Mercredi 26 juin 2013

- Présidence de Mme Bernadette Bourzai, présidente -

Audition de MM. Joël Mergui, Président du consistoire central israélite de France et Bruno Fiszon, grand rabbin de Moselle, conseiller auprès du grand rabbin de France sur l'abattage rituel viande

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Nous accueillons aujourd'hui M. Joël Mergui, président du consistoire central israélite de France et M. Bruno Fiszon, grand rabbin de Moselle, conseiller sur l'abattage rituel auprès du grand rabbin de France et du président du consistoire central, et par ailleurs vétérinaire. L'audition des représentants des cultes par notre mission d'information n'a pas pris la forme d'une table ronde, comme nous l'aurions souhaité : je tiens à préciser que cela s'explique par des incompatibilités d'agenda, et non par le fait que nous y aurions été opposés.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - La communauté juive est présente en France depuis 2000 ans, et le judaïsme français fait partie de notre identité nationale ; il n'est jamais inutile de le rappeler.

Les lois alimentaires juives de la cacheroute concernent tout autant le choix des animaux que leur mode d'abattage. Elles interdisent notamment de consommer le sang, le nerf sciatique et certaines graisses. L'animal ne doit être ni mort ni blessé au moment où il est égorgé. C'est pourquoi vous refusez l'étourdissement au moment de l'abattage, ce qui vous est accordé par dérogation à la loi. L'abattage rituel juif, la shehita, est pratiqué par des sacrificateurs juifs. Il consiste entre autres à trancher la veine jugulaire, l'artère carotide, l'oesophage et la trachée d'un seul geste continu et à vider l'animal de son sang. La défaillance d'un seul de ces critères rend la viande impropre à la consommation pour les Juifs. La carcasse doit en outre être examinée après l'abattage afin de s'assurer que l'animal n'était pas atteint d'un défaut, comme une blessure ou une adhérence, et que l'égorgement a été correctement pratiqué. Les parties interdites à la consommation doivent ensuite être retirées. Pour des raisons pratiques, plutôt que de retirer le nerf sciatique, les sacrificateurs préfèrent souvent retirer l'ensemble des gigots et des cuisses, qui sont ensuite vendus à des non pratiquants dans des circuits de distribution classiques.

La viande casher est au coeur des préoccupations des consistoires juifs. A travers la taxe rabbinique perçue pour l'attribution du certificat de cacheroute, elle fournit par exemple 40 % du budget annuel de 3 millions d'euros du consistoire juif de Marseille. Pouvez-vous nous indiquer le montant exact de la taxe rabbinique au niveau national ? À quoi et à qui cet argent est-il destiné ?

Selon son site Internet, le consistoire israélite de Marseille fait abattre 50 à 60 bêtes par semaine et déclasse 70 % des animaux jugés impropres à la consommation pour les Juifs. Ces animaux sont donc vendus dans le circuit classique, tout comme les parties arrière. Vous défendez la liberté de conscience des consommateurs juifs, ce qui est tout à fait légitime. Mais la République ne doit-elle pas veiller à garantir la liberté de conscience des autres consommateurs ?

M. Joël Mergui, Président du consistoire central israélite de France - Cela fait maintenant quelques années que j'occupe mes fonctions, et je dois dire que je n'imaginais pas passer autant de temps dans ma responsabilité à défendre un des principes élémentaires de notre liberté de conscience, c'est-à-dire de pouvoir manger casher. Bien sûr, nous sommes dans un État de droit, ce qui suppose une certaine transparence : c'est pourquoi nous avons accepté que cette audition fasse l'objet d'une captation et d'une retransmission télévisée. Comme vous le souligniez, Madame la rapporteure, cela fait 2 000 ans que le judaïsme existe ; il est impliqué dans la Cité et n'a rien à cacher. J'aimerais tout d'abord apporter quelques précisions. En premier lieu, l'abattage rituel juif ne représente qu'1 % de la consommation de viande en France, soit quelques dizaines de milliers d'animaux par rapport aux 3 millions de bêtes abattues chaque année.

Par ailleurs, le circuit de la viande casher nécessite des moyens. Les sacrificateurs, ou plutôt les opérateurs d'abattoirs - je préfère employer ce terme car celui de sacrificateur, comme le mot « rituel », génèrent leur lot de fantasmes dans un débat largement public - sont payés par les consistoires et non par les abattoirs. Le coût de l'abattage rituel (environ 1 à 1,50 euro par kilo selon les consistoires) est donc assumé par les consistoires et non par l'ensemble des consommateurs, et ce coût est reporté sur le prix de la viande vendue. Les ressources dégagées par l'abattage, c'est-à-dire les redevances versées, permettent simplement de couvrir les frais, notamment ceux qui concernent la surveillance de l'abattage. Certains consistoires importants comme celui de Paris parviennent à dégager par ce biais des ressources plus importantes qui permettent de mieux faire fonctionner l'ensemble de nos services. Il faut aussi signaler que ce système assure une complète traçabilité de la viande.

Vous avez soulevé la question des animaux déclassés lorsqu'ils ne sont pas reconnus par les sacrificateurs comme casher. Ceux-ci sont alors consommés par l'ensemble des consommateurs, alors que le coût de l'abattage est supporté par le consistoire et par les seuls consommateurs de produits casher. Nous n'avons jamais demandé à ce que les sacrificateurs soient rémunérés pour l'abattage des animaux qui ne se retrouvent pas dans le circuit casher : d'une certaine façon, nous contribuons donc au circuit conventionnel.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Vous m'apprenez que les consistoires participent à la production de viandes destinées aux consommateurs non pratiquants. Il nous avait été dit par les professionnels de l'abattage que les sacrificateurs étaient des personnes embauchées par les abattoirs.

M. Joël Mergui - Les sacrificateurs juifs sont bien rémunérés par les consistoires, et non par les abattoirs.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Je vous remercie pour cette précision. Je continue cependant de m'interroger sur la question des animaux abattus selon le rite casher et qui sont distribués dans le circuit traditionnel. Vous venez de nous indiquer que ces animaux sont abattus par des personnes à qualification religieuse selon une méthode religieuse. Ne pourrait-on pas au moins indiquer le mode d'abattage sur l'emballage afin que les consommateurs puissent faire leur choix en toute conscience ?

M. Benoît Huré - Je trouve plutôt positif que les quartiers arrière, qui sont les morceaux nobles, soient distribués dans le circuit classique, où se pose plutôt le problème de la valorisation des autres quartiers. On récupère ainsi un volume de viande intéressant. Je m'interroge en revanche sur les garanties sanitaires des abattages réalisés selon la méthode casher.

M. René Beaumont. - Le contrôle sanitaire est effectué de la même façon et par les mêmes inspecteurs vétérinaires sur les animaux issus du circuit d'abattage classique et du circuit d'abattage rituel. S'agissant du financement, l'investissement dans la cage utilisée pour l'abattage rituel est effectué par l'abatteur, et non par les consistoires. C'est à mon avis le seul aspect de l'abattage casher financé par les abatteurs. Le système est sans doute différent pour l'abattage halal. Comme vient de le signaler mon collègue, il me semble en définitive que tout le monde se retrouve dans le système casher : les morceaux nobles sont distribués dans le circuit classique, les contrôles sanitaires sont du même niveau que ceux du circuit classique, et l'effort de financement porte principalement sur les consistoires.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Je voudrais revenir sur le chiffre de 70 % d'animaux déclassés au consistoire de Marseille. En Israël, 5 % des abattages seulement sont déclassés. Par ailleurs, certains bouchers spécialisés savent dégager le nerf sciatique, ce qui permet de préserver davantage de viande pour le circuit casher. N'y a-t-il pas des progrès à faire de ce point de vue en France ?

M. Joël Mergui - Je ne sais pas d'où proviennent ces chiffres. Je peux seulement vous dire que c'est la même méthode qui est employée par l'ensemble des sacrificateurs juifs.

La distribution des parties arrière dans le circuit classique répond à une question pratique. Il est très difficile de dégager le nerf sciatique et la plupart des consistoires n'ont pas entrepris de former du personnel sur ce point sur ce point alors que la filière, et notamment la garantie de traçabilité du casher, nous coûte déjà très cher. C'est pourtant une demande fréquente de la communauté juive que de pouvoir disposer de ces morceaux nobles, mais les impératifs techniques associés conduiraient nécessairement à une augmentation du prix de la viande.

S'agissant des conditions sanitaires liées à l'abattage casher, si l'abattage rituel constitue une dérogation aux règles en vigueur, il est soumis aux mêmes contrôles sanitaires que le reste de la filière ainsi qu'à des obligations de formation des abatteurs. Tous nos opérateurs sont formés aux techniques et à l'hygiène de l'abattage, et nous continuons à mettre de nouvelles formations en place.

Sur la question de l'information du consommateur, celle-ci ne me semble pas nécessaire. Tout d'abord, il n'y a pas de différence de qualité entre une viande casher et une viande non casher. Ensuite, nous ne faisons pas manger de viande casher au consommateur non pratiquant à son insu : la viande qui se retrouve dans le circuit général est une viande qui a été reconnue non casher, la seule viande casher étant celle qui est estampillée comme telle.

Ce que mange alors le consommateur du circuit classique, c'est une viande issue d'une méthode d'abattage spécifique dont il n'a pas été prouvé qu'elle impose une souffrance plus importante que les autres aux animaux - puisque je devine que c'est là la question sous-jacente à tout notre débat. Le judaïsme a toujours porté une attention particulière aux animaux : nous ne faisons pas travailler les animaux le jour du shabbat, nous ne pratiquons pas la chasse, nous donnons à manger aux animaux avant de nous nourrir nous-mêmes. La technique d'abattage consistant à trancher la gorge des animaux d'un seul coup, avec de longs couteaux à lame fine, a été élaborée justement pour éviter de faire souffrir les bêtes.

En revanche, selon l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), des incidents d'abattage surviennent pour 15 % des animaux abattus avec étourdissement préalable. Ce sont ainsi 400 000 à 500 000 bêtes sur 3 millions que l'on considère comme assommées et que l'on saigne ensuite sans aucune précaution. En comparaison, la méthode casher, qui comprend très peu de ratés, concerne quelques dizaines de milliers de bêtes seulement.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - J'ai du mal à comprendre votre raisonnement : parce que la méthode d'abattage conventionnel comprendrait 15 % d'incidents d'étourdissement, cela justifierait que 100 % des animaux abattus selon la méthode casher souffrent ? Nous nous penchons sur la question des ratés dans l'abattage conventionnel, et nous ferons des propositions sur ce point dans notre rapport, notamment sur la question de la formation.

Nous avons reçu plusieurs scientifiques, qui considéraient unanimement qu'un animal étourdi ne souffre que le temps de l'étourdissement, qui se compte en secondes, tandis qu'un animal non étourdi avant la saignée peut souffrir pendant un quart d'heure dans les cas extrêmes. Le déclassement de certains animaux abattus selon la méthode casher s'explique par le fait qu'ils se sont infligé des blessures en se débattant au cours de l'abattage tant leurs souffrances sont difficiles à supporter. Le rapport d'expertise collective de l'INRA de 2009, qui se fonde sur plus de 2 500 travaux scientifiques, dit clairement qu'un animal étourdi souffre moins qu'un animal non étourdi.

M. Bruno Fiszon, grand rabbin de Moselle - Le rapport de l'INRA que vous citez met aussi en évidence deux chiffres importants : 16 % des animaux abattus de manière conventionnelle sont mal étourdis et sont donc saignés conscients ; 17 % d'animaux issus d'un abattage rituel perdent conscience après un délai de plus de 30 secondes que l'on peut qualifier d'inacceptable, en raison de faux anévrismes. Cela représente bien moins d'animaux que le nombre de bêtes concernées par les ratés de l'abattage conventionnel.

Par ailleurs, les conclusions du rapport de l'INRA sur les souffrances liées à l'abattage rituel ne sont pas tout à fait scientifiques, dans la mesure où les scientifiques qui les avancent ont été choisis. D'autres scientifiques, dont j'ai ici une liste et qui ne sont ni juifs, ni religieux, sont d'un autre avis. Les scientifiques sont en réalité très partagés sur cette question. Mme Temple Grandin, de l'université du Colorado, déclare ainsi que « les animaux n'ont pas conscience que leur gorge est incisée ». Le docteur Harold Burrow, du royal veterinary college de Londres, déclare quant à lui que « ayant observé la méthode juive sur des milliers d'animaux, je me suis persuadé qu'il n'y a aucune cruauté à cette technique. En ami et propriétaire des bovins et en tant que vétérinaire, je n'ai aucune objection à ce que l'un de mes bovins doit abattu ainsi ». Le professeur Milhaud de l'Académie vétérinaire de France a également pris position en ce sens. Vous n'avez pas auditionné l'Académie vétérinaire de France ; à mon avis, c'est une lacune.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Nous avons auditionné de nombreux vétérinaires qui étaient tous du même avis.

M. Bruno Fiszon - La référence aux animaux qui mettent 14 minutes à mourir est à mon sens quelque peu démagogique : un seul cas de ce type a été rapporté par la littérature. Les durées généralement observées sont de 14 secondes pour les ovins et 30 secondes pour les bovins. Mme Temple Grandin parle de 10 secondes lorsque l'abattage rituel juif est bien exécuté.

M. Joël Mergui - Le grand rabbin Fiszon est aussi vétérinaire, ce qui témoigne de notre attachement à la question animale.

M. Bruno Fiszon - Nous avons certes un parti pris dans ce débat ; mais vous en avez également un quand vous n'interrogez que les scientifiques qui vont dans votre sens. Je constate de plus, Madame la rapporteure, que vous avez déposé plusieurs propositions de loi visant à interdire l'abattage rituel. Vous n'êtes donc pas neutre dans ce débat et je suis étonné que l'on vous confie la fonction de rapporteure de cette mission alors que vous avez clairement pris position sur ce point.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Je trouve inadmissible que des animaux souffrent.

M. Joël Mergui - Les débats se sont concentrés au cours des dernières années, de manière stigmatisante, sur la question de l'abattage rituel. On entend beaucoup moins parler des souffrances liées aux autres méthodes d'abattage.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Nos auditions n'ont pas été orientées dans un sens particulier, et notre mission d'information s'est rendue dans des abattoirs. Nous nous efforçons d'avoir la plus large vision possible sur ces sujets : à ce titre, nous sommes preneurs de tous documents que vous voudrez bien nous fournir et nous pouvons organiser des auditions supplémentaires. Nous sommes aussi préoccupés par le pourcentage d'incidents dans l'abattage conventionnel que nous sommes sensibles à la question de l'abattage sans étourdissement. Mon opinion n'est pas faite a priori sur ce sujet. Par ailleurs, nous nous efforçons de réfléchir autant à l'échelle française qu'à l'échelon européen.

M. Benoît Huré - Il ne s'agit pas aujourd'hui de faire une audition à charge ni de mener un débat contradictoire, mais d'obtenir des précisions techniques qui nous permettront d'orienter notre rapport dans un sens ou dans l'autre.

J'ai le souvenir d'avoir assisté dans mon enfance à des abattages de porcs qui n'étaient ni étourdis ni égorgés avec une lame très fine, et j'ai pu constater que l'agonie durait un certain temps.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Vous soulignez très justement, mon cher collègue, que des animaux étaient autrefois étourdis dans des conditions qui nous semblent inacceptables aujourd'hui.

M. Joël Mergui - A ma connaissance, ni la chasse ni la corrida ne sont interdites en France aujourd'hui. Avez-vous abordé ces sujets lors de vos auditions ? Il y a en France moins de viande casher que de gibier, et les producteurs de ce dernier ont un cahier des charges moins strict que nos sacrificateurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Notre mission d'information ne s'intéresse qu'aux viandes de boucherie classiques.

M. Joël Mergui - J'aimerais que les responsables politiques trouvent des solutions pour que les Juifs pratiquants, qui consomment très peu de viande, puissent continuer à manger de la viande casher sans être stigmatisés. S'ils ne le peuvent plus, ils seront peut-être contraints de quitter la France ou l'Europe. La fondation Brigitte Bardot a commis des campagnes contre l'abattage rituel qui donnent à penser que les Juifs seraient des barbares : c'est insupportable.

Nous affirmons que l'abattage rituel juif ne fait pas souffrir les animaux. Ce n'est pas une conviction, mais un fait étayé par des preuves scientifiques. Nous utilisons un matériel particulier : un couteau très fin, qui doit être aiguisé et changé régulièrement. Ainsi, au moment où la lame passe, l'animal ne sent rien, de même que l'on ne sent rien lorsque l'on fait passer une feuille de papier sur notre doigt. En outre, lorsque les jugulaires et les carotides se vident, le cerveau n'est plus irrigué, ce qui fait que l'animal ne souffre pas davantage. Cette interruption de l'irrigation du cerveau résulte d'une petite anomalie anatomique propre aux bovins, ovins et caprins à l'exclusion des porcs et des chevaux, le polygone de Willis.

Nous sommes très préoccupés par la souffrance animale. C'est pourquoi nous avons collaboré avec les ministères de l'intérieur et de l'agriculture pour mettre en place des règles plus contraignantes, notamment s'agissant de la formation des opérateurs d'abattoir et du renforcement des contrôles - ce qui nous coûte très cher. Nous souhaitons que vous soyez aussi à l'écoute de nos arguments.

