Mardi 24 juillet 2012

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Politique de la ville - Audition de M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes

La commission entend tout d'abord M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, à l'occasion de la publication du rapport de la Cour intitulé : « La politique de la ville : une décennie de réformes ».

M. Daniel Raoul, président. - Pour la première fois, nous accueillons le Premier président de la Cour des comptes, pour le rapport public thématique, qui vient de paraître, La politique de la ville, une décennie de réformes. Il dresse un constat plutôt négatif de ces réformes, en dépit de l'ampleur des crédits qui y ont été consacrés. Monsieur le Premier président, nous vous entendons sur ce constat, mais aussi sur les points positifs, en insistant sur vos recommandations, parmi lesquelles je retiens la redéfinition des zones prioritaires, qui a été renvoyée à 2014, ainsi que celle des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) et le lancement d'un nouveau plan national de rénovation urbaine, où il convient de mettre l'accent sur l'indispensable accompagnement humain du volet urbanistique et immobilier. Merci de votre présence ; j'espère que cette première ne sera pas la dernière !

M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes. - Merci d'avoir organisé cette audition, qui témoigne de l'intérêt porté par la représentation nationale aux travaux de la Cour et rejoint notre préoccupation d'inscrire ceux-ci dans la réflexion des décideurs nationaux. Cette audition contribue à l'utilité de notre travail et de celui des chambres régionales des comptes. Elle manifeste l'étroitesse des liens qui nous unissent au Parlement. Nous sommes à votre disposition, pour l'ensemble des travaux que nous produisons, y compris ceux qui ne sont pas publiés mais portés à votre connaissance, pour présenter nos constats et nos recommandations, sachant que le dernier mot revient toujours aux représentants du suffrage universel.

La politique de la ville a trente ans. La loi du 1er août 2003 l'a refondue. Elle lui assignait comme objectif principal de restaurer une égalité de développement entre les territoires alors que subsistaient, voire s'aggravaient, de fortes inégalités dans des quartiers, aux portes mêmes des principales villes du pays. Cette loi a également lancé un ambitieux programme de rénovation urbaine, porté par un nouvel opérateur, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine(ANRU). De multiples initiatives ont eu lieu depuis lors. Un second opérateur a été mis en place en 2006, l'Agence de la cohésion sociale et de l'égalité des chances (ACSé). De nouveaux contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) ont été négociés en 2007, la dynamique « Espoir banlieues » engagée en 2008. La délégation interministérielle a été transformée en secrétariat général du comité interministériel de la ville en 2009.

Le champ des politiques publiques concernées est vaste : l'emploi, l'habitat, les transports, la santé, l'éducation, la formation professionnelle, la sécurité publique... Chacune doit être adaptée aux spécificités du territoire. La politique de la ville suppose une double coordination : entre les différents ministères et opérateurs de l'État d'une part, rendant nécessaire un travail interministériel, et d'autre part entre l'ensemble des acteurs, l'État et les différentes collectivités territoriales principalement. Elle doit dépasser le cloisonnement des ministères et l'insuffisante coordination des acteurs publics.

L'enquête menée par la Cour s'appuie sur des travaux de terrain, menés avec les chambres régionales des comptes dans neuf régions. Pas moins de 80 contrôles de collectivités territoriales, de services de l'État, d'opérateurs, d'associations et de groupements d'intérêt public ont été réalisés par les juridictions financières. Ils permettent d'apprécier les facteurs de réussite ou d'échec des politiques. L'analyse de la Cour permet de dégager des propositions pour rendre plus efficace la conduite de la politique de la ville.

Je suis accompagné d'Anne Froment-Meurice, présidente de la cinquième chambre et de la formation inter-juridictions qui a préparé ce rapport, Jean-Marie Bertrand, président de chambre et rapporteur général de la Cour, Sylvie Esparre, conseillère maître et rapporteure général du présent rapport, Gwénaëlle Suc, auditrice et Michel Davy de Virville, conseiller maître et contre-rapporteur.

La Cour part d'un constat décevant : en dépit des efforts réalisés par de nombreux acteurs et des premiers résultats obtenus par le programme national de rénovation urbaine (PNRU), les handicaps dont souffrent les quartiers ne se sont pas atténués.

L'Observatoire national des zones urbaines sensibles, créé en 2003, a évalué l'écart de développement qui sépare encore les quartiers du reste du territoire. Depuis dix années, il ne s'est pas réduit, quel que soit l'indicateur examiné. Le taux de chômage des 15-59 ans s'élève à 20,9 % dans les zones urbaines sensibles (ZUS) contre 10,3 % en dehors ; le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (954 euros mensuels) est de 32,4 % dans les ZUS contre 12,2 % en dehors. En matière de réussite scolaire, les écarts à la moyenne tendent à augmenter dans les filières générales.

Ce constat pessimiste, en dépit des ambitions renouvelées et de la bonne volonté des acteurs, ne doit pas démobiliser mais au contraire inciter à une meilleure concentration et coordination des efforts.

La Cour identifie cinq facteurs d'explication sur lesquels elle fonde ses recommandations.

Le premier est la complexité et l'obsolescence de la définition des zones géographiques d'application de la politique de la ville, qu'on appelle la géographie prioritaire.

Le deuxième concerne la coordination des acteurs et le travail interministériel, qui souffrent de défauts persistants et n'ont pas joué dans le sens de l'efficacité et de la cohérence, au niveau national comme au niveau local.

Le troisième facteur est le retard pris par le programme national de rénovation, les incertitudes qui pèsent sur son financement futur, ainsi que l'insuffisante articulation entre les actions de rénovation urbaine et les autres menées dans le cadre de la politique de la ville.

Le quatrième facteur est l'insuffisante mobilisation des différentes politiques publiques de droit commun en faveur des quartiers prioritaires.

Le dernier facteur est l'insatisfaisante répartition des moyens spécifiques de la politique de la ville, qui ne sont pas mobilisés en priorité au profit des zones qui connaissent les difficultés les plus fortes.

La politique de la ville est aujourd'hui mise en oeuvre dans 751 ZUS, où vivent 4,4 millions de personnes, soit 7 % de la population nationale. Au sein de ces zones existent 416 zones de redynamisation urbaine (ZRU), comprenant elles-mêmes 100 zones franches urbaines (ZFU). Par ailleurs, 2 493 quartiers ont été retenus dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale signés avec les collectivités, dont 70 % ne sont pas classés en ZUS. Les zones prioritaires pour l'État ne se recoupent pas avec celles retenues par la politique partenariale avec les collectivités. Le zonage retenu pour la mise en oeuvre du programme national de rénovation urbaine ne coïncide pas totalement avec les ZUS.

La complexité manifestement excessive de ces différents zonages pose un problème de lisibilité, tant pour les habitants et le tissu associatif que pour les administrations publiques. L'ampleur des zones visées entraîne une dilution des interventions publiques : la plupart des autres pays européens ont choisi de cibler davantage leurs efforts. L'Allemagne n'inclut que 392 quartiers dans son programme « ville sociale ». Le Royaume-Uni ne retient que 39 quartiers.

Une refonte de la géographie prioritaire était prévue par la loi de finances pour 2008, mais ces dispositions n'ont pas été encore appliquées, ce qui a gelé l'ensemble des autres réformes qui en dépendaient, notamment la mise en place de nouveaux CUCS. La Cour recommande une refonte rapide de la géographie prioritaire. Elle serait l'occasion d'identifier un nombre bien plus limité de zones sur lesquelles l'effort doit être concentré, puis de simplifier et aligner sur ces zones les dispositifs légaux et conventionnels. Ce nouveau découpage devrait devenir le cadre de négociation de la prochaine génération de CUCS. Cette réforme faciliterait celle de la dotation de solidarité urbaine (DSU), qui pourrait être scindée en deux dotations, l'une de péréquation en faveur des communes en situation difficile, l'autre ciblée sur les communes qui relèvent de la politique de la ville.

J'en viens au deuxième constat sur la cohérence de l'action. La politique de la ville a manqué d'un pilotage interministériel fort pour assurer la coordination entre les différents ministères d'une part et d'autre part avec les actions menées par les deux agences, l'ANRU et l'ACSé. La rénovation urbaine n'a pas porté tous ses fruits en matière d'éducation et d'emploi. Le pilotage du secrétariat général du comité interministériel des villes s'est insuffisamment affirmé pour assurer une bonne coordination entre les interventions des acteurs nationaux. L'exercice de la tutelle sur les deux agences reste à renforcer et à clarifier, et le secrétariat intervient parfois en doublon de l'ACSé.

La Cour recommande de soutenir l'action interministérielle par des impulsions politiques régulières. Le comité interministériel des villes, qui n'a siégé que quatre fois depuis 2001, pourrait être réuni deux fois par an.

La nouvelle organisation déconcentrée issue de la réforme de l'administration territoriale de l'État doit encore faire ses preuves. La Cour recommande qu'un bilan en soit tiré. Les effectifs dédiés à la politique de la ville gagneraient, au moins dans les territoires prioritaires, à être regroupés et placés plus près des équipes préfectorales. Les préfets délégués à l'égalité des chances et les sous-préfets ville jouent un rôle essentiel pour assurer l'action interministérielle de l'État, mais devraient rester en poste plus longtemps et être mieux formés au moment de leur prise de fonction. Les délégués du préfet, mis en place dans 350 quartiers, apportent une réelle valeur ajoutée sur le terrain en y renforçant la présence de l'État et en permettant une meilleure circulation de l'information entre les acteurs locaux. Leur place dans les services déconcentrés de l'État pourrait être mieux formalisée.

La répartition des compétences entre les différentes collectivités territoriales est encore imprécise. Echelons pertinents de mise en oeuvre de la politique de la ville, les intercommunalités n'ont pas trouvé leur place, car les villes centres préfèrent garder leurs effectifs et gérer elles-mêmes les crédits. La Cour recommande qu'elles soient systématiquement associées à la contractualisation des prochains CUCS. Les départements et les régions sont inégalement et insuffisamment impliqués.

Le PNRU représente un effort sans précédent en faveur des quartiers en difficulté. Il fixe l'objectif de 250 000 démolitions-reconstructions et 400 000 réhabilitations de logements. Il vise à permettre une recomposition sociale et urbaine des quartiers. Ses résultats auprès des habitants relogés sont appréciés positivement. Mais trois ombres viennent obscurcir ce constat positif.

La première est que le programme a pris du retard : 53 % des démolitions prévues ont été réalisées, 30 % de l'offre de logement concernée a été reconstruite et 39 % des logements ont été réhabilités.

La deuxième est qu'en dépit de ce retard, le coût du programme s'est alourdi. Plus de 40 milliards d'euros ont été mobilisés par les administrations centrales, les collectivités territoriales, l'Union pour l'économie sociale et pour le logement (le « 1 % logement ») et les bailleurs sociaux. Alors que les objectifs sont encore loin d'être atteints et que la situation des finances publiques impose la recherche active d'économies, le financement complet du PNRU reste très incertain, et a fortiori la possibilité d'un deuxième programme. La Cour recommande un bilan précis des engagements pris au regard des financements disponibles, afin de sécuriser l'achèvement du programme actuel avant de définir de nouveaux objectifs.

L'articulation de la rénovation urbaine avec la dimension sociale de la politique de la ville reste limitée. La diversification de l'habitat est restée insuffisante et l'objectif de mixité sociale n'est pas atteint. Le PNRU comprend un volet social visant à accompagner le relogement et à fournir des services urbains de proximité. Ces actions sont très insuffisamment mises en oeuvre. On constate un manque d'articulation, voire un cloisonnement, entre le programme national et les CUCS conclus entre l'État et les collectivités territoriales. La Cour recommande que la prochaine génération de ces contrats assure l'articulation entre les interventions de rénovation urbaine et les programmes d'action sociale.

J'en viens au constat d'une insuffisante mobilisation des différentes administrations pour engager les politiques publiques de droit commun, par exemple l'emploi ou l'éducation nationale, au service des quartiers prioritaires. Cet objectif était constamment réaffirmé dans les plans gouvernementaux. Le rapport de la Cour et des chambres régionales des comptes montre qu'il est impossible de mesurer le niveau réel d'implication de chacune des administrations en l'absence d'un suivi territorial des crédits, reposant sur une méthode harmonisée et partagée entre les ministères. Cette carence met en évidence une insuffisante volonté de la part des administrations. Deux exemples témoignent de cette faible implication.

Le premier est l'évaluation par la Cour de la dynamique « Espoir banlieues », destinée à mobiliser les administrations de droit commun au service des quartiers prioritaires. Faute d'une organisation adaptée, d'une définition claire de son périmètre et de ses objectifs, elle a été progressivement abandonnée, sans qu'un bilan consolidé ait été réalisé.

Le second exemple est la politique de l'emploi. Les indicateurs sont particulièrement dégradés dans les ZUS : le taux de chômage des jeunes s'élève en 2009 à 30 % alors qu'il est de 17 % dans les agglomérations de référence. Les évolutions de la part des contrats aidés dont bénéficient les ZUS illustrent la moindre implication des politiques de l'emploi : cette proportion est passée, pour les contrats du secteur marchand, de 9,7 % en 2006 à 7,8 % en 2010. Pour les contrats du secteur non-marchand, cette proportion est passée de 18,4 % à 11,6 %. Les quartiers prioritaires de la politique de la ville ne sont pas systématiquement dotés d'une agence de Pôle emploi. Le nombre de demandeurs d'emploi suivi par conseiller est en moyenne plus élevé que dans le reste du territoire, dans des proportions pouvant aller du simple au double. Non seulement les ZUS n'ont souvent pas de moyens supplémentaires, mais elles apparaissent même défavorisées dans de nombreux cas.

Cette question a été placée au centre de l'expérimentation d'avenants aux CUCS, qui est en cours. Ses premiers résultats augurent mal de la capacité des mécanismes retenus à atteindre cet objectif. La Cour recommande que la prochaine génération de contrats puisse identifier de manière précise et chiffrée les moyens de droit commun engagés, en particulier en matière d'emploi et d'éducation, en obtenant un effort analogue de la part des collectivités territoriales. Au niveau national, des conventions entre les différents ministères et le ministère chargé de la ville pourraient identifier et mobiliser en amont ces moyens. Ce dispositif national pourrait être décliné dans les départements sous la conduite des préfets de région. Il conviendrait de s'assurer que les crédits de droit commun dédiés aux quartiers prioritaires soient supérieurs à ceux qui sont mobilisés, en moyenne, sur l'ensemble du territoire.

La Cour constate que les crédits spécifiques que l'État affecte à la politique de la ville, qui représentent 536 millions d'euros par an et sont censés renforcer les crédits de droit commun, ne sont pas mobilisés en priorité sur les zones qui connaissent le plus de difficultés.

Ainsi, les zones urbaines sensibles des départements dans les situations les plus difficiles, comme la Seine-Saint-Denis et les Bouches-du-Rhône, bénéficient de crédits par habitant moins importants que celles de départements ruraux ou semi-ruraux. En région Île-de-France, la Seine-Saint-Denis est, après Paris, le département dont l'enveloppe budgétaire, rapportée au nombre d'habitants, est la plus faible : 31 euros contre 41 euros pour la moyenne régionale et 71 euros pour les Yvelines. Or, ce département concentre les plus grandes difficultés sociales et économiques de la région. La Cour recommande de rééquilibrer ces crédits au profit des six départements qui rencontrent le plus de difficultés : Seine-Saint-Denis, Essonne, Rhône, Nord, Val-d'Oise, Bouches-du-Rhône. Elle ne propose pas de restreindre la politique de la ville à ces seuls départements, mais seulement de rééquilibrer la répartition actuelle des crédits en leur faveur.

Le Cour critique également le fait que ces crédits bénéficient à plus de 12 000 associations le plus souvent soumises à des objectifs peu contraignants et dont les résultats sont insuffisamment évalués par les services de l'État, l'ACSé et les collectivités territoriales. La gestion des crédits par l'ACSé a connu des progrès mais peut encore être améliorée. La Cour recommande de mieux évaluer les résultats obtenus par les associations et d'en tirer les conséquences le cas échéant en remettant en cause les conventions inefficaces.

Enfin, la Cour a observé que les crédits spécifiques de la politique de la ville se substituent parfois à l'insuffisance des crédits de droit commun, particulièrement pour l'emploi et l'éducation.

La politique de la ville doit évoluer pour être plus efficace. La Cour recommande en priorité de mettre en oeuvre la réforme de la géographie prioritaire, puis de définir de nouveaux contrats de politique de la ville prenant en compte ses recommandations. L'efficacité de la politique de la ville doit reposer sur une impulsion politique renforcée et une affirmation de la capacité d'animation interministérielle, nationale par le secrétariat général du comité interministériel des villes, et territoriale par les équipes préfectorales. L'action de l'État et celle des collectivités doit d'appuyer sur des objectifs précis et partagés, et sur une évaluation en continu. Ces évolutions, qui devraient être engagées avant 2014, donneraient à la politique de la ville plus d'efficacité et de lisibilité.

M. Daniel Raoul, président. - La parole est à notre rapporteur pour avis des crédits de la politique de la ville.

M. Claude Dilain. - Je tiens à vous féliciter pour cet excellent rapport. Malheureusement, nous partageons votre vision critique et une grande partie de vos recommandations, avec de nombreux élus locaux, en particulier les membres de l'association des maires Ville et banlieue de France. Il ne s'agit pas d'enterrer la politique de la ville, n'en déplaise à ses ennemis, mais au contraire de lui donner un nouveau souffle.

Comme vous, nous déplorons la faible mobilisation des politiques publiques en direction des quartiers prioritaires et pensons qu'un redéploiement des moyens de droit commun est nécessaire. Nous ne savons pas où est dépensé l'argent public. Il est temps d'engager une politique de géolocalisation de l'action publique. Ainsi ai-je découvert qu'un élève de Paris intra muros coûte plus cher qu'un élève de banlieue. Il y aurait beaucoup à dire, comme le sait Marie-Noëlle Lienemann, sur les bailleurs sociaux.

Il faut en tirer les conséquences sur la gouvernance, puisque, comme vous le soulignez, « l'action est mal pilotée ». Vous regrettez à juste titre que la délégation interministérielle à la ville ait été transformée en simple secrétariat. Pour mener une action interministérielle, redonner une légitimité politique au redéploiement des moyens, nous recommandons de cesser de cantonner la ville à un secrétariat d'État ou un ministère délégué, mais d'en faire un ministère d'État, ou de revenir à une délégation interministérielle puissante, administrativement et politiquement, comme elle l'était au temps d'Yves Dauge.

Les délégués des préfets jouent un rôle très positif dans la plupart des départements, mais ils n'ont pas l'autorité nécessaire pour réparer ce que vous avez dénoncé, contrairement aux préfets à la cohésion.

Vous avez été très dur à l'encontre des opérations de renouvellement urbain. Vous pouvez l'être si vous vous référez à l'objet de la loi qui est de réduire les écarts. Mais si vous demandez aux bénéficiaires ou aux voisins ce qu'ils en pensent, ils feront état, à plus de 70 %, de leur satisfaction. Je vois se lever les ennemis de la rénovation urbaine, aussi faut-il sans doute modérer ces critiques.

Quant à ces départements qui ont fait couler beaucoup d'encre, ce que je regrette, les journalistes ayant mal lu votre rapport, je constate qu'ils sont visés « prioritairement » et non pas « exclusivement », ce qui me va très bien.

M. Yannick Vaugrenard. - Votre rapport constate l'échec de la politique de la ville. Mais est-il possible que les inégalités entre les territoires se réduisent quand s'accroissent les inégalités entre les couches sociales, dans les domaines de la formation, du pouvoir d'achat, du patrimoine ? Dans une société comme la nôtre, non. Nous ne pouvons isoler la politique de la ville du reste.

Sur la gouvernance, il ne faudrait pas que le troisième acte de la décentralisation désengage, désarme trop un État qui doit jouer un rôle d'impulsion, de négociation, de mise en commun avec les partenaires que vous évoquez : intercommunalité, départements, régions. Ses représentants, préfets et sous-préfets, ont beaucoup moins à faire qu'hier. Ils pourraient être utilisés de manière beaucoup plus efficace, au service des projets des différentes structures intercommunales. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

J'en viens au problème du financement. Le Sénat a encouragé la péréquation verticale et horizontale. Nous savons combien cela est difficile à obtenir. Nous ne pouvons considérer que les communes les moins pauvres doivent donner aux communes les plus pauvres, alors que les communes les plus riches sont insuffisamment taxées au titre de l'effort solidaire. Il faudra procéder avec beaucoup d'intelligence et de volonté politique pour aboutir à une péréquation horizontale objective.

A propos des six départements mis en exergue, attention à ne pas oublier les départements traditionnellement industriels, qui n'en font pas partie, mais où le taux de chômage atteint des niveaux très élevés.

M. Daniel Raoul, président. - Dire qu'ils sont prioritaires ne signifie pas que les autres soient abandonnées.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Veillons à lever une ambiguïté, qui touche l'ensemble des rapports récents sur la politique de la ville, celui de l'agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU), celui du député-maire de Sarcelles, celui que j'ai fait adopter à l'unanimité par le Conseil économique social et environnemental sur les banlieues et faisons attention à la communication : leurs critiques visent la mise en oeuvre de la politique de la ville, mais n'estiment pas qu'elle est un échec en tant que telle. Peu de politiques publiques recueillent l'assentiment de 80 % des citoyens concernés, y compris dans son volet de réhabilitation urbaine. Bien sûr, l'écart est grand par rapport aux objectifs annoncés, l'essentiel a été dit là-dessus.

Je souligne que le taux de rotation des habitants est très élevé dans ces quartiers qui jouent le rôle de sas d'intégration républicaine, à la différence des ghettos anglo-saxons, dont personne ne part. Dans une société où les inégalités s'accroissent, il est important de ne pas démoraliser nos concitoyens sur les chances réelles de réussite de l'intégration républicaine. Pour autant, nous ne pouvons nous en satisfaire. Longtemps élue de l'Essonne, j'estime qu'un quartier d'Athis-Mons comme celui du Noyer Renard peut sortir du dispositif, alors que dans d'autres, l'essentiel reste à faire.

J'ai entendu votre appel à la prudence : oui, il faut d'abord réussir l'ANRU-1, mais je veux plaider également pour l'ANRU-2, car nous n'avons parcouru que la moitié du chemin. Si nous sommes au milieu du gué, c'est en raison de la lenteur de la mise en oeuvre des projets. Attention au stop and go, synonyme de gaspillage ! Sans continuité dans l'action, les détériorations, l'usure, les difficultés risquent d'enrayer la dynamique positive.

Sur les politiques de droit commun, je me méfie des comptes par quartiers. Il y a des conventions de l'ANRU. Les administrations devraient émettre des « porter à connaissance ». Par exemple, Pôle emploi présenterait son analyse de la situation à Clichy et des moyens qu'il entend mettre en oeuvre pour y répondre. Si les acteurs administratifs ne sont pas convaincus, à l'État de faire son travail. Pour le ministère de l'éducation nationale, le rectorat livrerait son analyse des difficultés des quartiers et présenterait sa stratégie de rattrapage. Ces « porter à connaissance » rendraient lisibles les analyses des administrations publiques et leurs engagements. Ils les obligeraient à les assumer. Les habitants des quartiers sauraient que l'État a pour objectif de permettre leur émancipation et l'égalité de traitement.

Il y a toujours eu, depuis 1991, des collectivités qui ont du mal à consommer les crédits, dans les Bouches-du-Rhône par exemple. Ce peut être en partie en raison de cafouillages politico-administratifs mais peut être aussi par manque d'argent. Il y a des communes pauvres qui ne peuvent pas trouver les 20 % ou 30 % qui leurs sont demandés en appui des projets d'équipement. Même la dotation de solidarité urbaine (DSU) n'est pas à la hauteur des besoins. Je m'interroge sur les taux de subventionnement et d'accompagnement par l'État de certaines opérations.

En définitive, votre rapport fait apparaître la réussite du renouvellement urbain. C'est l'articulation avec les autres volets de la politique de la ville qui souffre de carences. Certaines autres critiques sont rattrapables.

M. Daniel Raoul, président. - Je suis en plein accord sur le dernier point. J'insiste sur l'accompagnement. Nous ne pouvons nous contenter de l'immobilier.

M. Daniel Dubois. - Les politiques d'urbanisme et de reconstruction ont un intérêt majeur. Certains quartiers n'auraient pu en bénéficier si l'ANRU n'avait pas été créée et si 40 milliards d'euros n'avaient pas été engagés. Nous mesurons aujourd'hui les résultats d'une évolution, qui auraient pu être catastrophiques si cet engagement public n'avait pas eu lieu. Nous ne pouvons faire marche arrière. Les objectifs de reconstructions et de réhabilitations étaient ambitieux. Cette ambition était nécessaire. Qu'ils ne soient pas réalisés ne me choque pas, car ils étaient porteurs.

Le problème de la coordination reste posé. La durée est un élément déterminant, qui n'apparaît pas suffisamment dans les analyses. Une telle politique doit être mesurée à l'aune d'un quart de siècle dans les quartiers. La gouvernance est une question majeure. Comment trouve-t-on les indispensables moutons à cinq pattes, porteurs et animateurs de projets ? Comment les former, faire en sorte qu'ils disposent d'un minimum de subsidiarité, de pouvoir dans l'action ?

Enfin je ne peux passer sous silence la politique de peuplement. La plupart de ces quartiers sont des ghettos. Il faut bâtir la mixité par le haut pour améliorer les quartiers. Les politiques de peuplement sont très délicates. Il faut mettre les points sur les i. Certains opérateurs sont en limite du droit, pour obtenir des résultats.

M. Daniel Raoul, président. - Je suis entièrement d'accord avec vous. Il faudra que les quotas préfectoraux soient en cohérence avec les politiques déployées sur le terrain.

Mme Valérie Létard. - Je tiens à saluer ce rapport. Votre constat est sévère, étayé par des chiffres. Il permet de comprendre et d'analyser pourquoi la politique de la ville se traduit par de tels résultats. Le programme national de rénovation urbaine a porté ses fruits mais a souffert d'un déficit d'accompagnement et d'un volet politique de peuplement. Lorsqu'un quartier a connu démolitions, reconstructions, réhabilitations, ne faut-il pas commencer par en sortir les pauvres, afin de les tirer vers le haut, en les mêlant à la société de la ville ? Faut-il laisser faire sans faire évoluer le peuplement qui a toujours prévalu dans ces quartiers ? Nous représentons ici les élus locaux. Bien sûr, il faut respecter les prérogatives des maires, des bailleurs en matière d'attribution de logements mais pour réussir, la mixité est indispensable. Mettre le paquet sur l'urbanisme sans transformer socialement les quartiers ne nous fera pas progresser. Comment avancer vers la réussite scolaire si ceux-ci conservent les mêmes catégories socio-économiques ? Par l'accession à la propriété notamment, nous pouvons essayer d'apporter d'autres solutions.

Les CUCS ont mobilisé 500 millions d'euros pour 8 millions de personnes. Cette géographie prioritaire pêche peut-être par son importance. Faut-il réduire le périmètre ? Augmenter les moyens ? Des quartiers en grande détresse n'exigent pas nécessairement des investissements lourds, mais une meilleure coordination de l'accompagnement, un tour de table réunissant les collectivités, les organismes sociaux, les services de l'État, notamment Pôle emploi, l'éducation nationale et l'ensemble des acteurs afin d'apporter ensemble des crédits de droit commun. C'est possible, mais c'est encore compliqué. Il y a tant à faire en ce sens ! L'effort budgétaire des uns est parfois rendu inopérant par le désengagement des autres. Il s'agit de partager les priorités et de les financer ensemble.

Un PNRU-2 est indispensable, mais il faut bien en définir les cibles prioritaires et éviter une trop grande discontinuité avec le PNRU-1.L'ingénierie performante qui a fait ses preuves ne peut attendre deux ou trois ans, sinon elle risque de disparaître. Enfin, l'intercommunalité est un bon outil pour les territoires où les communes ne sont pas de grande taille. Ainsi, nous avons porté les projets « ville » de huit communes de taille intermédiaire.

M. Daniel Raoul, président. - Nous savons que des opérations très réussies ont été menées dans votre région.

M. Jacques Chiron. - L'exemple de Grenoble et de son agglomération m'a convaincu qu'il convient de travailler concomitamment sur les deux volets, urbain et social, de la politique de la ville. Dans le cadre du PNRU-1, on a créé d'un côté l'ANRU, de l'autre l'ACSé : une structure unique n'eût-elle pas été préférable ?

Intégrer la politique de la ville dans le droit commun, ainsi que l'on y tend désormais, suppose que tous les ministères partagent le même effort, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, et que soient maintenus dans les quartiers les services publics comme la poste ou la police de proximité, dont les antennes, quand elles existent, ne sont pas toujours ouvertes quand ce serait le plus utile. De même, la redéfinition du zonage ne doit pas faire oublier les programmes en cours.

Pourquoi ne pas permettre la vente en bloc de logements sociaux à des structures comme la Société nationale immobilière (SNI) pour assurer la mixité par le développement de l'habitat intermédiaire, souvent préférable à une reconstruction après démolition pour répartir différemment le peuplement ?

Un mot enfin sur les copropriétés qui, dans les quartiers, se dégradent souvent du fait de la main mise par des marchands de sommeil. L'Agence nationale d'amélioration de l'habitat devrait s'y intéresser.

M. Didier Migaud, premier président. - Je relève que beaucoup de nos observations se recoupent. Il est vrai qu'en matière de politique de la ville, si les actions ont été nombreuses, les résultats restent contrastés. D'où nos recommandations, qui font suite à celles d'autres rapports passés. En tout état de cause, il faut replacer les choses dans le contexte global de lutte contre les inégalités.

Oui, Claude Dilain, l'usage des moyens de droit commun dans les quartiers se heurte à des difficultés. Difficulté à mesurer, d'abord, car l'on a du mal à identifier ces moyens dans les prévisions budgétaires ; difficulté à assurer le suivi, ensuite. Il est vrai que la géolocalisation, en cette dernière matière, présentée comme une solution, a donné lieu à des initiatives, mais elle requiert une forte coordination entre les administrations - secrétariat général du Comité interministériel des villes, INSEE, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) - et des moyens financiers et humains qui font souvent reculer. Nous préconisons, à défaut, que les préfets concernés établissent, sous la coordination du préfet de région, des tableaux de bord par site retraçant les crédits en personnel et en moyens d'intervention. Les expériences réalisées par certains préfets dans les départements ont plutôt bien fonctionné.

Mme Anne Froment-Meurice. - Dans les nouveaux contrats, il faudra identifier les moyens de droit commun engagés aux côtés de l'effort des collectivités. Nous recommandons également d'associer les intercommunalités et d'articuler dans un même contrat les interventions relevant du volet social et celles qui ont trait à l'accompagnement social.

M. Didier Migaud, premier président. - La question de la gouvernance relève du politique : c'est à vous de trancher. La politique de la ville requiert une impulsion politique forte, que ne traduit pas la rareté des réunions du Comité interministériel des villes. Animer la politique de la ville, assurer une meilleure coordination entre les acteurs sont des impératifs que beaucoup d'entre vous ont rappelé. Nous ne préconisons pas pour autant la fusion entre l'ANRU et l'ACSé, mais une meilleure articulation, via le contrat unique, entre les acteurs, l'État devant dans le même temps jouer tout son rôle.

En ce qui concerne la géographie prioritaire, nous ne préconisons pas de limiter les actions de la politique de la ville à six départements, mais constatons un enchevêtrement des zonages législatif et contractuel. Sans aller jusqu'au système allemand ou anglais, qui concentrent énormément, nous avons des marges d'amélioration. Ce n'est qu'en concentrant l'effort sur certains quartiers que l'on assurera la péréquation. On sait bien que dans certaines villes, comme Paris, Puteaux ou Nice, l'effort de l'État n'a pas besoin d'être massif : la solidarité communale peut jouer. La péréquation horizontale reste un sujet difficile. Nous avons progressé, mais il reste de sérieux progrès à faire.

Ce que nous disons des effets de substitution témoigne de la nécessité de mieux cibler. Certaines mesures de la politique de la ville, comme les stages de mise à niveau, ne sont-elles pas redondantes avec ce qui existe déjà à l'Éducation nationale, avec l'école ouverte ? A chacun de faire son travail.

Pour la rénovation urbaine, on peut comprendre qu'il existe encore des besoins, mais il convient d'abord de faire le bilan du programme de l'ANRU, et, dans une situation budgétaire tendue, de le sécuriser, avant d'en lancer un nouveau.

Mme Anne Froment-Meurice. - Le mouvement est en cours sur la géographie prioritaire. Témoin les contrats d'objectifs et de moyens signés avec l'Acsé, qui imposent de réduire les écarts de secteur d'au moins 20 %, ce qui suppose une allocation des crédits différentes pour les départements où les difficultés sociales sont les plus fortes, tels que ceux où existe un préfet délégué à l'égalité des chances. De même, les crédits de droit commun doivent être affectés aux quartiers les plus en difficulté.

Mme Sylvie Esparre. - Une part de la difficulté est venue de l'articulation entre la loi relative au droit au logement opposable (DALO) qui s'applique partout, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), pas toujours respectée, et les périmètres de zone où s'applique le programme de rénovation urbaine.

L'ANRU a été créée deux ans avant l'ACSé, pour accompagner les programmes de reconstruction et de relogement, qui ont été mis en place tardivement. Lorsque l'Acsé a été ensuite créée, elle n'a pas réussi, du coup, à assurer une bonne coordination, et les CUCS, faits pour coordonner, n'ont pas joué leur rôle. Des progrès ont été accomplis ces dernières années avec les contrats d'objectifs et de moyens, et les nouveaux directeurs des deux agences se sont rapprochés. Il ne faut pas oublier cependant que lors de la mise en place du PNRU, il a fallu aller vite, si bien que l'on n'a pu donner sa vraie place au relai social de la politique de la ville. D'où, d'ailleurs, la création de l'Acsé.

Mme Valérie Létard. - Le problème de l'Acsé ne tient-il pas à la pluralité de ses missions ? Accompagnement de la politique de la ville mais aussi lutte contre les discriminations. Si bien que l'on se retrouve avec une technostructure lourde chargée de gérer des problèmes humains qui exigent au contraire une grande proximité.

Quant à la question de l'emploi, elle ne passe, dans les quartiers, que par le traitement social du chômage. On ne songe pas aux zones franches urbaines, aux dispositifs d'accompagnement du commerce et de l'artisanat. C'est regrettable.

M. Didier Migaud, premier président. - Nous ne préconisons pas, encore une fois, de fusionner l'ANRU et l'ACSé. Il faut jouer la complémentarité et la cohérence. Mais il est vrai qu'il faut une présence physique. Il n'est pas normal que Pôle emploi ne soit pas implanté dans certains secteurs, nous le disons dans le rapport.

