incidence fiscale. La fraude fiscale n'est pas forcément liée à de l'évasion. Nous savons également que des groupes montent de toutes pièces certaines faillites frauduleuses qui donnent lieu à de l'évasion fiscale.

M. Philippe Steing. - Lorsque j'évoquais l'appréhension de la notion de groupe, c'était au regard de l'harmonisation des méthodes d'évaluation des régulateurs à l'échelle européenne et internationale. Je ne parlais pas de la France, et je parlais du régulateur et non de l'auditeur. En France, la notion de groupe est appréhendée juridiquement, quoique partiellement, dans le code de commerce. Il y a des comptes consolidés, un auditeur de la tête de groupe, des auditeurs de filiales.

Nous essayons de mettre en place une coordination ayant pour vocation de couvrir l'ensemble des réseaux. Des réseaux comme KPMG ou Ernst & Young, par exemple, auditent une société en France, une filiale en Allemagne, une autre en Angleterre. Les régulateurs d'audit peuvent contrôler l'auditeur de chaque entité chacun dans leur coin, mais ils commencent à organiser des réunions communes afin de partager certains constats sur l'action d'un réseau lorsqu'il audite un groupe.

Je laisserai Mme Doblado répondre sur les systèmes d'alerte, qui sont relativement avancés, notamment en France.

J'en viens à la notion d'EIP - entité d'intérêt public -, qui est une notion pertinente pour le régulateur. C'est la huitième directive relative au contrôle légal des comptes qui établit la distinction entre EIP et non-EIP. L'intensité du contrôle par le régulateur varie selon que l'on se trouve en présence d'une EIP ou non. En France, le Haut conseil se réserve le contrôle des commissaires aux comptes qui auditent des entités d'intérêt public, à savoir les marchés cotés, les établissements bancaires, les sociétés d'assurance, les mutuelles, les associations faisant appel à la générosité publique. Il faut savoir que les pays européens n'ont pas tous le même périmètre. Certains États réduisent les EIP aux marchés réglementés et aux établissements de crédit. La réforme proposée ne reprend d'ailleurs pas le périmètre que nous connaissons en France.

Les méthodes de contrôle par le régulateur varient donc selon que le commissaire aux comptes audite une EIP ou une non-EIP.

Mme Marjolein Doblado. - La procédure d'alerte est une spécificité française surprenante pour certains de nos homologues européens. Le commissaire aux comptes est tenu de prévenir les dirigeants, puis le tribunal de commerce lorsqu'il relève, à l'occasion de l'exercice de sa mission, des faits de nature à compromettre à court terme la continuité de l'exploitation de l'entité.

Le commissaire aux comptes, en examinant les comptes régulièrement, porte un regard extérieur et peut déceler des difficultés que ne voient pas les dirigeants plongés en permanence dans leur activité. Dans de petites entités, un garage ou une petite société, par exemple - la situation se présente différemment dans les grands groupes -, il prévient le dirigeant de la nécessité de prendre des mesures de sauvegarde, de prévoir un plan de redressement, de se mettre en situation de poursuivre son activité. À défaut de prise de telles mesures, il prévient le président du tribunal de commerce afin d'anticiper un plan de sauvegarde.

Le commissaire aux comptes déclenche rarement une telle procédure d'alerte ; il doit pour cela être confronté à une situation réellement grave.

Le commissaire aux comptes est par ailleurs tenu de déclarer ses soupçons aux pouvoirs publics en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux. Une norme d'exercice professionnel spécifique a été homologuée en 2010. S'il relève des opérations suspectes, il est dans l'obligation de les déclarer. Cette obligation est relativement nouvelle, mais les commissaires aux comptes sont de plus en plus sensibilisés à la question et le nombre de déclarations - quarante-six pour l'exercice 2010 - augmente régulièrement.

Mme Nathalie Goulet. - Pourriez-vous nous préciser si les déclarations de soupçon sont centralisées ?

Mme Marjolein Doblado. - Les déclarations de soupçon sont envoyées à TRACFIN, l'organisme dédié qui est chargé de les exploiter.

M. Philippe Steing. - L'évasion fiscale ne se traduit pas nécessairement par des fraudes fiscales, et inversement, vous avez tout à fait raison. Le commissaire aux comptes ne travaille pas avec la notion d'évasion fiscale, qui reste à définir. Il vérifie que l'optimisation fiscale se traduit correctement dans les charges. En cas d'anomalies, de fraude fiscale, il met en oeuvre une série de diligences. Si une entité décide de loger une activité, une marque dans un autre pays, pensant que l'impôt va être inférieur, et si elle ne prend pas la précaution de provisionner un compte pour le risque de redressement fiscal, le commissaire pourra ne pas certifier les comptes pour défaut d'appréhension de risque fiscal. En revanche, si un « montage » fiscal est licite et que l'entité a eu la prudence de provisionner le risque encouru, le commissaire aux comptes ne pourra que constater l'absence d'anomalies significatives dans les comptes. Telles sont les limites de l'exercice.

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. François Pillet.

M. François Pillet. - Le coeur de mission du commissaire aux comptes est d'être l'oeil et le protecteur de l'actionnaire avant d'être la vigie d'État. Le législateur français est sans doute plus avisé que les autres puisqu'il est l'un des seuls, vous l'avez rappelé, à prévoir que le commissaire aux comptes attire l'attention du procureur de la République sur les fraudes. Lorsqu'il n'y a pas de fraude mais utilisation de mécanismes parfaitement légaux qui peuvent être dangereux pour l'entité et que l'actionnaire doit connaître à ce titre, le commissaire aux comptes le signale dans son rapport.

Ce qui m'intéresse est de savoir quelle est la portée du rapport du commissaire aux comptes. Qui peut y accéder et comment ? Pourrait-on concevoir un accès élargi et automatique à ce rapport ? Un actionnaire pourrait très bien le communiquer au procureur de la République.

Par ailleurs, pensez-vous que votre profession pourrait évoluer pour devenir un collaborateur occasionnel de l'État à rémunération privée ?

Ma deuxième question est d'ordre plus technique. Lorsque l'on s'est ému du fait que les experts comptables puissent être également commissaires aux comptes, les deux activités ont été séparées au sein de sociétés distinctes. Est-ce une hypothèse d'école de penser que certaines sociétés restent encore porteuses de parts et d'intérêts mutuels, ce qui peut provoquer un conflit d'intérêts alors qu'il n'en apparaît matériellement aucun ?

Quant aux inquiétudes concernant l'indépendance du commissaire aux comptes, elles me semblent pouvoir être atténuées par les responsabilités qu'il a à l'égard des actionnaires et même des tiers.

Mme Marjolein Doblado. - Les opérations passées au sein d'un groupe n'apparaissent pas dans le rapport général du commissaire aux comptes sur la certification des comptes. En revanche, dans le cadre de son rapport sur les conventions réglementées, il va porter à la connaissance des actionnaires l'ensemble de ces conventions qui ont été conclues entre la société dont il certifie les comptes et des sociétés qui ont, par exemple, des dirigeants communs.

Ce rapport spécifique est informatif pour les actionnaires, qui disposent de cette information dont l'exactitude est vérifiée puisque le commissaire aux comptes la consigne dans son rapport. Il confirme cette information d'une source extérieure, indépendante. C'est une information que l'actionnaire peut ensuite exploiter. Le rôle du commissaire aux comptes est donc de signaler les conventions particulières conclues. Cela ne concerne pas celles qui ont été conclues à conditions courantes. Ne sont concernées que les conventions particulières qui auraient été conclues à des taux qui ne seraient pas ceux que l'on rencontre habituellement dans des échanges entre sociétés de groupes différents qui n'auraient pas de liens privilégiés. Il s'agit donc d'un rapport particulier, sur lequel le commissaire aux comptes doit être vigilant, et qu'il doit émettre pour l'ensemble des sociétés sur lesquelles il intervient.

M. Philippe Steing. - Quant à la notion de commissaire aux comptes payé par l'entité, versus collaborateur de l'État, c'est une vraie question que certains se posent aujourd'hui dans le monde. C'est le système qui est paru à ce jour le plus efficace. Il nécessite la mise en place de règles strictes pour protéger l'indépendance du commissaire aux comptes. En France, comme dans d'autres pays, le commissaire aux comptes ne peut pas proposer un certain nombre de prestations, notamment de conseil, à l'entité dont il certifie les comptes. Il existe une liste de prestations que ne peut pas effectuer le commissaire aux comptes, en tant que professionnel, auprès d'entités dont il certifie les comptes. Nos homologues partagent ce point de vue. Aux États-Unis, des cabinets d'audit qui avaient participé à une optimisation fiscale « agressive » ont ainsi été mis en cause. En France, nous avons réglé le problème en amont en interdisant le conseil, notamment le conseil fiscal. Si d'autres pays s'interrogent sur ce point, c'est parce qu'ils sont plus souples sur la possibilité, pour les auditeurs, d'agir dans le domaine fiscal et qu'ils sont ensuite obligés d'intervenir.

La question du conflit d'intérêts, vous avez raison de le relever, est notre lot quotidien. Nous rendrons d'ailleurs dans quelques jours un avis décrivant une situation de conflit d'intérêts via des structures d'expertise comptable et de commissariat aux comptes. Nous sommes très vigilants sur cette question lors de nos contrôles. Nous avons constaté que ceux qui exercent en tant que commissaire aux comptes ici, expert comptable ailleurs, peuvent finir par avoir la même entité cliente. Nous parvenons à éviter les conflits d'intérêts de manière frontale, mais on rencontre parfois des équipes quasi communes via des participations dans des sociétés d'exercice professionnel. C'est un sujet de préoccupation. Les contrôleurs traitent ces questions d'indépendance sur un pied d'égalité quelle que soit la taille du cabinet d'audit.

M. François Pillet. - Prônez-vous l'interdiction totale, pour une société d'expertise comptable, d'avoir une partie de son capital détenue par une société d'audit ?

M. Philippe Steing. - Si une même structure juridique regroupe l'expertise comptable et le commissariat aux comptes, nous vérifions strictement qu'il n'y ait pas de prestations communes pour une même entité. J'ai récemment adressé un signalement au parquet général sur un problème de conflit d'intérêts. On peut aussi rencontrer des sociétés distinctes qui finissent par faire participer les mêmes équipes.

Le régulateur français est extrêmement attentif à la question de l'indépendance, qui lui paraît essentielle. Elle le devient aussi pour nos homologues étrangers. Cependant, vous avez raison de souligner les risques qui sont identifiés. En tout cas, les régulateurs d'audit s'assurent de l'absence de conflit d'intérêts.

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Premièrement, est-il fréquent de proposer aux dirigeants des rectifications concernant des erreurs fiscales ? Quelle est la fréquence des signalements qui vont au-delà de la rectification suggérée ?

Deuxièmement, une entreprise comprend des actionnaires mais aussi des salariés. Les instances représentatives du personnel, les comités d'entreprises ont-ils accès au rapport des commissaires aux comptes ?

Troisièmement, ne serait-il pas opportun de prévoir un volet sur la fiscalité dans le descriptif qu'une entreprise doit obligatoirement présenter au conseil d'administration, afin de garantir une meilleure transparence sur les arbitrages fiscaux et les impositions versées - je pense notamment à la TVA ?

Pour conclure, vous avez évoqué les conventions réglementées. Nous savons qu'une partie de l'évasion fiscale procède de la convention passée entre une entreprise productrice en France et une holding étrangère. C'est en jouant sur l'équilibre de celle-ci, en faisant remonter l'essentiel du profit vers la holding que l'on prive les capacités fiscales françaises. Ces conventions sont-elles systématiquement présentées dans les conventions annexes figurant dans les comptes ? Le fait que cette convention puisse à terme fragiliser la pérennité ou l'autonomie de l'entreprise au regard de son développement fait-il l'objet d'une estimation ?

Mme Marjolein Doblado. - Nous ne disposons pas de statistiques sur le nombre de signalements ou en tout cas de propositions de modifications formulées par les commissaires aux comptes à la suite d'erreurs constatées dans les comptes. Comme je l'indiquais préalablement, une part du travail est réalisée en amont de la publication des comptes. En cas d'erreurs ou de montages un peu limite, un dialogue s'instaure et ceux-ci sont généralement corrigés. Ils ne se retrouvent donc pas dans les comptes publiés.

En cas d'anomalies significatives, le commissaire aux comptes ne peut pas certifier les comptes. Je ne dispose pas de statistiques sur le nombre de signalements, mais ceux-ci sont assez rares, les entreprises ayant intérêt à obtenir la certification sans réserve de leurs comptes, ne serait-ce que vis-à-vis de leur banquier. Comme le souligne Philippe Steing, nous vérifions que les éléments relevés au cours de la mission ont bien été intégrés dans les comptes, permettant in fine une certification sans réserve.

M. Philippe Steing. - J'ajoute que les entreprises ont peur de la réserve et s'efforcent de rectifier les erreurs signalées par le commissaire aux comptes. Le risque, c'est que le commissaire aux comptes accepte de certifier les comptes alors que l'entité n'a pas rectifié l'erreur. Les contrôleurs sont vigilants sur ce point. Il nous arrive parfois de constater que des réserves auraient dû être émises. Le risque est assez faible, mais nous ne possédons pas de données statistiques précises sur ce point. Il serait en tout cas envisageable, d'un point de vue conceptuel, de mettre en place un outil statistique.

Mme Marjolein Doblado. - Les rapports, avec les comptes, sont publiés au greffe et sont à ce titre accessibles aux salariés dès lors que la société respecte ses obligations. Cependant, la question du contenu du rapport du commissaire aux comptes est actuellement débattue au niveau européen. Est-il suffisamment riche, ne devrait-il pas contenir plus d'informations ? Traduit-il l'ensemble des travaux réalisés par le commissaire aux comptes au cours de son intervention ? Un rapport de deux pages peut en effet clore un important travail, y compris pour de grands groupes.

En France, nous avons fait un pas par rapport à d'autres pays : le commissaire aux comptes doit justifier ses appréciations. On lui demande d'expliquer, sur des points importants, pourquoi il a certifié les comptes. Outre le fait de mentionner si les comptes sont corrects ou non, le rapport du commissaire aux comptes comporte quelques informations qui attirent l'attention des lecteurs sur les éléments importants de l'annexe.

Le rapport ne contient pas de volet spécifique sur les options fiscales, sauf en cas de problème. Certaines informations importantes peuvent figurer en annexe si elles ont une incidence significative sur les comptes de l'entité, voire si elles sont susceptibles de faire l'objet d'une justification d'appréciation. Cependant, le fait de produire une information particulière sur l'appréciation des règles fiscales choisies par l'entité ne constitue pas la règle générale.

M. Philippe Steing. - Nous avons un débat plus général sur le rôle du commissaire aux comptes. La réforme de l'audit proposée par le commissaire Barnier comprend un volet d'extension de la mission du commissaire aux comptes. Cette position n'est pas partagée. Les entreprises s'opposent à toute immixtion du commissaire aux comptes dans la gestion de l'entreprise. La question se pose sur le contrôle interne, l'optimisation fiscale. Le commissaire aux comptes vérifie que ces montages ne comportent pas de risques d'anomalies significatives. S'ils sont réguliers, il ne peut aller au-delà : cela relève de la responsabilité de l'entreprise.

Les conventions réglementées déclenchent un processus de vérifications. La loi relative aux nouvelles régulations économiques a corseté la législation en matière de conventions réglementées, mais, aujourd'hui, les conventions dites « normales » ne passent plus au crible de l'examen du commissaire aux comptes. Il convient donc de s'assurer que les conventions sont bien qualifiées.

Mme Marjolein Doblado. - Si le commissaire aux comptes constate, au cours de sa mission, que des conventions réglementées n'ont pas été déclarées comme telles, il avertit l'entité qu'il doit rapporter sur ce type de conventions. Il n'a pas pour mission de porter une appréciation sur le contenu. Il donne l'information mais ne la juge pas. Elle est disponible pour les actionnaires, qui peuvent éventuellement engager une action.

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. Louis Duvernois.

M. Louis Duvernois. - La mondialisation accrue des échanges économiques et financiers, la mobilité professionnelle qu'elle entraîne conduisent les entreprises à réaliser des montages financiers, des suivis budgétaires, des investissements qui se complexifient à l'échelle internationale. Vous avez souligné à plusieurs reprises que la recherche d'indépendance était un sujet prioritaire au sein de votre profession. Vous avez également indiqué que les commissaires aux comptes ne mènent pas véritablement d'investigations, mais exercent des « vigilances », pour reprendre votre expression, au regard des risques de fraude et d'erreur fiscale.

Partant de ces deux observations - mondialisation accrue et recherche d'indépendance -, considérez-vous que la législation et autres réglementations qui encadrent votre profession est satisfaisante ? Alors que le commissaire européen Michel Barnier réfléchit à une réforme de l'audit, ne serait-il pas opportun d'accompagner cette réflexion en adaptant la législation et la réglementation, de manière à mieux coller à l'évolution d'un monde complexe, qui a besoin d'être mieux encadré ; j'en reviens par là à la préoccupation première de notre commission d'enquête, à savoir l'évasion des capitaux et des actifs hors du territoire national ?

M. Philippe Steing. - Selon moi, la réglementation qui encadre le commissariat aux comptes est excellente. Nous disposons depuis longtemps d'une réglementation très détaillée, efficace, même s'il est possible de l'améliorer à la marge.

Tous les pays ne sont pas au même niveau. Si le modèle français s'appliquait partout, je ne pense pas qu'une réforme de l'audit aurait été engagée au niveau européen. De nombreux pays nous ont d'ailleurs reproché notre arsenal législatif et réglementaire. Il y a quelques années, la Commission européenne a même menacé l'État français d'une action en manquement à cause de son code de déontologie, qui était jugé trop dur et non proportionné à l'objectif visé. Nous avons été amenés à l'assouplir sur deux points, considérés comme quasiment contraires à la liberté de prestations.

Nos règles d'encadrement sont néanmoins demeurées très fortes : nos normes d'exercice professionnel, inspirées des ISA, font l'objet d'une homologation réglementaire, ce qui est peu courant. Le non-respect d'un règlement est passible d'une sanction professionnelle. Le commissaire aux comptes doit révéler les faits délictueux ; sa responsabilité, y compris pénale, est engagée.

La réforme de l'audit vise, par exemple, à renforcer les liens entre les régulateurs et les commissaires aux comptes, ce qui est déjà le cas dans notre pays. Je le répète, le commissaire européen a en tête d'autres pays.

Aujourd'hui, notre effort doit porter sur le respect de ces dispositifs, et donc sur la qualité et l'efficacité des contrôles, sur les ressources requises pour s'assurer du bon exercice du commissariat aux comptes. Nous disposons des textes nécessaires. C'est à nous de mettre en place les contrôles efficaces. C'est ce que nous sommes en train de mettre en place. Depuis 2009, un financement nous permet de réaliser une partie des contrôles.

M. Yann Gaillard. - Je suis quelque peu étonné par la teneur de la discussion : je pensais que la mission du commissaire aux comptes était de redresser la qualité de gestion d'une entreprise et de faire connaître leurs erreurs aux dirigeants, et non de lutter contre l'évasion fiscale.

M. Philippe Steing . - C'est exactement ce que j'ai dit au début de mon propos, à savoir que la mission du commissaire aux comptes est de détecter les anomalies significatives en exerçant des vigilances, dans le cadre de la démarche d'audit, sur les risques de fraude.

M. Francis Delattre. - Connaissez-vous le pourcentage de poursuites ou de vérifications engagées par le parquet à la suite de la révélation de faits délictueux, qui sont déjà relativement graves puisqu'ils sont passibles d'un an de privation de liberté ? Surtout - mais il est sans doute compliqué de répondre - avez-vous le sentiment que les parquets ont l'ingénierie suffisante pour donner des suites concrètes à des vérifications qui sont d'une très grande complexité ?

M. Philippe Steing. - Je n'ai pas répondu tout à l'heure à la question relative aux déclarations de soupçon. Vous avez évoqué le faible nombre de déclarations de soupçon transmises par les commissaires aux comptes par comparaison avec les notaires. Je souligne qu'il ne s'agit pas du même métier. Une partie des déclarations de soupçon est en quelque sorte « absorbée » par les faits délictueux. Un commissaire aux comptes qui estime être en présence d'un délit constitué révèle un fait délictueux au lieu de déclarer un soupçon. Il faut donc relativiser la portée de ces chiffres.

Voilà un an environ, nous avons été évalués par le GAFI, ou Groupe d'action financière, l'organisation internationale de lutte contre le blanchiment. Nous avons des objectifs d'amélioration en la matière. Nous mettons en place des actions de sensibilisation des professionnels, dont les commissaires aux comptes.

Les faits délictueux révélés se sont élevés à 886 sur une année.

Mme Marjolein Doblado. - Nous avons demandé ces chiffres pour disposer d'un ordre de grandeur, mais nous ne savons pas quelle est la part imputable à des actions de fraude fiscale.

M. Philippe Steing. - Nous n'avons pas de retour concernant le traitement par les parquets. Avec la présidente du Haut conseil, nous souhaitons renforcer les liens entre l'autorité publique que nous représentons et les parquets. Les commissaires aux comptes ont un certain nombre d'obligations qui touchent au domaine pénal ; nous en avons également. Si je m'aperçois, lors d'un contrôle, qu'un soupçon n'a pas été déclaré, je suis tenu de le faire.

Dans le cadre d'une action de sensibilisation des professionnels sur ces questions, j'ai souhaité un retour de la part des parquets, ce qui peut favoriser le bon exercice des déclarations de soupçon et des révélations de faits délictueux. À défaut, face à un cas concret, le professionnel peut se demander s'il faut le qualifier. Le professionnel peut aussi faire une erreur de qualification. Le fait de déterminer si un fait est délictueux n'est pas forcément facile pour lui ; ce n'est pas son métier premier, il n'est pas procureur. Nous invitons d'ailleurs les parquets et les compagnies régionales à dialoguer. La Chancellerie pourrait sans doute vous donner plus d'informations sur ce point

Nous sensibilisons les professionnels ; nous sommes très attentifs, lors de nos contrôles, à ce que le commissaire aux comptes déclare les soupçons, révèle les faits. Mais nous ne disposons pas d'analyse ou d'étude statistique sur les suites qui sont données.

M. Éric Bocquet, rapporteur. -Ma question portait sur les éléments statistiques. Notre commission souhaite disposer de données chiffrées précises, de statistiques globales concernant toutes les réserves formulées par les commissaires aux comptes dans leurs audits en lien avec l'évasion fiscale.

M. Philippe Steing. - Je vais en faire la demande.

M. Philippe Dominati, président. - Je vous remercie, monsieur le secrétaire général, d'avoir répondu à nos nombreuses questions, qui reflètent tout l'intérêt que portent les parlementaires à votre profession.

Audition de M. Bernard Petit, sous-directeur, contrôleur général de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financières à la direction centrale de la police judiciaire

Puis la commission procède ensuite à l'audition de MM. Bernard PETIT, sous-directeur, contrôleur général de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financières à la direction centrale de la police judiciaire.

M. Philippe Dominati, président. -. Mes chers collègues, nous accueillons M. Bernard Petit, sous-directeur, contrôleur général de la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière à la direction centrale de la police judiciaire.

Monsieur le directeur, je vous rappelle que, conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment et que tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 et 434-15 du code pénal. En conséquence, je vais vous demander de prêter serment.

Prêtez serment, monsieur Petit, de dire toute la vérité, rien que la vérité. S'il vous plaît, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

(M.Bernard Petit prête serment.)

M. Philippe Dominati, président. - Je vous remercie.

Monsieur Petit, après avoir entendu votre exposé liminaire, je donnerai la parole au rapporteur de cette commission d'enquête, M. Éric Bocquet, puis aux membres de notre commission qui souhaitent vous interroger.

La parole est à M. Bernard Petit.

M. Bernard Petit, sous-directeur, contrôleur général de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière à la direction centrale de la police judiciaire. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, je suis sous-directeur chargé de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière à la direction centrale de la police judiciaire, la DCPJ. Ma sous-direction comprend essentiellement des services opérationnels, en charge d'enquêtes et d'investigations spécialisées par champ thématique, comme le trafic des stupéfiants, les vols à main armée, la traite des êtres humains mais aussi la corruption, la délinquance financière, le blanchiment, la cyber-criminalité et, depuis quelque temps, la fraude fiscale.

Cette sous-direction comprend également des services transversaux qui relient l'ensemble de ces unités réparties par champ thématique. Deux d'entre eux sont particulièrement importants : tout d'abord, le service d'information et d'analyse stratégique sur le crime organisé ou SIRASCO, est un service de renseignement, qui fournit du renseignement opérationnel et stratégique et qui permet d'enrichir, de valider et de conforter des renseignements et des synthèses ; ensuite, le service interministériel d'assistance technique, ou SIAT, est chargé des infiltrations, c'est-à-dire des agents undercover, et de la gestion des sources, autrement dit de la gestion des informateurs, pour l'ensemble de la police nationale.

Cette sous-direction regroupe environ 700 personnes, principalement des policiers, mais aussi des gendarmes, des inspecteurs des impôts, des douaniers, des informaticiens, des techniciens de police scientifique.

Tel est le portrait de cette sous-direction, qui peut paraître hétéroclite aux personnes extérieures au sérail de la police.

Vous m'avez convoqué pour témoigner devant votre commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. Avec votre accord, je vais m'efforcer, dans ma présentation générale, de répondre aux six questions précises que vous m'avez adressées, étant bien entendu que j'entrerai ensuite dans le détail des différents sujets, si vous le souhaitez. (M. le rapporteur fait un signe d'assentiment.)

Permettez-moi tout d'abord de rappeler que ma sous-direction a un spectre d'activités très large, dont la fraude fiscale ne constitue qu'une partie. Toutefois, et je vais m'efforcer de vous le démontrer, ce sujet n'est pas sans lien avec le reste de nos activités.

Vous m'avez demandé quelles sont les données quantitatives qui permettent de chiffrer l'activité et les résultats de mon service en matière de lutte contre la fraude fiscale internationale.

Nous disposons de treize entités distinctes - je vous remettrai les organigrammes permettant de situer exactement ces unités au sein de la DCPJ - et, actuellement, dans ma sous-direction, trois unités s'intéressent à la fraude fiscale.

La première est la brigade nationale d'enquête économique, la BNEE, la deuxième la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale ou BNRDF, et la troisième est composée des groupes d'intervention régionaux, les GIR, sur lesquels je serai bref, car sans doute auditionnerez-vous le responsable national des GIR.