M. Bruno Fiszon - Il faut également préciser que les travaux scientifiques ne mesurent pas la douleur animale, que l'on ne sait pas évaluer, mais le degré de conscience. Plusieurs travaux, parmi lesquels ceux que je vous citais tout à l'heure, ont clairement établi que le délai de perte de conscience des animaux abattus rituellement était tout à fait acceptable.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Ces scientifiques sont-ils juifs ?

M. Bruno Fiszon - Non, ils ne le sont pas tous. Et quand bien même, penseriez-vous qu'un scientifique juif ne pourrait pas conduire ses travaux de manière objective ?

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Pouvez-vous nous parler du contrôle exercé pour déterminer si une bête est casher ou non ?

M. Bruno Fiszon - Le contrôle effectué après l'abattage vise à détecter un état pathogène ou les séquelles d'un état pathogène passé, comme par exemple une adhérence entre les lobes du poumon qui signent une pathologie respiratoire ancienne.

La viande de volaille ne pose pas de problème à ce titre : le taux de rejet est extrêmement faible pour les poulets. En outre, nous consommons l'intégralité de la viande des poulets.

Le contrôle est réalisé par des personnes spécialement formées. Généralement, l'opérateur qui réalise l'abattage, le shohet, est également formé pour assurer cette forme de contrôle vétérinaire, la bédika. Ce contrôle spécifique se superpose parfois au contrôle vétérinaire classique : un animal atteint de tuberculose n'est évidemment consommable ni par le consommateur juif pratiquant, ni par les autres consommateurs. Il s'en détache sur le point des états pathogènes passés, qui ne rendent pas les animaux impropres à la consommation pour les non pratiquants. Ce sont ces carcasses, tout à fait propres à la consommation humaine, qui partent dans le circuit général.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Si j'ai bien compris vos explications, une partie des animaux abattus par des sacrificateurs juifs sont consommés par des personnes qui ne sont pas de religion juive. Cela signifie donc qu'une partie des ressources des consistoires provient de consommateurs non pratiquants. Où va cet argent ?

M. Joël Mergui - La redevance touchée par les consistoires sert à financer le circuit de surveillance des abattages, qui permet de garantir la sécurité sanitaire des produits et de faire en sorte que nous ne retrouvions par exemple pas de viande de cheval dans nos assiettes.

M. René Beaumont - La viande casher est une viande qui répond à deux critères : elle provient d'animaux abattus selon une méthode particulière par des gens ayant reçu une habilitation spécifique ; elle doit avoir reçu une certification. De mon point de vue, c'est tout simplement une viande abattue et saignée selon des modalités particulières, et je ne me préoccupe pas de savoir si la viande que je consomme provient d'animaux tués par tel ou tel couteau.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Le fait que les animaux soient abattus selon une méthode religieuse peut déranger les consommateurs athées. Soyons bien clairs : ce qui me dérange, ce n'est pas le fait que le sacrificateur soit juif, mais le fait qu'il accomplisse un geste religieux.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Il nous a indiqué lors de nos précédentes auditions qu'une pratique consistant à étourdir les animaux immédiatement après les avoir égorgés rituellement, dans le but d'éviter que la souffrance ne se prolonge au-delà de 5 ou 10 secondes, était de plus en plus répandue en Europe. Cette pratique vous paraît-elle acceptable dans votre rite ?

M. Joël Mergui - La religion juive ne prévoit pas la possibilité d'étourdir les animaux, que ce soit avant ou après l'abattage. Nous considérons que la lame tenue par un expert formé pendant plusieurs années, selon les prescriptions d'un cahier des charges élaboré avec le ministère de l'agriculture, ne fait pas souffrir les bêtes et qu'il n'y a donc pas lieu de procéder à un étourdissement. Cela n'exclut pas qu'il puisse y avoir des échecs ou des incidents, tout comme dans l'abattage conventionnel. Je rappelle encore une fois que nous avons accepté toutes les actions de formation et d'amélioration du niveau d'hygiène qui nous ont été demandées par les pouvoirs publics.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Êtes-vous d'accord pour préciser le mode d'abattage sur l'étiquetage des produits carnés ?

M. Joël Mergui - Nous ne sommes pas opposés à l'information du consommateur. Nous avons même été parmi les premiers à oeuvrer en ce sens en apposant le label casher sur nos produits. Nous refusons cependant qu'à cet étiquetage soit associée une image stigmatisante, qui ne correspond pas à la réalité que nous vivons. C'est pourquoi nous sommes opposés à un tel étiquetage dans les conditions actuelles du débat sur l'abattage rituel. L'abattage casher est un geste religieux, mais c'est avant tout une méthode d'abattage. Nous souhaiterions qu'elle soit reconnue comme telle et ne constitue plus une dérogation à l'échelon européen.

M. Benoît Huré - Vous avez tout à l'heure adopté une position extrême en disant que si vous n'aviez plus accès à de la viande casher, vous pourriez vous voir contraints de quitter la France ou l'Europe. Ce n'est évidemment pas le but de cette mission. Cela me fait cependant penser qu'il faut peser les conséquences économiques de nos propositions : il n'est pas souhaitable que l'approvisionnement en viande casher résulte uniquement des importations.

M. Joël Mergui - La tournure prise par le débat public depuis quelques années sur les questions religieuses peut conduire certains pratiquants à souhaiter quitter leur pays. On parle en Allemagne d'interdire la circoncision ! La laïcité est entendue de manière de plus en plus rigide. La France doit faire en sorte que la liberté de conscience d'une communauté présente depuis 2000 ans ne soit pas remise en cause.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Nous sommes bien d'accord, mais votre liberté de conscience n'est pas plus forte que celle d'un athée ou d'un pratiquant d'une autre religion.

M. Joël Mergui - Je n'ai jamais demandé que la fête de Noël ne figure plus dans le calendrier ; je souhaite simplement que ceux qui veulent observer le shabbat ou manger casher puissent le faire. Je regrette de voir déposer des propositions de loi visant à l'interdire et je considère que ce n'est pas à l'honneur de la France.

M. Gérard Bailly - En faisant une simple recherche sur internet, je tombe sur des titres tels que « l'abattage rituel, un business florissant pour une cruauté inacceptable ». J'imagine bien que cela doit vous interpeller.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Il faut avoir la plus grande méfiance quant à ce qu'on peut lire sur internet, où l'on trouve tout et son contraire.

M. Joël Mergui - On donne aujourd'hui l'impression d'opposer deux modes d'abattage, l'un qui serait normal et l'autre qui ferait montre d'une cruauté extrême. Avant d'imposer un étiquetage du mode d'abattage, il faut réussir à faire comprendre, en s'appuyant sur des travaux scientifiques, que l'abattage rituel juif est avant tout une modalité d'abattage qui n'est pas empreinte d'une particulière cruauté.

Par ailleurs, savez-vous que des dérogations aux règles d'abattage de droit commun sont prévues par la réglementation pour l'abattage des animaux de ferme et notamment des lagomorphes, qui représentent un tonnage bien plus important que la production de viande casher ? J'espère que vous vous intéressez également à cette question dans le cadre de vos travaux, à moins que la souffrance d'un lapin soit plus acceptable à vos yeux que celle d'une vache ?

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Je vous rassure : on n'abat plus aucun animal dans les fermes.

Mme Renée Nicoux - Sur la question de l'étiquetage, vous pouvez comprendre que certains consommateurs ne souhaitent pas consommer de viande provenant d'un abattage rituel, qu'elle soit halal ou casher, tout comme vous souhaitez avoir la garantie que la viande que vous consommez provient d'un abattage particulier. C'est une simple question de transparence, qui ne peut pas aller que dans un sens ; il ne s'agit pas de savoir si un mode d'abattage est plus cruel que l'autre.

M. Joël Mergui - La question se pose en des termes binaires : soit la viande est casher, soit elle ne l'est pas. Il en va de même pour la viande halal. Il n'y a donc aucune raison d'informer davantage les personnes qui ne consomment pas de casher ou de halal, d'autant que la viande issue d'un abattage rituel est de la même qualité que celle issue d'un abattage conventionnel. Ne parler sur l'étiquetage que de certains animaux - les bovins et les ovins - et de certains modes d'abattage - alors que le gazage des porcs, par exemple, peut poser question - revient à nos yeux à pratiquer une stigmatisation insupportable. Quant au consommateur juif, il paie pour une certification casher.

M. Bruno Fiszon -Pour avoir régulièrement croisé le fer au Parlement européen, avec l'oeuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) ou avec la fondation Brigitte Bardot, je sais que l'étiquetage que vous préconisez va inévitablement conduire à désigner le mode d'abattage rituel comme étant plus cruel, dans la mesure où ces organismes mèneront une campagne massive de dénigrement.

À mes yeux, il y a une sorte de malhonnêteté dans le fait de vouloir étiqueter spécifiquement le mode d'abattage. Il s'agit en réalité d'essayer par ce biais d'interdire l'abattage rituel, qui est inscrit dans la Constitution et que l'on ne peut pas empêcher par d'autres moyens. Je sais que personne ici n'est antisémite ; mais cette focalisation me gêne. Si l'on veut véritablement donner des informations aux consommateurs sur le bien-être animal, il faut réfléchir à l'ensemble des étapes qui ont conduit la viande dans notre assiette, et pas seulement à celle de l'abattage.

M. Benoît Huré - On pourrait imaginer d'apposer sur l'étiquetage une mention qui dirait simplement : « cette viande ne répond pas aux conditions requises pour être qualifiée de casher ou de halal ». Un tel procédé, qui ne stigmatise personne, vous heurterait-il ?

M. Joël Mergui - La seule chose qui importe au consommateur, c'est de savoir si la viande qu'il consomme a été produite dans des conditions légales et dans des conditions d'hygiène suffisantes. La viande casher répond à ces deux conditions, avec un effort particulier entrepris depuis plusieurs années sur les questions d'hygiène. Nos sacrificateurs doivent tous passer des examens, le volume d'abattage rituel est limité en fonction des commandes : tout cela va dans le sens de ce que vous recherchez sans qu'il soit besoin de prévoir un étiquetage spécifique qui pourrait entraîner des polémiques et des campagnes de boycott.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Je trouve la proposition de M. Benoît Huré excellente. Nous allons réfléchir à un étiquetage modéré.

Audition de MM. Patrick Jankowiak et Gil Lorenzo, chefs de bureau à la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI)

Mme Bernadette Bourzai, présidente - La Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) est la dernière administration que nous n'avions pas encore auditionnée.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - La mission commune d'information sur la filière viande vise à établir un diagnostic des difficultés de la filière et à dresser une liste de propositions tendant à répondre aux attentes tant des consommateurs que des acteurs économiques du secteur de la viande, car nous savons malheureusement que nos éleveurs servent trop souvent de variable d'ajustement au système.

La décision de mener cette mission a été prise à la suite du scandale des lasagnes contenant de la viande de cheval étiquetée boeuf. Un tel scandale n'est pas de nature à rassurer les consommateurs et nuit gravement aux intérêts de nos filières viande. Est-il appelé à demeurer une exception ? La DGDDI est bien placée pour dresser un état des lieux des fraudes au sein de la filière viande.

Nous voudrions également savoir quels sont les moyens qui sont mis à votre disposition pour lutter contre ces tromperies et protéger les consommateurs. Que pensez-vous des autocontrôles ? Sont-ils suffisants ? Efficaces ?

Dans le cadre de votre mission, vous devez également veiller au respect de certaines normes. Sont-elles selon vous adaptées ou, au contraire, permettent-elles parfois de tromper le consommateur sur l'origine et la qualité de certaines denrées alimentaires ?

M. Patrick Jankowiak, chef du bureau prohibition, agriculture et protection du consommateur de la DGDDI - Je suis le responsable du bureau prohibition et protection du consommateur, qui a en charge l'ensemble des réglementations qui portent restriction aux échanges, qu'il s'agisse des matériels de guerre, des restrictions sanitaires, des restrictions en matière de biens à double usage, de biens culturels, de médicaments, de produits industriels...

La douane exerce la police de la marchandise en mouvement. Depuis la réalisation du grand marché intérieur le 1er janvier 1993, les contrôles systématiques aux frontières intérieures des pays de l'Union européenne ont été supprimés et il n'y a plus de contrôles aux frontières pour ce qui concerne les échanges intracommunautaires.

En revanche, à l'importation comme à l'exportation, les flux des pays tiers font obligatoirement l'objet d'une déclaration aux douanes par les opérateurs économiques : c'est une obligation qui résulte du code des douanes. La déclaration aux douanes prend la forme d'un document administratif unique. Dans le système français, elle est déposée électroniquement via le téléservice de dédouanement en ligne qui s'appelle Delta et c'est le dépôt de la déclaration aux douanes qui fonde l'intervention de la DGDDI pour les flux internationaux de marchandises. La DGDDI exerce des contrôles principalement à l'importation. Il existe également des contrôles à l'exportation. Son action au niveau de la circulation sur le territoire douanier de l'Union est très limitée.

A l'importation, il existe un certain nombre de restrictions et de prohibitions sanitaires qui conditionnent la réalisation des formalités douanières. Il existe ainsi en matière sanitaire des autorisations qui prennent la forme de documents obligatoirement produit à l'appui de la déclaration aux douanes et qui doivent être présentés par les déclarants au moment où ils déposent leur déclaration aux douanes. L'absence de ces documents sanitaires, que la réglementation européenne rend obligatoires, a pour effet le cas échéant une violation de prohibition. Il existe ainsi en matière sanitaire, pour tout ce qui est viande et produits à base de viande, des textes communautaires et notamment une directive n° 97/78 qui a été transposée en droit interne et qui indique : « l'autorité douanière n'autorise l'importation de lots de produits que si la preuve est apportée que les contrôles vétérinaires requis ont été effectués avec des résultats satisfaisants ». Ces mêmes dispositions sont reprises dans des règlements communautaires, notamment le règlement n° 136/2004 et le règlement n° 282/2004 qui indiquent « le vétérinaire officiel, l'importateur ou l'intéressé au chargement notifient aux autorités douanières la décision vétérinaire prise pour le lot sur présentation de l'original du document vétérinaire commun d'entrée  - c'est le document sanitaire que j'évoquais tout à l'heure - ou de sa transmission par voie électronique ». Nous disposons d'une réglementation spécifique d'origine communautaire qui vise les animaux vivants et les produits d'origine animale.

A l'importation, la compétence de réalisation de ces contrôles revient à la Direction générale de l'alimentation (DGAL) - le document est le document vétérinaire commun d'entrée. Pour ce qui est de l'alimentation animale, un autre document sanitaire est obligatoire à l'importation, le document commun d'entrée (DCE). Les autres produits qui sont destinés à l'alimentation humaine mais qui ne sont pas d'origine animale font l'objet, dans certains cas, de mesures spécifiques et de réglementations plus ponctuelles et, à ce moment-là, le contrôle sanitaire avant la réalisation des opérations de dédouanement revient à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). C'est le cas notamment pour certains fruits secs qui présentent un risque, notamment de contamination par des aflatoxines, pour lesquelles il existe un contrôle sanitaire préalable au dédouanement. Ces documents d'entrée sont d'ordre public, ils sont obligatoires pour le dépôt de la déclaration aux douanes. Il existe aussi des contrôles à l'exportation, notamment au titre de la politique agricole commune (PAC).

En ce qui concerne les contrôles que sont susceptibles d'effectuer les services douaniers et leur articulation avec ceux de la DGCCRF d'une part, et ceux des services vétérinaires d'autre part, le contrôle sanitaire, lorsqu'il est requis, est préalable au contrôle douanier. Dans un premier temps, les services sanitaires délivrent un document. Ce document est produit à l'appui de la déclaration aux douanes. Outre les contrôles visant à s'assurer de la présence des documents sanitaires obligatoires, le contrôle douanier stricto sensu porte sur trois aspects : la nomenclature tarifaire qui permet la codification des marchandises, l'origine et la valeur. L'article 38 du code des douanes indique que lorsque l'importation ou l'exportation n'est permise que sur présentation d'une autorisation, la marchandise est prohibée si elle n'est pas accompagnée d'un titre régulier. Il existe ensuite des textes sectoriels, notamment pour les produits d'origine animale, qui posent ce principe de prohibition.

Les services douaniers ont la possibilité d'échanger des informations avec la DGAL et la DGCCRF et peuvent leur transmettre des informations sur la base de l'article 59 ter du code des douanes qui indique que « l'administration des douanes est autorisée à transmettre les informations qu'elle détient en matière de commerce extérieur et de relations financières avec l'étranger aux services relevant d'autres départements ministériels et de la Banque de France, services qui par leur activité participent aux missions de service public auxquels concourt l'administration des douanes ». Les informations communiquées doivent être nécessaires à l'accomplissement de ces missions ou à une meilleure utilisation des dépenses publiques consacrées au commerce extérieur. La communication de ces informations se déroule selon des conditions énumérées par cet article 59 ter puisqu'il est précisé que la communication ne peut être effectuée qu'à des fonctionnaires du grade d'administrateur civil ou des agents qui remplissent des fonctions de même importance et que les personnes qui ont à connaître et à utiliser ces informations sont, dans les conditions et sous les peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, tenues au secret professionnel pour tout ce qui concerne lesdites informations. Il s'agit d'un transfert de responsabilité vis-à-vis du code pénal dès lors qu'il y a un transfert de ces informations. Ce que je peux également préciser, c'est que la coopération avec la DGAL et la DGCCRF est encadrée par des protocoles nationaux de coopération qui sont conclus entre les directeurs généraux et qui font l'objet d'une déclinaison opérationnelle au niveau des services déconcentrés entre les directeurs régionaux des douanes et leurs homologues.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Ressentez-vous ces dernières années une tendance à la hausse ou à la baisse du nombre de fraudes ?