M. Daniel Raoul, président. - Nous sommes tous confrontés à ces problèmes dans nos collectivités, d'où notre intérêt. Lorsque Daniel Dubois estime que les quotas préfectoraux devraient être confiés à ceux qui sont les pilotes, je le suis.

M. Claude Dilain. - Dans le respect de la loi SRU.

Audition de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif

La commission entend ensuite M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif.

M. Daniel Raoul, président. - Je me réjouis que cette réunion donne aux élus de terrain que nous sommes la possibilité de manifester leur capacité de mobilisation face à l'urgence sociale, économique et industrielle. Elle est d'actualité et la presse de ce matin en témoigne. Quand l'industrie française ne représente plus que 12 % du PIB, on peut sérieusement s'interroger : au-delà du débat statistique sur la prise en compte de l'externalisation, il reste qu'en deçà de 20 % du PIB, c'est la question de la survie industrielle qui se pose au pays, sauf à nous transformer massivement en gardiens de musée...

L'urgence se manifeste de façon plus visible dans certains secteurs. Comme vous l'avez indiqué le 13 juillet dernier au Sénat, monsieur le Ministre, la nation toute entière devra se rassembler derrière son industrie, particulièrement son industrie automobile. Il faudra également être attentif, ainsi qu'il ressort de l'audition du président de France Telecom Orange, à l'équilibre du secteur des télécommunications, porteurs de forts enjeux en termes de valeur ajoutée, d'innovation, d'emploi et d'aménagement numérique du territoire. On constate les perturbations suscitées par l'entrée d'un nouvel opérateur et toute la question est aujourd'hui de savoir où placer le curseur entre la défense du pouvoir d'achat du consommateur et les effets collatéraux sur l'emploi des baisses de tarifs ? Ces deux secteurs feront l'objet d'annonces officielles dès demain en conseil des ministres.

La réindustrialisation, chère à Martial Bourquin, aux côtés de qui j'ai travaillé tout au long de la mission d'information consacrée à cet enjeu, a un rôle central à jouer dans le redressement productif. Elle marque d'abord une rupture avec la priorité excessive accordée depuis vingt ans au secteur tertiaire et avec son corollaire : l'obsession de la baisse du coût du travail. Je précise à ce sujet que si l'on veut établir des comparaisons avec l'Allemagne, dont il ne faut pas oublier que c'est un Etat fédéral, qu'on le fasse honnêtement en prenant comme base de référence les coûts de production constatés dans les trois Länder du sud et de l'ouest.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Très bien !

M. Daniel Raoul, président. - On aurait alors bien des surprises, comme nous en avons eu, Martial Bourquin et moi-même, à Stuttgart.

La réindustrialisation c'est ensuite une stratégie territorialisée. Nous attendons beaucoup des vingt-deux commissaires au redressement productif placés auprès des préfets de région, dont vous allez pouvoir nous préciser quel rôle vous entendez leur donner. Il est tout aussi nécessaire d'associer les élus de terrain : c'est principalement entre la région et les intercommunalités que se joue le développement économique du territoire.

M. Didier Guillaume. - Et les départements ?

M. Bruno Retailleau. - Oui, les départements !

M. Daniel Raoul, président. - Je globalise mon propos pour les inclure... Le colbertisme participatif que vous entendez promouvoir témoigne d'un volontarisme que nous soutenons dans son principe. En même temps, comment ne pas rappeler, ici au Sénat, le caractère irremplaçable de la contribution des élus locaux dans leur ensemble ?

La réindustrialisation, enfin, a besoin d'outils efficaces. Sans négliger l'importance, sur le plan humain, de la sécurité sociale professionnelle, qui inclut la formation, j'insiste sur les soutiens financiers, sans lesquels rien n'est possible. Voyez combien les collectivités locales contribuent aux subventions d'investissement : peut-être pourriez-vous faire le point sur les nouvelles orientations données à la mécanique complexe gérée par le Commissariat général à l'investissement qui doit allouer les neuf milliards restants du grand emprunt. Comment la banque publique d'investissement pourra-t-elle déployer un réseau de distribution unique de l'ensemble des outils publics de financement - prêts garantis, fonds propres, subventions et projets à l'exportation ? Quelles conséquences ce schéma aura-t-il sur les activités et le statut de la Caisse des dépôts, de sa filiale CDC Entreprises - dont les 77 fonds régionaux gèrent plus de 12 milliards d'euros - d'Oseo et du Fonds stratégique d'investissement ?

Nous souhaitons également vous interroger, notre collègue Marc Daunis ne me contredira pas, sur le crédit impôt recherche (CIR). Je ne suis pas totalement en phase avec certaines propositions du tout récent rapport de notre collègue de la commission des finances Michel Berson : nous nous battons depuis plusieurs années ans pour un taux supérieur en faveur des PMI innovantes et pour un statut des jeunes entreprises industrielles. Si je peux suivre les conclusions du rapport sur la banque et les holdings financières, et considérer avec Michel Berson qu'il faut mieux utiliser le CIR pour favoriser l'innovation, je reste convaincu que la créativité est plus forte dans les PME et les JEI que dans les grands groupes.

M. Michel Berson. - Nous ne sommes pas en désaccord, comme en témoigne le contenu du rapport.

M. Daniel Raoul, président. - Quid, enfin du projet de loi qui visait à autoriser la reprise par les salariés des entreprises économiquement viables, et qui aurait pu concerner Petroplus, ArcelorMittal, le Thé Elephant et bien d'autres entreprises encore. Quand sera-t-il soumis à notre examen ?

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. - Je vous remercie de votre invitation à débattre. Pour avoir été vingt ans député, je ne peux être que vivement attaché à l'échange avec les parlementaires, a fortiori avec vous, qui êtes les dépositaires de l'intérêt des collectivités locales, donc des territoires, qui sont appelés à jouer un rôle important dans notre mobilisation nationale en faveur du redressement productif. Il était donc nécessaire que cet échange ait lieu dès à présent. Le regard des élus sur l'entreprise est toujours très instructif. Le ministre que je suis a besoin de votre connaissance du terrain et les fonctionnaires, au premier rang desquels les préfets et les commissaires chargés de retisser les maillons de la chaîne économique dans toutes ses composantes, seront à la disposition des élus dans les opérations de sauvetage.

Le redressement productif tire son inspiration du « redressement industriel national » (New Deal) lancé aux Etats-Unis après la grande dépression de 1929 par le président Roosevelt. Lorsque le président de la République m'a proposé ce ministère, je l'ai interrogé sur son intitulé : pourquoi pas redressement industriel ? Parce que, m'a-t-il répondu, les services, l'agriculture, sont également menacés : c'est donc toute la chaîne économique est donc concernées. Indiscutablement, dix années de pertes de ressources productives, la disparition de 750 000 emplois industriels, une balance commerciale en déficit de plus de 70 milliards sont autant de symptômes d'une économie malade. Dans un monde ouvert à la compétition, la question de notre stratégie par rapport à la mondialisation doit se poser. Tel est l'esprit du redressement productif, qui demandera des efforts à chacun. Avec le Premier ministre, nous engagerons le dialogue, face à chaque sinistre économique, en veillant à l'équilibre des responsabilités. Nous en appelons tout d'abord à la responsabilité industrielle des actionnaires ou des financiers et ensuite à la responsabilité sociale des entreprises, car les salariés ne peuvent rester la permanente variable d'ajustement face aux difficultés, si ce n'est aux erreurs de gestions ou aux caprices de l'actionnariat ; nous en appelons enfin à la responsabilité économique des syndicats : on ne peut engager le rapport de force sans tenir compte de la réalité économique, au risque de perdre l'outil de production. Il nous faut donc travailler à rapprocher les points de vue, pour rassembler. J'aborde tous les dossiers dans cet esprit. Les salariés ne doivent pas être les seuls à faire des sacrifices, surtout en un temps où l'emploi est la priorité. Les actionnaires doivent recapitaliser, les banquiers reconnaître leurs erreurs éventuelles, les donneurs d'ordres et partenaires assurer l'indispensable solidarité. Tous les pays qui ont su s'engager dans cet esprit d'entraide ont surmonté la crise. Les pays aujourd'hui conquérants avaient su s'unir. N'oublions pas que la question du chômage est en jeu : il doit reculer.

Par ailleurs, tout plan de reconquête soulève la question de notre place dans la mondialisation. La question de la compétitivité-coût n'est pas pour nous un sujet tabou mais on ne saurait entrer dans ce débat avec des slogans choc sur le coût du travail. Je note que parmi les constructeurs automobiles, tous n'ont pas la même analyse : voyez Toyota, qui a relocalisé la construction de ses voitures à destination du marché américain du Nord. Didier Leroy, PDG de Toyota Europe reconnaît lui-même que la baisse du coût du travail, qui représente 8 à 15 % des coûts de construction, ne procure pas un avantage compétitif sérieux. S'agissant de la comparaison avec l'Allemagne, il est vrai qu'une politique de désinflation compétitive a permis, à notre voisin, de rattraper la France en dix ans, mais aujourd'hui, les syndicats allemands revendiquent et obtiennent des hausses de salaire IG-Metall vient de négocier les 32 heures dans la métallurgie : évitons donc le dogmatisme et les préjugés.

M. Didier Guillaume. - Très bien !

M. Arnaud Montebourg, ministre. - Si dans certains secteurs, les constructeurs demandent une baisse du coût du travail, ce n'est pas le cas dans d'autres filières.

Les coûts de production ont, je le rappelle, trois composantes et ne se limitent donc pas au coût du travail, et du financement de la protection sociale. Sur ce premier point, le Premier ministre a confié à Louis Gallois une mission d'enquête qui permettra de structurer le débat dès la rentrée. Car il n'y a pas de débat interdit et vous serez invités à participer pleinement à cette analyse afin que nous arrivions au point de vérité. La Nation ne doit ni esquiver ni escamoter le débat.

En second lieu, il faut aussi prendre en compte le coût du capital, et -disons-le- la « gourmandise » du système financier. L'anglo-saxonisation de notre économie pose un vrai problème, car elle ne correspond pas à l'ADN de notre modèle économique et social. L'utilisation de l'endettement comme moyen d'acquisition des entreprises, par le LBO (leveraged buy-out ou acquisition avec effet de levier), a provoqué de nombreux dégâts, et lorsque le ratio ROE (return on equity ou rendement des capitaux propres) sert de boussole à l'ensemble des investisseurs au point de fermer des entreprises pourtant profitables parce qu'elles n'ont pas une rentabilité à deux chiffres. Où est donc la nationalité et l'équité ? Quand les outils industriels rentables disparaissent ? Face à ce que le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz appelle la cupidité de la finance, il faut rechercher dans toutes les directions des outils de modération. La modération, voilà l'esprit du ministère du redressement productif.

Troisième facteur, l'énergie dont le prix est devenu un élément de la productivité de notre industrie. L'un des enjeux du débat sur l'énergie que Delphine Batho mènera sans aucun tabou, sera de préserver nos acquis tout en imaginant un avenir qui passe notamment par les filières des énergies renouvelables - nous espérons être leaders dans de nouvelles filières. Cet équilibre appartient à notre intelligence collective.

L'autre grand volet de notre plan de reconquête industrielle, est celui du financement. Pourquoi a-t-on imaginé la Banque publique d'investissement (BPI) ? Un tel outil serait superflu si le secteur bancaire privé faisait correctement son travail et finançait l'économie réelle sans se focaliser sur la rentabilité à court terme : la patience est l'arme des investisseurs, l'impatience, l'attribut du système financier. C'est cette contradiction que nous voulons résoudre en créant les conditions d'une mobilisation de notre épargne, véritable atout de la France dans la mondialisation, que nous utilisons peu. Au contraire, nous laissons se développer l'assurance-vie, c'est-à-dire une épargne défiscalisée dont l'encours s'élève entre 1.300 et 1.500 milliards d'euros sans contrôle suffisant sur les investissements qu'elle finance.

La BPI offrira aux entreprises un guichet unique pour l'accès à Oséo ou au Fonds Stratégique d'Investissement (FSI) et rapprochera du terrain les lieux de décision. Les élus locaux y joueront un rôle important en contribuant à la décision sur les engagements financiers. Dans notre esprit, la BPI s'apparente au modèle des banques mutualistes des Länder allemands, dans lesquelles la prise de décision est totalement décentralisée par l'entremise d'un système de drainage de l'épargne locale. Tout en conservant une cohérence nationale, il faut en effet augmenter les possibilités d'engagement sur les territoires. On n'ira plus à Paris plaider un dossier FSI à Paris quand on peut le faire plus efficacement sur le terrain, croyez-en un ancien président de conseil général et conseiller général d'un canton de 2 000 âmes !

En outre, nous ne souhaitons pas que la BPI se comporte comme une banque privée. Au contraire, elle sera une alternative, avec une autre vision de l'investissement, plus de patience et moins de « gourmandise ». Nous allons créer des circuits courts d'épargne, le livret d'épargne industrie servant à financer la PME locale, celle que l'on connaît, qui embauche vos enfants et dont vous appréciez et consommez les produits. Bref, nous voulons ainsi solidariser les territoires autour des entreprises.

En matière d'innovation, beaucoup de choses ont été faites grâce au grand emprunt, à telle enseigne que, député de l'opposition et représentant spécial du candidat François Hollande, je disais qu'il faudrait presque un grand emprunt par an. Nous n'avons certes pas besoin d'endettement public supplémentaire, mais de mobiliser l'investissement et d'attirer les financements privés, voire de les allier à l'investissement public. La France et l'Europe doivent inventer les produits de demain pour que, la production étant aussi un acte culturel, nous ne devenions pas dépendants d'autres cultures ou d'autres identités. Le financement de l'innovation technologique constitue bien un enjeu à la fois national et local, y compris dans des territoires où les PME sont actuellement livrées à elles-mêmes, sans grand groupe pour les aider. Nous investirons pour faciliter la rencontre entre l'innovation technologique, les laboratoires de recherche, et les écosystèmes économiques locaux.

Quel arbitrage dans nos préférences collectives entre producteurs et consommateurs ? En observant certaines évolutions, l'on pourrait imaginer que nous sommes avant tout une nation de consommateurs se ruant sans réflexion suffisante sur le low-cost. Toutefois, selon une étude du CREDOC, 60 à 65 % des Français accepteraient de payer plus cher un bien ou un service produit dans notre pays. Ce changement fondamental signifie que le consommateur est devenu acteur et citoyen : en poussant son caddy, il s'intéresse au circuit de fabrication de la marchandise qu'il acquiert. Objectif politique, le pouvoir d'achat devient suicidaire quand il passe par la destruction de nos entreprises, de nos emplois.

Nous devons réconcilier le consommateur et le producteur. C'est le sens du travail que nous menons avec Fleur Pellerin sur la téléphonie mobile. Nous ne souhaitons pas reprendre aux consommateurs les avantages qu'ils ont acquis mais nous regardons ce qui se passe dans le monde : il y a deux grands opérateurs et deux petits aux Etats-Unis, il y en a deux en Chine, et l'Europe en compte 140 pour 400 millions d'habitants. La balkanisation, la concurrence libre et non faussée, presque sauvage, aboutiront pour les Européens à la perte de souveraineté dans le numérique. Nous serons de simples consommateurs offrant leurs données personnelles comme des objets commerciaux à d'autres puissances, comme nous le faisons déjà avec Facebook ou Google. Nous ne pouvons plus nous contenter d'être des consommateurs amoureux du court terme, notre souveraineté numérique passe par la défense du producteur.

Il est nécessaire de dresser le bilan des années low-cost  et de constater les délocalisations dans le secteur automobile, les difficultés d'Air France, ou les plans sociaux dans la téléphonie mobile, comme chez SFR et Bouygues qui affichaient pourtant des résultats et une rentabilité exceptionnels.

Dans le secteur des télécommunications, nous associerons le Parlement aux arbitrages politiques de réequilibrage. La discussion sera aussi multipartite puisqu'elle concerne les syndicats, qui défendent les victimes des plans sociaux, et aussi les salariés invisibles des sous-traitants ; elle concerne également les opérateurs qui cherchent à rétablir leurs marges et leurs dividendes et auxquels nous demanderons quelques efforts, notamment de recapitalisation. Nous discuterons avec les associations de consommateurs, qui nous interrogent légitimement sur les raisons de la remise en cause de certains acquis. Cet équilibre sera défini avec la nation tout entière.

Enfin, la nécessité de réorienter l'Europe vers la croissance fait, grâce à François Hollande, l'objet d'une prise de conscience de la part des dirigeants de l'Union. Le président a installé ce débat au coeur de l'agenda économique européen en pleine crise de la zone euro. Les décisions de remise en ordre des comptes publics doivent être compensées par une mobilisation des ressources européennes favorables à la croissance, car rien n'est pire que d'aggraver les difficultés en pensant les résoudre, comme le médecin de Molière tue le malade qu'il croit soigner par la saignée.

Cette réorientation vaut aussi en matière de politique de la concurrence et de politique commerciale extérieure. Le bloc juridico-politique qui organise la concurrence permanente entre les Européens interdit la naissance de champions européens ou nationaux et favorise toujours le consommateur au détriment du producteur, ce qui nous expose à voir d'autres puissances venir faire leur shopping en Europe, ramasser les brevets, les technologies ou les outils de travail, et faire disparaître les emplois de nos territoires.

Nous demandons la réciprocité en matière commerciale, c'est à dire que l'Europe se défende des divers comportements protectionnistes qu'elle subit des autres pays. La concurrence mondiale déloyale doit être combattue et j'ai déjà, avec l'aide d'un certain nombre de ministres de l'industrie de l'Union, pris des initiatives en ce sens dans le cadre du Conseil de compétitivité. Vis-à-vis de nos concurrents déloyaux, qui ne sont pas soumis aux règles de Bruxelles, nous revendiquons le droit de l'Europe à défendre les Européens plutôt que de les accabler.

Tel est l'esprit du ministère du redressement productif.

M. Martial Bourquin. - Notre modèle industriel classique est largement dépassé. Depuis la Libération, les gouvernements successifs ont aidé les grands groupes. Or, nous avons davantage besoin de politiques de filières et de PME que de soutien du CAC 40. Il faudrait aider nos petites entreprises à grandir alors que les liens entre les grands groupes et leurs sous-traitants constituent à l'inverse un important facteur de désindustrialisation.

Dans le cas d'aides publiques très importantes, comme les 10 ou 11 milliards accordés au secteur automobile, ne devrait-on pas exiger des garanties solides avec l'obligation de réindustrialiser le territoire ? Un Etat régulateur pourrait promouvoir des politiques concertées. Je signale au passage n'avoir toujours pas compris pourquoi il n'y avait pas davantage de coopération entre Peugeot et Renault.

Alors que l'on s'oriente vers une diminution de la part du nucléaire dans le mix énergétique, ce sont aujourd'hui la Chine, l'Allemagne et dans une moindre mesure la Japon qui dominent le marché des équipements en énergies alternatives. Si vous achetez une chaudière à condensation, elle vient d'Allemagne. Des panneaux photovoltaïques ? Ils seront chinois ou allemands. Ne faut-il pas plus de volontarisme pour que la France puisse créer des emplois dans ce domaine ? L'Allemagne a créé 360 000 emplois dans ce secteur tandis que notre filière photovoltaïque est à l'agonie.

Je salue votre dynamisme, car l'industrie ne peut plus être traitée comme elle l'a été. L'une des conclusions du rapport de notre mission d'information sur le sujet était qu'une nation qui n'a pas un socle industriel puissant n'a pas d'avenir.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Tout en affichant avec un certain cynisme des bénéfices importants, Sanofi évoque la suppression à terme de 640 postes de chercheurs à Toulouse et encore davantage à Montpellier. Le schéma est toujours le même : on commence par considérer qu'un écosystème de recherche n'est pas assez pertinent, alors même qu'il est à l'origine, entre autres molécules emblématiques, du Plavix, un anticoagulant reconnu, et on le fait sans prendre en compte l'expertise des représentants des salariés. La direction de Sanofi a, bien entendu, répondu à mes interrogations au conditionnel. On sent toutefois que leur volonté est de recourir à l'externalisation avec le risque de se contenter des molécules déjà rentables, mais soumises à la menace des génériques, sans développer de nouveaux produits.

Allez-vous intervenir, monsieur le Ministre, pour que le dialogue social reprenne non seulement en ce qui concerne la stratégie de ce groupe, mais aussi au sujet des éventuelles décisions à court et moyen terme. Sanofi prétend économiser 2 milliards d'euros d'ici 2015 comme si un laboratoire qui ne produit pas de recherche n'était pas hors-jeu par rapport au redressement productif ?

M. Jean-Claude Lenoir. - Si vous soulignez avec raison que l'énergie est un des piliers de notre redressement productif, la commission d'enquête sénatoriale sur a mis en lumière que le prix de l'électricité devrait fortement augmenter au cours des prochaines années, réduisant ainsi l'avantage compétitif que nous tirons du nucléaire. Partagez-vous cette analyse ? La baisse de la part de l'énergie nucléaire ne risque-t-elle pas de nous gêner dans la conservation, voire la conquête de parts de marchés alors que de plusieurs pays, comme la Chine, le Brésil et l'Indonésie la développent ? Comment voyez-vous la place de notre industrie dans ce secteur ?

Qu'en est-il enfin des mesures en faveur de l'innovation et de la recherche, secteurs où nous souffrons pour le moins d'un décalage avec l'Allemagne ?

M. Roland Courteau. - Je souhaitais évoquer le renouvelable, Martial Bourquin en a parlé ; je voulais vous interroger sur le coût de l'énergie, Jean-Claude Lenoir l'a fait. Il y a des vérités qui devaient être dites et j'ai apprécié vs prises de position dans le dossier Peugeot ! Cette affaire avait bien été mise « sous le tapis » à l'approche de l'élection présidentielle, tout comme pour Air France, Sanofi, Doux ou Pilpa à Carcassonne. Le sort de cette dernière entreprise illustre les excès de gourmandise du capital qui détruisent notre industrie. La filiale américaine du groupe R&R Ice Cream qui l'a rachetée récemment, s'est emparée de ses brevets et licences ainsi que du portefeuille client avant de fermer le laboratoire, puis d'annoncer la fermeture du site au profit d'une usine située...en Pologne ! Voilà comment on sacrifie sur l'autel du profit financier une entreprise dont la marge brute est de 27 %. Tant pis pour les salariés qui resteront sur le carreau... Je dénonce ce comportement inacceptable et vous remercie par avance de votre soutien.

M. Bruno Retailleau. - Je suis prêt à souscrire à l'essentiel des propos que vous venez de tenir tant ils reposent sur des vérités frappées au coin du bon sens. En revanche, vos appréciations sur PSA Peugeot m'apparaissent choquantes. Le ministre du redressement productif, en livrant à la vindicte telle ou telle entreprise, ne prend-t-il pas en effet le risque de jeter l'opprobre sur toutes les autres ? Il y a des patrons voyous et il faut les condamner !

M. Roland Courteau. - Exactement !

M. Bruno Retailleau. - On peut le faire devant le tribunal médiatique mais il est préférable de se donner les moyens de mobiliser des arguments recevables en justice ! Or ce que vous dites sur Peugeot est en décalage avec le reste de vos propos.

Les nouvelles règles prudentielles de Bâle 3 et, pour les assurances, de Solvency 2 semblent avoir été mal négociées et sont appliquées avec plus de rigueur en Europe qu'ailleurs, alors même que les comptes des entreprises poussent ces dernières à s'endetter. Dans ce contexte, quel sera le niveau des engagements de la BPI ?

Par ailleurs, je nuancerai vos propos sur le numérique : le triple-play est deux fois plus cher aux États-Unis, pays où 350 000 emplois ont disparu pendant la période de concentration qui a aboutit à un marché bipolaire. Même si les différentes lois consuméristes qui se sont succédé n'ont jamais eu mes faveurs, j'aimerais savoir si vous souhaitez augmenter le prix des abonnements ou remettre en cause les abonnements conclus pour 24 mois ?

M. Claude Bérit-Débat. - Je fais partie de ceux qui ne peuvent que soutenir vos propos qui s'inscrivent dans la continuité de la campagne présidentielle.

Je m'étais opposé au gouvernement précédent au sujet de la SNPE (Société nationale des poudres et explosifs), dont le site de Bergerac a été vendu « à la découpe ». L'activité de production de poudre à usage essentiellement militaire occupe environ 200 personnes : l'Etat reste l'actionnaire principal et le groupe Eurenco dépend des commandes militaires. Il y aurait une possibilité de diversifier l'activité et de maintenir l'emploi en produisant du NEH, un additif au gazole qui atténue son effet sur l'environnement. Quelle est votre vision de ce dossier sur lequel le maire de Bergerac, Dominique Rousseau, vous a interpelé ?

M. Arnaud Montebourg, ministre. - En matière de sous-traitance, nous ne partons pas de rien. Je tiens à remercier M. Jean-Claude Volot, médiateur en charge de ce sujet qui a créé à lui seul une sorte d'agence de notation des donneurs d'ordres dont les avis son repris à la une du magazine Challenges. Cette sorte de « guide Michelin » a mis en jeu leur responsabilité : faut-il aller plus loin ? Nous sommes preneurs des résultats de vos investigations dans ce domaine, l'objectif étant d'éviter la multiplication des lois déstabilisantes, comme nous en avons connu au cours des périodes précédentes. Il faut plutôt unir les entreprises car à l'exportation, nous devons travailler en équipe et, dans un esprit de patriotisme économique, les grandes entreprises doivent donner davantage la main aux petites.

Nous demanderons des contreparties aux aides publiques et en vérifierons l'existence. Ce sera par exemple le cas dans le plan pour la filière automobile que je présenterai demain.

S'agissant de la coopération Renault-PSA, elle existe, vis-à-vis de la sous-traitance, mais il s'agit d'une forme de partage des commandes à la fois implicite et insuffisamment ordonné. Concrètement, pour sauver un sous-traitant en difficulté, Renault dit « si Peugeot y va, j'y vais » et vice-versa : dans ce domaine, tout reste donc à imaginer.

L'industrie photovoltaïque a, en France comme en Allemagne ou en Espagne été détruite par l'offensive asiatique et particulièrement chinoise à laquelle l'Europe n'a opposé aucune mesure de protection. Dans notre pays, l'un des facteurs de déstabilisation a été les allers-retours du précédent Gouvernement. Nous avons, avec Delphine Batho, confié une mission au Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies sur les mesures à prendre pour reconstruire la politique industrielle du pays ? Nous pourrions d'ailleurs conduire cet exercice pour tous les secteurs pour définir, filière par filière, les chemins de la reconquête en nous appuyant sur l'extraordinaire créativité française.

Le cas de Sanofi évoqué par Jean-Jacques Mirassou est significatif : lorsqu'on réalise 5 milliards de bénéfices, il est préférable d'éviter les projets de destruction d'emplois, en particulier dans la recherche et le développement de nouvelles molécules. J'ai rappelé à son Président Directeur Général la nécessité de tenir compte du facteur humain et de dialoguer avec les organisations syndicales pour parvenir à des accords négociés. J'ai aussi invité à la CGT à être constructive car une entreprise peut avoir besoin de se réorganiser. Il s'agit de trouver des compromis acceptables pour tout le monde.

Monsieur Jean-Claude Lenoir, le Premier ministre et moi-même avons exprimé devant la conférence nationale de l'industrie notre confiance dans le secteur nucléaire. L'évolution de notre mix énergétique ne signifie en rien une déprise de cette filière, et surtout pas avec l'augmentation importante de la consommation dans les vingt ans à venir. Bien au contraire, nous travaillons à en améliorer en permanence la sureté : nous rejetons l'esprit low cost et croyons à la vocation exportatrice de cette industrie.

Fleur Pellerin qui suit très attentivement les questions d'exportation et d'innovation veille particulièrement à améliorer la diffusion de cette dernière à la production industrielle. En nous inspirant des Fraunhofer allemands et dans le prolongement du travail des instituts Carnot financés par le grand emprunt, nous allons stimuler la diffusion technologique, notamment par l'organisation de rencontres sur les territoires, car pour nous c'est l'avenir de la France qui est en jeu. Leur dynamisme est un atout qu'il faut savoir utiliser à travers la politique des pôles de compétitivité.

A côté de son intervention en matière de fonds propres (FSI), d'innovation (lex-Anvar) et de fonds de roulement (Oséo), la BPI doit aussi favoriser l'exportation, d'où la question d'une intégration de la Coface dans son périmètre. Cette nouvelle banque devrait disposer d'un budget de 250 millions d'euros consacré à l'innovation, ce qui correspond à peu près au budget d'Oséo, ses interventions en fonds propres étant reprises du FSI qui dispose de 500 millions. Quant à l'encours des prêts, il s'établit à environ 10 milliards, plus une dizaine de milliards au titre des garanties bancaires. Rien n'est encore tranché sur l'affectation des ressources du livret d'épargne industrie : les sénateurs pourront se saisir de ce sujet et faire des propositions.

Bruno Retailleau me reproche mes déclarations sur Peugeot, pourtant modérées et parfaitement équilibrées. Le fait qu'il y ait eu dissimulation n'est nié par personne et reconnu par Philippe Varin lui-même. Cette dissimulation a été crédibilisée par le gouvernement précédent. En effet, alors que les syndicats avaient mis à jour un document de travail daté d'août 2010 annonçant que la meilleure fenêtre pour fermer Aulnay serait après les élections 2012, le président de la République déclarait en novembre 2011, après avoir reçu Philippe Varin, qu'il n'y aurait pas de plan social chez PSA en France. Nous sommes en droit de dire qu'il y a eu une forme d'irresponsabilité du pouvoir de l'époque : ou bien il y avait nécessité de mettre les difficultés sur la table et de ne pas les laisser s'aggraver, ou bien ce n'était pas le cas, et dans ce cas, pourquoi un plan social ? L'actionnaire n'est pas sans responsabilité dans une telle situation. Il est difficile d'expliquer aux salariés pourquoi l'on distribuant des dividendes aux actionnaires au moment où l'on brûlait du cash.

Lorsqu'en tant que ministre je soulève des interrogations, c'est avant tout pour éviter que ces erreurs se reproduisent. Qu'ai-je dit sur France Inter qui ait pu choquer ? Je cite : « Il y a des plans sociaux dans lesquels il est inévitable qu'il y ait des pertes d'emplois pour sauver l'entreprise. Pourquoi ? Parce que chez Peugeot, si le malade n'est pas imaginaire mais bien réel, il y a quand même 80 000 personnes qui travaillent, qui restent chez Peugeot. Nous avons charge de les aider à garder leur emploi. Nous voulons que Peugeot retrouve la bonne santé financière ». J'en appelle à la responsabilité industrielle de l'actionnaire, à la responsabilité sociale de l'entreprise pour que les salariés, vis-à-vis de qui toute entreprise a un devoir, ne payent pas seuls le prix du sacrifice. Les syndicats ont également la responsabilité de tenir compte de la réalité économique. Si Peugeot a des difficultés, nous les constaterons, nous les évaluerons et nous ferons en sorte que les mesures curatives soient proportionnées.

Vous avez convenu que notre politique était frappée au coin du bon sens et je vous en remercie. Notre projet n'est pas de dissimuler les problèmes mais de les affronter ensemble. Si vous voulez mobiliser la nation dans toutes ses composantes, il faut identifier les difficultés, les mesurer, et ensuite, trouver ensemble les solutions pour les surmonter. C'est une méthode d'inspiration mendésiste car c'est en disant la vérité que Pierre Mendes-France a permis à la France de surmonter les crises. C'est ce que nous voulons faire dans cette période très critique sur le plan économique et social.

Vous m'avez interrogé sur le projet de loi sur l'encouragement à la reprise de sites dont la viabilité est avérée.

M. Daniel Raoul, président. - C'est d'actualité.

M. Arnaud Montebourg, ministre. - Nous n'acceptons pas que des groupes nous disent, alors même qu'il y a un repreneur pour leur activité sur notre territoire, qu'ils s'en vont fabriquer ailleurs. C'est inacceptable pour les Français et pour n'importe quel gouvernement ! Nous souhaitons organiser et encourager les reprises : quand un repreneur se présente, on peut logiquement supposer qu'il s'est assuré que l'affaire est rentable. Face au tout libéral, voilà comment la République va se réarmer ! Dans l'affaire Pilpa, nous allons imaginer des solutions pour éviter que le site disparaisse.

M. Daniel Raoul, président. - Ma question portait surtout sur les délais d'adoption de ces mesures car il semble qu'il y ait urgence.

Mme Éliane Assassi. - Je me félicite de ce discours de reconquête industrielle en rupture avec la période précédente. La suppression de 8 000 postes annoncée par PSA est une catastrophe, en particulier pour le territoire de la Seine-Saint-Denis. Le président du directoire de l'entreprise ayant annoncé qu'il n'y aurait aucun licenciement sec, en sait-on plus sur les solutions qui seront proposées aux salariés ? Si l'on parle souvent des CDI, n'oublions pas les très nombreux intérimaires, ces jeunes gens dont on dit parfois bien du mal, mais qui ont en réalité soif d'apprendre et de travailler.

Au vu des informations données par les syndicats et des éléments qui ressortaient des discussions sur le site d'Aulnay que nous avions eu lors du débat du 23 février sur la filière demandé par notre groupe, j'estime que PSA a délibérément menti sur la situation. Hervé Pichon, chargé des relations de l'entreprise avec le Parlement, nous rappelait ce matin que parmi les scénarios envisagés pour le site d'Aulnay figurait la construction d'un nouveau véhicule. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'abandon de ce projet ?

Mme Valérie Létard. - Comme mon collègue Bruno Retailleau, je ne puis que m'associer au sens général de la démarche que vous nous présentez. Elle exigera notamment la conduite d'une concertation avec tous les acteurs qui auront à jouer un rôle déterminant et complémentaire.

Je rappelle que le site de PSA Sevelnord était source d'inquiétude depuis la fin du partenariat avec Fiat. Plusieurs conditions avaient été posées à l'attribution d'un nouveau véhicule à produire, après, à titre transitoire, un véhicule utilitaire. Après la rupture avec Fiat, un nouveau partenariat a été trouvé avec Toyota ; il reste à faire en sorte que cet utilitaire hybride soit fabriqué à Sevelnord plutôt qu'en Espagne : en clair, comment réduit-on l'écart de compétitivité. Cela exige une concertation entre PSA et les organisations professionnelles sur l'emploi, et aussi que l'Etat et les élus se mettent autour de la table dans le cadre du comité de suivi régional, pour dire concrètement comment chacun pourrait accompagner ce projet.

Enfin, quid du crédit impôt recherche ?

Mme Mireille Schurch. - Votre volontarisme nous réjouit, monsieur le Ministre. L'Allier compte cent sous-traitants de l'industrie automobile employant 4 500 personnes. Dès le 23 février, j'avais posé la question de la sous-traitance. Ces entreprises sont souvent malmenées par les donneurs d'ordres alors qu'elles sont un facteur essentiel de réussite de la filière. Ne pourrait-on pas, au- delà des bonnes pratiques, créer un véritable statut du sous-traitant de façon à rééquilibrer les choses, voire soumettre les contrats au contrôle de légalité ? Au nom de la sécurité, ne devrait-on pas limiter plus drastiquement la sous-traitance dans l'industrie nucléaire ?

