Mardi 2 juillet 2013

- Présidence de M. Henri de Raincourt, président -

Audition de M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement

M. Henri de Raincourt, président. - Nous avons aujourd'hui la grande satisfaction et le plaisir d'accueillir M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement. Nous comptons sur ses lumières pour nous aider dans notre réflexion...

M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement. - Je suis ravi de l'existence de cette mission d'information, qui permet de discuter des enjeux de la recherche au Sud, de ses finalités et de ses modalités d'organisation, afin d'être le plus efficace possible.

Quand je suis arrivé aux responsabilités, j'ai étudié cette dimension de très près. Notre force de frappe, en matière de recherche publique pour le développement, est l'une des plus ambitieuses au monde - pour ne pas dire la plus ambitieuse au monde. Nous souffrons cependant d'un déficit de communication pour faire connaître aux Français le résultat de la recherche publique, même lorsque celle-ci est associée à des entreprises. Il s'agit donc d'un enjeu de légitimité.

Comment mieux connecter notre politique de développement avec la recherche publique ? Je ne prendrai qu'un seul exemple : nous accueillerons la conférence Climat en 2015, ce sera probablement la seule conférence multilatérale qui se déroulera en France pendant le quinquennat. Un des enjeux pour y associer les pays du Sud - notamment africains - est de s'assurer que nous traiterons convenablement la question de l'adaptation aux changements climatiques, particulièrement dans le domaine de l'agriculture, sujet auquel le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) est très attaché, mais que l'Institut de recherche pour le développement (IRD), à travers sa multidisciplinarité, peut aborder de manière plus large. Il est donc tout à fait légitime de mobiliser notre force de recherche publique pour préparer cette conférence, pour en faire un succès.

Or, sauf erreur de ma part, il n'existe pas de réelle discussion politique indiquant la direction dans laquelle chercher. Il ne s'agit pas d'une injonction politique, mais de mettre les choses en ordre de marche, de façon qu'il y ait une cohérence et que ces recherches, ces innovations et ces propositions nourrissent notre politique et nos succès, notamment diplomatiques.

En second lieu, je pense que les programmes de recherche ne sont pas suffisamment orientés vers les résultats. La fondation Gates, de ce point de vue, applique une méthode qu'il me semble intéressant d'étudier - non que je partage les positions de cette fondation, j'y suis même opposé quand il s'agit par exemple des OGM. Leur méthode, globalement, consiste à identifier les points de passage obligés pour obtenir un résultat et à se concentrer dès lors sur les verrous à lever pour avancer dans la bonne direction. Cette méthode vaut dans la lutte contre la malaria ou la tuberculose, ou encore dans la gestion de l'eau : la fondation Gates, constatant que notre système d'assainissement standard est impossible à déployer pour 9 milliards d'êtres humains, a focalisé ses recherches sur un mode d'assainissement applicable au Sud.

Je souhaiterais que l'on redéfinisse les objets de la recherche pour le développement sous forme de grands défis à résoudre, se déclinant comme autant de points de passage obligés, avant de mettre les compétences au service du projet. Nous avons par ailleurs la chance de disposer d'une base assez large pour avoir plusieurs objectifs.

Un autre enjeu est celui de la cohérence. La recherche - son orientation autant que ses résultats - n'est pas assez connectée aux politiques publiques. Cette connexion dépend des personnes, elle n'est pas institutionnalisée : les relations entre le CIRAD et l'Agence française de développement (AFD) ne font pas l'objet d'une charte, par exemple. Or, il est pour le moins paradoxal que le contribuable français finance la recherche, sans qu'elle soit déployée dans nos politiques publiques, financées elles aussi par le contribuable ! Nous pouvons faire en sorte que les équipes soient davantage associées à la conception des politiques publiques, à mobiliser la recherche pour contextualiser notre action, donc la rendre plus efficace. C'est dans ce sens que j'ai voulu inclure la recherche dans les Assises pour le développement, au titre du chantier consacré à l'innovation.

Au-delà des organismes dédiés, comme l'IRD ou le CIRAD, des outils comme le Fond français pour l'environnement mondial (FFEM), agrègent des initiatives très intéressantes en matière d'innovation et de recherche et développement.

