Mardi 2 octobre 2012

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Relations transatlantiques - Audition de Mme Alexandra de Hoop Scheffer, directrice de German Marshall Fund of the United States - France

La commission auditionne Mme Alexandra de Hoop Scheffer, directrice du German Marshall Fund of the United States - France, sur les relations transatlantiques.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Mme Alexandra de Hoop Scheffer, que nous avons le plaisir d'accueillir, dirige le bureau français du German Marshall Fund of the United States (GMF), institution américaine, fondée en 1972 et sans affiliation partisane, dont l'objectif est de promouvoir le dialogue et de contribuer au renforcement de la coopération sur les grands enjeux transatlantiques et internationaux. Seul think tank américain présent en France au travers de son bureau parisien, le GMF vient de publier un rapport très intéressant sur les relations transatlantiques.

Avant d'en diriger le bureau parisien, Mme Alexandra de Hoop Scheffer a travaillé à la direction de la prospective du quai d'Orsay et pour le ministère de la défense. Elle a aussi été conseillère auprès du SACEUR, le commandant suprême des forces alliées en Europe, l'amiral américain James Stavridis, qui est aussi le commandant des forces américaines en Europe.

Mme Alexandra de Hoop Scheffer est une spécialiste reconnue de la politique étrangère et de la défense des Etats-Unis. Elle mène de nombreuses activités de recherche et d'enseignement donnant lieu à la publication d'un grand nombre d'articles ou d'études.

Nous souhaiterions vous entendre en particulier sur le bilan du mandat de Barack Obama et les évolutions possibles dans la perspective des prochaines élections présidentielles - ici, il serait élu à la quasi-unanimité. Que faut-il penser du bilan de Barack Obama en matière de politique étrangère et de défense ? Comment expliquer l'absence de ces questions dans la campagne présidentielle, et faut-il s'attendre à des évolutions en cas de victoire des républicains ? Après une période assez interventionniste, assiste-t-on à un mouvement vers plus d'isolationnisme, comme cela a souvent été le cas ?

Pourriez-vous aussi nous éclairer sur la nouvelle stratégie américaine de recentrage sur l'Asie Pacifique et sur l'appel lancé aux Européens afin qu'ils assurent leur propre sécurité ? Je note toutefois que si, l'an dernier, l'opinion américaine souhaitait ce mouvement vers l'Asie Pacifique, elle se prononce désormais fortement en faveur d'un recentrage sur l'Europe.

Les Etats-Unis considèrent-ils la Chine comme le principal enjeu, voire comme une menace, et l'Asie comme une source potentielle de tensions à la lumière notamment des récents événements en mer de Chine ? Que faut-il penser de l'approche américaine à l'égard du Proche et du Moyen-Orient ? Après le discours du Caire, et malgré les espoirs suscités par le printemps arabe, comment expliquer l'échec américain dans le dossier israélo-palestinien ? Les Etats-Unis pourront-ils résister longtemps aux pressions israéliennes en faveur d'éventuelles frappes préventives contre l'Iran ? Enfin, qu'en est-il de la réduction du budget de la défense que nous avons cependant jugée mineure dans la mesure où, si l'on en retranche les dépenses liées aux opérations Afghanistan, il reste en augmentation ? Quelles sont ses conséquences possibles pour l'OTAN et les Européens, par exemple en ce qui concerne le stationnement des forces américaines en Europe ou les industries de défense, sujet qui nous importe beaucoup ?

Mme Alexandra de Hoop Scheffer, directrice du German Marshall Fund of the United States - France. - Je vous remercie, Monsieur le Président, de cette présentation et d'avoir bien voulu me donner cette opportunité d'aborder avec la Commission le sujet des relations transatlantiques et de la politique étrangère américaine dans une optique à la fois de bilan du premier mandat du président Barack Obama et d'exercice prospectif, dans le contexte des prochaines élections américaines.

Comme vous l'avez annoncé dans votre propos introductif, le German Marshall Fund of the United States (GMF) vient de publier son rapport annuel Transatlantic Trends, une étude qui s'appuie sur des sondages d'opinion effectués aux Etats-Unis, dans douze pays de l'Union européenne, en Russie et en Turquie. Ces regards croisés des opinions américaines et européennes sur les questions économiques, sociales et géopolitiques offrent une grille de lecture des grandes tendances qui marquent les relations transatlantiques. Le rapport de cette année revient en particulier sur le bilan du premier mandat du Président Barack Obama et sur les enjeux internationaux qui ont marqué l'année 2012, dans un contexte où l'effet Obama perdure en Europe, et ce tout particulièrement en France. Permettez-moi de me servir de quelques tendances fortes qui se dégagent de ce rapport sur l'état de la relation transatlantique et les questions de politique étrangère, pour introduire les points que vous avez soulevés dans vos questions.

Tout d'abord, le rapport envoie un signal rassurant quant à l'état des relations transatlantiques, dont la solidité n'est pas affectée par le « rééquilibrage » stratégique des Etats-Unis vers l'Asie. La crise économique et les crises géopolitiques semblent avoir renforcé les liens entre les deux côtés de l'Atlantique : les opinions publiques souhaitent le renforcement d'une coopération fondée sur des valeurs et des intérêts communs - c'est le cas pour trois quarts des Français interrogés. Américains et Européens espèrent aussi un leadership fort des Etats-Unis et de l'Union européenne dans les affaires internationales, ce qui était moins le cas pendant les années Bush.

A l'approche des élections américaines, les Européens continuent d'approuver la politique étrangère de Barack Obama (sur des sujets comme l'Afghanistan, l'Iran ou la Russie), malgré des résultats en baisse depuis la première année de son mandat. Ils sont 71 % - une proportion stable par rapport à 2011 - à approuver sa politique de lutte contre le terrorisme.

Surtout, l'on observe une convergence croissante des opinions américaine et européenne sur l'ensemble des grands dossiers de politique étrangère.

S'il existe une adhésion très large au principe de la « responsabilité de protéger », l'opinion publique transatlantique s'oppose majoritairement à l'idée d'une intervention militaire en Syrie (défavorable à 59 % pour l'Union Européenne, et à 55 % aux États-Unis). De même, si les Américains se déclarent plus en faveur (18 %) que les Européens (7 % en moyenne, et 10 % en France) d'une option militaire afin d'empêcher l'Iran d'obtenir la bombe nucléaire en cas d'échec de toutes les autres options non-militaires, le recours à des sanctions économiques reste pour les Etats-Unis l'instrument privilégié (32 %) tandis que les Européens privilégient eux les incitations économiques (34 %). Un exemple particulièrement intéressant de cette convergence croissante : 53 % des Européens se disent favorables au retrait total des troupes d'Afghanistan, un chiffre qui atteint les 44 % aux Etats-Unis, alors qu'il n'était que de 35 % en 2011.

Une importante majorité des Européens interrogés (58 %) continue de considérer l'OTAN comme essentielle pour leur sécurité nationale (dont 60 % des Français). Une majorité d'Américains partage cet avis (56 %), bien que le partage des tâches et du financement de l'Alliance continue de faire débat, et que le soutien de l'opinion publique envers l'OTAN ait diminué aux États-Unis de 6 points depuis 2011.

On remarque enfin que seulement 32 % des Américains et 39 % des Européens (38 % des Français) souhaitent une baisse des dépenses militaires. En revanche, lorsque l'on demande aux Européens si le rééquilibrage américain en faveur de l'Asie justifie une augmentation des dépenses militaires de leurs pays, ils répondent majoritairement par la négative. Ces grandes tendances transatlantiques permettent de saisir le contexte du bilan de Barack Obama en matière de politique étrangère et de défense.

1 - Un bilan de la politique étrangère de Barack Obama

Le fil conducteur du premier mandat de Barack Obama a été exprimé de façon particulièrement claire lorsque, le 1er décembre 2009, tout en annonçant le déploiement de 30 000 militaires supplémentaires en Afghanistan, il a déclaré : « la nation que je tiens le plus à bâtir est la nôtre ». La tension constante entre urgences intérieures et défis extérieurs explique pour une large part les orientations et les réorientations de la politique du président américain.

L'économie est plus que jamais une question de sécurité nationale, la dette publique constituant, selon les mots de l'ancien secrétaire à la défense, Robert Gates, dans ses discours d'adieu de 2011, la plus grave menace pour le pays - la dette américaine dépasse les 16 000 milliards de dollars en 2012. La priorité donnée à la réduction des dépenses publiques a beaucoup pesé sur la décision de retirer les troupes américaines d'Irak ou sur l'accélération de la phase de transition en Afghanistan. Il s'agit de gérer l'urgence et les conséquences de la crise économique et financière qui exigent une forte concentration de l'action publique sur les problèmes intérieurs et une réduction concomitante des budgets consacrés à l'action extérieure, tout en veillant à ne pas soustraire les Etats-Unis de leurs responsabilités internationales. Réduire les engagements militaires américains à court et moyen terme pour reconstruire une Amérique économiquement plus forte sur le long terme, tel est le fondement de la politique actuelle.

Rattrapé par le printemps arabe et confronté au refus de coopération de gouvernements auxquels il a tendu la main et à l'émergence de puissances déployant des stratégies de blocage au sein du conseil de sécurité de l'ONU, Barack Obama est très vite revenu à une posture plus pragmatique qu'en 2008. Tout comme il a surestimé sa capacité à « changer Washington », il a aussi surestimé sa capacité à changer l'attitude de certains acteurs de la scène internationale et à modifier l'image des Etats-Unis dans le monde. Ses premières décisions doivent être analysées au prisme de cette volonté de changement.

Or l'héritage de Bush a continué à peser de manière significative sur la vision que l'opinion publique, en particulier au Moyen-Orient, porte sur les Etats-Unis. Paradoxalement, alors que le début de son mandat avait été marqué par le discours du Caire appelant à la réconciliation avec le monde arabo-musulman, il s'achève sur des manifestations partout dans le monde qui, sous prétexte de manifester contre un film islamophobe, remettent en cause l'hégémonie américaine et dénoncent l'échec de sa diplomatie au Proche et au Moyen-Orient.

Conscient des limites des moyens et de l'influence des Etats-Unis dans le monde dès sa campagne de 2008, Obama l'est encore plus à la fin de son mandat. Cette posture réaliste est, en période d'élections, dénoncée par les républicains et les commentateurs néoconservateurs comme décliniste. A l'inverse, Mitt Romney se présente comme le candidat du renouveau du leadership américain, mais peine à convaincre une Amérique moins interventionniste, fatiguée par plus de dix années de « guerre contre le terrorisme ».

En réalité, la politique étrangère d'Obama se conçoit et se déploie dans un double contexte contraignant : la première contrainte, géopolitique, résulte de la guerre en Irak et, surtout, de ses implications durables pour le soft power américain, ayant renforcé l'anti-américanisme partout dans le monde et en particulier dans la région du Moyen-Orient. La seconde est d'ordre économique : les Etats-Unis n'ont plus les moyens d'une politique étrangère ambitieuse. Lorsque Mitt Romney déclare qu'il remontera la base du budget de la défense à un minimum de 4 % du PIB, c'est impossible ; cela représenterait une augmentation d'environ 2 000 milliards de dollars sur les dix prochaines années par rapport au plan d'Obama. La dernière fois que la base du budget de la défense américain représentait 4 % du PIB, c'était en 1992. A noter que même sous G.W. Bush, la base du budget de défense (excluant les opérations en Irak et en Afghanistan) représentait en moyenne 3,3% du PIB américain. Enfin, la réduction du budget de la défense préconisée par l'administration Obama est à relativiser, représentant une baisse de seulement 1,6 % du budget de base du Pentagone sur les cinq années à venir. Ainsi, Barack Obama ne propose pas de réductions nettes du budget militaire américain, mais simplement un ralentissement du rythme de la hausse des dépenses, ainsi qu'une revue à la baisse des objectifs stratégiques. Dorénavant, l'objectif du Pentagone ne sera plus que de gagner deux guerres simultanées (win-win), mais de gagner un front tout en restant capable de contenir un autre adversaire sur un second front (win-spoil) et en menant un nombre limité d'opérations.

La plupart des initiatives prises par l'administration Obama dès la première année de son mandat, se sont soldées par des échecs stratégiques : le partenariat avec la Chine ; la relance des relations avec la Russie - le reset - ; les ouvertures envers le régime iranien ; la politique au Proche-Orient ; la politique contradictoire du renfort et du retrait militaires en Afghanistan ; enfin le discours d'ouverture envers le monde musulman s'est traduit par une politique du tâtonnement et sélective. Les limites de ces ouvertures diplomatiques résident dans la fragilité même d'une politique qui parie sur la coopération de l'autre. Or, face au refus de ces pays à coopérer, Barack Obama a très vite mis de côté la teneur progressiste de son programme de campagne en adoptant une politique beaucoup plus ferme à l'égard de l'Iran et de la Corée du Nord, mais aussi vis-à-vis de la Chine et de la Russie. En Chine, l'époque de la « coopération pragmatique » et de la « réassurance stratégique » entamée par Obama en 2009, est révolue. Le refus de la Chine à agir de manière responsable dans sa région et au sein du Conseil de sécurité de l'ONU, les tensions en 2010-2011 entre la Chine, le Japon, les Philippines, la Corée du Sud et le Vietnam, ont contribué au durcissement de la politique américaine. Au Proche-Orient, alors que Barack Obama avait présenté la résolution du conflit israélo-palestinien par une solution à deux Etats comme l'un des grands objectifs de sa première année de présidence, il a dû abandonner dès la fin de l'année 2010 l'idée d'obtenir un gel de la colonisation israélienne en Cisjordanie afin de relancer les négociations, se heurtant au refus catégorique d'Israël.