Pour finir, je mentionnerai un cas particulier : JPM, une entreprise de serrurerie à Avermes, qui employait 461 personnes en 2009, a investi en Chine, ce qui signifie que demain, il n'y aura plus personne à Avermes. Le président du conseil général vous a demandé un rendez-vous sur ce dossier. Pourrez-vous nous répondre ? Comment le commissaire au redressement productif peut-il intervenir dans un tel cas ?

M. Michel Vergoz. - L'industrie de la pêche peut elle aussi contribuer au redressement productif. Ne l'oublions pas, avec 11 millions de kilomètres carrés, la France dispose du deuxième domaine maritime mondial. Allez-vous vous engager dans cette bataille de l'industrialisation au coeur de l'Europe ? A mon sens, la France joue « petit bras », sans occuper la juste place que lui confèrent ses territoires ultramarins.

Par ailleurs, vous avez annoncé la création de 22 commissaires au redressement productif. La France compte pourtant 26 régions. Le manque sera-t-il comblé ?

M. Daniel Dubois. - La stratégie de reconquête industrielle prendra du temps. Aussi, au-delà des mesures d'urgence, j'invite à organiser un Grenelle de la réindustrialisation afin de définir les actions à mettre en place dans la longue durée. Encore faut-il toutefois que les entrepreneurs soient compris et respectés, ce qui n'est pas certain lorsqu'un sondage révèle que 57 % des Français ne veulent surtout pas prendre de risque.

En second lieu, quelle est votre position sur les gaz de schiste ? Faut-il tirer un trait sur cette énergie peut-être utile pour l'avenir ?

Enfin, puisque vous estimez que le débat sur le coût du travail et de la protection sociale doit être ouvert, pourquoi avoir supprimé la TVA sociale avant d'avoir pu l'évaluer ?

M. Jackie Pierre. - Les Vosges sont un département sinistré sur le plan industriel où le textile a été remplacé par les sous-traitants automobiles qui connaissent aujourd'hui des difficultés, comme c'est le cas de l'entreprise TRW. En outre, à Uriménil, Bihr, qui est le leader européen de la ficelle agricole, est aujourd'hui confronté à une sévère concurrence portugaise, tandis que Lactalis, qui avait racheté il y a dix ans une laiterie employant 300 personnes, va transférer sa production de fromage en Italie. La transformation quitte nos villages et toute la vallée se désindustrialise. Monsieur le ministre, qu'allez-vous faire ?

M. Yannick Vaugrenard. - Je tiens à souligner que le consensus autour de votre démarche est un élément très important. Par ailleurs, dans mon département, la SNCM doit acheter huit navires dont quatre à très court terme. Trois chantiers navals sont en compétition : STX à Saint-Nazaire, un sud-coréen et un japonais. J'espère que le Gouvernement saura influencer la décision pour aller dans le bon sens. Enfin, la BPI sera-elle déconcentrée pour être plus proche des entreprises, en particulier des PME ?

M. Claude Dilain. - Il y a, à côté d'Aulnay, une ville qui s'appelle Sevran et que l'on cite plus souvent dans la rubrique faits divers que dans les pages économiques : elle est devenue un symbole de pauvreté après le départ de Kodak et de Westinghouse. Si le site d'Aulnay fermait ses portes sans accueillir de nouvelles activités, cette ville pourrait devenir un autre Sevran, ce qui serait dramatique.

M. Arnaud Montebourg, ministre. - Pour PSA Peugeot, nous en sommes à la phase d'analyse de la situation et je rappelle que M. Emmanuel Sartorius nous remettra son rapport le 31 juillet. Au-delà de l'analyse des comptes nous souhaitons une étude de la situation économique de l'entreprise, afin de dégager un diagnostic partagé par tous, notamment la direction et les syndicats, ce qui nous rendra plus forts. Le 15 septembre, M. Sartorius remettra le second volet de son étude, qui portera sur l'ensemble des aspects de la stratégie de développement de Peugeot, de ses alliances, de sa gamme et de ses implantations. L'objectif est de pouvoir accompagner au mieux le redémarrage de l'entreprise. Toute l'histoire de l'industrie automobile est faite de cycles de destructions d'emplois suivies de réembauche et il n'y a pas de fatalité. Je sais que les élus souhaitent pouvoir rassurer les populations, mais je ne puis rien vous dire des mesures qui seront prises car nous en sommes à la phase de diagnostic. Chaque chose en son temps, et le débat sur les différentes options aura lieu en septembre.

A Sevelnord, lorsque l'accord entre PSA et Toyota sera finalisé, il reviendra à l'ensemble des acteurs, y compris les syndicats et les collectivités territoriales, de se mettre autour de la table afin de définir des modalités d'accompagnement les mieux adaptées.

Le dossier évoqué par Mme Mireille Schurch est suivi par le commissaire au redressement productif d'Auvergne. Pour sa part, le ministère se consacre aux entreprises de plus de 400 salariés. Tout comme le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) au niveau national, les commissaires interviennent à différents stades de la vie de l'entreprise. Lorsque les difficultés d'une entreprise ne sont pas publiques, ils travaillent en respectant la confidentialité et donc sans les élus. En revanche, lorsque les choses sont connues ou font l'objet de rumeurs, ils réunissent l'ensemble des parties prenantes en invitant les élus et les syndicats. Dans tous les cas, nous évitons d'attendre que l'entreprise fasse l'objet d'une procédure devant le tribunal de commerce, car celui-ci prononce une liquidation dans 75% des cas. Les commissaires au redressement productif ont beaucoup de travail, car ils sont en charge de 3,5 millions d'entreprises, contre 3 500 entreprises pour le CIRI. Nous engageons donc une déconcentration de l'action de soutien et je vous incite à participer à cette mobilisation de l'ensemble de la société.

A Michel Vergoz, j'indique que le ministre des Outre-Mer, M. Victorin Lurel, va me proposer, pour les territoires ultra marins, la création des équivalents des commissaires au redressement productif en métropole. L'industrie maritime constitue, comme vous le soulignez, un enjeu fondamental. Aux Antilles comme dans l'Océan indien, nous sommes attachés à développer toutes les potentialités utiles à nos compatriotes.

A Daniel Dubois, je fais observer que l e Grenelle de l'industrie existe déja: c'est la conférence nationale de l'industrie, que le Premier ministre vient de fortifier sous la forme du Conseil national de l'industrie. Nous y associons les régions et les partenaires sociaux et il est structuré selon les filières. De nouvelles filières seront invitées à se créer et à participer au débat public.

La TVA sociale a fait l'objet d'une décision politique. Ici encore, nous n'en sommes pas encore aux solutions, mais au diagnostic. Il faudra mener des discussions équilibrées, où chacun apportera sa pierre, pour bâtir les solutions. Quant au gaz de schiste, un grand débat sur l'énergie impliquera la nation tout entière à la rentrée. Les parlementaires des deux chambres y seront associés.

Monsieur Jackie Pierre, j'ai répondu tout à l'heure à l'Assemblée nationale à François Vannson que nous souhaitions entrer en contact avec les propriétaires américains du groupe TRW pour trouver les conditions du maintien de l'industrialisation du site avec ou sans eux.

Monsieur Yannick Vaugrenard, nous sommes particulièrement attentifs à la situation de la construction navale et aux projets de la SNCM. Ce dossier suit son cours. Pour la BPI, nous souhaitons un haut niveau de déconcentration associé à des institutions décentralisées.

Claude Dilain m'a interrogé sur Aulnay et son avenir. Je souhaite, quoi qu'il arrive, maintenir le caractère et l'activité industriels du site. Tout reste à imaginer. Pour l'instant, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous n'en sommes pas là.

Monsieur Bruno Retailleau, aucune décision n'est encore prise sur la question des prix des forfaits dans le secteur des télécommunications. Nous consultons les organisations de consommateurs et les opérateurs. Nous sommes néanmoins dans l'urgence et nous avons demandé à SFR et à Bouygues de retirer leurs plans sociaux. Nous chercherons à faire évoluer le modèle économique des opérateurs dont l'irruption de Free a modifié l'équilibre. Il est inacceptable de voir surgir des plans sociaux dans un secteur à l'abri de la concurrence mondiale, qui utilise le domaine public hertzien, et qui dépend essentiellement des règles fixées par l'Etat et l'ARCEP, et accessoirement de l'Union européenne. A nous de trouver un équilibre, dans l'intérêt national et celui de l'emploi. Nous y reviendrons car j'ai l'intuition que nous allons nous revoir.

M. Daniel Raoul, président. - C'est une certitude ! Nous attendons une date pour le projet sur les reprises...

M. Arnaud Montebourg, ministre. - Le plus tôt sera le mieux !

M. Daniel Raoul, président. - Merci d'avoir répondu avec tant de passion à nos questions.

Audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, accompagné de M. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire

La commission a procédé à l'audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, accompagné de M. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire.

M. Daniel Raoul, président. - Après le Premier président de la Cour des comptes et le ministre du Redressement productif, nous recevons à présent M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, accompagné de M. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire. Messieurs les ministres, vous serez interrogés, sans nul doute, sur de nombreux sujets dont notamment les évolutions possibles de la politique agricole commune (PAC) et l'avenir de la viticulture. Je rappelle que chaque question doit être limitée à deux minutes afin de permettre l'expression du plus grand nombre de sénateurs.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. - Avant que M. Guillaume Garot ne s'exprime sur l'agroalimentaire, je rappellerai les principaux enjeux, qu'ils soient structurels ou d'actualité.

L'enjeu structurel majeur est celui de la réforme de la PAC. L'aspect budgétaire est à cet égard déterminant et je réaffirme que la France ne pourra pas promouvoir une diminution de la contribution de la France au budget européen et, dans le même temps, le maintien des moyens de la PAC. Mais l'autre aspect concerne le contenu de la réforme de la PAC. La discussion s'est engagée il y a près d'un an, sur la base des propositions de la Commission européenne, qui sont fondées sur deux principes :

D'une part, une convergence est engagée sur le niveau des aides directes versées aux agriculteurs dans les différents États membres de l'Union européenne. Nous allons vers une aide de base à l'hectare, complétée par le « verdissement ». La Commission confirme également le découplage de l'ensemble des aides, avec une petite marge laissée aux Etats membre pour quelques aides couplées. La France ne doit toutefois pas être le pays qui contribue le plus au financement de la convergence entre Etats membres sous prétexte qu'elle dispose de la plus grande surface agricole utile et donc des plus importants versements. Je défendrai l'idée selon laquelle cette convergence « externe » doit être financée en tenant compte du taux moyen de retour à l'hectare, car nous sommes loin d'être le pays bénéficiant du plus fort niveau d'aide à l'hectare.

D'autre part, il faut définir le modèle de convergence interne, c'est-à-dire le mode de sortie des références historiques au sein de notre pays. Or nous avons des contraintes différentes de nos voisins. La France comprend quatre grandes zones du point de vue des niveaux de droits à paiement unique (DPU) : une zone de polyculture-élevage dans le Grand Ouest, une zone céréalière, une zone de bassin allaitant et une zone de productions méditerranéenne et de montagne, alors que les autres pays européens ont souvent des systèmes agricoles beaucoup plus homogènes. La convergence interne ne doit pas remettre en cause certains modèles de production, notamment dans le Grand Ouest.

Notre diversité est une force sur les marchés, mais aussi une faiblesse dans les négociations européennes car nous sommes touchés de manière diversifiée par les choix actuellement en discussion. La position de la France consistera à faire valoir cette diversité.

L'autre grande orientation de cette réforme de la PAC est le verdissement, c'est-à-dire la prise en compte de la durabilité de l'agriculture. Une aide au titre du verdissement sera versée à condition que trois critères soient respectés : le maintien des prairies permanentes, la diversité des cultures sur chaque exploitation et la présence d'infrastructures d'intérêt écologique. Il n'y a pas de désaccord de fond de la France sur ces propositions, mais des adaptations seront nécessaires. Il faut négocier des souplesses nécessaires pour pouvoir appliquer le verdissement dans le cadre du premier pilier et prendre en compte, là encore, la diversité de l'agriculture française.

Il faut par ailleurs conserver un couplage des aides. Un découplage complet risque d'amener des agriculteurs à cesser l'élevage laitier ou allaitant et retourner les prairies pour se lancer dans la culture céréalière, beaucoup plus rentable.

Or la diversité de l'agriculture française doit être conservée car il existe de lourds enjeux pour l'avenir. Dès cet été, la sécheresse aux États-Unis et peut-être en Russie va créer une tension sur les marchés de céréales, augmentée par la spéculation, avec un risque sur les revenus des producteurs de viande qui seront amputés par l'augmentation du coût de l'alimentation du bétail. Mais la hausse des prix des céréales peut aussi faire peser des risques sur les pays en développement en provoquant une crise alimentaire et de nouvelles émeutes de la faim. Nous devons donc préserver l'élevage, en tenant compte du fait que la tendance mondiale favorise la demande de viande, et que nous détenons 45 % du potentiel de production en Europe. Si nous perdons nos forces sur le bassin allaitant, notre capacité d'exportation s'effondrera.

En termes de calendrier, il est envisagé d'aboutir à un accord sur la PAC au premier semestre 2013, durant la présidence Irlandaise, ce qui nous amènerait à examiner ensuite une loi-cadre sur l'agriculture, l'agroalimentaire et la forêt, qui prendrait en compte le nouveau cadre européen, au second semestre 2013.

J'aborde à présent le deuxième pilier. Il sera lié au cadre budgétaire global et national, car les aides du deuxième pilier relèvent du cofinancement. Notre stratégie comportera d'ailleurs certainement des transferts entre le premier et le deuxième pilier.

S'agissant du plan Écophyto 2018, on est un peu en échec après le Grenelle de l'environnement : les molécules actives les plus dangereuses ont disparu à 87 %, mais le volume global de pesticides consommés stagne alors que l'objectif était de réduire leur usage de 50 % en 2018. De même, les surfaces en agriculture bio devaient être à 20 % en 2020 : on n'en est qu'à 3,5 %. Les objectifs ne seront donc pas atteints. La Conférence environnementale se saisira de cette question. Une bonne stratégie consisterait, pour avancer sur ce sujet, de basculer d'un système de normes et de contraintes définies exploitation par exploitation à une dynamique plus collective et active des producteurs, tendant à modifier les modèles de production. Cela sera l'enjeu de la loi-cadre, pour laquelle on proposera la création de groupements d'intérêt économique et environnemental.

Je passe le relais à Guillaume Garot, chargé de l'agroalimentaire, car l'agroalimentaire est lié évidemment à notre agriculture.

M. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire. - L'enjeu du secteur agroalimentaire est de contribuer au redressement économique national.

Les chiffres paraissent certes flatteurs : 500 000 emplois, plus de 8 milliards d'euros d'excédent commercial. Pourtant, je note certaines fragilités qui sont autant de signaux d'alerte : depuis cinq ans, nous avons perdu des places à l'exportation. Les excédents proviennent essentiellement du vin, des spiritueux, de certains produits laitiers, mais nous avons reculé sur de nombreuses autres filières.

Le premier défi à relever consistera à améliorer la performance de nos entreprises afin de gagner des parts de marché à l'export mais aussi sur le marché intérieur. À titre d'exemple, 40 % des poulets que nous consommons sont importés : nous sommes concurrencés par les pays émergents comme le Brésil, mais aussi par nos partenaires européens.

La compétitivité est également affectée par la petite taille des entreprises : les PME ne sont pas toujours bien armées pour être efficaces à l'export. La recherche et l'innovation seront la clé de la création de valeur ajoutée, car ce n'est pas sur le coût du travail que l'on pourra être compétitif face au Brésil ou à la Thaïlande. Or les dépenses de recherche et développement représentent seulement 0,7 % du chiffre d'affaires de l'industrie agroalimentaire, contre 2,3 % pour l'ensemble de l'industrie manufacturière. Je crois aussi au rôle que peut jouer la future Banque publique d'investissement, qui va aider à créer de la valeur ajoutée dans la filière, en plus des autres outils classiques que l'État a à sa disposition.

Le deuxième défi pour l'agroalimentaire est social : il s'agit de l'emploi. Il faut déjà pourvoir les 10 000 emplois non pourvus actuellement, en raison de l'image dégradée de ces métiers, mais aussi parce que les relations sociales ne sont pas satisfaisantes et que la formation et la qualification sont insuffisantes. Il faudra moderniser le modèle social de l'agroalimentaire pour améliorer l'attractivité des métiers.

Le troisième défi, culturel, est celui de l'alimentation. Si on se fixe comme objectif de produire, de transformer et de manger mieux, on réussira aussi à vendre mieux. Il s'agit d'atteindre la qualité des produits pour tous, notamment dans le domaine de la restauration collective. Il faut tendre vers une qualité toujours plus grande.

Nous engagerons à l'automne 2012 un travail avec l'ensemble de la filière agroalimentaire pour trouver des réponses durables et opérationnelles à ces trois défis. Des tables rondes réuniront en région les acteurs économiques, sociaux et les pouvoirs publics afin de trouver des solutions rapides, même s'il faudra des années pour transformer et moderniser le secteur agroalimentaire français.

Mme Renée Nicoux. - Les agriculteurs sont déjà soumis à un grand nombre de clauses de conditionnalité environnementale. Le verdissement ne risque-t-il pas de constituer une contrainte plus forte en France que dans les autres pays ? Comment peut-on compenser les baisses de revenus qu'entraîne pour les éleveurs bovins la hausse du prix des céréales, qu'ils ne peuvent pas répercuter sur les prix de vente ? La contractualisation a été mise en place par vos prédécesseurs, mais d'autres solutions ne sont-elles pas possibles ? La loi-cadre devrait à mon sens permettre de s'attaquer à la question du coût du foncier, qui pose de graves problèmes pour la transmission des exploitations. Enfin, il faudrait, comme les Allemands dans l'industrie, mettre l'accent sur la qualité, pour laquelle les consommateurs sont prêts à payer un peu plus.

Mme Bernadette Bourzai. - Il faut maintenir le budget de la PAC mais aussi celui des fonds structurels, en prenant en compte les spécificités régionales dans les futurs droits à paiement de base. Je suis inquiète pour l'avenir du Massif central et du bassin allaitant : en Limousin, le revenu moyen des éleveurs a baissé de 8,9 % cette année encore. Les outils de régulation sont insuffisants dans la proposition de la Commission européenne. Enfin, la forêt et le bois sont un enjeu important en termes de production, mais aussi de balance commerciale. Quelles solutions peuvent être envisagées ?

M. Gérard César. - Que pensez-vous des apports du Parlement européen sur les questions relatives à la PAC et en particulier à la viticulture ? Compte tenu de la forte mobilisation relative aux droits de plantation, quelle est la position d'une part du ministre de l'agriculture français, d'autre part du négoce au niveau européen ?

M. Gérard Le Cam. - Après avoir modifié par décret les règles relatives aux élections aux chambres d'agriculture au niveau régional, irez-vous plus loin au niveau départemental ainsi que dans le cadre des interprofessions ? Comptez-vous proposer des dispositions pour la défense des semences fermières et l'encadrement des obtentions végétales ? Par ailleurs, les nouvelles normes du comité d'orientation pour des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement (CORPEN) peuvent-elles encore être modifiées compte tenu de leurs effets désastreux sur l'économie et l'environnement ? Concernant la cartographie des zones humides, personne ne peut nous dire quelles seront les limitations pour l'élevage. Enfin, pourriez-vous faire le point sur le groupe Doux ?

M. Jean-Paul Emorine. - Les références historiques sont basées sur des rendements, avec des droits à paiement très différents d'une région à l'autre : comment vous y prendrez-vous vis-à-vis des organisations agricoles pour promouvoir la convergence ? S'agissant du verdissement, ne faut-il pas laisser aux agriculteurs la possibilité de choisir eux-mêmes leurs nouvelles orientations ? On ne nourrira en effet pas une population mondiale en croissance avec de la viande, mais plutôt avec des céréales. Quelle est votre position sur une éventuelle régionalisation des aides européennes ? Je rappelle enfin qu'il faut associer la recherche publique, avec l'INRA, et la recherche privée, pour que l'agriculture progresse.

M. Gérard Bailly. - La production de la « ferme France » pourra-t-elle se maintenir à l'horizon d'une décennie ? Les aides européennes ne pourraient-elles tenir compte de la fluctuation des prix européens des matières premières agricoles d'une année sur l'autre ? Projetez-vous de renforcer la politique de soutien aux zones de montagne, et plus particulièrement à celles d'élevage, qui rencontrent des difficultés particulières ?

M. Stéphane Le Foll. - Je souhaiterais apporter les éléments de précision suivants :

- s'agissant du « verdissement » de la PAC et de la conditionnalité, l'axe général de la proposition de la Commission européenne sera respecté, mais adapté. Nous tacherons ainsi de connecter ces problématiques avec les bonnes conditions agro-environnementales, et de prendre en considération dans le verdissement ce qui se fait déjà en la matière ;

- la mise en place d'un système de deficiency payments, où les aides aux différents secteurs varieraient selon leur conjoncture, serait idéale. Elle se heurte cependant à l'absence de budget fédéral au niveau européen, faisant que les décisions d'allocation de crédits sont prises pour sept ans. Un objectif de flexibilité budgétaire est aujourd'hui poursuivi. Sur la convergence par exemple, un rééquilibrage des aides est recherché ; il aboutirait cependant à figer à nouveau les situations. Je compte sur votre soutien pour faire avancer ces dossiers dans l'intérêt général, notamment dans les discussions avec les organisations professionnelles agricoles (OPA) ; ce sera délicat, car équilibrer les aides impliquera de prendre à certains pour redonner à d'autres ;

- concernant la volatilité des prix, la Commission européenne propose de mettre en place un fonds de crise, mais a posteriori. Les « filets de sécurité » des systèmes d'intervention sont trop bas ; nous cherchons à les remonter. Nous avons par ailleurs fait évaluer les mécanismes de contractualisation, négociés dans le cadre du « paquet lait » ; je vous en ferai parvenir la teneur. Il faut faire progresser ces contrats, qui ont été réalisés avant la mise en place des organisations de producteurs, d'où la nécessité de renforcer ces dernières. Il faut améliorer la prise en compte des indices dans les contrats, ce qui impliquera une discussion avec les transformateurs et une modification du droit de la concurrence. Le Parlement européen a un rôle de co-décision à jouer sur ce dernier point ; l'eurodéputé Michel Dantin a d'ailleurs proposé une réforme intéressante, que nous sommes en train d'étudier ;

- je suis très clairement favorable à ce que l'on revienne sur la suppression des droits à plantation, en accord avec les ministres d'autres pays, mais aussi sur la segmentation en appellations d'origine contrôlée (AOC), indications géographiques protégées (IGP) et appellation « vins de table » ;

- pour ce qui est des modes de scrutin aux élections et de la représentation des agriculteurs au sein des interprofessions, j'avais dit aux OPA que je changerais les règles aussi vite que possible. Six mois à peine avant les élections, cela posait cependant des difficultés juridiques. Au niveau départemental, nous sommes passés du système du plus fort reste à celui de la plus forte moyenne afin d'améliorer la représentativité, et avons réduit de 15 à 10 % le seuil de représentativité, ce qui revient à s'aligner sur les règles générales de la démocratie sociale. Au niveau régional, nous avons ouvert une représentativité pour l'ensemble des OPA, en prévision d'une régionalisation du deuxième pilier et d'une montée en puissance des chambres régionales. Cette réforme est applicable dès maintenant, soit six mois avant les élections ;

- sur les semences fermières, dont la réglementation se fait à l'échelle mondiale et européenne, il faudra trouver des éléments de dérogation pour autoriser le triage à façon, tout en permettant le financement de la recherche sur les obtentions. Il faudra trouver le juste équilibre. Votre proposition sera examinée attentivement dans ce cadre.

M. Joël Labbé. - Je suis en accord avec vous sur le parti-pris de la qualité et l'importance d'un volontarisme pour assurer la transition sur le bio. Le rapport de l'inspection général des finances (IGF) de l'année dernière sur les niches fiscales considérait favorablement le crédit d'impôt biologique, créateur d'emploi et bénéfique pour l'environnement, contrairement aux mesures de soutien aux agro-carburants, très demandeurs en intrants ; je compte d'ailleurs défendre un amendement de suppression de cette niche fiscale dans le cadre de la loi de finances rectificatives.

M. Claude Bérit-Débat. - La gestion de la tuberculeuse bovine dans notre département a été exemplaire, avec la mise en place d'un mode de dépistage n'impliquant pas nécessairement l'abattage. Or, il a été remis en cause par une directive européenne, ce qui inquiète nos éleveurs ...

M. Jean-Claude Lenoir. - Quelle est, Monsieur le Ministre, votre politique vis-à-vis des Haras nationaux ? Je vous ai adressé un courrier relatif à la contrefaçon de Calvados ; pourrez-vous s'il vous plaît y répondre ? Enfin, sur quels points vous différenciez-vous de votre prédécesseur ?

M. Stéphane Le Foll. - Je veux vous apporter les éléments de précision suivants :

- Sur les objectifs de développement de la bio, l'orientation serait peut être plutôt de doubler les surfaces en bio d'ici cinq ans, soit que nous passions de 3,5 à 7 % de la surface agricole utile (SAU). Un plan bio, en cours de négociation, sera proposé en ce sens rapidement ;

- nous sommes contraints au respect des règles européennes sur la tuberculose bovine, sous peine de perdre le label, non seulement en Côte-d'Or et en Dordogne, mais au-delà, dans toute la France. Je suis obligé de faire preuve d'une grande fermeté sur ce point, même si cela entraîne des gaspillages. Nous négocions toutefois pour tenter de revenir sur certains tests, à condition d'avoir l'accord de l'Union européenne ;

- l'Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE) connaît des changements profonds, sources de traumatisme. En septembre aura lieu une table-ronde sur son avenir pour décliner, haras par haras, les objectifs qui seront fixés. Les sénateurs intéressés seront conviés ;

- la loi-cadre contiendra une partie consacrée à la forêt. Elle abordera les problématiques de sa replantation-adaptation, de son modèle de développement et du rôle des collectivités territoriales, ainsi que des liens avec les quotas carbone, que la forêt permet naturellement de stocker. Nous exportons du bois brut et importons des meubles aujourd'hui, alors que nous avons la première forêt d'Europe ; elle doit nous permettre de réaliser de la valeur-ajoutée et de contribuer au redressement productif de l'économie.

M. Roland Courteau. - La réponse du ministre sur les droits de plantation me semble claire. Qu'attendons-nous de plus ? Peut-être davantage de communication du Gouvernement sur cette prise de position. Peut-être aussi que l'on tente de convaincre certains pays comme la Pologne, la Belgique et la Finlande afin d'atteindre cette majorité qualifiée qui contraindra la Commission européenne à présenter rapidement une proposition de rétablissement de cet outil de régulation.

L'aide à l'enrichissement par moût concentré rectifié va être supprimée au 31 juillet en application du règlement européen du 29 avril 2008, ce qui rompt l'équité dans le secteur. Il s'agit en effet d'une mesure de compensation profitant aux viticulteurs des régions ne chaptalisant pas. Elle s'élève à 15 millions d'euros pour la France. Nous attendons des solutions.

M. Alain Chatillon. - Je n'ai pas entendu parler du déficit de protéines végétales dans notre pays, supérieur au million de tonnes, que nous importons, avec ou sans OGM ... Vous avez évoqué le problème des PME agroalimentaires, un sujet que je connais bien pour avoir été président d'un pôle de compétitivité et industriel dans le secteur. Je veux être rassurant sur le dialogue social ; pour autant, comment passer de cycles de travail de trois fois huit heures sept jours sur sept à trois fois sept heures, et comment obtenir des employés qu'ils travaillent le week-end ? Les pôles de compétitivité ont un rôle majeur au niveau régional en matière de recherche ; le problème est aujourd'hui de rassembler les PME. Vous parlez d'exportation ; c'est d'internationalisation des activités qu'il s'agit désormais : il faut implanter des jeunes dans les pays-cibles pour infiltrer les marchés locaux.

On discuterait, m'a-t-on dit, sur la réduction ou la suppression du fonds unique interministériel (FUI). Or, il s'agit d'un outil déterminant pour l'accompagnement des entreprises en fort développement, au même titre, au niveau des groupes financiers régionaux, que Siparex, l'Institut régional de développement industriel de Midi-Pyrénées (Irdi) - que j'ai créé en 1980 avec Alain Savary, et qui se porte très bien - ou Nord Entreprendre, qui accompagnent les PME depuis des années. Conservons la banque d'investissement pour les grandes sociétés, et laissons faire les sociétés régionales pour le reste.

M. Alain Fauconnier. - Le système « Roquefort », confédération des industriels et producteurs, gère depuis 80 ans la filière de façon exemplaire et constitue un modèle de contractualisation. En raison du « paquet lait », cette structure se trouve remise en question, mettant en péril 10 000 emplois. Il serait catastrophique pour le département de l'Aveyron de la supprimer.

Mme Mireille Schurch. - L'Allier accueille la plus grande chênaie d'Europe ; où en est-on avec l'Office national des forêts (ONF), qui a été très affecté par la révision générale des politiques publiques (RGPP) ? Un nouveau contrat 2012-2016, actant la suppression de 700 emplois, a été signé en 2011 ; allez-vous revenir dessus ?

Le droit de préférence pour les parcelles de moins de 4 hectares tend à limiter le morcellement de la forêt. Ne serait-il pas judicieux de revenir sur ce seuil ? En effet, dans mon département, un investisseur a acheté quatre parcelles d'un hectare chacune, contournant ainsi ce droit et l'obligation d'information qui y liée.

Enfin, l'exigence d'une alimentation de qualité dans les cantines scolaires a-t-elle fait l'objet d'une évaluation ?

M. Didier Guillaume. - Il sera essentiel de soutenir les jeunes agriculteurs dans leur installation. L'irrigation devra également être évoquée, dans le Grand Ouest, mais aussi dans des territoires plus méditerranéens. Le problème des loups devra être traité : leur présence est incompatible avec le maintien d'une activité pastorale dans les zones d'élevage. Nous ne souhaitons pas revenir sur la biodiversité, ni sur la convention de Berne. Lors de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP), un amendement a été adopté à l'unanimité par le Sénat pour prendre en compte cette dimension dans le code rural. Ce sujet devra continuer d'être traité ; il en va de la survie de nos territoires ruraux.

M. Alain Bertrand. - Dans les territoires d'élevage et d'agriculture extensive, il faudra remplacer la prime herbagère agro-environnementale (PHAE) et les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), et trouver des mesures agro-environnementales nouvelles, en vue de conforter le revenu de nos éleveurs. Il y aura une convergence à établir sur les aides au bénéfice des plus faibles. Certains départements peuvent peut-être accueillir des loups, mais c'est impossible dans ceux pratiquant l'agro-pastoralisme avec de nombreux troupeaux sans bergers ; il faut sortir de ces notions de « zones de colonisation » ou de « présence permanente ».

M. Martial Bourquin. - On entend beaucoup parler d'obstacles à la compétitivité, mais la crise ne frappe pas de la même manière tous les opérateurs économiques. Le journal « Les Échos » constate par exemple aujourd'hui que malgré la crise, l'immobilier d'entreprise se porte bien ! Je voudrais aborder la question des rapports complètement déséquilibrées entre la grande distribution et les entreprises agroalimentaires. J'ai reçu leurs représentants. Des plus petites aux plus grandes, ces entreprises connaissent une situation intolérable : malgré l'augmentation des prix des matières premières, il leur est impossible de renégocier les contrats avec les grands groupes de distribution qui disposent de centrales d'achat qui pressurent les agriculteurs et l'ensemble de la chaîne agroalimentaire. Il faut s'attaquer à ce problème majeur. L'argent qui est perdu par les entreprises n'est pas réinjecté dans l'innovation.

Concernant la filière bois, j'ai eu l'occasion de me rendre au Québec pour constater que les Québecois ont réussi à développer leur filière par une mesure simple : interdire la sortie du territoire de bois non transformé. Pourquoi ne pas les imiter ?

M. Yves Détraigne. - Les industries agroalimentaires apportent une contribution positive à la balance commerciale française, ce qui est une bonne chose. Mais il faut aussi évoquer la production agricole à des fins non alimentaires et notamment à des fins énergétiques. Sur cette question, quelle est l'approche du Gouvernement ?

Mme Sophie Primas. - La sécheresse de 2011 a traumatisé le monde agricole. Une solidarité entre éleveurs et cultivateurs s'est mise en place, mais il faut désormais s'attaquer à la question de l'eau. Deux décrets sur l'eau, facilitant notamment la création de retenues collinaires, avaient été préparés par le précédent Gouvernement. La nouvelle ministre chargée de l'environnement, Delphine Batho, nous a annoncé qu'ils seraient abandonnés. Que compte faire le Gouvernement pour faciliter le stockage de l'eau pour l'agriculture ?

M. Rémy Pointereau. - Le groupe volailler Doux est en redressement judiciaire depuis le 1er juin. Des propositions de reprise ont été déposées. Pouvez-vous nous informer sur l'action du Gouvernement pour aider au sauvetage de l'activité du groupe Doux ?

M. Jean-Jacques Mirassou. - Dans la loi sur la chasse du 7 mars 2012, a été mis en place un dispositif plus juste et plus opérationnel d'indemnisation des agriculteurs victimes des dégâts causés par le gibier. Où en est la mise en oeuvre de cette loi ?

M. Guillaume Garot. - Il est plus respectueux pour moi de ne vous apporter de réponses précises que sur les questions qui relèvent strictement de mon portefeuille. Pour les autres questions, des réponses seront apportées soit par écrit, soit en organisant des rendez-vous avec les membres du cabinet de M. Stéphane Le Foll.

M. Chatillon a évoqué les questions de recherche et développement. Le Premier ministre a rappelé l'importance des pôles de compétitivité. Le Gouvernement n'a pas l'intention de baisser son niveau de soutien car il s'agit là d'une priorité.

M. Bourquin a mis en cause le comportement de la grande distribution. Le Gouvernement examine la situation de près. L'accord du 3 mai 2011 de modération des marges devra être mis en oeuvre, et d'autres mécanismes d'atténuation de la volatilité des prix sont à l'étude. En tout état de cause, la répartition actuelle de la valeur ajoutée n'est pas équilibrée et ne peut demeurer en l'état.

M. Détraigne a évoqué les agro-industries, sur lesquelles des progrès restent à faire. Cette question fera l'objet de tables rondes et ateliers décentralisés que j'ai annoncé précédemment. Mais nous avons le souci que l'agriculture garde sa vocation première, qui est alimentaire.