Premièrement, jusqu'à la création de la BNRDF en 2010, la fraude fiscale n'était visée par l'activité de mes services que de manière ponctuelle, à l'occasion de la poursuite d'infractions pénales comme les abus de biens sociaux, la corruption ou encore les escroqueries en bande organisée. À travers ces infractions, nous révélions des fraudes fiscales qui étaient rapportées à la DGFiP via cette unité spécialisée, placée au sein de ma sous-direction depuis 1948, et que l'on appelle la BNEE.

Les agents de la BNEE sont présents à la fois dans les services centraux et dans les services territoriaux de la police judiciaire. Cette unité est dirigée par un administrateur des finances, assisté de deux adjoints qui sont inspecteurs divisionnaires. Elle comprend quarante-sept inspecteurs des impôts répartis sur vingt et un sites en France. Ainsi, un détachement est placé auprès de chaque direction interrégionale de police judiciaire - qu'il s'agisse de services régionaux de police judiciaire, les SRPJ ou des directions régionales de police judiciaire, les DRPJ - sauf aux Antilles-Guyane et à la DRPJ d'Ajaccio. Dans ces deux cas, notre système compense cette absence par un autre biais, étant donné que la DRPJ d'Ajaccio et la PJ Antilles-Guyane sont souvent cosaisies, dans le cadre des affaires relevant de leur ressort, avec les unités centrales qui, elles, disposent d'inspecteurs des impôts en leur sein. Le cas échéant, elles peuvent également faire appel aux GIR.

Cinq agents de la BNEE sont en permanence à Nanterre, au siège de la sous-direction. Tous les offices et toutes les divisions de la sous-direction font appel à ces personnels qui effectuent les recherches fiscales, contribuent à l'identification du patrimoine des mis en cause et qui, naturellement, nous apportent leur expertise lors de l'examen des facturations et des comptabilités.

En contrepartie, bien évidemment, lorsque la fraude fiscale apparaît à travers les infractions d'abus de biens sociaux, de corruption, de fausses facturations, ces agents de la BNEE signalent à la DGFiP la possibilité d'un redressement fiscal pour les intéressés. Ils nous aident dans le déroulement de nos enquêtes en apportant leur expertise et, parallèlement, ils font le pont avec la DGFiP, pour que, dans le temps de l'enquête, les services des impôts puissent lancer le contrôle fiscal sur les personnes mises en cause.

Vous m'avez demandé quelques données chiffrées, je vais tâcher de vous les fournir.

Les agents de la BNEE, répartis dans l'ensemble des services de police judiciaire sur le territoire national, ont participé à 491 perquisitions et à 1 480 auditions en 2011 : ils sont donc très sollicités, ils sont réellement intégrés à notre activité. En retour, ces personnels informent l'administration fiscale des éléments découverts lors de ces enquêtes et permettent, ce faisant, les redressements fiscaux. Ainsi, on a compté 600 signalements en 2011 : 50 % concernent des personnes physiques, 50 % des personnes morales. Les droits et pénalités exigés ont représenté plus de 170 millions d'euros en 2011.

À mon niveau, je ne peux pas détailler la répartition entre le national et l'international. De même, nous ne suivons plus le taux de recouvrement des pénalités exigées, lequel relève de la DGFiP.

Deuxièmement, la BNRDF, créée par le décret du 4 novembre 2010, se consacre tout particulièrement à la fraude fiscale. Cette unité a débuté ses investigations immédiatement après sa création ; il n'y a pas eu de temps mort, elle a tout de suite engagé des enquêtes. Actuellement, elle est composée de vingt-deux enquêteurs, à savoir neuf officiers de police judiciaire, qui sont spécialisés en matière économique et financière, et treize officiers fiscaux judiciaires - c'est une appellation nouvelle, choisie par les autorités françaises. La BNRDF est dirigée par un commissaire de police issu des GIR et constitue l'une des brigades de la division nationale des investigations financières et fiscales, la DNIFF, dont elle est, si j'ose dire, une sous-partie. Au sein de la DNIFF figure également la brigade centrale de lutte contre la corruption.

À ce jour, 77 plaintes pénales ont été reçues pour enquête, émanant de plusieurs parquets couvrant l'ensemble du territoire national. Ces 77 plaintes ont été regroupées en 55 dossiers judiciaires, en raison des liens qui existaient entre certaines plaintes. Lorsqu'elle engage des procédures, la DGFiP raisonne sur la personne : une plainte par personne. Or, si les deux personnes faisant l'objet d'une plainte sont mari et femme, par exemple, nous considérons qu'il s'agit d'un seul dossier.

Ces enquêtes ont ceci de particulier qu'elles ont pour origine exclusive la DGFiP. C'est donc cette dernière qui décide s'il faut porter au pénal ce type d'enquêtes. La BNRDF n'exerce donc aucune initiative en la matière : nous ne pouvons pas engager nos propres enquêtes, nous sommes entièrement tributaires de Bercy, qui nous dit : « Enquêtez sur ce sujet ». Même si nous disposons de renseignements sur une fraude, il nous faut la dénoncer à Bercy, afin que la DGFiP décide de porter cette affaire au pénal. Il s'agit tout de même d'un long processus.

Sur ces 55 dossiers, 49 enquêtes sont toujours en cours, 39 sont diligentées en enquête préliminaire, 10 sur commission rogatoire. Depuis sa création, la BNRDF a déjà effectué 93 perquisitions, 64 gardes à vue et 67 personnes sont directement mises en cause par les enquêtes.

L'enjeu fiscal des dossiers a été estimé à plus de 240 millions d'euros de droits fraudés. Bien évidemment, les dossiers sont d'inégale importance : certains, dont la presse s'est fait l'écho, représentent un volume très important ; d'autres sont plus modestes. À ce jour, 5,6 millions d'euros ont d'ores et déjà été saisis.

La BNRDF a achevé six procédures, ce qui signifie qu'elle a remis six dossiers ; à ce jour, les poursuites n'ont pas encore été engagées par les tribunaux. Ces dossiers ont été communiqués à la DGFiP pour qu'elle développe, parallèlement, sa propre procédure fiscale.

Au-delà de ces chiffres, la BNRDF a, au minimum, confirmé à chaque fois les présomptions de fraude ayant conduit l'administration fiscale à déposer plainte au pénal. Dans la majorité des cas, les investigations ont permis de découvrir d'autres faits ayant des conséquences fiscales : des comptes bancaires à l'étranger dissimulés, différents du compte qui est à l'origine de la plainte ; des biens immobiliers dissimulés, des recettes occultes, beaucoup de faux, de la corruption. Systématiquement, dès que l'on diligente une enquête fiscale, on découvre d'autres infractions graves, liées à la fraude fiscale.

Troisièmement, les GIR se consacrent également à la lutte contre la fraude fiscale ; toutefois, je suis un peu embarrassé pour vous parler de ce sujet. Pourquoi ? Parce que les GIR sont répartis sur l'ensemble du territoire. Ils sont au nombre de trente-sept et emploient quarante et un fonctionnaires. Ils ont été mis en place par une circulaire interministérielle du 22 mai 2002. Les fonctionnaires des GIR travaillent toujours en cosaisine avec un service d'enquête territorial. Le GIR est en quelque sorte un apport, un composant supplémentaire de l'enquête, qui travaille surtout sur les aspects financiers, les fraudes, le patrimoine et, bien évidemment, les fraudes fiscales qui sont à la clé.

J'évoque les GIR uniquement parce que la coordination nationale des GIR dépend de ma sous-direction. Il en résulte que très régulièrement - au moins une fois par semaine - j'ai une réunion avec la coordination nationale pour faire le point sur l'activité des GIR sur le territoire français.

Toujours dans le souci de vous communiquer des éléments chiffrés permettant de mesurer objectivement l'activité des différents services, je vous indique que 811 informations ou propositions de vérification fiscale ont été transmises aux services fiscaux en 2011.

Dans les GIR, le représentant des impôts conseille, apporte son expertise, comme c'est le cas à la BNEE, mais il a aussi pour mission de signaler à la DGFiP les cas où un redressement fiscal est susceptible d'être envisagé, en raison d'une fraude révélée à l'occasion de l'enquête.

En outre, les agents DGFiP des GIR sont à l'origine de 25 millions d'euros de droits et pénalités réalisés en 2010 sur la base de 162 contrôles fiscaux externes. Selon les dernières informations que j'ai pu obtenir, ces chiffres sont en hausse en 2011, avec 34 millions d'euros pour 216 contrôles.

Les données chiffrées que je vous ai livrées sont liées à l'activité des trois unités de ma sous-direction qui s'intéressent à la fraude fiscale : les GIR, la BNEE et, bien évidemment, la BNRDF qui vient d'être créée.

Ensuite, vous m'avez demandé d'aborder le déroulement concret des investigations.

Pour les GIR et la BNEE je serai très bref, voire très réducteur : au sein de ces services, les agents des impôts nous apportent un plus dans l'enquête et, en même temps, opèrent le lien avec l'administration des impôts. Autrement dit, l'agent des Bercy présents dans le service examine les facturations et la comptabilité, révèle l'existence d'une infraction au regard du code des impôts, nous aide à construire notre infraction pénale et le déroulé de notre procédure pénale et, dans le même temps, il avise la DGFiP en lui signalant les points au sujet desquels un contrôle doit être envisagé.

C'est ainsi que fonctionne la BNEE, au sein de toutes les unités de police judiciaire. C'est également ainsi que fonctionnent les GIR, qui, eux, sont placés au niveau régional et qui travaillent avec toutes les unités, qu'il s'agisse d'unités de police judiciaire ou non - ils opèrent de la même manière avec les sûretés départementales, les sûretés urbaines ou les brigades et les sections de recherches de gendarmerie. Vous le constatez, la BNEE et les GIR n'occupent pas tout à fait le même créneau.

Je vais à présent m'efforcer de détailler l'action de la BNRDF, qui constitue un peu la nouveauté du dispositif français.

Les enquêteurs de la BNRDF, qu'ils soient policiers ou inspecteurs des impôts, ont un déroulé d'enquête qui s'aligne grosso modo sur l'enquête de police judiciaire ; la dominante est bel et bien la police judiciaire. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit d'un changement radical par rapport à toutes les unités.

N'étant pas un spécialiste des services fiscaux, je dispose en permanence de la liste des unités de Bercy avec lesquelles nous sommes appelés à travailler ; cette liste comprend la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services, la DGCIS, la direction des vérifications nationales et internationales, la DVNI et la direction nationale des enquêtes fiscales, la DNEF.

Nombre d'unités sont concernées. Toutefois, au sein de la BNRDF, nous appliquons avant tout des règles de procédure pénale et le savoir-faire de la police judiciaire. Tout simplement - pardonnez-moi, messieurs les sénateurs, de me montrer peut-être un peu réducteur, mais j'aurai ainsi le temps de répondre à vos questions - les brigades fiscales se fondent avant tout sur un système déclaratif : avez-vous un compte à l'étranger ? Avez-vous déclaré les revenus de telle ou telle activité ?

La police judiciaire, elle, ne procède pas sur un mode déclaratif ; elle conduit une investigation qui est tout de suite assez intrusive, avec toutes les limites qu'il convient d'y apporter. On organise des interceptions téléphoniques, des interceptions de courriels, des filatures, des surveillances, des exploitations de disques durs, ... Il s'agit d'une véritable investigation procédurale judiciaire classique.

Je prends la liberté de vous donner un exemple : nos camarades des impôts qui ont intégré cette unité et qui nous apportent leur savoir-faire, lequel est fondamental, ont l'habitude de convoquer les intéressés. Or certaines personnes ne se rendent pas aux convocations, ne défèrent pas, et sont mises en redressement : dès lors, la plainte est déposée.

Si nous estimons que la personne ne viendra pas, nous pouvons, nous, aller la chercher : cela change beaucoup de choses dans le rapport que nous avons avec l'intéressé et dans l'audition de ce dernier, même si ces méthodes sont un peu désagréables. Le budget « timbres » de la BNRDF est réduit ! (Sourires.) Ce sont ces petits détails qui permettent de mesurer la différence.

Après que nous avons procédé à une interception de courriels, il est difficile pour la personne concernée de nier qu'elle possède un compte au Luxembourg alors qu'un de ses courriels fait état d'une correspondance avec un banquier au Luxembourg ! Nous réunissons des indices comme celui-là. Ces procédés vont au-delà de la collecte matérielle simple des éléments d'enquête, c'est une démarche de police judiciaire, d'investigation, parfois intrusive, qui permet de collecter, y compris contre la volonté de l'intéressé, des éléments qui vont le mettre en difficulté. Ainsi, l'enquête change d'échelle et de gabarit.

La BNRDF a tout de suite trouvé sa bonne marche, ses personnels travaillent en bonne entente, et font des choses très simples, comme la police judiciaire : ils convoquent ou vont chercher des personnes, procèdent à des perquisitions avec l'appui de certaines unités qui sont au sein de la sous-direction, opèrent des perquisitions informatiques, avec des moyens techniques particuliers. Ainsi, les personnes sont un peu plus disertes que dans le cadre d'une procédure purement administrative. Elles peuvent être placées en garde à vue, ce qui n'est pas drôle ! La BNRDF exerce donc une activité de brigade de police judiciaire, qui est « assez différente » du mode de fonctionnement habituel des brigades du fisc.

Je reviendrai sur le déroulement précis des opérations ; le document écrit que je vous remettrai détaillera d'ailleurs l'ensemble de ces processus.

Outre le fait que la BNRDF est entièrement tributaire de la DGFiP et de la plainte déposée au préalable au pénal, trente-sept  de nos cinquante-cinq dossiers concernent des contribuables qui ne déclarent pas des comptes bancaires à l'étranger. Bien évidemment, nous avons recours à la liste HSBC, que vous connaissez. Ainsi, nous travaillons beaucoup sur les comptes bancaires à l'étranger, potentiellement alimentés par des fonds détournés d'activités commerciales. On a les plus-values réalisées sur les opérations financières non fiscalisées en France, à travers le montage financier impliquant des sociétés étrangères. On a également beaucoup de transferts de fonds à l'étranger, qui ne nous semblent pas correspondre à des opérations économiquement licites ou justifiées.

Vous me demandez si une classification géographique est possible : la réponse est négative. Pourquoi ? Parce que nos enquêtes couvrent à peu près l'ensemble du territoire : Nice, Marseille, Bordeaux, Lyon, Strasbourg, Beauvais, Paris, ... Une grande part de la fraude s'observe en région parisienne, et Paris occupe une place très importante.

Concernant la classification sociologique, voilà les constats que nous pouvons modestement tirer - cette brigade n'existe que depuis un an - et qu'illustrent l'activité du GIR, celle de la BNEE ainsi que celle de l'ensemble des autres unités de la sous-direction.

Les personnes visées appartiennent toutes à une classe plutôt aisée - même si certains bénéficiaires de minima sociaux peuvent percevoir, à l'étranger, des biens extrêmement importants. Il s'agit rarement de jeunes adultes : nous avons toujours affaire à des individus d'âge moyen, voire avancé. Ce sont majoritairement des hommes : bien souvent, les femmes sont simplement associées au titre d'épouse, parfois bénéficiaires des comptes. Il s'agit majoritairement de personnes ayant assumé des activités commerciales déclarées, dont elles ont détourné une partie des revenus.

Nos enquêtes - et il s'agit également d'une grande différente avec les contrôles menés par les unités de Bercy - nous conduisent à nous intéresser à des délinquants de droit commun, dont les activités sont totalement occultes et illégales. La DGFiP n'accède pas à ces personnes ; ce n'est pas illogique, car il faut tout de même se fonder sur une activité de départ. On se penche alors sur des personnes percevant de très gros revenus. Je rappelle que, en France, le chiffre d'affaires du trafic de stupéfiants est estimé à environ 3 milliards d'euros : il s'agit donc d'individus très riches, avec de très gros capitaux, et que l'on peut cerner en faisant le lien avec les autres unités. Ainsi, très vite, on peut déboucher sur du fiscal.

Je le répète, la classification économique met au jour des personnes percevant d'importants revenus ; dans leur grande majorité, elles sont à la tête de sociétés commerciales et utilisent des circuits financiers assez complexes pour dissimuler leurs revenus.

La BNRDF n'a encore obtenu aucune condamnation pénale. Pourquoi ? Parce qu'elle n'a qu'un an d'activité et que les affaires qui ont été rendues, les dossiers qui ont été restitués à l'autorité judiciaire n'ont pas encore fait l'objet d'une phase de jugement.

Du reste, à ce titre, de petits points de débat commencent à se dessiner - encore une fois, nous sommes en phase d'apprentissage ! De fait, certains parquets souhaiteraient disposer avant l'audience d'une évaluation de la DGFiP quant aux droits qui pourraient être exigés, aux redressements qui pourraient être proposés. Un débat est en cours entre les parquets et la DGFiP. Le parquet financier ou bien la DGFiP vous expliqueront sans doute la source de ces discussions, je n'entrerai pas dans le détail, sauf si vous le souhaitez.

Vous m'avez également adressé la question suivante : « La Cour des comptes a récemment diagnostiqué un cloisonnement entre les services de l'État, au sein de la DGFiP ainsi qu'entre TRACFIN, la cellule anti-blanchiment et la DNEF ? Pouvez-vous préciser, s'agissant de la lutte contre la fraude fiscale, les liens opérationnels entre toutes les entités qui dépendent de votre sous-direction et les brigades ? » En d'autres termes, vous me demandez quel est le lien entre la BNEE, que j'ai évoquée, la BNRDF qui vient d'être créée, les GIR - mais vous avez vite compris qu'ils s'inscrivent dans les enquêtes - et des unités comme l'office des stupéfiants, l'office chargé des vols à main armée ou celui qui se consacre à la traite des êtres humains ?

Il n'y a pas réellement de cloisonnement, sinon par nature, en ce sens que les treize offices existant au sein de la sous-direction travaillent tous ensemble, et ce sans aucune difficulté. De fait, nous tenons, le vendredi, une réunion hebdomadaire qui nous permet de faire le point sur l'activité opérationnelle et l'activité stratégique. Chacun expose les grandes difficultés qu'il rencontre et évoque les dossiers les plus lourds dont il est chargé. Puis, l'assistance requise est systématique puisque, en principe, nous travaillons toujours en task force.

Je prends un exemple, pour être très concret : la BNRDF a besoin de prendre en filature un spécialiste fiscal qui vient du Luxembourg pour rencontrer quelques personnes. Les agents de la BNRDF ne sont qu'une vingtaine, comme je vous l'ai indiqué. Vont-ils pouvoir tenir ce banquier, cet homme d'affaire pendant quatre ou cinq jours, H24, à Paris ? Une unité de vingt personnes n'est pas capable de le faire. Cela ne pose aucun problème ; au cours de la réunion hebdomadaire, nous allons requérir la brigade de recherche et d'intervention financière, la BRI financière, qui ne fait que des filatures, des surveillances et des observations. Nous allons prendre en filature H24 ce spécialiste de l'évasion des capitaux pendant une semaine, en notant tous ses contacts, ses rendez-vous, pour voir avec qui il travaille, jusqu'à ce qu'il entre en contact avec l'individu qui nous intéresse.

La BNRDF va donc aller chercher la BRI financière qui est placée à l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière, l'OCRGDF.

Je prends un autre exemple, la BNRDF travaille en cosaisine avec d'autres services, notamment l'OCRGDF. Je cite un cas simple, sans entrer dans les détails ; aujourd'hui, nous suivons un dossier où, à partir d'une plainte de la DGFiP, nous menons une enquête fiscale sur un monsieur qui est suspecté de frauder le fisc et d'exporter des capitaux à l'étranger, pour lui-même et pour d'autres. Il a été avéré que ce monsieur fait l'objet d'une autre enquête, mobilisant des moyens lourds, en raison de son alliance avec le crime organisé, parce qu'il blanchit les capitaux de groupes criminels implantés en France. L'enquête fiscale prend un coup d'accélérateur fantastique, puisque la documentation accumulée en matière de criminalité organisée est beaucoup plus importante que les renseignements fiscaux qui nous parviennent. Ainsi, nous disposons tout d'un coup d'une vision beaucoup plus complète et « contextualisée » de l'activité de ce monsieur. Partant, nous pouvons distinguer pourquoi il est en contact avec quinze personnes et pas seulement avec une seule ; pourquoi il n'est pas possible d'identifier l'origine de tous les fonds. Certains de ces fonds ne sont pas à lui, d'autres appartiennent pour partie à des personnes liées au crime organisé. Dès lors, la BNRDF va travailler avec l'OCRGDF.

Cela signifie également que les enquêteurs antiblanchiment de l'OCRGDF vont constituer une task force avec ceux de la BNRDF : trois agents de la BNRDF et trois agents de l'OCRGDF vont constituer un groupe pour travailler sur le dossier de ce monsieur, en lien avec l'enquête menée par l'OCRGDF. Encore une fois, s'il y a besoin de filatures et de surveillance, ces agents contacteront la BRI financière, qui mettra à leur disposition douze hommes et femmes qui feront, H24, des filatures et des surveillances, et qui apporteront une masse d'informations non négligeable.

De fait, vous imaginez que, si on trouve un complice, à la fraude ou au blanchiment, on pourra travailler sur ce dernier. Je reviendrai sur ce point. Il s'agit d'un des apports de la procédure pénale et des unités de police judiciaire : nous ne travaillons pas uniquement sur le fraudeur. C'est un point sur lequel nous avons, au début, eu un peu de mal à nous ajuster. Nous travaillons à la fois sur les fraudeurs et sur les circuits qu'ils utilisent, ce qui peut se révéler assez intéressant.

La BNRDF bénéficie donc du soutien opérationnel de toutes les unités de la sous-direction, mais aussi de l'ensemble des services territoriaux. Si elle doit enquêter à Bordeaux, il n'y a aucun souci. Trois personnes peuvent se rendre sur place, en train ou en voiture. À leur arrivée, elles seront reçues par un groupe de la division économique et financière de la PJ de Bordeaux qui va les prendre en main et leur offrir son assistance. Ils restent les pilotes et les patrons mais trois ou quatre spécialistes des affaires économiques et financières viennent les épauler.

Bien sûr, ces renforts assureront la logistique ; ils auront préparé les adresses, les convocations ou bien l'opération pour aller chercher quelqu'un. Bien sûr, ils vont prêter les voitures, le bureau, le matériel informatique, ... Mais ils vont également apporter leurs connaissances territoriales : en amont, ils auront procédé aux recherches d'antécédents sur les personnes, ils se seront rapprochés de leur inspecteur des impôts, en poste à la BNEE, détaché à Bordeaux. C'est un travail d'équipe et il ne faut pas négliger le soutien des agents territoriaux qui est très important : la BNRDF, ce n'est pas vingt-deux fonctionnaires perdus à Paris, qui partent en province tout seuls ! Ils bénéficient du soutien de la police judiciaire.

Par ailleurs, quels sont les liens entre cette sous-direction et les services chargés du budget ?

Le premier lien, très ancien, remonte à 1948 : c'est la BNEE qui, depuis cette date, a déployé ses effectifs au sein de la DGPJ. Comme je vous l'ai indiqué, leur chef et un de leurs adjoints sont basés à Nanterre, au sein même de ma sous-direction, deux étages au-dessus du mien, tandis que le reste des effectifs est réparti dans tous les SRPJ, les DRPJ, les directions interrégionales de police judiciaire, DIPJ, et les antennes de police judiciaire. Ils constituent autant de points de contact sur les enquêtes. Depuis 1948, nous avons l'habitude de travailler avec la BNEE, qui constitue le pont avec la DGFiP. Il y a donc longtemps que nous travaillons avec les services des impôts, à travers la BNEE.

La BNRDF est placée exactement dans la même situation puisque les officiers fiscaux judiciaires, c'est-à-dire les inspecteurs des impôts détachés par Bercy au sein de cette unité, font, eux aussi, le lien avec Bercy, et sont notamment en contact avec la DGFiP.

À ce titre, permettez-moi d'apporter un petit détail, qui sera sans doute évoqué par d'autres que moi. De manière assez surprenante, les agents de la BNEE peuvent consulter les fichiers aux impôts, effectuer les recherches en direct. Ils disposent ainsi d'une réactivité et une efficacité remarquables, d'autant qu'ils savent très bien ce que nous cherchons. En revanche, ceux de la BNRDF ont encore un petit boulet au pied, puisqu'ils ne peuvent pas consulter les fichiers des impôts. Ils ne sont donc pas dans la même situation que la BNEE : il leur faut se tourner vers leurs collègues de la direction nationale d'enquêtes fiscales, la DNEF, à Bercy, pour procéder à la consultation du fichier.

Vous êtes à la BNEE à Nanterre, au milieu des offices, vous consultez les fichiers ; vous êtes à la BNRDF, vous-même inspecteur des impôts, vous ne pouvez pas consulter directement ces données, vous devez demander à des collègues de Bercy qui procèdent aux recherches pour vous. C'est un détail, qui figure au titre des imperfections propres aux créations d'organismes nouveaux.

Enfin, vous m'avez demandé d'aborder les pistes d'amélioration dans le fonctionnement de ces réseaux administratifs. Il me semble avoir déjà signalé deux points qu'il serait possible assez aisé d'améliorer. Je vais m'efforcer de ne pas être trop long.

À mon sens, un point est capital : c'est le principe de polyvalence, que nous avons mis en oeuvre. Lors des enquêtes, l'OCRGDF demande systématiquement à la BNRDF d'affecter un représentant à l'examen de ses dossiers, afin de déterminer si, pour le fisc, il n'y a pas une activité à contrôler, des redressements à opérer.

Dans les affaires de stupéfiants, l'OCRDGF place un observateur pour repérer un éventuel blanchiment ou une possible fraude. Si cet observateur constate un blanchiment, des placements à l'étranger, il s'y intéressera bien évidemment. Il sera cosaisi pour mener à bien les investigations avec l'Office central des stupéfiants. Mais si le dossier comporte quelque chose qui concerne les impôts, on appelle la BNEE ou la BNRDF : la BNEE s'il s'agit simplement de signaler à Bercy des points où des redressements peuvent être envisagés ; la BNRDF si on a affaire à un dossier que l'on pressent relever d'une fraude organisée, avec des circuits complexes.

Ce principe de polyvalence, ce travail en task force constitue un point primordial : dans ma sous-direction, cette méthode est systématique et, actuellement, elle se répand de plus en plus en province.

Les liens entre les personnels, les officiers fiscaux judiciaires et les officiers de police judiciaire travaillant au sein de la BNRDF sont très étroits. Sans doute la DGFiP sera-t-elle également entendue sur le sujet et vous apportera-t-elle la même réponse : la BNRDF est une très belle unité, qui fonctionne très bien, qui s'est mis au travail immédiatement. Les agents issus des deux administrations, de cultures différentes, s'entendent très bien : à mon sens, les personnels des impôts éprouvent beaucoup de satisfaction à travailler dans cette unité qui permet de porter l'investigation à son terme, d'aller « au bout du bout » sans jamais être bloqué par un refus de coopération internationale. C'est très important, mentalement, pour les membres de cette brigade.