M. Patrick Jankowiak - Sur le positionnement de la douane aux frontières tierces, je dirais que l'on a de plus en plus de textes qui permettent des interventions qui constituent une prohibition à l'importation. Concernant les fraudes, le système est encadré au niveau communautaire, même s'il peut toujours y avoir des chargements qui passent entre les mailles du filet.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - De quels moyens de contrôle disposez-vous ? Qu'est ce qui permettrait d'éviter ce qui s'est produit avec la viande de cheval - un scandale qui concerne 50 000 tonnes de viande ? On nous a en effet dit à Bruxelles qu'il ne s'agissait pas d'un phénomène isolé.

M. Patrick Jankowiak - La prohibition et les autorisations dont j'ai parlé concernent l'aspect sanitaire des produits. Dans le cas que vous évoquez, il s'agit d'une tromperie et non d'un risque sanitaire. Les textes qui ont été mis en place évoquent bien le risque sanitaire. C'est à ce titre que des progrès ont été accomplis.

Sur la tromperie et le dispositif de régulation du marché intérieur, il est vrai qu'une action en matière de coopération entre les administrations, c'est-à-dire entre les administrations qui sont aux frontières et celles qui sont responsables de la surveillance du marché intérieur pourrait être entreprise, notamment par la communication d'informations. C'est à ce titre que j'ai évoqué l'article 59 ter qui autorise cette communication et que j'ai évoqué les protocoles de coopération qui existent au niveau national et sont déclinés au niveau régional. Beaucoup d'échanges d'informations statistiques sont effectués au niveau déconcentré entre les services des douanes et ceux de la DGAL et de la DGCCRF.

M. Gil Lorenzo, chef du bureau politique des contrôles de la DGDDI - En ce qui concerne les fraudes sanitaires au niveau international, la situation s'est améliorée dans les dispositifs de contrôle. La coopération en Europe au sein des administrations des douanes, le rôle que peut jouer également l'administration mondiale des douanes, fait que nous sommes alertés immédiatement dès que des détections sont effectuées par des administrations douanières dans un autre État. Dès qu'il reçoit une alerte, le bureau prohibition gère les crises, notamment sanitaires. Il transmet immédiatement l'information dans notre intranet douanier. Pour ma part, je mets aussitôt en place les dispositifs de contrôle dans notre système informatique de déclaration aux douanes, le système Delta. Je mets alors en place des profils de contrôle qui vont déclencher systématiquement le contrôle d'un certain nombre de déclarations aux douanes qui remplissent les critères qui peuvent correspondre à l'alerte, ce qui fait que l'on peut basculer sur du 100 % de contrôle dans des situations d'alerte maximale : toutes les déclarations aux douanes qui sont susceptibles de remplir le profil vont être alors forcément contrôlées.

Dans le domaine sanitaire, il existe un double contrôle des flux internationaux de marchandises : le contrôle d'une autorité sanitaire puis le contrôle d'une autorité douanière. Néanmoins, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de fraudes. Lorsque nous avons connu la prohibition en matière aviaire avec la Chine, nous avons eu des cas de fraudes. Nous avions constaté rapidement que des volailles chinoises étaient vendues sur le marché à Paris. Nous avons immédiatement déclenché notre système d'alerte dans la mesure où il y avait un produit prohibé qui avait déjà passé nos frontières et se trouvait dans nos rues. Il fallait identifier la filière d'entrée. Grâce à l'alerte que nous avons pu donner et aux éléments que nous avons transmis, ce sont nos collègues belges qui ont mis à jour chez eux la filière, puisque des entreprises françaises dédouanaient à Anvers. Comment dédouanaient-elles pour éviter tous les contrôles sanitaires et douaniers ? Elles utilisaient une autre nomenclature douanière. Elles écartaient une nomenclature de viande, a fortiori de volaille de Chine, et utilisaient des nomenclatures de légumes congelés par exemple. Cette technique est redoutable puisque vous éliminez pratiquement tout risque de contrôle, car il s'agit de produits globalement peu contrôlés, tant sur le plan tarifaire que sanitaire.

On voit donc bien que lorsque l'on parle de glissement tarifaire - c'est le terme que nous autres douaniers utilisons pour frauder en basculant d'une nomenclature à une autre -, le fraudeur va probablement ne pas utiliser une nomenclature de viande pour la substituer à une autre nomenclature de viande, puisque il y a là toujours le risque d'avoir un autre contrôle sanitaire puisqu'il s'agit toujours de viande, mais utiliser une nomenclature de légumes à la place de la viande.

En revanche, dès lors que l'on a franchi le premier cordon, et que le produit n'est pas prohibé, ce qui est le cas dans notre affaire, la circulation au sein de l'Union est libre. Il n'y a plus du tout de contrôles aux frontières, même s'il peut y avoir des contrôles à la circulation - nous en avons le pouvoir, et en cas de crises sanitaires, nos services à la circulation sont sensibilisés sur certains types de camions à contrôler.

Si demain une alerte sanitaire grave est lancée, par exemple sur de la viande, il est évident que nous demanderons le renforcement des contrôles sur les camions frigorifiques car on peut y trouver ce type de produits. Cela ne signifiera pas que nous aurons tous les pouvoirs du code des douanes mais nous pourrons effectuer des contrôles à la circulation, immobiliser le véhicule et appeler les services vétérinaires qui pourront intervenir. Notre rôle ne peut en effet aller au-delà de la simple immobilisation de la marchandise. Cela signifie que si les services vétérinaires ne viennent pas, nous devons libérer la marchandise car nous ne pouvons pas la bloquer indéfiniment. Il s'agit là de situations délicates, en particulier à certains endroits et à certaines heures. Si vous immobilisez un camion le week-end ou la nuit, il n'est pas sûr que quelqu'un pourra venir rapidement même si nous pouvons garder le véhicule un certain nombre d'heures. Nous avons donc des pouvoirs qui viennent en complément de ceux que nous avons abordés précédemment et que nous pouvons mettre en oeuvre lorsque se produisent des situations extrêmement sensibles.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Avez-vous le sentiment que tous les pays européens jouent le jeu de la même manière ou que certains pays européens sont davantage des portes d'entrée de produits non conformes ? Tous les pays ont-ils le même niveau d'administration et de contrôle aux frontières ?

M. Patrick Jankowiak - Concernant les importations en provenance des pays tiers, autant la réglementation est communautaire, autant la mise en oeuvre dépend des moyens de chacun des États. Le régime des sanctions dépend également du droit national de chacun des États. Il y a quand même en matière sanitaire le règlement n° 882/2004 qui dispose que les autorités douanières et les autorités compétentes coopèrent pour éviter que n'entrent des produits prohibés en provenance de pays tiers.

Il existe en matière sanitaire un office, l'office alimentaire et vétérinaire (OAV), situé en Irlande, qui dépend de la Direction santé et protection du consommateur de la Commission européenne. Cet office réalise des inspections dans l'ensemble des États membres, ce qui entraîne l'envoi de ses inspecteurs selon un programme de travail qui fait l'objet d'une communication de l'office à tous les États membres. À plusieurs reprises, il nous est arrivé de participer à ces missions communautaires d'inspection pour apprécier la coopération qui existe entre les autorités douanières et chacune des autorités compétentes. Les résultats des contrôles sont publiés sur le site de la Commission.

En intra-communautaire, dès lors qu'une marchandise est communautaire, elle bénéficie de la liberté de circulation. Il n'y a pas de contrôle douanier. Nous disposons de pouvoirs, prévus par le code rural, qui nous autorisent par simple inspection visuelle à réaliser la concordance entre les documents et les certificats et les marchandises qui sont transportées, puisque les agents des douanes ont le droit de visite des marchandises, et d'immobilisation des moyens de transport. C'est là que la coopération avec les autorités compétentes prend tout son sens puisque nous avons le droit d'arrêter les marchandises, et le cas échéant de les consigner et de dresser une contravention de première classe qui peut être notifiée à l'opérateur. En matière sanitaire sur les flux tiers, une violation de prohibition est un délit.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Pensez-vous que nous sommes assez sévères ? Les sanctions sont-elles exemplaires et suffisamment dissuasives ?

M. Gil Lorenzo - Pour une prohibition à l'importation, les sanctions sont très dures puisque l'article 414 du code des douanes prévoit la saisie des marchandises, une amende allant jusqu'à deux fois la valeur des marchandises et une peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans. Nous disposons en outre de l'ensemble des pouvoirs qui nous sont conférés par le code des douanes. Nous pouvons entrer dans des locaux, effectuer une visite domiciliaire, c'est-à-dire des perquisitions avec l'autorisation d'un juge, placer des personnes en retenue douanière, l'équivalent de la garde à vue : il s'agit de pouvoirs coercitifs importants.

Pour le commerce intra-communautaire, nous ne disposons pas du tout de ces pouvoirs-là. L'incrimination n'est plus un délit mais une contravention relativement faible. Lors de ces contrôles, nous avons besoin de rechercher l'appui d'une autorité sanitaire dès lors que nous immobilisons un moyen de transport. C'est cette autorité qui pourra saisir les marchandises et mettre en oeuvre ses propres pouvoirs, notamment de sanction. En ce qui nous concerne, nos pouvoirs sont très limités.

D'un point de vue douanier, nous avons dans un cas les pleins pouvoirs pour faire notre métier et pas du tout dans l'autre.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Les douaniers disposent-ils partout en Europe des mêmes pouvoirs ? Sommes-nous, ou non, particulièrement sévères en matière de sanctions ?

M. Gil Lorenzo - Au niveau douanier, les pouvoirs sont certes nationaux mais la panoplie de pouvoirs de contrôle est pratiquement la même partout ailleurs en Europe : accéder aux moyens de transports, accéder aux locaux où se trouve la marchandise, pouvoir faire des perquisitions sous l'autorité d'un juge. Dans certains pays, certains pouvoirs ne sont pas exercés par les douaniers mais transférés à d'autres corps de contrôle. Ainsi, en Italie, c'est souvent la garde des finances (guardia di finaja) qui va avoir des pouvoirs équivalents aux nôtres. Mais globalement la panoplie des pouvoirs de contrôles vis-à-vis des importations est partout la même.

Dès lors que la marchandise a passé le premier filtre - ou dans le cadre d'échanges purement communautaires - le cadre est tout autre. Dans l'affaire qui nous occupe, il s'agit de viande de Roumanie, un État membre de l'Union européenne et la circulation des marchandises est libre au sein de l'Union.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - À quel niveau s'effectue la fraude ? Du cheval est parti de Roumanie et il est devenu du boeuf ultérieurement.

M. Gil Lorenzo - Au départ de Roumanie, il s'agissait de cheval, et il n'y a pas de prohibition sur cette marchandise.

M. Patrick Jankowiak - Il n'y avait pas de risque sanitaire mais il y avait bien une tromperie, une substitution de marchandise dans une même catégorie.

Si je comprends bien ce qu'ont expliqué nos collègues de la DGCCRF et de la DGAL, la viande a été correctement déclarée au niveau de la nomenclature. C'est après, au moment où il y a eu transformation, qu'il y a eu substitution d'étiquettes. Nous ne sommes plus du tout dans une problématique de nomenclature tarifaire. D'ailleurs, d'un point de vue douanier, dans le cas d'une importation de viande depuis un pays tiers, les fraudeurs pourraient avoir intérêt à faire passer de la viande pour des fruits mais pas à remplacer un type de viande par un autre, puisque cela ne leur permettrait pas d'échapper aux contrôles sanitaires.

M. Gil Lorenzo - Dans cette affaire, nous avons aidé nos collègues de la DGCCRF tout au long de l'enquête. Nous leur avons communiqué toutes les statistiques relatives aux échanges intracommunautaires, que nous établissons. En effet, nous recevons des déclarations d'échanges de biens, y compris pour le commerce intracommunautaire, qui nous permettent de produire les statistiques du commerce extérieur. C'est à partir des noms qui apparaissaient dans l'enquête de la DGCCRF que nous leur avons communiqué toutes les déclarations de mouvements de marchandises et tous les flux financiers, puisque nous gérons également dans une base de donnée les mouvements financiers relativement aux questions de TVA. Dans toute la phase d'enquête, nous les avons donc alimentés au fur et à mesure de leurs besoins. Lorsque des noms de traders apparaissaient, nous leur communiquions les éléments nécessaires.

Dans cette affaire, de la viande de cheval a circulé librement - ce qui est parfaitement légal - mais une nomenclature cheval a été remplacée par une nomenclature boeuf. Cette fraude a été préparée, puisque le processus de transport a été interrompu à un moment donné afin de changer les documents. Le risque pour les fraudeurs d'être repérés est faible car la marchandise circule librement dans la mesure. Il n'y a pas de postes frontaliers qui imposeraient des contrôles sanitaires.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Existe-t-il des contrôles volants ?

M. Gil Lorenzo - Non, les contrôles douaniers s'effectuent uniquement aux frontières extérieures de l'Union européenne.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Cette viande est partie au prix du cheval puis elle est devenue plus chère en passant au prix de la viande de boeuf. N'y avait-il pas de possibilités de le voir ?

M. Gil Lorenzo - Vous touchez du doigt une de nos difficultés statistiques. Nous réfléchissons actuellement à la façon dont nous pourrions mieux analyser nos chiffres - c'est un exercice très difficile dans la mesure où les mouvements de marchandises représentent tous les jours des milliers de statistiques. Nous souhaiterions, peut-être d'ici le début de l'année 2014, mettre en place dans nos systèmes informatiques des déclenchements d'alertes permettant d'identifier des mouvements de marchandises anormaux. Mais il est très difficile de déterminer ce qu'est un mouvement anormal de viande de cheval. Il aurait d'ailleurs été possible de voir dans cette affaire qu'il y avait une augmentation du nombre de transactions sur la viande de cheval. Mais il faut bien imaginer que mettre en place ce système sera compliqué car nous risquons d'avoir des alertes tous les jours. Il va falloir réfléchir à la manière de caractériser des transactions anormales du point de vue statistique.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Existe-t-il des contrôles sur les animaux vivants lorsqu'une frontière intérieure de l'Union européenne est franchie ?

M. Patrick Jankowiak - Il peut y avoir des contrôles à la circulation, contrôle et vérification de la cohérence des documents sanitaires par simple inspection visuelle, avec le droit de consignation, comme le précise le code rural. C'est pourquoi il est si important pour nous d'avoir une bonne coopération opérationnelle avec les autorités sanitaires.

Ces contrôles ne sont nullement systématiques mais s'il y avait une alerte par exemple en raison d'un foyer de grippe aviaire quelque part en France, le ministère de l'agriculture nous signalerait ce foyer et nous demanderait de mettre en place des contrôles à la circulation dans cette zone afin de pouvoir lui signaler l'ensemble des flux suspects de marchandises.

M. Gil Lorenzo - Lorsque nous avons vécu la crise de l'ESB, la douane avait été sollicitée pour des contrôles à la circulation et tous les camions frigorifiques qui arrivaient du Royaume-Uni étaient contrôlés à la descente des ferrys. Lorsque nous nous trouvons dans une crise sanitaire grave, il est évident que l'on peut activer la douane et qu'elle va renforcer ses contrôles à la circulation. Dans l'affaire de la viande de cheval, rien de tel n'a été entrepris, puisqu'il s'agissait d'une fraude. C'est une situation qui est plus difficile à maîtriser pour nous.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - D'où vient précisément la viande de cheval roumaine incriminée ?

M. Gil Lorenzo - Nous n'avons pas d'informations précises sur ce point. D'après ce que j'ai compris, les autorités roumaines certifient que les chevaux étaient en bonne santé et que leurs lieux d'élevage étaient sous contrôle vétérinaire.

M. Gérard Bailly - De plus en plus, il y a des mouvements de produits au sein de l'Union européenne. Quand il n'y a pas de liaison directe entre le lieu d'abattage et le lieu de transformation et que la viande circule de Roumanie en Hollande avant de venir en France, avez-vous des moyens d'être alertés ?

M. Gil Lorenzo - Nous nous posons cette question tous les jours dans d'autres domaines douaniers. Nous sommes beaucoup plus à l'aise pour surveiller les flux avec les pays tiers que pour surveiller les flux intracommunautaires. Nous voyons cette difficulté dans tous les domaines. Ainsi, lorsque les autorités communautaires mettent en place une procédure anti-dumping contre les panneaux solaires photovoltaïques chinois, immédiatement nous regardons dans les flux ce qui va se passer. Vu la hausse des tarifs, nous pouvons imaginer qu'il n'y aura plus de panneaux en provenance de Chine mais nous pouvons surveiller si des panneaux indonésiens ou vietnamiens ne vont pas tout d'un coup faire leur apparition. Nous effectuons donc une surveillance statistique.