Le paradoxe de la politique étrangère de Barack Obama est qu'il a poursuivi en grande partie la politique du second mandat de son prédécesseur, y compris en renforçant la lutte contre le terrorisme et le recours aux drones et obtient en fin de compte parfois plus de soutien dans le camp républicain qu'au sein de sa base électorale. C'est le cas pour le renfort militaire (surge) en Afghanistan ; le renforcement des sanctions contre l'Iran ; la ratification des traités de libre-échange avec la Corée du Sud et la Colombie négociés par les républicains.

2 - Le rééquilibrage de la politique étrangère américaine et l'avenir du leadership des Etats-Unis

Toute la politique étrangère et de défense de l'administration Obama tient en un mot : le rééquilibrage. Ce rééquilibrage, initialement désigné d'après la métaphore sportive de «  pivot », est appelé à se poursuivre. Il porte tout d'abord sur les priorités géostratégiques, l'accent étant clairement mis sur l'Asie Pacifique et non plus sur l'Europe, ce qui n'est pas nouveau en soi.

Rééquilibrage, également, des instruments de la politique étrangère, en sortant du tout militaire pour privilégier la diplomatie, l'aide au développement, la formation de forces étrangères, les sanctions économiques ou le recours aux drones au lieu de déployer de larges contingents à l'étranger. Sur l'Iran par exemple, malgré la forte pression du premier ministre israélien, Barack Obama donne la priorité à la diplomatie, dans une optique de double prévention, à la fois d'un Iran nucléaire et de frappes militaires israéliennes.

Par ce rééquilibrage, Obama redéfinit le leadership américain. La Libye en a été l'illustration, même si l'expression de « leading from behind », autre expression malheureuse reprise par la presse, ne traduit qu'imparfaitement la réalité. Dans des situations de conflit où leurs intérêts vitaux ne sont pas en cause, les Etats-Unis ne prennent pas le leadership des opérations militaires, mais le délèguent, voire le transfèrent à leurs partenaires. A l'heure des réductions budgétaires, leadership et partenariats vont de pair et ce de manière croissante : pour Obama, le vrai leadership doit créer les conditions et les coalitions pour que les autres contribuent au règlement des crises : c'est grâce à des partenariats solides partout dans le monde que les Etats-Unis pourront maintenir leur leadership.

Le président Obama l'a bien compris, le leadership des Etats-Unis n'est plus un acquis et sera de plus en plus contesté et concurrencé, mais il sera aussi de plus en plus nécessaire et dépendant d'autant plus d'alliances solides et renouvelées. Une réflexion plus large sur l'avenir du leadership des Etats-Unis d'ici 2030 est d'ailleurs actuellement menée par le National Intelligence Council, dans le cadre de la préparation du rapport Global Trends 2030. La volonté de « maintenir » le leadership américain, et non plus de l'imposer, est devenue un principe fondateur de la politique étrangère et de défense de l'administration Obama. En témoigne l'intitulé, Sustaining the United States Global Leadership, donné à la nouvelle stratégie de défense exposée en janvier dernier. A l'inverse, Mitt Romney, qui réaffirme l'idée du « siècle américain », promet le retour d'un leadership fort et plus ferme. Or, la conception de Mitt Romney ne prend pas en compte ce qui est sans doute le plus grand défi stratégique pour les Etats-Unis mais aussi leurs alliés européens, à savoir qu'ils seront économiquement de plus en plus dépendants d'Etats (en premier lieu la Chine) qui risqueraient de leur poser des menaces d'ordre sécuritaire. C'est pour cette raison que les solutions simples du passé, comme l'endiguement, ne seront plus possibles. La communauté transatlantique devra donc développer de nouvelles solutions stratégiques lui permettant de bénéficier des relations économiques avec tous les Etats, y compris des potentiels adversaires, tout en empêchant ces rivaux de menacer ses intérêts sécuritaires, y compris en faisant jouer le rapport de forces entre alliés.

3 - La place de la politique étrangère dans la campagne présidentielle américaine

Certes, les élections ne se jouent pas sur les questions de politique étrangère, mais sur les enjeux socio-économiques internes aux Etats-Unis, prioritaires pour les Américains (chômage, emploi, etc.). Mais cela ne signifie pas pour autant que les questions de politique étrangère soient complètement absentes de la campagne électorale.

Quelques sujets internationaux ont marqués la campagne de 2012 :

- Le thème du déclin des Etats-Unis. Romney reproche à Obama d'avoir contribué à affaiblir le leadership des Etats-Unis (en déléguant à la France et au Royaume-Uni en Libye ; en tendant la main naïvement à l'Iran, la Syrie, la Corée du Nord, la Chine et la Russie en début de mandat ; en s'excusant trop, notamment auprès des pays du Moyen-Orient et Afrique du Nord pour les erreurs du passé). Il s'est d'ailleurs servi du thème de son ouvrage Pas de repentance : les raisons de la grandeur de l'Amérique, (2010), pour formuler ses principales critiques envers Obama.

- Le budget de la défense que Romney souhaiterait ramener à 4 % du PIB s'il est réélu, accusant Obama de mettre en péril la sécurité nationale en incluant des coupes dans le budget de défense dans son plan de réduction de la dette publique.

- Le dossier nucléaire iranien au travers des pressions que le Premier ministre israélien a exercé auprès d'Obama et de sa proximité affichée avec Romney. Les pressions israéliennes à propos de l'Iran rappellent celles de 2008 et sont représentatives d'un phénomène de conjoncture plus directement lié à la période électorale américaine caractérisée par une certaine fragilité du leadership américain à un moment où chaque décision prise par le président sortant est amplifiée politiquement et peut jouer contre sa réélection si elle est perçue négativement par l'opinion américaine. De même, la façon dont la Chine teste la volonté de réengagement des Etats-Unis en Asie et en Mer de Chine, et la décision du Président russe de réactiver les tensions russo-américaines en interdisant l'action de l'USAID dans son pays à partir du 1er octobre 2012, sont à la fois des défis au leadership américain et des signaux adressés à Washington pour la période qui suivra.

- L'appropriation des questions de politique étrangère par le parti démocrate est notable dans cette campagne. Alors que les républicains avaient traditionnellement l'initiative sur les sujets de sécurité et défense internationales, les démocrates se sont réapproprié ces thèmes, et font désormais valoir leur approche et savoir-faire, en mettant en avant la fermeté de leur approche de la lutte contre le terrorisme culminant dans la mort de Ben Laden, principal succès du mandat de Barack Obama et qu'il n'hésite pas à rappeler dans chacun de ses discours de politique étrangère.

Romney souffre d'un lourd handicap : l'héritage de G.W. Bush duquel il est difficilement dissociable, en particulier parce qu'il s'est entouré d'anciens conseillers de G.W. Bush dans son équipe de campagne, dont beaucoup ont oeuvré à l'intervention en Irak de 2003. L'ancien président Bill Clinton a d'ailleurs tout particulièrement insisté sur ce point à la Convention démocrate de Charlotte, en Caroline du Nord : si Romney est élu, les Etats-Unis reviennent quatre années en arrière. Ainsi, bien qu'ils tentent d'utiliser les évènements au Moyen-Orient et la question de l'Iran nucléaire pour attaquer la politique d'Obama, les Républicains ne souhaitent pas particulièrement entrer dans un débat sur les questions de politique étrangère, n'ayant pas de politique cohérente et unifiée à offrir. La tonalité néoconservatrice de ses postures est en décalage avec une Amérique peu disposée à entrer dans une nouvelle ère d'interventionnisme.

Par ailleurs, je ne soutiens pas la thèse d'un retour à l'isolationnisme. En revanche, la politique étrangère américaine devrait être plus prudente et plus consciente de ses limites, à la fois en termes de moyens et de capacité à peser sur les événements, même si là encore des surprises stratégiques peuvent toujours survenir, obligeant les Etats-Unis à devoir se réengager, y compris de manière prépondérante, dans le cas où leurs intérêts vitaux seraient en jeu. A ce titre, il convient de ne pas perdre de vue les risques actuels en mer de Chine.

4 - Les implications du rééquilibrage américain vers l'Asie pour l'Europe

Le rééquilibrage vers l'Asie s'est fait sans l'Europe mais non contre l'Europe, même si, en février 2012, la secrétaire d'Etat Hillary Clinton a annoncé une baisse de 18 % des dépenses du Département d'Etat affecté à l'Europe, l'Eurasie et à l'Asie centrale, au profit de régions où les priorités sont plus urgentes et ce en priorité en Asie.

Cela n'est pas nouveau car, lorsque j'étais à la direction de la Prospective du Quai d'Orsay et que j'interrogeais mes interlocuteurs américains au département d'Etat sur le temps de travail quotidien qu'ils consacraient à l'Europe, celui-ci était très faible, consacrant leur temps davantage à la Turquie, la Russie, aux Balkans et au Caucase qu'à l'Europe occidentale. Barack Obama est sans doute le président américain qui l'a signifiée de la façon la plus nette.

Dans la mesure où il fait l'objet d'un consensus bipartisan, ce rééquilibrage devrait se poursuivre quel que soit le résultat des élections. Les Etats-Unis continueront à accorder une grande importance à la prévention d'une éventuelle confrontation avec la Chine. Ils ont d'ores et déjà commencé à renforcer les liens avec les pays de la région - le Japon, l'Australie, les Philippines, le Vietnam et Singapour - et à s'investir davantage dans les organisations régionales, de façon à contrebalancer l'influence de la puissance chinoise. Il s'agit ainsi d'un double rééquilibrage : des ressources militaires américaines d'autres régions vers l'Asie d'une part et rééquilibrage au sein de la région Asie-Pacifique, en réduisant la concentration des forces en Asie du Nord-Est pour les distribuer au travers de toute la région. Ainsi, l'annonce du rééquilibrage vers l'Asie s'accompagne de la décision de retirer deux brigades stationnées en Allemagne et de compenser par des unités américaines rotatives pour des exercices et des missions de formation.

Mais, le rééquilibrage des Etats-Unis vers l'Asie ne s'accompagne pas d'une vision stratégique cohérente et bien définie pour l'instant, elle s'affinera dans les quatre années à venir ; les initiatives demeurent symboliques, comme le déploiement de 2 500 Marines en Australie ou le nouvel investissement dans les organisations régionales asiatiques. La politique étrangère du prochain président des Etats-Unis sera jugée en grande partie en fonction de sa manière de gérer sa relation avec la Chine, sachant que les pays de l'ASEAN et l'Australie ne veulent pas choisir entre les Etats-Unis et la Chine (la Chine est le partenaire commercial le plus important de l'Australie) et rejettent une approche sur-militarisée de la région.

Quelles implications cela pourrait-il avoir pour l'Europe ? Washington attend des Européens qu'ils clarifient leurs intérêts en Asie pour entamer un dialogue et une coopération transatlantique plus que nécessaire sur les questions de sécurité maritime et de coopération économique dans la région. On peut dire que le rééquilibrage américain vers l'Asie est en partie dépendant de la capacité de l'UE à acquérir une plus grande autonomie stratégique, à s'occuper de ses voisinages est-européen, méditerranéen et nord-africain et à réfléchir collectivement à sa politique étrangère et de défense. Or, la Libye montre que les Européens n'ont pas de vision commune des crises. L'intervention militaire en Libye est un précurseur de tendances futures: les Etats-Unis ne prendront pas le leadership d'opérations militaires qu'ils estiment relever des intérêts européens avant les leurs, tandis que les Européens resteront dépendants des Etats-Unis pour pallier leurs déficiences capacitaires ; la Libye pourrait ainsi être le nouveau modèle et non l'exception pour le partenariat stratégique Etats-Unis-UE. De même, la phase de transition et le retrait des troupes d'Afghanistan devraient être l'occasion de réfléchir à la nature et l'étendue même de la mission FIAS et aux missions futures l'OTAN de manière générale.

Certes, Washington continuera à accorder une place secondaire à l'UE dans sa vision stratégique du monde, mais continuera à se tourner vers elle ponctuellement pour formuler et coordonner des réponses face à des enjeux sécuritaires qui rassemblent les Européens autour d'une position commune (sanctions contre l'Iran et la Syrie par exemple). Les menaces sont multidimensionnelles et globales : le Sahel, l'Iran et le Caucase présentent des menaces immédiates ; les crises potentielles sont nombreuses (Inde-Pakistan, Taiwan et Chine) ; les défis économiques et politiques (contraintes financières et volonté politique) limitent l'action extérieure ; tandis que les potentiels « vides » ne permettent pas d'anticiper les évolutions de l'ordre international, avec le risque que les pays occidentaux continuent à perdre leur capacité et leur volonté de façonner l'ordre international, alors que les puissances émergentes ne proposent pour l'instant aucune alternative.