Nos agents disposent de moyens modernes et opérationnels. Ils sont, à mes yeux, très satisfaits et, je le constate à travers des demandes tout à fait anecdotiques, l'alchimie opère entre ces personnes. C'est, je le répète, une très belle unité.

L'un des adjoints de M. Parini, M. Gautier qui, sauf erreur de ma part, était numéro 2 à la DGFiP, jusqu'à son départ, récemment, m'indiquait qu'il souhaitait affecter de nouveaux personnels des impôts au sein de la BNRDF, car cette unité présente une grande rentabilité.

Mme Valérie Pécresse, lors de sa venue, a également annoncé qu'elle entendait augmenter les effectifs de la BNRDF. La police judiciaire sera bien évidemment amenée à mettre au pot, si je puis m'exprimer ainsi. Le tout est de nous donner le temps d'analyser les résultats obtenus, les imperfections et les petits points à améliorer, même si, j'insiste sur ce point, cette brigade est très prometteuse.

Néanmoins, cette unité ne peut pas être prospective : elle ne peut que réagir à une plainte émanant de la DGFiP, au terme d'un processus assez long, qui est détaillé dans ce document. (M. Bernard Petit tend un papier dactylographié.)

Ce point mérite d'être souligné. La DGFiP commence une enquête, elle amorce un contrôle fiscal. Au moment où elle estime qu'elle fait face à une fraude très complexe, qui ne permettra pas d'aboutir dans des délais raisonnables ou qui, peut-être, n'aboutira pas du tout, faute de coopération avec le pays étranger concerné, elle présente le dossier devant la commission des infractions fiscales, la CIF, qui donne son accord pour le dépôt d'une plainte au pénal.

Il faut noter que ce dépôt de plainte au pénal est effectué par le service territorial des impôts du lieu du domicile du mis en cause, étant entendu, comme je vous l'ai indiqué, qu'il y a une plainte par mis en cause. Cette plainte est déposée par les agents des impôts auprès du parquet du lieu du domicile.

Fort heureusement, nous disposons d'une circulaire de la chancellerie et tout un travail est mis en oeuvre pour faire connaître la BNRDF sur le territoire. En principe, le procureur saisit la BNRDF qui dispose des outils, des moyens, des personnels qui ont les connaissances. Mais rien n'empêcherait un procureur de saisir un commissariat, une section de recherches de gendarmerie, un service de sûreté départementale ! Le procureur n'a pas d'obligation absolue de faire appel à nous.

D'ores et déjà, il conviendrait de canaliser cette procédure : il serait normal que ces plaintes assez extraordinaires - si vous me permettez cette expression - de la DGFiP, soient traitées quasi automatiquement par notre unité. Lorsque nous apprenons qu'un dossier est passé en CIF, qu'un des adjoints de la DGFiP nous indique que « le procureur de Nice est saisi », nous ne devrions pas être obligés de « bétonner », de contacter ledit procureur pour lui rappeler qu'il existe une brigade nationale. La DGFiP fait de même, par ses réseaux territoriaux, mais ce processus n'est pas automatique, ce qui nous demande, malgré tout, un effort.

Quand bien même aurions-nous des renseignements sur une fraude fiscale d'envergure avec des circuits financiers complexes - j'ai évoqué il y a quelques instants une unité spéciale, le SIRASCO, qui fait du renseignement, ainsi que le CIAT, qui gère l'ensemble des ressources humaines de la police judiciaire et qui, surtout, enregistre ces sources pour l'ensemble de la police nationale - la BNRDF ne pourrait pas se saisir de ces renseignements pour enquêter. Il nous faudrait sans doute suivre un circuit spécifique, habiller cela par un blanc ou par l'amorce d'une enquête préliminaire nous permettant de dénoncer les faits via la BNEE afin que la DGFiP soit saisie. Cette dernière pourrait alors décider de porter plainte au pénal ou bien tenter, par ses propres moyens, une investigation aboutissant à une proposition de redressement.

M. Philippe Dominati, président. - Je vous remercie.

M. Francis Delattre. - C'est kafkaien !

M. Bernard Petit. - C'est un peu compliqué, en effet.

J'ajouterai un dernier point, et je vous prie de me pardonner d'être un peu long,...

M. Philippe Dominati, président. - Je vous en prie, vous êtes très précis.

M. Francis Delattre. - Et passionnant !

M. Bernard Petit. - La BNRDF profite des outils de la coopération de police. À côté des outils de coopération opérationnelle que sont les accords de Schengen, Interpol et Europol, il existe une panoplie d'autres outils importants : les officiers de liaison chez nos homologues, les officiers de liaison français à l'étranger, les attachés de sécurité, les plates-formes de travail, en Afrique, en Amérique du Sud, dans les Antilles, ... Lorsque la BNRDF est saisie, elle a accès à tous ces « tuyaux » de la coopération internationale.

Ensuite, et surtout lorsqu'elle est cosaisie, par exemple avec l'OCRGDF ou avec l'Office pour la lutte contre le crime organisé, l'OCLO, qui se charge notamment des vols à main armée, la BNRDF avance avec des infractions multiples, à savoir la fraude fiscale mais aussi l'escroquerie en bande organisée, le carrousel de TVA, l'extorsion de fonds, le racket, la traite des êtres humains, ce qui facilite grandement la coopération avec les États étrangers. Ces derniers ont parfois le bon goût ou la courtoisie de ne considérer que la traite des êtres humains, le racket, l'extorsion ou le carrousel de TVA, en étant un peu moins regardants sur la fraude fiscale, quant aux données qu'ils nous communiquent pour notre enquête.

Vous le savez, si vous demandez à certains pays une entraide judiciaire portant uniquement sur la fraude fiscale, et surtout s'il n'y a pas de manoeuvre dolosive caractérisée, les autorités de ce pays peuvent considérer que vous ne les abordez que pour des questions d'évasion de capitaux et, dans ce cas, on ne vous répond pas : vos homologues jugent que l'infraction n'est pas caractérisée. Je reviendrai sur ce point si vous le souhaitez.

Bref, dans le cadre des coopérations, nous utilisons nos propres canaux, que nous connaissons par coeur, avec nos correspondants. Nous avons noué, de très longue date, des liens de confiance avec nos homologues à l'étranger. Nous avançons avec d'autres infractions et la coopération n'a pas tout à fait le même régime que dans les cas habituels.

J'évoquerai maintenant quelques pistes d'amélioration - j'en ai dressé une liste sommaire.

Tout d'abord, je relève que la DGFiP doit avoir des présomptions de fraude. Or, je le répète, elle est très mal positionnée pour émettre des présomptions de fraude pour des personnes dont les activités sont totalement illicites et qui, pourtant, lèsent le fisc, en exportant, dans ce cadre, des capitaux à l'étranger, et en y constituant des patrimoines criminels extrêmement importants qui ne sont jamais imposés.

Ensuite, je l'ai évoqué auparavant, il n'y a pas de liaison ferme entre la procédure pénale que nous menons et les procédures de la DGFiP. Ainsi, la DGFiP continue parfois à conduire ses enquêtes fiscales propres alors même que la BNRDF est saisie. Très souvent, les impôts ont porté plainte au pénal, parce que l'enquête fiscale propre, menée avec les moyens de l'administration fiscale, ne permet pas d'envisager un aboutissement. Ainsi, il est impératif de passer au pénal pour développer des moyens d'investigation nouveaux, plus forts, plus coercitifs, et pour bénéficier d'une coopération internationale plus efficace. Mais pendant ce temps, l'enquête se poursuit.

Ainsi, on essaie de vider quelque peu le contenu du pénal pour le remettre dans le fiscal, ce n'est tout de même pas tout à fait l'esprit des textes et de la pratique. De surcroît les enquêtes peuvent se télescoper. Je prends un exemple même si, malheureusement, je ne peux pas citer les noms des personnes concernées.

M. Yann Gaillard . - C'est dommage ! (Sourires.)

M. Bernard Petit. - Une recherche fiscale est actuellement menée par Bercy et par la BNRDF sur un monsieur qui est impliqué dans une fraude fiscale assez élevée. Une plainte a été déposée contre lui au pénal, l'enquête commence. Très vite, on s'aperçoit que ce monsieur est lié à un groupe d'affairistes qui sont eux-mêmes impliqués dans d'importants carrousels de TVA.

La démarche administrative va profiter de notre enquête pénale : l'enquête fiscale continue de vivre grâce aux éléments que l'on capte au pénal. Mais, à un moment donné, pour accroître notre efficacité, nous allons opérer une réquisition par le fiscal sur une institution, pour obtenir des renseignements sur des comptes bancaires et sur des liens entre les personnes. Et là -  nous ne le savons pas encore, mais nous l'apprenons très vite, lors des écoutes téléphoniques - nous constatons que la personne sur laquelle nous enquêtons est celle qui détient la société : elle a donc accès aux réquisitions du fisc, elle sait que l'enquête fiscale suit son cours et elle comprend que l'investigation porte sur elle. Il y a donc là un léger télescopage. On comprend bien qu'il convient d'harmoniser ces procédures.

J'ajoute un point très important : selon la procédure classique lancée par la DGFiP, après l'avis de la CIF, la personne est avisée qu'elle fait l'objet d'une enquête et qu'une plainte est déposée au pénal contre elle. La BNRDF ne s'inscrit pas dans cette logique : la personne n'est pas avisée. Nous disposons donc d'un gain de temps et d'un effet de surprise assez importants, surtout durant les premiers mois.

Ces petits points, qui peuvent s'analyser comme un télescopage d'enquêtes, nuisent gravement à notre efficacité puisque nous perdons l'effet de surprise. (M. Jacques Chiron acquiesce.) De fait, c'est un signal d'alarme qui retentit : « Attention, il y a une enquête en cours, qui sont ces gens ? »

Ces faits ouvrent quelques pistes d'améliorations.

La BNRDF évite que le contribuable soit informé du dépôt de plainte afin que les enquêteurs puissent mener leurs investigations en utilisant tous les atouts de la procédure pénale et bénéficier d'un effet de surprise envers le contribuable fraudeur. Cet avantage est perdu lorsque la personne est déjà en procédure pénale, dans la mesure où, dès lors, elle est avisée qu'une enquête porte sur elle. Ainsi, elle fera beaucoup plus attention à ses rencontres dans Paris, à ses coups de téléphone, à ses courriels, ...

Il faudrait presque opérer un choix entre le pénal et le fiscal, car on ne peut pas mener les deux procédures de front ! Sur ce point, il y a, non seulement chez nous au sein de la police judiciaire, mais aussi dans l'administration fiscale, une petite révolution culturelle à mener : pourquoi deux entités de l'État doivent-elles travailler en parallèle sur les mêmes dossiers ? C'est une véritable question qu'il convient de se poser.

Je le répète, nous travaillons également sur les complices des fraudeurs. À ce jour, la BNRDF travaille sur un fraudeur qui lui a été désigné par une plainte, mais aussi sur un professionnel qui, accomplissant une prestation à la demande de son client, prend pour habitude d'outrepasser les missions qui lui incombent et incite son client à frauder, en lui conseillant des actions qu'il sait être frauduleuses. Dans ce cas, la BNRDF élargit son spectre et considère les complices : elle ne s'arrête pas au seul intéressé.

J'ajoute, et ce point est une constante des réunions que nous organisons depuis un an, que la DGFiP est très attachée à ce que les enquêtes concernent la fraude fiscale. Mais, au-delà, les enquêtes pénales permettent de découvrir d'autres faits à caractère pénal, dont les enquêteurs doivent rendre compte aux magistrats. Il s'agit de fausses factures, d'abus de biens sociaux commis dans les sociétés, d'effets de blanchiment, etc.

La DGFiP et les unités de Bercy enquêtent sur les fraudes fiscales ; on ne nous signale pas suffisamment les infractions connexes révélées à l'occasion de ces fraudes. C'est, en creux, ce que je vous ai indiqué il y a quelques instants pour la BNRDF.

Pour notre part, lorsque nous réalisons une enquête pénale, la BNEE est en permanence avec nous - vous l'avez vu, compte tenu du nombre de perquisitions et d'auditions, elle est toujours avec nous ! - chaque fois qu'un élément fiscal émerge. C'est en quelque sorte la seconde lame du rasoir, qui coupe dès lors qu'il y a besoin d'un redressement fiscal. Ainsi, les agents de la BNEE agissent dans tous les domaines : proxénétisme, stupéfiants, vol à main armée, trafic d'objets d'art...

Lorsque les brigades de Bercy mènent leurs enquêtes, elles découvrent également des infractions connexes ; normalement, celles-ci doivent être dénoncées au procureur de la République sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale.

Messieurs les sénateurs, je suis conscient du sujet de votre commission d'enquête, mais je me permets de souligner que cette situation n'est pas normale. Les services de l'État doivent être solidaires les uns des autres. Il faut dénoncer, sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale, les infractions connexes, qui ne sont pas des fraudes fiscales mais qui peuvent également expliquer l'origine des capitaux et cette volonté d'envoyer ces derniers à l'étranger. Il faut absolument que les divers services de l'État prennent l'habitude d'agir ensemble, et de prendre en compte les questions qui, thématiquement, stricto sensu, ne relèvent pas exactement de leur activité. J'espère être clair sur ce point.

Vous m'avez également adressé une autre série de questions. Toutefois, monsieur le président, comme j'ai conscience d'avoir été un peu long, je vous demande si vous souhaitez que je poursuive mon propos ?

M. Philippe Dominati, président. - Monsieur Petit, si vous le voulez bien, je vais donner la parole au rapporteur. Son intervention vous donnera sans doute l'occasion approfondir certains points.

Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. Éric Bocquet, rapporteur de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. - Monsieur Petit, vous avez certes été un peu long, mais vous avez répondu à l'ensemble des questions dans leur globalité. J'apprécie cette démarche qui nous permet à présent d'aborder d'autres sujets.

Premièrement, qui menaient les enquêtes financières avant la création de la BNRDF ? La création de cette brigade constitue-t-elle un plus en termes d'efficacité ?

Deuxièmement, pour nous recentrer sur notre sujet, quelle part de votre activité représente la fraude fiscale internationale sur l'ensemble des enquêtes que vous conduisez ?

Troisièmement, disposez-vous d'un modèle, d'une typologie des montages financiers utilisés pour la pratique de l'évasion fiscale internationale, au vu de votre expérience ?

Quatrièmement, vous avez cité un cas où se mêlaient évasion fiscale et blanchiment. Est-ce une situation unique, atypique, ou, d'une manière générale, l'évasion est-elle nécessairement multiforme, dans les situations que vous observez ? C'est une question qui m'intéresse.

Cinquièmement, je vous remercie d'avoir décrit de manière très précise la collaboration judiciaire ? Vous déclarez qu'il n'y a « pas de blocage » de la coopération internationale, ce qui n'est pas inintéressant. Menez-vous des enquêtes conjointes avec vos homologues étrangers ? Cette coopération vous semble-t-elle, ou non, satisfaisante ? Comment serait-il possible de l'améliorer ?

Sixièmement, enfin, le questionnaire faisait état d'un recours aux informateurs. Qui sont-ils ? Apparemment, ils sont rémunérés : dans quel cadre ?

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. Bernard Petit.

M. Bernard Petit. - Monsieur le rapporteur, si vous me le permettez, je vais d'emblée éliminer la question des informateurs. Oui, ces auxiliaires existent, on les nomme « informateurs » dans la police, « aviseurs » à la douane. Ces personnes fournissent des renseignements opérationnels permettant de révéler une infraction, d'en identifier les auteurs et, si possible, d'arrêter ces derniers. Ces informateurs sont effectivement rémunérés. Il existe un bureau central des sources qui identifie ces personnes, et qui, sur la base de l'algorithme utilisé par Europol, pour l'ensemble des polices européennes, codifie leurs données personnelles à partir d'une formule mathématique afin de leur garantir un complet anonymat.

Selon la règle dite du « service fait » - on reste tout de même dans l'administration - lorsque le renseignement fourni a permis une intervention importante, notamment la résolution d'une affaire, l'arrestation de personnes ou la prise en compte d'une équipe qui s'apprêtait à commettre une infraction grave, une rémunération est versée à cette source.

En matière fiscale, nous n'utilisons pas encore les informateurs rémunérés. Nous recourons à des informateurs qui « contextualisent » les infractions. Nous disposons de quelques informateurs qui nous renseignent sur certains groupes ayant recours à des professionnels du blanchiment, de l'exportation des fonds. Bien évidemment, ces professionnels occultent totalement le fisc, qui n'est même pas pris en compte dans le paysage : il s'agit simplement d'exporter des capitaux, de les blanchir, ... Nous travaillons sur les renseignements qui nous sont apportés. Pour au moins deux affaires, dont une en cours, nous sommes retombés sur des contrôles fiscaux.

Cette pratique est appelée à se développer à très court terme : nous serons conduits à recruter des sources dans des milieux financiers précis et à les rémunérer en fonction des renseignements qu'elles nous fourniront. Il s'agit là d'une évolution normale.

M. Yann Gaillard. - Cette rémunération est-elle imposable ? (Sourires.)

M. Bernard Petit. - C'est une bonne question, mais la réponse est non. La rémunération est très variable, et soumise à l'appréciation de plusieurs personnes, sur la base des résultats. Je le répète, c'est le principe du service fait qui s'applique : la rémunération n'est pas donnée à quelqu'un qui va vous fournir un renseignement, elle est versée contre services sonnants et trébuchants immédiats ! Toutefois, pour des raisons de confidentialité, je ne vois pas comment rendre ces rémunérations imposables, si ce n'est par un prélèvement à la source... (Nouveaux sourires.)

Comment les enquêtes financières étaient-elles menées avant la création de la BNRDF ? On oublie la BNEE qui est au sein des unités spéciales et qui mène les enquêtes. Elle glane tout ce qu'elle peut, au fur et à mesure, pour transmettre des informations à la DGFiP.

Avant la création de la BNRDF, l'enquête était confiée à un service territorial : un service de police judiciaire, une sûreté, un commissariat au sein duquel il y a une sûreté, c'est-à-dire une unité de police judiciaire, une section de recherches de gendarmerie...

L'enquêteur accomplissait un travail que je qualifierais de moyen : il s'agissait d'organiser quelques auditions, celle de l'intéressé, celle de sa compagne, ou de son compagnon, voire celle du comptable. Bref, il fallait vérifier que la procédure était prête pour l'audience. L'enquête consistait à s'assurer qu'il n'y avait pas un large hiatus entre la personne, l'époux ou l'épouse, la société, le comptable ? Il fallait contrôler qu'une déclaration de dernière minute ne surgisse pas avant que l'affaire ne passe en audience.

Ce travail n'était ni faramineux en volume ni spécialement intéressant. La procédure était la suivante : l'enquête fiscale était menée par les services du fisc. Faute d'accord possible avec l'intéressé, le dossier passait devant la CIF. On avisait l'intéressé que l'on portait plainte. La plainte était déposée auprès du procureur du lieu du domicile de l'intéressé. Le procureur saisissait, par exemple, la sûreté urbaine de Bordeaux. On entend la personne : « Bonjour, c'est bien vous ». On convoquait le comptable. Cela s'arrêtait là. Cette investigation était simple, si simple qu'elle était confiée à une unité généraliste.

La BNRDF, quant à elle, travaille sur la fraude fiscale complexe, supposant une véritable investigation.

J'en viens à la part de la fraude fiscale internationale dans notre activité. Ma réponse sera nécessairement tendancieuse. Pourquoi ? Parce que je travaille au sein de la sous-direction crime organisé, délinquance financière, et parce que je me consacre surtout au crime organisé. Ainsi, nous avons une vision permanente sur l'international. Vous n'avez pas un trafic de stupéfiants ou un réseau de traite des êtres humains à l'échelle nationale ! Même les braqueurs de centres forts ont des connexions internationales. Il n'y a pas un réseau, pas une organisation criminelle qui n'ait des attaches avec l'Espagne, le Maroc, les Pays-Bas, mais aussi l'Amérique latine ou certains pays d'Afrique pour ce qui concerne les stupéfiants. Pour la traite des êtres humains, il faut prendre en compte tous les pays d'Amérique du sud. Tous ces criminels ont des attaches à l'étranger !

Je vais m'efforcer d'être très prosaïque. Un individu qui se livre au trafic de stupéfiants et qui est plutôt versé dans la cocaïne, revend sa drogue sur le territoire national, à Paris. Un jour venant, il va tenter de gagner un peu plus d'argent en captant un produit, en remontant le plus possible vers le producteur pour que ses approvisionnements lui coûtent moins cher à l'achat et qu'il obtienne une plus grande marge bénéficiaire à la revente. Par exemple, il va décider d'aller en République dominicaine, où l'offre de cocaïne est importante. Il va donc pouvoir organiser l'importation lui-même. Tous mes exemples s'appuient sur des pratiques et des cas que nous connaissons bien.

La pratique montre que cette personne va d'abord thésauriser en France, puis, du fait de l'afflux de capitaux, elle va chercher à faire évaporer cet argent. Ainsi, elle fera sans doute des acquisitions et des placements en République dominicaine. Pourquoi ? Parce que c'est un peu son « lieu de travail », si j'ose dire. Elle va chercher à s'établir et à se « poser » là-bas. C'est là qu'elle trouvera des facilités avec les banques, là qu'elle rencontrera un spécialiste qui lui expliquera où placer de l'argent encore plus loin qu'en République dominicaine. Ce spécialiste lui apprendra ensuite comment ouvrir un compte sans jamais recevoir un seul relevé bancaire, de façon à ne jamais être traçable, comment ordonner des virements, des paiements, ou permettre des retraits, des décaissements en cash sans le moindre papier, simplement à partir d'un nom ou d'un numéro de compte.

C'est l'activité qui est tournée vers une zone géographique à l'étranger et qui prédispose plutôt à telle ou telle orientation. Pour la fraude à la taxe carbone, qui a fait beaucoup de mal à tous les États de l'Union européenne, les fraudeurs témoignaient d'une remarquable maîtrise des circuits financiers internationaux. Ils procédaient via des envois qui passaient par des pays de l'Est ou par Chypre, qui allaient jusqu'en Chine populaire, puis transitaient par des places financières comme Hong Kong ou Singapour et, parfois, revenaient ensuite dans des pays européens.

Ces systèmes attestent une maîtrise des flux, via l'Internet-banking, qui est très importante ! Ces questions internationales, nous les observons donc tous les jours. Dans ce domaine, vous ne pesez rien si vous ne prenez pas la mesure de la dimension internationale.

Les enquêtes de la BNRDF illustrent que l'international joue un rôle majeur, ne serait-ce que pour des fraudes sur différentes générations, pour des successions : comptes bancaires à l'étranger dissimulés, sans référent de banque, sans document, sans relevé de compte, sans parler des consolidations de patrimoine hors de nos frontières. Là encore, on voit des personnes acquérir des immeubles, des hôtels, des terrains de golf dans le cadre de fiducies, de trustees à l'étranger, tant d'obstacles pour déterminer qui est le propriétaire ou le bénéficiaire économique du bien.

Malheureusement, et parce que l'activité de la BNRDF est très récente - encore une fois, cette brigade n'a qu'une année de fonctionnement derrière elle, il faut le souligner même si nous sommes tous très contents de cette unité - nous n'avons pas encore mis en oeuvre les items qui nous permettront de distinguer très nettement le national de l'international.

À mon sens, à l'heure actuelle, la DGFiP est mieux placée que nous pour évoquer l'incidence de la fraude fiscale, dans sa dimension internationale.

Pour ce qui concerne la typologie des montages pour l'évasion des capitaux, à la suite de la fraude, je souligne qu'il s'agit d'un exercice en soi. On observe toutes sortes de cas. D'entrée de jeu, je vous indique une tendance très récente, que l'on observe en Italie, en France, et que les Allemands commencent à constater : que des personnes exercent une activité licite et souhaitent échapper au fisc en exportant leurs capitaux, ou qu'elles exportent leurs fonds dans le cadre d'une activité illicite, on observe partout, depuis la fin de l'année 2011 et surtout depuis le début de l'année 2012, circuler d'énormes sommes d'argent liquide.

Naguère, on voyait peu l'argent circuler : les fraudeurs utilisaient les circuits bancaires, les décaissements, les compensations, selon un système très organisé. Je prends un exemple des situations que l'on observait fréquemment - c'est un modus operandi au sujet duquel il ne faut pas faire trop de publicité. Des fraudeurs montent un carrousel de TVA ou encore passent de faux ordres de virement, à savoir une escroquerie d'envergure. Après six mois de travail, les bandits parviennent, grâce à des sources ouvertes, je le précise, à tout connaître d'une entreprise : le nom du PDG, celui du secrétaire général, les investissements en cours, les projets. Ils se font remettre les comptes rendus des conseils d'administrations. Ils ont accès aux noms et signatures des administrateurs.

Passés six mois, quand ils ont tout compris de la société, lorsqu'ils ont déterminé qui est qui et qui fait quoi, ils passent à l'attaque. Quelqu'un appelle une filiale à l'étranger en déclarant : « la maison-mère a besoin de 1 million d'euros immédiatement, nous allons subir un contrôle fiscal et il nous faut provisionner des sommes. Il faut donc que vous débitiez cette somme de ce compte pour le créditer sur celui-ci. » Quoi qu'il en soit, ces attaques sont bien menées, une fois sur cent elles fonctionnent : un responsable fait le clic et lâche le million d'euros sur le compte indiqué.

Cette méthode est très sophistiquée. Les fraudeurs utilisent des plateformes de dématérialisation des appels téléphoniques. Ainsi, vous appelez un numéro en 06 ou en 07, vous croyez que vous téléphonez en France mais tel n'est pas le cas ; votre interlocuteur parle très bien le français, mais il n'est pas Français pour autant. Et puis, le 06 ou le 07 n'est qu'un numéro acheté, sans la moindre assise sur le territoire national !

Une fois lâché, le million d'euros part à l'étranger, par exemple, en Chine. Cela ne signifie pas que les bandits, français ou étrangers, qui sont à l'origine de cette attaque, vont se précipiter en Chine pour donner un ordre et récupérer l'argent. Peut-être vont-ils décaisser l'argent à Paris même. Pourquoi ? Parce qu'ils auront conclu un accord avec des membres de la communauté chinoise, qui ont accepté d'ouvrir le compte à Hong Kong ou à Shanghai. Le million d'euros va, dès lors, à Shanghai, ce qui soulage bien la personne qui a ouvert le compte, car cela lui permet d'exporter des capitaux qu'elle ne savait pas envoyer à l'étranger, et qui sont issus du travail clandestin.