Au sein de l'Union européenne, nous disposons des déclarations d'échanges de bien mais elles sont beaucoup moins détaillées et les transports circulent très rapidement. On constate dans la filière agroalimentaire une industrialisation des filières et une segmentation des processus de production. Autrefois, l'abattage et la transformation s'effectuaient à proximité de la zone d'élevage. Aujourd'hui, ce n'est plus vrai. Dans le but de faire des économies d'échelles, les circuits sont devenus plus complexes et sont parfois dépourvus de toute logique économique. Il n'est malheureusement pas surprenant pour nous de voir circuler des marchandises qui vont faire l'objet de manipulations, de stockages, de transformations au sein des pays de l'Union car les distances sont courtes et les frontières ouvertes. C'est d'ailleurs tout l'objet de l'Union européenne mais il est vrai que cela peut faciliter certaines dérives.

Nous croyons beaucoup aux échanges d'informations entre administrations. C'est la réactivité qui importe dans ces affaires et il faut renforcer les dispositifs d'alerte pour que dès qu'un cas est identifié, l'information remonte le plus rapidement possible aux autorités de l'Union, afin de pouvoir détecter l'ensemble de la fraude. Nous nous sommes dotés de protocoles de coopération et de pouvoirs de communication spontanée avec les autres administrations nationales et avec les autres administrations douanières, notamment au sein de l'Union. Nos systèmes d'alerte fonctionnent plutôt bien mais il faut que quelqu'un tire le signal d'alarme.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Avec ce scandale, les Français ont découvert la présence de traders, du minerai de viande... Peut-être y aurait-il moyen de renforcer notre système douanier ?

M. Gil Lorenzo - Dans le domaine alimentaire, le trading a toujours existé. Il existe une bourse des céréales très ancienne à Chicago. En matière de sucre aussi, une cargaison de sucre est vendue quatorze ou dix-huit fois avant d'atteindre son port de destination. Je considère les traders comme un métier dans la chaîne et nous devons faire avec. Faut-il mieux les encadrer ? Oui, c'est évident.

Mais ils ont un rôle important et il ne faudrait pas penser qu'ils ne font que de la spéculation. Ils permettent par exemple de conquérir des marchés en les prospectant pour des entreprises. Ils ont aussi un rôle d'amortisseur des variations de prix.

Nous avons communiqué à la DGCCRF toutes les données relatives au trading en leur fournissant un descriptif du circuit financier et du circuit physique, qui ne se rejoignaient pas du tout.

M. Gérard Bailly - Aujourd'hui, beaucoup d'alimentation animale, notamment le soja, arrive d'Amérique du Sud et nous prétendons en France que nos produits ne contiennent pas d'OGM.

M. Gil Lorenzo - Dans des fonctions passées, j'ai fait du contrôle sur du maïs importé, OGM et non OGM. Par rapport à la déclaration aux douanes et aux documents qui l'accompagnent, les produits sont identifiés OGM et non OGM. Ce qui m'avait choqué, c'est que les tapis de déchargement des marchandises et les zones de stockage n'étaient pas isolées. Nous nous sommes rendu compte qu'il n'y avait pas de fraudes mais des contaminations croisées. Dans ce type de contrôles, la douane doit faire des contrôles documentaires puis elle peut appeler la DGCCRF si elle estime qu'il peut y avoir des fraudes sur le sujet en question.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - C'est en raison de ces contaminations croisées que la réglementation européenne prévoit qu'il peut y avoir des traces d'OGM jusqu'à 0,9 %.

M. Gérard Bailly - Existe-t-il des statistiques sur les produits garantis sans OGM qui arrivent dans les ports français ?

M. Gil Lorenzo - Pas d'un point de vue douanier car nous ne disposons pas de nomenclatures spécifiques distinguant les OGM des non-OGM. Les nomenclatures ne permettent pas non plus de savoir si une viande est halal ou casher.

M. Gérard Bailly - Je vous pose cette question car je trouve qu'il serait ridicule de ne pas autoriser les OGM dans notre pays tout en en important sous d'autres formes.

M. Patrick Jankowiak - Il n'existe pas de nomenclature tarifaire concernant l'abattage rituel et il ne pourrait être mis en place qu'au niveau international, ou, à défaut, au niveau européen. L'alimentation bio pose le même type de difficultés.

M. Gil Lorenzo - Je dois pourtant commencer à faire des contrôles bios, ce qui est très compliqué car je n'ai pas de moyens d'un point de vue tarifaire de repérer les produits bios. Nous allons devoir progressivement contrôler des documents nous certifiant que les produits sont bien bio.

Audition de MM. Gilles Salvat, directeur de la santé animale et Franck Foures, directeur adjoint du service de l'évaluation des risques de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES)

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Merci d'avoir répondu à cette invitation de la mission commune d'information sur la filière viande.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Les missions de l'ANSES couvrent l'évaluation des risques dans les domaines de l'alimentation, de l'environnement et du travail, en vue d'éclairer la politique sanitaire des pouvoirs publics. Placée sous la tutelle des ministres chargés de l'agriculture, de l'environnement, de la santé, du travail et de la consommation, votre agence met en oeuvre une expertise scientifique indépendante et pluraliste. Elle contribue à garantir la sécurité sanitaire humaine dans le domaine de l'alimentation. Elle assure notamment une veille sanitaire et une pharmacovigilance sur les médicaments vétérinaires, une épidémiosurveillance en santé animale et gère l'observatoire sur les résidus de pesticides. Autant de sujets que nous avons peu abordés lors des précédentes auditions et dont nous sommes heureux de pouvoir parler aujourd'hui avec vous.

En ce qui concerne plus particulièrement la pharmacovigilance, plusieurs scientifiques ont dénoncé les dangers pour la santé humaine de certains médicaments ou cocktails de médicaments, dont on retrouve des traces dans la viande de certaines espèces animales. Pourriez-vous nous en parler, je l'espère pour nous rassurer ? Pouvez-vous aussi nous parler des résidus de pesticides dans les viandes ?

M. Gilles Salvat, directeur de la santé animale à l'ANSES - Je vais commencer par la question des résidus de médicaments, pour lesquels il existe un plan de contrôle européen dans le cadre d'une directive de 1996. Ce n'est pas l'ANSES qui est chargée de l'application en France de cette directive mais le ministère de l'agriculture, qui diligente un plan de contrôle tous les ans au cours duquel plusieurs dizaines de milliers d'échantillons sont analysés pour détecter un certain nombre de résidus de médicaments vétérinaires et de produits qui contaminent l'environnement. En 2010, un peu plus de 20 000 analyses ont été réalisées chez les bovins, 12 500 chez les porcins, 2 600 chez les ovins et caprins, 500 chez les chevaux et 8 500 chez les volailles.

Les recherches portent sur certains médicaments prohibés, comme le chloramphénicol, qui est interdit depuis 25 ans dans les productions animales. Or, il nous arrive d'en trouver des traces dans des viandes. Des cas se sont notamment produits au Brésil, où des quantités non négligeables de cette molécule ont été retrouvées dans des élevages où les médicaments étaient administrés par l'eau des abreuvoirs. Les canaux étaient entartrés et il y aurait eu un relargage de tartre conduisant à l'apparition de résidus, selon les autorités brésiliennes. Il existe en outre un certain nombre de pays dans le monde pour lesquels ce médicament n'est pas interdit, ce qui nous oblige à faire preuve de vigilance.

Parmi les missions de l'agence, je rajouterais celle de recherche et notre fonction de laboratoire de référence, qui est peut-être un peu moins connue mais qui occupe la moitié de nos effectifs. Nous disposons de onze laboratoires répartis sur dix-huit sites sur le territoire national, y compris dans les départements d'outre-mer, puisque nous avons un laboratoire à la Réunion. Ces laboratoires travaillent sur la santé animale, ainsi que sur la sécurité sanitaire des aliments et des végétaux. Nos laboratoires sont des laboratoires de référence pour une soixantaine de maladies comme les salmonelles, dont l'identification est obligatoire en vertu de la réglementation européenne.

Dans ces laboratoires, nous cherchons à mettre au point des méthodes de détection plus fiables, plus rapides et plus sensibles des pathogènes et des résidus de médicaments vétérinaires. Nous effectuons aussi des recherches pour savoir comment circulent ces agents pathogènes : c'est là tout l'objet de notre mission d'épidémiosurveillance. Ces laboratoires de recherche, qui emploient 700 personnes, produisent des publications scientifiques mais se préoccupent aussi beaucoup de recherche appliquée, puisqu'ils établissent des méthodes qui sont ensuite transmises aux laboratoires départementaux pour qu'ils se les approprient et qu'elles puissent servir aux plans de surveillance sanitaire.

Dans ce cadre, nous savons doser un certain nombre de molécules que nous recherchons spécifiquement. Mais nous essayons aussi de plus en plus de doser des molécules que nous ne connaissons pas grâce à des méthodes multianalyses qui dosent simultanément une centaine de contaminants. Nous utilisons principalement pour ce faire la spectrométrie de masse, ce qui nous permet de détecter un certain nombre de substances qui ne devraient pas se trouver dans les aliments. Nous pensons que dans les cinq à dix ans, à partir d'un échantillon, nous pourrons déterminer l'ensemble des substances que l'on trouve dans un aliment et qui ne devraient pas s'y trouver.

Même chose pour les pathogènes : nous allons développer dans les cinq ans qui viennent un séquençage profond qui permettra de connaître tout ce qui se trouve dans les échantillons - bactéries, parasites - pour peu que l'on sache en faire le traitement biomathématique. Ainsi, nous serons capables assez rapidement de donner la carte d'identité de ce que l'on appelle le microbiome d'un aliment ou d'un prélèvement quelconque.

M. Franck Foures, directeur adjoint du service de l'évaluation des risques à l'ANSES - En ce qui concerne les produits phytosanitaires, nous menons régulièrement des études sur l'alimentation totale : nous en sommes actuellement à la deuxième, qui a été rendue publique en 2011. L'objet de ces études est de reconstituer le panier alimentaire d'un Français sur la base d'enquêtes représentatives et d'établir un échantillonnage de tous les produits et de toutes les marques puis de mener des analyses afin de rechercher 450 substances dans plus de 20 000 échantillons, ce qui nous permet de faire le point sur l'exposition des Français à certains risques. Notre première étude ne portait pas sur les produits phytosanitaires mais nous les avons intégrés dans la deuxième étude. Les viandes et les abats sont un assez faible contributeur à l'exposition chimique des Français pour la plupart des contaminants chimiques, contrairement aux poissons et aux crustacés.

Dans la deuxième étude, nous avons exclu les médicaments vétérinaires car leurs contrôles sont réglementés par l'Union européenne. Un gros pool d'analyse avait été constitué avec des résultats assez faibles, c'est pourquoi, lors des arbitrages budgétaires du phytosanitaire, les médicaments vétérinaires n'ont pas été retenus. Nous le regrettons, mais nous travaillons néanmoins sur des méthodes qui pourraient nous permettre d'intégrer tous les résultats de ces plans de surveillance et de contrôle dans les études sur l'alimentation totale, de manière à pouvoir établir des conclusions sur l'exposition des Français à l'ensemble des substances chimiques contenues dans l'alimentation.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Globalement, pensez-vous quand même que l'utilisation des antibiotiques dans les élevages diminue et que les campagnes en leur défaveur sont efficaces ?

M. Gilles Salvat - Le risque que présentent les résidus d'antibiotique est extrêmement faible et le problème de l'utilisation des antibiotiques dans les filières animales ne vient pas de la présence de résidus dans les viandes. Dans l'immense majorité des cas, les temps d'attente sont respectés et l'on est en dessous de la limite maximale de résidus (LMR). En tout état de cause, il s'agit d'un épiphénomène et en aucun cas d'un problème de santé publique.

Ce qui nous préoccupe dans l'utilisation des antibiotiques, c'est la sélection de bactéries résistantes chez les animaux, bactéries qui peuvent ensuite servir de porteurs de gènes de résistance chez les humains, soit en contact direct avec les animaux, notamment les animaux domestiques et les animaux d'élevage, soit par la chaîne alimentaire puisque l'on sait que toutes les bactéries ne sont pas détruites par la cuisson. Une contamination croisée par des produits animaux ou par des produits végétaux, pour lesquels ont été utilisés des engrais organiques qui peuvent être eux-mêmes contaminés par des bactéries animales, peut aussi se produire. Nous nous intéressons à la circulation entre les différents maillons de la chaîne alimentaire des facteurs d'antibiorésistance, y compris dans l'environnement, car ils peuvent être transmis par l'eau que nous buvons - et ce, même si l'eau est potable en France - mais aussi par l'eau d'arrosage des légumes, les engrais organiques...

Il s'agit de notre préoccupation majeure. Depuis trois ans, nous organisons une réunion en octobre-novembre à laquelle nous invitons toutes les parties prenantes, les professionnels de l'élevage, les associations de consommateurs et les élus, lors de laquelle nous communiquons nos résultats. Nous possédons deux réseaux, un réseau qui surveille l'antibiorésistance des bactéries pathogènes de l'animal en examinant les résultats de 25 000 antibiogrammes par an et un réseau qui analyse la consommation d'antibiotiques. En comparant les deux, nous regardons si des augmentations de consommation d'antibiotiques sont à l'origine d'augmentations de résistance.

Il y a quatre ans, nous avons commencé à voir des augmentations, que nous avons jugées inquiétantes, de résistances à des antibiotiques critiques, comme les fluoroquinolone et les céphalosporines de troisième génération. Nous les qualifions de « critiques » car ils sont utilisés chez l'homme en avant-dernière intention : c'est ce qu'on appelle les carbapenem. Ils sont utilisés uniquement à l'hôpital et par injection et absolument pas en médecine vétérinaire. Ils sont parfois utilisés en médecine de ville. Ces céphalosporines de troisième génération sont utilisées pour soigner des maladies graves à l'hôpital et la présence de gènes de grande résistance chez les animaux nous a préoccupés parce qu'il nous semblait que le risque était non négligeable de voir apparaître chez l'homme des résistances liées à l'utilisation des antibiotiques dans les élevages. Nous avons alerté nos partenaires des filières animales et des organisations de consommateurs et avant même la mise en place du plan écoantibio du ministère de l'agriculture l'an dernier. La filière porcine a mis en place un moratoire sur ces antibiotiques critiques qui étaient utilisés dans les phases difficiles de la vie des animaux comme le sevrage, où l'on fait passer l'animal de l'alimentation lactée à l'alimentation solide ce qui génère des déséquilibres. Plutôt que d'utiliser des antibiotiques pour réguler ces déséquilibres digestifs, les éleveurs se préoccupent désormais d'utiliser de bonnes méthodes d'élevage et une alimentation mieux équilibrée pour assurer cette transition - le sevrage est une étape critique et beaucoup de précautions doivent être prises. Les résultats sont là : en une année, les céphalosporines ont diminué de 60 %.

Notre rôle à l'ANSES est d'alerter, de conseiller les éleveurs, de leur dire de s'orienter vers d'autres méthodes d'élevage plus respectueuses de l'animal, de diminuer les densités, d'éviter les mélanges d'animaux venant de mères différentes, pour faire en sorte de ne pas mélanger les microbismes. La prise de conscience est aujourd'hui très bonne puisque la diminution des consommations est très nette et se reflète, avec un décalage d'un ou deux ans, dans la diminution de l'antibiorésistance. Ce décalage s'explique par les aptitudes à la survie de certaines bactéries qui résistent mieux que d'autres dans l'environnement. L'antibiorésistance a un coût biologique différent d'une bactérie à l'autre, certaines résistent mieux que d'autres dans l'environnement. Il y a donc un décalage entre la diminution de l'utilisation d'une molécule et la réelle diminution du nombre de bactéries porteuses de gènes de résistance.

M. Gérard Bailly - Y a-t-il une production en particulier - bovins, porcins, volaille - qui serait plus sensible à ces problèmes d'antibiorésistance ? Je crois que les choses vont dans le bon sens aujourd'hui car les vétérinaires font très attention, l'animal est identifié, la posologie est bien déterminée. Les vétérinaires utilisent les antibiotiques quand ils ne peuvent pas utiliser autre chose, alors qu'il y a vingt ans, leur utilisation était systématique. Quelle espèce serait la plus concernée par ces problèmes aujourd'hui selon vous ?