Or, les Etats-Unis souhaitent une UE plus forte et unie à un moment où elle est concentrée sur la gestion de la crise et divisée sur les questions de politique étrangère et de défense.  Le paradoxe est le suivant : le partenariat transatlantique est plus que jamais nécessaire pour répondre aux défis internationaux - et les récentes opérations militaires devraient être porteuses de leçons apprises -, mais il est aussi devenu de plus en plus insuffisant pour Washington qui cherche à élargir ses partenariats extra-européens à l'OTAN et en Asie.

Un consensus est dorénavant partagé des deux côtés de l'Atlantique autour d'une coopération sélective comme format de coopération transatlantique : celle-ci se fait de manière ad hoc et à géométrie variable (whatever works) avec de plus en plus une volonté d'inclure des alliés régionaux pour apporter plus de légitimité et « désoccidentaliser » les décisions politiques. Le format importe peu pour Washington, du moment que la coalition formée donne des résultats. En même temps, l'administration Obama se rend compte qu'elle ne peut pas toujours déléguer à d'autres sur un certain nombre de dossiers, notamment au Moyen-Orient où les tentatives de régionalisation de la gestion des crises par le biais du relais turc ont échoué.

Le rééquilibrage des Etats-Unis vers l'Asie implique aussi un rôle moins prédominant des Etats-Unis au sein de l'OTAN ; comme le souligne les travaux préparatifs du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, cela devrait permettre aux Européens de renforcer leur poids politique face aux Etats-Unis au sein de l'Alliance. Mais cette évolution ne pourra avoir lieu que si elle s'appuie sur des contributions financières et militaires crédibles. Les concepts de « smart defense » et de « force connectées » sont devenus au sein de l'OTAN des formules qui doivent permettre d'optimiser la mise en commun des capacités de défense transatlantiques et tirer les leçons de Libye, mais ces initiatives doivent s'appuyer sur un recours équilibré aux industries de défense américaines et européennes. Au terme du partage géographique des rôles clairement indiqué dans la nouvelle stratégie de défense américaine énoncée début janvier 2012, les Etats-Unis sont dans un moment d'infléchissement stratégique : après une décennie de « guerre contre le terrorisme » et d'opérations de contre-insurrection en Irak et en Afghanistan, maintenant est venu le moment de se refocaliser sur les défis sécuritaires post-Irak et post-Afghanistan, en se concentrant sur l'Asie-Pacifique et la sécurité de la région du Golfe au Moyen-Orient. Dans cette optique, le cas de la Libye n'a donc rien d'exceptionnel ; il est plutôt annonciateur de cette nouvelle répartition. Toutefois, les Etats-Unis continueront à intervenir de manière ponctuelle et limitée dans la Corne de l'Afrique (Somalie) et au Sahel pour lutter contre le terrorisme.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Les Américains viennent d'annoncer qu'ils apporteraient leur aide au Mali, ce qui va dans ce sens.

Mme Alexandra de Hoop Scheffer. - Tout à fait.

5 - L'impasse du Proche-Orient ; la problématique iranienne

Au Proche-Orient, l'administration Obama reconnaît son échec, alors même que le président s'y est personnellement impliqué. Cet échec s'est très vite manifesté par un double contournement de la politique américaine : d'une part, par le Premier ministre israélien qui n'hésite pas à instrumentaliser le Congrès - le plus pro-israélien de toute l'histoire américaine - contre le président Obama, pour en faire un instrument de pression et de blocage potentiel de l'action du président, et, d'autre part, celui du Président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qui a recouru directement au Conseil de sécurité des Nations unies pour réclamer le statut d'Etat membre de l'ONU et aujourd'hui d'Etat non-membre.

La marge de manoeuvre du président américain s'est rapidement trouvée réduite. Netanyahu n'est-il pas parvenu à ce que le dossier iranien éclipse quasiment le conflit israélo-palestinien au sein de l'Assemblée générale des Nations unies ? On est ici loin de la smart diplomacy promue par l'administration Obama en début de mandat : Hillary Clinton avait dès 2009, tenté de lier les dossiers israélo-palestinien et iranien : si Netanyahu reprenait les négociations de paix, alors il pourrait bénéficier du soutien des pays arabes face à l'Iran. Barack Obama se démarquait de son prédécesseur, en adoptant une approche holistique des crises de la région du Moyen-Orient, au détriment d'une lecture compartimentée des dossiers. La nomination de George Mitchell comme envoyé spécial au Proche-Orient semblait alors confirmer cet infléchissement. Mais les négociations diplomatiques que le diplomate espérait entamer, n'ont jamais eu lieu.

Exiger des Israéliens un gel des colonisations dès le discours du Caire, sans obtenir de garanties préalables de leur part à ce sujet, a été une erreur politique de Barack Obama et qui au lieu de restaurer la crédibilité américaine sur ce dossier, l'a érodée. Dès novembre 2009, la secrétaire d'Etat américaine estime que l'arrêt de la construction des colonies n'a jamais été une précondition. Le veto américain de février 2011 pour bloquer un projet de résolution (soutenue par 14 membres du Conseil de sécurité de l'ONU) dénonçant la politique de colonisation d'Israël, a contribué à isoler les Etats-Unis et à les distancier de leurs alliés les plus proches (France, Grande-Bretagne et Allemagne).

Si Obama avait présenté la reprise des pourparlers de paix comme le point de départ du déblocage d'un bon nombre de dossiers dans la région, c'est finalement le « printemps arabe » qui rappelle la nécessité d'apporter une réponse à ce conflit. Or, là aussi, si, pour Obama, l'objectif était de crédibiliser son propos plus large de soutien des révoltes arabes et de proclamer la volonté des Etats-Unis d'un « reset » de leur politique au Proche-Orient, en appelant à la création d'un Etat palestinien sur la base des frontières de 1967 (même si cette posture n'était pas nouvelle en soi, car déjà soutenue par ses prédécesseurs), l'échec de la politique américaine est très fortement ressenti au sein de l'opinion arabo-musulmane qui continue de porter une vision très majoritairement négative sur le leadership des Etats-Unis dans la région. Selon un sondage du Gallup, seulement 20 % des adultes interrogés dans douze pays de la région approuvent la politique de Barack Obama, ce chiffre n'ayant cessé de baisser depuis 2009.

Sur l'Iran, Barack Obama a clairement signifié qu'il ne tolérerait pas un Iran doté de l'arme nucléaire et agirait, y compris par la force militaire si nécessaire, pour prévenir un tel scénario, et par là-même ne pratique pas une politique d'endiguement, mais une politique de prévention, je dirai même de double prévention, d'un Iran nucléaire et d'éventuelles frappes préventives israéliennes. La réalité de la détérioration de la relation personnelle entre Obama et Netanyahu, les pressions du Congrès et les promesses déçues, font souvent oublier que l'administration Obama a accru son aide militaire à Israël chaque année depuis 2009, fournissant près de 10 milliards de dollars sur trois années - soit un cinquième du budget de la défense israélienne - et renforcé la coopération dans domaine de la défense.

Aux Etats-Unis, l'électorat juif, traditionnellement démocrate, n'est pas affecté par les questions de politique étrangère : les derniers sondages montrent qu'entre 65 %-70 % des Juifs aux Etats-Unis voteront pour Obama, contre 25-30 % pour Mitt Romney, sachant que ce qui les préoccupe en premier lieu, est la situation économique, la réforme de l'assurance santé et le projet de loi sur l'avortement, bien avant l'état des relations Etats-Unis-Israël et le conflit israélo-palestinien sur lequel les juifs américains portent des avis partagés.

6 - Une sélectivité inévitable face aux révoltes arabes

Lorsque l'on examine la politique américaine face aux révoltes arabes, l'on est loin du discours du Caire de juin 2009. Mais qui aurait pu respecter les principes qu'il énonçait ? La politique américaine dans la région est nécessairement sélective, et il est impossible de concilier soutien à la démocratie et stabilité régionale. Aussi, l'administration Obama a-t-elle oscillé entre trois politiques différentes, selon le degré d'urgence de la situation, l'importance des intérêts stratégiques des Etats-Unis dans le pays concerné et la place stratégique de ce dernier dans la région : l'accompagnement des révoltes en Tunisie, en Egypte et en Libye - dans ces cas, c'est l'escalade de la violence qui finit par contraindre l'administration américaine à durcir ses positions et actions au dernier moment, lorsque la fin du régime en place s'avère inéluctable (la fin du régime d'Assad en Syrie a, à cet effet, été surestimée) ; l'incitation aux réformes politiques auprès de leurs alliés du Golfe (« diplomatie du haut-parleur ») couplée d'un soutien rhétorique aux revendications des mouvements contestataires ; et, enfin, la consolidation des alliances militaires avec les pays du Golfe, en dépit par exemple de la répression violente des mouvements de protestation au Bahreïn, par le gouvernement de Manama, avec l'appui militaire de l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et du Koweït. La politique américaine de régionalisation de la gestion des crises (par le Qatar et l'Arabie saoudite en Syrie) à défaut d'une internationalisation de toute manière bloquée au Conseil de sécurité de l'ONU, comporte d'énormes risques de déstabilisation durable de la région, les relais régionaux agissant en faveur de leurs propres intérêts politiques et stratégiques. L'échec de la diplomatie régionale est vivement critiqué y compris au sein du parti démocrate et du milieu des intellectuels de gauche : l'administration Obama est critiquée pour ne pas avoir compris les dynamiques des relations israélo-américaines ou de la question israélo-palestinienne ; pour n'avoir pas su ménager ses alliés dans la région, en particulier l'Arabie saoudite qui connaît la crise la plus grave dans sa relation avec les Etats-Unis ; pour avoir sous-estimé le conflit en Libye et l'ampleur de la reconstruction. Les dynamiques régionales s'autonomisent de l'influence américaine et la diplomatie des Etats-Unis tente de réagir en coulisses ou en soutien à ses alliés européens quand la diplomatie du haut-parleur appelant au regime change ne suffit plus (Libye, Syrie). La stratégie dite du « leading from behind » tant critiquée à Washington pendant la phase des opérations militaires en Libye, a un bel avenir.

M. Xavier Pintat. - Alors que le reset devait être une priorité, l'attitude du Congrès et les propos inquiétants de Mitt Romney contribuent aux tensions avec la Russie. Cette situation va-telle perdurer ou se calmera-t-elle après les élections ?

Dans le contexte que vous avez décrit d'un Congrès insaisissable et de groupes de pression divers, les Etats-Unis pourront-ils résister durablement aux pressions israéliennes en faveur de frappes préventives contre l'Iran ?

M. Jacques Gautier. - Le basculement de la stratégie américaine a des incidences directes sur les réflexions que nous menons dans le cadre du Livre blanc français. Nombre d'experts nous ont indiqué que les Américains se concentreraient désormais sur un seul front stratégique, l'Asie, et que leur effort en Libye, s'il nous a semblé représenter un minimum, constituerait plutôt un maximum par rapport à ce qui nous attendait. Partagez-vous ces avis ? A-t-on conscience que les deux seules puissances européennes à maintenir un effort de défense, le Royaume-Uni et la France, sont incapables de mener une opération majeure sans le soutien américain ?

M. Robert del Picchia. - Sans les images...

M. Jacques Berthou. - Comment expliquer l'échec de Barack Obama dans le dossier israélo-palestinien, alors que 70 % du vote juif lui est favorable ? Comment améliorer l'image des Etats-Unis et, partant, de l'Occident, auprès de l'opinion arabo-musulmane ?

M. Jean-Claude Peyronnet. - Ce désastre d'image n'est-il pas essentiellement dû à des raisons de politique intérieure ? Quelle est la politique américaine en matière de lutte contre la drogue à ses portes, en Colombie ou au Mexique ? Enfin, quelle est l'attitude américaine sur l'adhésion de la Turquie à l'Europe ?

Mme Alexandra de Hoop Scheffer. - Il y a peu encore, l'amélioration des relations entre la Russie et les Etats-Unis était perçue comme un des grands succès de la politique étrangère de Barack Obama, donnant lieu à des accords stratégiques, mais qui a peiné à trouver une dynamique et les dernières élections russes rendent toute perspective d'amélioration encore plus compliquée. L'administration Obama, qui pensait avoir franchi une étape, est confrontée à un retour en arrière. Au départ, l'objectif de l'administration américaine était d'élargir la coopération avec la Russie sur plusieurs dossiers comme l'énergie, l'Afghanistan, la prolifération nucléaire, et lutte contre le terrorisme. En parallèle, Obama n'a pas insisté sur la question des droits de l'Homme ou de la démocratie en Russie.

Or, quatre ans après, il y a beaucoup plus de sujets de tension que de coopération entre les Etats-Unis et la Russie : le bouclier anti-missile, l'application de sanctions vis-à-vis de l'Iran, l'intervention en Libye et enfin le conflit en Syrie ont fortement refroidi ces tentatives de rapprochement. Tous ces évènements ont souligné de graves différences d'intérêt, mais révèlent aussi des ambitions internationales parfois opposées (comme l'avaient révélé le cas du Kosovo ou l'invasion en Géorgie dans le passé). Aujourd'hui, les relations Etats-Unis - Russie se cristallisent donc autour de ces points de désaccord et non plus autour de projets communs.

De façon générale, l'administration américaine a tendu la main à des pays comme la Chine, l'Iran ou la Russie, mais sans assurance de coopération en retour. Ce que j'appelle le « pari de la coopération » ne se traduit pas systématiquement par une réelle coopération.