M. Pointereau a évoqué la situation du groupe Doux, qui connaît des évolutions en ce moment même. Placé en redressement judiciaire, le groupe Doux a fait l'objet d'offres de reprises partielles, dont l'une est coordonnée par le groupe Sofiprotéol. Un plan de continuation de l'entreprise a également été annoncé par Charles Doux. Il n'appartient pas à l'État de choisir le repreneur. Cette prérogative relève du tribunal de commerce de Quimper. Mais l'État a la responsabilité de fixer les conditions de son soutien. Le projet retenu devra être viable et durable, avec un objectif majeur : la sauvegarde d'un maximum d'emplois, le groupe représentant aujourd'hui plus de 4 000 emplois directs et 10 000 emplois indirects. Dans cet esprit, le Gouvernement a entrepris un dialogue respectueux avec l'ensemble des candidats à la reprise et avec Charles Doux, mais ne pourra accompagner ces initiatives que s'il y a un effort supplémentaire de maintien de l'emploi et de modernisation de l'outil de production.

Le modèle sur lequel reposait le groupe Doux s'est en effet effrité et doit être revu. Si la France importe 40 % du poulet qu'elle consomme, c'est qu'il y a un problème. Il existe un front commun entre État et collectivités territoriales concernées, notamment les Régions, pour encourager ce changement de modèle, qui devra également être respectueux de l'environnement.

M. Daniel Raoul. - Monsieur le ministre, nous vous remercions pour toutes ces précisions.

Mercredi 25 juillet 2012

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Hommage à M. Jean François-Poncet

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission rend tout d'abord hommage à M. Jean François-Poncet.

M. Daniel Raoul, président. - En ouverture de cette réunion de commission, je souhaite dire quelques mots, afin de rendre hommage, à notre collègue Jean François-Poncet, décédé jeudi 19 juillet à l'âge de 83 ans.

Sénateur de 1983 à 2011 -quasiment 30 ans- et président de la commission des Affaires économiques et du plan de 1986 à 2001, il laisse le souvenir d'un parlementaire ancré dans son territoire -le Lot et Garonne- passionné par l'aménagement du territoire et la défense des collectivités territoriales.

Son parcours -ancien ministre des affaires Étrangères puis parlementaire- lui a permis d'acquérir une stature d'homme d'État. Nous garderons également en mémoire sa capacité inusable d'engagement sans restriction dans les actions qu'il menait, sa rigueur intellectuelle et sa très grande culture.

Désignation d'un membre du Bureau

M. Daniel Raoul, président. - Le choix de M. Thierry Repentin d'entrer au Gouvernement étant devenu définitif depuis hier, je vous indique que son suppléant, M. André Vairetto, siègera à la commission du développement durable et à l'aménagement du territoire et que M. Marc Daunis nous rejoint pour le remplacer dans notre commission. Je salue donc ce retour.

Par ailleurs, M. Thierry Repentin était vice-président de notre Bureau et doit donc être remplacé. Le groupe socialiste nous propose que Claude Bérit-Débat devienne vice-président et que Jean-Jacques Mirassou entre au Bureau sur un poste de secrétaire.

Loi de finances pour 2013 - Nomination de rapporteurs pour avis

La commission procède ensuite à la désignation de rapporteurs pour avis, sur le projet de loi de finances pour 2013.

Compte tenu de la configuration de la maquette budgétaire publiée début juillet, il est procédé à un ajustement concernant la répartition des rapports pour avis pour la loi de finances pour 2013.

Les crédits consacrés à la pêche et à l'aquaculture étant inscrits désormais dans le programme 205 « Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture » au sein de la mission « Écologie, développement et aménagement durables », M. Gérard Le Cam sera associé à M. Roland Courteau, déjà chargé d'un avis sur les crédits consacrés à l'Énergie dans cette mission.

En conséquence de la nomination de M. Thierry Repentin au Gouvernement, Mme Marie-Noëlle Lienemann est désignée pour le remplacer en tant que rapporteur pour avis des crédits Logement.

Groupe de travail « Économie sociale et solidaire » - Examen du rapport d'information

Puis, la commission examine le rapport d'information du groupe de travail « ESS ».

M. Daniel Raoul, président. - Un simple rappel introductif : l'économie sociale et solidaire (ESS) représente 12 % du produit intérieur brut (PIB) de notre pays, c'est-à-dire à peu près l'équivalent de l'industrie. Encore faut-il préciser que ces 12% ne comptabilisent pas le bénévolat ; c'est dire l'ampleur de l'ESS. Nous avions convenu que ce groupe de travail soit la préfiguration d'un groupe d'études sur l'ESS. Je rappelle à cette occasion ma préférence pour le développement d'indicateurs et d'activités qui prennent en compte non seulement les aspects strictement économiques, mais aussi la notion plus large et plus pertinente de « bonheur national brut ».

M. Marc Daunis, rapporteur. - Le 22 février dernier, nous avons décidé de créer un groupe de travail sur l'ESS, dans un contexte de crise économique et sociale propice à la redécouverte et à la défense des valeurs et de l'action de ses acteurs. Je rappelle en effet que de nombreux organismes, associatifs notamment, du secteur de l'ESS remplissent une fonction de « réparation sociale » : l'aggravation sans précédent de la précarité, du chômage et de la pauvreté rend particulièrement cruciale l'action qu'ils mènent, en complément du système de protection sociale, pour soutenir les personnes les plus exposées.

Plus généralement, l'ESS constitue un secteur économique à part entière, qui a pris une importance croissante ces dernières années et participe pleinement à la création de richesse, tout en étant concentré sur un nombre limité de secteurs d'activité. D'après les statistiques officielles, l'ESS représente 10 % du total des salariés en France mais 69 % des effectifs dans l'action sociale, 57 % dans les activités récréatives, sportives et de loisir, 55 % dans l'hébergement médico-social ou encore 46 % dans l'assurance.

L'ESS présente aussi l'avantage essentiel d'être fortement territorialisée et d'offrir une importante ressource d'emplois non délocalisables. En relation beaucoup plus étroite avec son environnement territorial que l'économie capitaliste, elle se caractérise par un maillage serré de petites et moyennes entreprises (PME) qui contribuent à la dynamique de ses territoires. La distribution géographique de l'ESS témoigne d'une répartition harmonieuse et non pas d'une concentration dans la région-capitale. Ainsi, 75 % des plus grandes sociétés coopératives françaises ont leur siège en région alors que 91 % des sociétés de capitaux sont implantées en Île de-France. Par ailleurs, l'ESS représente dans chaque région une part non négligeable de l'emploi total. A l'exception de la Haute-Normandie, toutes nos régions ont des effectifs salariés dans le secteur de l'ESS qui représentent entre 9,6 % et 13,6 % du total de leur main-d'oeuvre. L'Île-de-France, avec 6,9 % de ses salariés relevant de l'ESS, arrive en dernière position de ce classement.

Émanation directe des territoires, l'ESS a une logique de création et de développement tout à fait spécifique et distincte de l'économie dominante tout en entretenant avec cette dernière des relations plus ou moins étroites, comme en témoigne l'exemple des pôles régionaux d'innovation et de développement économique solidaire (PRIDES) en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Je rappelle que ces réseaux régionaux regroupent des très petites entreprises (TPE) et PME, des laboratoires de recherche, des centres de formation et des associations à vocation économique travaillant autour d'une même chaîne de valeur, une même filière ou un même marché. Basés sur une stratégie partagée et adossés à une structure de gouvernance propre, ces réseaux développent des projets collaboratifs et mettent en place des services innovants pour leurs membres.

Au-delà de la reconnaissance consensuelle du rôle économique, social et territorial de l'ESS, la crise économique actuelle est particulièrement propice à une réflexion sur son rôle sociétal. De plus en plus de citoyens, d'entrepreneurs et de responsables politiques analysent en effet cette dernière, non pas comme une parenthèse, mais plutôt comme une alternative d'avenir à un modèle économique fondamentalement déséquilibré, qui a imposé la suprématie de la recherche opportuniste et individualiste des gains financiers de court terme. Son développement nécessite donc impérativement d'être encouragé et facilité par les pouvoirs publics.

L'intérêt de l'ESS réside principalement dans sa capacité à produire des idées et des pratiques réconciliant performance et solidarité, croissance et justice, prospérité et développement durable. Les organisations qui composent ce secteur constituent d'ores et déjà un facteur de régulation et d'humanisation du fonctionnement de l'économie : si elles ne remplacent pas l'entreprise capitaliste ni d'abolissent la recherche du profit, elles contribuent à la modérer et à la réguler.

La crise économique étant générale, la prise de conscience de la nécessité de replacer l'humain au centre des préoccupations économiques concerne l'Union européenne dans son ensemble. La Commission européenne affiche désormais un objectif de « croissance inclusive, plus juste socialement et écologiquement durable » et multiplie les initiatives depuis quelques mois en faveur de ce qu'elle appelle « l'entrepreneuriat social ». Dans sa communication du 13 avril 2011 relative à l'Acte pour le marché unique, elle en a fait l'un des douze leviers de la croissance en Europe. Dans le cadre de cette stratégie de soutien à l'entrepreneuriat social, la Commission a mis en place un programme de travail dont les axes principaux ont été rendus publics dans sa communication du 25 octobre 2011. Elle entend tout d'abord, au cours des prochains mois, améliorer l'accès aux financements, notamment grâce à la création d'un nouveau label permettant aux investisseurs d'identifier les fonds d'investissement dont l'objet principal est d'investir dans des entreprises sociales. Elle prévoit la mise en place d'un instrument de financement doté d'environ 90 millions d'euros, intitulé « programme pour le changement social et l'innovation social ». La Commission européenne souhaite, en second lieu, l'amélioration du cadre juridique de l'économie sociale, ce qui passe par la simplification du règlement européen sur les coopératives, la création d'un statut de la fondation européenne et un renforcement des critères sociaux ou environnementaux dans la passation des marchés publics.

Je note que ce regain d'intérêt dont fait l'objet l'ESS de la part des acteurs de la société civile et des instances européennes, n'a, jusqu'à une date très récente, pas suffisamment trouvé d'écho dans l'organisation institutionnelle et l'agenda de travail des pouvoirs publics français. L'ESS a été plutôt marginalisée au cours des dix dernières années, tant dans le travail parlementaire que gouvernemental. Au sein du Gouvernement, aucun ministre ou secrétaire d'État n'avait ce domaine dans son portefeuille jusqu'à la création, en mai dernier, d'un ministère de l'ESS et à la consommation, directement rattaché au ministère de l'économie et des finances et confié à M. Benoit Hamon. Quant à l'administration centrale, elle prenait en compte l'ESS uniquement au niveau de la direction générale de la cohésion sociale, semblant ainsi réduire ce vaste secteur d'activité à sa seule fonction de « réparation sociale » - ce qui excluait notamment la majeure partie des coopératives ! C'est pourquoi notre groupe de travail a décidé de consacrer une partie spécifique de ses travaux aux coopératives, confiée à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Certes, la mission conduite par le député Francis Vercamer, entre 2008 et 2010, à la demande du précédent Premier ministre, a eu le mérite de recréer une instance de concertation nationale à travers le Conseil supérieur de l'ESS (CSESS) mais les suites concrètes données au rapport Vercamer sont restées limitées. Il était donc urgent de combler ces lacunes institutionnelles et de redonner à l'ESS la place qu'elle mérite au sein des politiques publiques. A ce titre, on ne peut que saluer la création d'un ministère de l'ESS rattaché au ministère de l'économie. On doit également se féliciter des annonces faites par le Gouvernement s'agissant des mesures législatives et financières qu'il entend faire passer dans les mois à venir, ainsi que de sa volonté de mettre en place un dialogue renforcé avec l'ensemble des ministères concernés et des instances représentatives.

Je rappelle que, lors de sa réunion constitutive, le groupe de travail a défini sa stratégie, en décidant que ses travaux suivraient deux axes : appréhender globalement la situation de l'ESS et, de façon plus circonscrite, établir un diagnostic précis du système coopératif en France, l'objectif étant dégager des propositions concrètes en faveur du développement des entreprises coopératives. Conformément à cette feuille de route, nous avons procédé au cours des deux derniers mois à une trentaine d'auditions.

Avant de passer la parole à ma co-rapporteure, pour vous présenter nos recommandations sur les coopératives, il me revient de brosser un rapide tableau des conclusions qui se dégagent de la consultation transversale menée auprès des acteurs de l'ESS et de présenter la feuille de route que se fixe le groupe sénatorial de travail pour les prochains mois. Quatre axes se dégagent.

Tout d'abord, les frontières de l'ESS sont parfois difficiles à cerner. Le coeur de l'ESS est en effet constitué aujourd'hui par les organismes qui se rattachent à l'une des quatre grandes familles statutaires : coopératives, mutuelles, associations et fondations. Ils emploient près de deux millions de salariés, soit environ 10 % du total des emplois, et leur part est en augmentation continue. Autour de ce noyau dur, on trouve cependant un grand nombre d'entreprises qui, bien qu'empruntant la forme juridique d'une société classique, revendiquent leur appartenance à l'ESS du fait des valeurs de désintéressement, de solidarité et de démocratie auxquels elles se réfèrent et des objectifs d'utilité sociale qu'elles cherchent à promouvoir. Faut-il inclure ces organismes dans l'ESS ? D'un côté, il n'y a pas de raison de penser que les quatre statuts qui définissent aujourd'hui les frontières officielles de l'ESS constituent l'horizon ultime du secteur : l'ESS pourrait ainsi avoir vocation à intégrer toutes les formes de production qui se développent en-dehors de la logique capitaliste. Toutefois, la référence aux valeurs qui sont celles de l'ESS ne saurait constituer à elle seule un critère d'appartenance suffisant, d'autant que toutes les entreprises communiquent désormais sur le thème de la responsabilité sociale et environnementale. Il convient donc d'identifier ce qui, aujourd'hui, peut constituer un critère objectif d'appartenance à ce secteur : dès lors que l'on met en place des politiques publiques assortis d'outils fiscaux ou financiers spécifiques, il importe de désigner avec précision les bénéficiaires de ces actions publiques. Jusqu'à présent, la réflexion sur cette question des frontières s'est structurée dans un débat sur la création d'un nouveau label. Il serait intéressant de penser aussi aux moyens d'inclure de manière statutaire les nouveaux acteurs dans l'ESS soit en leur donnant la possibilité d'opter pour l'un des quatre statuts juridiques historiques si leur activité peut se développer dans ce cadre, soit en élaborant de nouveaux statuts juridiques, adaptés aux caractéristiques spécifiques de leur activité.

La seconde question importante sur laquelle il convient de se pencher est celle du financement de l'ESS. Même lorsqu'elles évoluent dans la sphère marchande, les structures relevant de l'ESS ont en effet beaucoup de mal à trouver des financements externes, car leur logique de profit limité et leurs principes de gouvernance démocratique les rendent peu intéressantes pour les investisseurs financiers. Il faut donc réfléchir aux moyens d'orienter l'épargne vers l'ESS en créant des outils et des circuits de financement spécifiques. Mobiliser l'épargne solidaire et l'épargne populaire, mettre en place des mécanismes de co-financement ou de garantie publics, utiliser plus largement les fonds européens ou encore le mécénat, favoriser le renforcement des fonds propres par des règles, notamment fiscales, propices à l'auto-accumulation : il s'agit là d'un vaste chantier. D'autant plus complexe que les attentes des acteurs sont très différentes selon leur statut juridique ou leur domaine d'activité, de sorte qu'il n'y a pas de réponse uniforme. La création de la future banque publique d'investissement (BPI), avec un compartiment dédié au financement de l'ESS, est un élément de réponse pragmatique à ces difficultés. De même, la facilitation de l'accès aux marchés publics pour les entreprises de l'ESS constitue l'un des objectifs prioritaires du ministère de l'ESS, qui permettra de répondre au besoin de fonds propres clairement exprimés par ces mêmes entreprises.

Parallèlement aux questions de financement, vos rapporteurs soulignent les apports du secteur de l'ESS en termes d'emploi. Conformément aux engagements pris par le ministre Benoît Hamon devant les représentants de l'ESS lors de la séance plénière du CSESS du 3 juillet 2012, il convient de veiller à la mobilisation des emplois d'avenir prioritairement au bénéfice du secteur non lucratif.

Enfin, le dernier axe du travail qui attend le groupe sénatorial est de participer au dialogue institutionnel en cours en vue de réformer le cadre normatif relatif à l'ESS. Le thème de la gouvernance de l'ESS devra nécessairement être abordé à cette occasion. Ce secteur d'activité se caractérise en effet par son importance quantitative, mais aussi par la grande diversité de statut de ses acteurs et par l'absence d'une représentation réellement unifiée ou institutionnalisée.

A l'issue de cette brève présentation des enjeux de l'ESS, je souligne que nous avons préconisé la création d'un groupe d'études sur l'ESS, c'est-à-dire une instance visible, pérenne et ouverte à tous les sénateurs intéressés par ce sujet majeur. Tout comme le ministère de l'ESS est rattaché au ministère de l'économie, ce groupe d'études sénatorial serait rattaché à la commission des affaires économiques. Ce groupe aurait principalement pour objet de sécuriser la reconnaissance de l'ESS, de contribuer à la mise en place d'un cadre juridique et financier, et de mettre en oeuvre des outils de promotion et d'accompagnement du secteur. Le Parlement doit en effet être présent le plus en amont possible du vote des lois, au moment où s'opèrent les choix stratégiques.

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteur. - Dans ce rapport sur l'ESS, nous avons souhaité formuler des propositions concrètes et pré-opérationnelles pour les coopératives. En effet, les questions relatives aux coopératives doivent être préparées à l'avance dans la perspective du prochain projet de loi sur l'ESS. L'Organisation des nations unies (ONU) a d'ailleurs déclaré l'année 2012, année internationale des coopératives, et celles-ci ont fait l'objet en France d'un rapport demandé à M. Francis Vercamer en 2010.

Je rappelle que le traité de Rome fait référence aux coopératives. La crise actuelle a mis en exergue tout l'intérêt que présente un entrepreneuriat placé au service de l'intérêt commun de ses membres et de non de la simple valorisation du capital, selon le principe de gouvernance « un homme, une voix », les bénéfices étant répartis d'abord au profit de l'entreprise elle-même. Le modèle coopératif s'inscrit ainsi dans le cadre de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, amélioré par la suite. De nos jours, les sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC) permettent la participation des collectivités territoriales.

Nos coopératives couvrent un large champ : banques, coopératives agricoles, sociétés coopératives de production (SCOP) en fort développement, coopératives de distribution et formes émergentes : coopératives d'artisans, qui se regroupent pour disposer d'équipements en commun, ou coopératives d'habitants, dont le statut devrait toutefois être adapté. Elles représentent 300 000 emplois directs, voire un million environ si on inclut les filiales.

Nos propositions tendent à défendre les coopératives comme acteurs de sortie de crise et de promotion de l'emploi.

S'agissant des SCOP, il faut encourager la reprise des entreprises sous cette forme. Le montant de capital nécessaire pour reprendre une PME industrielle est souvent hors de portée pour les salariés : on pourrait, comme au Québec, autoriser la reprise de l'entreprise par des employés minoritaires, le reste du capital étant porté, par exemple, par un fond de développement coopératif.

De plus, il faudrait permettre la reprise d'une entreprise dans la continuité, sans attendre qu'elle ait été liquidée et qu'elle ait perdu ses marchés et son image de marque. Les salariés devraient également bénéficier d'un droit de priorité lorsque leur projet de reprise est viable, dans la mesure où le propriétaire n'est pas spolié : il faut éviter que des « prédateurs » ne rachètent l'entreprise que pour la démanteler.

Il faut également favoriser la constitution de groupes coopératifs, par exemple pour aider les entreprises à exporter : les règles liées à l'autonomie des coopératives sont aujourd'hui trop contraignantes.

Nous souhaitons enfin promouvoir les SCIC et les coopératives d'activité et d'emploi (CAE), qui aident les entrepreneurs coopératifs à respecter les règles juridiques.

Concernant l'accès aux fonds propres, je rappelle qu'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a reconnu la légitimité des dispositifs fiscaux qui tendent à combler les handicaps structurels dont souffrent les structures coopératives.

Les mécanismes d'OSEO étant mal adaptés, nous proposons d'une part d'améliorer les garanties d'État : la BPI doit pouvoir soutenir les fonds propres des coopératives. Nous suggérons d'autre part de nous inspirer du modèle italien, où les petites et moyennes industries cotisent pour un fonds de développement coopératif. Enfin, les coopératives d'habitants fonctionnent bien dans certains endroits, notamment dans les centres-villes, mais aussi pour des retraités.

Concernant les coopératives d'HLM, on devrait leur permettre à nouveau d'octroyer des prêts à leurs clients. Les sociétés anonymes d'HLM, pour leur part, devraient avoir la possibilité de se convertir en coopératives.

S'agissant de la gouvernance, l'esprit de la coopérative doit être respecté par la mise en oeuvre de la procédure de révision coopérative. Il ne devrait plus y avoir de personnalités extérieures associées dans le conseil d'administration des banques coopératives, car c'est un facteur d'affaiblissement des sociétaires face à la direction. De plus, les conventions réglementées doivent toutes être votées en assemblée générale.

Nous formulons également, dans le rapport, des propositions tendant à favoriser un environnement concurrentiel équitable et adapté pour les coopératives. Enfin il est nécessaire d'encourager l'engagement dans les projets coopératifs. Je constate en effet que le fait coopératif n'est pas enseigné, même dans le domaine agricole.

M. Daniel Raoul, président. - Merci pour ces exposés très riches.

Je confirme notre engagement de créer un groupe d'études sur l'ESS. Je saisirai le Président du Sénat de cette question.

Mme Élisabeth Lamure. - Mon principal regret est de ne pas avoir pu, pour des raisons de calendrier, participer assidument aux travaux du groupe de travail. Je manifeste volontiers mon accord sur l'analyse sociétale qui a été présentée. En revanche, je me demande si on peut affirmer sans nuance que l'économie sociale a été marginalisée au cours des dernières années. Quoi qu'il en soit, ce chantier mérite d'être approfondi dans tous ses aspects et je salue donc l'initiative qui consiste à créer un groupe d'études pérenne.

M. Yannick Vaugrenard. - Je tiens d'abord à souligner que le travail qui a été accompli est remarquable.

Je suis convaincu qu'il nous faut asseoir les bases de l'ESS en travaillant sur la manière dont elle est perçue, car la dimension culturelle est fondamentale. Pendant trop longtemps, on s'est contenté de mettre en avant l'initiative individuelle sans insister suffisamment sur le rôle essentiel que doit jouer l'économie sociale. Cependant, tant qu'on ne garantira pas l'exemplarité de l'ESS, ces efforts ne pourront pas avoir une base suffisamment solide. Une telle clarification est donc la condition nécessaire et préalable au développement de l'économie solidaire. J'ajoute qu'il faut également viser un objectif de simplification pour que l'ESS devienne une alternative opérationnelle au système économique traditionnel.

M. Gérard César. - Je félicite à mon tour les intervenants pour leur excellent travail. M'appuyant sur mon expérience personnelle dans le secteur des coopératives agricoles, je souligne la nécessité absolue de maintenir le principe « une personne, une voix » : il a vocation à s'appliquer très souvent car on constate presque quotidiennement des fusions. Par ailleurs, vous avez, à mon sens, parfaitement raison de préconiser le maintien du statut fiscal actuel. Enfin, comme Mme Lienemann, j'estime qu'on ne parle pas assez du statut de la coopération et qu'il faut l'enseigner de façon précoce.

M. Henri Tandonnet. - L'économie solidaire joue un rôle fondamental dans des champs d'activités ponctuels essentiels. Je signale cependant les dérives qui résultent de l'utilisation de la force mutuelle ou coopérative pour mener des activités de nature capitaliste. Je souhaite par ailleurs vous interroger sur les hypothèses de cession d'entreprise : vous envisagez, dans cette hypothèse, une simple consultation individuelle des salariés mais j'estime qu'il faut aller plus loin dans la réflexion en prévoyant des modalités collectives d'exercice du droit d'information et de préférence.

M. Gérard Le Cam. - Sur la nécessité de la transparence, je rejoins tout à fait l'analyse et les propositions de Yannick Vaugrenard : on pourrait citer de trop nombreux exemples d'allocation opaque de rémunérations très élevées. Je souligne également que l'économie solidaire peut contribuer à la reconquête de nombreux secteurs abandonnés à l'importation et qu'elle peut favoriser la capacité exportatrice de la France.

M. Claude Bérit-Débat. - Je salue à mon tour les exposés de mes collègues qui ont admirablement dressé l'état des lieux et formulé des propositions intéressantes. J'aurais tendance à privilégier les coopératives agricoles dans nos préoccupations et je crois beaucoup à l'utilité, ainsi qu'à l'avenir des coopératives HLM. Il me parait également essentiel de mettre l'accent sur la transmission d'entreprise pour trouver les moyens de la faciliter en surmontant les difficultés de gestion et en améliorant l'articulation avec les réseaux consulaires.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Comme l'ont souligné plusieurs de nos collègues, l'économie solidaire renvoie à un problème sociétal : les structures commerciales ayant trouvé leur limite, il nous faut favoriser d'autres modes d'exercices de l'activité économique. A mon tour également d'attirer l'attention sur les dérives qui sont aujourd'hui constatées et de souligner que pour trouver une voie alternative crédible, il nous faut définir une stratégie cohérente. Mon interrogation porte sur les mesures législatives prioritaires : on en est souvent ramené à la « question de la poule et de l'oeuf » et il nous faut bien mesurer ce qui relève du volontarisme ou de l'accompagnement des initiatives de terrain.

M. Alain Fauconnier. - Je crois avant tout utile de ne pas nous laisser induire en erreur par des abus de vocabulaire car la notion d'économie solidaire recouvre toutes sortes de pratiques et d'activités. J'ajoute, avec le même souci du concret que, par exemple, dans le secteur de la distribution, je vois mal comment répondre à l'extrême diversité des situations par des mesures générales : il faudrait plutôt favoriser le « cousu main ».

Je rappellerai que le secteur coopératif a par-dessus tout été un moyen de développement fantastique pour l'agriculture : les coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA) ont été exemplaires dans ce domaine. Par ailleurs, il faut tenir compte du contexte et du système global qui a contraint certaines coopératives à adopter des comportements parfois jugés contestables : pour réguler et améliorer leur cadre juridique et fiscal, je doute qu'on puisse appliquer des solutions uniformes et je plaide donc pour la différenciation pragmatique.

Mme Renée Nicoux. - Juste une remarque sur le Crédit agricole, qui est l'une des plus grandes coopératives bancaires. Dans l'activité des caisses locales, j'estime que l'application du principe « une personne, une voix » peut conduire à une certaines dilution géographique car les décisions qui sont prises au niveau local ne tiennent souvent pas assez compte des problématiques nationales.

Je déplore également la méconnaissance du statut des SCOP : elle est particulièrement préjudiciable au moment des transmissions ou reprises d'activité. Des expérimentations au niveau régional ont été conduites avec succès : il nous faut les généraliser au niveau national.

M. Marc Daunis, président. - Nous avons identifié un premier problème : la définition du périmètre de l'ESS. Si les associations recouvrent des situations très différentes, nous constatons de manière générale qu'il est difficile de maintenir sur la durée la participation des citoyens.

La transparence est, dans tous les cas, un enjeu majeur : elle est indispensable pour faire vivre la gouvernance selon le principe « un homme, une voix ».

Les statuts, eux, sont divers, d'où notre proposition de créer un label pour clarifier le secteur et accompagner son développement par une démarche pragmatique. Le groupe d'études dont nous souhaitons la création devra mener une veille à cet égard et accompagner les processus législatifs.

S'agissant du financement, l'épargne locale doit contribuer au développement de l'environnement économique. Des dérives peuvent être constatées, mais les autres secteurs n'en sont pas exempts.

En conclusion, le Sénat, représentant des collectivités territoriales, doit jouer un rôle pour donner un rôle à l'ESS dans le dialogue entre les institutions : il faut aller vers la contractualisation entre l'État et les territoires. La marginalisation de cette économie n'a été évitée, ces dernières années, que grâce à l'action des régions et des collectivités.

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteur. - Le coeur du rapport est constitué par les propositions relatives aux SCOP.

L'obligation d'informer doit être individuelle, mais le projet de reprise émane bien de l'initiative des employés, et non du cédant. Nous mentionnons également la nécessité d'une formation des acteurs de l'ESS.

Je partage les propos formulés par M. Gérard César concernant les coopératives agricoles.

Les coopératives, dans le monde contemporain, doivent être pourvues de structures performantes. Je rappelle que l'essentiel de l'économie régionale est financé par les réseaux coopératifs. Nous préconisons donc des mesures relatives aux conventions réglementées, aux administrateurs indépendants et à la révision coopérative.

S'agissant des banques, il faudra veiller à ce que la séparation entre les activités d'affaire et les activités de dépôts, s'ajoutant aux normes dits Bâle 3, ne bloque pas l'accès aux financements.

Ce rapport est un premier jalon, qui sera approfondi dans le cadre de la loi. Nous n'avons pas traité des coopératives de franchisés, mais je rappelle que les coopératives, comme toute société, reposent sur l'affectatio societatis et sur l'intérêt commun des associés, qui ne correspond pas nécessairement à l'intérêt général.

Je rappelle enfin que les coopératives ne bénéficient pas d'avantages fiscaux en tant que tels, mais seulement dans la mesure où elles n'ont pas accès aux marchés.

Le rapport est adopté à l'unanimité.

Questions diverses

Enfin la commission a procédé à la désignation de M. Claude Bérit-Débat en tant que rapporteur du projet de loi relatif au logement et de M. Serge Larcher en tant que rapporteur du projet de loi sur la vie chère outre-mer, sous réserve de l'adoption en Conseil des ministres et du dépôt sur le bureau du Sénat de ces deux projets de loi.

- Présidence commune de M. Daniel Raoul, président et de M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable -

Audition de Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique

Puis, lors d'une réunion conjointe avec la commission du développement durable, la commission procède à l'audition de Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Vos compétences, Madame la ministre, intéressent nos deux commissions. Nous diviserons l'audition en deux parties : le numérique d'une part, l'innovation et les PME d'autre part. M. Montebourg, que nous entendions hier, a déjà abordé certains de ces sujets, fondamentaux pour notre économie et nos territoires.

L'arrivée d'un nouvel acteur dans le secteur du numérique bouleverse les équilibres. Se posent les problèmes de la quatrième licence et de la 4G : quelles évolutions sont à prévoir, quelles alliances ? Vous avez regretté cette situation, du point de vue économique et du point de vue social. N'a-t-on pas privilégié le consommateur plutôt que l'emploi ? Il faudra à l'avenir mesurer l'impact social des mesures prises.

Quel régulateur pour quelle régulation ? La commissaire européenne a annoncé un allègement de la régulation - ce qui n'est pas pour nous rassurer. Le Gouvernement semble résolu à reprendre en main la gouvernance du numérique. Vous vous êtes déclarée ouverte à un rapprochement de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) et du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), idée que je soutiens depuis longtemps en raison de la convergence technologique. Sans doute nous en direz-vous davantage.

Sur les aspects liés à la consommation, les opérateurs demandent la révision de certains points de la loi Chatel. Le projet de loi que le Sénat a adopté à la fin de l'année dernière n'allait pas dans ce sens. Quel est votre avis sur la question ?

S'agissant du volet PME, nous intéressent particulièrement les liens entre recherche, innovation et compétitivité, les transferts de technologies entre recherche fondamentale et industrie. Les 6 milliards d'euros du grand emprunt affectés aux sociétés d'accélération du transfert technologique (SATT), créées de toutes pièces, auraient été plus utiles aux technopôles et à l'interface entre les universités et les technopôles. La priorité, ce sont les territoires !

Quel bilan faites-vous du programme « Investissements d'avenir ? Comment le réorienter ? Ne peut-on optimiser les structures existantes plutôt que d'en créer de nouvelles ? Quel regard portez-vous sur les pôles de compétitivité, qui peuvent être un moyen de mieux intégrer les acteurs autour de projets communs : comment les articuler avec le programme ?

Les PME doivent être au coeur de nos politiques de soutien car elles innovent et créent de la valeur et de l'emploi. Mais leur haut de bilan est fragile, leur trésorerie insuffisante. Que comptez-vous faire pour améliorer leur capitalisation, pour faciliter leur transmission ? Une politique d'achats publics stimulerait-elle leur activité et l'innovation ? Faut-il un Small Business Act ?

Enfin, la commission des finances vient de publier un rapport sur le crédit impôt recherche (CIR). Nous souhaitons pour notre part qu'il soit réorienté vers les PME et les ETI, entreprises de taille intermédiaire. Espérons que le projet de loi de finances pour 2013 sera l'occasion de revenir sur le statut fiscal des jeunes entreprises innovantes (JEI). Les entreprises réellement innovantes doivent pouvoir être mises sous perfusion pendant leurs premières années de vie.

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. - À mon tour de remercier madame la ministre de sa présence. La commission du développement durable, créée il y a peu, est en charge de l'aménagement du territoire, des transports, du développement durable. Le désenclavement numérique est donc dans ses compétences. C'est un sujet sur lequel le Sénat a déjà beaucoup travaillé.

Nous avons récemment auditionné le président de France Telecom, ses réponses nous ont souvent déçus. Notre collègue Yves Rome, président de l'association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca), nous a dressé ce matin un tableau alarmiste de la situation. Quelle est votre vision, votre feuille de route ? Pouvez-vous apaiser nos craintes ? Nous sommes là pour vous aider, pour travailler avec vous, afin de redonner espoir aux territoires qui souffrent de l'enclavement numérique.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique. - Merci de me recevoir. Je veux instaurer un dialogue de qualité avec les assemblées. La Haute Assemblée, représentante des collectivités territoriales, revêt une importance toute particulière, tant la réussite de mon action sera conditionnée au pacte que nous saurons nouer avec elles.

Le portefeuille qui m'a été confié est tourné vers l'avenir. C'est une chance : celle d'impulser et conduire le redressement productif de notre pays, dans une période chargée d'inquiétudes. Avec Arnaud Montebourg, nous sommes mobilisés au service de cette ambition. Au coeur de la crise, il s'agit de préparer l'avenir, de dessiner les conditions du rebond, de construire les leviers de la compétitivité, de préparer la croissance future. Les raisons de croire au sursaut de notre pays ne manquent pas. Cela suppose d'agir là où le retour sur investissement sera le plus rapide et le plus efficient. Nous n'avons plus le temps de faire les mauvais choix.