M. Gilles Salvat - Chaque filière a ses propres problèmes en matière de phases physiologiques difficiles. En porcs, il s'agit du sevrage, en volaille, ce moment intervient après huit jours - ce qui conduisait les accouveurs à injecter des antibiotiques en prévention sur le poussin de un jour, typiquement le genre de pratiques pour lesquelles nous avons donné l'alerte et pour lesquelles la diminution est vraiment notable. Sur le veau de boucherie, le problème est qu'il s'agit d'un jeune animal qu'on va réalloter avec des animaux qui viennent d'élevages différents, or il s'agit d' animaux qui ont des troubles digestifs du jeune âge assez fréquent. La filière de production de lapins était aussi réputée très consommatrice puisque c'est la filière qui au poids produit consommait le plus d'antibiotiques et c'est l'une des premières qui a réagi avec un plan de démédication qui porte très largement ces fruits depuis deux ans et demi. Il y avait des problèmes dans toutes les filières mais toutes ont pris avec plus ou moins de rapidité les mesures qui s'imposaient car toutes ont senti le risque, y compris pour les éleveurs, de ces traitements. On a vu en Hollande des éleveurs porteurs de staphylocoques dorés résistants à la méticyline qui venaient de leurs cochons, ce qui conduisait les autorités sanitaires hollandaises à isoler les éleveurs de porcs lorsqu'ils arrivaient à l'hôpital.

Au final, nous devons mettre en place des pratiques raisonnées car nous avons quand même besoin des antibiotiques dans les filières animales pour soigner les animaux malades.

M. Franck Foures - On parle souvent de la séparation entre évaluation et gestion des risques mais il y a évidemment des interfaces. Notre tutelle nous soumet par exemple, dans le cadre de l'évaluation des risques, tous les textes importants destinés à être adoptés sous forme réglementaire ou à être intégrés dans un projet de loi. Nous sommes aussi régulièrement saisis pour donner un avis sur les feuilles de route qu'établit la Commission européenne en matière de réglementation.

Ainsi, nous avons été saisis du problème des encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST), sur lequel nous avons formulé six avis, dès que les feuilles de route ont été émises. Nous avons analysé à la fois la question des protéines animales transformées mais aussi celle de la surveillance des EST à l'équarrissage, celle des politiques de sélection génétique des petits ruminants, celle des tests à l'abattoir et celle des matériels à risque spécifié (MRS) des petits ruminants.

Si l'on reprend la question des protéines animales transformées (PAT) qui me paraît intéressante, où commence et où s'arrête le rôle de l'ANSES en matière de politique de contrôle ? Globalement, les experts de l'ANSES, après avoir évalué le rôle de la barrière d'espèce dans l'arrêt possible de la transmission de l'EST, ont estimé que cette barrière était effective mais incomplète. Ils ont donc considéré que, sous réserve de se conformer aux conditions strictes qui étaient proposées par la Commission européenne - ne pas nourrir une espèce avec des PAT issues de la même espèce - il était possible de penser que, sur la base des connaissances actuelles, le risque était négligeable. Mais il était indispensable de respecter strictement cette interdiction et les experts ont souhaité qu'on puisse documenter la façon dont ce respect serait assuré en France. Ils ont notamment demandé qu'un rapport soit commandé au Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) pour que soit dressé un état des lieux de la spécialisation des filières et de leur organisation en France, afin de déterminer si cette spécialisation suffisait à garantir une étanchéité complète entre les filières. Ils ont reçu les différents scientifiques pour évaluer les protocoles de tests existants. La particularité des farines animales, c'est qu'elles sont chauffées très fortement, ce qui dégrade l'ADN. Du coup, il est difficile d'établir le diagnostic d'espèce une fois que ce procédé a été mis en oeuvre. C'est pourquoi nous avons estimé que les conditions n'étaient pas réunies et que le risque ne pouvait pas être considéré comme négligeable.

Si nous vérifions que les conditions sont réunies pour qu'un contrôle soit possible, nous ne disons jamais quel type de contrôle il faudrait entreprendre ni à quel rythme, car cela relève vraiment de la gestion. Il n'y a que pour les plans de surveillance et les plans de contrôle que nous donnons notre avis sur le nombre d'analyses qu'il faudrait réaliser et sur les types de contaminants, car nous avons des compétences fortes dans ce domaine. C'est de cette façon que nous gérons l'interface entre la gestion et l'évaluation des risques. En ce qui concerne les EST, notre dernier avis, qui porte sur les MRS des petits ruminants, sera publié cet été. Sur cette question, nous nous montrons plus stricts que l'Europe.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - C'est toute la question des cervelles d'ovins de plus de six mois qui peuvent être importés depuis les pays voisins alors que chez nous il n'est pas possible de commercialiser les cervelles de nos agneaux qui ont plus de six mois. C'est un exemple criant de distorsion de concurrence et je pense qu'il faudrait se mettre d'accord au niveau de l'Europe, pas forcément en nivelant par le bas d'ailleurs.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Il y a aussi la question de la démédullation après qui doit être faite par l'aspiration de la moelle épinière, technique qui reste obligatoire en France et ne l'est plus au niveau de l'Union européenne.

M. Franck Foures - Nous avons été de nouveau saisis sur cette question récemment et nous rendrons prochainement un avis. De manière générale, en ce qui concerne les EST, notre objectif est de favoriser l'harmonisation des réglementations qui est incontournable pour permettre la circulation des marchandises au sein de l'Union Européenne. C'est pourquoi nos experts fournissent à nos autorités de tutelle des arguments permettant de nous diriger vers l'une des deux options suivantes : soit nous aligner sur la position de l'Union, compte tenu de la situation épidémiologique française et européenne, soit plaider en faveur d'une position plus stricte au niveau communautaire.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Je ne pense pas que nous devions baisser la garde mais il ne faut pas non plus que la France pénalise ses producteurs et sa filière viande.

M. Franck Foures - Pour notre part, nous fournissons une évaluation scientifique sans prendre en compte les aspects économiques. C'est quelque chose qui est très clair dans l'esprit de nos experts. Ils l'ont d'ailleurs dit très clairement dans leur avis sur l'arrêt des tests à l'abattoir.

D'un point de vue sanitaire, nous estimons qu'il peut être justifié d'arrêter une seule carcasse contaminée au prix d'un million et demi de tests très onéreux, même si nous admettons parfaitement que, d'un point de vue socioéconomique, nos tutelles puissent décider de ne pas procéder à ces tests. C'est pour cette raison qu'il peut y avoir des distorsions entre les pays, certains choisissant des niveaux de sécurité plus exigeants que d'autres.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - J'ose espérer qu'il existe un équivalent de l'ANSES dans tous les pays de l'Union européenne. Y a-t-il des échanges scientifiques entre vous ?

M. Gilles Salvat - Il n'y a pas d'agence sanitaire dans tous les pays européens, même s'il y en a une dans tous les grands pays de l'ex-Europe des quinze.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Je connaissais la réponse mais je voulais que ce soit dit !

M. Gilles Salvat - En ce qui concerne nos relations avec des agences étrangères, nous avons une direction des relations internationales et européennes au sein de l'ANSES qui est très active et signe régulièrement des accords de coopération scientifique.

J'étais moi-même hier à Copenhague pour le colloque annuel d'une association qui s'appelle MedVetNet et qui est issue d'un réseau d'excellence européen que nous avions créé et dirigé pendant cinq ans. Il s'agissait d'un appel d'offre européen lancé dans le cadre du sixième programme-cadre, de recherche et développement (PCRD), qui était destiné à financer l'animation scientifique entre des instituts de recherche. MedVetNet est un institut virtuel qui s'est créé autour des zoonoses. Il s'agit d'une communauté scientifique d'instituts et d'agences de recherche qui travaillent à la fois sur les conséquences sur l'humain et sur l'animal des zoonoses et qui pratiquent la recherche collaborative. Nous étions hier à la Danish Technical University à Copenhague et nous venons de nous mettre d'accord sur le principe d'encadrer en commun un doctorant qui va venir 1 an et demi chez nous et 1 an et demi au Danemark et travaillera sur un sujet relatif à l'hystéria monostogénèse, qui est un contaminant de l'alimentation de plus en plus rare parce que l'on a bien réussi à le maîtriser depuis une trentaine d'années.

Il existe aussi un autre groupe qui s'appelle le club Cinq auxquels nous participons avec les Allemands, les Danois, les Suédois et les Anglais, qui est aussi très actif et cofinance des programmes de recherche pour essayer de promouvoir des collaborations entre nos équipes.

Nous répondons aussi à beaucoup d'appels d'offres de l'Union européenne. Depuis le début de l'année, trois de nos programmes européens ont été acceptés dans le cadre du septième PCRD et nous espérons être aussi performants dans le cadre d'horizon 2020, le prochain PCRD.

Faire de la recherche collaborative fait partie de notre métier de chercheur. En termes d'évaluation des risques, nous avons aussi beaucoup d'échanges. Lors de la crise Escherichia coli O104:H4 en Allemagne, les morceaux d'ADN qui ont servi à identifier le O104:H4 en Allemagne ont été produits dans notre laboratoire de Maison Alfort parce que nos deux agences, le BFR en Allemagne et l'ANSES en France collaboraient beaucoup et se connaissaient bien. Il se trouve que, dans notre banque de gènes, nous possédions ce O104:H4, ce qui nous a permis de transférer la méthodologie à une petite société bretonne qui a mis au point le kit de détection en une dizaine de jours puis l'a transféré aux Allemands, ce qui leur a permis de gagner beaucoup de temps dans l'identification de ce nouveau pathogène. Accessoirement, cela nous a aussi permis de gagner beaucoup de temps quand 10 cas se sont produits à Bordeaux avec le même lot de graines contaminées car que nous avions déjà la méthode. Cette collaboration européenne est donc très importante.

Nous avons aussi une collaboration avec l'Association francophone des soigneurs animaliers (AFSA). Un certain nombre de nos experts font partie des panels permanents de l'AFSA, dont au moins deux en santé animale. Un certain nombre d'experts de nos laboratoires y collaborent et nous participons à sa gouvernance à travers des forums de coordination. Je participe moi-même au groupe Animal health and welfare qui travaille sur la santé et le bien-être des animaux. Il s'agit de groupes interagences coordonnés par l'AFSA qui échangent des informations sur les évaluations des risques sur lesquelles nous comptons travailler dans nos programmes à venir de façon à ne pas dupliquer pas au niveau européen ce qui est fait au niveau national et inversement : nous essayons d'améliorer notre coordination. Même s'il y a certainement des améliorations à apporter, c'est quelque chose qui se met en place depuis que l'AFSA existe, lentement au départ mais les choses se sont accélérées depuis quatre ou cinq ans.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Conduisez-vous des travaux sur les risques de déséquilibres nutritionnels liés à la sur- ou à la sous-consommation de viande ? Quels sont les apports essentiels en nutriments résultant de la consommation de viande ?

M. Franck Foures - Nous disposons en effet d'une unité qui travaille sur les bénéfices et les risques nutritionnels de l'alimentation. Elle s'est beaucoup investie en 2001, dans le cadre du programme national nutrition santé (PNNS), dans la construction des premiers repères de consommation pour la population générale et les différents types de populations spécifiques.

Beaucoup d'évolutions se sont produites depuis et nous avons de nouveau été saisis en avril dernier pour réactualiser ces données. Il s'agit d'un travail considérable car il implique de procéder, pour tous les nutriments et tous les types de population à la réalisation d'une bibliographie relative à leurs associations potentielles avec des pathologies et à leurs bénéfices, afin de réviser nos recommandations nutritionnelles. Ce travail est en cours et devrait aboutir normalement vers juin 2014.

La question de la viande sera évidemment abordée. Dans l'actuel PNNS, la viande ne fait pas l'objet d'une étude spécifique, elle est traitée avec les poissons et les oeufs. Depuis, la recherche, notamment à l'ANSES, a beaucoup progressé, notamment sur la question des rapports entre nutrition et cancer. Elle pointe notamment un possible impact de la consommation de viande rouge sur le risque de développer un cancer colorectal, ce qui nous a conduit à émettre des recommandations supplémentaires de ne pas dépasser 500 grammes de viande rouge par semaine. Cette recommandation peut ne pas paraître très exigeante, dans la mesure où, aujourd'hui, la consommation moyenne de viande rouge est de 320 grammes par semaine mais certains consommateurs se situent largement au-dessus de ces 500 grammes.

La viande contient-elle des nutriments essentiels ? Pas véritablement. La viande ne contient aucun nutriment qu'on ne puisse trouver dans les autres produits animaux. Même s'il existe un certain nombre de débats par rapport à la question du fer, nous considérons globalement qu'il n'y a pas, par rapport aux autres produits animaux, de différence substantielle des nutriments qui devrait nous conduire à dire qu'une sous consommation de viande pourrait nuire à la santé humaine.

En revanche, nous mettons souvent en garde contre les dangers des régimes sans produits animaux, en particulier pour les personnes qui n'ont pas un historique familial ou culturel de nutrition sans produits animaux et nous insistons pour qu'elles se fassent accompagner afin qu'elles soient très attentives à l'apport en vitamine B12. Cette attention doit être forte chez tous les végétaliens et en particulier chez la femme enceinte parce que la carence en vitamines B12 chez des femmes végétaliennes peut avoir des conséquences très fortes sur leurs enfants. Nous avons publié récemment un communiqué de presse à l'attention des futures mamans végétaliennes sur la nécessité de veiller à leur alimentation en vitamines B12.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Vous estimez que la consommation de viande n'est pas dangereuse pour la santé. Faudrait-il en manger moins mais de meilleure qualité ?

M. Franck Foures - Pour l'instant, nous attendons la révision des repères du PNSS. J'attire votre attention sur l'un des travaux qu'a produit l'ANSES sur l'impact de l'alimentation animale sur la santé humaine et qui concernait la question de l'impact qu'aurait l'arrêt de certaines graisses saturées comme l'huile de palme dans l'alimentation animale sur la qualité des viandes, du lait et des autres produits animaux et donc de l'impact en termes nutritionnels pour les êtres humains. Sur la question de la viande rouge, il existe effectivement des éléments qui sont très objectifs dans la littérature scientifique sur l'existence de corrélations entre nutrition et cancer. En ce qui concerne les autres viandes, nous sommes en train de faire le bilan de toute la littérature sur l'apport protéique. Il est trop tôt pour vous dire ce qui figurera dans les recommandations du PNNS qui seront publiées en juin 2014. Beaucoup d'études épidémiologiques sont produites aux États-Unis avec des viandes qui n'ont pas du tout la même qualité qu'en France, aussi devons-nous beaucoup peser les études européennes vis-à-vis des études américaines, afin de déterminer à partir de quels seuils le risque de cancer ou de maladies cardio-vasculaires augmente. La qualité de la viande n'est pas neutre non plus, c'est pour cela que j'ai attiré votre attention sur la nutrition des animaux. Nous constatons que pour certaines espèces, en fonction de la quantité de fourrage par rapport à la quantité de concentré, on agit sur les acides gras essentiels qui sont dans la viande et nous savons que certains acides gras essentiels ont des répercussions sur la santé qui sont importantes. Il est donc difficile d'avoir une réponse univoque sur l'impact de la consommation de viande sur la santé, même s'il est possible de dire que la qualité de la viande peut avoir un impact important en termes nutritionnels.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - La qualité de ce que l'on donne à manger aux animaux que nous consommons ensuite nous-même a donc quand même une incidence.

M. Franck Foures - Cela a une incidence, c'est ce que montre ce rapport. Pas dans toutes les espèces, car le cas des monogastriques est différent de celui des ruminants.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Avez-vous prévu de faire des études sur les conséquences de l'alimentation animale avec OGM sur la qualité des viandes ?

M. Gilles Salvat - Nous avons demandé, suite aux articles du professeur Seralini, qu'il y ait des études complémentaires pour essayer de qualifier les risques éventuels liés aux OGM, avec des protocoles qui soient bien éprouvés en amont, afin qu'on ne puisse pas les critiquer. Il faut en effet se souvenir qu'un certain nombre de critiques ont été apportés à ces études par différentes agences de sécurité sanitaire. Nos scientifiques ont rendu un avis équilibré au sens où, certes, nous avons considéré que l'étude du professeur Seralini présentait quelques défauts méthodologiques mais nous avons aussi estimé qu'elle soulevait un certain nombre de questions auxquelles il va bien falloir répondre. Aussi avons-nous suggéré que des études soient conduites et soient financées par l'État et non par des associations ni par des industriels.

Nos chercheurs ne sont pas forcément spécialisés dans ces domaines-là et je pense qu'il y a des gens plus compétents que nous pour effectuer ces recherches, à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), ou au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Sur ces sujets, les polémiques sont très nombreuses. Un article a été publié avant-hier dans une revue scientifique sur l'agriculture biologique : une équipe australienne et néo-zélandaise montre qu'alimenter des porcs avec du maïs et du soja OGM conduit à une augmentation des inflammations gastriques et du poids de l'utérus chez les truies. Il y a donc des répercussions possibles. Mais ces études présentent de nombreuses faiblesses méthodologiques. Il suffit que la granulométrie de l'aliment ne soit pas tout à fait la même pour provoquer des ulcères : changer la machine qui fabrique les granulés peut faire mourir un porc d'un ulcère performant, car ces animaux sont très sensibles aux ulcères gastriques ! Plusieurs études qui posent question commencent à sortir et il convient donc de lever les doutes et de dire s'il existe ou non un risque. Promouvoir un certain nombre de programmes de recherche sur ce sujet fait partie de nos attributions.