Il me semble essentiel de comprendre que du fait des élections américaines, Israël, la Chine, la Russie durcissent leurs discours pour faire monter les enchères, mais le nuanceront en cas de réélection du président Obama. D'ailleurs, le recours à des frappes contre l'Iran ne fait pas consensus au sein de la classe dirigeante israélienne.

Quant à l'électorat juif, comme je l'ai souligné, son vote est avant tout motivé par les questions socio-économiques et traditionnellement démocrate, même si on peut constater qu'une proportion croissante des lobbies pro-israéliens, naguère pro-démocrates à une écrasante majorité, s'éloignent de plus en plus des orientations politiques des juifs américains. Toutefois, malgré un moindre soutien qu'en 2008, le vote juif reste en grande partie acquis au président sortant, d'autant que la vision néoconservatrice que Mitt Romney porte sur le monde, décrivant la Russie comme l'ennemi public n°1 par exemple, ne rassure pas les électeurs juifs.

Concernant la réorientation de la stratégie américaine vers l'Asie et ses implications pour l'Europe, je connais bien les travaux de cette commission sur le Livre blanc de la défense. J'ai contribué modestement, quand j'étais au Quai d'Orsay, aux travaux préparatifs portant sur l'avenir de la puissance américaine. L'idée du leadership from behind en Libye traduit très mal la réalité de la contribution américaine : sans la capacité militaire des Etats-Unis, l'Europe n'aurait jamais pu mener à bien l'opération militaire en Libye. Le moteur franco-britannique en matière de défense a certes été décisif, mais il n'est pas optimal et a rapidement montré ses fragilités. L'Allemagne ne faisait pas partie de la coalition. Comment anticiper une réponse européenne plus collective et solide ? Des interventions similaires à celle de la Libye sont difficilement envisageables sans l'aide des Etats-Unis. Washington demande à l'UE de renforcer ses capacités de défense au pire moment, alors que du fait de la crise, tous les pays réduisent leur budget de défense. Or, la crise ne doit pas servir de prétexte pour ne pas avoir une réflexion de fond sur ces sujets. Et c'est un des enjeux du Livre blanc, à savoir proposer des scénarios de coopération en cas de futures interventions comme en Libye, dans un contexte où la posture stratégique américaine a clairement changé, Obama apportant un correctif à la doctrine Powell des années 1990: les Etats-Unis n'emploieront pas leur force militaire massive lorsqu'ils rejoignent une coalition de pays pour lesquels l'enjeu stratégique de la situation et de l'intervention militaire est jugé plus important que pour Washington.

M. Jean-Louis Carrère, président. - La Grande-Bretagne et l'Allemagne sont associées à la rédaction du Livre blanc.

Mme Alexandra de Hoop Scheffer. - En effet, et c'est une excellente initiative. J'en viens aux relations entre les Etats-Unis, l'Europe et la Turquie. En 2009, le président Obama avait fait part de son souhait de voir la Turquie intégrer l'Union européenne, reprenant à son compte la position suivie depuis longtemps par les Etats-Unis vis-à-vis de la Turquie, alliée traditionnelle et membre de l'OTAN. Mais il l'a fait à un moment où les négociations d'adhésion de la Turquie stagnaient et où une certaine fatigue se fait sentir sur l'élargissement de l'UE. Il a néanmoins compris rapidement qu'il ne fallait plus aborder publiquement ce sujet avec ses homologues européens, comme cela avait pu être le cas sous Clinton et Bush. Barack Obama a en quelque sorte intériorisé les lignes rouges des Européens, comme sur d'autres dossiers (Afghanistan).

M. Obama a également essayé, en vain, d'utiliser la Turquie comme un relais de sa politique et des intérêts américains au Moyen-Orient. Dès le début de son administration, Obama a envisagé la Turquie comme la passerelle pour les Etats-Unis vers le Moyen-Orient et le premier ministre Erdogan serait le dirigeant qui pourrait l'aider à réaliser sa grande vision : réduire la posture des Etats-Unis au Moyen-Orient, engager l'Iran et la Syrie, et négocier une paix israélo-arabe complète. On lui reproche aujourd'hui d'avoir trop compté sur la Turquie pour faire avancer ses intérêts stratégiques dans la région, tout comme on lui reproche de trop déléguer à l'Arabie saoudite et au Qatar pour régler la question syrienne.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Bachar al-Assad reproche aux Etats-Unis d'abord et aux Français ensuite d'armer l'opposition syrienne.

M. Michel Boutant. - Pendant longtemps, l'Amérique du Sud a été la chasse gardée des Etats-Unis, mais leur position a évolué, notamment sur le Brésil. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Robert del Picchia. - Vous avez sans doute raison de penser que le président Obama va gagner les élections, mais un grave événement de politique étrangère ne pourrait-il pas l'empêcher d'être réélu ?

M. Joël Guerriau. - La coopération économique entre l'Amérique du Nord et l'Europe ne risque-t-elle pas de souffrir des conséquences de la crise financière due aux subprimes et du refus des Etats-Unis d'adopter les règles européennes de Bâle III ? Accepteront-ils de taxer les mouvements financiers et de lutter contre l'évasion fiscale alors que certains Etats américains sont de véritables paradis fiscaux ?

Mme Kalliopi Ango Ela - Les Etats-Unis sont de plus en plus intéressés par le pétrole du Golfe de Guinée et ils ont installé de grandes oreilles à Sao Tome et Principe. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mme Alexandra de Hoop Scheffer. - Dès le début du mandat d'Obama, l'Amérique du Sud a eu le sentiment, comme l'Europe, d'être négligée par les Etats-Unis qui ne s'intéressaient qu'au retrait d'Irak, à l'Afghanistan et de plus en plus à l'Asie-Pacifique. Rapidement après son arrivée à la Maison blanche, Obama se voit critiqué pour avoir négligé ses relations avec ses alliés traditionnels en Europe pour privilégier ses relations avec les pays émergents- le Brésil et l'Inde sont présentés comme des « partenaires naturels » des Etats-Unis. L'administration Obama considère que l'Inde, la Chine et le Brésil sont des puissances non pas émergentes mais qui ont déjà émergé. C'est pour cette raison qu'en décembre 2009, il choisit de négocier avec ces pays (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine) l'accord de Copenhague sur le changement climatique, en excluant ses alliés européens, de manière injuste, car la mise sur l'agenda international et l'accord n'auraient pas été possibles sans les efforts européens. En accompagnant l'ascension économique de ces puissances, l'administration Obama essaie de les intégrer, les « socialiser » aux normes internationales définies par les Etats-Unis, pour les inciter à jouer les mêmes règles du jeu et afin de prévenir tout comportement futur qui pourrait être hostile aux intérêts américains. La tâche est compliquée, car la plupart de ces Etats, y compris le Brésil, ont leur propre vision des relations régionales et mondiales. A Rabat, le German Marshall Fund of the United States a lancé en septembre un nouveau programme intitulé « Dialogues Atlantiques », afin d'associer au dialogue transatlantique, des pays d'Afrique et du Moyen-Orient et d'Amérique du Sud, dont le poids démographique et économique compte et pèse de plus en plus sur les enjeux internationaux. Ce type d'initiative permet de créer des dialogues complémentaires aux canaux officiaux et de mieux comprendre les attentes de chacun. L'intérêt des Etats-Unis pour l'Amérique du Sud s'est aussi réaffirmé face à l'ampleur croissante des investissements chinois et iraniens dans la région : les Etats-Unis veulent donc reprendre pied dans cet hémisphère qui a été leur chasse gardée pendant des décennies.

Concernant un scénario cauchemar pour Barack Obama, sur la scène internationale, ce serait évidemment une attaque israélienne contre l'Iran. Le Premier ministre israélien le sait parfaitement et en joue pour déstabiliser le Président des États-Unis. Aux Etats-Unis, Barack Obama est défavorisé par un taux de chômage de 8 %. En revanche, il bénéficie d'un capital sympathie bien plus élevé que Mitt Romney et sa politique étrangère reste approuvée par une majorité des Américains. Les débats télévisés permettront aux deux candidats de marquer leurs différences. M. Romney semble assez doué pour ce type d'exercice, qui n'a, historiquement jamais été déterminant, sauf peut-être celui qui vit s'affronter Kennedy et Nixon.

M. Jean-Louis Carrère, président. - En France non plus.

Mme Alexandra de Hoop Scheffer. - En ce qui concerne les accords de Bâle III, aux Etats-Unis, les banques ne cessent de retarder l'adoption des normes de Bâle III, ce qui créé des tensions avec leurs partenaires européens. La Fed a repoussé la publication de son projet de réglementation. La réforme financière américaine est loin d'être achevée et des progrès devront être réalisés d'ici la fin de l'année.

Enfin, l'intérêt américain pour l'Afrique, notamment pour le Golfe de Guinée, est, en plus de la lutte contre les réseaux terroristes liés à Al-Qaida, dû à la présence de ressources naturelles importantes, notamment de pétrole. La sécurisation de ses approvisionnements pétroliers justifie donc ce regain d'intérêt des Etats-Unis pour l'Afrique. Dans les années à venir, Washington vise à rééquilibrer la provenance géographique de ses importations pétrolières pour être moins dépendant du Moyen-Orient, avec l'objectif d'importer 25 % de son pétrole d'Afrique en 2015 (contre 15 % aujourd'hui). Comme en Amérique du Sud, les Etats-Unis veulent réinvestir cette région où les Chinois sont de plus en plus présents. L'intérêt américain pour l'Afrique ne va donc cesser de croître en raison des ressources naturelles ; la création de l'African Command s'inscrit dans cette logique, sa fonction principale étant de former des forces africaines pour maintenir la paix et la sécurité sur leur continent.

M. Jean-Louis Carrère, président. - La perception négative aux Etats-Unis des prémices d'alliance entre BAE et EADS ne me semble pas justifiée.

M. Jacques Gautier. - Boeing, Lockeed...

M. Jean-Louis Carrère, président. - Malgré l'idée de pénétrer le marché américain et de devenir le n° 1 mondial, l'idée n'est pas de s'attaquer à la puissance américaine. Je vous remercie, Madame la directrice, pour la qualité de votre intervention et de vos réponses.

Convention du travail maritime de l'Organisation internationale du travail - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de M. André Trillard et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 376 (2011-2012) autorisant la ratification de la convention du travail maritime de l'Organisation internationale du travail.

M. André Trillard, rapporteur - Monsieur le président, mes chers collègues, vous savez que l'Organisation internationale du travail (O.I.T.) a été fondée en 1919. Ses statuts ont été élaborés par la Commission de la législation internationale du travail, créée par la Conférence de la Paix, qui avait conclu le traité de Versailles mettant fin à la Première Guerre mondiale. La création de l'OIT découlait de l'idée que la paix durable et universelle à laquelle aspiraient les pays vainqueurs ne pouvait être assurée que par une meilleure justice sociale.

La France siégeait parmi les neuf pays composant la Commission ayant élaboré les statuts de l'OIT. Celle-ci est organisée de façon tripartite : ses organes exécutifs sont composés de représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs.

Le Bureau international du travail (B.I.T), secrétariat permanent de l'OIT, s'installa à Genève en 1920, et le Français Albert Thomas en fut le premier directeur général. L'OIT compte aujourd'hui 185 Etats membres et fait partie du système des Nations unies. L'ONU regroupe 193 membres, soit 8 de plus que l'OIT.

J'en viens maintenant à la convention qui nous est soumise aujourd'hui, adoptée à l'unanimité des membres de l'OIT en février 2006 à Genève.

Ce texte vise à substituer un texte unique et cohérent à 37 conventions adoptées de 1920 à 1996 et qui touchaient, à divers titres, au travail maritime.

Les deux premières conventions adoptées en 1920 portaient ainsi sur l'âge minimum requis pour embarquer et les indemnités de chômage en cas de naufrage.

La convention de 2006 a d'ores et déjà rempli les deux conditions préalables à son entrée en vigueur : sa ratification par 30 pays, représentant au moins 33 % du total de la jauge brute de la flotte marchande mondiale. Je précise qu'au 1er juillet 2012, la flotte marchande mondiale représentait près de 1 milliard de jauge brute, réparti en près de 48 000 navires de plus de 300 unités de jauge (chiffre minimum pour être considéré comme un navire de commerce).

Au sein de la flotte marchande mondiale, la Grèce arrive au 1er rang et la France au 25ème. Parmi les pays européens, la Grèce occupe également la 1ère place et la France la 8ème. Vous trouverez le détail de cette répartition dans mon rapport écrit.

S'agissant des personnels employés à bord des navires de commerce, auxquels s'applique le présent texte, ils sont estimés par l'OIT à 1,2 million. Les Français sont près de 14 000, répartis sur 299 navires.

La présente convention est particulièrement opportune, car le développement en volume de la flotte marchande internationale s'est accompagné d'une forte concurrence entre armateurs, qui a pesé sur les prix, et donc sur les conditions d'emploi des gens de mer. Le texte fixe des normes minimales en matière d'heures de travail et de repos, d'hébergement, de protection sanitaire, de soins médicaux et de sécurité sociale.

Il introduit la notion de « certification nationale », qui oblige chaque Etat l'ayant ratifié à ce que les navires battant son pavillon satisfassent aux critères de « travail décent » détaillés dans la convention, mais également que l'autorité de l'Etat du port puisse contrôler les navires. Par ailleurs, une procédure permet de recueillir les plaintes éventuelles, à bord comme à terre.