Ce faisant, cette personne, qui fraude le fisc « à mort » peut exporter cet argent sans rien faire, puisque c'est la société licite, légale, qui a parfois pignon sur rue et que vous connaissez, qui fait le clic pour envoyer le million d'euros. Du coup, ce million d'euros devient celui du commerçant, qui voulait blanchir son travail clandestin et échapper ainsi au fisc. C'est fait !

Quant aux bandits qui ont organisé l'attaque, ils vont voir la personne en question - dans mon exemple, le commerçant chinois - et ils récupèrent le million d'euros en liquide. Ainsi, tout le monde est gagnant : le bandit parce qu'il a encaissé un million d'euros ; le commerçant parce qu'il peut distribuer de l'argent aux personnes qui travaillent avec lui, qui lui ont permis de s'établir et de prospérer dans notre pays.

On a donc deux fraudes au fisc : celle du commerçant, qui peut décaisser ou du moins transférer un million d'euros, ce qu'il ne savait pas faire, car il avait peur d'être signalé par TRACFIN, et le bandit français qui touche du liquide qu'il va pouvoir répartir.

Voilà un exemple typique des montages complexes auxquels nous avons affaire, et qui font appel à des individus maîtrisant parfaitement ces méthodes. Ensuite, il nous faut déterminer pourquoi ils connaissent telle ou telle personne, et pourquoi cette personne a la capacité d'ouvrir le compte à Shanghai ou à Hong Kong. Cela, l'enquête vous l'apprend et, ensuite, vous comprenez comment fonctionne ce système. Comme vous pouvez le constater, ces montages sont un peu complexes !

Toutefois, je le répète, depuis le début de cette année, on constate que les fraudeurs circulent avec des valises de billets. En Italie, les organisations qui fraudent le fisc, qui récoltent de l'argent par le racket, la captation de marchés publics, la corruption, ont vu leur mode de fonctionnement se dégrader violemment, les outils financiers se resserrant avec force autour d'eux. Partant, les plus prosaïques, les plus « paysans » d'entre eux - si vous me permettez cette expression -, ceux qui voulaient palper les billets, se portent un peu mieux que ceux qui font constamment l'objet de signalements, qui ont des enquêtes sur le dos.

Ainsi, on observe un retour du « sonnant et trébuchant » au détriment des circuits : j'ignore si ce phénomène durera toute l'année, mais le constat est très net. Très récemment - je le mentionne, car la presse s'en est fait l'écho - dans une affaire de stupéfiants, à Lyon, nous avons vu un homme récupérer sous nos yeux, dans un premier temps plus de 500 000 euros, puis, dans un second temps, une somme similaire, soit 1 million d'euros en billets de banque, entassés dans un sac à dos qu'il s'apprêtait à remettre à un complice qui partait à l'étranger.

Cet homme est ce que l'on appelle un collecteur de fonds. Dans le trafic des stupéfiants, vous avez des « nourrices », qui gardent l'argent de tout le monde pour un temps donné, puis des collecteurs de fonds qui ramassent l'argent de toutes les nourrices pour le faire passer à l'étranger.

Naguère, le système ne fonctionnait pas nécessairement ainsi : on employait des moyens plus sophistiqués pour exporter l'argent sans matérialisation, sans sacs. Ces méthodes nous rendaient la tâche plus difficile, car il n'y avait rien à voir ! Tout se passait avec des clics ou des appels téléphoniques. Désormais, on voit réapparaître les collecteurs de fonds, les nourrices, les sacs à dos, ce qui nous facilite la tâche : on voit les sacs vides, puis les sacs pleins...

Ainsi, on observe toute la typologie, qui va du très simple - la valise de billets - au très complexe - les transferts, les faux ordres de virement. Il s'agit là de méthodes très pointues, mises en oeuvre par des équipes qui comptent de grands techniciens des circuits financiers.

Si vous le souhaitez, je travaillerai sur une typologie afin de vous remettre un document sur ce sujet.

Enfin, concernant l'entraide judiciaire, je serais peut-être un peu excessif si je vous affirmais que tout va bien, car tel n'est évidemment pas le cas. Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que notre manière d'aborder les questions sur l'entraide judiciaire revient souvent à adosser la fraude fiscale sur d'autres infractions.

Je prends un autre exemple : vous aurez du mal à obtenir des informations sur le placement d'argent qui ne découle que de la fraude fiscale, s'il n'y a pas de manoeuvres frauduleuses. En effet, un strict cas de fraude fiscale se limite, de l'autre côté de la frontière, à une évasion de capitaux, et vous ne bénéficiez donc pas de l'entraide. En revanche, si vous abordez ce sujet dans le cadre des manoeuvres frauduleuses, vous disposez d'une réponse selon les conventions qui ont été signées, et si le pays est coopérant ou non.

Voilà pourquoi il est intéressant de travailler en task force, y compris en mixant les infractions : dans le cadre des actions de police judiciaire, si vous abordez votre partenaire en lui précisant qu'il s'agit d'abus de biens sociaux, de fausses facturations et de corruption d'agents publics, français ou à l'étranger, vous obtenez une coopération. Là, vous ne jouez pas sur la seule fraude fiscale, vous vous appuyez aussi sur l'infraction connexe et, dès lors, vous obtenez des informations !

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. Pillet.

M. François Pillet. - Monsieur le directeur, je vous remercie de ces informations très intéressantes. Elles se situent sur un terrain pragmatique, de technique juridique. Je suis personnellement satisfait d'entendre que le monopole du lancement des poursuites pénales, qui est confié à l'administration, via la CIF, est de nature à handicaper vos propres recherches.

M. Bernard Petit. - Nous ne pouvons pas mener d'investigations de notre propre initiative : nous sommes tributaires de la DGFiP,...

M. François Pillet. - Donc c'est une perte de temps.

M. Bernard Petit. - ... donc il y a nécessairement un temps supplémentaire, et une appréciation différente. Je vous avoue que je ne connais pas suffisamment Bercy pour déterminer les raisons qui conduisent la CIF à répondre oui à l'un, non à l'autre, ni pour savoir quels sont les dossiers présentés.

M. Francis Delattre. - Il y a une cellule au cabinet du ministre.

M. François Pillet. - Outre que, d'un point de vue philosophique, il est critiquable de laisser à l'administration le choix de ses victimes, cette méthode est techniquement contre-productive, vous l'avez très nettement démontré.

Sur le plan de la pure technique procédurale, comme vous l'avez montré, lorsque les dispositions du code de procédure pénale et celles du livre des procédures fiscales s'entrechoquent, problèmes peuvent en résulter. Avez-vous véritablement éprouvé des difficultés lorsque l'administration, parallèlement à vos techniques d'enquête policières, utilise, par exemple, les visites domiciliaires ou le droit de communication ? Ces situations peuvent-elles créer de véritables champs de mines d'irrégularités procédurales ?

M. Bernard Petit. - C'est un risque pesé, mesuré et discuté entre nous, puis avec les magistrats. Mais nous gardons effectivement ces enjeux présents à l'esprit, et nous leur accordons une grande attention. Ces questions font l'objet d'une concertation, d'un dialogue assez étroit.

Je vous l'ai indiqué, tous les vendredis après-midi, j'organise des réunions, auxquelles s'ajoutent des rendez-vous ad hoc sur certains dossiers chauds. Aujourd'hui, quelques dossiers liés à la fraude fiscale, et qui ont débouché sur d'autres infractions, sont devenus célèbres et sont évoqués dans la presse. Ils font l'objet d'importantes réunions spécifiques, au cours desquelles nous étudions les questions procédurales de nature à soulever de possibles difficultés juridiques. Ensuite, lorsque nous avons en tête une question précise, nous dialoguons également avec le juge d'instruction qui porte l'affaire, qui donne son point de vue et qui, au total, aura le dernier mot. En réalité, c'est un dialogue.

Toutefois, vous avez raison, ces questions peuvent poser de véritables difficultés. C'est pourquoi je me permets de l'affirmer avec beaucoup de liberté : j'ai toujours du mal à comprendre pourquoi, lorsqu'une affaire passe au pénal, l'administration fiscale ne se porte pas partie civile, pour demander des dommages et intérêts correspondant aux droits qu'elle aurait souhaité recouvrer si elle avait engagé sa procédure !

M. François Pillet. - Je suis tout à fait d'accord.

M. Bernard Petit. - Je vous dis cela à titre personnel, cela n'a rien d'institutionnel. Je peine à comprendre la logique du raisonnement : on décide de passer au pénal parce que la procédure fiscale ne permet pas d'aboutir. Soit, mais on doit dès lors l'assumer pleinement : une fois que vous avez porté plainte au pénal, pourquoi poursuivre une procédure fiscale qui ne pourra pas aboutir ? C'est précisément parce que l'on sait qu'elle ne pourra pas aboutir que l'on porte plainte au pénal. Certes, ce faisant, vous allez glaner quelques informations du pénal pour alimenter ou faire vivoter la procédure fiscale ? Soit, mais on s'expose ainsi aux risques de télescopage que j'ai mentionnés, aux risques juridiques que cela peut entraîner. À l'inverse, une harmonisation de la pratique serait préférable en termes d'efficacité.

Encore une fois, dans ma maison, nous sommes très pragmatiques, et même un peu au « ras des pâquerettes ». Notre position est la suivante : allons au pénal du début jusqu'à la fin puisque l'on a décidé de s'engager dans cette voie. Sous un certain angle, c'est également une question de loyauté à l'égard de la personne contrôlée, qui n'est pas attaquée sur tous les fronts avec des règles du jeu différentes. Enfin, si l'audience aboutit à une condamnation, l'administration fiscale demande des dommages et intérêts correspondant aux droits qu'elle estime juste de recouvrer, et l'affaire est réglée.

M. François Pillet. - Permettez-moi encore deux questions, monsieur Petit.

Vous avez évoqué les chiffres de la fraude : s'agit-il de contributions indirectes, de la TVA ou de l'impôt direct ?

Vous avez mentionné de nombreux services, utilisé beaucoup de sigles : cette arborescence de services n'est-elle pas de nature à nuire à l'efficacité de votre action ?

M. Bernard Petit. - Je ne suis pas le mieux placé pour répondre dans le détail à votre première question. En effet, les travaux de votre commission supposent des chiffres et des données précises. Je ne dispose pas du détail permettant d'opérer un distinguo. Beaucoup de données, une fois traitées, sont transmises à la DGFiP : c'est cette dernière qui en assure le suivi statistique de fond, mais aussi l'interprétation.

Rappelez-vous que, durant de longues années, et jusqu'il y a encore deux ans, nous étudiions, pour notre part, des infractions fiscales qui découlaient d'infractions principales, de droit commun, que nous signalions à la DGFiP : nous souhaitions « raser court les bandits » au niveau du fisc, au-delà de l'infraction principale. Ce n'est que depuis la création de la BNRDF que nous prenons en compte la fraude fiscale à titre principal. Nous n'avons pas encore les items appropriés dans les statistiques, mais, si les relations avec Bercy et en particulier avec la DGFiP continuent ainsi, nos outils s'étofferont et, lorsque la prochaine commission d'enquête sénatoriale se réunira sur ce sujet, je viendrai vous détailler l'ensemble de ces chiffres.

En ce qui concerne l'arborescence des services, sachez que je dispose en permanence d'une liste des services fiscaux et des sigles utilisés à Bercy, liste qui m'est très utile lorsque l'adjoint de M. Parini me téléphone.

M. Philippe Dominati, président. - Nous entendrons M. Parini cette après-midi, peut-être sera-t-il muni de sa propre liste. (Sourires.)

M. Bernard Petit. - Chez nous, les dénominations sont également multiples et nous sommes dans la même logique : peut-être M. Parini aura-t-il sa liste « police » ! (Nouveaux sourires.)

Plus sérieusement, Monsieur le sénateur, vous avez raison, les sigles sont nombreux et il est parfois difficile de s'y retrouver. Par exemple, une unité spéciale traite le trafic des stupéfiants. Toutefois, si nous disposons de nombreux tuyaux d'orgue, nous comptons également des services transversaux - je n'en ai cité que deux, mais il y en a davantage - dont la mission, très importante, consiste à relier l'ensemble des services.

M. Jacques Chiron. - À l'origine, la BNRDF a-t-elle été créée pour lutter contre les trafiquants de drogue ?

M. Bernard Petit. - J'aurais tendance à vous répondre « jocker », surtout si M. Parini est auditionné cette après-midi... (Sourires.)

À mes yeux, la création de cette unité procède de la volonté de Bercy de se doter d'un outil performant, qui améliore les résultats de la lutte contre la fraude : l'idée était de passer au pénal et à la procédure.

Ensuite, un débat, parfois vif, s'est instauré entre la DGFiP et la direction générale de la police nationale, la DGPN. La DGFiP voulait disposer d'officiers de police judiciaire - même s'ils disposent de compétences fiscales indéniables et indispensables, les officiers fiscaux judiciaires ressemblent beaucoup, j'espère l'avoir démontré, à des officiers de police judiciaire -, quelle que soit leur dénomination, au sein de la police et, en l'occurrence, au sein de la police judiciaire. Son but était de prévenir la création, inéluctable à terme, d'une unité de coordination entre les officiers fiscaux judiciaires et les officiers de police judiciaire.

Par ailleurs, comme nous avons tenté de l'expliquer à Bercy, officier de police judiciaire, c'est un véritable métier. La mise sur écoute, par exemple, nécessite un travail préalable qui ne s'improvise pas. Il est bien évident qu'on ne prend pas une telle décision sans raison. Il faut déterminer qui est le titulaire de la ligne téléphonique, quels en sont les utilisateurs, travailler sur la géolocalisation, sur les fadettes, avant de déterminer s'il faut, ou non, placer une ligne sur écoute ! Voilà un exemple de nature strictement technique.

Dans le même ordre d'idée, pour organiser une filature, il ne suffit pas de suivre une voiture ! Dans les films, cela paraît facile, dans la réalité c'est un peu plus compliqué. L'utilisation de la radio paraît elle aussi très simple, mais il est plus compliqué de faire en sorte que la bonne personne s'exprime seule au bon moment, indique la direction à suivre à chacune des six voitures, par exemple, engagées dans la filature ! Même pour une filature le long des quais de Seine, il faut bien distinguer le périphérique intérieur du périphérique extérieur... Une confusion, l'incapacité de dire dans quel sens vous roulez, peuvent ruiner toute une filature. Ces questions simples, au « ras des pâquerettes », font la différence opérationnelle sur le terrain.

Et cela, nos camarades de Bercy, il leur faudra un petit peu de temps pour l'apprendre ! (Sourires.) D'ailleurs, c'est normal. Je le souligne en toute honnêteté, je ne suis pas tout à fait persuadé que les agents de mes services soient si à l'aise que cela avec le code des impôts !

C'est pour l'ensemble de ces raisons que cette unité est placée au sein de la police judiciaire. Si vous observez la date de la création de la BNRDF et la date du début des premières enquêtes, vous constatez que cette brigade a fonctionné immédiatement. Elle a été créée avant tout pour lutter contre la grande fraude fiscale, non contre le trafic des stupéfiants ou contre le proxénétisme, qui font l'objet d'offices spécifiques.

Le fait que la BNRDF soit au sein de la police judiciaire est un véritable atout. En effet, ce sont les mêmes circuits qui permettent la fraude et organisent l'exportation des capitaux. Il existe un tuyau dans lequel circulent des fonds de diverses origines : trafic de stupéfiants, traite des êtres humains, fraude fiscale.

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. le rapporteur.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Monsieur Petit, je retiens volontiers votre proposition de travailler sur les montages financiers relatifs à l'évasion fiscale qui ont pu être repérés au cours des enquêtes que vous avez menées.

En réponse à une question d'un de nos collègues, vous avez évoqué des dossiers mentionnés par la presse. De quels dossiers s'agit-il ? Pouvez-vous les nommer ?

M. Bernard Petit. - La presse s'est fait l'écho de certains dossiers relatifs à des montages financiers, à des exportations de fonds à l'étranger ou à des successions dissimulées. Je pense à l'affaire Wildenstein que tout le monde connaît. Lorsque vous examinez la liste HSBC, vous dénombrez une dizaine de cas assez emblématiques.

Je songe à un cas particulier qui a attiré mon attention. Une personne physique a fait l'objet d'un contrôle fiscal et d'un contrôle au titre de sa SCI par deux unités différentes de Bercy. Cette personne figure sur la liste HSBC, elle possède donc un compte bancaire à l'étranger, garni d'une somme rondelette. Pourtant, les procédures engagées ne donnent rien.

La BNRDF lance son propre contrôle. Cette personne est interpelée, entendue, placée en garde à vue après plusieurs mois d'enquête au cours desquels on a déterminé son environnement, le lieu où il habite, ses fréquentations, ce qu'il dit, comment il reçoit ses courriels. Et la personne, qui n'a pas pu être inquiétée par Bercy, nous affirme alors : « oui, j'ai deux comptes, j'ai de l'argent, mais je peux vous expliquer, car le terrain... » Mais dans les faits, c'est fini pour elle. Les sommes placées vont être confisquées, une partie sera rapatriée. La personne va être placée sous contrôle judiciaire et devoir acquitter une caution très élevée. On va même opérer une saisie chez son notaire, lequel sera lui-même entendu, pour son plus grand embarras. Ces enquêtes font beaucoup de dégâts, car elles sont de nature différente !

Le fait d'avoir placé cette unité au sein de cette sous-direction a entièrement changé le braquet : nous évoluons dans un monde entièrement différent. Même si la BNRDF enquête sur cette personne, cela signifie que tous les offices, sur les champs thématiques d'infractions, ont été consultés sur la base de son nom pour savoir si elle faisait l'objet d'une enquête.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Pouvez-vous nous indiquer la durée moyenne d'une enquête fiscale ? Ces contrôles sont-ils plus longs lorsqu'ils s'étendent à l'international ? Dans une année, combien de dossiers êtes-vous en capacité de traiter avec les moyens dont vous disposez actuellement ?

M. Bernard Petit. - Je vous ai d'ores et déjà indiqué que sept dossiers ont été restitués à l'autorité judiciaire pour audience, au cours de l'année dernière.

Je dispose d'un tableau, que je ne souhaite pas vous communiquer dans son intégralité, synthétisant l'état d'avancement des enquêtes : certains dossiers sont avancés à 40 %, 65 %, d'autres à 75 %, 80 %. Ces contrôles vont aboutir au premier trimestre, au plus tard au second. On observe bien le degré d'avancement des dossiers, qui est tout de même très important. Les enquêtes s'étendent sur un an, un an et demi au maximum, sinon elles perdent leur sens ! C'est un autre aspect de l'enquête judiciaire : il faut aller vite, faute de quoi les contrôles n'ont plus d'intérêt.

Les opérations sont bien évidemment plus longues lorsqu'elles s'étendent à l'international.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Combien de dossiers traitez-vous ainsi chaque année ?

M. Bernard Petit. - Grosso modo, nous avons vingt-deux fonctionnaires et un peu moins de quatre-vingts dossiers en cours : il me semble que c'est un portage qu'il faut conserver, sauf à augmenter les effectifs. Cette charge de travail me semble la bonne. Nous avons remis sept dossiers, sept ou huit autres vont suivre, nous allons donc pouvoir en reprendre entre quinze à vingt.

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. Delattre.

M. Francis Delattre. - Nous sommes nombreux à avoir beaucoup espéré des GIR, et la manière dont vous les avez traités au cours de votre exposé, à la marge, nous désespère quelque peu. Quarante et un fonctionnaires issus des services fiscaux au sein des GIR, cela me semble tout à fait insuffisant.

En banlieue parisienne - comme, sans doute d'ailleurs, dans beaucoup d'autres banlieues - l'économie souterraine est un véritable cancer. Les GIR étaient un bon outil pour lutter contre ce fléau, et ils ont obtenu des résultats ! Le problème tient au fait que ces groupements sont véritablement impliqués dans un dixième des affaires. Or le blanchiment est notoire et concerne de nombreux commerces : les chich kebab, les sandwicheries et, à présent, les laveuses automatiques.

Cette situation soulève non seulement un problème économique, mais aussi un véritable enjeu de société. Deux vies économiques cohabitent, au vu et su de tout le monde, ce qui scandalise tous ceux qui travaillent normalement. Je suis surpris d'observer que, comme tant d'autres à Paris, vous sous-estimez la réalité de l'économie souterraine, que vous évaluez à 3 milliards d'euros. Je demande à voir, d'autant que ce phénomène prend de l'ampleur, avec des exportations de capitaux !

Pour ma part, je connais un secteur où les habitants savent que l'argent part au Maroc : ce doit être vrai, puisque tout le monde le dit, y compris les forces de police locales. Faute d'avoir les moyens de réagir, on envisage de recourir au GIR. On en parle avec le procureur, avec le préfet, mais le GIR est accaparé par d'autres opérations et ne peut pas intervenir.

Certes, Monsieur Petit, cette question ne relève pas du champ d'action de notre commission d'enquête, mais pourriez-vous, sur ce dossier, expliquer que le GIR constitue, pour nous, rien moins que le messie pour lutter efficacement contre ces trafics qui s'organisent au vu et su de tout le monde ? La situation devient insupportable !

M. Bernard Petit. - Monsieur le sénateur, la situation en région parisienne, notamment en banlieue, est en effet très préoccupante. Je n'ai pas d'observation particulière à formuler à ce propos.

Toutefois, je précise que, sur l'ensemble du territoire, les GIR emploient 500 personnes, parmi lesquelles 41 inspecteurs des impôts. Rappelez-vous que les inspecteurs des impôts des GIR sont avant tout là pour aider à l'évaluation des patrimoines criminels !

Permettez-moi de prendre un exemple. Vous enquêtez sur un groupe de bandits à Bobigny. Dans ce cadre, vous mobilisez essentiellement la division de police judiciaire de Seine-Saint-Denis. L'intérêt de celle-ci, c'est de s'allier avec le GIR, qui va prendre en charge le volet patrimonial et financier, c'est-à-dire conduire ce que l'on appelle une enquête patrimoniale : ces personnes ont-elles des commerces, des maisons, des biens à l'étranger, ... ?

Il n'est pas rare que, dans le cadre de cette enquête, le GIR fasse appelle à la plateforme d'identification des avoirs criminels, la PIAC, qui est basée au sein de l'OCRGDF.

La mission de cette plate-forme, qui compte également des personnels des impôts, est d'identifier le patrimoine des personnes sur lesquelles portent des investigations. La PIAC peut donc, dans des délais assez courts, indiquer qui possède des comptes en banque, qui détient des coffres, quels sont les biens et les impositions des personnes concernées, déterminer si celles-ci possèdent des biens immobiliers, ...

Ainsi, le GIR apporte des éléments à l'enquête. Dans une affaire de vols de voitures par exemple, il dira : « attention, le trafic doit être important, car les voleurs ont acheté un petit immeuble de quatre étages ; ils payent des impôts à tel endroit ; l'un d'eux possède une maison dans le Midi et, a priori, il a fait l'objet d'un signalement Tracfin pour l'exportation de 100 000 euros non déclarés à la frontière franco-espagnole lorsqu'il se rendait en Espagne, avant même d'atteindre le Maroc », pour reprendre à grands traits l'exemple que vous citiez.

Les GIR apportent donc des éléments pour identifier les patrimoines et aider aux investigations financières. Pendant très longtemps, tous les services de police ou de gendarmerie enquêtaient d'abord sur un champ thématique constituant l'objet principal de l'activité criminelle : le vol de voitures, le trafic de stupéfiants, les attaques à main armée,...

M. Francis Delattre. - C'est fiscalement qu'il faut toucher les trafiquants !

M. Bernard Petit. - Certes, Monsieur le sénateur, mais l'inspecteur des impôts du GIR est là pour signaler à la DGFiP une fraude fiscale éventuelle de M. X ou de Mme Y, pour lui indiquer qu'une enquête pour fraude fiscale doit être diligentée : le GIR ne mène pas d'enquête de lui-même. De ce point de vue, il est comparable à la BNEE, qui intervient, après l'enquête, pour signaler les lieux. Voilà l'objet essentiel du GIR !

M. Francis Delattre. - Dans les Yvelines et le Val d'Oise, il y a en tout et pour tout un agent à mi-temps du GIR. C'est bien insuffisant pour identifier les trafics !

M. Bernard Petit. - Les agents du GIR ont tout de même effectué 7 188 signalements !

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Dans le même ordre d'idées, vous avez indiqué que vous pouviez traiter 80 dossiers par an. Si l'on rapporte ce chiffre à la liste HSBC, qui comporte quelque 3 000 noms, cela représente quarante ans de travail, ... c'est long !

M. Bernard Petit. - Parmi les noms figurant sur la liste HSBC, seule une partie des cas sont intéressants. Certaines personnes ont déjà « négocié », si j'ose dire, et en outre, toutes les situations ne relèvent pas d'une fraude avérée.

M. Philippe Dominati, président. - Actuellement, parvenez-vous à traiter l'ensemble des cas issus de la liste HSBC ? Y-a-t-il des stocks ?

M. Bernard Petit. - M. Parini vous expliquera cela beaucoup mieux que moi. L'une de nos revendications, c'est de nous voir confier d'autres dossiers, d'autres affaires pour aller de l'avant ! Dans la mesure où nous sommes tributaires de la saisine de la DGFiP,...

M. Jacques Chiron. - Exactement, on en revient là !

M. Bernard Petit. - Nous frappons à leur porte en les implorant de nous donner du boulot !

M. Philippe Dominati, président. - Il n'y a donc pas de stock.

Monsieur Petit, je vous remercie de cette intéressante audition.

Audition de MM. Philippe Parini, Directeur général des finances publiques chargé de la fiscalité, Jean-Marc Fenet, Directeur général adjoint des finances publiques chargé de la fiscalité et Jean-Louis Gautier, Conservateur général des hypothèques, ancien chef du service du contrôle fiscal de la direction générales des finances publiques

La commission procède à l'audition de MM. Philippe Parini, Directeur général des finances publiques, Jean-Marc Fenet, Directeur général adjoint des finances publiques chargé de la fiscalité et Jean-Louis Gautier, Conservateur des hypothèques, ancien chef du service du contrôle fiscal de la direction générales des finances publiques.

M. Philippe Dominati, président de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. - Mes chers collègues, nous allons procéder à l'audition de MM. Philippe Parini, directeur général des finances publiques, Jean-Marc Fenet, directeur général adjoint chargé de la fiscalité et Jean-Louis Gautier, conservateur des hypothèques, ancien chef du service du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques.

Messieurs, je vous rappelle que, conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment. Tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 et 434-15 du code pénal.

En conséquence, je vais vous demander de bien vouloir prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Pour ce faire, vous lèverez la main droite et direz : « Je le jure. »

(MM. Philippe Parini, Jean-Marc Fenet et Jean-Louis Gautier prêtent serment.)