M. Franck Foures - On a aujourd'hui très peu de données sur ces questions. Nous savons, en ce qui concerne les souris, que l'alimentation par OGM pendant deux ans peut avoir un impact sur la transcription des protéines au niveau hépatique, ce qui peut aussi avoir une incidence sur les acides gras et donc sur la qualité des viandes. Mais ce sont plutôt des supputations car nous disposons de très peu d'études. Nous les appelons de nos voeux en termes de suivi épidémiologique.

Il est vrai que nous ne savons pas vraiment quels sont les animaux qui consomment des OGM, en quelle quantité, ni d'où ils viennent. Aussi avons-nous souhaité que soient conduites des études de type épidémiologiques, qui suivent à la fois la santé des animaux et la qualité des produits qui en sont issus dans la mesure où ils sont consommés par l'homme. Le programme européen Marlone va s'intéresser à ces aspects épidémiologiques chez l'animal, puisque chez l'homme en Europe la consommation directe d'OGM est très faible.

Audition de M. Daniel Perron, conseiller du ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la Forêt, chargé de l'agroalimentaire, en charge des relations avec les partenaires

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Nous avons le plaisir de recevoir M. Daniel Perron, conseiller en charge des relations avec les partenaires auprès du ministre délégué chargé de l'agroalimentaire, M. Guillaume Garot.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - La découverte de viande de cheval dans des produits censés ne contenir que de la viande de boeuf a mis au jour l'existence de pratique commerciales opaques et a sérieusement émoussé l'image des filières viandes. Les consommateurs ont découvert à cette occasion l'existence du minerai de viande, ces bas morceaux invendables autrement que sous forme hachée ou élaborée. En outre, on découvre régulièrement de nouvelles fraudes.

Afin de restaurer la confiance des consommateurs, le ministre chargé de l'agriculture, M. Stéphane Le Foll, a rendu publics deux objectifs fixés par le gouvernement et les professionnels : progresser sur l'étiquetage en indiquant l'origine des viandes ; rédiger une charte prévoyant la mise en place de davantage de contrôles afin d'éviter de nouvelles fraudes. D'après M. Guillaume Garot cependant, la France ne peut obliger les industriels à modifier leur étiquetage, puisqu'une telle mesure ressort de la compétence de l'Union européenne. Toute démarche en cette matière ne pourrait donc être que volontaire. Que faut-il en définitive penser sur ce sujet ? La France pourra-t-elle imposer ses vues à l'échelle européenne, comme elle l'a déjà fait par le passé dans d'autres circonstances ?

Il faut sans doute faire preuve d'une grande fermeté sur ce point très important pour les industries agroalimentaires françaises, qui comptent plus de 13 500 entreprises et plus de 400 000 salariés, qui représentent le premier secteur industriel français et, au plan mondial, la quatrième industrie des pays exportateurs de produits alimentaires. De nombreuses entreprises françaises du secteur élaborent des produits alimentaires de très grande qualité mais sont aujourd'hui mises en difficulté faute d'un étiquetage adapté qui permettrait aux consommateurs de distinguer les produits de qualité des produits médiocres dans un contexte de soupçon généralisé. L'opacité contribue au climat de défiance qui nuit à nos filières viandes. Je suis plutôt libérale et je pense qu'il ne faut pas tout réglementer ; pour autant, je pense qu'il faut assurer une grande transparence sur les produits alimentaires et donner enfin au consommateur une information complète sur les produits qu'il achète.

M. Stéphane Perron, conseiller en charge des relations avec les partenaires auprès du ministre délégué chargé de l'agroalimentaire - J'aimerais tout d'abord vous dresser un rapide panorama de la filière agroalimentaire. Cette filière représente 500 000 emplois, et même près de 600 000 si l'on prend en compte les artisans charcutiers et les boulangers. Dans la mesure où ce n'est pas une industrie de haute technologie, on oublie souvent son importance dans notre économie nationale : comme vous l'avez dit, Madame la rapporteure, c'est pourtant la première industrie française. C'est également une industrie structurante pour les territoires ruraux. La Bretagne, avec 11 % de la valeur ajoutée nationale, et la Loire-Atlantique sont les premières régions du secteur agroalimentaire. J'insiste sur le fait que les deux ministres en charge respectivement de l'agriculture et de l'agroalimentaire considèrent ces deux secteurs d'un point de vue systémique : on ne peut parler de l'un sans prendre en considération l'autre, et la fragilité de l'un de ces deux maillons, très interdépendants, impacte l'ensemble du système.

La filière viande doit également être considérée d'un point de vue systémique et intégré. Il s'agit d'une filière plurielle : si les objectifs de qualité et d'emploi sont les mêmes pour l'ensemble du secteur, les enjeux et les difficultés ne sont cependant pas identiques pour la filière porc, la filière volaille ou la viande bovine. Au sein des industries agroalimentaires, la filière viandes représentait en 2010 2 462 entreprises, 27 % des salariés (41 % si on ajoute les produits laitiers), 11,1 % des exportations et 20,8 % du chiffre d'affaires. Son chiffre d'affaires est donc faible par rapport à son poids relatif dans la filière agroalimentaire, ce qui met en lumière un problème de valorisation des produits autour duquel tourne tout notre travail.

Ce problème de valorisation concerne l'ensemble de l'industrie agroalimentaire. Depuis 2000, la valeur ajoutée dans ce secteur a stagné et a même légèrement régressé, puisqu'elle est passée de 30,7 à 30,1 milliards d'euros entre 2000 et 2010. Bien que cette industrie soit la première industrie française, elle contribue seulement à 1,7 % de la valeur ajoutée totale au plan national en 2011.

Toujours en 2010, les entreprises de plus de 250 salariés ne représentaient que 2 % des industries agroalimentaires, qui comptent 69 % de très petites entreprises (TPE) et 29 % de petites et moyennes entreprises (PME). On a affaire à des entreprises certes de petite taille, mais qui appartiennent pour la plupart à des groupes importants : les effectifs des entreprises de 20 salariés et plus contrôlés par des groupes dépassent 80 % dans une région sur cinq. Il s'agit donc d'une économie de filialisation par PME, dont Spanghero, filiale d'un grand groupe coopératif, offre un exemple fameux. Les coopératives, qui représentent 2 266 entreprises et 57 956 salariés en 2010, jouent un rôle majeur dans le secteur. On a au total une structuration assez équilibrée de la filière entre le secteur privé et le secteur coopératif, qui est particulièrement implanté dans le lait.

On ne peut pas considérer qu'un secteur particulier de l'agroalimentaire soit plus en difficulté qu'un autre : il y a des difficultés dans certaines entreprises de chacune des filières. On peut cependant reconnaître que la filière volaille export traverse de graves difficultés en raison de la situation du groupe Doux. Dans la mesure où, comme l'ont bien précisé les ministres, les restitutions à l'exportation ne seront pas éternelles - elles sont pour l'heure maintenues mais sont en baisse -, l'objectif est de construire un système qui puisse être pérenne sans restitutions. Les ministres continuent cependant de se battre très fermement à Bruxelles pour leur maintien. Le problème principal du secteur est celui de la structuration et de la destination de la production, alors que nous importons près de 30 % de la volaille que nous consommons, et même 44 % du poulet. Nos principaux concurrents sur le marché européen de la volaille sont l'Allemagne et les pays du Bénélux. Afin d'aider le secteur à faire face à cette concurrence, un plan pour la filière a été adopté, dont la baisse du coût de la main-d'oeuvre à travers le crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE) constitue l'un des principaux instruments. Cette baisse atteindra par exemple 6 % l'année prochaine pour les 2 200 salariés du groupe Doux.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Face au dumping social allemand, cette mesure est cependant de peu de poids. Ne faudrait-il pas plutôt faire pression sur l'Allemagne pour qu'elle mette fin à ces pratiques ?

M. Stéphane Perron - Il est clair que la directive sur le détachement des travailleurs pose un vrai problème. Ce sujet doit être négocié avec l'Allemagne. Mme Merkel vient d'annoncer qu'elle était favorable à l'instauration d'un salaire minimum, ce qui constitue une vraie avancée ; cependant, la structuration sociale est particulière en Allemagne, où les salaires sont définis par les secteurs professionnels. Plusieurs rapports ont travaillé sur ce sujet, qui est certes très important.

Il ne faut cependant pas oublier la question des outils de production et de l'investissement. Certains opérateurs n'ont pas investi dans leurs outils depuis 10 ans, tandis que nos concurrents disposent de poulaillers et d'usines neufs ainsi que d'abattoirs robotisés. Il est vrai qu'il est sans doute plus difficile de changer un système qui fonctionne depuis le début des années 1960 que d'en créer un de toutes pièces. Il faut également faire un vrai effort de formation des salariés.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Il nous a été signalé qu'il était difficile de recruter des bouchers. Il faut mettre en place des formations aux métiers de l'abattage et de la boucherie afin de valoriser ces métiers.

M. Stéphane Perron - Je partage complètement cette orientation, qui constitue d'ailleurs l'un des axes du contrat de filière alimentaire signé la semaine dernière. Des formations de premier niveau, insistant sur la lecture et l'écriture, sont également nécessaires : on s'est rendu compte, au moment de la mise en oeuvre du plan social du groupe Doux, que certains salariés étaient incapables de remplir les fiches qu'on leur présentait. De nombreux personnels sont d'origine étrangère et ne sont pas francophones.

Il est essentiel que les salariés soient en capacité d'exercer un autre métier. C'est en ce sens que le volet emploi et formation du contrat de filière prévoit la mise en place de contrats de qualification professionnelle (CQP) transversaux qui permettraient aux employés de passer d'un secteur à l'autre au sein de la filière agroalimentaire. Les employés de la filière lait, qui travaillent derrière un ordinateur sur des outils entièrement automatisés, de la charcuterie, qui travaillent à la main, et des chaînes d'abattage, ont des métiers très différents. Aussi la mise en place de CQP constitue-t-elle un travail de structuration générale de la filière, qui est absolument essentiel pour l'attractivité et l'image des métiers, et dans lequel tous les acteurs sont bien conscients de leur responsabilité.

Le contrat de filière comprend au total quatre points relatifs à l'emploi et à la formation : consolider et créer des emplois, notamment en attirant les jeunes ; sécuriser les parcours professionnels grâce à la formation ; améliorer l'attractivité des métiers de l'alimentaire ; renforcer le dialogue social dans les territoires, dans les branches et dans les entreprises. La filière s'est engagée à recruter 150 000 jeunes sur la période 2014-2017, c'est-à-dire 10 000 jeunes de plus que le flux habituel.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Afin d'atteindre ces objectifs, allez-vous créer des formations ?

M. Stéphane Perron - Il y aura à la fois de la formation en alternance, des CQP et des contrats d'apprentissage. D'ici à la fin du mois de juillet sera en outre signé un accord interbranche sur les contrats de génération. Par ailleurs, 5 000 salariés auront accès dans les trois prochaines années à des formations sur des savoirs fondamentaux, soit 10 fois plus que ce qui a été fait au cours de l'année dernière ; il s'agit d'une vraie demande constatée sur le terrain à l'occasion des plans de sauvegarde pour l'emploi (PSE). Certains salariés de l'agroalimentaire exercent un travail davantage subi que choisi. Notre objectif est de redonner de la noblesse aux métiers de l'agroalimentaire.

Il s'agit plus généralement de redonner à l'industrie agroalimentaire la vision d'un futur dont nous pensons qu'il peut être florissant. La France a toute sa place dans la production agroalimentaire mondiale qui devra relever le défi alimentaire des prochaines années. Nous disposons en effet à la fois d'un savoir-faire qui nous est envié par les autres pays et de produits de grande qualité. De ce point de vue, il est fort dommageable que ce soit de la France que provienne le dénigrement permanent de la qualité de nos produits. Il y a des raisons à cela : vous évoquiez tout à l'heure les différentes fraudes qui ont touché le secteur. Pour autant, un seul fraudeur ne doit pas cacher la grande masse des producteurs vertueux.

M. Gérard Bailly - Lorsque le ministère de l'agriculture produit un fascicule intitulé « Agriculture : produire autrement », contre lequel j'ai fermement pris position, il me semble que c'est du ministre lui-même que provient le dénigrement.

M. Stéphane Perron - Cela signifie simplement que l'on essaie de produire avec moins de pesticides et que l'on applique les préceptes du Grenelle de l'environnement. Une telle production permettra en outre à nos éleveurs de rattraper une partie de notre retard de compétitivité par rapport à l'Allemagne, notamment à travers la mise en place d'un plan de méthanisation.

Le maintien de la production agroalimentaire est intimement lié au maintien de la production primaire. Il faut ainsi produire au moins 25 millions de porcs pour pouvoir maintenir nos outils industriels d'abattage-découpe. Une baisse importante de la production entraînera une restructuration d'autant plus sauvage des outils.

M. René Beaumont - Sur la question de la production de porcs, il faut commencer par le début, c'est-à-dire autoriser la construction de porcheries. Dans mon département, la Saône-et-Loire, premier département de France pour ce qui est de la surface agricole utile (SAU), il est complètement impossible de construire une porcherie, notamment en raison de la mobilisation de mouvements écologistes. C'est principalement à cela que tient la baisse de la production de porcs. Il est urgent de trouver des solutions sur un problème qui est pointé depuis dix ans.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Le ministre de l'agriculture a déclaré le 18 avril dernier que les procédures relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) allaient être assouplies.

M. Stéphane Perron - Nous sommes tout à fait conscients de ce problème et nous nous efforçons depuis un an d'avancer sur ce sujet. Il existe aujourd'hui une très forte volonté politique pour avancer sur la question des ICPE. La production de porcs souffre cependant d'une image négative liée à l'hyperconcentration bretonne. Cette production suscite en outre des peurs parce qu'elle est mal connue : il semble plus facile d'implanter un poulailler qu'un élevage de porcs.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Ce n'est pas certain !

M. Stéphane Perron - Nous allons non seulement avancer sur la question des ICPE, mais également sur celle de l'augmentation de la taille des élevages. Pour cela, il faudra travailler sur l'image de la filière : l'éleveur de porcs ne doit plus être considéré comme un pollueur. La reconquête de la production nous permettra ensuite de reconquérir la transformation et de travailler sur les outils de transformation. Il faut bien reconnaître que la filière porcine est particulièrement complexe : elle est marquée par une forte concurrence entre les acteurs et comprend des acteurs plus petits que la moyenne européenne. Il faut donc mener une restructuration du secteur, qui ne devra pas être faite au détriment des éleveurs, ou des salariés.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Que proposez-vous en matière d'étiquetage et de transparence pour restaurer la confiance du consommateur ? Envisagez-vous une évolution de l'information fournie pour les produits bruts et surtout transformés ?

M. Stéphane Perron - La traçabilité est un sujet qui relève du droit de l'Union européenne et toute évolution sur la question de l'étiquetage obligatoire nécessite un accord à l'échelon européen. Cela étant dit, il est possible que les acteurs nationaux décident de manière volontaire de modifier l'étiquetage des produits. Il n'est aucunement interdit aux opérateurs de décider de préciser le pays d'origine de leurs produits ; cette démarche fonctionne d'ailleurs bien dans la filière porcine avec le logo VPF (viande porcine française).

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Le volontariat est-il suffisant s'agissant des produits transformés ?

M. Stéphane Perron - Non, en effet. Le 21 mai dernier a eu lieu une réunion à la suite de l'affaire de la viande de cheval dans le but d'améliorer les contrôles, la qualité et la traçabilité des produits industriels à base de viande. Le gouvernement a retenu plusieurs orientations à la fois nationales et européennes. A l'échelon national, il est prévu de mettre en place une charte antifraude visant à instaurer des contrôles renforcés entre fournisseurs et acheteurs de viandes destinées à la transformation. Les opérateurs devront rendre public leur engagement dans cette démarche. Il est également prévu d'adopter un code des usages permettant de définir des standards professionnels pour la qualité de la viande utilisée pour la confection des plats préparés et de fixer les contrôles physiques et analytiques à effectuer. Ce code des usages sera applicable dès l'automne 2013. Nous devrons aussi anticiper le renforcement de la réglementation communautaire et mettre en oeuvre le plus rapidement possible le renforcement des contrôles portant sur la qualité des viandes. Nous allons enfin promouvoir les démarches volontaires en matière d'étiquetage du type VBF (viande bovine française) et VPF sur l'ensemble des filières, y compris l'ovin et la volaille. Cette démarche va de pair avec le travail que nous effectuons sur la valeur ajoutée : nous considérons que les acteurs ont tout intérêt à dire qu'ils produisent français.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Il n'est donc pas prévu d'imposer un étiquetage de l'origine pour les produits transformés. C'est pourtant la valorisation des produits français, qui sont de grande qualité, qui est ici en jeu.

M. Stéphane Perron - En l'état actuel du droit, il ne nous est légalement pas permis de l'imposer. Cependant, même si l'État n'a pas le pouvoir de l'imposer aujourd'hui, un industriel a tout à fait le droit de le faire en tant qu'acteur économique. Pour autant, nous avons la volonté de progresser sur ce sujet tant par la négociation au niveau européen que par l'incitation au niveau national. Nous allons construire un logo général, le label « viande de France », qui permettra de regrouper l'ensemble du secteur et d'harmoniser les conditions sociales des différentes filières.