L'OIT a ainsi estimé que : « le système d'inspection et de certification du travail maritime est une grande avancée qui permet de faire face aux graves situations découlant de l'internationalisation des navires, et de l'incapacité de certains pays à veiller à ce que leurs navires répondent aux normes internationales de qualité. »

Une commission tripartite spéciale réunit des représentants des gouvernements des Etats ayant ratifié la convention et des représentants des armateurs et des gens de mer désignés par le conseil d'administration du B.I.T.. Mais cette instance peut également associer à ses délibérations, sans droit de vote, des représentants des gouvernements n'ayant pas ratifié la convention. Je précise qu'au 25 septembre 2012, 31 Etats, représentant 60 % de la jauge brute de la flotte marchande mondiale, ont ratifié la convention. Parmi les Etats ayant une flotte commerciale significative et qui ont ratifié, on relève la présence de Chypre, du Libéria, des Philippines, de la Pologne, de la Russie et de Singapour.

La possibilité pour les Etats n'ayant pas ratifié de participer aux discussions sur les normes applicables aux gens de mer témoigne d'un pragmatisme positif, puisqu'elle leur permet de connaître l'évolution des normes retenues par les Etats engagés par leur respect, et les implique de ce fait même. Il serait évidemment préférable, dans un monde idéal, que tous les Etats possédant une flotte marchande d'importance ratifient la présente convention, mais nous ne vivons pas dans un tel monde.

En conclusion, je vous suggère d'adopter le présent texte qui représente une réelle avancée pour les conditions de travail des gens de mer. Il convient donc que la France, par sa ratification, puisse participer aux travaux de la Commission tripartite chargée de suivre l'application concrète de ce texte.

Je vous propose également que son examen en séance publique se fasse en forme simplifiée.

M. Jean-Claude Requier - Le Panama a-t-il ratifié cette convention ?

M. André Trillard, rapporteur - Oui, en février 2009.

Puis la commission adopte le présent texte ainsi que son examen en forme simplifiée.

Projet de loi de finances pour 2013 - Nomination d'un rapporteur pour avis

La commission procède à la nomination d'un rapporteur pour avis sur le projet de loi de finances pour 2013 :

M. Jeanny Lorgeoux est désigné rapporteur pour avis du programme 144 « Environnement et prospective » (Mission Défense), en remplacement de M. Didier Boulaud.

Nomination d'un rapporteur

Puis la commission procède à la nomination d'un rapporteur pour avis sur le contrat d'objectifs et de performances de France Expertise Internationale.

M. Jacques Berthou est désigné rapporteur pour avis sur le contrat d'objectifs et de performances de France Expertise Internationale.

Organismes extraparlementaires - Désignations de candidats

La commission a décidé de proposer :

- la candidature de M. Jeanny Lorgeoux pour siéger comme membre titulaire au sein du conseil d'administration de l'Institut des hautes études de la défense nationale.

- la candidature de Mme Kalliopi Ango Ela pour siéger au sein du conseil d'administration de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.

Questions diverses

M. Jean-Claude Peyronnet est désigné vice-président de la commission, en remplacement de M. Didier Boulaud.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Daniel Reiner, vice-président de la commission, sera mis à contribution pendant les quelques jours durant lesquels je m'absenterai en octobre.

Je vous indique également que M. Michel Boutant pourrait devenir membre de la délégation parlementaire au renseignement, en remplacement de M. Didier Boulaud ; M. Daniel Reiner membre titulaire et M. Jacques Berthou membre suppléant de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN ; et moi-même, si M. le Président du Sénat propose ma candidature, membre de la commission de vérification des fonds spéciaux, en remplacement de M. Didier Boulaud.

Mercredi 3 octobre 2012

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Avenir de la politique de coopération française au développement - Table ronde

M. Jean-Louis Carrère, président - La question de l'aide au développement nous tient à coeur depuis longtemps. Notre commission a ainsi participé au document-cadre de coopération et de développement et s'est plus récemment intéressée au contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD (agence française de développement).

Nous espérons qu'un jour, il nous sera possible de débattre d'une loi de programmation sur le développement définissant ses grandes orientations et son cadrage budgétaire, comme c'est le cas en Grande-Bretagne ou en Espagne. Car, si cette politique a longtemps été le monopole de l'exécutif, elle doit désormais être davantage discutée au Parlement.

Cette réunion que j'ai voulu ouverte au public et retransmise sur Public Sénat, nous donnera l'occasion d'entendre outre nos invités, les questions de Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon, rapporteurs de notre commission sur le budget de l'aide publique au développement (APD), devenus des experts du sujet. Leur travail commun, conforme à l'esprit de la commission, illustre à quel point la question du développement dépasse les clivages traditionnels.

L'organisation de cette table ronde part du constat, chaque jour confirmé, que le développement harmonieux et durable est inscrit au coeur des enjeux internationaux. Sur la rive sud de l'Europe, l'issue des printemps arabes dépendra en grande partie du développement de l'emploi dans les pays du Maghreb. Plus au sud, comment ne pas voir que le sous-développement du Sahel est à l'origine de ses déboires ? Enfin, c'est dans les pays émergents que va se jouer, non seulement une grande partie de la lutte contre le réchauffement climatique mais aussi l'avenir du modèle social européen.

Dans un monde interdépendant, la question sociale - comme l'on disait au XIXe siècle -, les enjeux environnementaux et les risques sanitaires ont pris une dimension planétaire.

Notre politique de coopération et de développement y prend un sens nouveau. Elle doit s'adapter à un monde changeant, voire mutant car le cadre dans lequel elle avait été pensée après la décolonisation a volé en éclats. La notion même de pays en développement recouvre des réalités extrêmement différentes selon que l'on est à Bamako, à Shanghaï, à Nouakchott ou à Brasilia. Les pays émergents changent la donne, mais même en Afrique, l'extrême pauvreté côtoie une classe moyenne en plein développement. Le concept de développement est luis aussi en train de changer avec la prise en compte croissante des biens publics mondiaux.

Dans ce contexte, la politique de coopération au développement fait l'objet de nombreuses interrogations dans les enceintes internationales comme dans notre pays. Face à la crise de nos finances publiques, certains de nos concitoyens considèrent que, n'ayant plus les moyens de cette solidarité, nous devrions nous concentrer sur le territoire national en difficulté. «La Corrèze avant le Zambèze», ce n'est pas nouveau.

D'autres y voient un instrument utile, et finalement bon marché, de sécurisation de notre environnement international. Il vaut mieux prévenir que guérir ou que d'être contraint d'intervenir militairement.

On peut aussi y voir un outil d'influence et de rayonnement de la France, puissance moyenne certes, mais à vocation planétaire. En effet, l'honneur de notre pays fut souvent de prendre la tête de la lutte contre le sous-développement et d'agir sans relâche pour l'égalité d'accès aux droits fondamentaux, à la vie, à la santé ou à l'éducation, que l'on soit né à Paris, à Sidi Bouzid ou à Mopti.

Certains pensent enfin qu'il faut jeter les bases de politiques publiques à l'échelle mondiale si l'on veut maîtriser les effets de la mondialisation dans le domaine de la santé, de la biodiversité et de l'environnement.

Indépendamment de ses objectifs, les moyens de notre politique ont fait l'objet d'évaluations sévères de la part de la Cour des comptes comme du cabinet Ernst and Young. Elles nous décrivent une politique marquée par des effets d'annonce et des promesses sans lendemain, un éclatement administratif et un système d'évaluation incertain.

Cette situation empêche le déploiement d'une stratégie cohérente de long terme, réalisant la synergie de nos ambitions et des moyens grâce à une structure de pilotage adaptée.

Tout n'est pas noir et nous pouvons être fiers de ce que nous faisons. Mais, avec les moyens financiers qui sont les nôtres, nous pouvons sans doute faire mieux ! Puissions-nous donc, au-delà des bilans, tracer les perspectives d'une politique de coopération rénovée et adaptée à l'agenda international du développement.

Cette politique doit s'inscrire dans le monde d'aujourd'hui tout en dessinant celui de demain. Je vous propose d'y réfléchir ensemble en trois temps : tout d'abord avec les évaluateurs Jean-Pierre Bayle et Arnauld Bertrand, puis avec trois grands témoins, Jean-Michel Severino, Jean-Louis Vielajus et Dominique de Crombrugghe. Enfin, Pascal Canfin nous fera partager l'expérience de ses premiers mois comme ministre délégué chargé du développement et nous présentera les orientations qu'il entend donner à cette politique.

M. Jean-Pierre Bayle, ancien sénateur, président de la 4ème chambre de la Cour des comptes. - Retrouvant le Sénat avec plaisir et émotion, il me plaît de souligner l'intensification des liens entre la Cour des comptes et les assemblées parlementaires.

La politique de coopération et de développement constitue une politique publique importante. Elle est l'un des axes majeurs de la politique étrangère de notre pays et l'occasion pour les Français de témoigner régulièrement de leur conception de la solidarité internationale. Mais en période de difficultés budgétaires, elle redevient aussi un objet de suspicions et de critiques.

Bien évidemment, c'est aux autorités politiques que revient le soin de fixer les orientations politiques et je n'interviendrai pas sur ce point même si, comme le disait Tocqueville, « si le passé n'éclaire plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres ». Je concentrerai mon propos sur le rapport public thématique sur la politique française d'aide au développement publié par la Cour en juin dernier après une enquête importante menée pendant près de dix-huit mois. Précisons toutefois qu'il ne s'agit pas d'une évaluation à proprement parler, qui aurait nécessité une mesure exhaustive des effets de cette politique, et la prise en compte des points de vue de l'ensemble des parties prenantes.

Ce rapport est plutôt une analyse revenant sur les cinq facteurs de la réussite de notre coopération : ses objectifs, son pilotage, ses instruments, sa gestion et les choix qui peuvent en découler en période de restriction budgétaire.

La politique de coopération doit tout d'abord restreindre et hiérarchiser ses objectifs. Une des particularités de la politique française au cours de la dernière décennie a en effet été de cumuler les objectifs. A ceux, classiques, définis par les Nations unies dans le cadre des objectifs du millénaire sont venus s'ajouter la volonté d'accompagner le développement des pays émergents, l'ambition de contribuer à la protection des biens publics mondiaux, la recherche de l'influence nationale et la défense de l'intérêt de nos entreprises. Si aucun de ces objectifs n'est illégitime en soi, leur accumulation qui tranche avec la pratique de nos partenaires tels que le Royaume-Uni, a brouillé les cartes. Il faudra, à l'avenir, mieux les hiérarchiser et en abandonner peut-être certains dés lors les moyens suffisants ne peuvent être mobilisés.

Le pilotage de politique de coopération par les autorités manque de continuité. Si le Parlement s'est jusqu'ici peu impliqué dans son élaboration, à la différence de ses homologues britannique ou allemand qui ont voté des lois spécifiques, le gouvernement dispose du comité interministériel de la coopération internationale pour le développement (CICID), présidé par le Premier ministre. Celui-ci n'est toutefois pas parvenu à se réunir régulièrement -c'est un euphémisme- alors qu'il est pourtant le seul à pouvoir rendre des arbitrages tant sur les objectifs que sur les moyens. Sa dernière réunion remonte à juin 2009. Quelles que soient les orientations retenues, il sera d'autant plus nécessaire de restaurer ce moyen de pilotage que les acteurs étatiques chargés de sa mise en oeuvre sont pluriels.

La politique de coopération doit aussi adapter ses instruments à ses ambitions. Selon ses déclarations à l'OCDE, la France consacre plus de 9 milliards d'euros par an à la politique d'aide dont 7 milliards d'euros de crédits budgétaires. Ce montant ne permet cependant pas d'atteindre l'objectif de 0,7 % du revenu national brut en 2015. Au cours de la décennie passée, notre pays a privilégié des instruments, tels que le prêt modérément bonifié, qui ne correspondaient pas aux objectifs recherchés, cette situation s'expliquant en partie par la qualité du travail de l'agence française de développement (AFD), qui est en soi un grand atout de notre politique. Notons toutefois que le partage des rôles entre l'État et l'AFD, conforme aux objectifs de la politique d'aide, a commencé à être entrepris avec le contrat d'objectifs et de moyens et le document cadre publié en 2011.

La politique de coopération doit évidemment contenir son coût de gestion. Or celui-ci dépasse 700 millions d'euros par an - si l'on tient compte des différents réseaux publics concernés : les ambassades, les services du Trésor et l'AFD -, soit un niveau proportionnellement plus élevé que chez nos partenaires. Ce coût doit donc être réduit, en tirant partie des réformes engagées dans les différents services du ministère des affaires étrangères et du Trésor et en prenant davantage appui sur le réseau des agences de l'AFD.

Enfin, il convient de mieux concilier actions bilatérales et multilatérales. Si l'opposition entre ces deux principaux vecteurs de l'aide a presque pris un tour théologique dans notre pays, la Cour n'est pas en mesure de préconiser l'une plutôt que l'autre. En revanche il ressort de son analyse que l'articulation entre les deux catégories d'instruments est insuffisante notamment faute d'une vision claire de ce que représente l'aide pilotable, c'est-à-dire celle susceptible d'être orientée sur le plan national. Cela tient également à l'absence, chez nos représentants, à Washington, à Bruxelles ou a Ouagadougou, d'un jeu en réseau permettant d'optimiser nos actions et nos financements. Deux options sont donc envisageables. La première consiste à privilégier l'aide multilatérale en s'impliquant davantage dans les organisations, en créant ce jeu de réseaux entre nos acteurs et les institutions internationales et en réservant nos financements bilatéraux à des projets clairement définis. La seconde accorde au contraire une préférence à l'aide bilatérale, à condition d'en adapter la gouvernance, d'adapter sa gouvernance aux moyens disponibles et d'être plus attentifs aux résultats des actions conduites.