En matière de recherche pour le développement, le débat est permanent entre la spécialisation et la transversalité, avec des architectures diverses pour la coordination. En matière d'agriculture, par exemple, la cohérence est-elle d'abord à rechercher dans l'articulation entre le CIRAD et l'INRA, ou bien entre le CIRAD et l'IRD ? Quelle coordination ? Je crois, ici, que nous devons, plutôt que jeter le bébé avec l'eau du bain, conforter et rendre plus partenariaux les organismes de recherche pour le Sud.

C'est tout l'intérêt de votre mission, qui arrive au moment de la première loi sur le développement. Celle-ci passera en conseil des ministres fin octobre, et sera envoyée au Conseil d'Etat fin juillet. Les choses peuvent ensuite continuer à évoluer. S'il existe des éléments de nature législative, nous les étudierons avec grand intérêt, sachant que le rapport annexé, qui n'a pas de valeur législative propre, est plus souple et forme, avec la loi, un paquet politique, même si, juridiquement, les deux objets sont différents. C'est pourquoi je serai ravi de pouvoir utiliser les conclusions de vos travaux dans ce domaine.

M. Henri de Raincourt, président. - Merci.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quelles sont les conditions de la recherche pour le développement ? S'agit-il forcément d'une recherche partenariale ? Comment mieux prendre en compte les besoins des populations et des sociétés ? Nous aimerions en savoir davantage au sujet du lien avec les sociétés et les hommes à qui l'on s'adresse.

Je me ferai l'avocat du diable en disant que l'une des critiques que l'on fait souvent à la recherche pour le développement est qu'elle a tendance à s'auto-justifier. Si l'IRD et le CIRAD sont des opérateurs d'excellente qualité, ils sont bien souvent en concurrence avec la recherche du Sud. Comment atteindre les objectifs d'expertise, tout en participant à l'amélioration des équipes de recherche et des institutions du Sud avec lesquels nous travaillons ?

M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement. - C'est un débat récurrent. Je ne puis dire si les organismes de recherche fonctionnent suffisamment ou non en partenariat avec les équipes du Sud. La critique des équipes du Sud s'inscrit dans une logique d'acteurs, qui s'estiment insuffisamment pris en compte.

Qui définit les programmes de recherche ? Comment la valeur ajoutée est-elle partagée et transférée ? Je manque d'éléments pour vous répondre. Tout l'intérêt de votre mission est de pouvoir éclairer cet aspect des choses et de relever, à partir de quelques cas précis, les éventuels dysfonctionnements ou les éventuelles lacunes de la recherche partenariale.

Je ne puis réaliser ce type d'exercice à mon niveau. On entre là dans l'opérationnalité de la recherche, mais ma philosophie rejoint la vôtre.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Nous aimerions connaître votre position sur les différents scénarios de réforme possible : une fusion de l'IRD et du CNRS, en détachant complètement l'AIRD, avec des fonctions strictes d'agence de financement ? Un rattachement de l'AIRD à l'Agence nationale de la recherche (ANR), en veillant que le volet consacré à la recherche pour le développement ne se fonde pas trop dans des appels très généraux ?

M. Henri de Raincourt, président. - Tous nos interlocuteurs ont constaté que certaines choses étaient à revoir dans l'AIRD, mais une partie d'entre eux se sont déclarés favorables à sa disparition pure et simple. Je suis très content d'entendre le ministre dire qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, sous peine de perdre certains atouts...

M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement. - Votre mission doit permettre d'améliorer les choses, en ne se privant pas d'être critique et en imaginant des solutions au-delà même de celles que nous suggèrent les inspecteurs. Ne vous interdisez aucune hypothèse et ne censurez aucune des pistes que vous pourrez proposer.

Pour ma part, je crois que nous gagnerons à mieux coordonner les opérateurs plutôt qu'à les supprimer et je ne suis pas sûr que la création d'une nouvelle structure autonome soit opportune, dans un moment où nous essayons, comme d'autres avant nous, de simplifier la technostructure. Pourquoi ne pas envisager un rattachement à l'ANR ? Si la recherche n'en est pas affaiblie, ce scénario pourrait être une solution.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Comment prendre en compte des populations concernées et de petits opérateurs, comme les organisations non gouvernementales (ONG), ou les collectivités territoriales, dont celles du Sud ?