Premier chantier : les PME, qui représentent 97 % du tissu économique. Elles doivent avoir accès aux financements, être accompagnées à chaque étape de leur développement, être encouragées à exporter. Nos PME offrent déjà de belles réussites : le potentiel, les atouts sont là, mais la situation demeure tendue, des menaces pèsent sur leur activité. Deux crises successives laissent des traces. Selon la CGPME, la trésorerie de ces entreprises est toujours sous tension. Les difficultés sont aussi plus structurelles. Nos PME naissent petites en effectifs et en capitaux propres, et peinent ensuite à grandir et à exporter. Je présenterai donc à la rentrée un Plan PME. Parmi ses lignes de force, briser le « plafond de verre » qui fragilise leur expansion, et ce dès la première étape de leur financement. La création de la Banque publique d'investissement (BPI) apportera de ce point de vue une réponse en même temps qu'une sécurité plus importante. Aucune source de financement ne sera négligée. La proposition du rapport Nyse Euronext d'une plateforme boursière dédiée aux PME et aux ETI est à expertiser.

Il faut améliorer l'environnement des entreprises - sans tout chambouler, car elles ont besoin de stabilité. Il faut reprendre le chantier de la simplification administrative, pour ne pas décourager l'envie d'entreprendre. Tout sera mis en oeuvre pour faciliter l'activité et la croissance, car c'est la France qui en bénéficiera.

Il faut une fiscalité adaptée. Les PME sont plus lourdement imposées que les grands groupes. Nous proposerons des dispositifs fiscaux avantageux pour les PME, car le redressement des finances publiques doit se faire sous le signe de l'équité entre petites et grandes entreprises. Il faut faire naître une culture PME. Chaque nouvelle législation sera soumise à un « test PME », pour en percevoir tous les effets sur ces entreprises.

Nous prenons deux engagements. D'abord, stimuler le reflexe PME et l'esprit d'entreprise. Ces notions n'appartiennent pas à une famille politique plutôt qu'à une autre : le temps des clivages idéologiques factices est révolu. Nous voulons rétablir l'équilibre entre donneurs d'ordre et sous-traitants ; à l'État, à ses opérateurs et aux collectivités de montrer l'exemple.

Stimuler le réflexe PME, c'est provoquer ce déclic entrepreneurial dans le pays pour innover, exporter, créer les emplois de demain. J'ai confié Philippe Hayat, fondateur de l'association Cent mille entrepreneurs, une réflexion sur l'action publique à mener pour soutenir durablement l'esprit d'entreprendre. Je recevrai ses conclusions le 29 août.

Autre engagement : gagner la bataille de l'international. Cela signifie soutenir les PME dans la conquête de marchés internationaux. Notre commerce extérieur va mal : la part des exportations françaises a baissé de moitié et nos PME sont trop peu nombreuses à exporter, par rapport à nos voisins allemand, italien ou britannique : en valeur, moins d'un euro sur deux exporté provient des PME. Avec Nicole Bricq, nous mettons tout en oeuvre pour faire participer nos PME à l'effort de redressement des exportations. Le différentiel de performance à l'exportation s'est creusé avec l'Allemagne. Pour y remédier, j'entends soutenir la stratégie globale d'innovation des entreprises : accompagnement de la transition numérique, design, marketing, stratégie de marque, propriété intellectuelle, etc.

Nous voulons bâtir un nouveau modèle français de l'innovation. Pour tirer parti de nos ressources, il faut changer la manière dont nous pensons l'innovation. La recherche fondamentale est indispensable, c'est un trésor national, une locomotive, mais il faut une stratégie d'ensemble qui ne se limite pas à cette approche. Le CIR, pérennisé dans son principe, sera pleinement mobilisé. C'est un puissant outil d'aide à la recherche et développement. Il faut protéger ce dispositif crucial pour notre compétitivité à long terme. François Hollande a souhaité le sanctuariser, tout en le réformant, pour le rendre plus juste et l'ouvrir aux dépenses aval d'innovation. Sur les 13 000 bénéficiaires du CIR, les vingt-et-un plus gros captent le quart du total. Nous pouvons mieux cibler les PME sans pénaliser pour autant les grandes entreprises, dont le rôle est capital pour l'écosystème de l'innovation.

Le CIR sera étendu aux dépenses d'innovation. Il faut encourager les entreprises à valoriser le fruit de leur recherche, jusqu'à la commercialisation des produits. Un nouveau modèle de l'innovation, c'est aussi son ancrage dans la réalité des territoires. Avec la multiplication des structures ces dernières années, incubateurs, pôles de compétitivité, technopôles, etc., le paysage est bien complexe. Une bonne articulation entre les structures suppose une implication forte des collectivités territoriales. Les grands instituts de recherche technologique comme le CEA ou l'Inria auront également un rôle d'impulsion.

S'agissant du financement de l'innovation, nous concentrerons le soutien sur les technologies clés et les PME innovantes. Je suis favorable à un dispositif fiscal en faveur des jeunes entreprises innovantes. La BPI soutiendra l'innovation, particulièrement au niveau du capital-risque.

Il faut créer un choc culturel pour valoriser et diffuser la culture de l'innovation. Cela passe notamment par la promotion de l'étude du numérique à l'école, avec le manuel numérique, mais aussi la valorisation des jeux vidéo pédagogiques sérieux.

M. Roland Courteau. - Très bien !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - La prise de risques liée à l'investissement dans les jeunes entreprises innovantes sera encouragée, tant pour les particuliers que pour les grandes entreprises.

Une nouvelle culture de l'innovation exige enfin une politique d'attractivité qui attire des compétences et des financements étrangers. Nous voulons faire de la France une terre d'accueil des projets d'innovation internationaux.

J'en viens au secteur des télécommunications et du numérique, qui connaît des difficultés en matière d'emploi. J'ai rencontré, avec Arnaud Montebourg, les quatre opérateurs de téléphonie mobile pour identifier les voies vers un modèle de croissance au bénéfice de l'emploi et de l'investissement. Il est inacceptable que le secteur des télécoms, réglementé et protégé de la concurrence internationale, détruise des emplois. C'est le message que nous envoyons aux salariés des opérateurs et aux sous-traitants, centres d'appel, installateurs de réseaux.

Il existe une voie pour garantir aussi les droits des consommateurs : investir dans les relais de croissance. Le marché doit se développer en intégrant la demande des consommateurs et les nouveaux besoins. Nous ne jouons pas les opérateurs contre les consommateurs. Notre méthode est toujours la concertation, avec les syndicats, les opérateurs, les associations de consommateurs. Nous nous mobilisons pour empêcher que des emplois ne soient détruits ou délocalisés, que des investissements ne soient remis en cause ou retardés.

Le très haut débit fixe, le déploiement de la fibre optique posent, sur certains territoires, de vraies difficultés. Sans compter que 50 % des Français n'ont pas accès à un haut débit satisfaisant, et donc à une offre triple play de qualité. Je comprends le mécontentement des habitants des zones périurbaines ou rurales, qui souffrent du manque de concertation entre élus et opérateurs, du manque de financements, du manque de lisibilité des objectifs.

Candidat, le président de la République avait prévu la couverture intégrale du territoire en très haut débit d'ici dix ans. Il faut clarifier ces objectifs de couverture, et se donner pour objectif un vrai haut débit pour tous dès 2017.

Les rôles respectifs de l'État, des opérateurs et des collectivités doivent être clarifiés. L'État devra préciser le cadre d'investissement des opérateurs et des collectivités et le sécuriser. Il n'est pas tolérable que les élus n'aient pas d'assurance sur l'utilisation qui sera faite de leur réseau par les opérateurs. Dans le même temps, ceux-ci doivent disposer d'un cadre d'intervention clair pour libérer l'investissement.

La question des financements doit être tranchée. L'Europe devra prendre sa part ; l'État jouera son rôle de garant de la solidarité entre les territoires via un mécanisme de péréquation. Je pense naturellement à l'abondement du Fonds d'aménagement numérique du territoire, ou à toute autre modalité pour pérenniser l'intervention des territoires. Nous établirons à la rentrée notre feuille de route, à l'issue de la concertation qui débute aujourd'hui.

Le développement de la 4G doit intervenir le plus rapidement possible. Deux bandes de fréquences sont aujourd'hui accessibles, mais des travaux doivent être effectués sur les fréquences issues du dividende numérique pour éviter les brouillages de la TNT. La question de l'utilisation de la bande 1 800 Hertz est également posée. Le gouvernement souhaite avancer vite, car les attentes sont fortes. Il faut lever les contraintes au lancement de nouveaux services mobiles. Cela suppose une meilleure diffusion du numérique sur le territoire, auprès des très petites entreprises, des personnes fragiles. Autre chantier, le développement de l'e-administration, qu'il s'agisse de l'administration d'État ou des collectivités territoriales, dans une logique interministérielle.

Ces sujets dessinent l'avenir de la France. Je tenais à vous faire connaître nos pistes de travail, et à vous communiquer l'enthousiasme qui m'anime pour mener à bien cette belle mission.

M. Hervé Maurey. - Je veux rappeler à madame la ministre le travail accompli par le Sénat. Il y a un an, la commission de l'économie - avant de se scinder en deux commissions - a adopté à l'unanimité mon rapport, intitulé « Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes ». Dans le prolongement, j'ai cosigné avec Philippe Leroy une proposition de loi, adoptée à une large majorité en février dernier. Premier volet de ce texte : le droit au haut débit pour tous, car aujourd'hui, 77 % de la population a seulement accès à une couverture minimale de 2 méga ! Nous avions proposé que ce droit soit inclus dans le service universel ou soit rendu opposable.

Vous n'avez pas évoqué la téléphonie mobile. Les taux de couverture affichés sont flatteurs, mais c'est que la couverture est mesurée à l'extérieur, en zone habitée, en position immobile ! Le groupe de travail installé par votre prédécesseur n'a pas apporté d'autre réponse que poncifs et platitudes.

Le programme national très haut débit (PNTHD) fait la part beaucoup trop belle aux opérateurs, qui vont là où ils veulent, au rythme qu'ils souhaitent, et qui ne sont pas liés par les annonces d'investissement - annonces qui empêchent les collectivités d'investir dans les zones ainsi préemptées, au risque de perdre toute subvention !

Notre proposition de loi opérait un rééquilibrage entre opérateurs et collectivités, reposant sur une contractualisation contrôlée, dont le non-respect serait sanctionné par l'Arcep. Elle prévoyait également que soit enfin abondé le Fonds d'aménagement numérique des territoires (Fant), afin que les collectivités locales puissent couvrir l'ensemble de leur territoire. Que comptez-vous faire de cette proposition de loi ? Ce n'est pas la panacée, elle peut sans doute être améliorée, mais il faut l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Un texte législatif serait un symbole politiquement fort et offrirait un cadre précis aux acteurs.

Le président de la République a fixé des objectifs ambitieux - plus encore que ceux de son prédécesseur. Si l'on veut les tenir, il va falloir changer de braquet ! Pour l'instant, je ne vois rien venir. Je ne suis pas dans la majorité, mais je soutiendrai toutes les actions qui iront dans le bon sens. L'aménagement numérique du territoire doit faire consensus. Il faut de plus encourager cette filière industrielle importante, créatrice d'emplois. Souhaitons que le slogan « le changement, c'est maintenant » s'applique en la matière !

M. Michel Teston. - Comme l'a dit Hervé Maurey, le PNTHD favorise trop les opérateurs et cantonne l'action des collectivités territoriales aux zones très peu denses. En annonçant un investissement, les opérateurs gèlent les initiatives des collectivités - et n'encourent aucune sanction s'ils ne tiennent pas leur engagement ! Autre problème : dans l'interprétation du gouvernement Fillon, une collectivité territoriale portant un projet intégré, couvrant à la fois une zone moyennement dense et une zone très peu dense, ne bénéficie d'aucune aide pour la partie très peu dense. Enfin, le Fant, créé par la loi Pintat, n'a jamais été alimenté. Trois suggestions donc : contractualiser les engagements des opérateurs, et sanctionner leur non-respect ; aider les collectivités qui investissent dans des projets intégrés, pour la part concernant les zones très peu denses ; abonder le Fant, dans une logique de péréquation : les opérateurs doivent y contribuer au fur et à mesure qu'ils développent leur réseau dans les zones très et moyennement denses, afin d'aider les collectivités à le faire dans les zones peu denses. Il faut faire évoluer le PNTHD afin d'atteindre les objectifs fixés à dix ans par le président de la République.

M. Roland Courteau. - Très bien !

M. Yves Rome. - Les collectivités locales sont inquiètes. Le programme national très haut débit du précédent Gouvernement ne fonctionne pas. Le rapport et la proposition de loi Maurey l'ont prouvé. Selon l'Arcep, au rythme actuel, il faudrait 80 ans pour atteindre les objectifs ! La Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (Fieec) témoigne également des insuffisances du plan et des retards pris, et s'inquiète des conséquences sur l'emploi, la capacité d'innovation, la croissance.

Le président de la République a fixé comme objectif la couverture intégrale du territoire en très haut débit d'ici dix ans. Il faut un New Deal du numérique - outil fabuleux pour la croissance, pour l'emploi, pour le bien vivre ensemble sur le territoire - afin de briser le « plafond de verre ». Comment demander aux opérateurs, que l'on stigmatise parfois à l'excès, d'atteindre les objectifs fixés, quand on sait qu'il va falloir investir 25 à 30 milliards d'euros sur dix ans ? L'opérateur historique ne mobilise aujourd'hui qu'environ 300 millions par an...

Quels correctifs apporter au PNTHD ? À court et moyen terme, quel changement de paradigme pour rendre crédibles les objectifs fixés par le président de la République ? Il ne faut pas opposer les opérateurs les uns aux autres, opposer les opérateurs aux collectivités, mais mobiliser les intelligences collectives. C'est grâce à l'heureuse coopération entre opérateurs et collectivités territoriales que la France est devenue un leader européen sur le haut débit. Il s'agit désormais de faire de même pour le très haut débit, avec l'État pour pilote.

M. Bruno Retailleau. - Le programme national très haut débit ne fonctionne pas ? Il en est à son tout début ! Comment porter un jugement aussi brutal avant même le démarrage des opérations ? Ma collectivité vient tout juste de commencer à le déployer !

Le très haut débit, ce sont deux infrastructures complémentaires : le mobile et le fixe. Nous avions veillé, lors de l'attribution des fréquences 4G, à ce que les opérateurs soient obligés, pour la première fois, de déployer simultanément les antennes dans les villes et dans les zones dites prioritaires, qui sont des zones rurales. Comment comptez-vous faire respecter cette obligation règlementaire ? C'est important pour le monde rural.

Le PNTHD doit certes être amélioré. Première question : comment faire respecter les engagements des opérateurs ? Êtes-vous favorable à une sanction financière ? Deuxième question, la complémentarité ou la concurrence entre initiatives publiques et privées. Êtes-vous prête demain à subventionner une initiative publique dans une zone d'appel à manifestation d'intérêts (AMII) ?

Les projets du plan national sont sous-subventionnés. Les opérateurs n'ont guère besoin du guichet A, qui pourrait en revanche apporter aux collectivités territoriales des financements bienvenus - même si nous préférerions des subventions !

La Commission européenne a annoncé quelques milliards pour les infrastructures, dont une part pour le numérique. Il me paraîtrait inconcevable que les project bonds n'aient pas une dimension numérique.

La taxe sur les opérateurs n'est pas euro-compatible, mais pourrait toutefois être utilisée pour alimenter le Fant, si l'on suit un cheminement légal précis.

Nous avons tous souffert, à commencer par les collectivités territoriales, de l'absence de pilotage national. L'État doit rester stratège, il faut installer une task force auprès de vous, madame la ministre, si l'on ne veut pas que le rôle de l'État se limite au ministère de la parole.

M. Jean-Luc Fichet. - On ne pense pas assez aux PME en zone rurale qui ont elles aussi besoin du très haut débit, par exemple dans le domaine de l'image ou, de manière cruciale, dans celui de la télémédecine.

Des infrastructures existent : France Télécom pose des fourreaux lors de ses opérations de génie civil, pour être prête à déployer la fibre optique le moment venu. Mais elle garde ces opérations confidentielles : résultat, certaines collectivités territoriales réalisent des travaux de génie civil en parallèle ! Si France Télécom était plus ouverte sur les investissements réalisés, nous ferions des économies importantes. La loi n'est pas appliquée, faute de décrets d'application sans doute. Comment pensez-vous régler ce problème ?

M. Alain Fouché. - Deux questions. Êtes-vous favorable aux propositions de Martin Bouygues visant à limiter le recours aux accords d'itinérance pour déployer le mobile 3G et 4G ? Quelles pistes privilégiez-vous pour abonder le Fant ?

M. Martial Bourquin. - La couverture du territoire en très haut débit s'impose : il en va de l'égalité de tous les citoyens dans l'accès aux infrastructures, mais aussi de la compétitivité de nos territoires et de notre industrie. La désindustrialisation découle du sort réservé aux PME, « ces PME qu'on assassine », comme le magazine Challenge intitulait un article sur le médiateur de la sous-traitance, M. Volot. Le groupement les entreprises informatiques, le Conseil économique, social et environnemental et l'Igas ont dénoncé le recours abusif à la sous-traitance et l'externalisation croissante des directions informatiques dans les entreprises informatiques. Ces entreprises mènent une politique de réduction massive des coûts, les articles 1 et 3 de la loi de 1975 sont systématiquement détournés. Que comptez-vous faire pour rééquilibrer la relation entre les grands donneurs d'ordre et les sous-traitants ?

Mme Laurence Rossignol. - A mon tour je veux insister sur la fragilité de nos PME et des start up en gestation. J'ai présenté à votre cabinet le cas de l'une d'elles, exemplaire dans sa banalité, qui après s'être vu refuser tout fonds d'amorçage, ne parvient à obtenir aucun fonds de croissance. Quelle alternative sinon partir aux États-Unis ? La BPI est donc très attendue. A quelle date sera-t-elle installée ?

Comment comprendre l'impuissance des pouvoirs publics face aux banques, prêtes à prendre des risques considérables dans le secteur financier mais qui rechignent devant le moindre risque que peut présenter une PME ? N'y a-t-il donc aucun moyen de contrainte, aucune voie de discussion pour les amener à réorienter leurs interventions vers les entreprises, en prenant un risque somme toute mesuré ?

M. Jean-Claude Lenoir. - Serait-il possible de disposer d'un état comparatif du déploiement, en France et en Europe, du haut débit et du très haut débit ?

Vous avez pris l'intéressante initiative de vous rapprocher de M. Peillon pour travailler au développement des moyens pédagogiques que le numérique pourrait offrir aux jeunes qui, bien que doués en ce domaine de talents dont notre génération est hélas dépourvue, ne se voient offrir que des programmes essentiellement ludiques.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Hervé Maurey a souligné à juste titre les enjeux de l'aménagement du territoire. Enjeux économiques mais aussi pour la santé, l'éducation, ainsi que vous l'avez rappelé, madame la ministre. Les conclusions du colloque qui s'est tenu la semaine dernière sur les défis sociétaux de la révolution numérique sont propres à faire mesurer dans quel monde nous basculons.

Comment, dans ce contexte, lutter contre les géants américains ? N'est-ce pas au niveau de l'Europe, et d'une Europe plus intégrée, qu'il faut pousser une stratégie globale ? Lors de la dernière réunion de la Cosac à Copenhague, nous avons souligné combien les écarts de fiscalité pouvaient devenir l'outil d'une concurrence déloyale, comme l'atteste le dumping fiscal pratiqué par certains pays : des géants américains s'y installent, pour aspirer toute notre valeur ajoutée. Nous saluons donc la poursuite de l'effort gouvernemental pour défendre devant les instances européennes notre TVA adaptée aux oeuvres numériques. Le Sénat fut le fer de lance de l'harmonisation entre fiscalité du numérique et fiscalité du papier, non seulement pour le livre mais aussi pour la presse, secteur dans lequel les entreprises subissent de plein fouet les mutations technologiques et sont à la recherche d'un nouveau modèle économique. Comment, au-delà, ce gouvernement entend-il s'engager dans la défense d'une stratégie européenne globale, incluant les équipements, les logiciels, les serveurs ? A quand l'info-nuage européen ? Souhaitons-nous voir Google organiser « toute l'information du monde », comme il en affirme l'ambition ?

Mme Bernadette Bourzai. - Les collectivités locales qui ont pris des initiatives, je pense au syndicat mixte Dorsal dans le Limousin, méritent d'être soutenues dans leurs projets de couverture des territoires, y compris les plus handicapés, les zones de montagne ou les îles.

La commission des affaires européennes et la commission de l'économie du Sénat ont ainsi adopté, en février, une résolution relative au mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE), soit 50 milliards d'euros de crédits dont 30 doivent aller aux transports, 10 aux interconnexions énergétiques et 10 aux télécommunications. Ces sommes sont-elles bien prévues dans le plan de relance adopté par le dernier Conseil européen ? Quel usage la France entend-elle faire de ces crédits pour relancer le plan national de développement du très haut débit ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Il ne suffit pas, en effet, M. Lenoir, de déployer des tuyaux. Encore faut-il qu'il en soit fait utilement usage. Nous avons porté un projet ambitieux au cours de la campagne. Il demandera du temps. Mais je crois indispensable de développer dès à présent les usages éducatifs du numérique. Faute de quoi, l'avance prise par d'autres pays les mettra bientôt en position de fixer les standards et les normes, dont on sait combien ils sont déterminants pour peser. Il faut donc préparer la transition à l'école, et pas seulement pour alléger le cartable, en réfléchissant à la façon dont le numérique peut modifier la pédagogie. Une telle réforme ne peut réussir qu'en se construisant autour du professeur, plus que de l'élève. Il ne suffit pas de distribuer des tablettes, il faut réfléchir aux contenus. Nous travaillons en synergie avec le ministère de l'Éducation nationale dans le cadre du chantier lancé par Vincent Peillon, qui vise à modifier les maquettes pédagogiques pour susciter une véritable acculturation des élèves au numérique, bien au-delà de la frappe sur clavier et la recherche sur moteurs.

Il n'est pas question Monsieur Maurey, de passer le travail considérable du Sénat par pertes et profits. C'est bien pourquoi vous êtes invités à vous exprimer à partir de vendredi, lors de la table ronde, mais aussi ensuite, à la rentrée, afin que nous définissions en commun une feuille de route. Le fait est que le plan national très haut débit, tel que défini par le précédent Gouvernement, n'est pas satisfaisant. Il n'y a pas de pilote dans l'avion ! Nous voulons donc un pilotage national, sous forme d'établissement public ou de GIP, et dont la déclinaison régionale reste à définir. Cette structure aura vocation à apporter aux collectivités une assistance à maîtrise d'ouvrage. Elle aura donc besoin de compétences de haut niveau en ingénierie. Elle gérera aussi les subventions et les prêts éventuels - si nous parvenons, dans le cadre de la discussion budgétaire, à transformer le guichet A en guichet de prêts.

On sait aussi que l'abondement de l'État, à hauteur de 900 millions d'euros, était insuffisant pour financer le plan très haut débit. Il faudra donc mobiliser des financements complémentaires, notamment européens - fonds structurels, mécanisme d'interconnexion, mais aussi project bonds et prêts de la Banque européenne d'investissement, laquelle peut octroyer des crédits avantageux pour les investissements de long terme.

Les modèles économiques ne sont pas, aujourd'hui, sécurisés, ni pour les collectivités, ni pour les opérateurs. Les collectivités n'ont aucune garantie que leurs réseaux dans les zones non denses seront utilisés par les opérateurs. Ceux-ci n'ont aucune garantie sur les conditions techniques qui leur seront offertes pour déployer leurs services. Il faut donc définir nationalement un cahier des charges techniques, en partenariat avec les uns et les autres, pour les sécuriser. Et notre rôle est aussi, Monsieur Fichet, en lien avec l'Arcep, d'exiger de France Télécom une cartographie exacte de l'existant, pour éviter les doublons et déployer plus rapidement le haut débit. Et nous entendons bien instaurer, en tant qu'actionnaires, une relation plus virile que par le passé avec l'entreprise.

En matière de téléphonie mobile, se pose la question des zones blanches. Le programme en cours depuis 2003, qui associé l'État, les collectivités et les opérateurs, a permis de couvrir 97,7 % de ces zones. Restent 217 communes...

M. Yves Rome. - Non ! Le problème est celui de la définition de la couverture : c'est le centre bourg qui est pris pour repère, si bien qu'aucun écart n'est comptabilisé.

M. Hervé Maurey. - Il est grand temps de redéfinir la mesure !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Il nous reviendra donc de rediscuter avec l'Arcep des critères de mesure de la qualité du service, pour en revoir la pertinence.

Il est exact Monsieur Retailleau, que sur le très haut débit mobile et la 4G, les opérateurs se sont engagés, chaque fois qu'ils déploient une antenne en centre ville, à en déployer une autre en zone rurale prioritaire. C'est désormais une obligation réglementaire au respect de laquelle nous veillerons. Les expérimentations servent pour l'heure à mesurer les aménagements à accomplir pour nettoyer les bandes brouillées par les fréquences TNT.

M. Bruno Retailleau. - C'est le canal du bas qui est brouillé, or il n'est pas utilisé dans les grandes villes : dans ces zones, il n'y a pas de brouillage.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Les fréquences ouvertes pour la 4G sont sur la bande 800. Seul un opérateur, Free, est sur une autre bande. Nous devons faire tous les efforts afin que la bande 800 soit utilisable et que les trois autres opérateurs puissent y déployer la 4G.

Les opérateurs qui se sont manifestés sur les zones AMII doivent être sanctionnés financièrement lorsqu'ils ne respectent pas leurs engagements. Se pose la question de la nature juridique de ces engagements... C'est une question qui occupera la table ronde. Nous étions plutôt favorables à un observatoire national piloté par la future instance de pilotage national, afin que le rythme de déploiement des investissements soit contrôlé en toute transparence. Le plus concerné, en l'affaire, est l'opérateur historique, que l'État actionnaire peut rappeler fermement à l'ordre.

Nous avons été sollicités par la Commission européenne afin d'émettre un projet pour les project bonds et le MIE. Lors du Conseil compétitivité, nous avons souhaité que le MIE puisse être exploité en faveur des réseaux des collectivités, lesquelles doivent aussi se manifester auprès de la BEI. Les financements étant maigres, et partagés entre 27 pays, nous devrons nous mobiliser pour faire émerger les projets auprès de la BEI ou via l'instance de pilotage.

La taxe Copé, qui n'est pas euro-compatible, sera sans doute remise en cause d'ici la fin de l'année, ce qui obligera l'État à rembourser 1,5 milliard d'euros aux opérateurs. Voilà qui complique nos discussions avec eux, sur leur contribution aux investissements pour le très haut débit. Nous trouverons un moyen intelligent de faire coïncider les calendriers, afin qu'une taxe de substitution vienne relayer la taxe Copé pour abonder les financements destinés au déploiement des réseaux.

Les consultations que j'ai menées monsieur Teston, m'ont fait prendre la mesure des efforts accomplis par des régions ou des départements pilotes, parmi lesquels le projet Ardèche Drôme numérique figure en bonne place. Soyez sûr que dans le cadre de l'assistance à maîtrise d'ouvrage, l'Etat ne manquera pas de mettre en avant les projets les plus efficaces pour nourrir l'expérience des autres collectivités.

Pour les zones les moins denses, le schéma actuel, contestable, ne prévoit rien pour la péréquation. Il est pourtant essentiel que les fonds soient là pour les collectivités qui s'engagent dans cette démarche et que les opérateurs, mis à contribution, déploient en priorité le très haut débit dans les zones où le haut débit est de mauvaise qualité. Des usages aussi vitaux que la télémédecine ou le maintien des personnes âgées à domicile se développent vite : on ne peut se satisfaire de débits de 1 ou 2 méga. Nous travaillons donc sur les rythmes et le calendrier d'investissement, avec cet objectif intermédiaire, à l'horizon du quinquennat, que tout citoyen dispose d'un débit d'au moins 5 à 6 méga, pour une offre triple play ou quadruple play de qualité.

Je crois avoir répondu à l'ensemble des questions...

M. Yves Rome. - Pas à toutes les miennes.

M. Bruno Retailleau. - Ni à celle qui concerne les zones AMII : quid des subventions aux projets publics ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Vous craignez que lorsqu'un opérateur ayant manifesté son intérêt à investir ne le fait pas, la collectivité se trouve bloquée. Mais si le dispositif est plus contraignant, le problème ne se posera plus, les opérateurs seront tenus de respecter le calendrier.

M. Bruno Retailleau. - Mais à supposer que malgré l'existence du réseau d'un opérateur, une collectivité souhaite financer le sien propre pour déployer un projet public ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Je comprends mal l'intérêt. Nous sommes dans une optique de mutualisation.

M. Bruno Retailleau. - Certes. Mais la proposition de loi prévoyait un financement public.

M. Hervé Maurey. - Ce que nous contestons, c'est l'interprétation selon laquelle l'investissement en zone dense interdirait à la collectivité de recevoir des aides pour l'investissement en zone non dense. Voyez le cas des Hauts-de-Seine. Il est choquant que le cas n'ait pas été prévu au départ. Or il a été dit clairement en avril 2011 que les collectivités intervenant en zone AMII se privaient de toute subvention en zone non dense.

M. Michel Teston. - C'est le Gouvernement Fillon qui a interprété les choses ainsi.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Nous ouvrons notre table ronde vendredi et ma porte est ouverte à tous ceux qui souhaitent s'entretenir de ce sujet. Toutes les solutions ne sont pas encore définies : nous avons pris des orientations en matière de pilotage, de garanties de financement, d'obligations des opérateurs, de modèle économique, qui ne sont pas celles du précédent Gouvernement. Nous tiendrons la ligne, mais les modalités concrètes restent à définir en commun.

M. Daniel Raoul, président. - Nous en venons aux questions sur les PME et l'innovation.

J'ai rappelé ce qu'il ressortait du parallèle avec l'Allemagne : nos PME sont d'une taille très inférieure et se heurtent au problème du haut de bilan et de la capitalisation, trop fragiles. Il en va de même pour nos TPE, pourtant les pépinières de l'innovation.

Le rapport Berson s'interroge sur la manière d'optimiser le CIR à enveloppe constante, pour mieux soutenir l'innovation dans les PME et les jeunes entreprises innovantes - dont ce fut une erreur que de ramener le statut de huit à quatre ans. Comment optimiser, de même, les crédits du grand emprunt non encore affectés ? Les sommes prévues pour les SATT pourraient être reconsidérées. Le nombre d'organismes dédiés au transfert de technologie et au développement économique est extraordinaire...

Nous avons compris que la BPI comportera une déclinaison régionale. Comment son action se combinera-t-elle avec celle du FSI, qui intervient au capital, et des subventions d'Oseo ? Reste également à démêler, enfin, la question de la sous-traitance.

M. Roland Courteau. - Le soutien aux PME, madame la ministre, passe aussi par la lutte contre certaines pratiques déloyales dont elles sont les victimes. On voit se multiplier les entreprises de services en recrutement, dont le siège est établi sur le territoire d'un autre État membre et qui proposent des ouvriers polonais ou d'autres nationalités, en contrat de détachement, à un taux horaire qui oscille entre 14,5 et 17 euros, salaire, charges sociales, indemnités et congés payés compris, quand le taux horaire moyen est en France de 34 euros. Ces sociétés boîtes aux lettres contournent les règles du détachement et constituent de véritables filières qui bafouent notre droit du travail. Quelles solutions proposez-vous ? madame la ministre, pour en finir avec de telles pratiques, particulièrement destructrices pour le BTP ? Soutiendrez-vous le projet de directive présenté par la Commission européenne en mars, qui vise à prévenir la multiplication de telles sociétés qui détruisent nos emplois ?

Mme Évelyne Didier. - Nos PME à fort potentiel peinent à trouver des fonds. M. Beffa a même déclaré que la France avait fait de mauvais choix en soutenant davantage les entreprises de service et les commerces que l'industrie. Pour obtenir des fonds, les entreprises doivent être labellisées, à la suite d'une évaluation. Mais a-t-on évalué cette évaluation ? Quel type d'entreprises a été labellisé ? Dans quels domaines ? A-t-on mesuré l'efficacité des aides ? Nous avons besoin d'un audit.

Pour être aidées à l'export, les entreprises doivent développer des partenariats à l'étranger, ce qui complique le montage des dossiers. Quant aux subventions fléchées sur la France, on me dit qu'elles ne sont pas toutes consommées. Pourquoi ?

L'activité de garantie n'est-elle pas une aubaine pour les banques, qui prennent moins de risques et en profitent pour améliorer la qualité de leur bilan ?

Enfin, envisagez-vous de mener un audit des activités des fonds existants avant d'en créer de nouveaux ?

M. Daniel Raoul, président. - M. Migaud, que nous avons entendu hier, nous a indiqué qu'un rapport de la Cour sur le financement de l'économie était prêt : il fournira une partie des réponses.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - La Fédération française du bâtiment nous a alertés, en même temps que des députés, il y a trois jours, Monsieur Courteau, sur le problème que vous soulevez. Et la pratique ne touche plus seulement les zones transfrontalières, tant les difficultés pressent certains pays, comme l'Espagne. La Fédération peine à évaluer le phénomène. Il n'est pas facile de savoir combien de salariés sont concernés. A nous d'intensifier les contrôles dans le respect de la liberté d'établissement. J'ai pris l'attache de Michel Sapin à cette fin, notamment pour mobiliser l'inspection du travail. C'est un sujet très préoccupant.

M. Gérard Bailly. - Je souscris, madame la ministre, à votre credo sur les PME. Mais elles se heurtent aussi aux difficultés liées à l'immobilier. Si les collectivités pouvaient s'y impliquer davantage, mettre des locaux à disposition sous forme de crédit-bail, cela faciliterait beaucoup certaines installations.

Autre question. Comment le Fonds numérique financera-t-il les projets, sachant que la péréquation est capitale ? Je n'en oublie pas, pour autant, le désenclavement ferroviaire et routier des campagnes.

Les PME seraient souvent désireuses d'embaucher, mais craignent la conjoncture. Ne pourrait-on accroître la flexibilité de l'emploi à leur profit, sachant que leur carnet de commandes n'est pas rempli avec la même régularité que celui des grands groupes ?

M. Bruno Retailleau. - Ce serait une erreur que de vouloir faire un small business act à la française, que compliquent les règles de l'OMC et la doctrine concurrentielle de l'Europe. D'autant que l'on peut obtenir la même chose autrement. Les « tests PME » sont ainsi très utiles pour orienter l'action réglementaire...

Même chose pour la commande publique. Les grandes administrations lancent de vastes appels d'offres auxquels les PME n'ont pas accès, faute d'alotissement. N'est-ce pas là une atteinte aux principes de la concurrence ?

Sur la sous-traitance, j'ai commis un rapport qui proposait la création d'un médiateur - M. Jean-Claude Volot a été nommé. Le pacte PME, fait pour promouvoir les bonnes pratiques, me semble aussi un mode de soft régulation intéressant.

Après Bâle III et Solvency II, une séparation trop stricte entre banque d'investissement et banque de collecte poussera les entreprises à se financer auprès des marchés. Or, la profondeur de marché d'Euronext est dix fois inférieure à celle de l'AIM, Alternative investment market, de Londres. Songeons aussi aux coûts élevés du financement par le marché.