A l'heure des ambitions nouvelles et des contraintes renforcées, rappelons que la politique d'aide au développement a ceci de particulier que ses bénéficiaires ne sont pas en mesure de s'exprimer directement sur ses résultats. C'est une raison majeure pour lui prêter une attention plus soutenue. C'est en tout cas dans cet esprit que la Cour sera attentive au suivi de ses recommandations.

M. Arnauld Bertrand, responsable de la rédaction du Bilan évaluatif de la politique française de coopération chez Ernst & Young. - Je vous présenterai les conclusions provisoires de l'évaluation de la politique de développement de la France depuis dix ans qui nous a été commandée, à la demande du Parlement, par les ministères des affaires étrangères et des finances. Une remarque préalable : les moyens de l'État étant limités, tout le monde gagnerait à espacer les évaluations confiées à la Cour des comptes et à des consultants extérieurs.

Nous sommes face à une politique extrêmement complexe, avec des périmètres, des acteurs et des instruments très divers. L'aide publique au développement apportée par la France, mesurée par le comité d'aide au développement (CAD), s'élève à 10 milliards d'euros, ce qui la place au quatrième rang des pays donateurs, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Elle fournit ainsi près de 10 % de l'aide publique au développement mondial (APD), soit 0,46 % de son revenu national brut, l'objectif étant d'atteindre rapidement 0,7 %.

Le périmètre de cette politique est très large et dépasse le budget de la mission budgétaire APD. Les programmes 110, 209 et 301 ne regroupent en effet qu'un tiers des crédits d'aide au développement, ce qui pose un problème en termes d'examen et donc de contrôle de la part du Parlement. Les deux tiers restants sont regroupés au sein de seize autres programmes budgétaires, la dispersion de cette présentation budgétaire reflétant en partie celle des acteurs. Si la responsabilité de la politique de coopération est aujourd'hui partagée entre le président de la République, le Premier ministre, le ministre délégué au développement, qui est parmi nous aujourd'hui, le ministre des affaires étrangères et le ministre des finances, d'autres administrations, dont l'aide n'est pas une des missions principales, sont également concernées : la recherche, les affaires sociales ou l'éducation nationale. L'AFD s'est, quant à elle, progressivement imposée comme l'acteur pivot de la politique de développement sur le terrain, concentrant près de 80 % aujourd'hui de l'aide bilatérale française. Son dispositif local s'appuie en outre sur une multiplicité d'acteurs : ambassades, SCAC (services de coopération et d'action culturelle), établissements culturels, alliances françaises, centres de recherche et autres services économiques, dont la coordination est pour le moins variable selon les pays. Outre leurs objectifs communs, ces acteurs ont également des objectifs propres. La politique de coopération française est donc en réalité un ensemble de politiques.

A cette multitude d'acteurs, s'ajoute une diversité des instruments. En 2010, l'aide publique française au développement est encore bilatérale pour 60 %, les financements par l'Europe et internationaux représentant chacun 20 % de notre APD, soit un total de 40 % contre seulement 20 % en 1990.

Enfin notre APD se caractérise par la prédominance des dons, le poids important des allégements de dettes, et une hausse considérable du recours aux prêts qui représentent plus d'un quart des financements en 2010 contre 10 % en 2005, ce qui conduit à s'interroger sur la stratégie de la France.

Pour autant, cette complexité n'est pas nécessairement synonyme d'inefficacité. La diversité peut constituer une force, à condition de mettre en place un pilotage stratégique et efficace permettant de guider, de coordonner et d'évaluer l'ensemble des moyens mis en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés.

Cet engagement large de la France sur l'ensemble des champs est globalement assumé. Néanmoins ce pilotage nécessite une stratégie partagée et opérationnelle, des instances de concertation opérante et un processus de capitalisation qui font défaut.

En termes de stratégie, la France a élaboré en 2011 un document cadre de politique de coopération afin de mieux encadrer l'ensemble des activités. Sous la coordination de la direction générale à la mondialisation, une large concertation a associé tous les acteurs : collectivités locales, associations, secteur privé et partenaires sociaux. Néanmoins, ce document ne marque aucune avancée en matière de pilotage. Il ne clarifie pas les ciblages géographiques prioritaires, l'ambigüité demeurant avec la liste des 17 pays pauvres et des 54 pays de la zone de solidarité prioritaire. Il ne se prononce pas non plus sur l'équilibre global souhaité entre dons, prêts très concessionnels ou prêts peu concessionnels. Il ne précise pas la clef de répartition ex ante entre l'aide bilatérale, l'aide communautaire et l'aide multilatérale. Enfin il ne clarifie pas non plus la place de l'APD dans la politique extérieure de la France, sa politique d'influence ou sa politique commerciale. Nous disposons donc d'une stratégie globale, pertinente et cohérente avec celle des grands bailleurs internationaux, mais encore insuffisamment opérationnelle et hiérarchisée.

Pour atténuer les effets de la multiplicité des centres de décision, des efforts de coordination ont été engagés par la création du CICID, de la conférence d'orientation stratégique et de programmation (la COSP) ou encore du conseil d'orientation stratégique de l'AFD. Toutefois, ces instances, nombreuses, ne parviennent pas à jouer pleinement leur rôle tant leur utilisation est irrégulière, la COSP ne s'étant par exemple pas réuni depuis 2007. L'on peut alors songer à l'opportunité d'afficher un rattachement explicite de cette politique au domaine réservé du président de la République, de disposer d'un ministre de plein exercice, de voter une loi de programmation, mais surtout d'offrir un cadre budgétaire permettant de véritables arbitrages et un pilotage renforcé.

La capacité de suivi et d'évaluation de cette politique est insuffisante. La France n'est que très peu en mesure de rendre compte des impacts d'une aide au développement qui représente pourtant 10 milliards d'euros. Si la plupart des bailleurs rencontrent des difficultés méthodologiques, la France ne s'est pas dotée d'objectifs et d'indicateurs nécessaires pour mesurer ces impacts. Par rapport aux autres pays du CAD, notre pays ne consacre que des moyens très limités à l'évaluation. Ceux-ci représentent seulement 0,06 % de l'APD et sont dispersés entre le ministère des affaires étrangères, le Trésor et l'AFD, ce qui plaide pour la mise en place d'un programme d'évaluation pluriannuel et concerté.

Ces dysfonctionnements de pilotage stratégique ont des conséquences nombreuses et parfois néfastes sur la politique de coopération. De nombreux arbitrages du Président de la République ou du Premier ministre sont nécessaires, ce qui explique le rallongement des délais de décision. En outre, en l'absence d'un pilotage basé sur une stratégie claire et hiérarchisée, la France semble piloter son aide par les agrégats et notamment l'objectif des 0,7 %, qui présente à la fois l'inconvénient d'être inatteignable et de traduire une approche par les moyens plutôt que par les résultats.

Ce défaut de pilotage a également touché l'AFD. L'absence de tutelle unique et l'expertise accumulée ces dernières années par l'agence lui permettent de peser sur les orientations de la politique qu'elle est chargée d'appliquer. Toutefois, le processus de définitions stratégiques de l'AFD est aujourd'hui plus simple et mieux maîtrisé via un contrat d'objectifs et de moyens unique signé avec l'État en 2011 après une concertation approfondie.

Au final, l'absence de stratégie précise de déclinaison par zone ou par type de pays, comme l'absence de dispositif de pilotage, a un triple impact. Tout d'abord, l'efficacité de la politique de développement de la France n'est pas optimisée car elle est toujours soumise au risque d'interventions contradictoires et que l'absence de suivi et d'évaluation ne permettent pas une amélioration progressive des interventions. Le deuxième impact est une défaillance de la communication. Faute de stratégie précise, on constate en effet une absence de communication vers le grand public, ce qui ne favorise pas l'adhésion des citoyens à l'effort de la France en faveur du développement hors de ses frontières, qui fait peu débat. C'est comme si cette politique n'était pas assumée auprès des Français, pourtant en général très généreux dans leurs dons. Même absence de communication envers les organisations internationales et les fonctionnaires français placés auprès de ces instances. .

Enfin, on constate que la fragmentation du dispositif nuit à la lisibilité de l'action de la France auprès des pays bénéficiaires. Un certain nombre de pays, tout en notant une forte présence française, éprouvent des difficultés à comprendre le partage des responsabilités et le rôle de chacun au sein du dispositif français, l'APD à proprement parler ne constituant qu'un des éléments de la politique d'influence et de la diplomatie de notre pays.

M. Jean Michel Severino, ancien vice-président de la Banque mondiale, ancien directeur de l'Agence française de développement (AFD). - Ayant dirigé l'AFD pendant une décennie, je ne peux, à la différence des évaluateurs que nous avons entendus, revendiquer une quelconque neutralité. Ces deux évaluations nous disent beaucoup de choses vraies sur l'état de cette politique de coopération, confrontée à un problème de discours, un problème de gouvernance et à un problème d'allocation de ses ressources.

Problème de discours car, dans la période que nous traversons, l'APD n'a plus aucun sens concret. Dans la réalité du monde actuel, la France est confrontée à de grands enjeux de politique globale relatifs à la gestion de la planète ou à ses relations avec des acteurs de pays pauvres. Pour les aborder, notre pays a besoin d'instruments, tels que les traités et les conventions internationales, le dialogue politique ou les financements d'actions structurelles, eux-mêmes très divers. Le concept d'APD, né dans les années 1960 dans la foulée des indépendances, ne reflète plus cette réalité du monde contemporain ni dans ses objectifs ni dans la structuration de ses indicateurs de suivi. Aussi, depuis la dernière décennie, la France se bat pour essayer de faire rentrer dans la chaussure de l'APD un pied beaucoup trop grand ! Comme elle n'y parvient pas, elle se réfugie dans des indicateurs et des discours inopérants tout en continuant à s'accrocher à un indicateur non pertinent et incompréhensible.

Aussi étonnant que cela puisse vous paraître, en tant que directeur général de l'AFD, je n'ai jamais compris la nature des chiffres communiqués à l'OCDE, tant ils avaient subi les transformations, les structurations et les triturations destinées à rendre notre discours présentable. Ni indicateur d'objectifs, ni indicateur de mesure, ni indicateur d'efficacité, notre indicateur d'APD ne semble servir qu'à nous tromper sur la communication et à nous sentir coupables.

Il nous faut changer de discours et parler des intérêts de la France dans le monde. Après les avoir définis, reste à choisir les partenariats permettant de les atteindre, leur allouer des ressources et ensuite mesurer l'efficacité de notre action, non pas à l'aune d'un critère quantitatif mais à partir de notre propre appréciation de la façon dont nous aurons ou non atteint nos objectifs.

Si certains de ces objectifs, tels que le réchauffement climatique, sont de nature globale, la France a aussi des voisins et, parmi les grandes questions mondiales, certains sujets l'intéressent plus que d'autres. L'importance relative du Maghreb et de l'Amérique centrale n'est pas la même selon qu'on l'apprécie de Paris ou de la Banque mondiale à Washington.

Comme tous les pays, la France a vocation à concentrer ses moyens sur les actions lui permettant d'atteindre ses objectifs. Il ne saurait donc y avoir querelle théologique entre aide bilatérale et aide multilatérale. En revanche, il faut définir une tactique d'utilisation raisonnée de l'ensemble des instruments à notre disposition.

Tout ce qui a été dit sur la gouvernance est vrai et c'est encore pire dans la réalité. A l'extrême diversité des instruments, s'ajoute l'absence d'une instance capable de mettre en cohérence l'ensemble du dispositif. Après des expériences dans les organisations multilatérales et dix années passées dans le système français, je suis très pessimiste et très sceptique quant à notre capacité d'y remédier en créant l'équivalent du DFID (Departement for international development) britannique ou du JICA (Japanese international cooperation agency), japonais. Certes, ces instances ne dispensent pas ces pays des traditionnels conflits entre ministères des finances et des affaires étrangères mais elles constituent une sorte d'entonnoir qui oblige in fine les différents acteurs à s'entendre.

Notons toutefois que la concentration de l'essentiel des moyens de l'aide bilatérale entre les mains de l'AFD a été une très bonne chose pour notre pays car, pendant que les tutelles ne parviennent pas à s'entendre, l'agence agit sur le terrain. Si elle n'avait pas, au cours de la dernière décennie, proposé aux autorités des objectifs et un nouveau mode d'action, rien ne se serait passé ! Car, quelle que soit la bonne volonté de hauts fonctionnaires qui peuplent les ministères, le système français est autobloquant puisqu'il interdit toute initiative stratégique à l'un ou l'autre des acteurs. Le président de la République a la capacité de faire évoluer le système par le haut mais cette capacité n'a malheureusement été le plus souvent utilisée que pour interventions très ponctuelles et non pour la promotion d'une vision d'ensemble.