L'Agence française de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) a été très novatrice dans ce domaine, en prenant très vite en compte les malades à qui les politiques publiques étaient destinées...

M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement. - Je crois que nous devons, de manière générale, renforcer la dimension participative dans notre politique de développement.

Qui élabore les projets auxquels nous contribuons financièrement ? La réponse n'est pas toujours facile, on le voit dans les politiques contractuelles avec les collectivités locales, il n'y a pas de raison que les choses soient plus faciles au Sud. Ce n'est pas une raison pour ne pas essayer, dès lors qu'il existe une volonté politique de la part du partenaire. Ensuite, il faut aller dans le sens du renforcement des capacités, conforter les processus qui y participent, en tenant compte des contextes de l'action - et la recherche peut nous y aider de façon très directe et très utile. Je souhaite travailler dans ce sens avec ATD Quart Monde, en faveur des populations les plus pauvres, car ces populations, c'est un paradoxe constant des études sur l'aide publique au développement, ne bénéficient quasiment pas de notre aide publique.

La prise en compte de la recherche est donc directement utile à l'action, des savoir-faire en résultent, il est très intéressant d'en tenir compte dans nos politiques de développement. Il serait également utile de fixer aux organismes publics un programme de recherche avec une vision politique : quel problème voulons-nous résoudre ? Dans quelle direction voulons-nous avancer ?

Je l'ai encore constaté il y a trois jours à Lyon lors des trente-cinq ans de Vétérinaires sans frontières (VSF) : les initiatives foisonnent mais les divers organismes forment un écosystème qui ne percole pas suffisamment. Des liens existent entre VSF et la direction de l'AFD, mais de façon peu organisée et nous gagnerions certainement à donner plus de direction à cet ensemble, des orientations plus explicites. C'est avec cet objectif que j'ai fait de l'innovation l'un des cinq thèmes des assises.

Votre mission intervient donc à point nommé, au-delà de la coordination politique du système de recherche et de développement. C'est, semble-t-il, le coeur du saut qualitatif que l'on doit opérer.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Je vais encore me faire l'avocat du diable. Une des difficultés des chercheurs, en particulier statutaires, réside dans le fait qu'ils défendent toujours très fortement leurs libertés, leur pré carré, et on a souvent beaucoup de mal à trouver des consensus avec eux, notamment sur leurs programmes.

Dès qu'il existe des intentions plus ou moins politiques, on constate souvent une très forte rétractation des chercheurs statutaires.

Comment, de votre point de vue, pourrait-on essayer de dépasser cette difficulté ?

M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement. - Nous rédigeons une charte de la recherche au service du développement, qui pourrait permettre de cadrer ce que l'on cherche et pourquoi on le cherche.

Quatre ou cinq thèmes peuvent faire assez largement consensus : nourrir le monde, lutter contre le changement climatique, améliorer la santé, etc.

Chaque thème est pluridisciplinaire. Nourrir le monde relève à la fois de questions rurales et urbaines, d'agriculture périurbaine, de circuits de distribution : il est donc normal de recourir à des économistes, des urbanistes, des agronomes. Mais notre idée, c'est de fixer quelques grands thèmes de recherche, qui sont incontournables pour résoudre le problème posé. Pour lutter contre le changement climatique, par exemple, il faut que l'agriculture réduise ses émissions de méthane, c'est un impératif. Les pays du groupe de Cairns et d'autres pays, dont nous sommes, continueront pour longtemps à s'opposer politiquement, à proposer des visions divergentes de l'agriculture, il n'en reste pas moins que la réduction de méthane est un impératif commun, qui impose de rechercher des solutions. Certaines seront bilatérales, d'autres trouveront leur place dans le cadre d'une politique de coopération, ou devront faire l'objet d'une négociation internationale serrée, mais toutes auront résulté de recherches que nous devons tous mener sans attendre.