M. Daniel Raoul, président. - Dernier sujet, les brevets européens. Où en est le projet européen ? Il semble qu'il y ait des blocages, alors qu'il permettrait de diviser par neuf le coût des brevets.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Le financement des PME, madame Rossignol, au-delà du problème d'amorçage de cette entreprise de Compiègne que vous avez cité, mérite d'être pensé sur l'ensemble de la chaîne, jusqu'à l'introduction en bourse, difficile pour les entreprises qui souhaitent lever des fonds au-delà de dix millions. La BPI est conçue comme une structure composite. Elle aura une dimension bancaire, avec un financement par la dette et une activité de prêt, d'une part ; elle regroupera d'autre part les activités d'Oseo-innovation, de la CDC-entreprises et des aides à l'exportation de la Coface et d'Ubifrance, et ce en un guichet unique, décliné en régions, avec un segment bancaire, un autre pour les apports en fonds propres et un autre encore dédié à l'innovation et à l'aide à l'export. Outre l'activité bancaire, il y aura donc le conseil et l'accompagnement. La mission confiée à Bruno Parent, qui doit rendre son rapport fin juillet, devra aboutir à une mise en oeuvre avant la fin de l'année, conformément au voeu du Premier ministre. La BPI sera opérationnelle fin 2012 ou début 2013. Reste la réflexion sur la participation des régions au capital : nous attendons les conclusions de M. Parent, qui présentera les différentes options.

La mesure de l'efficacité de l'action publique en faveur des entreprises innovantes, madame Didier ? Lorsque nous avons entrepris de dresser une cartographie, nous avons trouvé des milliers d'aides. Eviter le saupoudrage ? Sans doute, et je souhaiterais concentrer les moyens sur les secteurs de croissance. Mais au-delà, il faut une vision de l'efficacité économique. Nous avons entrepris de recenser l'efficacité économique de ces aides. Les aides à l'exportation relèvent davantage du domaine de Nicole Bricq, mais nous travaillons main dans la main pour conduire la réflexion sur les synergies possibles entre les acteurs de « l'équipe de France de l'export ». Il existe certaines redondances, entre les chambres de commerce et d'industrie et le réseau Ubifrance, notamment.

Oui, monsieur Bailly, la logistique et les moyens matériels ne sont pas rien pour les jeunes entreprises. Il est bien des initiatives de pépinières qui mettent à disposition les locaux, l'informatique et même des ressources humaines. Nous voulons les encourager. Nous rêvons de faire du Grand Paris, puis des autres régions, des hubs mondiaux du numérique et de l'innovation, en créant de grandes pépinières d'entreprises qui offriraient de nombreux services et pourraient également être appuyées par une fiscalité spécifique.

Assouplir le droit du travail au profit de ces entreprises innovantes ? Il est vrai que dans le secteur numérique, la flexibilité est une revendication récurrente. La création d'un jeu vidéo exige le travail de 300 développeurs pendant six mois, créant un ventre d'emplois dont on sait qu'il doit désenfler à terme...

Nous sommes tous très attachés à notre modèle social mais aujourd'hui une réflexion sur la compétitivité est engagée : comment aider ces entreprises ? Le statut de la JEI est un bon exemple. Je me suis engagée et je me bats tous les jours pour que ce statut soit au moins maintenu et stabilisé, au mieux, amélioré.

M. Daniel Raoul, président. - On vous aidera !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - M. Retailleau a évoqué les relations entre les sous-traitants et les grands groupes. La première exigence est de faire respecter les délais de paiement : les difficultés de trésorerie des petites entreprises en seraient considérablement allégées. Il faut également continuer à travailler avec l'Association pour la création d'entreprise et Jean-Claude Volot, pour établir des classements sur la relation entre sous-traitants et grands groupes. Nous y travaillons dans le cadre du plan PME. La création d'un segment boursier pour les PME renforcerait l'attractivité de la place de Paris. Nyse Euronext étudie les moyens de simplifier la procédure de cotation - donc de réduire les coûts - pour les PME.

M. Daniel Raoul, président. - Il y a aussi dans la sous-traitance des pratiques à la limite de la fraude...

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Il faut briser la loi du silence qui entoure ces pratiques illégales. Nous réfléchissons, avec Pacte PME et M. Volot, à la possibilité de plaintes qui pourraient être déposées de façon anonyme, auprès d'une instance de médiation. Les entreprises s'autocensurent pour des raisons commerciales évidentes. Nous sommes néanmoins déterminés à multiplier les contrôles. Les délais de paiement pratiqués par une entreprise sont un indicateur fiable de son comportement général dans les affaires...

Au sujet du brevet européen, après un accord à 25 pays sur 27, les discussions ont finalement achoppé sur la localisation de la juridiction européenne qui sera chargée des litiges sur la propriété industrielle. En dépit des concessions qu'elle avait faites sur le dossier, la France n'a pas obtenu le siège de la juridiction. L'enjeu est considérable pour les PME, car les coûts de transaction liés au dépôt d'un brevet dans plusieurs pays sont très élevés. Le sujet est aujourd'hui dans les mains du Parlement européen. Le vote qui devait avoir lieu en juillet a été repoussé.

M. Daniel Raoul, président. - C'est un enjeu considérable. Vous pourriez prendre l'attache de votre collègue Geneviève Fioraso, car le sujet est au confluent de la recherche et du développement, de l'innovation, des biotechnologies, des nanotechnologies... Il y a des choses à faire, y compris dans le domaine des capteurs photovoltaïques à composants organiques, recyclables.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. - Nous travaillons beaucoup ensemble pour faire passer l'innovation dans l'entreprise, pour la monétiser. Il y a des initiatives en ce sens, notamment avec le CEA. Des plateformes régionales sont à disposition des PME pour que celles-ci aient accès aux brevets. Souvent, elles n'ont pas conscience qu'en faisant sauter un verrou technologique, elles peuvent gagner en compétitivité.

M. Daniel Raoul, président. - Une remarque, liée à mon passé universitaire : les universitaires sont évalués à partir de leurs publications dans des revues, jamais sur leurs efforts pour transférer l'innovation de leurs laboratoires vers le monde économique. Je me souviens de la première tentative, la loi sur l'innovation de Claude Allègre. Motivons les universitaires, pour qu'ils jouent le jeu.

M. Raymond Vall, président. - L'irrigation de ces pôles de compétitivité vers les PME est un vrai problème, surtout pour les entreprises situées loin des capitales régionales.

M. Daniel Raoul, président. - Madame la Ministre, je vous remercie.

Jeudi 26 juillet 2012

- Présidence de M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques du Sénat et de M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale -

Audition de M. Philippe Varin, président du directoire de PSA Peugeot Citroën

Lors d'une réunion conjointe avec la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, la commission auditionne M. Philippe Varin, président du directoire de PSA Peugeot Citroën.

M. François Brottes, coprésident. - Notre industrie automobile, qui est parmi les plus performantes du monde, est confrontée à la nécessité d'une réorientation stratégique à laquelle le Gouvernement apporte un soutien audacieux.

Merci, monsieur Varin, d'avoir répondu à l'invitation de nos deux commissions. La brutalité des annonces, pour notre pays et surtout pour les 8 000 salariés des sites concernés, suscite en effet des interrogations de notre part. Lors de vos deux précédentes auditions par notre commission, il avait été question de soutiens publics assez conséquents et de réorientations stratégiques destinées à affronter un marché européen de plus en plus difficile ; mais à aucun moment nous n'avions pu imaginer des annonces aussi brutales que celles que vous venez de faire il y a quelques jours.

Bien entendu, votre groupe n'est pas le seul concerné par les difficultés du marché ; cependant, notre attachement à l'industrie automobile nous a paru justifier de prendre le temps de l'analyse, sur les raisons de la situation actuelle comme sur les perspectives d'avenir. On m'a demandé si le plan du Gouvernement ne se limitait pas au court terme, ce qui aurait assurément été dommage, tant le secteur industriel dont nous parlons exige, compte tenu de ses cycles technologiques, des visions de long terme. Nous sommes donc très impatients de vous entendre sur ce sujet.

Je propose qu'après votre exposé liminaire, les porte-parole des groupes de nos deux assemblées disposent chacun de quatre minutes pour s'exprimer ; puis M. Raoul et moi donnerons la parole aux parlementaires qui souhaitent vous interroger, pour deux minutes chacun.

M. Daniel Raoul, coprésident. - Merci de votre invitation, M. le Président. Cette réunion conjointe, dont je me félicite, est une première sur un sujet aussi brûlant. Elle permettra aux élus de terrain d'écouter M. Varin et de manifester leur vigilance face à l'urgence sociale, économique et industrielle qui existe dans le secteur de l'automobile. Notre défi est de traiter cette urgence avec le recul nécessaire, afin d'orienter l'action publique vers des solutions plus efficaces sur le plan économique, social et humain.

Vous avez indiqué dans la presse, monsieur le président du directoire, que face à la situation actuelle, PSA Peugeot Citroën ne pouvait plus tergiverser. J'irai moi aussi droit au but. Tout d'abord, les élus apprécient le courage et le talent des entrepreneurs qui maintiennent une production industrielle dans notre pays. Cela dit, et toute polémique mise à part, la production de l'usine d'Aulnay a été divisée par trois entre 2004 et 2011, et le précédent Gouvernement tenait des propos plutôt rassurants ; de sorte que l'on peut effectivement se demander s'il n'y a pas eu trop de tergiversations. Outre-Atlantique, les économistes ont d'ailleurs mené, depuis longtemps, des études sur les relations entre cycle économique et cycle électoral.

Pouvez-vous également nous éclairer sur les mécanismes de gouvernance d'un groupe d'intérêt national ayant conservé un puissant actionnariat familial ? Cette caractéristique explique-t-elle, selon vous, que PSA Peugeot Citroën ait, plus que d'autres constructeurs, maintenu une part importante de sa production sur le territoire national ? Dans ce contexte, votre stratégie de montée en gamme et d'internalisation est-elle contrainte ou volontaire ?

Par ailleurs, la faible valorisation d'un certain nombre d'entreprises et de groupes industriels nous conduit à nous interroger sur la cartographie des OPA possibles. Le plan de soutien du Gouvernement à la filière automobile vous paraît-il de nature à contrecarrer ces risques ? Quelle doit être enfin à vos yeux la contribution des collectivités territoriales, qui sont très impliquées dans le développement économique local, à ce plan de soutien ? Quelles sont les contreparties sur lesquelles votre groupe est prêt à s'engager ?

Je conclurai mon introduction en disant que la civilisation de la voiture arrive à un point capital de son évolution : elle devient plus citoyenne et plus environnementale. Mais on ne peut s'empêcher d'être nostalgique du passé : la remise au goût du jour de certains pots de yaourt des années soixante et soixante-dix connaît un grand succès. N'est-on pas, dans cet ordre d'idée, à la veille de concevoir une 2CV électrique et écologique ?

M. François Brottes, coprésident. - Avant de vous donner la parole, monsieur Varin, je rappelle que la commission des affaires économiques de l'Assemblée recevra, à la rentrée, les représentants des salariés et les experts missionnés sur ces questions.

M. Philippe Varin, président du directoire de PSA Peugeot Citroën. - Messieurs les présidents, mesdames et messieurs les parlementaires, afin d'essayer d'apporter des réponses aux nombreuses interrogations soulevées par l'annonce faite jeudi 12 juillet par notre groupe d'un projet de réorganisation de sa base industrielle en France et de redéploiement de ses effectifs, je me propose de développer successivement trois grands thèmes.

En tout premier lieu, je souhaite vous parler des salariés concernés par le plan et vous dire ce que le groupe entend faire pour réduire, autant que possible, les impacts sociaux et humains des mesures annoncées.

En deuxième lieu, je veux vous apporter des explications sur les raisons d'ordre économique qui ont conduit le groupe à envisager de telles mesures, puis à devoir les adopter.

Enfin, je vous donnerai un aperçu des grands axes qui forment la stratégie du groupe pour les moyen et long termes.

Bien évidemment, je m'attacherai ensuite à répondre aussi précisément que possible aux questions que vous souhaiterez me poser.

Le projet de réorganisation que nous avons rendu public le 12 juillet recouvre tout d'abord l'arrêt de la production de la C3 à Aulnay et le transfert de cette production sur le site de Poissy. Le nombre de salariés concernés est de 3 000, dont la moitié se verra proposer un emploi dans le groupe, principalement à Poissy, tandis que l'autre moitié pourra bénéficier de la réindustrialisation du site et du bassin d'emploi d'Aulnay, à laquelle nous nous sommes engagés.

La deuxième orientation est l'adaptation du dispositif industriel de notre site de Rennes, en ligne avec la baisse prévisible des volumes de ventes des grandes berlines qui y sont assemblées, et ce avant que des investissements soient consacrés à un nouveau modèle en 2016. Le nombre de salariés concernés s'élève à 1 400, sur un total de 5 600.

Enfin, le redéploiement des effectifs de structure du groupe est lié à la nécessité absolue de poursuivre, sur la base d'un plan de départs volontaires, la réduction des coûts et d'adapter l'activité aux volumes de ventes. Le nombre d'emplois concernés est de 3 600, répartis sur l'ensemble des sites en France.

Soyez assurés que je mesure pleinement le choc qu'a représenté ce plan pour les salariés du groupe, pour ceux du site d'Aulnay, du site de Rennes et des autres sites touchés.

Soyez également assurés que je mesure pleinement la somme d'inquiétudes que le plan suscite dans les territoires concernés, chez leurs élus et leur population et, d'une manière générale, au sein de la population française. Par la voix des plus hautes autorités de l'État, les pouvoirs publics attendent de la part de PSA Peugeot Citroën qu'il conduise un dialogue social exemplaire. Ce sera le cas. Ainsi que je l'ai dit lundi à M. le Premier ministre, le dialogue avec nos partenaires sociaux fera l'objet d'un engagement total de la part du groupe, tant sur les modalités d'accompagnement individuel que sur les voies et moyens nécessaires à l'accomplissement de cette mutation industrielle à l'échelle des sites. Cette consultation fera l'objet d'une démarche ouverte quant à la prise en compte des attentes et des préoccupations des partenaires sociaux, ainsi que d'un examen attentif de toutes les voies permettant à chacun de trouver une solution adaptée à son problème d'emploi.

Pour ce qui concerne le site d'Aulnay, le groupe s'engage à mettre en place un dispositif permettant d'identifier 1 500 postes susceptibles d'être offerts en son sein, principalement à Poissy. Il entend également tout mettre en oeuvre afin de proposer une solution de reclassement externe aux autres personnes concernées, en particulier dans le bassin d'emploi d'Aulnay et de la Seine-Saint-Denis.

Quant au site de Rennes, le groupe mobilisera, en lien avec les collectivités publiques, les moyens d'accompagnement nécessaires afin de trouver une solution de reclassement pour chacun des salariés concernés, en interne ou dans le bassin d'emploi. Il s'engagera par ailleurs dans une démarche de réindustrialisation du bassin d'emploi de Rennes.

Enfin, pour les effectifs de structure, un plan de départs volontaires sera proposé aux salariés, dans le droit fil des plans de redéploiement des emplois et des compétences mis en oeuvre par le passé. Je tiens à souligner que le groupe se montrera extrêmement attentif aux territoires touchés par les mesures que je viens d'évoquer.

À M. Daniel Goldberg, député de la circonscription d'Aulnay-sous-Bois, et à tous ses collègues députés et sénateurs élus de la Seine-Saint-Denis ainsi que du département voisin du Val-d'Oise, j'indique que nous ne fermons pas le site d'Aulnay, mais que nous sommes déterminés à chercher, au moyen des outils appropriés, toutes les solutions permettant de redynamiser ce bassin économique. À cette fin, nous avons créé une cellule spécialisée qui s'est mise au travail, et dont la mission est de chercher activement tous les projets créateurs d'emplois susceptibles de s'implanter sur le site et de renforcer le tissu économique du bassin et du département.

En parallèle, nous allons proposer la création d'une mission de reconquête industrielle, qui, le moment venu, travaillera en étroite concertation avec les élus nationaux et locaux, ainsi qu'avec les partenaires de l'État. L'objectif est de favoriser toutes les initiatives permettant d'aboutir à la localisation d'emplois pérennes.

Nous souhaitons donner à la revitalisation du site d'Aulnay une vocation industrielle, avec le souci de proposer des emplois qui valorisent les compétences des salariés. Les activités que nous espérons implanter sur ce site ou dans le bassin d'emploi relèvent notamment du secteur des transports, des services à l'industrie et des éco-industries. Notre ambition est que, à terme, le site et le bassin retrouvent leur pleine vocation économique et industrielle.

S'agissant des sous-traitants qui relèvent d'Aulnay, les flux d'approvisionnement en biens et services destinés à l'assemblage de la C3 seront reportés vers Poissy. Il n'en reste pas moins que des fournisseurs locaux peuvent être touchés : dans le cadre de notre action de revitalisation du bassin, nous nous efforcerons de limiter cet impact.

À M. Jean-René Marsac, Mme Isabelle Le Callennec et M. Edmond Hervé et tous leurs collègues parlementaires d'Ille-et-Vilaine, je veux dire maintenant quelques mots sur notre site de Rennes-La Janais. Il y a quelque temps, je me suis entretenu avec les responsables d'exécutifs territoriaux de Bretagne et d'Ille-et-Vilaine, et je leur ai fait part de mon intention de rechercher, là encore en liaison avec les autorités et instances compétentes, les moyens de contribuer à la revitalisation du bassin d'emploi.

À ma demande, M. Denis Martin, directeur industriel du groupe, s'est rendu sur place afin d'organiser une réunion de travail avec le préfet de la région Bretagne, le président du Conseil régional, M. Pierrick Massiot, le président du Conseil général d'Ille-et-Vilaine, M. Jean-Louis Tourenne, et le maire de Rennes et président de Rennes-Métropole, M. Daniel Delaveau. Je veillerai à ce que les parlementaires concernés soient associés aux réflexions que nous avons d'ores et déjà engagées pour préparer l'avenir du site. Il est encore trop tôt pour évoquer le projet d'affectation d'un nouveau véhicule sur ce site, mais je confirme mon engagement d'y produire un véhicule qui lui assurera l'avenir industriel qu'il mérite.

J'en viens maintenant aux raisons pour lesquelles le groupe a été conduit à annoncer un tel projet.

Au plus haut niveau de l'État, les pouvoirs publics ont fait savoir, ces jours derniers, qu'ils souhaitaient la transparence totale quant aux raisons du déclenchement du plan, c'est-à-dire, au fond, quant à la situation économique réelle du groupe. Ce souhait est légitime ; aussi est-ce dans un souci de transparence totale que nous avons ouvert nos dossiers et communiqué nos paramètres de gestion à M. Emmanuel Sartorius, ingénieur général des mines, que l'État a désigné pour établir un diagnostic sur le groupe et évaluer sa stratégie. Je précise d'ailleurs, s'il en était besoin, que ce dernier est une société cotée en bourse et, par conséquent, placée sous l'oeil vigilant des autorités de tutelle des marchés autant que sous celui, non moins vigilant, des analystes et des agences de notation. Il n'a donc rien à cacher sur la situation qui est aujourd'hui la sienne, et il n'a dissimulé aucune donnée ni aucune information relative à sa situation réelle.

La crise qu'affronte PSA Peugeot Citroën est sans doute l'une des plus violentes qui ait été vécue par cette entreprise au cours de toute son histoire. Cette crise est tout d'abord une crise structurelle du marché automobile européen. En 2007, il s'est vendu sur l'ensemble des marchés de l'Europe à trente un volume de 18,4 millions de véhicules. Ce chiffre est tombé à 15,4 millions de véhicules en 2011 et se situera probablement à peine au-dessus de 14 millions en 2012. Entre 2007 et le premier semestre de 2012, le marché automobile européen a donc chuté de près d'un quart en volume.

La crise est structurelle car ce marché, intrinsèquement saturé, est un marché de renouvellement sur lequel l'offre automobile est devenue pléthorique, en particulier dans le segment des petites voitures - dit « segment B » dans notre jargon -, qui est le plus disputé. De surcroît l'offre des pays asiatiques, qui a fortement augmenté depuis une dizaine d'années, a encore progressé : le dernier accord de libre-échange que l'Union européenne a signé avec la Corée du Sud n'y est sans doute pas étranger. En 2011, il s'est vendu sur le marché européen 438 767 véhicules d'origine coréenne alors que, dans le même temps, l'Europe n'a exporté en Corée que 78 762 véhicules.

Je veux également appeler votre attention sur le fait que la crise du marché automobile européen est aussi celle de l'Europe, qui représente près de 60 % de nos ventes. Je rappelle que nous vendons 59 % de nos véhicules européens en France. Le marché espagnol, dont PSA Peugeot Citroën possède presque 20 %, a ainsi perdu 60 % de sa valeur en cinq ans : pour dix voitures vendues dans ce pays en 2007, nous n'en vendons plus que quatre. Quant au marché italien, qui représente près de 10 % de nos parts de marché, nous n'y vendons plus que six voitures contre dix en 2007, soit une chute de 40 %.

Pour me résumer, le groupe est touché à la fois parce qu'il est très européen dans la structure de ses ventes mondiales, et très présent dans des pays où la crise de la dette souveraine et la crise financière ont plombé la croissance et la consommation, en particulier depuis l'été dernier ; il produit 44 % de ses voitures et 85 % de ses moteurs en France, où travaillent également un peu plus de 100 000 collaborateurs, soit la moitié de ses effectifs. La question du coût du travail est donc essentielle pour lui. Sur ce point, je suis convaincu que le débat est devant nous, et je me réjouis vivement que le Président de la République ait confié une mission sur ce sujet à M. Louis Gallois : je ne doute pas que celui-ci contribuera à éclairer notre jugement sur ce qui est, à mon sens, l'une des questions les plus graves et les plus urgentes pour notre pays.

La première conséquence de l'effondrement sans précédent du marché continental est de générer une surcapacité structurelle, laquelle, estimée à 25 % du marché, touche la plupart des constructeurs européens dits généralistes.

La deuxième conséquence est l'intensité d'une guerre des prix devenue meurtrière pour les marges et la création de valeur.

Cette situation est caractérisée par une forte vulnérabilité du groupe à la crise qui frappe l'Europe, crise qui s'est très brutalement aggravée depuis le second semestre de l'an dernier. Elle se traduit par une situation de sous-activité chronique de nos usines françaises, en particulier dans le segment des petites voitures, les volumes de charge étant devenus insuffisants pour assurer un fonctionnement rentable.

Conjugué à une baisse accélérée des volumes de ventes sur le marché européen, cet état de surcapacité chronique génère une très grave fragilité économique de la division automobile du groupe, laquelle avait enregistré un résultat positif au premier semestre de 2011 avant d'accuser un résultat négatif d'un peu moins de 500 millions d'euros au second semestre, sous l'effet du retournement brutal de l'été 2011. Les résultats du premier semestre de 2012, que j'ai rendus publics hier, parlent d'eux-mêmes : 662 millions d'euros de pertes opérationnelles pour la division automobile et 819 millions de pertes en résultat net pour le groupe.

La situation du groupe justifie-t-elle un tel volume de mesures d'effectifs ? Oui, assurément : depuis le mois de juin 2011, le groupe enregistre mois après mois une consommation de trésorerie qui avoisine 200 millions d'euros par mois. Il est clair que ces résultats traduisent, non pas un fléchissement momentané et cyclique de l'activité, mais bel et bien un engrenage structurel de dégradation de valeur.

Ce sont les chances d'avenir du groupe qui sont en jeu, en d'autres termes sa capacité à financer ses futures activités, qu'il s'agisse de la recherche - laquelle conditionne les futures mises en chantier des voitures innovantes - ou du développement international, dont dépendra notre développement au rythme prévu sur les marchés en croissance, notamment en Asie.

Contrairement à ce que l'on a pu entendre ici ou là, le groupe n'est pas en situation de danger financier immédiat ; mais s'il laisse perdurer une telle hémorragie de trésorerie, il prend le risque mortel de se trouver piégé dans une irrépressible spirale de déclin.

Telles sont les raisons impérieuses, mesdames et messieurs les parlementaires, pour lesquelles PSA Peugeot Citroën a pris la décision de présenter ce projet de réorganisation industrielle et de redéploiement des effectifs. Ne pas agir pendant qu'il est temps, ne pas prendre le taureau par les cornes dès qu'il le faut aurait été la pire des solutions.

Pourquoi avoir annoncé ces mesures maintenant et non il y a quelques mois ? Je veux qu'il soit clair, tout d'abord, que le document interne rendu public à la suite d'une fuite au cours de l'été 2011 indiquait que trois sites étaient menacés : Aulnay - pour lequel le scénario d'un arrêt de la production de la C3 était en effet envisagé -, Rennes et Sevelnord à Hordain. Nous avons, à de très nombreuses reprises, fait part à tous les décideurs publics concernés de notre très vive préoccupation quant à l'existence de surcapacités structurelles, qui au demeurant, je le répète, affectent l'industrie automobile européenne dans son ensemble.

Nous avons longtemps espéré pouvoir éviter une mesure d'ordre structurel sur un site, en particulier celui d'Aulnay, mais, depuis le début de l'année 2012, le marché européen a continué de se dégrader, avec une chute très violente de nos ventes en Europe du sud qui s'apparente à un véritable « tsunami commercial ».

La contraction de 18 % de notre production qui en est résultée nous conduit, mesdames et messieurs les parlementaires, à vous poser la question : quelle est la responsabilité d'un dirigeant d'entreprise face à une telle situation ? Est-ce de laisser perdurer un dispositif de production intrinsèquement surcapacitaire, ou d'avoir le courage de prendre à temps les mesures qu'appelle un examen sérieux de la situation ?

Je sais que certains se sont demandé pourquoi nous n'avions pas annoncé nos décisions avant l'échéance électorale du 6 mai dernier. Je réponds simplement qu'une entreprise de la taille de PSA Peugeot Citroën ne peut sérieusement envisager de devenir l'enjeu dominant d'une campagne présidentielle. Il était donc normal que le groupe laisse passer cette échéance.

Soyez néanmoins assurés que ce projet de réorganisation industrielle et de redéploiement des effectifs a été adopté au terme d'intenses réflexions et d'un examen extrêmement approfondi de tous les scénarios possibles : il nous est apparu que, pour le groupe et ses salariés comme pour ses sous-traitants, le scénario le moins lourd sur le plan social et industriel consistait à transférer la production de la C3 d'Aulnay vers Poissy, afin que celle-ci vienne en complément de la DS3 et de la 208 déjà construites sur ce site.

En effet, une réorganisation à l'échelle de la région parisienne, sachant que 45 kilomètres seulement séparent les deux sites, est moins difficile à conduire que la réorganisation d'autres sites en France, car elle a moins d'implications en termes de mobilité professionnelle et géographique.

Nous avons partagé et partagerons, bien sûr, tous ces scénarios et réflexions avec nos partenaires sociaux, dans le cadre du dialogue en cours avec les institutions représentatives du personnel.

J'ajoute enfin un mot sur la filière automobile : PSA Peugeot Citroën a adopté au cours de ces dernières années une approche nouvelle de ses relations avec les équipementiers et les sous-traitants, fondée sur la stabilité, la coopération et le partage de valeur. Nous y sommes très attentifs.

Le groupe s'est par ailleurs pleinement mobilisé pour contribuer à une meilleure structuration de la filière automobile en France. La Plateforme de la filière automobile (PFA) a vu le jour et sa présidence a été confiée à M. Michel Rollier, ancien gérant de Michelin. Elle aura pour mission de travailler en liaison très étroite avec les pouvoirs publics au niveau national et dans les régions, dans le but d'améliorer la compétitivité globale de la filière automobile française. Elle abordera des thèmes aussi essentiels que l'innovation, le financement des PME-PMI, la structuration de la filière autour d'acteurs plus importants, la formation et la montée en compétence des personnels, la représentation du secteur et, également, les moyens de donner aux jeunes le goût de l'industrie et de ses nombreux métiers.

Cette nouvelle structure professionnelle est essentielle pour l'avenir de notre filière. Je puis vous assurer que je continuerai de m'y impliquer personnellement, tant les enjeux sont importants.

Je salue, en outre, le plan de soutien à la filière automobile présenté hier par le Gouvernement. Ce plan apportera un soutien actif à l'ensemble de la filière et sera précieux dans la situation actuellement très dégradée du marché automobile.

Je souhaite, avant de conclure, dire quelques mots sur les grands axes de la stratégie de notre groupe.

Nous avons entrepris, premièrement, un effort d'internationalisation pour nous rapprocher des marchés en croissance : Chine, Amérique latine, Russie. Cette démarche suit son cours, quoique l'on puisse en dire. Nous vendons aujourd'hui 42 % de notre production hors d'Europe, contre 37 % en 2010, ce qui constitue un progrès. Notre objectif est de porter ce chiffre à 50 % en 2015 et même aux 2/3 à l'horizon 2020.

Nous disposons, en Chine, d'une deuxième co-entreprise, avec un partenaire chinois qui nous aide à lancer la ligne DS de Citroën. Nous avons pris pied de manière solide en Russie et sommes ancrés depuis longtemps en Amérique latine.

Cet effort de proximité avec les marchés en croissance - je le souligne - n'a rien à voir avec de la délocalisation : si nous voulons progresser sur des marchés en croissance, nous devons construire sur place, pour les besoins locaux. Cela fournit d'ailleurs du travail à nos équipes de recherche et développement localisées en France.

Nous avons, deuxièmement, la ferme volonté de faire monter en gamme nos marques Peugeot et Citroën.

Cela implique tout d'abord de continuer sur notre lancée de constructeur innovant dans les domaines des technologies moteurs et des véhicules écologiques.

Avec 1 237 brevets déposés en 2011, notre groupe a été, pour la cinquième année consécutive, le premier déposant de brevets en France. Nous avons déposé plus de 300 brevets pour le seul véhicule hybride diesel.

Je rappelle également notre présence dans le domaine du moteur thermique classique, diesel ou essence, à faible émission de dioxyde de carbone, car il fait travailler à plein régime nos usines d'organes mécaniques de Lorraine ou du Nord-Pas-de-Calais.

La montée en gamme n'est pas seulement une question de technologies : elle implique également d'augmenter la valeur ajoutée de nos produits, leur niveau de prestation et de performance et, bien sûr, leur rentabilité. Elle ne se fera pas en un jour, mais nous progressons : la part de véhicules premium dans l'ensemble de nos ventes s'élève. Des produits tels que les véhicules de la gamme DS, symbole du haut de gamme à la française, la Peugeot 508 ou la toute nouvelle Peugeot 208 sont là pour témoigner que le groupe en a encore sous le pied, si je puis m'exprimer ainsi, et de sa capacité à « parler » au consommateur. Je vous invite d'ailleurs à venir constater, lors du Mondial de l'automobile à Paris en septembre prochain, que notre groupe ne manque ni de produits ni d'idées.

Il est toujours possible de pointer du doigt des fautes, des retards, des erreurs de manoeuvre. Nous acceptons toutes les critiques, d'où qu'elles viennent. Cependant, je ne m'attendais pas à nous voir reprocher, dans un grand quotidien du soir il y a quelques jours et dans diverses analyses sûrement très autorisées, d'avoir, en somme, fait preuve d'un « patriotisme économique mal conçu » ! De bons esprits appartenant à toutes les couleurs de l'arc-en-ciel viennent maintenant nous reprocher d'être finalement « trop européens », c'est-à-dire en réalité « trop français ».

Au milieu de difficultés grandissantes, contre vents et marées, nous avons maintenu sur le territoire national 100 000 emplois, 16 usines, 85 % de notre appareil de recherche, en un mot, tout ce qui fait notre empreinte industrielle en France. Aurions-nous dû nous orienter vers le low cost ? Cela aurait impliqué, dès lors, de nous implanter, comme d'autres l'ont fait, dans des pays à bas coûts salariaux des confins de l'Europe et du pourtour de la Méditerranée. Cependant, dans la mesure où un dispositif industriel n'est pas extensible, cela aurait également impliqué de fermer des usines en France.

J'en viens maintenant à la question de l'alliance stratégique que nous avons conclue avec General Motors. Nous n'avons jamais été opposé - je le souligne - à une alliance, mais il fallait que celle-ci fasse sens. Cela signifiait, dans notre esprit, qu'elle devait déboucher sur de vraies complémentarités et qu'elle ne devait pas mettre en danger l'indépendance du groupe.

Cette alliance est une nouvelle page blanche, que nous voulons écrire avec nos partenaires de General Motors. Elle devrait nous permettre de poursuivre notre marche en avant grâce à des synergies prometteuses. Il vaut mieux amortir des coûts sur douze millions de véhicules que sur trois millions et demi. Cette alliance devrait également nous permettre de constituer une force d'achat de 125 milliards de dollars, c'est-à-dire la première au monde.

Je saisis cette occasion pour apporter une précision à M. le sénateur Martial Bourquin, dont je salue toute la compétence et la passion qu'il met au service de la cause de l'industrie : les achats du groupe - quelque 20 milliards d'euros par an en France - continueront de se faire sur une base française et européenne. Telle est, en effet, la logique d'un système industriel qui a besoin de proximité et de stabilité dans sa relation avec ses partenaires.

En tous les cas, cette alliance représente une opportunité, porteuse de retombées pour le groupe : des flux de charges au profit de nos usines en France ; une projection encore plus ambitieuse de l'ensemble du groupe sur les marchés mondiaux.

En guise de conclusion, je souhaiterais vous faire partager, mesdames et messieurs les parlementaires, quelques convictions fortes.

Le groupe PSA Peugeot Citroën traverse actuellement l'une des pires tempêtes de son histoire, qui est avant tout la conséquence des turbulences qui chahutent actuellement une partie de l'Europe.

Le groupe a profondément renouvelé ses politiques et ses pratiques sociales depuis quinze ans. Nous avons multiplié les accords avec nos partenaires, renforcé notre dispositif d'accueil des jeunes et sommes désormais reconnus pour nos avancées en matière de conditions de travail et de sécurité au travail.

La décision, que nous avons prise et annoncée, de reconfigurer le dispositif du groupe en France est très douloureuse et restera comme telle à l'échelle de l'histoire industrielle de l'entreprise.

Pour autant, les convictions que je voudrais vous faire partager demeurent placées sous le signe de la confiance.

Nous avons confiance, tout d'abord, dans la voie que nous avons empruntée pour que le groupe retrouve bientôt son équilibre, condition indispensable au déploiement de sa stratégie, avec l'aide que lui apportera, le moment venu, son alliance stratégique avec General Motors.

Nous avons confiance dans la capacité de mobilisation des hommes et des femmes de l'entreprise au service d'une stratégie cohérente, celle qui consiste à conquérir les marchés en croissance et à faire toujours plus monter en gamme nos produits, avec davantage d'innovation et de prestations.