M. Parini, je vous propose d'effectuer un exposé préliminaire avant de passer aux questions de M. le rapporteur, puis des autres membres de la commission d'enquête.

M. Philippe Parini, directeur général des finances publiques. - Mon propos liminaire sera bref puisque vous avez eu l'amabilité de nous communiquer des questions précises, auxquelles nous allons nous efforcer de répondre.

Je veux simplement faire des présentations plus complètes, car seuls deux noms ont été cités, outre le mien, alors que nous sommes venus à quatre. Cela vous permettra d'ailleurs de connaître l'organigramme de la direction générale des finances publiques, la DGFiP.

Je suis le directeur général des finances publiques ; à mes côtés se tiennent Jean-Marc Fenet, directeur général adjoint en charge des questions fiscales - pour faire court, disons qu'il dirige ce qui correspond à l'ancienne direction générale des impôts -, puis Jean-Louis Gautier, ancien responsable du contrôle fiscal, aujourd'hui conservateur des hypothèques, et Alexandre Gardette, son successeur à la tête du contrôle fiscal depuis une quinzaine de jours.

Nous vous répondrons donc à plusieurs voix.

À titre de préambule, j'aborderai de manière assez générale l'organisation de la DGFiP pour lutter contre la fraude fiscale internationale.

Administrativement, c'est le service du contrôle fiscal qui est en charge de ces affaires. Cette situation de service est assez récente : il y a encore quelques mois, c'était une simple sous-direction. À ma demande, le ministre a accepté de renforcer ses moyens et d'en faire un service à part entière.

Une telle organisation existe depuis de longues années : elle existait au sein de la direction générale des impôts ; elle a été conservée telle quelle, dans son organisation, ses prérogatives et ses modes de fonctionnement, lorsque la DGI et le Trésor public ont fusionné.

La fusion n'a donc pas eu d'incidence directe sur le fonctionnement du contrôle fiscal. Elle a eu des incidences indirectes, dont nous espérons des résultats, notamment une meilleure synergie entre le contrôle et le recouvrement, une même administration, en l'occurrence celle qui est dirigée par Jean-Marc Fenet, étant désormais en charge des deux missions. Mais, s'agissant de l'exercice proprement dit du contrôle fiscal, la continuité s'est imposée.

Il existe donc un service du contrôle fiscal au sein du pôle fiscal de la DGFiP, à Bercy. Ce dernier a des « bras » nationaux, régionaux, ou plutôt interrégionaux, et départementaux.

À l'échelon national, trois directions spécialisées ont été progressivement créées au cours des années : la première s'occupe des grandes entreprises, la deuxième des particuliers et la dernière du renseignement.

Notre organisation repose également sur dix directions du contrôle fiscal, les DIRCOFI, compétentes à l'échelon interrégional.

Enfin, nous disposons de directions départementales des finances publiques, autrefois dénommées directions des services fiscaux. Là encore, la fonction de contrôle fiscal est bien identifiée au sein de ces structures.

Comment se fait la répartition entre ces trois niveaux de compétence ? La politique générale est fixée par le service et présentée au ministre. Plusieurs de vos questions portant sur cette articulation, j'y reviendrai précisément plus tard. Les trois directions nationales sont composées de spécialistes extrêmement pointus, recrutés en fonction de profils très précis, qui sont compétents pour évoquer les dossiers soit particulièrement complexes, soit porteurs d'enjeux très importants, voire les deux.

Les directions interrégionales s'intéressent au « milieu du panier », c'est-à-dire les dossiers de montants financiers intermédiaires. Les directions départementales ont pour vocation d'assurer la couverture du territoire. Elles peuvent traiter de petits dossiers, mais elles ont surtout pour mission de s'assurer que l'égalité républicaine est respectée sur le territoire et que tout contribuable accomplit ses obligations en matière fiscale. Elles réalisent donc un certain nombre de contrôles.

Telle est l'organisation administrative de la lutte contre la fraude fiscale.

La politique du contrôle fiscal a été formalisée voilà une dizaine d'années. Je suis personnellement chargé d'en présenter chaque année les grandes orientations nationales, pour validation, au ministre du budget. Nos moyens n'étant pas illimités et les contrôles prenant du temps, nous devons en effet définir des priorités.

Nous poursuivons trois objectifs, lesquels sont ensuite déclinés de manière très précise. L'exercice du contrôle fiscal se fait à partir d'éléments objectifs, extrêmement professionnels, avec un reporting très précis de la part de ceux qui le mettent en oeuvre. Le déclenchement de contrôles fiscaux se fait, non pas de manière aléatoire, mais à partir d'axes de programmation soigneusement prédéfinis.

Les trois objectifs, qui mobilisent chacun, en gros, un tiers de nos moyens, et ne sont donc pas hiérarchisés, sont les suivants.

Tout d'abord, nous devons assurer la couverture républicaine du territoire, c'est-à-dire que nous devons être en mesure d'engager des contrôles fiscaux en tout point du territoire, quels que soient les types d'activités et de contribuables. Aucune profession n'est, en tant que telle, suivie ou stigmatisée, et nous devons intervenir dans tous les domaines, de sorte qu'aucun contribuable, personne physique ou personne morale, ne puisse penser qu'il est à l'abri d'un contrôle éventuel. Évidemment, comme le pays compte des dizaines de millions de foyers fiscaux et des millions d'entreprises, ce contrôle de proximité n'intervient pas à répétition chez le même contribuable.

Ensuite, le deuxième objectif, qui s'impose bien sûr aux trois échelons territoriaux, mais qui est surtout mis en oeuvre aux niveaux interrégional et national, est d'engager des opérations de contrôle sur des types de fraudes identifiés - en jargon administratif, nous parlons de secteurs « fraudogènes » -, car nous savons, même si nous nous gardons de toute stigmatisation, que certaines activités permettent plus facilement, par leur nature même, d'éluder l'impôt. Ce champ du contrôle vise aussi des fraudes dites complexes, par exemple la fraude à la TVA, qui emprunte des montages sophistiqués.

Cette deuxième rubrique englobe l'objet spécifique de votre commission d'enquête, monsieur le président, c'est-à-dire la fraude internationale, assimilée pour nous à une fraude complexe.

Enfin, le troisième objectif, est de suivre spécifiquement les contribuables, personnes physiques comme morales, à enjeux financiers importants. En effet, la pratique du contrôle fiscal doit aussi se traduire par des résultats tangibles en termes financiers. En 2010, nous avons ainsi pu récupérer 16 milliards d'euros de droits et pénalités.

Cette programmation annuelle a été formalisée, dans ses grands principes, voilà une dizaine d'années. Depuis que je suis directeur général, elle est discutée de manière extrêmement précise au sein de la direction ; nous disposons pour cela d'une batterie d'indicateurs. J'ai décidé de présenter systématiquement cette programmation au ministre - avant, c'était plus ou moins le cas -, car je considère qu'elle fait partie des orientations générales de la politique fiscale. Le Gouvernement peut ainsi décider d'ajouter une priorité nouvelle à ce que nous envisageons ! Elle est ensuite présentée, de manière détaillée, à tous les responsables interrégionaux et départementaux.

En outre, depuis quelques années, nous nous sommes collectivement efforcés à la fois de conserver et de renforcer le contrôle fiscal.

Le conserver suppose d'abord de garantir, tant qualitativement que quantitativement, une sorte de filière dédiée. Ainsi, alors même que la DGFiP faisait d'importants efforts de productivité, en vertu de la règle du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, les agents chargés des contrôles fiscaux approfondis n'ont pas été touchés par ces économies. Nous avons également veillé à ce que la qualité des formations ainsi que le niveau de recrutement soient préservés. Par exemple, un chef de brigade, responsable du contrôle fiscal local, doit être un inspecteur principal, c'est-à-dire un agent qui a subi une sélection extrêmement rigoureuse. Ces fonctionnaires font partie de nos meilleurs éléments et évoluent dans le cadre d'une filière bien précise.

Par ailleurs, nous avons demandé et obtenu des ministres successifs, tout particulièrement de M. Woerth, le renforcement de nos moyens juridiques. Pour lutter contre des fraudes complexes, très organisées, « volontaristes », il nous a fallu améliorer nos moyens juridiques d'investigation. Personnellement, j'ai le sentiment que la plupart des textes concernant les contrôles fiscaux de ces quinze ou vingt dernières années - je ne parle pas des cinq dernières années - ont eu surtout pour vocation de garantir les droits des contribuables, ce qui est très bien armé par les textes.

Il y a donc eu beaucoup de textes, et c'était bien parce que cela plaçait l'administration et le contribuable dans une situation d'égalité. Mais face à des personnes, éventuellement bien conseillées, qui sont décidées à frauder le fisc, nous avions besoin de moyens d'investigation supplémentaires. Nous commençons à les avoir - je pense notamment à la police fiscale. À mon sens, les voies de progrès pour l'avenir sont dans le renforcement de ces moyens, nous permettant de disposer des informations. En effet, la fraude fiscale, qu'elle se déroule uniquement en France ou qu'elle passe par l'étranger, ne prospère que grâce au secret, et le meilleur moyen de lutter contre la fraude est d'avoir de la transparence et de l'information. Il est donc indispensable pour nous de disposer des moyens d'information nous permettant de poser des questions et, le cas échéant, d'aller plus loin.

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. le rapporteur.

M. Éric Bocquet, rapporteur de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. - Je vais reprendre un certain nombre de questions, elles-mêmes subdivisées en sous-questions, que j'ai préalablement transmises à nos interlocuteurs.

Premièrement, quelle définition donneriez-vous de l'évasion fiscale internationale ? Il y a en effet matière à débat sur ce point et les acceptions peuvent varier. Les faits d'évasion fiscale internationale sont-ils répertoriés comme tels par votre direction et pour quelles utilisations ? Quelles évaluations en proposeriez-vous ?

Deuxièmement, monsieur le directeur, vous avez dit, dans votre propos introductif, que certaines activités permettaient d'éluder l'impôt. Pourriez-vous détailler lesquelles ?

Troisièmement, disposez-vous d'une « anatomie » de la fraude et de l'évasion fiscales internationales ? Quels en sont, à vos yeux, les principaux vecteurs ? Avez-vous nourri le fichier tenu par l'OCDE sur ce point ? L'utilisez-vous fréquemment dans votre travail d'investigation ?

Quatrièmement, il serait intéressant que vous donniez quelques éléments statistiques qui seraient utiles à l'information et à la réflexion de la commission d'enquête. À votre connaissance, combien y a-t-il d'exilés fiscaux français aujourd'hui ? Quels sont les flux et les stocks du capital ayant fui la France pour des raisons fiscales ? Sur quelles bases ?

Je voudrais également vous soumettre une série de questions sur la « liste des 3 000 », selon l'expression généralement utilisée.

Tout d'abord, pourriez-vous décrire le processus d'acquisition de cette liste ? Ensuite, la DGFiP a-t-elle été destinataire de tels fichiers dans le passé ? Plus généralement, la DGFiP tient-elle compte de signalements extérieurs ? Quelles actions l'administration fiscale a-t-elle entreprises à la suite de la réception de cette liste ? Quel bilan peut-on en tirer ? Quels sont les montants en jeu ? Le manque à gagner fiscal a-t-il été systématiquement évalué ? Quelles sommes ont été récupérées ou devraient l'être ? Un magistrat ayant indiqué dernièrement que cette liste comporterait non pas 3 000 mais 8 000 références, quelle est votre position sur le sujet ?

Ensuite, le taux de 8 %, selon l'estimation du Conseil des prélèvements obligatoires, concernant l'imposition des grandes entreprises, pour l'essentiel celles qui sont regroupées au sein de ce qu'on appelle le « CAC 40 », vous semble-t-il refléter la réalité ? Comment l'expliquez-vous ? Disposiez-vous de cette information avant sa divulgation, qui remonte à 2009 ? Les ministres du budget en ont-ils été saisis à l'époque ?

Par ailleurs, avez-vous organisé un suivi particulier des niches fiscales, lesquelles sont aussi des outils de l'évasion fiscale, ou du moins d'optimisation fiscale ? Dans quelles conditions les applications des dispositions relatives au bouclier fiscal, par exemple, ont-elles été systématiquement contrôlées ?

En outre, je souhaiterais que vous puissiez communiquer sur la cellule dite de « dégrisement ». Quels dispositifs fiscaux et comptables vous paraissent les plus en cause dans les pratiques fiscales internationales reprochables ?

Enfin, pourriez-vous indiquer le montant moyen des droits rappelés et des sanctions prononcées dans le cadre des contrôles fiscaux réalisés par la direction nationale de vérification des situations fiscales (DNVSF) au cours des dix dernières années, notamment ? Comment expliquer qu'alors que le délit général de fraude fiscale est sanctionné, au maximum, d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 37 500 euros, la durée médiane des peines d'emprisonnement prononcées soit de 6 mois environ et le montant de l'amende médiane de 5 000 euros seulement ?

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. - Je souhaiterais poser trois questions très précises.

Premièrement, comment se fait-il, alors que nous sommes le 27 mars 2012, que nous n'ayons toujours pas eu communication de l'annexe budgétaire créée par l'article 136 de la loi de finances pour 2011, annexe qui est censée faire le point sur le contrôle des filiales à l'étranger ? Au travers de ces renseignements sur le nombre de renseignements demandés et obtenus, nous serions en mesure d'avoir une meilleure appréciation de la question des prix de transfert. Faut-il voir un lien entre cette absence d'information du Parlement et le fait que la France n'ait pas encore publié la liste des territoires non coopératifs, bien qu'on nous annonce sans cesse que cette publication est imminente ? La Parlement avait pourtant évoqué ce sujet à l'occasion de la discussion de la convention fiscale avec le Panama.

Deuxièmement, êtes-vous en mesure de nous dire quel est le produit des sanctions fiscales résultant du contrôle automatique, à l'échange de renseignements automatique ? On ne le sait pas ! Or cela nous permettrait d'apprécier l'efficacité des mesures qui sont prises. Vous nous avez dit que beaucoup d'outils avaient été mis en place. Je rappelle qu'ici, en 2009, nous avons voté, majorité et opposition confondues, les dispositions que nous proposait le Gouvernement à cet égard dans un projet de loi de finances rectificative.

Troisièmement, je souhaite vous interroger au sujet de la déclaration commune qu'ont faite la France et d'autres pays concernant la réglementation américaine FATCA. Comment la condition de réciprocité est-elle envisagée en la matière ? Sous quelle forme les États-Unis ont-ils répondu ? Le sujet est d'importance pour concrétiser au niveau international les décisions prises au G20 de 2009 pour lutter contre l'évasion fiscale et les paradis fiscaux.

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. Jean-Marc Fenet.

M. Jean-Marc Fenet, directeur général adjoint des finances publiques. - Je commencerai en faisant masse des premières questions posées, qui tournaient autour de la définition de l'évasion fiscale internationale et de l'anatomie des différentes sortes de fraudes qui sont dans notre viseur.

Il n'y a pas de définition homologuée de ce qu'est l'évasion fiscale, que ce soit d'ailleurs au niveau national ou au niveau international. On peut la qualifier par opposition au civisme, cela va de soi, mais également en la distinguant de l'optimisation fiscale, qui est, si j'ose dire, le « bon côté du fleuve », l'évasion étant le mauvais côté. L'optimisation révèle en quelque sorte l'habileté du contribuable à gérer au mieux sa situation, mais toujours en conformité avec la législation en vigueur. De l'autre côté du fleuve, l'évasion fiscale suppose, elle, un certain degré d'occultation, de distorsion par rapport à la réalité, de sous-évaluation, bref, de malhonnêteté, pour prendre une formulation morale.

Bien évidemment, une fois posée cette définition, qui vaut au niveau tant international qu'au niveau national, il faut déterminer comment elle s'incarne dans les faits.

Pour ce qui est de la fraude internationale, il faut sans doute considérer différents segments : il y a « des » fraudes internationales, comme il y a du reste aussi, sans doute, « des » fraudes nationales.

S'agissant des entreprises, on peut distinguer plusieurs types de comportements frauduleux différents.

En premier lieu, sont concernés les impôts directs des grands groupes transnationaux : c'est toute la problématique des prix de transfert, qui permet en quelque sorte de déplacer du résultat fiscal en fonction des taux d'imposition touchant les différentes entités nationales, notamment par surévaluation ou sous-évaluation de facturations internes. J'ai la faiblesse de penser que nous avons une action extrêmement rigoureuse sur ce phénomène bien connu et répertorié.

Ces grands groupes sont également à l'origine d'un autre type de fraudes : il s'agit de montages, pouvant impliquer des paradis fiscaux, destinés à réduire le résultat imposable en France par le jeu de contrats juridiques ne correspondant pas toujours à la réalité des opérations économiques. Ainsi, la répartition des résultats ou des masses financière ne coïncide pas celle des activités opérationnelles.

Dans ces deux cas, nous disposons de l'arsenal juridique du code général des impôts, dont la mise en oeuvre est plus ou moins complexe. Nous avons surtout des équipes très compétentes, réunies dans la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) et les directions interrégionales, dans une moindre mesure. Ces équipes sont spécialisées par secteur d'activité : brigades « banques », brigades « grande distribution », etc. Elles peuvent en outre bénéficier, en tant que de besoin, du soutien d'équipes de spécialistes de la fiscalité internationale. Il s'agit d'une action qui est donc assez vigoureuse, notamment au niveau des prix de transfert. Dans ce domaine, comme dans tous les autres, aucun pays au monde ne peut avoir la prétention de combattre la fraude dans sa totalité, mais je crois que, à cet égard, la comparaison internationale est plutôt avantageuse pour la France.

Voilà pour le premier « paquet » concernant les entreprises.

Le deuxième paquet relatif à la fraude internationale concernant les entreprises porte sur la question de la domiciliation. Le recours à la fausse domiciliation est un phénomène bien connu pour les particuliers, mais il est aussi le fait de personnes morales. Des entreprises entretiennent l'apparence d'un établissement à l'étranger alors que, en réalité, elles réalisent la totalité de leurs opérations en France et devraient donc être assujetties en totalité à la fiscalité française. Notre action consiste alors en une « redomiciliation », de sorte que la loi fiscale française s'applique à leur encontre.

Le troisième paquet concernant les entreprises recouvre toute la fraude à la TVA, notamment au niveau européen, au travers du système dit du « carrousel ». Ce phénomène, qui tend à se développer, nous inquiète beaucoup parce que les enjeux financiers sont très importants. On est là à la frontière entre l'évasion fiscale et l'économie mafieuse : il ne s'agit plus vraiment de fraude en « col blanc ».

Il s'agit en outre d'une fraude extrêmement complexe. Jusqu'à ces dernières années, nous souffrions d'une certaine inégalité dans le combat que nous menions contre cette fraude. D'un côté, les fraudeurs étaient extrêmement mobiles entre les pays européens. De l'autre, les administrations nationales péchaient dans la communication d'informations. Les États n'étaient pas armés juridiquement pour contrer des sociétés taxis agissant entre plusieurs pays à la vitesse des clics. Cependant, il me semble qu'une partie de cet écart a été comblée depuis quelques années.

La fraude aux quotas carbone a également beaucoup défrayé la chronique, en France comme dans la plupart de ses grands voisins européens. À cet égard, je rappelle que notre pays a été le premier à mettre fin à cette fraude en changeant le régime fiscal de ces quotas, dès le milieu de l'année 2009, alors que l'Allemagne ne l'a fait qu'un an plus tard.

Nous avons tiré de cet épisode un certain nombre d'enseignements sur ces secteurs immatériels, qui sont plus compliqués à appréhender. Il ne vous a sans doute pas échappé que, à l'occasion du collectif budgétaire du mois de février 2012, ont été votées des dispositions de nature à empêcher le développement de fraudes carrousel à partir des quotas de gaz et d'électricité en Europe ou des minutes téléphoniques prépayées. Ces secteurs nous apparaissent en effet particulièrement « fraudogènes ». Il s'agit d'une action totalement préventive. En l'espèce, la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF), qui est un peu notre « tête chercheuse », notre service de renseignement, a joué tout son rôle de veille sur le développement de ces nouveaux secteurs.

S'agissant des particuliers, le phénomène est un peu mieux connu. Pour l'essentiel, on recense deux grandes sources de fraudes. La première est la fausse domiciliation, la seconde, le placement d'avoirs et d'actifs non déclarés à l'étranger, sujet sur lequel la DGFiP est très active depuis les années 2007-2008-2009. Nous avons véritablement commencé à nous emparer de ce sujet avec la transmission, par des administrations fiscales « soeurs », d'un premier fichier qui concernait le Liechtenstein. Puis est intervenue l'affaire du fichier HSBC. Entre-temps, l'OCDE a fait pression, il y a eu les paquets de mesures nationales que nous avons pu prendre dans ce domaine. Là, c'est notre direction spécialisée sur les grands comptes particuliers, la DNVSF, qui est en première ligne.

Je tiens à rappeler l'importance de l'information obtenue soit du contribuable, qui peut être désireux de régulariser sa situation, soit de l'assistance internationale, découlant des instruments juridiques internationaux. Ce n'est pas toujours simple ; il faut parfois aller chercher cette information « avec les dents ». Nous pouvons aussi constituer nos propres sources d'informations en créant des fichiers, tels que le fichier Évafisc, grâce à notre droit de communication que nous exerçons auprès des banques ou des opérateurs de cartes bancaires.

Enfin, madame Bricq, je n'avais pas l'impression que nous étions particulièrement en retard pour communiquer l'annexe budgétaire prévue à l'article 136 de la loi de finances pour 2011.

Mme Nicole Bricq. - Nous aurions dû l'avoir pour la discussion de la loi de finances pour 2012 !

M. Jean-Marc Fenet. - Je ne pense pas que nous soyons en retard par rapport à la pratique des années précédentes. Il y a toujours un petit décalage entre les dates prévues dans la loi pour la transmission d'un document et la possibilité de sa transmission effective. En l'espèce, nous venons juste d'achever les travaux nécessaires à la constitution de cette annexe. Sa communication au Parlement est donc imminente. Sachez toutefois que même nos ministres ne l'ont pas encore reçue.

Mme Nicole Bricq. - Alors...

M. Jean-Marc Fenet. - Par ailleurs, je tiens à vous dire que nous allons bien évidemment publier, pour la troisième année, la liste des pays non coopératifs, aujourd'hui au nombre de 18, si je ne m'abuse. Elle est censée prendre effet, de manière rétroactive, au 1er janvier de chaque année. Je n'ai pas le calendrier en tête, mais il me semble que, l'année dernière, nous l'avions publiée au cours du premier trimestre.

Mme Nicole Bricq. - Il vous reste donc trois jours !

M. Jean-Marc Fenet. - J'en viens au dispositif FATCA. Je rappelle qu'il s'agit de la législation adoptée par les États-Unis pour imposer aux institutions financières étrangères de leur communiquer systématiquement la situation financière des citoyens américains résidant à l'étranger. C'est un peu l'anti-Rubik.

La France, à l'instar d'autres pays européens, a accepté d'adapter sa législation pour répondre à cette nouvelle situation. Néanmoins, il est nécessaire de « mettre en musique » ce dispositif, qui n'est pas immédiatement opérationnel : il ne suffit pas d'appuyer sur un bouton. Il faut notamment adapter les applications informatiques, car nous ne pouvons pas sortir, tel quel, l'état des comptes des résidents américains sur le sol français. Mais nous nous sommes engagés à le faire et nous le ferons.

Mme Nicole Bricq. - Les États-Unis sont-ils d'accord pour appliquer le principe de réciprocité en la matière ?

M. Jean-Marc Fenet. - Oui, ils le sont.

M. Philippe Parini. - Je tiens à dire que nous avons été et demeurons très actifs au sein des instances de l'OCDE sur ces questions de lutte contre la fraude, contre les paradis fiscaux et le secret bancaire, qui est à la source de l'évasion fiscale, au moins individuelle. Nous avons trouvé des alliés pour faire des propositions. Tout cela a conduit l'OCDE à changer de braquet dans sa démarche. C'est, somme toute quelque chose d'assez récent. Nous sommes donc très actifs, très présents, et nous veillons à faire des propositions, en commençant par nous les appliquer à nous-mêmes, notamment au travers de conventions permettant la transmission d'informations.

Nous sommes donc partie prenante à l'action tout à fait remarquable que mène l'OCDE dans ce domaine.

M. Jean-Marc Fenet. - À titre d'illustration, je souhaite rappeler que fonctionne, au sein de l'OCDE, un groupe de travail sur les pratiques fiscales agressives, au sein duquel nous sommes très actifs.

Il existe également un Forum mondial des administrations fiscales, dont la DGFiP est vice-présidente, la présidence étant assurée par l'IRS américaine.

De plus, nous codirigeons, avec nos collègues américains, un réseau informel, comptant une quarantaine de pays, sur les placements offshore non déclarés.

M. Jean-Louis Gautier, conservateur des hypothèques, ancien responsable du contrôle fiscal à la DGFiP. - Je prends la suite sur les questions tournant autour de la « liste des 3 000 ».

Tout d'abord, je tiens à rappeler que cette liste n'a pas été achetée, comme on a pu parfois l'entendre dire. Au début de l'été 2009, elle nous a été transmise officiellement par le procureur de Nice, dans le cadre d'un droit de communication classique.

À partir de là, nous avons entrepris plusieurs démarches. La première tendait à la sécurisation de la détention de ces informations nominatives, notamment au regard de la réglementation relative aux fichiers de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). La première action fut donc de créer le fichier EVAFISC et d'obtenir le label CNIL pour y incorporer lesdites informations, que nous avons ensuite exploitées dans le cadre d'un travail en commun avec la justice.

Avant que le procureur nous communique ces listes dans le cadre du droit de communication, nous en avions également été destinataires, du fait de l'informateur, mais nous ne les avions en aucune façon exploitées. Seules les listes du procureur l'ont été.

Par le passé, nous avions déjà reçu, voilà trois ou quatre ans, la fameuse liste du Liechtenstein, dont vous avez peut-être entendu parler. Il s'agissait d'une liste de contribuables disposant de comptes dans des banques de paradis fiscaux. Elle nous avait été transmise, dans le cadre de l'assistance internationale, par l'Allemagne.

Pour autant que je me souvienne, au cours des vingt années précédentes, nous n'avions pas obtenu de telles listes d'informations.

Quand je parle d'exploitation de la liste, je veux dire qu'après avoir validé l'identité, le domicile et la situation des contribuables concernés, notre objectif est de déclencher des contrôles fiscaux approfondis. Nous avons entrepris de procéder ainsi pour l'ensemble des personnes figurant sur cette liste. Nous n'en avons pas encore terminé, car nous engageons des ESFP, lesquelles constituent l'arme lourde en matière de contrôle des particuliers et obéissent à de nombreuses règles procédurales. Il s'agit donc d'un processus très long.