On sait qu'il ne pourra y avoir d'accord sur le climat à Paris sur le segment agricole si l'on ne s'attaque pas au sujet du méthane dans l'agriculture. Mettons donc nos différents organismes de recherche sur ce projet, au Sud avec l'IRD, au Nord avec l'INRA. Travaillons avec les partenaires intéressés par ce sujet, comme la Nouvelle-Zélande, le Brésil et d'autres, et plaçons la recherche publique au service de cet objectif !

J'ai eu le sentiment, en discutant avec le Conseil scientifique du FFEM, que les missions de cet organisme n'étaient financées que si les projets étaient innovants. Si nous ne choisissons pas de répondre aux grands enjeux que nous avons définis, nous nous laisserons piloter par les opportunités !

En tant que ministre, je ne connais pas la contribution de la recherche publique française à la lutte contre la faim dans le monde, en faveur du climat, ou de la santé : c'est dommage, même sur le plan de la légitimité ! Les liens entre la recherche et les politiques de développement ne sont pas assez établis, alors que la recherche en question représente quelque 370 millions, c'est regrettable.

M. Henri de Raincourt, président. - Je l'ai ressenti lorsque j'étais ministre de la coopération : nous parlions très peu de recherche ! On retrouve cette situation à l'échelle européenne, alors que la cohérence et la coordination sont pourtant fondamentales.

Comment pourrait-on y remédier, en matière de grands sujets internationaux, chaque pays gardant bien entendu sa spécificité ?

M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement. - Je partage tout à fait ce diagnostic et c'est bien pourquoi j'ai voulu les Assises. La concertation, me semble-t-il, n'est pas allée assez loin et nous devons remettre l'ouvrage sur le métier ; votre mission sera donc, de ce point de vue, la bienvenue.

A l'échelon européen, la programmation conjointe progresse : nous en sommes à une coordination avec une quarantaine de pays hors UE, alors qu'il y a un an seulement, nous nous coordonnions pour seulement quatre pays pilotes. L'objectif, c'est de parvenir à coordonner nos calendriers et nos interventions dans soixante-dix à quatre-vingt pays.

Ensuite, notre organisation est originale : la France fait une grande place aux accords bilatéraux, nous disposons d'organismes de recherche dédiés, là où nos partenaires passent souvent par le système multilatéral. Nous devons faire de cette spécificité, une condition de notre succès, renforcer cet atout, et ne surtout pas le dénigrer, ni le banaliser. Pour ce faire, il faut le rendre plus cohérent et l'intégrer davantage dans les différents écosystèmes, dont ceux du Sud.

M. Henri de Raincourt, président. - La bonne gestion des fonds publics est un impératif incontournable. Si l'on ne parvient pas à répondre aux grands défis auxquels les pays du Sud sont confrontés, nous allons au-devant des plus extrêmes difficultés, ne serait-ce que pour des questions d'évolutions démographiques. Le réveil sera douloureux !

M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement. - Jusqu'où pousser la doctrine politique en matière de programme de recherche ? Je rencontre régulièrement les responsables des agences, mais il reste des questions sensibles.

Je pense aux OGM : nous venons de décider que l'AFD ne financera plus l'achat, ni la promotion d'OGM, car nous considérons que les OGM ne sont pas la solution adaptée tant ils créent des dépendances envers les producteurs, donc envers les pays développés - des agriculteurs abandonnent les OGM pour ce fait, y compris aux États-Unis. Cependant, des recherches sont conduites en laboratoire : n'est-ce pas contradictoire ? J'en suis le premier conscient, mais je crois que, tout en tenant le principe d'interdiction pour l'exploitation et tout en refusant de financer tout ce qui a trait aux OGM dans les pays du Sud, nous devons entendre également ceux qui s'inquiètent du fait que l'on interdise toute recherche. Je crois donc au volontarisme politique, mais le dialogue politique impose aussi de respecter les options auxquelles je m'oppose à titre personnel.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - L'OCDE évalue à 300 millions d'euros la somme que la France consacre à la recherche dans le cadre de l'Aide publique au développement (APD) : confirmez-vous ce chiffre ?

M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement. - Il s'agit plutôt de 370 millions d'euros.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - La France contribue largement aux fonds multilatéraux : y a-t-il là des marges d'action pour la recherche ?