Nous avons confiance, enfin, dans la capacité des pouvoirs publics français à comprendre les exigences et les réalités qui nous environnent, et à nous accompagner dans notre mobilisation pour le redressement.

Je souhaite avant tout vous faire partager notre foi en l'industrie, cette richesse de la France et des Français. Cette foi exige cependant une analyse très lucide de nos faiblesses et de nos fragilités. Elle commande de prendre, sans perdre de temps, des décisions courageuses, si nous voulons développer nos points forts.

Le groupe PSA Peugeot Citroën affronte aujourd'hui une crise majeure, dangereuse pour son avenir s'il ne prend pas très vite les mesures nécessaires.

Il continue cependant de porter en lui, à travers ses ressources humaines et sa culture, vieille de deux siècles, un formidable potentiel de réussite pour la France et pour ses territoires. Il est déterminé à retrouver bientôt la voie du succès.

M. le président François Brottes, coprésident. - Je vous remercie, monsieur le président.

Je vous informe que la conférence des présidents de l'Assemblée nationale vient de mettre en place, sur proposition de la commission des affaires économiques, une mission d'analyse et d'étude de l'ensemble des coûts de production industrielle en France, qui ne s'intéressera donc pas seulement à la question du coût du travail. Nous aurons à coeur d'échanger sur ces questions avec les représentants de l'ensemble des filières industrielles.

Je donne tout d'abord la parole aux représentants des groupes politiques au sein des commissions des affaires économiques de l'Assemblée nationale et du Sénat.

M. Daniel Goldberg, député. - Monsieur Varin, vous avez commencé, et j'en suis heureux, par évoquer les salariés touchés par le plan que vous avez annoncé. Derrière les chiffres se trouvent en effet des hommes et des femmes, aujourd'hui en situation de détresse, dans leur vie quotidienne comme pour ce qui concerne leurs perspectives d'avenir. Si personne n'a le monopole du coeur, personne n'a, non plus, le monopole de la raison.

Je ne peux pas me résoudre à l'idée que des vies doivent constituer les variables d'ajustement d'une économie dérégulée. De la même manière, nous ne pouvons pas nous résoudre, en France, à voir disparaître notre appareil productif et les compétences qui lui sont attachées. Ce n'est pas, bien sûr, ce que vous avez proposé, monsieur Varin. C'est néanmoins le constat que je voulais faire, en ma qualité de parlementaire.

Vous avez parlé, à la fin de votre propos, de confiance. Or, la confiance n'existe plus aujourd'hui à un degré suffisant : elle a été altérée avec les élus locaux et les parlementaires. Nous avons en effet connu des mois de tables rondes, en particulier avec le précédent ministre de l'industrie. Le précédent Président de la République lui-même m'avait indiqué, au mois de novembre dernier, que le site d'Aulnay ne fermerait pas, qu'il avait obtenu des engagements, qu'il n'y aurait pas de plan social à PSA.

Or la situation est, six mois plus tard, bien différente. S'il a pu être question, à un moment donné, de « privatisation des bénéfices de l'entreprise », nous pouvons aujourd'hui parler de « collectivisation des pertes ».

Un expert a été nommé par le Gouvernement. Vous avez indiqué, monsieur Varin, que vous lui laisseriez pleinement jouer son rôle. En outre, les représentants des salariés au comité central d'entreprise (CCE) de PSA ont voté à l'unanimité, hier, la désignation d'un expert, afin que la vision de la situation soit la plus partagée possible.

Vous avez pris l'engagement - je reprends votre formule : « zéro Pôle emploi » - qu'aucun salarié (qu'il s'agisse des sites d'Aulnay, de Rennes ou des 3 600 salariés d'autres sites) ne serait concerné par un licenciement direct. Nous avons besoin d'assurances très claires sur ce point, y compris pour les 1 500 salariés d'Aulnay dont l'avenir serait envisagé dans le cadre d'une réindustrialisation du site.

À cet égard, la situation du site d'Aulnay est, vous le savez, particulière : seul un tiers du site est actuellement utilisé par votre entreprise. Avant de parler de réindustrialisation, il convient donc d'engager l'industrialisation des terrains non utilisés. Quoi qu'il en soit, je ne me résous pas à la fin des activités de PSA sur ce site.

D'autres décisions de votre groupe suscitent des interrogations, en particulier dans le domaine de la recherche et développement. Vous avez annoncé des suppressions d'emplois sur les sites liés de Vélizy et de la Garenne-Colombes, qui s'ajoutent à celles que vous aviez annoncée, également dans le secteur de la recherche et développement, à la fin de l'année dernière. Cela ne va-t-il pas handicaper certaines adaptations de votre modèle de production ?

Vous êtes également revenu sur la question du coût du travail. Selon certains instituts spécialisés, le coût de la main-d'oeuvre dans la production d'une automobile, dans votre groupe et plus généralement, représente environ 9 % des coûts de productions totaux. Pouvez-vous confirmer ce chiffre ? En outre, le différentiel entre la France et l'Allemagne en matière de coût du travail ne serait pas significatif.

M Gérard Ségura, maire d'Aulnay-sous-Bois, et moi-même souhaitons que vous nous fassiez désormais part, monsieur le président, de l'ensemble des décisions que vous pourrez prendre concernant tant l'avenir des salariés que le devenir du site.

M. Daniel Fasquelle, député. - Je salue, en PSA Peugeot Citroën, un grand groupe familial français, qui a toujours adopté un comportement exemplaire et qui s'est attaché à maintenir une grande partie de ses activités et de ses emplois sur le territoire national.

Nous avons été particulièrement choqués par certains des propos tenus par les plus hauts responsables de l'État : ils sont allés jusqu'à parler de « mensonges ». Y a-t-il donc eu mensonge, plan caché, manoeuvre de la part du groupe PSA ? Je souhaiterais que ce malentendu soit définitivement dissipé.

Concernant le plan Rebond 2015, je relève votre volonté d'en limiter au maximum les impacts sociaux et humains. Vous avez parlé de la situation dans les Hauts-de-Seine et en Ille-et-Villaine. Pouvez-vous nous rassurer - en particulier l'élu du Pas-de-Calais que je suis - sur l'avenir du site de Sevelnord ?

Vous allez réduire légèrement la voilure en matière d'investissements et de recherche et développement. S'agissant du moteur diesel, certaines enquêtes laissent croire qu'il serait polluant et nocif pour la santé de nos concitoyens. Quelle est votre réponse sur ce point ? N'est-il pas dangereux de réduire les efforts d'innovation et de recherche et développement alors que ce moteur doit être encore perfectionné ?

Pour ce qui est du plan de soutien à la filière automobile, la montagne Montebourg a accouché d'une souris ! Ce plan nous apparaît en décalage par rapport à l'urgence de la situation et aux difficultés que nous connaissons. Il ne concerne qu'une toute petite partie du marché et ne produira ses effets qu'à l'horizon 2020. Qu'attendez-vous de ce plan ? Permettra-t-il de remédier aux problèmes structurels du marché automobile que vous avez rappelés ? Ne faudrait-il pas plutôt prendre des mesures urgentes et courageuses sur un autre terrain, celui de la compétitivité des entreprises ?

Nous avions formulé des propositions à cet égard : les accords compétitivité-emploi, la TVA anti-délocalisations. Hélas, la nouvelle majorité s'acharne à démonter tous les outils que nous avions mis en place pour améliorer la compétitivité des entreprises. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Je reviens, pour finir, sur le fait que PSA est un grand groupe français. Les attaques de la part du Gouvernement, ainsi que ce plan de soutien hors sujet, ne contribuent-il pas à fragiliser l'industrie automobile française et le groupe PSA en particulier ? Les agences de notation ont dégradé la note du groupe. Cela montre bien que les réponses du Gouvernement sont inadaptées. On peut même se demander si elles n'ont pas aggravé la situation. Un groupe étranger pourrait-il demain s'emparer d'un groupe français qui, pourtant, s'est toujours attaché à maintenir les emplois sur le territoire national ? Cette crainte est-elle justifiée ?

Mme Michèle Bonneton, députée. - Compte tenu du coup très rude que constitue cette décision pour les hommes et les femmes, nous souhaitons mieux comprendre d'où viennent de telles difficultés, alors que votre entreprise, monsieur Varin, n'a procédé à aucun licenciement ou presque au cours des vingt dernières années.

Le coût du travail n'entrant - je parle sous votre contrôle - que pour 8 à 15 % dans le coût de production d'une voiture, il convient de chercher d'autres explications.

Les anticipations de votre groupe ont-elles été suffisantes après la crise de 2007-2008 ? N'aurait-il pas été possible, en particulier, de prévoir la chute des ventes en Europe du Sud, où la crise sévit depuis plusieurs années ? Toutes les anticipations ont-elles été faites, en outre, dans le cadre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui constitue une obligation légale depuis 2005 ?

Par ailleurs, la prime à la casse, qui a tout de même coûté environ 2 milliards d'euros à l'État, n'a-t-elle pas eu un effet anesthésiant, en masquant les difficultés ? Le marché automobile en France est - vous l'avez d'ailleurs rappelé - saturé. Cette prime n'a-t-elle pas tout simplement conduit les consommateurs à anticiper leurs comportements d'achat ? Peut-être même a-t-elle constitué un frein dans la conquête de nouveaux marchés avec d'autres modèles : petites voitures à bas coût ou, au contraire, véhicules haut de gamme.

N'aurait-il pas mieux valu, de votre point de vue, encourager l'innovation, par exemple sur les véhicules hybrides, moins polluants, qui font l'objet d'une demande croissante depuis de nombreuses années ? N'aurait-on pas dû, également, former les hommes et les femmes à d'autres métiers en vue d'éventuelles reconversions ? N'aurait-il pas fallu, enfin, engager une reconversion de l'industrie automobile et de ses sous-traitants ? Il est ainsi possible - ce n'est qu'un exemple - de fabriquer des éoliennes avec certaines technologies proches. Ne s'agit-il pas là de pistes d'action pour le futur ?

En outre, que pensez-vous de la politique de modules de certains constructeurs allemands ?

S'agissant des relations entre les partenaires sociaux et les décideurs, ne faudrait-il pas envisager un véritable changement de culture pour établir des liens de confiance et permettre aux salariés de participer à la prise de décisions ? Cela peut sembler très novateur en France, mais se pratique avec succès dans d'autres pays, notamment en Allemagne.

Enfin, pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « plan de réindustrialisation » ? Faudra-t-il par exemple, à Rennes, attendre 2016 pour voir émerger de nouveaux emplois ? Qu'en est-il pour les autres sites ?

M. Thierry Benoit, député. - Je suis élu de la circonscription de Fougères, en Ille-et-Vilaine.

Je ne mets pas en doute les difficultés réelles du groupe PSA Peugeot Citroën, qui sont, d'après les explications que vous aviez données il y a quelques mois devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, liées aux réalités des marchés internationaux.

Je ne mets pas davantage en cause votre bonne volonté et votre bonne foi. Je ne vous connais pas personnellement, monsieur Varin, mais vous me semblez être un bon dirigeant d'entreprise. Le groupe PSA reste un des fleurons de l'industrie automobile en France, en Europe et dans le monde. Je tiens à le rappeler et j'en suis convaincu.

Je m'inquiète, premièrement, des aspects sociaux et humains de la décision difficile et douloureuse que vous avez prise.

Je ne mesure pas encore, à titre personnel, la portée de l'onde de choc. Fougères se trouve à trente minutes de Rennes. La décision aura un impact humain jusqu'à au moins une heure de son point d'application, soit dans un rayon de 100 kilomètres. Elle touche non seulement le groupe PSA, mais également ses partenaires, les sous-traitants et les équipementiers.

Vous n'avez que très peu évoqué, à ce stade, l'avenir des ressources humaines, même s'il a été question de requalification et de réaffectation sur d'autres sites. Envisagez-vous, avec l'État et les partenaires sociaux, des mesures de traitement social et humain renforcées ? Je pense notamment aux dispositifs de préretraite, de formation, de reconversion.

La reconversion professionnelle sera difficile - chacun le comprend - pour les salariés qui ont été embauchés dans votre entreprise en 1975 ou 1980 et ont aujourd'hui cinquante ans. J'ai une pensée pour les familles concernées, qui traversent, en ce moment, une période très difficile.

Je suis préoccupé, deuxièmement, par la compétitivité de nos entreprises.

M. Sartorius écrivait dans le rapport qu'il a rendu en mars 2011 : « la tension sur les prix est certainement moins forte en Allemagne qu'en France. À cela, deux raisons. La première est que les charges salariales patronales ne représentent que 23 % du salaire en Allemagne, contre 49 % en France. La seconde est que, pour des niveaux de salaires sensiblement comparables, l'Allemand travaille généralement 40 heures, là ou le Français ne travaille que 35 heures. »

Le problème n'est d'ailleurs pas tant l'Allemagne que nos autres concurrents. Vous avez cité, en particulier, la Corée du Sud. Je n'ose imaginer ce que donnerait la comparaison du coût du travail en Europe, en particulier en France, et en Corée.

À cet égard, que devrait faire, selon vous, le Gouvernement pour rendre notre industrie plus compétitive ?

Je m'intéresse, troisièmement, à l'innovation. Votre groupe est, monsieur Varin, à la pointe de l'innovation. J'en suis conscient et vous en avais fait part lors de notre première rencontre. Or nous ne voyons aujourd'hui, en France, que très peu de véhicules hybrides ou électriques de fabrication française.

En outre, envisagez-vous un partenariat clair, précis et confiant entre l'État, votre groupe et les territoires ? Je fais ici un parallèle avec l'industrie agroalimentaire. Lorsqu'une entreprise industrielle est installée dans un territoire depuis plus de quarante ans, son histoire s'inscrit dans ce territoire et des liens affectifs se tissent. Avez-vous l'intention de développer une telle complicité, afin de préparer l'avenir, notamment sur les questions d'innovation ?

M. François Brottes, coprésident. - S'agissant de la comparaison entre la France et l'Allemagne en matière de durée du travail, je ne suis pas certain que vos conclusions soient partagées par tous.

M. André Chassaigne, député. - Monsieur Varin, en avouant que votre groupe s'est tu sur certaines décisions en raison des échéances électorales, vous levez un peu de flou. Mais il y a encore un loup. À l'Assemblée nationale, le 20 décembre 2011, en réponse à une question de Marie-George Buffet, M. Besson, alors ministre de l'industrie, avait déclaré : « Aucune fermeture de site automobile, aucune mesure de licenciement, aucune mesure d'âge, aucun plan de départ volontaire n'est annoncé. [...] La bonne foi, c'est aussi de reconnaître que le président de PSA a confirmé à plusieurs reprises que la fermeture d'Aulnay n'était aucunement d'actualité. Ce site dispose avec la C3 d'un plan de charge qui va au moins jusqu'à 2014. » Voilà le loup !

Vous évoquez le dialogue social, mais il ne porte pour vous que sur les modalités d'accompagnement et sur l'association des salariés à la restructuration. C'est au contraire la question de la participation des salariés aux décisions qui doit être posée : ils disposent de solutions alternatives, auxquelles des experts ont travaillé. Les salariés demandent qu'elles soient prises en compte, qu'elles soient exposées, ce qui pourrait d'ailleurs s'accompagner d'un moratoire sur les restructurations engagées.

Le pacte automobile de 2009 vous a permis de bénéficier d'un prêt de 3 milliards d'euros, remboursé par anticipation dès 2011 ; de ce point de vue, Arnaud Montebourg a eu raison de parler d'un devoir de PSA Peugeot-Citroën vis-à-vis de la nation française. Comment cette aide a-t-elle été utilisée ? Quelles en ont été les contreparties ? Le résultat aujourd'hui n'est pas satisfaisant.

Quels dividendes ont été versés depuis cinq ans aux actionnaires du groupe ? Quel est le rapport entre ces versements et les investissements ? Comment s'est effectué le partage de la richesse ? En 2010 par exemple, votre résultat était positif de 621 millions d'euros ; à quoi ces millions ont-ils servi ? En 2011, quelque 250 millions d'euros ont été versés aux actionnaires et 200 autres millions ont servi à racheter des actions. Pourquoi ?

Le marché européen a baissé de 6,12 % au premier semestre 2012. Pourtant, alors que le coût horaire du travail est similaire en Allemagne et en France, la baisse est de 13,9 % pour PSA Peugeot Citroën et de 1,5 % seulement pour Volkswagen. Comment expliquez-vous ces différences ?

Je termine sur l'humanité des salariés, sur leur souffrance - souffrance de ceux qui vont perdre leur travail, mais aussi de ceux qui continueront de subir votre chantage à la flexibilité et au coût de la main-d'oeuvre. Croyez-vous qu'il s'agisse là d'une solution durable aux problèmes que vous rencontrez ?

M. Martial Bourquin. - Ce plan social constitue un véritable traumatisme, surtout dans un pays qui compte déjà 5 millions de chômeurs. Il se traduira peut-être par 20 000 suppressions d'emploi, si l'on tient compte des emplois induits. Le groupe socialiste du Sénat, et la représentation nationale tout entière, entendent donc être aux côtés des populations de tous les bassins d'emploi concernés.

Nous sommes extrêmement attachés à l'industrie et à l'automobile. La production manufacturière ne représente plus que 12 % du PIB, contre 30 % en Allemagne : une telle situation n'est pas tenable.

Vous avez, monsieur Varin, abordé la question de la crise structurelle du marché automobile. Le marché américain a lui aussi été complètement atone pendant un temps ; il est ensuite reparti très fortement. Le marché européen ne repartira pas de la même façon, mais on recherchera des véhicules plus propres - ce fameux véhicule décarboné que chacun appelle de ses voeux. Ne nions pas les problèmes du diesel : la 208 a aujourd'hui besoin d'un moteur performant, économe en énergie et peu émetteur de CO2.

L'accord avec General Motors entraînera des changements structurels : partage de plateformes et suppression de doublons, politiques d'achat communes... Il entraîne également la perte immédiate du marché iranien, pourtant l'un des plus intéressants pour votre groupe.

Comment se fait-il qu'une DS5 commandée en avril ne soit livrée qu'en septembre, voire en octobre ? Il faut absolument remédier à ce problème, sinon les clients se tourneront vers d'autres véhicules afin de bénéficier de délais de livraison plus rapides.

Plusieurs hectares sont déjà libres sur le site d'Aulnay. Si, voilà deux ou trois ans, vous aviez entamé la réindustrialisation du site, en installant de nouvelles activités et en permettant aux salariés de se reconvertir, la confiance serait présente aujourd'hui. Sur cette question, il faut un changement de culture, avec l'aide du Fonds stratégique d'investissement, de l'Europe, et pourquoi pas de l'État.

Pourquoi, enfin, n'utilisez-vous pas plus souvent l'activité partielle de longue durée au lieu de renvoyer des intérimaires ? Les Allemands le font. Dans un bassin d'emploi, dans une famille, chaque emploi compte : avec l'APLD, quand l'activité revient, toutes les capacités de production sont là.

M. Pierre Hérisson. - Au nom de groupe UMP du Sénat, je m'associe pleinement aux propos de M. Fasquelle.

En Haute-Savoie, mon département, la sous-traitance automobile est importante ; le roulementier NTN-SNR, à Annecy, représente à lui tout seul autant de salariés qu'Aulnay. Les inquiétudes sont donc fortes.

Nous faisons totalement confiance au groupe PSA Peugeot Citroën, à ses dirigeants et à ses salariés. Nous connaissons votre patriotisme économique et industriel. Dès lors, que peut faire un parlementaire pour aider ce fleuron de l'industrie nationale ?

Êtes-vous satisfait des règles actuelles en matière de formation, de durée du travail, de flexibilité, de coût du travail, de législation du travail - bref de compétitivité ? Pensez-vous qu'il faille en changer certaines ?

M. Jean-Marie Bockel. - À Mulhouse, depuis trente ans, comme parlementaire, comme maire et président d'agglomération, j'ai vu évoluer le dialogue social, l'intérêt pour l'environnement - nous avons une usine « zéro déchet » - et le climat de confiance. Je salue également le patriotisme de l'actionnariat familial. Pourtant, l'inquiétude est là.

L'alliance avec General Motors sera un atout à long terme. Mais nous avions mis beaucoup d'espoirs dans une alliance, plus modeste, avec BMW - la création d'emplois sur notre site, autour des véhicules hybrides, avait même été envisagée. La fin de ce projet est-elle liée à l'alliance avec General Motors ? Prévoyez-vous d'autres alliances ?

Cette alliance a également entraîné la fin des exportations vers l'Iran : c'est une perte importante pour Mulhouse, troisième port fluvial français. Se priver d'un marché comme le marché iranien est idiot : on peut penser ce qu'on veut de tel ou tel régime politique, mais d'autres pays - par exemple nos amis allemands - n'hésitent pas à travailler avec le vaste monde !

Nos amis de Franche-Comté et nous-mêmes, qui sommes à douze kilomètres de l'Allemagne, sommes particulièrement attentifs aux travaux, nombreux, sur la comparaison de notre pays avec l'Allemagne. Vos prédécesseurs, M. Christian Streiff, M. Jean-Martin Folz, nous avaient déjà alertés sur cette question, et le problème n'est d'ailleurs pas limité au secteur automobile. Je ne porte pas de jugement et je ne tire pas de conclusions prématurées, mais cette comparaison appelle à coup sûr toute notre attention.

Mme Frédérique Massat, députée. - En octobre 2011, M. Éric Besson, ministre de l'industrie, déclarait : « La présence industrielle de PSA, en France, et notamment à Aulnay et Sevelnord, n'est pas remise en cause. » En décembre 2011, devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, vous aviez vous-même parlé de mesures d'économie, et notamment de « mesures d'adaptation des effectifs touchant près de 2 000 postes en CDI pour l'Europe ». Quelques mois plus tard, vous annoncez ce plan. Au vu de cet écart entre discours et réalité, comment les élus de la nation pourraient-ils vous faire confiance ?

PSA a reçu des sommes importantes : 3 milliards d'euros vous ont été prêtés en 2009 ; vous avez touché 190 millions grâce à la prime à la casse, 154 millions grâce au bonus-malus, 100 millions pour la recherche et développement, 100 millions du fait de la baisse de la taxe professionnelle ; vous avez également profité des mesures de chômage partiel. Que sont devenues ces sommes ? Comment les salariés, et l'activité, en ont-ils bénéficié ?

Enfin, Toyota a décidé d'investir 125 millions d'euros pour la production de sa nouvelle voiture citadine - 100 millions pour la version thermique, et 25 millions pour la version hybride - dans l'usine de Valenciennes. Apparemment, Toyota ne rencontre pas les mêmes problèmes que vous avec les coûts salariaux et la difficulté de produire en France ! Quel est votre sentiment sur ce point ?

M. Philippe Varin. - Nous sommes tout à fait prêts à examiner la situation avec les pouvoirs publics locaux, en particulier à Aulnay. Aujourd'hui, notre projet est soumis à un processus de consultation, qui suit son cours.

Une cellule ad hoc recherche dès maintenant des emplois qui pourraient être disponibles en 2014. Vous le savez, 1 500 emplois sont concernés à Aulnay. Nous avons déjà identifié 600 emplois qui pourraient convenir, soit au sein de notre groupe mais hors de la division automobile, soit dans des entreprises tierces.

En tout, nous prévoyons de supprimer 8 000 emplois. Il y aura 3 600 départs volontaires : je fais l'hypothèse que les salariés qui choisiront de quitter le groupe le feront parce qu'ils auront alors trouvé un autre emploi. Nous proposerons 1 500 reclassements internes aux salariés d'Aulnay et 400 à ceux de Rennes : ces 1 900 salariés conserveront donc un contrat PSA. Le reclassement concerne donc concrètement 1 500 personnes à Aulnay et 1 000 personnes à Rennes, c'est-à-dire 2 500 personnes. Vous pouvez compter sur moi et sur le groupe pour mettre tout en oeuvre afin que chacun de ces salariés dispose d'une solution à son problème d'emploi. Nous y travaillons, et nous sommes prêts à en discuter.

Quant au dispositif d'APLD, il y a, je crois, matière à réflexion : un allongement dans le temps du dispositif actuel permettrait à nos collaborateurs d'être formés et de passer suffisamment de temps à se reconvertir pour faciliter autant que possible la transition vers un emploi dans une entreprise autre, qui s'installerait sur le site, en évitant des périodes intermédiaires. Nous examinons d'ailleurs ce sujet avec le ministère du travail.

Sur le changement de culture et la participation des salariés au processus de prise de décision, je peux vous dire que l'expert nommé hier par le comité central d'entreprise travaille déjà sur ce sujet depuis un certain temps, et il a déjà rendu des conclusions. À long terme, deux usines à mi-capacité constituent nécessairement un problème pour le groupe : il faut le régler ! L'information sur la surcapacité est disponible : le comité stratégique paritaire du Comité de groupe européen de PSA travaille sur ces questions depuis un an. Bien sûr, lorsque la décision est prise, c'est un choc, mais cette situation de surcapacité est connue depuis quelque temps.

Les investissements en recherche et développement sont absolument essentiels pour le futur du groupe. Nous prévoyons, c'est vrai, d'adapter légèrement nos effectifs mais nous avons également, dans la période récente, développé de nombreux projets ; nous lançons ainsi de nouveaux véhicules en Chine, en Amérique latine... Nous avons 14 000 chercheurs en France ; en Amérique latine et en Chine, nous en avons un millier en tout, qui s'occupent de projets tout à fait locaux - biocarburants en Amérique latine, design ou interface homme-machine en Chine, car les Chinois sont excellents dans ces domaines. Le coeur de notre recherche reste donc en France et nous continuerons à y déposer énormément de brevets.

En matière de véhicules hybrides, notre part de marché n'est pas importante par rapport à un grand concurrent japonais. Mais notre technologie diesel hybride est une première et ces grandes berlines consomment aujourd'hui 3,6 litres pour cent kilomètres, ce qui est tout à fait remarquable. Notre part de marché devrait donc augmenter. Cette technologie est développée et fabriquée en France : il faut donc soutenir son développement, et le plan actuel du Gouvernement - qui offre un bonus de 4 000 euros pour les véhicules hybrides, y compris pour les véhicules d'entreprise - me paraît de ce point de vue une très bonne initiative.

Nous sommes la locomotive de la filière automobile, puisque nous représentons deux tiers de la production nationale. L'ensemble de la filière, c'est 800 000 emplois : si l'on prend en compte les emplois induits, on peut dire qu'un Français sur dix occupe - directement ou indirectement - un emploi lié à l'automobile.

L'avenir de nos sous-traitants est lié à leur compétitivité, mais aussi au volume du marché. Or le marché européen a diminué de 25 %. Donc si la baisse des volumes est bien sûr liée à la diminution des parts de marché de PSA, elle s'explique d'abord par cette contraction violente du marché. Les ajustements d'effectifs envisagés n'auront aucune incidence sur le volume des commandes que nous passons à nos sous-traitants. Dans la phase actuelle de baisse des volumes, il est donc important d'essayer d'améliorer notre part de marché - ou tout au moins de l'empêcher de diminuer - mais il faut aussi que la filière puisse, si c'est nécessaire, se redéployer et se restructurer.

Le plan de soutien à la filière automobile présenté hier par le Gouvernement prévoit précisément des mesures destinées à traiter ces questions de restructuration et de compétitivité de la filière par un nouveau travail sur la Charte automobile, avec les organisations syndicales, au niveau des fédérations : cela me paraît une très bonne initiative.

Nous avons pour notre part sélectionné quinze fournisseurs stratégiques - les grands équipementiers de rang 1 - et nous sommes engagés dans une démarche par laquelle des fournisseurs plus petits de rang 1 ou des fournisseurs de rang 2 deviennent nos partenaires privilégiés - ce sont les « fournisseurs leaders ». Il y en aura en France entre cinquante et cent. C'est sur eux que nous comptons pour, à l'avenir, développer notre recherche et développement, et accompagner notre internationalisation.

Quant au coût du travail, je me permets de corriger le chiffre que l'un d'entre vous a donné : le chiffre de 9 % correspond à la proportion du travail dans la valeur ajoutée d'assemblage. Pour les véhicules fabriqués dans notre pays, 58 % de nos achats viennent de France : si l'on prend en compte le coût du travail sur l'ensemble de la chaîne, alors ce n'est plus 9 %, mais 25 %, ce qui est tout à fait substantiel.

Je ne veux pas polémiquer sur ce sujet : laissons la mission Gallois travailler et attendons ses conclusions. Je remarque seulement qu'aujourd'hui, le coût du travail est effectivement à peu près identique en France et en Allemagne, mais qu'en termes de prix, le positionnement des produits n'est pas le même - c'est lié à l'image de marque, à l'histoire. Il y a huit ans, ce décalage était compensé par un avantage sur le coût du travail. Ce n'est plus le cas, et nous n'avons pas encore compensé cette perte en termes de prix, car la montée en gamme de nos marques prendra du temps. De là viennent nos difficultés. La question de la flexibilité et des compétences, évoquée dans le plan du Gouvernement, n'est pas moins importante.

Jusqu'en 2017, Sevelnord produit un véhicule utilitaire, en coopération avec Fiat. Or ce partenariat, à cinquante-cinquante, a été dénoncé par Fiat, qui a ensuite choisi de s'allier à Chrysler. Le futur du site après 2017 est donc en jeu et nous en avons, de façon tout à fait transparente, informé les représentants du personnel et les élus concernés. Il faut d'abord que le groupe Fiat parte dans des conditions correctes car nous devons pouvoir travailler. Mais le développement d'un nouveau véhicule utilitaire coûtant près de 700 millions d'euros et l'amortissement de ce coût étant très long, il nous fallait aussi trouver un autre partenaire. Ce sera Toyota - nous avons signé il y a une semaine. Enfin, il faut que la construction de ce véhicule utilitaire en France se fasse dans des conditions de compétitivité aussi bonnes que celles qui seraient offertes par l'autre site possible : celui de Vigo, en Espagne, qui produit déjà de petits véhicules utilitaires.

Nous étudions actuellement avec les représentants du personnel les conditions nécessaires pour atteindre le niveau de compétitivité voulu. Nous en avons également parlé avec les élus locaux car, au-delà du site, le problème concerne le réseau de sous-traitants et tout le cluster - le pôle de compétitivité : il faut agir sur l'environnement économique tout entier. Je peux d'ores et déjà vous dire que j'ai très bon espoir. Et si nous réussissons à Sevelnord, c'est que nous pouvons réussir ailleurs. Voilà, monsieur Bourquin, un exemple de coopération avec les élus locaux.

Que penser du reproche qui nous est fait d'avoir retardé l'annonce et d'avoir menti ? Il est exact qu'étant donné la situation du marché européen, nous avons procédé à des études qui nous ont permis d'identifier, il y a environ un an, trois sites exposés à des risques : Aulnay, Rennes et Sevelnord. Il était de notre responsabilité d'étudier les différentes options possibles et le scénario de la fermeture du site d'Aulnay, je l'ai dit, en faisait partie. Mais il y a un temps pour tout : il y a un temps pour les études et il y a un temps pour les décisions. Nous avons pris la décision au cours du deuxième trimestre 2012 lorsque nous avons constaté que l'atonie du marché était durable. En ce qui concerne le site d'Aulnay, j'ai toujours dit que je ne pouvais souscrire d'autre engagement que celui de produire la C3 jusqu'en 2014 et je n'en ai jamais souscrit d'autre.

En ce qui concerne les aides d'État, mettons les chiffres sur la table. Il y a eu 3 milliards d'euros de prêts au cours de la crise de 2008 et 2009, auxquels se sont ajoutés deux prêts de 500 millions d'euros chacun accordés à notre banque par l'intermédiaire de la Société de financement de l'économie française (SFEF). Les 3 milliards ont été remboursés par anticipation ; rappelons en outre que le groupe a versé au total 330 millions d'euros d'intérêts, le taux d'intérêt du prêt qui nous a été accordé atteignant au minimum 6 % et pouvant aller jusqu'à 9 %, en fonction de l'augmentation de notre marge. Ces aides avaient pour contrepartie implicite le maintien de l'activité et de l'emploi en France, auquel nous nous employons, avec les difficultés que nous connaissons.

Nous bénéficions par ailleurs du crédit impôt recherche, pour 85 millions d'euros, qu'il convient de rapporter aux 2 milliards que nous consacrons chaque année aux dépenses de recherche et développement : nous sommes l'un des acteurs français les plus importants dans ce domaine. En d'autres termes, le CIR nous aide, mais cette aide n'est manifestement pas disproportionnée à l'enjeu. De même, nous percevons chaque année 11 millions au titre de l'APLD alors que les salaires que nous payons en France représentent 4 milliards d'euros par an.

Quant aux dividendes, voyons les faits. Aucun dividende n'a été versé en 2008, ni en 2009. En 2010, nos bons résultats nous ont effectivement permis de distribuer 250 millions d'euros de dividendes. En 2011, de nouveau, il n'y en a eu aucun. Au total, nos actionnaires ont reçu des dividendes une année sur quatre, et ils les ont réinvestis dans l'augmentation de capital lancée début 2012 pour une somme supérieure puisqu'égale à plus d'un milliard d'euros.

En ce qui concerne l'Iran, les flux financiers qui en proviennent se sont aujourd'hui presque taris du fait des sanctions internationales. Je l'ai dit hier, je suis donc très pessimiste quant à la reprise de notre activité sur place, qui nous rapportait quelque 100 millions d'euros par an - pour la vente des pièces détachés uniquement puisque nous n'y procédions pas à l'assemblage. Notre alliance avec General Motors n'y est pour rien : tous les circuits bancaires, sans exception, sont concernés.

S'agissant de la situation financière du groupe, des risques d'OPA et des attaques sur le cours de Bourse, ce dernier a déjà beaucoup souffert : n'accentuons pas la pression à l'heure où les agences de notation dégradent notre note. Le meilleur moyen de nous protéger est de restaurer la rentabilité et l'équilibre le plus vite possible, car les marchés financiers anticipent les améliorations comme les dégradations de la situation.

M. François Brottes, président. - Merci Monsieur le président. Je laisse maintenant la parole aux intervenants qui le souhaitent.

Mme Marie-Lou Marcel, députée. - Je souhaite vous interroger sur la politique de PSA vis-à-vis de ses sous-traitants. Dans ma circonscription, en Aveyron, SAM Technologies, plus gros employeur privé du bassin, compte environ 600 salariés. Le groupe Arche, dont cette entreprise est la filiale, est leader en fonderie sous pression d'alliages légers et s'est spécialisé dans la conception et de la production de composants pour l'industrie automobile française et européenne ; 42 % de ses commandes proviennent du groupe PSA. Jusqu'à présent, malgré les crises, SAM a tiré son épingle du jeu grâce à une automatisation très poussée, qui atteint aujourd'hui ses limites. Le constructeur se livre à un véritable laminage des prix, qui ont diminué de 30 % en cinq ans. L'augmentation des charges aidant, les excédents d'exploitation ont diminué au point que l'entreprise ne peut plus financer d'investissements, et ses bilans compliquent son accès au crédit. Si la baisse des volumes et des prix s'accentue, la situation va devenir intenable.