De plus, la France étant dépourvue d'une fonction rationnelle d'allocation des ressources, cette dernière n'est que la résultante des rapports de force entre les différents acteurs. Or, si nous disposions d'une telle fonction, nous pourrions par exemple fixer la place que nous voulions occuper dans le financement des organismes multilatéraux.

J'ai toujours été très frappé par le fait que nos dirigeants semblaient avoir honte de notre politique de coopération : honte de voler de l'argent aux Français pour le dépenser à l'extérieur, honte de présenter des chiffres qui n'étaient pas conformes à la réalité ou encore honte de songer à nos intérêts alors qu'il doit s'agir d'une politique de solidarité. Ces contorsions mentales m'ont toujours paru inexplicables ! Une des conséquences en est l'absence de communication sur cette politique.

Aujourd'hui, il faudrait que les autorités politiques procèdent à une réévaluation de l'intérêt relatif de cette politique afin de définir clairement ce qu'elles en attendent.

Enfin, notre politique est sous-évaluée, alors que l'éloignement des bénéficiaires justifierait au contraire une surévaluation, propre à internaliser la complexité du sujet comme les points de vue des bénéficiaires et de nos partenaires. Nous apprendrions beaucoup, ce qui nous permettrait non seulement d'améliorer la mise en oeuvre de notre politique, mais aussi de nous rassurer sur l'efficacité de nos actions sur le terrain.

M. Jean-Louis Vielajus, président de Coordination Sud, délégué général du Comité français pour la solidarité internationale. - Les deux évaluations de la politique française tombent à point nommé. Les ONG de Coordination Sud approuvent, pour l'essentiel, leurs conclusions - difficultés de pilotage, problèmes opérationnels,... J'ajouterai que la multiplication des effets d'annonce au cours de ces dernières années a nuit à la prévisibilité et à lisibilité de notre aide publique au développement.

Dénonçant toutes ces difficultés à chaque loi de finances depuis sept ans, nous venons d'éditer une nouvelle version de notre document L'APD pour les nuls.

Alternance démocratique, volonté politique clairement exprimée par la création d'un ministère du développement et mobilisation parlementaire : le moment est bien choisi pour évoquer l'avenir. D'autant que selon le dernier sondage commandé par l'AFD et publié en 2011, 63 % des Français sont favorables à l'aide publique au développement et 55 % considèrent qu'elle est efficace pour lutter contrer la pauvreté et le réchauffement climatique. J'ignore de quels éléments ils disposent pour fonder leur jugement...

N'oublions pas non plus les avancées de 2010, dans le document cadre global de la politique de coopération au développement, qui croise pour la première fois des informations sur la pauvreté et sur les biens publics mondiaux ainsi que des données géographiques. Dommage que le document n'ait pas été complété par une programmation financière et une hiérarchisation des priorités. Sans considérations de droit, de régulation, de politiques publiques internationales, sans référence aux droits humains, la stratégie perd en puissance et ne saurait être une vraie stratégie de coopération et développement.

Nous serons appelés à dépasser l'exercice du document de 2010 pour définir véritablement le cadre d'une politique de coopération pour les années à venir. Ainsi 2015 est une date clef pour les objectifs du millénaire pour le développement durable, un peu perdus de vue à Rio. Ils seront rediscutés pour répondre aux besoins du temps : toujours la pauvreté.

Mais si la pauvreté diminue dans un certain nombre de pays émergents, les inégalités explosent dans presque tous les pays du monde et constituent la plaie des temps qui viennent. La réduction des inégalités est un enjeu autant moral ou social qu'économique, un élément essentiel dans la conception des politiques qui viennent.

Quatre points me tiennent à coeur. D'abord, j'appelle de mes voeux la concrétisation de l'engagement présidentiel d'une loi d'orientation et de programmation pluriannuelle. Deuxièmement, les ONG doivent se préoccuper prioritairement des pays pauvres et en crise. Elles doivent intervenir non seulement dans les situations d'urgence humanitaire, mais aussi ensuite, car la crise, généralement, persiste. La question du lien entre crise, urgence et développement doit être prise en compte pour mieux définir nos interventions.

Troisièmement, instillons plus de cohérence dans les politiques française et européennes en matière de développement. Inutile de dépenser beaucoup si les politiques se contredisent. Un exemple classique est l'agriculture européenne : d'un côté les crédits en faveur du développement soutiennent l'agriculture familiale, tandis que la politique agricole commune se déploie aux dépens de cette agriculture familiale. Une rationalisation dégagerait des crédits pour d'autres actions en faveur du développement.

Enfin, d'un point de vue financier, on constate avec inquiétude une baisse de 200 millions d'euros des crédits de la mission APD. M. le Ministre a annoncé son intention d'augmenter la part des dons dans l'aide et nous le soutenons. Quelle sera la part de la taxe sur les transactions financières affectée au développement : 10 % ou 3,75 % ? Nous avons quelque inquiétude.

Nous ne progresserons que si tous les acteurs de la solidarité travaillent ensemble. C'est le sens des Assises du développement et de la coopération internationale lancées par le ministère. Les grands dossiers y seront évoqués. C'est une très bonne nouvelle.

M. Dominique de Crombrugghe, évaluateur spécial de la Coopération belge au développement. - C'est un honneur de m'exprimer devant votre commission. J'exposerai un cas concret tout d'abord : la coopération belge a subi un traumatisme dans les années quatre-vingt dix lorsque la presse a révélé un scandale de collusion et de corruption, lié à la réalisation de certains investissements dans les pays en développement, dits « les éléphants blancs ». Le parlement a constitué alors une commission spéciale, dont les conclusions ont été déterminantes pour l'avenir de la politique de coopération belge. En 1999, la Belgique a voté une loi sur la coopération, en cours de révision. Les crédits consacrés au développement étant moins importants qu'en France, il est important de les concentrer, la loi a le mérite de contraindre les ministres à cet effort... La loi définit un cadre, des pays, des secteurs et des thèmes transversaux prioritaires. Le défaut de cette loi est de ne concerner que la coopération gouvernementale, sans prendre en compte la coopération multilatérale, ni le rôle des acteurs non gouvernementaux. Elle a été conçue à une époque où la coopération était encore conçue comme un exercice national.

Une agence de coopération et de développement a été créée. A la différence de l'AFD, il ne s'agit pas d'une banque mais d'une agence d'exécution de la politique gouvernementale conçue par le gouvernement.

En outre, un service d'évaluation indépendant a été créé, doté d'une compétence générale pour évaluer l'ensemble de l'APD, quel que soit l'acteur exécutant. Il rédige chaque année un rapport pour le parlement, dont je présente les conclusions devant les commissions compétentes. Un ministre de la coopération de plein exercice, au sein du ministère des affaires étrangères, est chargé de gérer les crédits - qui tous ont été regroupés dans un seul chapitre budgétaire, d'où une grande lisibilité.

En Belgique en outre nous n'avons jamais distingué comme en France la politique d'influence, menée par le ministère des affaires étrangères, et la politique de solidarité, menée par le ministère de la coopération.

Lorsque la commission européenne, la France, le Danemark, le Luxembourg et la Belgique ont évalué ensemble leur politique de développement au Niger, une « note de contexte » a été commandée à un cabinet franco-nigérien. Les Nigériens ont évoqué le besoin éthique de coopération des pays occidentaux. « Nous savons que vous nous enverrez toujours de l'aide, quelle que soit la situation, car vous en avez structurellement besoin » disent-ils. « Nous avons surtout besoin du flux d'aide et moins de coopération », ajoutent-ils. Les conditions d'affectation les dérangent, ils préfèreraient disposer librement de ce qui serait une forme d'aide budgétaire. Selon eux, le meilleur projet est le développement du téléphone mobile satellitaire - une personne ayant besoin d'argent peut joindre son fils au loin, à Abidjan par exemple. Ce n'est pas un projet d'aide au développement et pourtant c'est utile. Enfin, les Nigériens ne comprenaient pas l'intérêt des Belges à aider le Niger, faute d'intérêts sur place.

Le grand changement depuis les années quatre-vingt dix est que la coopération ne se conçoit plus comme une politique nationale, mais s'inscrit dans une politique multinationale de coopération, dont la France est un des acteurs.

Le développement ? Je ne sais pas définir le sens de ce mot : s'agit-il de prospérité matérielle des habitants des pays en développement, ou bien ce terme inclut-il d'autres dimensions ? Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, le développement n'est calculé qu'à l'aide de critères purement matériels, qui n'intègrent aucune dimension qualitative ou éthique.

Une anecdote enfin : le mot qui, dans telle langue d'Afrique de l'Ouest, désigne la coopération signifie, traduit littéralement, « le rêve de l'homme blanc ».

M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé du développement. - Votre rapport, celui de la Cour des Comptes, ou celui à venir de l'OCDE, interviennent en début de législature, tirent un bilan du passé et je ne me sens donc pas visé par les critiques. Mais il appartient désormais de se tourner vers l'avenir.

Je commencerai par la question du 0,7 % de RNB consacré au développement. On peut douter de la pertinence de cet indicateur dit structurant. Je suis surpris que les ONG réclament son respect tout en étant les premières à le critiquer comme une pure convention comptable. Il n'a pas grand sens. A titre d'anecdote, la facture de chauffage des centres de rétention a longtemps été comptabilisée - et peut-être l'est-elle encore ! - dans l'aide au développement. Qu'on pousse la température de quelques degrés et l'on se rapproche de l'objectif...

Avec Pierre Moscovici, je combats en faveur de la transparence des investissements. Si les grandes entreprises réalisent un reporting pays par pays, on saura ce qu'elles gagnent et ce qu'elles paient en impôts dans chaque pays. On luttera contre la corruption plus efficacement.

La directive sur la transparence a été votée au Parlement européen récemment, et revient désormais devant les États. Si la France s'empare politiquement de cette question, cela aura un impact financier important, alors même qu'il s'agit d'une action à coût nul pour la France, et utile.

Deuxième point : la politique de développement est une tuyauterie complexe. Or quels en sont les résultats concrets ? Certaines politiques d'aide publique au développement peuvent s'avérer contre-productives. Nous avons déjà amélioré le pilotage et depuis l'enquête menée par la Cour des comptes, il y a dix-huit mois, les choses ont bien changé.

Nous voulons changer cet état de fait. Les résultats ne dépendent pas des canaux de l'aide, mais des objectifs concrets retenus. Quoi choisir : ouvrir une centrale solaire, développer des infrastructures, soutenir l'agriculture exportatrice, ou l'agriculture paysanne ?

Le gouvernement actuel fait des choix, auxquels il associe l'AFD. Lors du prochain conseil d'administration de l'agence, il présentera un nouveau cadre sectoriel d'intervention en matière énergétique, d'un montant de 5 à 6 milliards d'euros pour les trois prochaines années. Il portera en priorité, s'il est adopté, sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique.

Dès lors que le choix politique est clair, quelles sont les modalités de pilotage ? Nous avons fait en sorte d'unifier la parole de l'État, entre le Quai d'Orsay et Bercy notamment, par l'instauration de discussions informelles entre les administrateurs des différents ministères à l'AFD. Dans la période récente, l'Etat ne parlait pas d'une seule voix. Le gouvernement veut désormais affirmer une politique claire, tandis que l'agence est chargée du management.

Les Assises du développement et de la solidarité internationale, engagement du Président de la République, se tiendront d'octobre à mars et constitueront un moment important d'échanges avec la société civile et avec tous les partenaires : ONG, élus locaux, entreprises, partenaires du Sud, etc.

Cinq thèmes seront abordés. Les objectifs du développement durable et les objectifs du millénaire, tout d'abord. Quel sera le mode de développement dans un monde aux ressources limitées ? C'était l'agenda Rio + 20. C'est aussi la question du climat ; j'étais à New York la semaine dernière pour participer à la négociation sur ce sujet. Quel espace carbone laisser pour le développement, dans un budget mondial contraint ?

Le deuxième thème est la transparence. Comme Jean-Michel Severino, j'ignore à quoi sert l'aide au développement, dans le détail : combien de kilomètres de routes, combien de malades du sida sauvés, combien de classes ouvertes ? Aucun document synthétique n'existe actuellement. En dépit des problèmes méthodologiques, il faut élaborer un document unique, à l'image de ce qu'ont fait les Britanniques. Profitons des Assises pour élaborer une méthodologie. Nous pourrons enfin dire à quoi servent les 9,5 milliards d'euros consacrés au développement. La direction de la mondialisation et l'AFD ont commencé cette réflexion. Il faut agréger notre action, le multilatéral, le bilatéral, l'action européenne,...

Quelle a été la contribution de l'aide française à la hausse du PIB du Burkina Faso ces cinq dernières années ? Nous sommes incapables de le dire, en raison des nombreux paramètres. En revanche, disposer d'indicateurs concrets - nombre de vaccins, de kilowatts-heure, etc. - nous fournira une évaluation plus tangible, au moins sur les éléments matériels.

Troisième thème aux Assises, l'innovation, technologique, organisationnelle,... Oui les réseaux de téléphones portables constituent un élément essentiel du développement, je songe au mobile banking au Kenya. Avec ma collègue Fleur Pellerin, nous réfléchissons aux moyens de promouvoir l'innovation numérique au service du développement.