Au niveau européen, le gouvernement s'est engagé à promouvoir les codes des usages relatifs à la qualité dans les différentes filières viande. Nous poursuivons également le dialogue avec les autorités européennes pour obtenir un étiquetage de l'origine des viandes jusque dans les plats transformés. Il s'agit d'une demande très forte des trois ministres en charge de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la consommation. Nous avons par ailleurs demandé la création d'un réseau antifraude alimentaire et nous allons veiller à ce que les obligations en matière d'enregistrement préalable, de traçabilité et d'accès aux informations pour les autorités de contrôle soient étendues aux sociétés de trading de viande. Le trading de la viande fait en effet partie, avec le minerai de viande, des réalités de la filière que le grand public a découvertes à l'occasion de la crise de la viande de cheval.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Nous avons eu l'occasion de voir du minerai de viande à l'occasion de notre visite à l'abattoir de Kerméné et je vous avoue que j'imaginais pire.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Il existe cependant plusieurs sortes de minerais.

M. Stéphane Perron - L'utilisation du minerai montre que l'on pousse au maximum la rentabilité des appareils industriels et des animaux que l'on abat sous la pression économique. Les fraudes alimentaires sont sans doute en partie le résultat de la course aux prix les plus bas : certains acteurs économiques qui ne peuvent plus résister à cette pression se trouvent sans doute contraints de recourir à des pratiques qu'ils réprouvent. La recherche des bas prix ne peut que produire des effets négatifs sur la qualité des produits. C'est pourquoi nous souhaitons, à travers le projet de loi sur la consommation, réformer la loi de modernisation de l'économie (LME) afin d'accroître la répercussion de la volatilité des cours des matières premières sur les prix, à la hausse comme à la baisse pour l'ensemble des acteurs. Cependant, il y aura toujours des fraudeurs qui estimeront qu'ils ne font pas assez de bénéfices, même dans un système économique florissant.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Il est essentiel que cette répercussion concerne les éleveurs, qui constituent souvent la variable d'ajustement du système. On voit plus souvent un éleveur qu'un industriel mettre la clé sous la porte.

M. Stéphane Perron - La grande distribution a le rôle que les autorités politiques ont bien voulu lui donner. La LME visait à faire baisser les prix ; il ne faut pas s'étonner ensuite que nombre d'entreprises se trouvent aujourd'hui en grande difficulté. Chacun des opérateurs de la chaîne, de la production primaire à la distribution, doit pouvoir faire une marge qui lui permette de vivre, et pas seulement de survivre. Cela signifie qu'il doit pouvoir former son personnel, innover et investir. Les difficultés de certaines entreprises résultent en effet du fait qu'elles n'ont plus les moyens d'investir depuis plusieurs années. C'est pourquoi il est absolument indispensable de retrouver de l'équilibre dans les relations commerciales.

Les acteurs économiques ont aussi leur rôle à jouer dans cette évolution. L'observatoire des prix et des marges (OPM) décrit les négociations des acteurs de la filière comme ubuesques par rapport à ce qui se pratique à l'étranger. C'est en effet un milieu très dur ; mais chacun doit aujourd'hui se rendre à la raison. Le gouvernement ne peut pas négocier les prix à la place des acteurs, mais il a le devoir de fournir les conditions d'une négociation équilibrée, ce qu'il a fait en revenant sur la LME. Par ailleurs, les médiations sur le prix du lait ou du porc jouent aussi un rôle certain.

Au terme d'un an de travail avec les industries agroalimentaires, avec la mise en place des contrats de filière, je crois que nous sommes parvenus à donner un élan nouveau qui se faisait attendre depuis plusieurs années.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Pouvez-vous nous dire quelques mots du plan d'investissements d'avenir ?

M. Stéphane Perron - M. Stéphane Le Foll a expliqué qu'il fallait créer une dynamique d'investissement territorial soutenue par les pouvoirs publics à tous les niveaux de l'administration. Nous devons être très offensifs sur ce point, parce qu'il n'y aura pas de redressement de l'appareil productif français sans redressement de l'agroalimentaire. Le pacte pour l'investissement productif, qui est un plan de financement pour le secteur agroalimentaire, vise à répondre à cet enjeu. A l'heure actuelle, il existe trois dispositifs principaux de soutien à la filière : le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) ; les aides apportées aux projets de recherche, d'innovation et de développement dans le domaine agroalimentaire ; l'instrument nouveau que représente la banque publique d'investissement (BPI). En 2010, les industries agroalimentaires avaient investi plus de 5 milliards d'euros, dont 3 milliards pour les PME. Dans l'optique du soutien aux investissements du secteur, nous avons fait remonter 750 projets d'investissement pour un montant de 2,7 milliards d'euros à travers les services de l'État et les conseils régionaux.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Envisagez-vous de valoriser les productions de proximité ?

M. Stéphane Perron - L'industrie agroalimentaire doit marcher sur ses deux jambes : les productions de masse, qui répondent à une demande et aux exigences du pouvoir d'achat, et les circuits de proximité, avec une relocalisation des productions et une production territorialisée. A ce titre, nous continuons de promouvoir les labels, qui constituent une source de richesse considérable pour notre agroalimentaire.

Audition de MM. Jean-Guillaume Bretenoux et Bruno Ferreira, conseillers techniques du ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Notre dernière audition nous permettra d'entendre les conseillers du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Notre mission, mise en place à la suite du scandale de la viande de cheval ayant remplacé la viande de boeuf dans diverses préparations alimentaires, avait été demandée par le groupe UDI-UC du Sénat. Nous nous intéressons à l'élevage, à la question des industries de transformation et enfin, à la commercialisation. Nous avons effectué de nombreuses auditions et plusieurs déplacements, qui nous ont permis de rencontrer des acteurs économiques, en particulier aux Pays-Bas.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Le 31 mai dernier, lors de l'Assemblée générale du syndicat national de l'industrie de la nutrition animale, vous représentiez le ministre et souligniez les difficultés et l'avenir de l'élevage. A cette occasion, chacun a pu constater le contraste entre la vision de l'élevage des représentants de l'agroalimentaire et du gouvernement. Un intervenant a souligné que l'intensification, non seulement inéluctable mais aussi souhaitable, continuera dans les décennies à venir dans les productions animales. L'intensification serait la condition sine qua non pour concilier performance économique et exigences de durabilité imposées par la société civile. Ce sont d'ailleurs là les conclusions de la commission Van Doorn aux Pays-Bas, composée des représentants de l'ensemble de la filière agroalimentaire, qui avait pour mission de définir un projet, notamment pour la province du Nord-Brabant, qui a la densité de porcs et de volailles la plus importante d'Europe. Cette commission a estimé que la taille optimale d'un élevage est celle qui permet d'employer 4 personnes en équivalent temps plein. Cette taille permet de réaliser les investissements nécessaires pour le bien-être et la santé des animaux et le respect de l'environnement. Le nombre d'animaux n'a rien à voir avec celui de la France. Pour M. Christian Renault, consultant pour le groupe AND International, l'intensification de l'élevage en France est une nécessité. Les opérateurs dominants imposeront leurs normes pour tout le monde. L'avantage prix des poulets de Hollande est de 10 %, avec de plus gros volumes, des lots plus homogènes ... Le modèle français avec de petites entreprises est-il toujours viable et a-t-il un avenir dans ces conditions ? Peut-on encore avoir plusieurs modèles d'exploitation en France ? Il existe sur notre territoire des modèles très différents, des modèles innovants. J'ai ainsi rencontré les boucheries André de Lyon, qui proposent des nouveaux modèles d'organisation de la filière, maîtrisant toute la chaîne du pré à l'assiette, avec l'objectif de distribuer une viande d'excellence. A l'heure où certains prônent un modèle plus industriel et plus intensif, qu'est-ce que le Gouvernement a prévu pour soutenir les modèles innovants et pour faire en sorte que le poulet ne soit pas du « blé sur pattes ».

M. Jean-Guillaume Bretenoux, conseiller technique chargé des filières animales et agroalimentaires au cabinet de M. Stéphane Le Foll. - Le ministre Stéphane Le Foll ne croit pas qu'un seul modèle soit valable pour l'élevage, et d'ailleurs pour l'agriculture en général. Il est évident qu'il existe une vision de l'agriculture considérant que seule la course à la taille permet de rester compétitifs en Europe et dans le monde, pour compenser les différences avec nos concurrents en matière de coûts de main d'oeuvre ou encore de normes environnementales. Ce n'est pas la vision du ministre, qui considère que l'agriculture et l'élevage ne peuvent pas être complétement déconnectés du territoire. L'élevage est une activité de production et non de transformation. Il faut donc ce lien.

L'approche considérant qu'on est plus compétitifs avec une grosse exploitation qu'avec une exploitation de taille familiale est d'ailleurs discutable, ne serait-ce que parce qu'en élevage, il y a aussi des problématiques de maladies des troupeaux, qui peuvent toucher davantage les élevages très concentrés.

Le Gouvernement considère aussi qu'il y a un enjeu territorial fort pour l'élevage et la transformation industrielle de la viande. Concentrer la production dans quelques grandes exploitations spécialisées par région poserait un problème d'aménagement du territoire et d'occupation de l'espace. Si le Gouvernement défend aujourd'hui l'élevage, notamment dans le cadre des négociations de la PAC, c'est aussi parce qu'il considère qu'il est un facteur de croissance et de développement économique sur l'ensemble du territoire français.

Il n'y a donc pas de modèle unique à privilégier. Il existe des projets de grande taille qui se développent, comme par exemple la ferme des mille vaches - qui a d'ailleurs été réduite à cinq-cents vaches. Ce projet est suivi attentivement. Des projets de ce type ne sont pas interdits. Il existe des conditions réglementaires très strictes à respecter. Ce type de projet n'est pas à rejeter non plus car il peut être facteur d'innovations.

Clairement, le Gouvernement ne promeut pas ce type de projet, mais ne peut pas l'écarter. Afin de favoriser le maintien du modèle des exploitations familiales, plusieurs outils pourront être mobilisés comme la surdotation des 50 premiers hectares dans le cadre de la réforme de la PAC, acceptée lors de la discussion à Bruxelles. La deuxième piste est celle de l'agroécologie. On peut améliorer la performance économique et environnementale des exploitations, ce qui leur permettra d'être davantage viables. En améliorant la conduite de l'exploitation, en tirant partie des ressources de l'agronomie, en sécurisant les revenus sur la durée, on va dans le bon sens.

M. Bruno Ferreira, conseiller technique chargé des questions de sécurité sanitaire et de l'alimentation au cabinet de M. Stéphane Le Foll. - Les produits de l'élevage ont une destination : celle d'être des aliments. Des exploitations de petite taille peuvent être portées par la dynamique des signes de qualité. Cela existe pour la volaille, mais aussi pour les porcs, les ovins, les bovins en général, les veaux ... Toutes les démarches qui visent à une segmentation du marché permettent une valorisation plus importante des productions et donc une agriculture de proximité qui, se basant sur des exploitations de petite taille, permettent de dégager des facteurs de compétitivité.

M. René Beaumont - Je souscris à la vision que vous décrivez de l'agriculture et qui est défendue par Stéphane Le Foll. Toutefois, dans certains secteurs comme la production laitière, il y a une pression importante. La ferme des 500 vaches y est probablement l'avenir. Dans mon département, les vaches laitières sont remplacées par des vaches charolaises qui présentent un gros avantage : on n'a pas à les traire. La nécessité de traire les vaches laitières deux fois par jour, toute l'année, est un repoussoir pour les jeunes. La seule solution est d'avoir un robot de traite, mais il faut au moins 150 vaches laitières pour amortir un robot. Certains robots sont si sophistiqués que les vaches vont à la traite toutes seules. L'éleveur est gagnant en quantité - les vaches donnent plus de lait - mais aussi en qualité. L'éleveur n'a plus qu'à effectuer une surveillance. Cela va révolutionner la production laitière, mais il faudra aider les investissements. L'enjeu est de taille car nous risquons de manquer de lait bientôt en France.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - La question de la pénibilité du travail est centrale. La démarche « produisons autrement » du ministère cherche à y répondre, notamment en encourageant des solutions collectives. Cela peut aussi passer par des robots. Il existe une demande sociale en France de disposer de garanties en matière de modes de production. On ne peut donc pas défendre une vision de l'élevage qui repose sur une production standard. Il nous semble nécessaire que le marché soit segmenté. Ne gâchons pas la segmentation en mettant tout le monde sur le même segment.

Toute la difficulté réside dans la recherche de l'équilibre entre le maintien de produits de qualité et celui des productions standardisées. Sur ce dernier segment, il ne faudrait pas que chaque enseigne ait des exigences différentes en termes de tailles de barquettes, de couleurs. Ces contraintes de calibrage compliquent inutilement la production. Tout ne repose donc pas sur la taille de l'exploitation.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Les éleveurs aiment fondamentalement leur métier. Le problème n'est pas tant la pénibilité mais la faiblesse du revenu, au regard des investissements énormes qu'il faut faire. Nos éleveurs ne gagnent pas assez par rapport à leur investissement en temps et en argent. Nous avons rencontré durant nos déplacements un jeune qui a repris une exploitation avicole et qui nous expliquait fièrement dégager un SMIC de son activité. Cela n'est pas possible. Il faut revaloriser les revenus des éleveurs et le statut de l'éleveur, qui ne peut pas être la variable d'ajustement du système.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - D'où la nécessité de revoir la répartition des aides agricoles entre céréaliers et éleveurs.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Nous devrons aussi parler des normes. Les dossiers d'agrandissement ou d'installation doivent être traités dans des délais définis et il faut que les demandes de pièces complémentaires ne retardent pas les dossiers.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Nous sommes parfaitement d'accord sur le fait qu'il existe une double voire une triple peine pour les éleveurs, entre la pénibilité du travail, la faiblesse des revenus par rapport aux céréaliers et les contraintes réglementaires probablement plus pesantes pour les éleveurs que pour les cultivateurs. Certains ont le choix et peuvent vouloir changer de production, dans les zones intermédiaires. Dans les zones où l'on ne peut pas basculer en grandes cultures, l'éleveur n'a cependant pas le choix.

Concernant la simplification, nous estimons que quand la procédure devient dissuasive, même lorsque l'on respecte les contraintes environnementales, il y a un problème. Pour l'élevage porcin, le ministre a donc la volonté de créer un régime d'enregistrement pour réduire le délai d'instruction des dossiers de 12 à 6 mois environ, en n'ayant plus à passer par l'enquête publique et l'étude d'impact. Il n'y aura pas de remise en cause des exigences environnementales. On pourra basculer sur un régime d'autorisation dans des cas précis, s'il y a des interrogations sur l'impact des projets. La société nous demande un encadrement très strict de ces productions, et notamment des productions de grande taille. Il est nécessaire d'en tenir compte.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Les seuils d'installations classées sont plus bas en France que chez nos voisins européens.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Notre idée est précisément de créer une procédure d'enregistrement pour les installations porcines entre 450 et 2 000 porcs, qui accélère la procédure pour les exploitations de petite taille. Le régime restera très encadré, avec une décision du préfet. Remonter le seuil des installations classées au niveau européen n'était pas possible. Le Gouvernement précédent l'avait envisagé mais l'amendement Le Fur, en ce sens, avait été rejeté.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Il faut peut-être le présenter différemment.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Les producteurs estiment que la création d'un régime d'enregistrement est déjà un bon signal. Les projets qui pourront être portés sont d'ailleurs innovants. Moderniser son exploitation, cela peut aboutir aussi à limiter son impact environnemental.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - Concernant les normes, on entend que la France « lave plus blanc que blanc » ce qui nous rend moins compétitifs. Par ailleurs, la lecture des normes n'est pas la même d'un département à l'autre. Quelles réponses apporter. C'est vécu comme une injustice par les agriculteurs.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Une action est menée par le Gouvernement dans le cadre de la simplification, mais aussi de la modernisation de l'action publique (MAP) ou encore des états généraux du droit de l'environnement. Une meilleure harmonisation des règles constitue un objectif partagé.

Tous les pays ont l'impression en Europe qu'ils sont plus vertueux que leurs voisins. Mais si, vingt ans après l'adoption de la directive nitrate, la France est encore le seul pays à être en contentieux en Europe, c'est parce que nous avons traîné des pieds pour l'appliquer. La Commission est dure avec la France car d'autres pays le demandent en estimant qu'on fait du dumping environnemental. Nous sommes peut-être plus stricts que d'autres sur certains sujets, mais sur certaines réglementations, ne croyons pas que nous soyons les premiers de la classe, comme par exemple sur la mise aux normes de bien-être animal concernant les truies gestantes, où nous n'étions pas à 100 % conformes à la date prévue.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - La transposition des directives est pourtant souvent plus stricte en France qu'ailleurs. Nous devrons simplifier.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Nous avons conscience qu'il faudra simplifier. Mais ne croyons pas que l'on est toujours les plus vertueux. Pointer les italiens qui ne sont pas encore aux normes sur les poules pondeuses alors que nous ne le sommes pas encore totalement sur les truies gestantes est délicat.