Je vous confirme que nous exploitons les renseignements obtenus légalement, mais aussi à l'occasion de dénonciations, à condition que l'identité du dénonciateur soit connue. Nous n'acceptons en aucune manière les dénonciations anonymes.

M. Philippe Parini. - Et non vérifiées !

M. Jean-Louis Gautier. - Bien entendu, nous travaillons l'information, nous la vérifions, jusqu'à la faire nôtre. Le cas échéant, nous déclenchons des contrôles fiscaux sur ces bases.

Pour revenir à l'affaire HSBC, sachez que c'est la DNVSF, spécialisée sur les grands enjeux particuliers, qui a été chargée des contrôles. Elle a commencé par les 1 000 dossiers les plus importants. À ce jour, 500 ont été traités - les autres sont en voie de l'être -, portant sur plus de 700 millions d'euros de capitaux. Les impôts et pénalités déjà mis en recouvrement sont de l'ordre de 130 millions d'euros.

Nous avons pu constater que toutes les informations figurant sur cette liste, qui dataient des années 2006-2007, étaient exactes. À l'occasion de la plupart des contrôles engagés, les contribuables ont d'ailleurs, d'une façon ou d'une autre, entériné l'existence de ces comptes. Dans les quelques cas où ils ont été réticents, les dossiers ont fait l'objet de la nouvelle procédure d'enquête judiciaire fiscale, que nous mettons en oeuvre depuis environ deux ans, au motif que nous avions une présomption que des contribuables détenaient des comptes non déclarés à l'étranger. Sur la base de cette présomption, après avis de la commission des infractions fiscales, nous avons pu porter plainte au pénal et les dossiers font désormais l'objet d'enquêtes judiciaires menées par la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, crée à cette fin. Il y a environ soixante-dix dossiers qui suivent leur vie pénale, avant de revenir dans la sphère fiscale.

Vous nous avez également interrogés sur les chiffres de 8 000 et de 3 000 qui ont été cités à cette occasion. La liste contenait 8 000 occurrences bancaires, mais bien 3 000 contribuables identifiés. Une occurrence, c'est un compte.

M. Philippe Parini. - Un contribuable peut avoir plusieurs comptes.

M. Jean-Louis Gautier. - Le contribuable peut avoir un conjoint et un ménage constituant un foyer fiscal peut donc avoir plusieurs comptes. Le passage de 8 000 à 3 000 s'explique ainsi. Les contrôles portent évidemment sur les foyers fiscaux, sur la base de chacune de leurs occurrences.

M. Philippe Parini. - Je me permettrai d'apporter quelques éléments complémentaires sur ce point.

Il est tout à fait naturel que la représentation nationale souhaite avoir des explications précises sur les facteurs de déclenchement d'un contrôle fiscal.

La pratique conduite depuis plusieurs années a été clairement fixée par les ministres successifs. Elle est désormais écrite noir sur blanc dans une circulaire dite « Baroin », laquelle a rappelé deux grands principes.

En premier lieu, les informations que nous utilisons sont gratuites. Nous ne disposons donc pas de système de financement d'informateurs ou d'« aviseurs ». Par ailleurs, les sources d'informations ne peuvent pas être anonymes. Sinon, elles sont immédiatement abandonnées, selon des consignes déontologiques très strictes données à nos collaborateurs. Lorsqu'elles sont nominatives, nous vérifions évidemment les éléments d'identification de l'informateur.

En second lieu, le ministre s'est engagé par écrit à ne décider, arrêter ou suspendre aucun contrôle fiscal engagé en vertu des programmes dont je vous ai parlé tout à l'heure.

Je souhaite aussi revenir sur un point ayant fait l'objet de nombreux articles de presse, à savoir l'utilisation juridique de la liste des 3 000. À cet égard, je me dois d'insister sur le haut degré de professionnalisme dont doivent faire preuve les collaborateurs de la DGFiP sur ce type d'affaires.

Un fichier volé, fût-il transmis par un juge de la République, un procureur, nous demandant d'agir en vertu de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, ce qui est le cas en l'espèce, ne peut pas, à lui seul, servir à calculer un redressement fiscal. Nous l'avons fait dans un cas et la procédure a été annulée. Cette information ayant été dérobée, elle ne peut pas être vérifiée, sauf à ce que les contribuables la valident eux-mêmes. Or leur coopération n'est pas toujours évidente à obtenir. Je tiens donc à remercier la représentation parlementaire de nous avoir confié la police fiscale, car ils deviennent plus compréhensifs lorsqu'ils passent devant la police fiscale, sous le contrôle du juge.

Le fichier nous sert simplement à établir la présomption de fraude fiscale. Nous disons au contribuable : « Vous êtes présumé fraudeur. Alors, ou bien vous êtes coopératif et vous confirmez, ou bien vous ne l'êtes pas et on va continuer la discussion. » Mais nous ne pouvons pas, sur cette seule base, calculer des droits, parce que la source elle-même n'a pas une valeur juridique suffisante.

Dans un cas récent, dont la presse s'est plus fait l'écho que des 2 999 autres contrôles, qui portent tout de même sur des contribuables fortement présumés fraudeurs, nous nous sommes fait surprendre parce que nous avons procédé à une perquisition sur la seule foi du fichier, sans avoir mentionné la présomption ni d'autres éléments. La procédure a donc été annulée pour vice de forme.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Je souhaiterais obtenir quelques compléments. Vous avez évoqué des montages possibles dans les grands groupes transnationaux. Pourriez-vous illustrer cela d'un exemple probant ?

Par ailleurs, permettez-moi de revenir sur l'information selon laquelle le taux d'imposition des entreprises du CAC 40 serait en moyenne de 8 % : quel est votre point de vue sur cette affirmation ? Comment l'expliquez-vous ?

M. Jean-Louis Gautier. - Pour illustrer un type de montage, je peux citer une transformation juridique de l'organisation de l'activité, par exemple, d'une filiale française d'un groupe multinational. Cette filiale est ce que l'on appelle un entrepreneur de plein exercice, c'est-à-dire qu'elle dispose de tous les attributs de son activité, tels que les éléments d'actif incorporels, les usines, les employés, le fichier de vente, et elle est donc censée être soumise en France à l'impôt sur la réalité du bénéfice de plein exercice. Les dirigeants de ce groupe peuvent être tentés de procéder à ce que nous appelons du business restructuring, c'est-à-dire une transformation juridique des relations entre les différentes entités du groupe. La filiale française va alors disséminer, au moyen de contrats complexes, les attributs de son activité : les incorporels dans un pays à fiscalité intéressante pour les incorporels, les achats dans un autre avec le même souci, etc. Par exemple, plutôt que d'être producteur-vendeur, elle sera déclarée comme simple façonnier ou producteur classique. En clair, on assiste à des transformations juridiques entre personnes liées au sein d'un groupe de sorte que, alors même que la réalité semble ne pas avoir changé, le résultat attribué à l'entreprise française se trouve très fortement réduit. Au lieu d'avoir une marge classique dans le secteur, par exemple, de 25 %, la filiale, devenue producteur simple, déclarera comme résultat le prix de revient plus 2 % ou prix de vente moins 2 %. Une partie substantielle du bénéfice est donc transférée vers des entités se trouvant dans des pays à fiscalité privilégiée.

Nous rencontrons régulièrement et combattons ce type de pratiques en contestant soit les contrats, soit la réalité, ou les prix de transfert. Il faut malheureusement reconnaître que nos démarches sont plus ou moins couronnées de succès.

Voilà le genre de montages auxquels procèdent les groupes multinationaux et dont la conséquence est incontestablement un transfert les bénéfices dans des pays à fiscalité privilégiée.

M. Philippe Parini. - Force est de constater que, dans le cas de ces grands groupes, la frontière est ténue entre optimisation et évasion.

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Cette pratique s'appelle le supply chain : les entreprises multinationales, telles que Colgate, se mettent en situation de pouvoir produire au moyen d'un contrat de façonnage couplé à un contrat de redevance au bénéfice de l'entreprise effectivement productrice.

Ne pourrait-on, d'un point de vue juridique, rendre obligatoire la validation du contrat de redevance par les services fiscaux français ?

J'ai cru comprendre que certains pays étrangers avaient mis en place un système d'analyse systématique des contrats de redevance, leur permettant de limiter l'évasion fiscale, à défaut de pouvoir la supprimer totalement.

Voyez-vous, de votre côté, des changements juridiques de nature à permettre de qualifier certains contrats de redevance d'abusifs lorsqu'ils sont de nature à opérer de manière exagérée le prélèvement de la richesse produite par un territoire au profit de la holding ? Que penseriez-vous d'imposer l'information, voire l'accord préalable des salariés pour procéder à ce type de montage ? En effet, il apparaît qu'une telle pratique constitue un outil très commode de pré-délocalisation puisqu'il est possible, selon le contrat de redevance, de mettre artificiellement en déficit des sites que l'on veut fermer à terme.

M. Jean-Louis Gautier. - Notre approche, à la DGFiP, consiste à tirer les conséquences fiscales de la réalité des faits et des organisations qui sont en face de nous. Les entreprises font leurs choix stratégiques et s'organisent comme elles l'entendent ; encore faut-il que la réalité quotidienne corresponde bien à ces options. Nous disposons de tous les outils juridiques pour « redresser » ce qui est abusif, mais il est très difficile de faire la part des choses entre l'optimisation et la volonté de frauder.

Mme Nicole Bricq. - Ce sont des criminels sans criminalité !

M. Jean-Louis Gautier. - Faut-il passer à un système d'autorisation préalable ? Il s'agit d'un choix éminemment politique. Pour notre part, nous n'avons jamais soutenu cette approche.

M. Philippe Dominati, président. - Cela existe-t-il dans d'autres pays européens ?

M. Jean-Louis Gautier. - À ma connaissance, il existe dans certains pays, notamment anglo-saxons, l'obligation de déclarer préalablement à l'administration fiscale les montages d'optimisation effectués par les entreprises ou les particuliers. Mais le contribuable reste libre de faire ce qu'il a envie de faire. Il s'agit juste d'une information.

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Oui, c'est cela. J'ai eu connaissance d'un cas où, pour un même groupe transnational, s'agissant d'un contrat que j'appelle « de façonnage », l'imposition qu'ont obtenue les Allemands est bien supérieure à l'imposition réelle en France. La procédure de déclaration préalable, ajoutée au système de cogestion allemand, lequel doit jouer un peu dans les rapports de force déterminant la répartition des richesses produites, conduit à un impôt plus important en Allemagne qu'en France pour des activités comparables.

Les organisations syndicales françaises considèrent donc que nous pourrions instaurer un système de déclaration préalable avant de passer, peut-être, un jour, au régime de l'autorisation.

Vous nous dites, à nous législateur, qu'il existe une zone grise entre optimisation et évasion. Mais cette zone dépend bien évidemment du curseur législatif. Or il est d'intérêt national d'éviter que trop de richesses produites chez nous soient peu fiscalisées chez nous. Ne pensez-vous pas qu'un léger durcissement législatif serait de nature à améliorer le rendement fiscal, sans remettre en cause les activités économiques ?

M. Philippe Parini. - Madame la sénatrice, l'exemple que vous avez cité prouve que vous connaissez parfaitement le dossier.

Ce que j'appelle la délocalisation de bénéfices - une formulation peu conforme à l'orthodoxie du droit fiscal, mais qui me paraît bien refléter la réalité - est intrinsèquement un sujet très compliqué. Il n'y a pas de solution miracle, d'autant qu'il s'agit d'un « jeu à somme nulle » : ce qui se retrouve dans un pays manque à un autre !

On ne parle pas ici du Panama, mais de pays voisins.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - La Suisse !

M. Philippe Parini. - On peut citer d'autres exemples.

Nous ne sommes pas à l'origine de la législation, mais nous sommes chargés de l'appliquer. Nous exécutons ex post, en contrôlant. Ce faisant, nous avons à démêler un écheveau.

Je ne sais pas s'il faut une autorisation préalable. Néanmoins, je suis convaincu que tout ce qui favorise la transparence fait non seulement gagner du temps, mais entraîne aussi une forme d'autolimitation ou d'autorégulation chez les contribuables. La transmission en amont d'une documentation extrêmement précise sur les motivations et justifications de l'auteur du montage - consistant en une certaine définition juridique de la répartition des activités avec des conséquences fiscales - faciliterait incontestablement le travail des services fiscaux - en l'occurrence, les directions nationales - et aiderait donc à limiter l'évasion, à défaut de l'éradiquer totalement.

M. Jean-Marc Fenet. - Un premier pas a été fait dans ce sens à l'occasion d'un des collectifs budgétaires votés l'an dernier, lequel a imposé une obligation de documentation sur les prix de transfert pour les grandes entreprises réalisant plus de 400 millions d'euros de chiffre d'affaires. Cette mesure, qui existait dans d'autres pays, n'est pas la panacée, mais elle n'en constitue pas moins une première étape que nous appelions de nos voeux depuis longtemps.

M. François Pillet. - Qu'est-ce qui justifie, selon vous, dans un État de droit, le monopole attribué à l'administration fiscale pour apprécier l'opportunité des poursuites pénales ?

M. Jean-Louis Gautier. - D'une part, c'est la loi qui le dit !

La raison d'une telle organisation est ancienne : le délit fiscal étant d'une nature particulière et le calcul de l'impôt résultant de la mise en oeuvre de règles complexes, il a été considéré, de façon pertinente, me semble-t-il, que, avant de porter plainte au pénal pour un délit de fraude fiscale, il fallait être sûr que le délit était bien constitué, sur le plan intentionnel - y a-t-il eu intention de frauder ? - et sur le plan matériel - l'impôt a-t-il été éludé ? C'est la raison pour laquelle, depuis au moins trente ans, la DGFiP, par délégation du ministre du budget, saisit la commission des infractions fiscales, qui est un filtre supplémentaire, avant que le dépôt de plainte, acte grave s'il en est, ne puisse intervenir. Telle est la spécificité du délit de fraude fiscale de droit commun. En revanche, s'agissant de l'escroquerie fiscale, sur la TVA par exemple, le procureur récupère ses prérogatives et peut s'auto-saisir.

M. François Pillet. - Néanmoins, en ce qui concerne la répression de la fraude fiscale, le tribunal correctionnel ne décide pas du redressement : il vérifie l'intention frauduleuse et le fait que la fraude porte sur plus d'une certaine somme déterminée par la loi.

On pourrait donc parfaitement comprendre que le procureur de la République ait aussi la possibilité de poursuivre lorsque, à l'occasion d'une infraction, l'instruction révèle une fraude fiscale.

M. Jean-Louis Gautier. - Nous évoquions tout à l'heure la liste dite HSBC. Cette dernière faisait apparaître, en face d'un nom, des actifs dissimulés à l'étranger. Cela ne veut pas dire que de l'impôt a été éludé. D'ailleurs, certains contrôles que nous avons faits n'ont conduit à aucun redressement, quand bien même des actifs étaient détenus à l'étranger, parce que le contribuable n'arrivait pas au seuil de déclenchement de l'impôt de solidarité la fortune (ISF) ou parce que les revenus n'étaient pas susceptibles d'être imposés. Il faut bien passer du constat d'une situation que l'on peut imaginer comme enfreignant la loi à la validation du fait qu'un manquement fiscal effectif existe bien. Le calcul, à la fois sur le plan juridique et sur le plan strictement mathématique, est en général tellement compliqué, sans même parler du business restructuring, que le législateur a pensé qu'il fallait faire valider le redressement fiscal par l'administration avant d'entrer dans la sphère pénale.

M. François Pillet - Je souhaiterais également vous interroger sur les efforts que le législateur national pourrait faire pour aider l'administration fiscale. Compte tenu de ce qu'est l'« aire de jeu » globalisée, si j'ose dire, une législation purement nationale a-t-elle quelque chance d'avoir des effets ? Une législation au minimum européenne n'est-elle pas indispensable ?

M. Jean-Louis Gautier. - En ce qui concerne la TVA, nous sommes en présence d'un impôt complètement harmonisé au niveau communautaire.

On peut mener des réflexions bilatérales sur l'impôt sur les sociétés, mais, effectivement, l'aire de jeu est vaste !

M. Jean-Marc Fenet. - Sur un plan fiscal européen, la TVA est bien un impôt communautaire. Voilà une dizaine d'années, des avancées ont eu lieu sur les produits de l'épargne avec la directive Épargne, laquelle a mis en place un processus d'échange automatique d'informations entre les pays de l'Union...

Mme Nicole Bricq. - Il y a deux exceptions notables !

M. Jean-Marc Fenet. - Oui, le Luxembourg et l'Autriche.

Force est de constater que la situation a peu bougé depuis. En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, sans même parler d'une harmonisation des taux, la simple entente sur une définition commune de la base se fait attendre depuis une quinzaine d'années.

M. Jean-Louis Gautier. - En tout cas, s'agissant du contrôle fiscal, la législation applicable est très importante, mais nous ne pouvons pas attendre la législation idéale. Nous devons faire avec ce que nous avons, c'est-à-dire utiliser la législation nationale et tous les moyens d'action possibles pour aller chercher l'information.

M. Jean-Marc Fenet. - Nous nous efforçons de développer, sur un mode soit bilatéral, soit plus global, dans le cadre de l'OCDE, une véritable coopération des administrations fiscales entre elles. C'est beaucoup plus vrai aujourd'hui qu'il y a cinq ou six ans. Même si nous ne pouvons pas encore véritablement parler d'un Interpol fiscal, nous nous en approchons.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Je reprends ma question qui portait sur votre connaissance précise du nombre d'exilés fiscaux français et sur l'évaluation des flux et stocks de capitaux qui ont fui notre pays pour des raisons fiscales.

Par ailleurs, je souhaite revenir sur l'imposition des grandes sociétés. À cet égard, mes chers collègues, je vous rappelle le témoignage de M. Xavier Harel, ancien journaliste de La Tribune, que nous avons eu l'occasion d'auditionner. Il nous a affirmé avoir attiré l'attention de Mme Lagarde, alors ministre de l'économie, sur cette situation paradoxale qui voit les entreprises du CAC 40 payer 8 % d'impôt quand les plus petites sont soumises à un taux de 33%. Celle-ci lui aurait alors répondu - j'insiste bien sur le conditionnel et peut-être le démentirez-vous - : « Que voulez-vous, ils sont bien conseillés ! » Si elle est avérée, cette remarque pose question, s'agissant d'un ministre en charge des deniers de la République. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, je voudrais savoir si vous avez mis en place un dispositif particulier de suivi des très nombreuses niches fiscales, à l'origine d'un manque à gagner important pour l'État.

M. Jean-Marc Fenet. - Nous sommes à l'origine du chiffre, fourni chaque année au Parlement, qui recense les exilés fiscaux, sur le retour ou le départ.

Nous nous abritons toujours derrière les plus grandes précautions méthodologiques, mais, comme souvent, une fois que le chiffre est sorti, le débat public s'emballe, faisant bien souvent oublier toutes ces précautions.

Mme Nicole Bricq. - L'an dernier, nous ne l'avons pas eu.

M. Jean-Marc Fenet. - Si, nous l'avons bien transmis au Parlement.

Il est très compliqué pour nous de nous prononcer sur cette notion d'exilés fiscaux parce que nous ne pouvons que constater ex post un certain nombre d'éléments et, pour des raisons que je vais vous exposer, nous n'en prenons connaissance que dans l'année n+2. Autrement dit, le chiffre qui a été rendu public l'année dernière était celui qui concernait 2009, et le chiffre que nous rendrons public dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois sera celui de 2010.

Pourquoi ? D'une part, le droit de circuler étant une liberté fondamentale : il n'est pas interdit de quitter le territoire français. D'autre part, quiconque souhaite le faire n'a pas à venir se déclarer préalablement aux services fiscaux.

Bien sûr, nous n'avons pas à interroger les gens sur les motifs de leur départ. Dès lors, pour caractériser une personne qui partirait pour des motifs fiscaux, nous avons choisi la définition suivante : il s'agit d'un contribuable, assujetti à l'ISF en tant que résident français en année n, qui décide de quitter le territoire en année n+1. Il est, si j'ose dire, présumé exilé fiscal, mais peut-être est-il expatrié, par exemple parce que son entreprise l'envoie en Arabie Saoudite. Nous n'en savons rien ! Néanmoins, nous faisons le pari que, compte tenu de son âge, par exemple, tel assujetti à l'ISF a plus le profil d'un exilé fiscal que d'un cadre expatrié.

Toutes ces précautions expliquent ces deux ans de décalage, puisqu'il faut pouvoir exploiter les déclarations d'ISF de l'année précédente, qui rendent compte de la situation de l'année d'avant. Cette profondeur de champ est malheureusement inévitable.

En fonction de notre définition, avec toutes les précautions d'usage, nous avons pu établir l'an passé que, en 2009, il y avait eu 809 sorties du territoire et 343 retours.

Nous rendrons bientôt publics les chiffres pour 2010, mais il ne vous a pas échappé que les déclarations ISF ont basculé du mois de juin à la fin du mois de septembre, ce qui rallonge nos délais d'exploitation.

J'insiste aussi sur le fait que ces chiffres seront probablement un peu biaisés cette année par la hausse du seuil d'entrée à l'ISF de 800 000 euros à 1,3 million d'euros. Je ne sais pas ce que donneront ces chiffres, mais je pense qu'un certain nombre de contribuables sortis du champ de l'ISF passeront sous notre « radar ».

M. Philippe Parini. - Je voudrais revenir sur ce point très important pour nous. Nous sommes également sensibles au débat public. Il est normal que ce seul chiffre que nous donnons suscite des questions et des débats. Mais il est nécessairement partiel, comme l'a indiqué Jean-Marc Fenet.

En effet, il n'y a pas en France de dispositif imposant à une personne de donner les raisons pour lesquelles elle souhaite quitter le territoire. On recense environ 2 millions de Français qui sont résidents à l'étranger. L'immense majorité est partie pour travailler, mais, en l'absence de régime déclaratif, il n'est pas évident de donner des estimations précises. L'administration fiscale a donc fait ce qu'elle pouvait pour répondre à une question posée par le pouvoir politique et l'opinion publique en élaborant ce présupposé à partir de l'ISF. Mais ce chiffre est très subjectif puisqu'il présuppose que l'on ne part que pour échapper à l'ISF, ce qui n'est pas avéré de manière absolue.

Cet élément, que nous donnons chaque année, suscite naturellement toujours autant de commentaires. Mais puisque l'occasion nous est donnée de nous exprimer, je tiens à préciser qu'il faut le prendre pour ce qu'il est, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une évaluation partielle, et non d'une vérité scientifique.

Mme Nicole Bricq. - S'agissant des personnes physiques, vous avez à votre disposition un élément tangible : la notion de résident fiscal.

Vous savez bien que la règle des 180 jours pose un vrai problème, car beaucoup de personnes ne la respectent pas. Or la durée de résidence est essentielle.

M. Jean-Marc Fenet. - Il faut savoir que nous utilisons un faisceau de critères pour prouver la domiciliation effective.

On se polarise toujours sur le nombre de jours, mais ce n'est qu'un critère parmi d'autres.

M. Jean-Louis Gautier. - Le critère principal est quand même le lieu de résidence du foyer, c'est-à-dire le « nid familial ».

M. Louis Duvernois. - Monsieur le directeur général, ce que vous venez de dire est très juste et j'abonde dans votre sens.

Nos compatriotes expatriés sont effectivement près de 2,5 millions, parmi lesquels 2 millions de contribuables non-résidents fiscaux en France. Ceux-ci sont protégés par les conventions fiscales bilatérales, bientôt au nombre de 135 avec celle qui est en cours de négociation avec l'Andorre.

Dans l'état actuel des choses, et peut-être que la campagne électorale actuelle y contribue, le débat public donne lieu à l'emploi de termes qui ne sont pas toujours perçus pour ce qu'ils veulent véritablement dire.

À la lumière des auditions que nous avons déjà effectuées, nous pouvons considérer que seulement 0,1 % de ces 2 millions de personnes sont véritablement des évadés fiscaux. Mais, là encore, il n'y a pas de preuve arithmétique. Il n'en demeure pas moins que l'immense majorité des expatriés sont souvent présentés, au travers de la presse, comme étant potentiellement des évadés fiscaux. Or, entre expatrié et évadé fiscal, il y a une nuance de taille ! L'un est honnête, l'autre est malhonnête !

Dans le prolongement du débat actuel, le problème de la fiscalité pour les Français établis hors de France, communauté en croissance, va aller en s'aggravant si nous ne trouvons pas des solutions justes pour que la majorité d'entre eux soient protégés par les conventions fiscales. Par ailleurs, il faut savoir qu'une partie des expatriés fait de toute façon une déclaration au centre des impôts des non-résidents, à Noisy-le-Grand.

Une fois pour toutes, il faut rappeler que la grande majorité des Français qui s'expatrient ne sont pas des évadés fiscaux. Or ils sont très inquiets de l'introduction de la nationalité dans le calcul de l'impôt. Pourtant, le lieu de résidence est, à l'heure actuelle, la pierre angulaire des conventions fiscales que nous signons. La notion qui y prime n'est pas celle de la nationalité, mais celle de l'imposition des revenus là où l'on réside.

J'ajouterai que, outre la règle des 180 jours, l'inscription sur les registres des postes consulaires à l'étranger est un bon moyen de preuve de la résidence effective dans un pays. En effet, nos concitoyens ne sont pas inscrits s'ils n'ont pas l'autorisation de séjour du pays dans lequel ils déclarent vivre et travailler.

Monsieur le directeur général, je pense qu'il faudra se pencher très sérieusement sur ce sujet à l'avenir.

Mme Corinne Bouchoux. - Avant de poser ma question, je voudrais vous faire part d'un regret, qui n'engage que moi. J'espère donc que personne n'en prendra ombrage.

Le fait qu'il y ait au moins huit personnes pour cette audition m'embarrasse quelque peu. L'habitude que nous avons à la commission des Lois de n'auditionner qu'une ou, au maximum, deux personnes me paraît préférable sur le plan humain, mais aussi au regard de la dynamique du débat.

Monsieur le directeur général des finances publiques, à partir de quel moment une fraude ou une évasion fiscale importante vous est-elle signalée ? Quel est le seuil à partir duquel vos collaborateurs vous alertent sur un dossier ? Cela dépend-il du montant, du type d'entreprise, de l'identité des personnes ?

M. Philippe Parini. - Aucune affaire ne remonte directement à moi. J'ai sous ma direction une administration qui comprend plus de 12 000 personnes faisant du contrôle fiscal, dont 5 000 qui font du contrôle fiscal approfondi, avec une organisation nationale, interrégionale et départementale. Les niveaux de compétence sont essentiellement financiers.

Lorsque la fraude est détectée, elle est attribuée à un échelon territorial en fonction de sa nature et de son montant financier.