M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement. - Votre intention serait-elle de diminuer notre participation aux fonds multilatéraux ?

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Bien sûr que non, mais je m'interroge sur nos capacités à mobiliser davantage ces fonds au bénéfice de la recherche pour le développement.

M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement. - Nous devons travailler davantage la question du déploiement des résultats de la recherche dans notre politique d'aide au développement. C'est valable pour les organismes publics de recherche, comme pour les petites ONG ou même pour le FFEM. Comment assure-t-on la diffusion des projets ? Qui analyse les conditions de réussite et de déploiement ? Il faut mieux connecter nos politiques publiques de développement et la recherche, de sa programmation à la diffusion de ses résultats. L'institution d'un Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) devrait nous permettre des progrès dans ce sens. Ce conseil sera créé par le prochain comité interministériel, il comprendra un collège consacré à la recherche, qui sera le lieu d'articulation entre les grandes priorités de l'action et celles de la recherche, le lieu d'élaboration de l'agenda : les parlementaires y auront toute leur place.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - On nous a dit que les pays émergents recevaient de plus en plus de bourses par rapport aux pays les moins avancés ou intermédiaires. Confirmez-vous cette tendance ? Comment l'expliquer ?

M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement. - Les effets démographiques peuvent jouer. Il sera intéressant de s'intéresser aux proportions.

Audition de Mme Paola de Carli, directrice des programmes scientifiques et médicaux de Sidaction

M. Henri de Raincourt, président. - A l'initiative de Mme Ango Ela et de son groupe, nous explorons, en matière d'action extérieure de la France, le rôle de la recherche dans le cadre de notre politique de développement.

La mission que vous exercez et les fonctions qui sont les vôtres sont au coeur du dispositif entre le développement, la lutte contre le sida et la recherche - qui est indispensable. Nous attachons donc une grande importance à votre audition.

Mme Paola de Carli. - Sidaction est une association créée en 1994 par un collectif de chercheurs soignants et de personnes directement touchées par le VIH. Nous avons dès le départ soutenu la recherche, via des appels d'offres que nous relançons tous les ans, et qui sont ouverts à toutes les disciplines de la recherche sur le VIH.

La force de Sidaction, c'est d'être un collectif réunissant tous les acteurs de la lutte contre le sida ; nous soutenons également des associations en France, et avons des partenaires dans les pays en développement, où nous aidons à des actions de terrain portées par les partenaires locaux.

Nous finançons des recherches à travers deux dispositifs. Le premier concerne l'aide aux équipes, leur fonctionnement, leur équipement et leur personnel technique. Le second consiste en des bourses à de jeunes chercheurs.

Ces deux types de financement sont ouverts à toutes les disciplines, de la recherche fondamentale en virologie et en immunologie, à la recherche clinique, en passant par la recherche en sciences sociales.

Les deux dispositifs représentent 3 millions d'euros annuels. C'est une contribution entièrement liée à la générosité publique, nos fonds étant à plus de 95 % issus de collectes auprès du grand public, via des opérations médiatiques comme Sidaction.

Un dixième de cette somme environ va dans des pays en développement, quand des chercheurs du sud sont associés à des chercheurs français, sachant que nous ne versons de crédits qu'à des récipiendaires français : le versement et la gestion des fonds sont toujours de la responsabilité d'un organisme français. Nous finançons uniquement des organismes publics ou des associations à but non lucratif traitant de recherche.

Nous avons cependant souhaité faire évoluer cette règle et, à partir de cette année, l'appel d'offres est ouvert à des demandes directes de structures du Sud, susceptibles de gérer directement les fonds sous réserve qu'elles apportent la preuve d'une expérience de gestion de fonds obtenus auprès de bailleurs internationaux. C'est une première et nous verrons si des structures en bénéficieront.

Globalement, en 2012, nous avons versé aux équipes de recherche 800 000 euros pour 65 projets, dont 130 000 euros pour dix projets significatifs se déroulant dans les pays en développement.

Nous intervenons essentiellement dans des pays francophones, mais pas exclusivement : Bénin, Cameroun, Mali, Maroc, République du Congo, Thaïlande, Togo. La seule condition est la collaboration avec une équipe française. Nous avons également des projets multipays.