Le plan global présenté par le Gouvernement prévoit d'accorder des aides aux sous-traitants par l'intermédiaire d'OSEO. De votre côté, vous avez dit à propos des équipementiers que le groupe serait attentif à la filière, avec laquelle il souhaitait établir des liens stables et coopérer pour partager la valeur. Comment comptez-vous développer vos relations avec vos sous-traitants, autrement qu'en faisant pression sur les prix ?

M. Alain Marc, député. - On sait le rôle que joue la confiance en économie. Élus de terrain, nous apprécions la diversification et la modernisation de votre gamme et nous savons que vos véhicules inspirent confiance à nos concitoyens. Vos décisions, votre stratégie industrielle destinée à pérenniser votre activité dans un contexte difficile ont ému les Français. C'est pourquoi nous souhaitons que vous parveniez, avec les pouvoirs publics, à trouver une solution individuelle pour chaque salarié. Mais les propos excessifs, voire les rodomontades, du ministre du redressement productif ne risquent-ils pas de nuire à l'image du groupe en France et à l'étranger, si importante pour conquérir de nouveaux marchés, au-delà même de la recherche de compétitivité ? On note toutefois un changement de ton dans l'appréciation par le Gouvernement des difficultés que rencontre PSA. Sans perdre de vue les conséquences humaines de votre changement de stratégie industrielle, ne pensez-vous pas que nous devrions « jouer groupé » - le Gouvernement, le groupe PSA, la représentation nationale - pour surmonter cette crise ?

M. Claude Dilain. - Au-delà du site de production d'Aulnay, il y a la ville elle-même et les communes avoisinantes. Le danger qui menace Aulnay-sous-Bois est mortel. Pour avoir vu Sevran perdre Westinghouse et Kodak, nous savons en Seine-Saint-Denis ce que c'est qu'une ville qui ne s'est jamais remise de sa désindustrialisation. Un Sevran, ça suffit ! Vos projets de revitalisation industrielle sont louables, mais d'autres, tout aussi bien intentionnés, ont échoué. J'aimerais donc avoir quelques précisions sur la cellule ad hoc que vous avez évoquée.

Par ailleurs, vous avez longuement justifié le moment où la décision a été prise, mais, bien avant la fuite du document interne, la fermeture du site en 2014 - au mieux - était évidente pour les ouvriers, qui ont vu les ateliers se vider et les équipes de nuit disparaître. Le fait d'avoir tant tardé à agir oblige aujourd'hui à le faire dans des conditions sociales et psychologiques très difficiles. Quant vous engagerez-vous donc concrètement ?

M. Frédéric Barbier, député. - Je suis élu du Doubs ; Sochaux, Mandeure, Hérimoncourt se trouvent dans ma circonscription. Votre entreprise, monsieur Varin, est historiquement au coeur de notre territoire - de son économie, de sa culture et, je l'espère, de son avenir. Votre stratégie et celle de la filière m'intéressent donc tout particulièrement.

Je me concentrerai aujourd'hui sur la sous-traitance. Sur les 8 000 suppressions de poste que vous avez annoncées, 550 environ concernent Sochaux et comme le groupe, les sous-traitants souffrent d'une baisse d'activité qui les a déjà conduits à engager de lourdes restructurations. Dans ma circonscription, l'entreprise Trevest ne compte plus que 260 salariés, contre 980 en 2000, et s'apprête à supprimer 85 postes supplémentaires dès le mois d'octobre. Et les partenaires sociaux nous alertent à propos de nouveaux plans en cours ou à venir dans d'autres entreprises.

Votre stratégie d'achat induit une surcapacité des sous-traitants : en 2009, vous avez ainsi fait appel à Johnson Controls, à la frontière allemande, pour fournir le site de Sochaux en équipements destinés à la 3008 et à la 5008 alors que Trèves et Faurecia, historiquement implantés dans notre région, étaient disponibles. Votre responsabilité dans les plans de licenciement à venir chez vos sous-traitants n'est-elle donc pas engagée ? Comment comptez-vous éviter, comme au sein du groupe, que les destructions de postes n'y débouchent sur des licenciements secs ?

M. Damien Abad, député. - Député de l'Ain, élu du Haut-Bugey et de sa Plastics Vallée, je tiens à vous assurer de notre soutien et de la confiance que nous inspire l'entreprise familiale qu'est Peugeot. Je vous félicite en outre du sang-froid dont vous avez fait preuve face au ministre du redressement « intempestif », et qui vous a valu d'être reçu à Matignon, où le dossier a été traité un peu plus calmement.

Peut-on en savoir un peu plus sur la réindustrialisation du site d'Aulnay et sur la feuille de route de la cellule spécialisée ?

Le marché européen est saturé, c'est vrai, mais il n'en constitue pas moins le premier marché mondial et a récemment connu une importante avancée avec l'accord sur le brevet unique européen. Peut-on encore produire des voitures en Europe ? Qu'attendez-vous de l'Europe en matière de politique industrielle ?

L'internationalisation et la recherche des marchés de croissance, qui constituent l'un de vos grands axes stratégiques, ne correspondent-elles pas à la stratégie de Renault ?

Quant aux sous-traitants, il convient en effet de ne pas se limiter aux premiers équipementiers. Je songe notamment à la plasturgie, essentielle au secteur automobile. Votre réputation auprès des sous-traitants est presque aussi bonne que celle des constructeurs allemands, ce qui n'est pas rien. Mais comment améliorer la relation entre donneur d'ordre et sous-traitant afin de maintenir l'emploi et l'activité dans des entreprises qui sont, elles aussi, des fleurons de notre économie ?

M. Francis Grignon. - Monsieur Varin, vous avez évoqué votre alliance avec General Motors. L'usine General Motors implantée de longue date à Strasbourg emploie près de 1 000 personnes, dont 170 environ dans un centre de recherche et 820 dans une unité de fabrication de boîtes automatiques à six vitesses que GM envisage publiquement de vendre, ce qui nous inquiète beaucoup. Le centre de recherche étudie notamment une nouvelle génération de boîtes à double embrayage. Le centre de recherche ou l'unité de production, voire les deux, sont-ils concernés par votre plan stratégique ?

M. François Brottes, président. - Monsieur le président, je vous laisse la parole.

M. Philippe Varin. - Madame Marcel, le laminage des prix et l'augmentation des charges concerne la filière tout entière, le constructeur comme ses fournisseurs. Nous pourrions citer pour notre propre compte des chiffres comparables à ceux que vous avez donnés. Je rappelle que nous avons subi plus de 800 millions d'euros de pertes nettes au premier semestre !

Comment pouvons-nous, avec les fournisseurs, améliorer nos coûts ? Nous y travaillons avec nos fournisseurs leaders, statut que nous nous efforçons d'étendre autant que possible car il s'agit de la meilleure assurance à long terme. Par ailleurs, la période qui s'ouvre va poser aux fournisseurs des problèmes de trésorerie. Or ils n'ont pas accès au marché obligataire, contrairement aux constructeurs - même si ceux-ci peuvent y subir la pression des agences de notation comme on le voit depuis quarante-huit heures. Nous sommes donc tout à fait favorables aux mesures de financement contenues dans le plan automobile et qui font notamment appel à OSEO. Pour notre part, nous sommes intervenus à plusieurs reprises par l'intermédiaire du FMEA - auquel nous apportons un tiers de sa dotation de 600 millions d'euros -, en prenant des participations dans les fonds propres de fournisseurs en difficulté ou en phase de consolidation. Nous devons développer ces démarches.

M. François Marc. - il est en effet essentiel que toute la filière automobile marche d'un même pas pour retrouver sa compétitivité. De ce point de vue, le plan du Gouvernement nous fournit un cadre satisfaisant. S'y ajouteront les conclusions de la mission Gallois et la plateforme automobile, lieu inédit d'expression des équipementiers et des constructeurs réunis et interlocuteur privilégié du Gouvernement au cours de cette phase.

M. Claude Dilain. - Notre cellule spécialisée a commencé à travailler. J'ai évoqué 600 emplois potentiels. Je souhaite lancer une mission de reconquête industrielle de tout le bassin d'Aulnay dès que possible, dès que l'état d'avancement du dialogue social nous le permettra. En effet, dans le cadre du dialogue social ouvert que nous menons, c'est d'abord avec les partenaires sociaux que nous devons discuter ; nous avons commencé à le faire lors du premier CCE qui s'est tenu hier. Mais je puis m'engager à faire part de tous nos projets et à débattre ouvertement de la vocation future du bassin industriel d'Aulnay. Ce doit être un succès.

M. Gilbert Barbier. - Vous avez évoqué les restructurations passées, présentes et à venir chez les sous-traitants, citant le cas de Trèves, où le FMEA est intervenu. Dans le cadre du plan gouvernemental, la charte automobile sera revue : les partenaires sociaux, les présidents des sociétés et leurs représentants doivent discuter des conditions des restructurations et des mesures nécessaires à la compétitivité de la filière. Cet espace de discussion doit être occupé rapidement pour que nous puissions aborder les problèmes dont vous parlez en disposant d'une référence commune. Voilà pourquoi, si nous parvenons à un accord à Sevelnord, je ferai volontiers profiter de notre expérience l'ensemble de la filière. Les fédérations syndicales y semblent également disposées.

Monsieur Abad, la feuille de route de la cellule spécialisée sera établie conjointement avec les pouvoirs publics.

De l'Europe, j'attends deux choses. Il en est d'ailleurs question dans le plan pour la filière. D'une part, en matière de recherche et développement, je souhaite que nous recourions beaucoup plus aux programmes européens, dotés de montants considérables. D'autre part, en matière de commerce international, j'aimerais qu'avant de conclure un accord de libre-échange comme celui qui lie l'Union européenne à la Corée, on réfléchisse aux conséquences qu'il pourrait entraîner sur l'industrie automobile. Il convient donc de soumettre les accords que nous envisageons avec le Japon et avec l'Inde à une véritable étude d'impact.

En ce qui concerne la plasturgie, Plastic Omnium fait partie de nos partenaires stratégiques et nos liens très étroits peuvent servir de modèle de relation entre donneur d'ordre et fournisseur.

Enfin, monsieur Grignon, l'usine General Motors de Strasbourg est aujourd'hui hors du champ de nos discussions. Je n'ai donc rien de particulier à en dire.

M. Jean-René Marsac, député. - Ma circonscription compte nombre de sous-traitants de PSA, dont Faurecia qui est particulièrement bien implanté. Pouvez-vous préciser, monsieur le président Varin, quelles sont les perspectives d'évolution des marchés automobiles français et européen ? Plus précisément, la baisse du pouvoir d'achat d'un nombre croissant de nos concitoyens n'est-elle pas la pire ennemie de notre industrie automobile ? Naguère, on avait coutume de dire qu'il fallait que les salariés de Citroën de Rennes aient au moins les moyens de passer de leur cyclomoteur Peugeot à la 2 CV ! L'abaissement du pouvoir d'achat, la précarité de l'emploi et le recours massif aux intérimaires que nous connaissons aujourd'hui sont autant d'obstacles à l'achat d'un véhicule neuf.

Vous avez évoqué les problématiques liées à la conquête ou à la reconquête de marchés dans certaines aires géographiques : pouvez-vous apporter des précisions à ce sujet ? Quelles sont les gammes concernées ? Quelles sont les gammes les plus profitables de votre groupe ? Quels paris prenez-vous sur la profitabilité de certaines gammes de véhicules ? Je suis au regret de rappeler que le site de La Janais devait voir son avenir garanti par le succès des véhicules de haut de gamme mais que tel n'a malheureusement pas été le cas.

Comment entendez-vous accompagner l'impact des restructurations envisagées pour vos sous-traitants ? On peut redouter une différence de traitement entre les sous-traitants bien identifiés, comme Faurecia, et ceux qui le sont moins, surtout s'il s'agit de PME ou de TPE. Quant à la question des intérimaires, elle est parfois purement et simplement oubliée, tant pour ce qui concerne l'accompagnement social que l'amorce de processus de ré-industrialisation. S'agissant notamment du site de Faurecia à Saint-Nicolas-de-Redon, j'observe qu'il n'a été tenu aucun compte des effectifs d'intérimaires dans les objectifs de ré-industrialisation.

Mme Marie-Anne Chapdelaine, députée. - Je souhaite relayer l'inquiétude des salariés de l'usine PSA de ma circonscription, voisine de celle de l'orateur précédent, quant à l'arrivée d'un nouveau véhicule sur le site de La Janais dès 2016. Avec 1 400 salariés de moins à Rennes sur les 5 600 en fonction aujourd'hui, on arrive à 4 200 : sera-ce suffisant pour produire un nouveau modèle ? Les compétences nécessaires seront-elles préservées ? Que va-t-il se passer d'ici à 2016 ? La fin du cycle de production de la Citroën C4 sera-t-elle suffisante pour garantir la pérennité du site ? À la veille de leur départ en vacances, il est impératif de répondre à l'angoisse des familles concernées : auront-elles encore du travail en septembre prochain ? Il est urgent de se mobiliser pour que vienne le temps des réponses.

M. Éric Straumann, député. - Monsieur le président Varin, je tiens à vous renouveler le soutien et la confiance de notre région du Rhin supérieur dans le groupe PSA. En tant qu'élu frontalier, je puis témoigner que nombre d'investisseurs allemands et suisses ont été très surpris par l'attitude du Gouvernement. La forme d'expression publique qu'il a adoptée et ses choix fiscaux inquiètent.

Qu'en est-il de l'évolution de l'accord entre PSA et BMW sur les hybrides ? Vous travaillez depuis plusieurs années avec votre homologue allemand sur les moteurs à essence et vous aviez annoncé l'an dernier qu'une collaboration renforcée allait voir le jour au sujet des moteurs hybrides. Le programme de développement en cours d'élaboration devait permettre la mise au point de composants de systèmes de traction à l'horizon de 2014. Il semble que BMW le remette en cause aujourd'hui : qu'en est-il ?

Le plan du Gouvernement prévoit un renforcement des bonus versés pour l'achat de véhicules électriques ou hybrides. Une telle mesure ne vous semble-t-elle pas dérisoire au regard des enjeux, compte tenu du fait que les véhicules électriques et hybrides, très marginaux dans notre pays, n'ont représenté au cours du premier semestre de cette année que 1,2 % des immatriculations dont 0,2 % pour ce qui concerne les seuls véhicules électriques ? En outre, ne va-t-elle pas profiter essentiellement aux constructeurs étrangers, y compris au sein de votre groupe dans la mesure ou les Citroën C-zéro et Peugeot iOn sont produites par Mitsubishi ? Quelle est votre stratégie globale dans le domaine du véhicule électrique ?

Mme Isabelle Le Callennec, députée. - Je suis concernée à double titre, étant élue dans une circonscription d'Ille-et-Vilaine où travaillent à la fois des salariés de PSA et des salariés de l'équipementier Cooper Standard, ex-Barre Thomas. Pour l'anecdote, ma première voiture était une Peugeot 104 et je mets un point d'honneur à « rouler français », comme sans doute la plupart d'entre nous ! La question centrale a été posée tout à l'heure par l'une de nos collègues sénatrices : que peuvent faire les pouvoirs publics pour votre groupe, en vue notamment de limiter les impacts sociaux et humains ? C'est en restant très vigilants sur ce point que nous remplirons le mieux notre rôle.

Je vous remercie, monsieur Varin, de votre préoccupation d'associer l'ensemble des parlementaires d'Ille-et-Vilaine aux discussions qui vont avoir lieu sur l'avenir du site de La Janais. A l'instar de Mme Chapdelaine, je souhaiterais aussi obtenir des réponses précises quant à l'engagement d'y produire un nouveau véhicule dès 2016. Les attentes des salariés sont extrêmement fortes et il est urgent de les rassurer.

Dans notre département comme dans d'autres, il est prévu que les entreprises de plus de 1 000 salariés qui mènent un plan social versent au Fonds de revitalisation l'équivalent de 2 500 euros par emploi supprimé. Je forme le voeu que nous n'irons pas jusqu'aux 1 000 suppressions d'emploi qui ont été évoquées tout à l'heure. Cependant, si tel devait être le cas, concerneraient-elles en priorité, comme on l'entend parfois, des cadres, des techniciens et des agents de maîtrise ?

L'enveloppe du Fonds de revitalisation est destinée à aider les entreprises qui créent des emplois dans le bassin d'emploi concerné par le plan social : en liaison avec les services déconcentrés de l'Éat - préfet, direction du travail -, pourrait-on aussi envisager d'utiliser ces fonds pour faire aimer l'industrie à nos compatriotes et en particulier à nos jeunes ? Pour connaître votre attachement à la formation et votre foi dans les métiers de l'industrie, je sais que nous pourrons compter sur vous pour nous aider dans cette démarche.

Mme Delphine Bataille. - Suite à la reconversion des activités minières dans les années 60, l'industrie automobile revêt une importance cruciale dans le département du Nord. Couplée à une forte activité ferroviaire, elle concourt à ce que l'industrie des transports y joue un rôle prépondérant. Dès lors, nous sommes préoccupés au plus haut point - et depuis plusieurs mois - par l'avenir du dite de Sevelnord à Hordain. De nombreuses suppressions d'emploi sont à redouter, comme du reste dans d'autres entités de votre groupe. Des familles entières sont concernées, dans les arrondissements de Valenciennes, de Cambrai, d'Avesnes-sur-Helpe et de Douai. À l'inquiétude du lendemain s'ajoutent l'incompréhension et la souffrance. Aux côtés de syndicats et des élus du territoire, elles attendent aujourd'hui des garanties quant à la pérennité de leurs entreprises et la sauvegarde de leurs emplois.

Monsieur le président Varin, vous avez évoqué l'accord avec Toyota qui suscite l'adhésion générale même si persistent de nombreuses interrogations. Les promesses d'activités nouvelles se doivent d'être précisées. Pouvez-vous nous donner des garanties sur le devenir du site de Sevelnord ?

Mme Jacqueline Maquet, députée. - Alors que le Gouvernement vient de présenter son plan de soutien à la filière automobile, estimez-vous que le véhicule propre constitue un secteur d'avenir pour votre groupe et êtes-vous prêts à relever le défi ? Vous pouvez voir que ma question rejoint un peu celle de M. Fasquelle même si je la pose sur un autre ton !

Combien d'emplois de sous-traitants seront-ils concernés par la fermeture du site d'Aulnay ? Des mesures d'accompagnement spécifiques sont-elles prévues à leur profit ? Pourriez-vous apporter un peu plus de précisions à ce sujet que vous ne l'avez fait pour ce qui concerne Sevelnord ?

Mme Annie Genevard, députée. - Élue franc-comtoise, dans le berceau historique de l'entreprise Peugeot, je tiens à exprimer mon attachement puissant à cette entreprise familiale et patriote. Je suis du reste stupéfaite que certains qualifient de « faute stratégique » le fait de ne pas avoir délocalisé !

Maire d'une commune dans laquelle est implanté un sous-traitant dont Peugeot est le principal client, je déplore que les élus que nous sommes manquent de visibilité sur le devenir des entreprises présentes dans leur territoire. Dans la mesure où vous avez rappelé qu'un emploi sur dix était concerné par la filière automobile dans notre pays, nos régions ont un rôle à jouer et je souhaiterais connaître votre sentiment sur l'idée d'une déclinaison territoriale de la plateforme automobile permettant de mieux associer les élus à la reconquête industrielle, même s'il ne saurait être question qu'ils s'ingèrent dans le pilotage stratégique d'entreprises privées.

J'en viens à la question de la formation. Ma région est tournée en priorité vers l'automobile et la micro-mécanique. Or nous observons une désaffection dramatique des jeunes pour ces deux filières industrielles. À moyen terme, ce rejet constitue pour elles un danger mortel. Donner ou redonner aux jeunes le goût de l'industrie fait partie de votre stratégie : pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, députée. - Pour forts qu'ils soient, les mots « inquiétude », « traumatisme » ou « onde de choc » traduisent bien ce que ressentent nos concitoyens. Députée de la circonscription d'Hordain où se trouve Sevelnord, je rappelle que notre région ne s'est pas encore remise du traumatisme d'Usinor et nous avons toujours l'espoir que l'industrie automobile nous permettra de relever la tête. Las, depuis un an, les annonces se sont succédé, autour du départ de Fiat, de la fermeture d'Aulnay ou de l'avenir de Rennes. S'agissant de l'usine de Trith-Saint-Léger, qui assemble les boîtes de vitesses de PSA, le plan d'embauche de 400 personnes qui avait été annoncé est désormais gelé, ce qui renforce encore les inquiétudes. Si M. Fasquelle s'offusque des déclarations du Gouvernement, nous, députés socialistes du Nord, dont Christian Bataille et Audrey Linkenheld, sommes plutôt marqués par l'angoisse des salariés de ces différents sites. À la veille des vacances, beaucoup se demandent ce que leur réservera la rentrée.

Que faut-il attendre du partenariat avec Toyota ? Enfin, pouvez-vous confirmer que le site de Hordain sera préféré à celui de Vigo pour la construction de l'utilitaire K-zéro, compte tenu de la compétition entre les deux unités ?

M. Alain Chrétien, député. - Député-maire de Vesoul, centre mondial de pièces détachées de PSA, je précise que votre groupe emploie 3 000 personnes sur les 15 000 habitants que compte la ville. Je n'ai donc pas besoin de m'attarder sur le poids de votre entreprise dans notre agglomération. La vente prévue de Gefco et la mutualisation probable des systèmes de logistique du fait de l'accord avec General Motors ne remettent-elles pas en cause les ambitions de PSA pour la logistique à Vesoul ? Je suis très souvent interpellé par mes administrés sur l'évolution des systèmes logistiques des deux marques de votre groupe et sur l'impact du rapprochement avec GM. Merci de nous éclairer à ce sujet.

M. François Brottes, président. - je vous laisse la parole pour répondre aux intervenants.

M. Philippe Varin. - M. Marsac m'a interrogé sur ma vision de l'évolution du marché européen et je suis au regret de lui dire que, pour les trois ans qui viennent, je n'ai guère d'espoir d'un retour rapide à meilleure fortune. Il ne serait pas responsable de notre part de retenir des hypothèses par trop optimistes. En outre, il est exact que, dans le cadre de la montée en gamme des véhicules de nos deux marques, nous devons avoir le souci de proposer une gamme conforme au pouvoir d'achat de nos clients. Les modèles les plus profitables - soit ceux qui peuvent être compétitifs dans la durée en étant produits dans des sites français - sont ceux qui apportent une différence par rapport au reste de la production mondiale, à l'instar de la ligne DS de Citroën. Ainsi, il ne fait aucun doute qu'une DS 3 est compétitive en France alors qu'une C3 ne l'est pas. Or, à ce jour, la part des produits premium dans nos volumes de vente n'excède pas 20 % du total. Il reste donc encore beaucoup à faire.

M. Marsac a également évoqué le reclassement chez les sous-traitants, pour déplorer qu'il y ait deux poids et mesures et que l'accompagnement social des intérimaires ne soit pas garanti. En ces domaines, la bonne méthode me semble être de procéder à une révision un peu approfondie de la charte automobile. Ces questions doivent être traitées avec les différents acteurs de la filière, dont les représentations syndicales, et nous devons faire preuve de créativité. Je considère par exemple que le système français de l'apprentissage mérite d'être sérieusement amélioré, surtout lorsqu'on le compare à celui de nos voisins. Nous devrions disposer d'un référentiel de métiers analogue dans l'ensemble de la filière automobile, des constructeurs aux sous-traitants. Si nous avions des grilles identiques, les reconversions sur des métiers validés seraient plus faciles et chacun de nos salariés pourrait bénéficier d'un passeport de compétences actualisé.

En matière de flexibilité entre le constructeur et les équipementiers du bassin d'emploi, des dispositions intéressantes sont en cours de réflexion dans le cadre de l'accord de Sevelnord. On peut trouver des formules originales et il est indispensable d'accélérer dans cette voie, en capitalisant sur le plan filière.

Plusieurs questions m'ont été posées au sujet de Rennes, notamment par Mmes Chapdelaine et Le Callennec. Je réitère l'engagement qu'y sera produit un nouveau véhicule, sur une nouvelle plateforme. Sans entrer trop avant dans la technique, le groupe dispose d'une première plateforme pour les petits véhicules, d'une deuxième pour les moyens - que nous essayons en ce moment de tirer vers le haut - et d'une troisième pour les grandes berlines comme la Citroën C6. Nous avons pris l'engagement de placer à Rennes la plateforme numéro deux, destinée aux véhicules des segments moyen et moyen supérieur. Le site va donc profiter d'une flexibilité dont il n'avait pas disposé jusqu'à présent. La réflexion est en cours et il serait hasardeux de décrire un tel projet de manière détaillée quatre ans à l'avance. Plusieurs options restent ouvertes mais vous avez mon engagement qu'il y aura un véhicule en 2016 et que nous allons investir massivement dans la plateforme n° 2 sur le site de Rennes, pour prendre la suite de la Citroën C5 et de la Peugeot 508.

La transparence, qui est à nos yeux de règle, suscite par nature des incertitudes car l'on partage les questions qui se posent. J'en profite pour répondre aux questions de Mmes Bataille et Dufour-Tonini au sujet de Sevelnord : voilà l'exemple type d'une situation où nous avons mis sur la table tous les éléments de l'équation à résoudre. Je comprends, après les traumatismes passés que vous avez évoqués, que le sujet suscite des inquiétudes. Mais je dirai là encore que c'est une contrepartie de la transparence dont nous faisons preuve. Cela a du reste un effet extrêmement favorable sur le sens de la responsabilité des différents partenaires car nous avons ensemble le même problème à résoudre.

S'agissant de K-zéro, je veux vous faire passer un message clair. Si je vous disais que tout est réglé aujourd'hui...

Mme Delphine Bataille et Mme Isabelle Le Callennec. - Nous en serions très heureuses !

M. Philippe Varin. - Sans doute, mais je ne ferais pas mon devoir. Je puis simplement vous dire que je suis très positif. A partir du moment où nous avons l'accord avec Toyota et avec Fiat, je suis persuadé que nous allons parvenir à un accord et nous aurons alors franchi un jalon extrêmement important, alors que les montants d'investissement sont, je l'ai dit, très conséquents.

Mmes Le Callennec et Genevard m'ont interpellé à raison sur la communication à l'égard des jeunes. Nos systèmes d'apprentissage et d'alternance doivent impérativement progresser pour permettre une meilleure intégration dans le monde du travail. Il s'agit, dans un pays où 25 % des jeunes sont au chômage, d'une obligation à laquelle nous ne saurions nous soustraire. Ayant des usines en Espagne, je mesure les effets d'un chômage des jeunes à 40 % de la population active !

Madame Genevard, vous avez évoqué les déclinaisons territoriales de la plateforme automobile. Elles sont prêtes, sous la forme des Associations régionales de l'industrie automobile (ARIA), et je vous encourage à rencontrer le président de la plateforme automobile, M. Michel Rollier, pour voir comment cela peut fonctionner dans votre circonscription.

Pour Vesoul, monsieur Chrétien, l'accord avec GM est une excellente nouvelle. General Motors apporte à notre filiale logistique Gefco toutes ses capacités opérationnelles pour l'Europe, la Russie et la Turquie. Cela va renforcer Gefco et Vesoul est définitivement la plateforme logistique du groupe. Vesoul souffre à l'évidence de la réduction des volumes vers l'Iran mais j'ai déjà évoqué ce problème.

M. Straumann m'a interrogé sur la joint-venture avec BMW, par laquelle nous avions souhaité nouer un partenariat sur la fabrication de composants pour les véhicules hybrides rechargeables - qui sont à distinguer des véhicules hybrides déjà commercialisés. Entre les véhicules premium de BMW, dont les spécificités sont souvent orientées vers les États-Unis (en particulier la Californie) et la Chine, et nos propres besoins, il y a un écart qui fait que les conditions qui prévalaient il y a dix-huit mois ne sont plus réunies. Des discussions sont en cours et l'avenir de cette joint-venture avec BMW est clairement posé. Mais je gage que nous trouverons une autre contrepartie dans le cadre de notre accord avec General Motors.

S'agissant du véhicule électrique, notre stratégie est claire : nous devons être présents et proposer une offre à la clientèle mais il faut être conscient que ce mode ne représentera que 5 % des chaînes de traction à l'horizon de dix ans. Dès lors, notre effort prioritaire portera sur les hybrides, qu'ils soient rechargeables ou qu'ils puissent fonctionner en mode tout-électrique sur quelques kilomètres comme nous le proposons déjà sur plusieurs modèles. Ces véhicules hybrides représenteront 15 % du marché à dix ans et cela justifie que nous les privilégions.

Parallèlement, notre effort pour renforcer le rendement des moteurs thermiques ne faiblit pas. Nous avons investi à hauteur de 500 millions sur le petit moteur 3 cylindres essence de 1.0 à 1.2 litre, fabriqué dans nos usines françaises, et il permet un gain de l'ordre de 20 % en termes d'émissions polluantes. À moyen terme, 80 % des véhicules resteront dotés d'un moteur thermique, plus ou moins « hybridé », le moteur thermique recevant l'appoint d'un moteur électrique complémentaire. Il y a donc un avenir pour le moteur thermique à faible émission de CO2. Au reste, le plan pour la filière prévoit, à côté des bonus de 7 000 euros pour les véhicules électriques et de 4 000 euros pour les hybrides, un renforcement du bonus pour les petits moteurs thermiques émettant entre 80 et 110 grammes de CO2.

M. Daniel Raoul, coprésident. - Monsieur le président Varin, vous avez pu mesurer tout l'intérêt de nos collègues pour l'industrie automobile française.

Je vous suggère de regarder de près la performance de votre réseau commercial, qu'il s'agisse notamment des conditions d'accueil ou des délais de livraison. En ce domaine, les constructeurs français ne sont pas toujours à la hauteur de leurs concurrents étrangers.

Vous avez évoqué le problème de la Corée du Sud, qui pose la délicate question de la réciprocité. Si l'on veut maintenir une concurrence loyale, il conviendrait que les autorités françaises s'en saisissent dans le cadre de l'OMC, comme cela a été fait pour l'agriculture ou d'autres filières. L'Europe doit replacer l'enjeu de la réciprocité au coeur de ce cycle de Doha qui n'en finit pas !

Je vous remercie également d'avoir coupé les ailes au canard du coût de la main- d'oeuvre. Lors de missions en Allemagne, nous avons pu vérifier que l'écart si souvent dénoncé n'existait pas et je vous sais gré de le confirmer. Au reste, dans plusieurs Länder, dont celui du Bade-Wurtemberg, des dirigeants du secteur automobile nous avaient livré la même analyse.

Enfin, je vous remercie pour la précision de vos réponses, souvent « géolocalisées » de surcroît ! Je suis convaincu que nous aurons l'occasion de vous entendre à nouveau, notamment sur le devenir du produit automobile en tant que tel et sur les motorisations hybrides. S'il serait sans doute abusif de dire que nous avons un moteur d'avance, qu'il me soit permis de suggérer que nous avons peut-être un pas d'avance en ce domaine sur nombre de nos concurrents.

M.  François Brottes, coprésident. - L'examen des textes relatifs à la consommation suscite régulièrement un débat sur le rôle des concessions. Nous nous interrogeons en particulier, pour la carrosserie et les pièces mécaniques, sur la part de concurrence utile qui peut être admise sans déstructurer le dispositif, et sur les incidences que cela peut avoir sur l'emploi. Nous ne pouvions clore cette audition sans vous interroger sur ce sujet qui n'est certes pas conjoncturel, mais qui fait débat à l'Assemblée nationale depuis plusieurs années.

M. Philippe Varin. - Monsieur le président Raoul, je n'ai pas dit qu'il n'y avait pas de problème de coût du travail. J'ai précisé que celui-ci tenait non pas au différentiel actuel entre la France et l'Allemagne, mais à ce qui s'était passé depuis une dizaine d'années : le différentiel a disparu, nous ne l'avons cependant pas recouvré dans nos marges. C'est une réalité qu'il faut regarder en face.

Je vous remercie de vos commentaires sur l'accueil en concession. La montée en gamme de nos deux marques passe en effet par un accueil parfait dans les concessions. J'encourage donc chacun de vous à m'en faire part directement s'il constatait une anomalie : je suis le premier garant de la qualité de l'accueil des clients dans les concessions.

M. François Brottes, président. - Il est essentiel, dans le domaine des dessins et pièces, d'être extrêmement vigilant sur la qualité de ce qui est fourni en matière de pièces de rechange. On peut certes laisser une concurrence se débrider - c'est le cas dans certains pays. Mais les conséquences sur la qualité des pièces de rechange sont réelles, et l'impact sur l'emploi substantiel. C'est pourquoi nous avons pris une position très ferme sur le sujet.

En conclusion, je veux redire devant la représentation nationale qu'il est absolument nécessaire que le groupe fasse mouvement dans la situation où il se trouve. Je veux insister à nouveau sur la clarté de notre engagement en faveur d'un dialogue social exemplaire - nous ne laisserons personne seul face à son problème d'emploi. J'ai confiance, la voie que nous avons empruntée permettra un retour à la croissance et à l'équilibre du groupe, ainsi que la mise en oeuvre d'une stratégie plus offensive.

Je vous remercie de m'avoir permis d'apporter ces clarifications et je reste bien entendu à votre disposition.

M. François Brottes, président. - Nous vous remercions de votre contribution. Je remercie également le président Raoul et nos collègues sénateurs qui se sont joints à notre commission pour se livrer à cet exercice de transparence démocratique, qui fait partie de notre travail.

Cette audition n'est qu'un point de départ, car plusieurs chantiers nous attendent : l'analyse des coûts de production dans notre pays, qui concerne non seulement le coût du travail mais aussi celui de l'énergie, des normes de sécurité et environnementales, ou encore les questions de logistique ; la mise en oeuvre du plan automobile du Gouvernement ; les propositions des organisations syndicales ; l'analyse des experts ; le travail de M. Gallois, personnalité respectée dans l'industrie ; la mise en place, enfin, des dispositions en faveur de la sous-traitance, avec un regard particulier sur les relations financières entre donneurs d'ordres et fournisseurs. Tout cela s'inscrira dans le cadre de notre débat sur la transition énergétique et n'est pas très éloigné de la nécessité de sortir du tout-pétrole - qui passe notamment par la voiture électrique ou hybride.

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Avis sur une candidature aux fonctions de président de l'Institut national de la recherche agronomique - Résultats du scrutin

Puis la commission a procédé au dépouillement du vote intervenu sur la candidature de M. François Houiller à la présidence de l'Institut national de la recherche agronomique, intervenu à l'issue de son audition le mardi 17 juillet 2012.

Le résultat du dépouillement est :

- 12 voix en faveur de cette candidature ;

- 5 abstentions.