M. Bruno Ferreira. - La direction générale de l'alimentation (DGAl) et le ministre ont le souci permanent d'homogénéiser les approches des services d'inspection dans les différents départements. Les services vétérinaires sont ainsi accrédités à travers une norme reconnue par le Comité français d'accréditation (COFRAC). Les services d'inspection suivent des méthodes unifiées. Notre souci d'homogénéité s'inscrit dans une préoccupation économique : pouvoir délivrer les certificats permettant l'exportation. Bien sûr, les inspections sont réalisées par des personnes et non des machines, donc il existe une subjectivité, la plus limitée possible.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - En Bretagne, on nous a expliqué que les responsables des services d'inspection étant responsables de leurs décisions, ils avaient tendance à ouvrir le parapluie en adoptant une lecture restrictive des textes.

M. Bruno Ferreira. - Lorsqu'un opérateur se voit notifier une non-conformité, et plus encore quand des actions sont engagées au pénal, cela ne lui plaît pas. Les agents chargés de l'inspection doivent intervenir car le droit pénal les sanctionne en cas de négligences qui peuvent entraîner des problèmes de santé publique. Certains agents qui n'ont pas voulu voir des non-conformités ont d'ailleurs été condamnés. Pour autant, il existe une gradation dans l'approche des agents d'inspection. Lorsqu'on arrive au procès-verbal, solution la plus lourde, il faut que cela soit grave. On a un taux d'infractions et de procès-verbaux sur la base de problèmes sanitaires qui est relativement faible dans le secteur agroalimentaire. En revanche, on a beaucoup de demandes d'actions correctives. Cela prouve que les services vétérinaires travaillent d'abord à faire cesser les infractions aux règles sanitaires. Bien sûr, s'il y a refus d'obtempérer, on passe ensuite à un autre registre : celui de la sanction.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Le renforcement de l'étiquetage sur les produits transformés à base de viande est-il possible, autrement que par le volontariat ? Pouvez-vous nous en dire plus sur les conditions d'agrément des acteurs de la filière viande, les contrôles effectués ? Disposez-vous de données chiffrées sur les tonnages abattus rituellement depuis les six derniers mois, depuis la mise en application du décret de la fin 2011 ?

M. Bruno Ferreira. - S'agissant de l'étiquetage de l'origine, elle n'est obligatoire que pour la viande bovine fraîche. Le règlement sur l'information du consommateur encadre les conditions de l'étiquetage. Le Parlement et le Conseil ont renvoyé l'extension du dispositif d'étiquetage obligatoire à deux rapports que la Commission devait rendre. La décision a été prise d'étiqueter les autres viandes fraîches. On attend le rapport sur les viandes transformées pour la fin de l'année. Dès le début de la crise de la viande de cheval, le 8 février dernier, la France a porté au niveau européen une demande d'accélérer le processus sur l'étiquetage obligatoire de l'origine. Il y a consensus sur la nécessité d'améliorer l'étiquetage mais débat sur la manière de faire. Nous avons eu des assurances, par écrit, que les rapports seraient rendus au début et non à la fin de l'automne. Il se pourrait que les rapports interviennent plus tôt. La Commission européenne s'est engagée à accompagner les rapports de propositions de modifications de la réglementation européenne. Suite à l'impulsion donnée par Stéphane Le Foll, la Commission européenne a donc pris la dimension du sujet, avec le plan annoncé dans la lettre du 20 mars, accompagné d'actions concrètes. Il n'y a pas consensus total en Europe mais plusieurs États membres considèrent que le renforcement de l'étiquetage est une condition clef du rétablissement de la confiance du consommateur européen dans la sécurité de l'alimentation en viande.

S'agissant de l'agrément des négociants, il faut apporter quelques précisions. L'agrément imposé par le paquet hygiène s'impose à des entreprises qui stockent ou manipulent des denrées, en particulier des denrées d'origine animale. Les négociants qui ne manipulent de la viande sont concernés par l'agrément, mais pas ceux qui ne font que du commerce sans rien manipuler. Lors de la réunion du 13 février, Stéphane Le Foll, à Bruxelles, a demandé que l'on puisse connaître ces établissements commerciaux. Il faudrait qu'il y ait une obligation d'enregistrement et des garanties en termes de traçabilité des informations en termes de flux de viande. Dans l'affaire de la viande de cheval, le négociant est installé à Chypre. La Commission européenne n'a aucun moyen de contraindre les autorités chypriotes à quoi que ce soit, car elle n'a pas de motif sanitaire à agir, pour saisir des factures ou des bons de livraison. Or, cela manque. Nous devons travailler sur ce sujet car l'exigence de traçabilité est importante. Ces opérateurs devraient mettre toutes les informations à disposition immédiatement. On doit réfléchir sur le format des données, sur les durées de conservation des documents etc...

S'agissant enfin des inspections d'établissements, il faut distinguer deux types d'établissements : les établissements de transformation de type plats cuisinés et les abattoirs. Dans les abattoirs d'animaux de boucherie, il existe une obligation de présence permanente des vétérinaires sanitaires. Pour les autres établissements, il existe une inspection périodique, selon une analyse de risque nationale déclinée au niveau local. On regarde lors de l'inspection si le professionnel a bien pris toutes les précautions nécessaires au regard des exigences sanitaires, pour garantir que le produit qu'il va mettre sur le marché est sûr et sain. Si ce n'est pas le cas, en fonction des manquements constatés, il y a demande d'actions correctives ou éventuellement des saisies de marchandise voire des demandes de destruction. Il peut y avoir des sanctions pénales en cas de fraude caractérisée. Les inspections s'appuient sur la procédure d'agrément. L'agrément est en deux phases : il existe un agrément conditionnel, d'une durée de trois mois, qui permet de mettre sous surveillance l'établissement au démarrage afin de s'assurer que son plan de maîtrise sanitaire assure la prévention de tous les risques identifiés, l'existence d'actions correctives, la traçabilité, puis un agrément définitif, si tout s'avère conforme. Ensuite, les services de contrôle surveillent périodiquement, avec une fréquence qui dépend des risques : on surveille davantage les établissements qui produisent des steaks hachés, qui ont une plus grande sensibilité sanitaire.

Dans les abattoirs, il y a un contrôle permanent des vétérinaires qui peuvent écarter les animaux qui ne seraient pas conformes. Tant que la carcasse n'est pas estampillée par le vétérinaire, elle ne peut pas être mise sur le marché.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Y a-t-il suffisamment de moyens de contrôle, et notamment suffisamment de personnel pour les contrôles ?

M. Bruno Ferreira. - Le ministre a donné les priorités. Les abattoirs en font partie. On a pour ces établissements une obligation réglementaire de contrôle systématique et le vétérinaire a une responsabilité directe dans la mise sur le marché des carcasses. Pour les autres types d'établissement, ce n'est pas le cas. La responsabilité est d'abord celle de l'opérateur. En cas de problème c'est lui qui est responsable. Bien évidemment, plus le système de contrôle est performant, plus on peut mettre la pression sur les établissements pour que ceux-ci fonctionnent correctement. Mais il y a bien deux niveaux de priorité différents à considérer pour les abattoirs, qui sont au coeur de la chaîne, et pour les autres établissements. Pour autant, peut-on considérer que l'on a suffisamment d'inspecteurs ? Durant les cinq dernières années, il y eu une baisse importante des effectifs. Les syndicats soulignent qu'il y a même eu plus de départs que de départs en retraite, ce qui pose une vraie question. Stéphane Le Foll se bat pour arrêter l'hémorragie des inspecteurs. Il s'agit, avec la priorité aux abattoirs, de sécuriser le dispositif et d'optimiser nos moyens.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Peut-on évaluer la manière dont chaque opérateur fait son autocontrôle ?

M. Bruno Ferreira. - Cette question est au coeur de l'inspection sanitaire des établissements. L'autocontrôle n'est qu'un des éléments. On ne peut résumer la maîtrise du risque par les opérateurs à l'autocontrôle, qui s'inscrit plus largement dans le cadre du plan de maîtrise sanitaire qui comprend un ensemble de mesures. L'autocontrôle est obligatoire pour l'opérateur. Il en définit lui-même le contenu, sous le contrôle de l'inspecteur lors de la délivrance de l'agrément et lors des inspections périodiques. Il n'est pas le seul élément de la sécurité. La traçabilité et la capacité à mettre en oeuvre des rappels de produits sont des éléments déterminants pour prévenir les risques. Par exemple, en cas de production de fromages au lait cru, on a un système de contrôle mais, pour autant, on ne contrôle pas chacun des fromages produits. Il ne s'agit que de surveillance. Ce qui est important ensuite, c'est de tout tracer pur pouvoir réagir en cas de problème. Lorsqu'il y a défaillance, on peut formuler des demandes d'action corrective, voire suspendre l'agrément, comme cela a été le cas dans l'affaire Spanghero.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Quels sont les premiers résultats de l'application du décret du 28 décembre 2011 sur l'abattage rituel ?

M. Bruno Ferreira. - Le décret et l'arrêté du même jour sont entrés en vigueur le 1er juillet 2012. Ils imposent aux abattoirs qui décident d'abattre sans étourdissement, de disposer, en plus de l'agrément sanitaire, d'une autorisation administrative. L'encadrement réglementaire vise à vérifier que l'on dispose bien des équipements nécessaires à la maîtrise des opérations d'abattage sans étourdissement, qu'il y a bien formation des personnels, et que l'entreprise garantisse qu'il y ait abattage sans étourdissement qu'en cas de commande en ce sens. Le dispositif du 28 décembre 2011 n'a pas demandé de tenir une comptabilité des tonnages abattus sans étourdissement. Nous n'avons pas de données sur les volumes. D'ailleurs, je ne suis pas sûr que le décret suffise pour créer une obligation de remontées de données. C'est localement que l'opérateur doit justifier qu'il ait bien reçu une commande.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Il n'y a donc pas de contrôle possible !

M. Bruno Ferreira. - Le contrôle se fait établissement par établissement. Il n'y a pas de remontées statistiques.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Le ministère pourrait le faire.

M. Bruno Ferreira. - Ce n'est pas aussi simple.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Alors à quoi cela sert si l'on ne peut rien contrôler ?

M. Bruno Ferreira. - L'objectif du décret n'était pas de créer une statistique mais de s'assurer que les établissements qui procèdent à l'abattage sans étourdissement apportent toutes les garanties en termes de bien-être animal et en termes de sécurité sanitaire.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Le décret est à revoir.

M. Bruno Ferreira. - Certaines dispositions, qui avaient été anticipées dans le décret, répondent à la nouvelle réglementation sanitaire européenne, par exemple sur l'obligation d'avoir des personnels formés et des référents en protection animale.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Le décret oblige donc à suivre des formations faites par des professionnels de l'abattage et non des religieux ?

M. Bruno Ferreira. - Tout à fait. Ce sont des formations qui s'imposent à tous les opérateurs. Les organismes de formation doivent être agréés. Les cultes israélite et musulman se sont rapprochés des professionnels de l'abattage pour organiser ces formations et s'assurer que tous les intervenants les suivront. Cela ne concerne d'ailleurs pas que les opérateurs chargés de la mise à mort.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Ne pourrait-on pas envisager une formation officielle des abatteurs ? On nous parle d'incidents d'étourdissement. Du reste, les formations valoriseraient les employés. Et il n'y a pas que l'abattage. On nous dit qu'on ne trouve plus de bouchers aujourd'hui. Tout est lié, de la production animale à l'assiette. Il y a pénurie de formation tout le long.

M. Bruno Ferreira. - La formation à la protection animale ne concerne pas que les abattoirs procédant à des abattages sans étourdissement mais tous les abattoirs. Il faut un référent protection animale qui ait une formation spécifique et une formation de tous les autres opérateurs travaillant dans l'abattoir.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Il y a un lien entre l'amélioration de la formation des personnels et l'attractivité de l'emploi. La formation permet aussi d'accélérer les réorientations dans la filière agroalimentaire. C'est un volet du contrat de filière qui vient d'être présenté. Le volet emploi est dédié au développement de l'alternance, avec un objectif de 150 000 jeunes formés en alternance à horizon de 5 ans en agroalimentaire et métiers de bouche.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure - Envisagez-vous la création de nouvelles formations pour les métiers de la transformation de viande ?

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Ce travail sur la formation professionnelle est fait avec les régions. Le contrat de filière associe les régions. Paradoxalement, on a beaucoup d'emplois non pourvus en agroalimentaire et dans les métiers de bouche. Il y a un problème d'adéquation entre formations et offre d'emplois. Un travail transversal sur l'agroalimentaire est à effectuer. Un effort particulier doit porter sur les abattoirs, secteur fragile, où l'on constate que les salariés sont les moins formés. L'agroalimentaire pourrait aussi entrer dans le dispositif des contrats de génération pour les métiers industriels mais aussi les métiers de bouche.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Peut-on envisager d'encourager la contractualisation et le regroupement des producteurs.

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Un arrêt du Conseil d'État de 2011 a indiqué que l'on ne pouvait pas moduler les aides à l'investissement en fonction du degré d'organisation économique. On envisage des modulations dans le cadre de la loi d'avenir. Reste à savoir si cela est pertinent. Encourager l'organisation économique doit avoir un sens. On a connu des organisations de producteurs fictives, montées parce qu'elles étaient nécessaires pour toucher des aides. Le fait qu'on ait conditionné une fraction de la prime ovine à une organisation économique des éleveurs a permis de renforcer les organisations de producteurs. Les 3 € supplémentaires par bête sont peut-être marginaux, mais le dispositif a aidé la filière à chercher une meilleure adéquation entre offre et demande.

Un accord a été passé fin mai 2013 dans le secteur de la viande bovine sur la contractualisation. L'idée est de favoriser l'engraissement. Si nous devions créer une aide à l'engraissement, il faudrait la lier à un critère de contractualisation. On n'engraisserait pas sans avoir un débouché. Et le transformateur pourrait aussi poser ses exigences en matière de planification de la production.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Quelles sont les perspectives du ministère sur le plan de modernisation des bâtiments d'élevage (PMBE) et le plan de performance énergétique (PPE).

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Ce sont deux vecteurs de modernisation très utiles. Le PMBE est assez ancien. C'est un instrument qui a bien fonctionné et que l'on souhaite poursuivre dans le cadre de la future PAC. Le PPE relevait du Grenelle de l'environnement. Il pouvait concerner aussi des non-éleveurs. En 2013, le ministère a mis en place une fongibilité des deux enveloppes pour faciliter la gestion des projets et des crédits, forcément limités. Ces plans doivent être utilisés dans un double objectif de performance économique et environnementale. Ils restent très attendus par les éleveurs et jouent un rôle non négligeable dans la modernisation de notre agriculture.

Mme Bernadette Bourzai, présidente - Pouvez-vous nous parler des distorsions de concurrence avec les autres pays européens ? Et pouvez-vous nous indiquer comment alléger les dispositifs relatifs aux matériels à risques spécifiés (MRS) et en particulier à la question de la démédullation des carcasses ?

M. Jean-Guillaume Bretenoux. - Concernant les distorsions de concurrence, il existe des études assez précises. Le sujet le plus important au niveau des exploitations est celui du coût de la main d'oeuvre. Le gouvernement a porté ce sujet dans le cadre du conseil des ministres franco-allemand de janvier dernier. Il faut travailler sur les conditions de mise en oeuvre de la directive sur le détachement des travailleurs au niveau européen. Ce sujet est porté par Michel Sapin au sein du gouvernement. La France a une position ferme et une volonté d'avancer. Il y a une plainte belge. Il y avait aussi une plainte française. L'Allemagne pourrait donc être poussée à réagir. Mais les pays d'origine des ressortissants concernés par l'application de la directive sur le détachement voient d'un bon oeil cette possibilité et il pourrait y avoir des discussions difficiles avec la Pologne ou la Roumanie sur la persistance de ce système. Il faut une harmonisation. On pourrait aussi valoriser notre modèle social à travers l'origine France, en mettant cela en avant.

Mme Sylvie Goy-Chavent, rapporteure. - D'où l'intérêt de l'étiquetage.

M. Bruno Ferreira. - Suite à un avis de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), la Commission européenne a autorisé les États membres à mettre fin aux tests ESB en abattoir. Cette mesure n'est pas une mesure de protection du consommateur en tant que telle mais il s'agit d'une mesure de surveillance épidémiologique. Les mesures de retrait des MRS, en revanche, sont des mesures de protection du consommateur et n'ont pas été allégées au niveau européen. Il existe deux cas de figure : sur les bovins, la France est alignée sur la réglementation européenne, et sur les ovins, la France a une différence d'approche avec la Commission européenne et nous sommes en attente d'un avis de l'ANSES. Le retrait de moelle épinière est obligatoire, car on ne peut la consommer, mais la modalité de ce retrait doit faire l'objet d'un agrément préalable. Certaines techniques ne sont pas agréées lorsqu'elles n'apportent pas de garanties suffisantes, notamment parce qu'il peut y avoir des résidus de moelle sur les muscles. Des travaux continuent d'être menés sur des techniques alternatives qui prennent le moins de temps possible sur les bovins et petits ruminants. On peut sortir des carcasses des abattoirs avec moelle, mais à condition qu'elles aillent chez des bouchers agréés, qui disposent d'un contrat garantissant que la moelle ne revienne pas dans la chaîne alimentaire. Des travaux se poursuivent pour trouver les meilleures solutions techniques.