Les bourses aux jeunes chercheurs représentent la majorité de nos interventions. En 2012, 2,4 millions d'euros ont été versés pour des contrats de travail de jeunes chercheurs. Les employeurs ont tous des structures en France.

En 2012, douze jeunes chercheurs ont reçu des fonds pour conduire des projets dans des pays en développement. Nous ciblons des profils à partir du doctorat, mais on y trouve aussi des post-doctorants. Nous finançons aussi, dans ce type de projet se déroulant en Afrique ou en Asie, des médecins qui ont déjà un parcours de praticien, mais s'orientant vers la recherche.

Dans les pays en développement, il s'agit essentiellement de projets dans le domaine des sciences sociales, de l'épidémiologie et de la recherche clinique. En revanche, la recherche fondamentale n'est pas représentée, bien que Sidaction finance majoritairement des projets de ce type. Ceci dépend des demandes qui viennent du terrain...

Quelques exemples de sujets de recherche dans le domaine des sciences sociales, qui est très vaste : dépistage, méthodes de calcul de l'incidence dans les différents pays, suivis de cohortes... Ces dernières années, plusieurs projets ont notamment traité de la prise en charge en milieu rural. Ces projets sont portés par Médecins sans frontières (MSF), qui s'adresse parfois à nous pour des cofinancements. D'autres sujets concernent les co-infections, comme l'hépatite et le paludisme, ou des évaluations médico-économiques à propos de la stratégie de traitement antirétroviral.

D'autres projets portent sur les problématiques liées à l'adolescence. Un des sujets prioritaires de ces dernières années est aussi la question de l'homosexualité, en lien avec la lutte contre le VIH en Afrique.

En matière d'appel d'offres, notre fonctionnement est, je pense, assez exemplaire. Nous travaillons avec un comité d'experts multidisciplinaires, tous bénévoles et choisis parmi les plus qualifiés dans leur domaine. Ils se réunissent deux fois par an pour examiner les demandes de financement. Une évaluation très spécifique est d'abord établie suivant le domaine de recherche des projets ; des rapporteurs sont attribués à chaque projet avant la discussion multidisciplinaire. Elle est très riche et donne lieu à un avis collégial, soumis à notre conseil d'administration, qui prend quant à lui la décision financière.

Nous soutenons deux autres projets importants en lien direct avec la recherche et les pays du Sud. Ainsi notre université d'été, créée par l'association Aides en 1995 et que nous organisons depuis 2005, est l'occasion pour des jeunes chercheurs du monde entier de se retrouver lors d'une formation francophone qui dure une semaine. Ce modèle unique de formation pluridisciplinaire s'adresse à de jeunes virologues, immunologistes, cliniciens, sociologues, anthropologues, qui commencent leur carrière dans la recherche sur le VIH. Ils y trouvent un contact avec des disciplines qu'ils ne connaissent pas, même les intervenants sont enthousiastes et souhaitent continuer à participer. L'édition 2013 se tiendra mi-octobre, dans le Sud de la France. Nous avons déjà sélectionné une douzaine de participants de pays en développement.

Enfin, le dernier projet dont je souhaite vous parler date un peu, mais a été évalué dernièrement, fin 2012. Il s'agit du projet « Informed Consent » - « Ethique dans la recherche » - visant à renforcer l'engagement communautaire dans les questions de recherche sur le VIH en Afrique subsaharienne. Il s'est déroulé entre 2006 et 2010 dans une dizaine de pays africains. Il a été soutenu en partie par l'Agence nationale de recherche sur le Sida (ANRS) et évalué dans quatre pays, fin 2012. Le rapport est à votre disposition si vous le souhaitez.

M. Henri de Raincourt, président. - Comment déterminez-vous vos programmes de recherche et comment les articulez-vous avec la recherche médicale classique française ? En quoi considérez-vous que tel programme est meilleur qu'un autre pour permettre à la lutte contre le sida de progresser ?

Mme Paola de Carli. - Un comité d'experts bénévoles de vingt-six personnalités expertise les dossiers candidats et les décisions résultent du débat. La réponse est favorable pour 20 à 30 % des demandes d'aide et environ 40 % des bourses, c'est très sélectif.