Certains dossiers sont, par construction, traités au niveau national ; la liste des 3 000 par exemple, qui était un dossier assez compliqué. Il en va de même pour les grandes entreprises.

Pour ma part, je ne vois pas passer de dossiers individuels. Je valide, avec mes collaborateurs, le programme de contrôle, ses critères, mais le système de gestion du contrôle fiscal est très décentralisé. Néanmoins, le principe est que le contrôle ne relève jamais d'un seul agent. En clair, le contrôleur du fisc fait sa vérification, selon une procédure précise, puis il rend compte de ses premières constatations à son supérieur hiérarchique, lequel va évaluer le dossier, de sorte que le contribuable n'est jamais face à un seul fonctionnaire, avec qui les choses pourraient d'ailleurs ne pas se passer au mieux. Ensuite, la procédure comprend plusieurs types de recours possibles. S'il y a des dossiers délicats, qui ont déjà été examinés par ces structures, la hiérarchie peut être amenée à en discuter.

M. Francis Delattre. - Monsieur le directeur général, vous avez parlé de l'OCDE, dont nous avons reçu des représentants à l'occasion d'une audition très intéressante.

Ils nous ont expliqué qu'aujourd'hui une quarantaine de pays avaient signé un accord de réciprocité. Avez-vous les moyens de les exploiter de façon pertinente ? Il doit être assez intéressant de se pencher sur la situation exacte des citoyens français résidant aux Îles Caïmans. Ce système est-il véritablement opérationnel ? À mon sens, l'OCDE est probablement l'instance idoine pour régler ce problème à l'échelle mondiale.

Nous savons qu'il y a deux grands systèmes pour traiter le phénomène de l'évasion fiscale. Pour schématiser, le système américain calcule en gros la différence entre ce que le contribuable devrait régler et ce qu'il a payé réellement, puis fait payer la différence au pays d'accueil. Que pensez-vous de ce système ? Ne devra-t-il pas se substituer progressivement aux conventions bilatérales, dans le cadre de l'OCDE, au travers des accords de réciprocité conclus sous l'égide de cette organisation ? Les conventions bilatérales, très diverses, apparaissent en effet très difficiles à gérer au quotidien.

De plus, je souhaiterais avoir des précisions sur la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, aussi appelée police fiscale, créée voilà dix-huit mois. Son responsable, Bernard Petit, nous a expliqué qu'elle n'avait que 80 dossiers en instance, sur 3 000 dossiers complexes. Il nous a donné l'impression de souhaiter un élargissement de ses compétences. Nous savons qu'il y a un certain contentieux entre la direction générale de la police nationale et vous-mêmes sur les questions de qualification et de répartition des compétences, mais il me semble important que vous vous coordonniez pour rechercher l'efficacité maximale, de plus en plus de dossiers fiscaux étant incontestablement liés à des dossiers pénaux. Ces derniers sont d'ailleurs souvent l'occasion de révéler les premiers.

Je terminerai mon propos en évoquant les groupements d'intervention régionaux, les GIR, auxquels je tiens beaucoup, car je suis élu dans un secteur où nous avons beaucoup misé sur leur action pour lutter contre l'économie souterraine. J'ai eu l'occasion de rencontrer des responsables nationaux pour leur dire que ce phénomène est un véritable cancer dans nos quartiers. Il ne faut pas le sous-estimer. Or le fait qu'il n'y ait qu'une quarantaine d'inspecteurs des impôts dans les GIR est révélateur d'une certaine méconnaissance de son ampleur. Ce sont non pas les petits revendeurs qui nous intéressent le plus, mais ceux qui bénéficient réellement de tout ce système très envahissant. Nous devons pouvoir les identifier au travers d'enquêtes fiscales poussées.

M. Philippe Parini. - À partir du moment où existe la notion de résident fiscal, la vérification de la résidence est un élément déterminant. Nous sommes conscients du fait qu'il nous faudra être encore plus vigilants sur la réalité de la domiciliation à l'étranger.

S'agissant de la police fiscale et des GIR, je tiens à dire que nous avons accepté de participer à toutes ces opérations. Nous ne sommes pas dans une tour d'ivoire, comme le reproche en a parfois été fait dans le passé.

Nous étions précisément à l'origine de la demande de création de la police fiscale. À ce sujet, l'entente avec le ministère de l'intérieur est excellente puisque nous avons même accepté que cette nouvelle structure soit commune : le patron vient de la police, son adjoint de l'administration fiscale, etc.... Ce service comprend une vingtaine de personnes. Elle a été créée officiellement voilà deux ans, mais la procédure d'acquisition de la qualité d'officier de police judiciaire prenant neuf mois, le service ne fonctionne réellement que depuis une petite année. Nous en sommes donc au tout début.

Nous voulions d'abord voir ce qu'une telle structure était susceptible de nous apporter, mais, surtout, ce que les magistrats en feraient. Si ces derniers ne font pas appel à la police fiscale, à mon sens, ce serait regrettable. Pour l'instant, nous ne leur avons confié qu'une vingtaine de dossiers, particulièrement intéressants. Nous ne leur avons pas transmis tous les dossiers HSBC, seulement les plus compliqués à démêler, ceux qui impliquent des fraudeurs patentés, les mieux conseillés, les plus récalcitrants, qui nécessitent donc un bras armé puissant. D'autres dossiers ne proviennent pas de la liste HSBC.

Nous avons souhaité donner des dossiers importants pour véritablement installer cette police fiscale dans le paysage judiciaire. De ce point de vue, nous ne sommes pas déçus, et, s'il faut renforcer leurs moyens, j'y suis tout à fait favorable. Nous devons juste nous coordonner avec le ministère de l'intérieur pour que la parité soit respectée. Je le répète, cet outil est très important pour nous. Il en sera fait le meilleur usage, en coopération harmonieuse avec la police judiciaire.

Je tiens néanmoins à rappeler que la police fiscale se distingue des GIR. Nous sommes d'accord pour travailler avec ces derniers - une quarantaine de nos agents y sont actuellement détachés -, mais en complément, pour leur apporter de l'information. Pour ma part, je ne me suis jamais opposé aux demandes de renfort des GIR dans certaines régions.

Nous avons également fourni une cinquantaine d'agents supplémentaires dans l'opération « banlieues », distincte de l'activité des GIR. Dans certains quartiers, définis comme délicats par le ministère de l'intérieur, nous avons des agents travaillant avec les policiers pour traiter l'aspect financier et fiscal de cette délinquance.

Nous fournissons donc une cinquantaine d'agents dans les banlieues, une quarantaine pour les GIR et une douzaine pour la police fiscale. Si les résultats suivent, nous sommes collectivement prêts à faire un effort supplémentaire.

M. Jean-Marc Fenet. - Incontestablement, l'action de l'OCDE a marqué un grand progrès, avec néanmoins certaines limites. Les anciens paradis fiscaux ont été incités à signer des conventions ou des accords reprenant les termes de la convention type de l'OCDE, qui prévoit que le secret bancaire ne peut plus être opposé. Ce n'est pas la panacée, un certain nombre de bornes étant posées. Notamment, les questions doivent être non pas collectives, ce que l'on appelle le fishing, mais individuelles.

Mais s'il subsiste encore des problèmes d'interprétation, il n'empêche que la situation s'est améliorée par rapport à une époque où l'on nous opposait systématiquement le secret bancaire pour ne pas répondre à nos questions.

La France a signé 36 conventions, dont 27 sont aujourd'hui en application. De notre point de vue de praticiens, nous sommes aujourd'hui dans la deuxième phase, c'est-à-dire que nous vérifions que les pays signataires respectent bien leurs engagements. Notre travail intervient donc après la négociation effectuée par nos collègues de la direction de la législation fiscale, la DLF, si vous me permettez ce raccourci.

Depuis le 1er janvier 2011, première période d'application de ces nouvelles conventions, nous avons posé environ 300 questions à ces États. Je dois dire au passage que la France est le pays de l'OCDE qui a posé le plus de questions. Avec certains pays, la situation n'est pas satisfaisante, ainsi que l'a rapporté publiquement notre ministre. Dans ces cas-là, nous en discutons avec eux, mais certains de nos interlocuteurs ont parfois une conception un peu trop large de la notion de fishing.

Nous avons néanmoins un moyen de pression, dont les représentants de l'OCDE ont dû vous parler. Dans le cadre de cette organisation, les pays doivent passer devant un comité des pairs pour être jugés. Dans la première phase, il leur est demandé s'ils ont bien mis à jour leur législation. C'est le cas d'à peu près tous les États. Dans la deuxième phase, la plus importante, il est vérifié que les mécanismes sont véritablement effectifs. Cette étape est encore devant nous. Les tests que nous pratiquons sur certains États sont évidemment très importants pour valider leur passage d'une phase à l'autre. Je pense en particulier à certains pays voisins de la France.

M. Philippe Parini. - Madame Bricq, à titre de commentaire personnel, je dirais que nous avons tout de même eu de bonnes surprises concernant certains pays avec lesquels nous n'avions aucune relation. Je ne peux donc même pas dire s'ils étaient coopératifs ou pas. Sur certains dossiers, peu nombreux certes, mais qui ont parfois fait l'actualité, nous avons eu des réponses précises, qui nous ont bien aidés. Soyons francs, le système s'est enclenché.

En revanche, nous avons toujours des difficultés avec la Suisse. Jean-Marc Fenet l'a dit avec beaucoup de diplomatie, d'autant qu'il en revient. Incontestablement, depuis le début, l'interprétation de nos amis suisses est restrictive, notamment sur le caractère individuel des questions. Et même dans ce cas, nous devons leur fournir des éléments tellement précis, que nous pouvons alors considérer, avec un regard de Sirius, que nous en savons déjà assez et que nous n'avons plus besoin d'entreprendre la démarche. Les autorités suisses ont une approche différente non seulement de la nôtre, mais également de celle d'autres pays.

Mme Pécresse s'est exprimée très fermement sur le sujet. Mais il ne faudrait pas non plus que ce qui se passe avec la Suisse masque le fait que d'autres États ont joué le jeu. Nous devons maintenir une pression collective, en nous appuyant sur les instances internationales.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je voudrais savoir si vous ne pensez pas qu'il serait opportun de créer, au sein de vos services, une brigade spécialisée sur les prix de transfert, pourvue de moyens suffisamment importants. L'encadrement de ces mécanismes est en effet un des enjeux fiscaux les plus lourds et il est indispensable que les fonctionnaires chargés de contrôler ces procédés acquièrent une grande technicité.

Par ailleurs, je souhaite aborder la question des peines. On entend beaucoup, dans les discours, qu'il faut aggraver les peines pour dissuader les délinquants. Or j'observe que, s'agissant des fraudes fiscales, les peines ont plutôt eu tendance à diminuer et que certains mécanismes ont rendu les condamnations plus difficiles.

Que pensez-vous de la prescription de la fraude fiscale à quinze ans ? Ne serait-il pas opportun d'allonger ce délai ? Que pensez-vous des pénalités pour abus de droit, aujourd'hui fixées à 80 % ? Ne serait-il pas nécessaire de les augmenter fortement ? Ne pourrions-nous pas élargir la sanction à ceux qui ont aidé les contribuables à organiser le montage permettant d'échapper à l'impôt, ce qui serait de nature à conduire à de meilleurs comportements ?

Enfin, comment analysez-vous le fait que, récemment, de manière séparée, en dépit des démarches collectives engagées au niveau européen, la Grande-Bretagne et l'Allemagne aient signé avec la Suisse un accord sur les paradis fiscaux ? Comment expliquez-vous le relatif isolement de la France à cet égard ? Faut-il y voir le signe d'une rigueur renforcée de la part de notre pays ?

M. Philippe Parini. - S'agissant de la brigade spécialisée sur les prix de transfert, Mme Gabet, spécialiste du sujet, que vous allez entendre tout à l'heure, vous répondra plus précisément.

Par ailleurs, les problèmes liés aux accords Rubik prouvent que la vie fiscale internationale est compliquée. Nous avons interrogé nos amis allemands et britanniques. À ce sujet, ces derniers n'ont pas vraiment changé d'attitude, au contraire des premiers. Les Allemands s'étaient échinés sur des opérations très lourdes, en achetant des fichiers. Peut-être ont-ils trouvé que le résultat n'était pas à la hauteur de leurs investissements. Toujours est-il qu'ils ont récemment changé d'attitude.

En ce qui nous concerne, nous nous en tenons à notre ligne, défendue par notre ministre. Nous sommes dans un système déclaratif, qui nous impose donc de contrôler les déclarations. À nos yeux, le système Rubik, qui revient à faire faire le prélèvement forfaitaire à l'extérieur, nous prive de l'information et favorise le secret. Le déclaratif est synonyme de transparence et améliore les moyens du contrôle. Nous avons donc une démarche cohérente.

M. Jean-Louis Gautier. - Nous avons mieux qu'une brigade spécialisée. Les prix de transfert concernent les grands groupes, lesquels relèvent du contrôle de la DVNI. Cette direction nationale comprend 300 vérificateurs qui sont des spécialistes de fiscalité complexe, notamment internationale. Chacun est capable d'appréhender ces problématiques.

Pour les problèmes les plus complexes, nous recourons à une brigade d'une dizaine de consultants internationaux très spécialisés.

Sous l'angle de la formation de nos équipes et de la professionnalisation des vérificateurs, notre réponse est parfaitement adaptée à la question des prix de transfert. Il est bien évident que, compte tenu de la complexité du sujet, nous ne pouvons pas former les 5 000 vérificateurs à cette tâche.

S'agissant du délit de fraude fiscale, vous avez évoqué les condamnations médianes de 6 mois d'emprisonnement avec sursis et les amendes s'élevant à 5 000 euros, alors que le maximum peut être de 37 500 euros, montant non actualisé depuis vingt-cinq ans. Du point de vue du montant de l'amende prononcée par le juge, la fraude fiscale était le délit financier le moins sanctionné. Cette modération a sans doute contribué à la perception collective, y compris chez les magistrats, d'une infraction de moindre importance, de nature à expliquer cette spirale d'acceptation.

Heureusement, en loi de finances rectificative pour 2012, le Parlement a remis les choses à leur place puisque le délit de fraude fiscale est désormais susceptible d'être sanctionné de manière plus sévère, la peine maximale ayant été considérablement rehaussée, à hauteur de 500 000 euros, voire 1 million d'euros lorsque sont en cause des comptes dans un Etat ou territoire qui n'est pas coopératif ou qui l'est devenu depuis moins de 5 ans.

Mme Nicole Bricq. - Ce n'est pas dissuasif !

M. Jean-Louis Gautier. - À nous maintenant de relayer cette bonne parole et cette volonté politique au niveau de la justice.

S'agissant des pénalités et de l'abus de droit, je dirai que tout notre système est fondé sur le fait que la pénalité financière est un complément de l'impôt qui est dû. Elle s'applique donc au contribuable. Mais nous avons également tous les moyens à notre disposition, lorsqu'un contribuable est convaincu de fraude fiscale, de poursuivre au pénal ses conseils pour complicité de fraude. C'est plus compliqué, mais nous ne sommes pas démunis pour autant.

M. Philippe Dominati, président. - Je laisserai à M. le rapporteur le soin de conclure.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - J'observe qu'un candidat à l'élection présidentielle, Président de la République sortant, a semblé découvrir récemment le problème du taux effectif d'imposition des grandes entreprises. C'est étonnant, car Mme Lagarde était elle-même au courant !

Enfin, je me permettrai, messieurs, de vous adresser un questionnaire dans les prochains jours, que je vous saurai gré de bien vouloir me retourner assez rapidement, en fonction, bien évidemment de vos possibilités.

M. Philippe Dominati, président. - Monsieur le directeur général, Messieurs, je vous remercie.

Audition de MM. Edouard Marcus, Sous-Directeur du contrôle fiscal, de Mmes Maïté Gabet, chef du bureau des affaires internationales, Joëlle Massoni, chef du bureau politique et animation du contrôle fiscal, et M. Marc Emptaz, chef de la mission pilotage

Puis la commission procède enfin à l'audition de MM. Edouard Marcus, Sous-Directeur du contrôle fiscal, de Mmes Maïté Gabet, chef du bureau des affaires internationales, Joëlle Massoni, chef du bureau politique et animation du contrôle fiscal et M. Marc Emptaz, chef de la mission pilotage

M. Philippe Dominati, président de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. - Mes chers collègues, nous accueillons M. Édouard Marcus, sous-directeur du contrôle fiscal, M. Marc Emptaz, chef de la mission pilotage, Mme Maïté Gabet, chef du bureau des affaires internationales et Mme Joëlle Massoni, chef du bureau politique et animation du contrôle fiscal à la direction générale des finances publique (DGFIP).

Je vous rappelle, mesdames, messieurs, que, conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment et que tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

En conséquence, je vais vous demander de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

(M. Édouard Marcus, Mme Maïté Gabet, Mme Joëlle Massoni et M. Marc Emptaz prêtent serment successivement.)

M. Philippe Dominati, président. - Je vous remercie.

Mesdames, messieurs, je vous propose de commencer l'audition par un exposé préliminaire. Puis, conformément au principe, priorité sera donnée au rapporteur pour vous poser des questions. Après quoi, viendra le tour des autres membres de la commission.

M. Édouard Marcus, sous-directeur du contrôle fiscal. - Puisqu'il a déjà été procédé à une présentation générale lors de la précédente audition, je me contenterai, pour vous donner une vision générale de la façon dont la mission est pilotée, de vous exposer en quelques mots notre organisation et nos fonctions.

Au sein du service du contrôle fiscal, une sous-direction est dédiée au pilotage, à l'organisation, à la stratégie, aux moyens du contrôle fiscal. C'est vraiment là que s'organise le dispositif du contrôle fiscal.

Cette sous-direction comporte notamment trois bureaux. Le premier est chargé de l'organisation générale du réseau, de la politique du contrôle fiscal. Il est dirigé par Mme Joëlle Massoni. Le deuxième bureau est chargé de la législation et des procédures. Il n'est pas représenté aujourd'hui. Le troisième bureau est chargé des problématiques internationales dans tous leurs aspects. Cela signifie que nous avons identifié cette mission comme vraiment essentielle. En sa qualité de technicienne de ces sujets, la responsable de ce bureau, Mme Maïté Gabet, pourra répondre à un grand nombre de vos questions.

Au sein de la sous-direction du contrôle fiscal, un autre bureau est chargé des affaires fiscales et pénales. Il n'est pas représenté aujourd'hui.

Enfin, dirigée par Marc Emptaz, la mission pilotage a été créée en octobre dernier. Son objectif est de suivre de près la stratégie des directions nationales de contrôle fiscal - celles dont vous avez parlé tout à l'heure et dont certains sénateurs ont évoqué les noms - la direction nationale des vérifications des situations fiscales (DNVSF) et la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI). Compte tenu des enjeux, nous voulions nous doter d'un outil pour suivre de près ces directions. La direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF), qui prend également en compte la dimension internationale, fait aussi partie de ce champ d'action.

Cette mission de pilotage a, de plus, pour fonction de diriger des opérations nationales qui concernent l'ensemble du réseau du contrôle fiscal et font intervenir nos directions territoriales, nos directions de contrôle fiscal, les DIRCOFI, et nos directions nationales.

En effet, il arrive qu'après avoir obtenu une information d'intérêt national, nous voulions en tirer les conséquences sur un grand nombre de dossiers à l'échelle du territoire. Une telle démarche a un impact en matière internationale ; ainsi, grâce au droit de communication dont nous avons usé auprès des banques afin d'identifier les virements faits au cours des dernières années en direction ou en provenance des paradis fiscaux, nous avons pu déduire une liste des contribuables. Il revient maintenant à la mission de Marc Emptaz d'organiser, en conséquence, la conduite des contrôles sur tout le territoire.

Voilà ce que je voulais vous dire en quelques mots, convaincu que le directeur général vous a bien décrit le paysage. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. le rapporteur.

M. Éric Bocquet, rapporteur de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. - Beaucoup de choses ont, en effet, été dites lors de la précédente audition, laquelle a permis de largement défricher le terrain.

Je poserai trois questions.

Premièrement, les procureurs peuvent adresser des signalements au ministère de l'économie et des finances, en général aux directions départementales des finances publiques de leur ressort. Est-il systématiquement fait usage de cette faculté ? Sur quelles bases les transmissions internes au ministère sont-elles organisées ?

Deuxièmement, dans l'affaire dite Bettencourt, qui revient encore dans l'actualité, le rapport Bassères justifie l'absence de déclenchement d'une enquête par le défaut de présomption de comptes non déclarés. Mais n'est-ce pas l'objet de l'enquête que de déterminer cela ? Autrement, sur quoi se base-t-on pour écarter la présomption d'une telle situation ?

Troisièmement, qui nous ramène au sujet central de cette commission, l'évasion fiscale internationale est-elle systématiquement prise en compte dans la programmation des contrôles fiscaux ? Pouvez-vous nous fournir l'ensemble des propositions de contrôle motivées par des interrogations sur le volet international de l'activité et le recensement des suites apportées ?

M. Édouard Marcus. - Je vais répondre aux deux premières questions, laissant le soin à Maïté Gabet de s'exprimer sur la troisième.

Dans votre première question, vous avez évoqué la procédure de transmission par la justice à la DGFIP d'informations de nature à déclencher ou à enrichir un contrôle fiscal. C'est l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales qui permet au ministère public, à l'occasion de toute instance, de communiquer les dossiers à l'administration fiscale. Cet article concerne les procureurs, donc le Parquet. Comme vous le dites, la rédaction législative ouvre une simple faculté, celle de lever le secret de l'enquête au bénéfice de l'administration fiscale.

Comment les choses se passent-elles ? Après avoir décidé de nous ouvrir l'information, le procureur envoie cette dernière dans un circuit qui n'est pas centralisé. Je veux dire par là que l'information est transmise à la direction que le procureur pense compétente pour traiter le dossier.

Dans ces conditions, ladite information est traitée comme toutes celles qui arrivent au sein de la DGFIP : soit la direction qui a reçu l'information est compétente et elle va donc la traiter en interne. La traiter, cela signifie l'enrichir, la vérifier, la fiabiliser et déclencher un contrôle. Soit la direction qui a reçu l'information l'aiguille vers une autre direction plus compétente qui peut être, par exemple, la DNEF ou la DNVSF.

Cette modalité de coopération avec le ministère de la justice a été organisée par une circulaire du 5 novembre 2010. Commune entre le ministre du budget et le ministre de la justice, cette circulaire incite les procureurs à communiquer davantage avec nous. Je mentionne au passage qu'elle incite également les procureurs et les parquets à demander des sanctions adaptées à la gravité des fraudes fiscales dont ils ont à connaître.

Cela dit, si l'on se place du point de vue des procureurs, il est des moments où il leur est plus ou moins opportun, plus ou moins facile, compte tenu de l'enquête qu'ils mènent, d'ouvrir ou non les dossiers à l'administration fiscale. Nous sommes ainsi dépendants du temps judiciaire.

Je précise en outre qu'il existe une autre disposition législative, contenue dans l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, qui oblige tout magistrat à communiquer à l'administration des finances les indications qu'il a recueillies et qui sont de nature à faire présumer une fraude fiscale.

Cette faculté de levée du secret professionnel, ouverte par l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales, se double d'une obligation de dénonciation à la charge de la justice et à notre bénéfice.

Enfin, dernière procédure qui nous est autorisée par la jurisprudence, c'est la possibilité de demander nous-mêmes, c'est-à-dire de retourner la logique de ces articles L. 82-C et L. 101 lorsque nous avons connaissance, par une voie ou une autre -  y compris par la presse - d'une instance judiciaire. Sur la base de ces articles, nous pouvons écrire au magistrat afin qu'il nous donne les informations.

Dans la pratique, cela se fait régulièrement. Notre système d'information actuel ne permet pas d'avoir les chiffres, sinon, nous vous les aurions transmis. Mais, sachez-le, la pratique existe.

J'en viens à votre deuxième question : au nom de quels critères allons-nous lancer un contrôle ? Vous évoquez le cas particulier d'un risque de fraude ou d'évasion fiscale lié, par exemple, à des comptes bancaires à l'étranger.

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que l'examen de la situation fiscale personnelle (ESFP) est une procédure spécifique intégrée dans un ensemble beaucoup plus large de procédures de contrôle. Ce dispositif, qui est lourd, n'est pas forcément la solution à tous nos problèmes. Même si nous le faisons sur la base d'une fraude grave, ce n'est pas parce que nous allons lancer un ESFP sur un contribuable que cette procédure sera forcément la solution la mieux adaptée.

Je reviens un peu plus en détail sur les moyens de contrôle. Parmi les plus classiques figure d'abord le contrôle sur pièces. Nous procédons chaque année à environ un million de contrôles sur pièces de contribuables particuliers, selon un degré de détail qui peut être très variable.

M. Philippe Dominati, président. - Sur combien de contribuables ce contrôle porte-t-il ?

M. Édouard Marcus. - Il porte sur 36 millions de foyers fiscaux et constitue un travail vraiment très important qui peut concerner, par exemple, une réduction d'impôts pour un emploi à domicile. A cette occasion, le contribuable reçoit une lettre lui demandant de fournir des documents. Cette procédure, qui couvre des cas très différents, nous permet de couvrir la totalité du tissu fiscal.

Pour traiter des dossiers de particuliers qui revêtent un fort degré de complexité, nous avons mis en place progressivement, depuis le début des années 2000, un dispositif de contrôle gradué et proportionné aux enjeux, ce que nous avons appelé « le contrôle triennal des dossiers à fort enjeu ». Au-dessus d'un certain seuil d'importance, les dossiers de particuliers sont systématiquement contrôlés tous les trois ans, de manière approfondie, sur pièces. Environ 150 000 contribuables sont concernés par cette procédure. Si ce système s'est mis en place progressivement, c'est parce qu'il portait sur un public que nous ne connaissions pas forcément très bien au départ.

Toute une technologie s'est développée. En 2006, nous avons pu poser la règle d'une méthodologie appelée « le contrôle corrélé ». Elle consiste à comparer les revenus déclarés du contribuable à son patrimoine en essayant de voir s'il existe des liens, lesquels peuvent être de toutes sortes. Nous nous intéressons, par exemple, aux variations respectives des revenus et du patrimoine. Nous pouvons également mettre en évidence que certains revenus correspondent à un actif non déclaré dans le patrimoine.

Ce contrôle corrélé, nous le réalisons depuis 2006 et nous incitons les services à le faire. Mais un réseau de 12 000 personnes demande des formations, de la pédagogie, de l'organisation, des procédures...