Quatrième thème : comment intégrer la société civile ? Un Haut conseil de la coopération internationale avait été créé dans le passé. Adepte du pragmatisme, je suis plutôt partisan d'une concertation sur des thèmes particuliers avec les ONG compétentes. J'ai discuté avec les associations de lutte contre le sida avant la conférence de Washington, avec les acteurs concernés par le Sahel, avant un déplacement conjoint avec Laurent Fabius sur place.

Cinquième point : la cohérence entre les différentes politiques - politique de développement, politique agricole, politique d'innovation financière, etc. Le président Carrère a estimé que les propos de M. Vielajus sur la PAC étaient un peu...

M. Jean-Louis Carrère, président. - Provocateurs !

M. Pascal Canfin, ministre délégué. - Mais Stéphane Le Foll a accepté de participer à la discussion sur la cohérence des politiques menées. De même, la transparence financière est importante : l'argent qui sort des pays du sud et se perd dans les paradis fiscaux manque au développement.

Pour conclure, on a progressé en matière de pilotage de cette politique. L'existence d'un ministre du développement, certes délégué, mais à temps plein, et non plus « au développement et à la coopération », est un signe. Les liens étroits entre politique de développement et politique étrangère en Afrique, qu'évoquait le président Carrère, ont été clarifiés. Une cellule diplomatique, qui intègre la politique africaine, se trouve désormais au Quai d'Orsay. Il n'y a plus de cellule Afrique à l'Elysée. Il n'y a plus de ministère de la coopération. Ces éléments me semblent répondre, au moins partiellement, aux critiques justifiées de la Cour des comptes.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Avez-vous sur votre feuille de route le projet d'une loi de programmation ? Cela me paraît fondamental pour répondre à toutes les questions sur le financement, sur la clarification des buts. Elle donnerait lieu à une évaluation et un débat public transparents ; elle serait en outre conforme aux engagements du président de la République ; la gouvernance serait clarifiée.

Vous êtes certes parvenu à vous coordonner avec vos collègues ministres. Mais quelle débauche d'énergie ! Ne serait-il pas plus simple de regrouper toutes les administrations au sein d'un seul ministère ? Et si Bercy souhaite garder le contrôle, il suffirait de l'associer en amont aux décisions. Ainsi les sujets liés au réchauffement climatique concernent-ils à la fois les ministères de l'environnement, des affaires étrangères, des finances - et l'AFD, qui se proclame acteur-pivot pour l'environnement dans son plan d'orientation stratégique.

Autre question : la politique d'aide au développement doit-elle inclure les pays émergents ? La Chine a-t-elle besoin de nos prêts, elle qui détient en portefeuille l'essentiel de la dette américaine ? S'agit-il d'une politique d'influence ? De diversification ? Pour l'influence, c'est raté : l'Inspection générale des finances montre un taux de retour de seulement 1 % vers les entreprises françaises.

M. Christian Cambon. - M. Peyronnet est rapporteur spécial et je suis rapporteur pour avis sur l'aide au développement. Notre souci est celui de la vérité des chiffres, d'autant que le ministre vient de le reconnaître, l'objectif de 0,7 % est illusoire et dépourvu de sens, puisqu'il regroupe des choux et des carottes... Il aurait plutôt pour effet de perturber la perception de cette politique par les autorités de contrôle, notamment parlementaires.

Depuis des années la France vit dans l'illusion d'être un élément moteur du développement en Afrique. Pourtant il y a loin de la cuillère à la bouche ! L'aide française au Mali ne représente pas la moitié de mon budget municipal - la ville comptant 15 000 habitants. On voit actuellement les conséquences de ce désintérêt poli. Nous avons laissé sur le bas-côté les 14 pays africains les plus pauvres. Revenons à la réalité, mesurons clairement et précisément notre action. Je souhaite au ministre de réussir dans cette démarche.

Egalement, il convient d'être plus efficace. C'est le vieux débat entre coopération multilatérale et bilatérale. Il ne s'agit pas de remettre en cause la coopération multilatérale, mais de vérifier comment celle-ci, et notamment, l'aide européenne, est mise en oeuvre. Or on constate sur le terrain la nécessité d'une meilleure coordination avec les acteurs locaux. De même nous pouvons nous interroger sur notre quote-part dans les institutions européennes. L'intervention de l'Union européenne est-elle gage d'efficacité ? Mme Ashton parle très peu de coopération européenne !

Il n'est pas de bonne politique qui ne puisse être soumise à l'évaluation. Certes le processus est complexe mais nous le devons à nos concitoyens. Les parlementaires vous appuieront dans cette démarche. Peut-être certains crédits pourront-ils être redéployés.

A titre de comparaison, je coordonne l'action de solidarité du plus grand syndicat de communes de France, qui est le plus grand donateur dans le domaine de l'eau, après l'État. Or je dispose de données précises et concrètes : grâce à l'aide fournie par 4,5 millions de Franciliens, 4,5 millions d'habitants d'autres pays boivent une eau potable et de qualité, ce qui réduit de 85 % les maladies hydriques dans l'année qui suit.

M. Pascal Canfin, ministre délégué. - Deux tiers des dons passent par le canal de l'Union européenne. C'est un choix politique. Le drapeau européen est aussi le drapeau français. L'action de l'ONU, du HCR, du PAM est aussi financée par le contribuable français. C'est pourquoi je suis attentif dans mes déplacements à rencontrer les délégués de l'Union européenne, les ambassadeurs, les représentants de l'AFD, pour apprécier notre politique de coopération, son articulation avec celle de nos partenaires. Je m'efforce de combiner les approches bilatérale et multilatérale, sans les opposer, afin de mieux peser sur les instances multilatérales ; 19 % des crédits du fonds européen ne sont-ils pas d'origine française ?

A titre d'exemple, le montage financier autour d'un projet de centrale solaire au Burkina Faso, mêlant prêt de l'AFD et prêt de la BEI, est un exemple de la bonne articulation. L'Union européenne ajoute un don pour compenser le surcoût par rapport à des énergies plus polluantes.

M. Yvon Collin . - Le Sénat a travaillé sur l'évasion fiscale. Le projet de loi de finances pour 2013 prévoit d'affecter 10 % du produit de la taxe sur les transactions financières au fonds de solidarité pour le développement géré par l'AFD. Où en sont les discussions pour généraliser la taxe dans l'Union européenne et au-delà ?

Par ailleurs, alors que les crédits de la mission seront maintenus sur la période 2013-2015, comment comptez-vous atteindre l'objectif de 0,7 % du PIB consacré au développement, contre 0,45 % actuellement ?

En outre, le projet de loi de finances pour 2013 prévoit une hausse de 9 millions des autorisations d'engagement pour les subventions aux ONG : quels seront les critères d'attribution ? Quels seront les bénéficiaires ? Vous avez annoncé vouloir mieux distinguer les subventions et les dons. La part des dons dans l'aide publique au développement va donc augmenter ?

Mme Fabienne Keller . - Je suis très déçue par les orientations du budget pour 2013. L'affectation de 10 % des recettes de la taxe sur les transactions financières, créée en février dernier, c'est trop peu ! Il aurait été normal de porter cette affectation à 50 % au moment du doublement du montant de la taxe en juillet dernier. Le budget de l'AFD aurait ainsi été en sécurité.

Un objectif d'aide publique au développement exprimé en pourcentage de PNB, ce n'est pas parfait. Mais ce critère a le mérite d'exister !

Un mot sur les printemps arabes : les pays sont fragilisés et la France a des responsabilités particulières dans le Maghreb. Je l'ai senti lors d'un voyage en Tunisie, les attentes sont grandes à notre égard. Les populations ont besoin de se sentir soutenues, accompagnées sur des projets concrets, pour réamorcer l'activité économique. Peut-être pourrait-on améliorer le partenariat de Deauville ?

Trois programmes budgétaires sont consacrés à l'aide publique au développement, dix-sept autres y contribuent, sans parler des agences. Comment croiser les compétences et les outils pour être plus efficaces sur le terrain ? Comment organiser une coopération systématique entre les agences européennes et fédérer les approches sur l'agriculture, le climat, la santé ? C'est en travaillant sur tous ces sujets que la politique de développement sera solide sur le long terme.

M. Pascal Canfin, ministre délégué. - Les Assises répondront aux questions sur l'efficacité. Concernant la taxe sur les transactions financières, je rappelle que la part affectée au financement de la politique d'aide au développement était nulle sous le gouvernement précédent...

Mme Fabienne Keller . - Il a créé la taxe !

M. Pascal Canfin, ministre délégué. - Certes, mais il ne l'a pas affectée au développement ! L'engagement du président de la République portait sur la taxe européenne sur les transactions financières. Elle est en cours de création. Nous finalisons la coalition des pays susceptibles de la mettre en oeuvre sous forme de coopération renforcée.

Aucun engagement de campagne n'a été formulé en revanche sur la taxe française. Après discussion avec Laurent Fabius, nous avons décidé d'en affecter 10 % à l'aide au développement. Est-ce trop peu ? Evidemment ! Pouvions-nous aller plus loin ? Pas dans la conjoncture budgétaire actuelle. La taxe sur les transactions financières a été doublée. Elle rapportera environ 1,6 milliard d'euros, soit 160 millions pour le développement, qui seront alloués selon deux priorités, comme l'a annoncé le président de la République devant l'assemblée générale de Nations unies : d'une part, la santé, domaine dans laquelle la France confortera sa position de premier bailleur de fonds au monde si l'on rapporte cet effort au PIB par tête - je tiens à le souligner car si l'on peut envisager une génération sans sida, c'est en partie grâce à l'effort français ; d'autre part, la lutte contre le réchauffement climatique, dans le prolongement des engagements pris à Doha. Donc, sur un plan budgétaire, on est à peu près à l'équilibre, malgré l'effort budgétaire demandé aux ministères. Ne pas réduire l'aide internationale, ne pas faire passer « la Corrèze avant le Zambèze », comme on aurait dit jadis, est méritoire dans la période actuelle. Tous les pays ne tiennent pas cette ligne.

La part des dons dont bénéficieront les ONG sera doublée dès la loi de finances 2013. C'était un engagement du président de la République. Il sera tenu. Certes la France est en retard par rapport à d'autres pays. Certains pays sont à 5 %, la France passera de 1 à 2 %.

Dans le domaine du climat, une cellule a été mise en place entre les ministères de l'écologie et des affaires étrangères, composée de représentants des cabinets et des directions concernées pour élaborer un discours et une stratégie commune.

La loi de programmation pourrait figurer dans les propositions issues des Assises, à l'initiative peut-être des parlementaires ou des représentants d'ONG ?

L'aide à la Chine représente un coût budgétaire nul car elle n'est constituée que de prêts sans concessionnalité. Elle s'inscrit dans un mandat clair de soutien au développement durable : efficacité énergétique, villes durables, biodiversité, énergies renouvelables, etc. Nous n'aidons pas la Chine à proprement parler. En revanche, pour lutter contre le réchauffement climatique, il faut faire des économies d'émissions de carbone : qu'on le fasse en France, en Chine ou au Burkina revient au même. Si les économies sont plus faciles à mettre en oeuvre en Chine en raison de la faible efficacité énergétique actuelle, pourquoi s'en priver ? Notre action internationale tend aussi à protéger les biens publics mondiaux.

En ce qui concerne l'octroi de débouchés pour les entreprises françaises, nous n'avons pas le droit, selon les règles de l'OCDE, de recourir aux aides liées. Rien n'interdit toutefois, que, dans le cadre d'une stratégie d'aide publique au développement, des entreprises françaises agissent comme prestataires de service pour les populations concernées. Sur ce sujet, il n'y a ni tabou, ni conditions. Je suis pragmatique. Avec Nicole Bricq en particulier, nous cherchons à développer une offre verte française, proposée non seulement par les grands groupes, mais par les ETI et grosses PME également, afin de constituer un vivier d'entreprises capables de répondre aux besoins en développement des pays du Sud. Je pourrais vanter leurs mérites lors de mes déplacements. Cette filière économique verte française pourrait également être mise en place dans le cadre des coopérations décentralisées.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Je vous remercie.

Mme Kalliopi Ango Ela - Je souhaiterais savoir si les personnes à qui est destinée l'aide seront présentes aux Assises car il est important d'avoir leur point de vue.

M. Pascal Canfin, ministre délégué. - Oui, j'ai demandé à ce que le ministère des affaires étrangères se dote d'une connexion Skype pour faciliter les échanges avec les pays du Sud pendant les Assises. J'ai demandé aux ambassadeurs dans les pays prioritaires de réunir des acteurs pour les associer, également via une connexion Skype, aux discussions. J'ai par ailleurs prévu des interventions lors des ateliers d'experts extérieurs à l'hexagone pour partager d'autres d'expériences notamment britanniques. J'ai également demandé aux représentants des PMA de bien vouloir participer.

M. Jacques Berthou - Nous devons améliorer l'efficacité de cette politique. Est-ce qu'on ne pourrait pas avoir dans chaque ambassade, comme c'est le cas dans le domaine de l'action culturelle extérieure, un représentant unique qui serait chargé de coopération au développement ?

M. Robert del Picchia - Lors de ces Assises, aura-t-on une réflexion sur la façon de vendre l'APD au Français ?

M. Jean-Louis Carrère, président. - Je vous remercie. Ce sont des propositions intéressantes. Le ministre est malheureusement parti. Je vous propose de clore la réunion de la commission et poursuivre le débat avec la salle et nos invités.