M. Henri de Raincourt, président. - Existe-t-il un échange permanent d'informations entre ce que vous faites et la recherche médicale ?

Mme Paola de Carli. - Bien entendu. Notre comité compte des virologues, des immunologues, des cliniciens, qui sont en première ligne et qui connaissent fort bien les priorités de la recherche. Ils sont aussi en première ligne dans d'autres commissions, comme à l'ANRS, avec laquelle nous collaborons directement. Nos appels d'offres ont des caractéristiques un peu différentes, tout comme les montants qui sont attribués, mais il existe une certaine complémentarité. On peut par exemple financer du personnel pour un projet de recherche soutenu par l'ANRS.

Nous intervenons parfois pour financer le post-doctorat d'un jeune chercheur, après que l'ANRS a pris en charge son doctorat, ou pour une dernière année de thèse, lorsque les possibilités de l'ANRS ont été épuisées.

Qu'il s'agisse de la France ou des pays en développement, il existe peu d'alternatives en matière de projets de recherche sur le VIH, qui relèvent soit de l'ANRS, soit de Sidaction, toutes proportions gardées, bien entendu.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Un expert du conseil scientifique peut-il aussi faire partie d'une équipe qui dépose un projet pour obtenir un financement ?

Mme Paola de Carli. - Oui, mais il existe des règles très strictes, surveillées notamment par la Cour des comptes. Une personne faisant partie du comité, impliquée dans un dossier, ne peut être rapporteure et sort de la salle pendent la discussion plénière.

Cette règle de base vaut aussi pour d'éventuels conflits d'intérêts. C'est pourquoi le choix des rapporteurs est un moment très délicat. Une commission permanente se réunit pour les désigner.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Pourquoi vous être interdit de financer directement les partenaires du Sud ?

Mme Paola de Carli. - C'est d'abord parce que nous n'avions pas les moyens de suivre des laboratoires que nous ne connaissions pas, implantés dans des pays de développement. Pour chaque projet financé, nous effectuons un contrôle d'utilisation des fonds sur le long terme. Il est plus facile de l'exercer sur des structures françaises et nos finances ne nous permettent pas des missions de contrôle dans tous les pays où sont menés des projets de recherche.

Nous exerçons systématiquement un contrôle d'utilisation des fonds, ainsi que des audits annuels. Nous sélectionnons chaque année une douzaine de structures pour ce faire. Nous essayons de cibler les projets les plus complexes du point de vue de la gestion des fonds, afin de tester notre façon de fonctionner.

Depuis dix ans que je suis à Sidaction, on n'a pas mis en évidence de détournements dans la gestion des fonds attribués à la recherche. Les seuls soucis que l'on peut avoir concernent l'utilisation d'une enveloppe sur une ligne budgétaire différente, ou un projet proche mais non identique...

M. Henri de Raincourt, président. - Considérez-vous que le niveau des recherches, par rapport à l'ampleur de la pandémie, permet de gagner du terrain ?

Mme Paola de Carli. - Nous sommes encore loin du but ! On a toujours l'impression, notamment dans le domaine de la recherche, que le virus a une longueur d'avance. Notre contribution est une goutte d'eau pour les pays en développement, mais elle est essentielle et très appréciée.

De petits investissements sur le terrain peuvent avoir des retombées très importantes. On a fait, ces dernières années, des études bibliométriques à partir des publications issues des travaux financés par Sidaction : les résultats étaient très bons. Nous avons fait appel à la même cellule d'évaluation que l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Une des publications qui est ressortie de la première étude était issue d'un travail financé au Malawi au sujet de l'extension de l'usage des antirétroviraux en milieu rural.

Ce travail de recherche appliquée sur le terrain a eu un impact très important en termes de transmission de connaissances.

M. Henri de Raincourt, président. - Quels sont vos liens avec Unitaid ?

Mme Paola de Carli. - Nous n'avons pas beaucoup d'échanges sur le plan de la recherche, mais les programmes internationaux sont menés en étroite collaboration.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Comment les résultats des recherches conduites au Sud sont-ils utilisés ? Que deviennent-ils ?