Depuis 2011, nous sommes passés à la vitesse supérieure sur les très gros dossiers, ceux qui représentent de très forts enjeux. Cela concerne environ 4 000 contribuables. Nous nous sommes aperçus qu'il fallait sécuriser l'efficacité de notre dispositif de contrôle pour être certains que ces dossiers seraient contrôlés de manière régulière, avec tout le professionnalisme et toute la technicité que cela suppose. Ce sont des dossiers qui, pour certains d'entre eux, sont d'une incroyable complexité.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Lorsque vous parlez de très forts enjeux, est-ce par rapport au volume représenté ?

M. Édouard Marcus. -. Les critères sont les patrimoines et les revenus les plus élevés. Les très gros dossiers sont donc ceux des 4 000 contribuables les plus riches au vu de leur patrimoine et de leurs revenus taxables. Ceux-là continuent d'être inclus dans le contrôle triennal, mais c'est désormais la DNVSF qui va s'en charger en pratiquant le contrôle sur pièces, avec toute l'expertise, toute la technicité dont elle dispose. Pour cela, il faut avoir une connaissance de l'ensemble du territoire national. Les dossiers de contribuables dont les biens étaient répartis dans toute la France, voire dans le monde entier, étaient auparavant traités par les directions territoriales. Certes, le contrôle était fait, mais au prix d'échanges de courriers extraordinairement compliqués.

Désormais, les choses sont centralisées à l'échelon d'une direction nationale. Ceux qui interviennent sont des évaluateurs pointus, des spécialistes, qui ont la possibilité de déclencher toutes les procédures de contrôle externe nécessaires, qui vont de l'examen des situations fiscales personnelles aux vérifications de comptabilité, car, autour des personnes physiques, il y a aussi des sociétés.

Ce système, nous entendons le développer. La DNVSF a donc été renforcée d'une vingtaine d'emplois pour effectuer ce travail auquel elle a affecté une partie de ses équipes.

Dans la panoplie de moyens pour mettre en oeuvre cette stratégie, le contrôle sur pièces approfondi est une procédure qui peut, selon nous, être efficace et permettre d'aller loin dans la connaissance du dossier d'un contribuable en rassemblant toutes les informations dont dispose l'administration et en obtenant quantité de données extérieures via le droit de communication extérieure.

Vient ensuite l'examen de situation fiscale personnelle. Il ouvre d'abord à l'administration la possibilité d'accéder aux comptes et relevés bancaires des contribuables. Le déclenchement de cette procédure ouvre ensuite, en contrepartie, toute une série de garanties pour le contribuable, auquel nous devons écrire pour l'informer que nous commençons à travailler sur son cas. Ce préalable étant posé, il faut que nous engagions avec lui un débat oral et contradictoire. En d'autres termes, nous allons discuter ensemble des différents éléments contenus dans ses relevés bancaires et des autres informations que nous avons recueillies à son sujet.

Cette procédure d'ESFP porte sur l'impôt sur le revenu. Elle ne se pratique ni pour l'ISF ni pour les droits de succession. On la confond souvent avec la règle du double. Autorisée par la jurisprudence, cette règle nous permet de renverser la charge de la preuve lorsque nous arrivons à démontrer qu'un contribuable a deux fois plus de ressources qu'il ne nous en déclare. Faute de réponse du contribuable à nos demandes sur l'origine de ses ressources, nous avons le droit de les taxer comme des revenus. Le plus souvent, les deux sont liées, c'est-à-dire que nous allons lancer un EFSP lorsque nous aurons des informations nous laissant penser que la moitié des ressources ne sont pas déclarées. Et nous allons, derrière, appliquer la règle du double.

Vous voyez déjà la limite : un EFSP est une opération lourde, qui n'est vraiment utile que lorsque les revenus non déclarés sont identifiés. Cette procédure ne nous donne accès qu'aux comptes bancaires connus du contribuable. Ce qui signifie, a contrario, que nous n'avons pas accès aux comptes non déclarés. Pour en finir sur ce point, je dirai que nous faisons à peu près 4 000 EFSP par an.

M. Philippe Dominati, président. - Ce n'est pas réservé au «  club des 4 000 » ?

M. Édouard Marcus. - Non, cela va bien au-delà, en effet. Toutes sortes de contribuables entrent dans ce champ dès lors que les enjeux existent. Mais cette procédure répond à des objectifs bien spécifiques. Elle permet, en gros, de dépouiller l'ensemble des revenus d'un contribuable.

Dans le cas des dossiers très lourds et très complexes de ces gros contribuables, qui déclarent déjà des sommes extrêmement importantes, nous peinons à appliquer la règle du double compte tenu de l'état des revenus et du patrimoine en cause. Ce qui complique encore les choses, c'est qu'il s'agit de dossiers sur lesquels nous recueillons beaucoup d'informations par les sociétés qui gravitent autour, par les recoupements auxquels nous pouvons procéder. Bref, l'EFSP est, certes, un outil mais ce n'est pas forcément notre moyen d'action privilégié.

Vous ne manquerez pas de me demander comment nous faisons finalement pour détecter ces fameux comptes bancaires à l'étranger.

Nous avons commencé par utiliser tous les moyens de recherche pour nous procurer les données nécessaires auprès de ceux qui détiennent l'information.

Je citerai deux exemples. Grâce à l'article L. 96 A du livre des procédures fiscales, qui nous permet d'agir auprès des banques françaises qui font, pour leurs clients, des virements vers les paradis fiscaux, nous pouvons identifier un certain nombre de contribuables. Le deuxième exemple est illustré par l'opération conduite en France sur les personnes utilisatrices d'une carte bancaire étrangère. Nous essayons de rattacher la carte bancaire à un contribuable français, ce qui n'est pas toujours simple.

Nous avons aussi toutes les informations qui sont portées à la connaissance de l'administration fiscale, telles les fameuses listes évoquées tout à l'heure devant notre directeur général. Ces différents éléments sont rassemblés dans le fichier EVAFISC, qui a été déclaré voilà deux ou trois ans à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Ce fichier contient une base des données des contribuables qui n'ont pas forcément des comptes non déclarés à l'étranger mais qui sont susceptibles d'en avoir et donc de donner lieu à des enquêtes.

Je ne reviens pas sur cet autre outil important qu'est la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF).

Il existe une autre manière de lutter contre ces avoirs non déclarés à l'étranger. Nous avons ainsi fortement augmenté les sanctions contre les titulaires de tels actifs qui ne les déclaraient pas. Une première vague a porté l'amende pour compte bancaire non déclaré à 10 000 euros dans le cas des paradis fiscaux. Depuis la fin 2011, en cas de compte bancaire non déclaré à l'étranger supérieur à 50 000 euros, l'amende représente 5 % du solde du compte. Nous ne voulions pas en rester à 10 000 euros parce qu'une telle pénalité n'est pas suffisamment dissuasive lorsqu'elle affecte des comptes de plusieurs millions d'euros. Il s'agissait de toucher dans le vif.

Au nom de la même idée, nous avons appliqué le dispositif existant pour les comptes bancaires aux contrats d'assurance-vie.

Au moment du « collectif patrimoine », à l'été 2011, nous avons également pris des mesures à l'égard des trusts en leur imposant de faire une déclaration et en les soumettant à une obligation de payer un impôt. Nous nous employons à avoir une connaissance plus précise de ce secteur, nouveau pour nous.

Nous avons étendu les délais de prescription. En effet, quand un avoir est dissimulé à l'étranger, l'administration fiscale a besoin de temps pour enquêter, pour le découvrir et pour asseoir ses contrôles. Or, en France, la prescription est courte puisqu'elle est limitée à trois ans dans le cas général et portée à six ans dans certains cas de dissimulation. Nous avons mis en place une règle qui étend la prescription à dix ans lorsqu'un avoir est dissimulé dans tout État étranger.

Cette règle a deux intérêts : outre qu'elle nous donne le temps de conduire nos opérations, elle entraîne une sanction très forte, puisqu'elle expose l'auteur d'une fraude ou celui qui dissimule un avoir à un redressement beaucoup plus lourd portant non pas sur trois ans mais sur dix ans.

Faut-il aller plus loin ? Il arrive un moment où l'administration fiscale est confrontée à la difficulté de récupérer l'information susceptible d'ouvrir la taxation sur des années plus anciennes. Les enquêtes qui remontent le passé se heurtent à des limites. Je ne sais pas quel est le bon critère - dix ou quinze ans ? - mais je souligne que là est la limite du raisonnement.

Toutes ces mesures de prescription allongée, de sanctions renforcées s'appliquent, quel que soit le pays considéré, qu'il s'agisse ou non d'un paradis fiscal. En effet, d'une part, nous cherchons à développer l'échange d'informations - Mme Bricq a évoqué tout ce qui s'est passé depuis 2009 - d'autre part, même si le pays concerné est un pays avec lequel nous pratiquons l'échange d'informations, - nos voisins, nos partenaires, des pays qui suivent la même ligne fiscale que nous - il n'en demeure pas moins qu'un compte bancaire situé dans un autre État ne figure pas dans notre fichier « maison », le Fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) ce qui nous prive d'information. Supposons que nous ayons affaire à un pays étranger coopératif, un pays auquel nous pouvons demander l'information, il subsiste tout de même une frontière, une barrière, sinon opaque, du moins susceptible de rendre nos recherches plus difficiles.

Je me permets de revenir un instant sur nos échanges avec le procureur. Parmi les procédures de contrôle fiscal, il existe toute une série de règles qui nous permettent, même si la transmission par le procureur est tardive, de pouvoir quand même en tirer les conséquences : lorsqu'un fait est révélé dans une instance judiciaire, cela rouvre la prescription. Alors qu'elle est fixée à trois ans en droit commun, il arrive même qu'elle soit reportée jusqu'à dix ans. Les choses sont organisées pour que le délai de réactivité du procureur, s'il est d'une longueur modérée, ne nous soit pas définitivement dommageable.

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à Mme Maïté Gabet.

Mme Maïté Gabet, chef du bureau des affaires internationales. - La programmation à l'international constitue évidemment l'un des axes stratégiques de la direction générale des finances publiques. Cela résulte du choix fait dans notre organisation de spécialiser une direction unique sur les multinationales. Dés lors, la problématique des prix de transfert, par exemple, est totalement prise en compte et vue de façon absolument spécifique et systématique dans la programmation des multinationales.

De même, la direction nationale qui va « s'occuper » des particuliers les plus fortunés prend en compte la problématique internationale.

Il reste à l'administration centrale que nous sommes un travail un peu plus vaste à faire, celui qui concerne tout le reste du contrôle fiscal, c'est-à-dire les directions interrégionales et les directions territoriales. En la matière, nous procédons par notes programmatives annuelles. Dans l'élaboration du contrôle fiscal, donc, dans la programmation précédemment décrite, nous demandons que soit prise en compte, en fonction du tissu fiscal local, cette dimension internationale, laquelle n'a pas la même intensité dans une zone transfrontalière que dans une région moins proche des frontières.

La programmation se fait à travers un nombre d'outils très différents : d'abord, l'utilisation de nos propres bases de données internes, ensuite, la recherche et le renseignement pour lesquels nous avons des services localisés sur tout le territoire ; il incombe à la DNEF de faire de la programmation de « dossiers à renseignements » pour les services. La dimension internationale est, là encore, prise en compte.

Nous avons aussi la programmation événementielle, notamment par la lecture de la presse.

Me plaçant d'un point de vue statistique, je dirai que, l'année dernière, environ 6 000 dossiers ont fait l'objet d'une programmation de contrôle fiscal dans un axe international.

J'insiste sur le fait que la réponse est dans notre organisation. La décision de spécialiser des structures sur de grandes problématiques a permis de couvrir les aspects internationaux. S'agissant des multinationales, la problématique des prix de transfert est prise en compte globalement par la DVNI.

M. Édouard Marcus. - Les 6 000 dossiers environ relèvent des 52 000 contrôles fiscaux externes. On peut imaginer que certains contrôles sur pièces revêtent des aspects internationaux. Mais c'est à l'occasion des ESFP ou des opérations sur place conduites dans les entreprises que le contrôle fiscal prend une dimension internationale que nous évaluons globalement à 15 %. Ce taux est beaucoup plus important dans certaines directions.

Mme Maïté Gabet. - Dans les directions nationales, par exemple.

M. Philippe Dominati, président. - Les 52 000 contrôles concernent les entreprises.

Mme Maïté Gabet. - C'est la totalité du contrôle fiscal !

M. Édouard Marcus. . - Voici les chiffres globaux. Les contrôles sur pièces sont très nombreux ; on en compte un million sur les particuliers. Quant aux contrôles sur place, ils atteignent le chiffre de 52 000. Ce sont des procédures qui comportent un débat oral et contradictoire. Il existe deux types de contrôles sur place : d'abord, les 4 000 ESFP, qui nous conduisent à aller au contact d'un contribuable particulier, ensuite, leur équivalent, les 48 000 vérifications de comptabilité, qui nous ouvrent l'accès, non aux comptes bancaires des particuliers mais à la comptabilité de l'entreprise. Cet accès est soumis à quantité de garanties bien particulières.

Mme Maïté Gabet. - Sur cette problématique de programmation, il est vrai que, depuis deux ou trois ans, nous innovons en ce sens que nous avons lancé des opérations de grande envergure, notamment la création de la mission pilotage.

Nous nous sommes mis à rechercher du renseignement de façon systématique. J'en reparle parce que l'action est assez emblématique d'une stratégie : nous avons interrogé toutes les banques françaises sur tous les virements effectués par des particuliers français à destination de certains territoires sur une période donnée, ce qui nous permet d'avoir du renseignement. Comme le disait tout à l'heure M. Philippe Parini, la clef du contrôle fiscal et de la programmation, c'est l'information. Si nous ne pouvons vérifier que ce que l'on nous déclare, notre activité sera moins efficiente.

M. Édouard Marcus. - Nous sommes bien conscients du fait que notre action de contrôle ne règle pas tous les problèmes. Néanmoins, il est important de le souligner, on observe une évolution du comportement déclaratif des contribuables, qui sont beaucoup plus nombreux à déclarer des comptes bancaires à l'étranger. C'est ainsi que le chiffre est passé de 51 000 en 2008 à 77 000 en 2010. Cela étant, il nous faut poursuivre notre lutte contre la fraude.

M. Philippe Dominati, président. -Comme le disait tout à l'heure M. Duvernois, de plus en plus de Français expatriés se mettent en conformité avec la loi.

M. Jacques Chiron. - Comment faites-vous pour contrôler le e-commerce ? Nous achetons souvent des biens sur ce support. Les comptes de ce genre d'entreprises sont plutôt au Luxembourg ou ailleurs qu'en France. Je me demande comment ces entreprises paient la TVA. Ne se contenteraient-elles pas d'avoir des comptes bancaires au Luxembourg alors que leurs véritables activités seraient en France sans y être déclarées ? Le volume du e-commerce devient énorme !

Mme Maïté Gabet. - En tout cas, c'est stratégique parce que le e-commerce  prend de l'ampleur. La Haute Assemblée, notamment par l'intermédiaire de M. Philippe Marini, s'est intéressée à cette question. La DGFIP, qui s'est exprimée devant l'une des commissions du Sénat, aborde la problématique du e-commerce sous l'angle des impôts dus. Sous le vocable d'« impôts dus », on ne parle pas de la même chose selon qu'il s'agit des impôts commerciaux - donc de l'impôt sur les sociétés - ou de la TVA. Nous avons choisi de passer par le plus simple, en tout cas le plus encadré, en l'occurrence la problématique de la TVA.

Jusqu'en 2015, les entreprises qui pratiquent le e-commerce sur Internet sont redevables de la TVA dans les pays où elles sont implantées. Cela m'amène à évoquer une problématique très connue sur le plan international, celle des différentiels de taux au sein de l'Union européenne. Le Luxembourg, qui n'est pas très loin d'ici, a, sur son territoire, des entreprises qui y sont réellement implantées. Et elles acquittent la TVA auprès du Grand-Duché.

À partir de 2015, le régime va changer. L'entreprise restera implantée au Luxembourg mais elle sera redevable en France d'une partie de la TVA due par les consommateurs français. La question qui se pose est de savoir comment en 2015 contrôler les entreprises au Luxembourg.

La négociation communautaire qui a mis en place ces textes s'est employée à prévoir le contrôle. Ce qui a été acté dans la directive est assez simple : quand la France souhaitera vérifier le montant que le Luxembourg lui aura rétrocédé pour ses consommateurs sur n'importe quel opérateur - eBay, par exemple - elle demandera au Luxembourg - qui ne pourra pas le lui refuser - l'engagement, sur le plan local, d'un contrôle fiscal accompagné de vérificateurs français. C'est obligatoire. L'administration fiscale française mettra donc en oeuvre ce dispositif. Cela vaut pour la TVA et les activités en ligne.

Lorsque des biens achetés sur Internet vous sont livrés en France, ils sont taxables en France. D'ores et déjà, ces entreprises doivent déclarer en France et s'y faire représenter. La direction des non-résidents enregistre ces entreprises et vérifie leur correcte taxation à la TVA.

Nous sommes là pour dire les choses un peu franchement : nous pensions fortement que la problématique du e-commerce porterait sur des activités occultes non déclarées. Or ce n'est pas ce qui ressort de nos travaux ni des premières enquêtes. La problématique, c'est la correcte adéquation entre le lieu d'implantation et l'activité développée.

Cela m'offre une transition avec les impôts commerciaux : comment fait-on pour localiser le bénéfice rattaché à des activités très immatérielles ? Ces entreprises du e-commerce, c'est, en quelque sorte, l'acmé d'une problématique plus générale d'organisation internationale de groupes qui peuvent remettre là des incorporels, là de la supply chain... Tout cela est connu.

Aujourd'hui, à droit constant, ces entreprises, comme les grands groupes, sont vérifiées de façon systématique suivant les règles actuelles, celles des prix de transfert ou des contrats légaux. Elles sont remises en cause quand la réalité ne correspond pas à ce qui est déclaré. Cette problématique est sur la table.

La question d'un changement des lieux de taxation, évoquée au Sénat par l'adoption de la taxe Google, pour savoir si, pour mieux fiscaliser cinq ou six grands groupes internationaux, il faut taxer tous les annonceurs, se pose en termes d'équilibre.

Le e-commerce met en évidence la problématique du dumping fiscal entre les pays. Elle existe dans le e-commerce, mais elle existe aussi ailleurs. Il n'y a pas besoin de faire du e-commerce pour faire du business restructuring !

M. Jacques Chiron. - Mais cela demande une structure beaucoup plus lourde !

Mme Maïté Gabet. - C'est plus visible. Mais, à un moment donné, ces groupes s'implantent dans les territoires. Ils y ont des commerciaux, du personnel, de l'activité. Tous ces problèmes d'impôts commerciaux doivent se régler à l'échelon communautaire. La France, seule, ne pourra pas adopter des règles différentes de celles qui sont posées dans les conventions ou traités qu'elle a signés. Bref, la problématique est très connue. Et je dirai qu'en France elle est plutôt pas mal contrôlée !

M. Philippe Dominati, président. - En tirez-vous une certaine satisfaction ?

Mme Maïté Gabet. - Nous avons conscience d'une complexité importante mais on distingue la TVA des impôts commerciaux.

Le premier combat a été d'obtenir que la TVA soit payée sur le lieu de la consommation. Cela viendra en 2015, au terme de ce qui a été, de toute évidence, un sacré combat. Il a fallu un certain temps pour négocier à vingt-sept ! Maintenant, le deuxième combat sera de pouvoir aller correctement vérifier quand les enjeux seront importants.

M. Philippe Dominati, président. - Nous allons donc programmer une audition pour 2016...

M. Jacques Chiron. - Que pensez-vous de la retenue à la source ? Pour l'ensemble des salariés, la retenue à la source en matière d'impôt sur le revenu faciliterait les choses. Est-il aussi compliqué qu'on le dit de la mettre en place ? Certes, la naissance inopinée d'un enfant peut poser quelques difficultés mais, en agissant à  n+1, ne pensez-vous pas qu'on résoudrait une grande partie des problèmes ?

Cela permettrait, surtout, de réaffecter une partie des contrôleurs sur des dossiers beaucoup plus lourds et complexes. Nous avons bien compris que la tendance est à la réduction des effectifs, laquelle a forcément un impact sur le contrôle.

M. Édouard Marcus. - Je voudrais revenir une seconde sur le e-commerce. Pour les grands groupes, la problématique concerne les impôts commerciaux, les prix de transfert et la localisation du bénéfice. Et puis, il y a le e-commerce très diffus qui concerne la personne de base, celle qui fait ses transactions sur internet.

Nos contrôleurs ont reçu une formation et recherchent sur Internet les personnes qui s'adonneraient à des activités commerciales non déclarées. Internet, c'est une fenêtre sur le monde, une sorte de vitrine de magasin. Nous essayons d'être présents, conscients des difficultés des prix de transfert sur les grands groupes et des obstacles dans la recherche des activités occultes sur les plus petits opérateurs.

M. Philippe Dominati, président. - Par exemple, sur eBay ?

M. Édouard Marcus. - Je le range plutôt parmi les grands groupes.

M. Philippe Dominati, président. - Je parle de ceux qui vont sur eBay pour pratiquer une activité commerciale.

M. Édouard Marcus. - Sous un pseudonyme, par exemple. Nous nous efforçons de les détecter.

J'en viens à la retenue à la source. Il est évident qu'aujourd'hui la déclaration préremplie nous donne énormément d'informations et nous permet quantité de recoupements sur le public visé par la retenue à la source, c'est-à-dire les salariés. Dans un premier temps, jusqu'en 2007, ces informations, nous les gardions pour nous. Ensuite, nous regardions ce que la personne déclarait et nous comparions les deux. Si la personne n'avait pas déclaré ce que nous attendions, nous lui posions une question. Nous faisions ainsi notre million de contrôles des particuliers.

Nous avons décidé de passer à un système plus efficace en jouant cartes sur table et en informant le contribuable de ce que nous savions. Il ne s'agit plus tellement d'un recoupement car nous utilisons les données directement pour pré-remplir la déclaration. Les informations sur les salariés que nous pouvons recouper, nous en disposons déjà largement.

La retenue à la source, dans un premier temps, c'est surtout une mesure de recouvrement. La question essentielle sera de savoir qui prélèvera l'impôt. Après, en termes de contrôle fiscal, cela aura forcément des conséquences multiples. Si c'est désormais l'entreprise qui prélève et que le particulier ne paie plus, il faudra prévoir qui on contrôle et comment.

Comme vous le disiez, dans cette hypothèse, le calendrier n'est plus le même. L'époque du contrôle a posteriori d'une déclaration qui vient un an après sera révolue. L'argent sera immédiatement prélevé avant même la déclaration. Il faut donc que nous inventions des dispositifs, mais de toute façon, le contrôle fiscal est en aval de la chaîne.

Mme Joëlle Massoni. - Sauf changement complet, la retenue à la source n'est pas une simplification en termes de vision du contrôle fiscal. Dans une logique de déclaration, il y aura une déclaration de régularisation pour tous les crédits d'impôts et pour tous les revenus qui ne pourront pas être pris en retenue à la source, les revenus fonciers, par exemple. On ne pourra pas éviter le dépôt d'une déclaration et le contrôle de cette dernière.

Et, bien entendu, lors de nos contrôles en entreprise, il nous faudra contrôler la retenue à la source à laquelle celle-ci aura procédé.

Après, les choses vont dépendre des modalités de mise en oeuvre de cette logique. Le principal avantage de la retenue à la source, c'est d'éviter le décalage entre la perception des revenus et le moment où l'on paie l'impôt, décalage qui est particulièrement ressenti lors d'un départ à la retraite, d'un divorce, de toute modification de revenus qui rend plus difficile de payer l'impôt.

On ne peut pas dire que la retenue à la source est neutre mais on peut dire que la problématique du contrôle fiscal vient en aval. Si un jour, cela se fait, il faudra réfléchir en aval à la manière de nous adapter.

M. Philippe Dominati, président. - La parole est à M. le rapporteur.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Quelle est votre évaluation de la fraude fiscale internationale ? Pouvez-vous nous donner une indication sur la fréquence des contrôles sur les gros dossiers ?

M. Édouard Marcus. - L'évaluation de la fraude fiscale est un exercice très difficile, auquel plusieurs organismes se sont essayés : je pense notamment à la Commission européenne et à la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF). L'exercice a toujours été pratiqué avec la composante TVA. La raison de ce choix, c'est qu'il s'agit d'un impôt proportionnel. Il est plus simple à aborder que l'impôt sur les sociétés par exemple, dont l'assiette est complexe et qui pose le problème de la non-proportionnalité de l'impôt à l'assiette. En TVA, globalement, et sous réserve de quelques différences, on arrive à faire un rapport.

Quoi qu'il en soit, une évaluation de la fraude à la TVA a été publiée en son temps par la Commission européenne. Plus récemment, l'année dernière, le ministère du budget a publié un chiffre qui situe la fraude entre 6% et 7,7 % du total des recettes de TVA.

Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) avait chiffré en 2007 la fraude entre 30 milliards et 40 milliards d'euros. Cela englobait l'aspect social, lequel se situait entre 8 milliards et 14 milliards d'euros.

Mme Maïté Gabet. - Dans l'évaluation européenne, le taux de fraude en France était plus bas que la moyenne européenne ; il était notamment plus bas qu'en Allemagne.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Quelle est la fréquence des contrôles sur les gros dossiers ?

M. Édouard Marcus. -Le contrôle régulier triennal est plus intense sur les très gros dossiers, à travers l'exercice de cette mission par la DNVSF. Notre objectif est de mettre en place une surveillance permanente, un peu à l'instar de ce qui se fait pour les grosses entreprises, pour lesquelles on ne laisse jamais une année se prescrire. C'est du contrôle sur pièces.

Après, viennent les ESFP, c'est-à-dire les contrôles externes. La logique est alors beaucoup plus au coup par coup. Les calculs figurent dans le rapport de 2012 de la Cour des comptes, un peu plus d'une dizaine des 500 plus grosses fortunes professionnelles font, chaque année, l'objet d'un ESFP. La DVNSF inscrit en moyenne, tous les ans, un peu plus d'une dizaine de dossiers.

M. Philippe Dominati, président. - Parlez-vous pour les grosses fortunes ? Existe-t-il une prescription pour toutes les sociétés ? Si oui, de combien est-elle ?

M. Édouard Marcus. - La différence, c'est que, sur les grosses sociétés, l'outil de droit commun de contrôle sera la vérification de comptabilité. On ne peut rien faire sur une entreprise importante sans aller voir sa comptabilité. Je le dis de manière très directe, il est clair que l'ESFP n'est pas notre outil de contrôle de droit commun sur les grosses fortunes. Nous n'avions pas fait de calcul de fréquence, mais la Cour des comptes s'y est employée.

M. Philippe Dominati, président. - Il me reste à vous remercier, mesdames, messieurs.