Mme Paola de Carli. - Ils sont valorisés par des publications scientifiques. Sidaction ne revendique pas la propriété des résultats, nous le précisons dans toutes les conventions. C'est aux chercheurs et aux structures d'accueil d'en assurer la promotion auprès de la communauté scientifique. Nous essayons cependant de vulgariser ces résultats auprès du grand public, par différents moyens de communication - supports dédiés aux donateurs, reportages diffusés au moment d'opérations médiatiques. Nous tâchons également d'être présents dans les grandes conférences internationales et d'y soutenir la participation de jeunes chercheurs.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Vous favorisez également la mobilité des étudiants doctorants et post-doctorants entre le Nord et le Sud. Avez-vous des difficultés particulières pour les financer ?

Mme Paola de Carli. - Nous n'avons aucune contrainte liée à la nationalité. Nous essayons d'offrir à ces jeunes chercheurs les meilleures conditions d'accueil possibles. Nous effectuons souvent un travail d'accompagnement, afin qu'ils puissent obtenir un contrat de travail le plus rapidement possible.

Je peux cependant témoigner de quelques difficultés dans l'obtention des visas. C'est pourquoi nous fournissons aux consulats et aux ambassades tous les documents nécessaires pour suivre les formations. L'année dernière, nous avons exceptionnellement réussi à avoir tout le monde lors de l'université d'été, mais une ou deux personnes peuvent malheureusement se voir refuser leur visa à la dernière minute.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quels sont les pays en cause ?

Mme Paola de Carli. - Une année, c'est une Camerounaise qui n'a pu venir ; l'année dernière, nous avons pu « récupérer » un Sénégalais.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Où vous situez-vous dans l'architecture de la recherche et de la lutte contre le sida, par rapport à l'ANRS, au ministère de la santé, au ministère du développement ou au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ? Etes-vous consultés, au sens large, par les pouvoirs publics ?

Mme Paola de Carli. - Nous avons une position privilégiée avec nos interlocuteurs scientifiques, car nous sommes là depuis vingt ans.

Les chercheurs du Sud ont beaucoup d'attentes, qui sont parfois déçues du fait de nos faibles moyens et des limites de notre appel d'offres.

Nous avons de très bonnes relations avec l'ANRS, nous essayons de planifier un travail commun, de nous rencontrer régulièrement autour de thématiques et d'échanger des informations. Nous organisons ensemble certains événements, par exemple lors de la conférence de Kuala Lumpur sur la qualité de vie et la qualité de soins.

Sidaction est plus connu des ministères pour ses actions en France et dans les pays en développement, mais moins pour les aspects liés à la recherche. Nous avons cependant beaucoup travaillé avec le ministère de la recherche sur le financement des jeunes chercheurs.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - On ne peut que se féliciter de l'évolution de Sidaction et de sa volonté de faire en sorte que les équipes des pays du Sud soient plus autonomes et mieux reconnues. Comment votre travail peut-il renforcer leur structuration ? Beaucoup d'équipes françaises travaillent main dans la main avec celles du Sud, qui n'ont pas toujours les mêmes facilités. Pour quelles raisons vous ouvrez-vous au financement direct des pays du Sud - en dehors de la possibilité de vérifier les comptes ?

Mme Paola de Carli. - Notre force réside dans la multiplicité de nos interventions. Grâce aux programmes internationaux, nous connaissons mieux nos partenaires potentiels du Sud.

Nous intervenons également dans la formation des chercheurs, grâce à l'université d'été des jeunes chercheurs mais aussi, depuis des années, grâce au soutien de formations au Sud, en direction de représentants communautaires, mais également de soignants. Je pense notamment au Diplôme universitaire (DU) de Ouagadougou, que nous soutenons depuis des années. On retrouve donc tout naturellement parmi les chercheurs potentiels, qui peuvent aujourd'hui adresser des demandes directes à Sidaction, des personnes passées par ces parcours.

Notre atout tient au lien qui existe entre les différents acteurs, dont certains possèdent des données de grande qualité mais qui n'ont pas les ressources internes pour bien les exploiter et transmettre leurs connaissances. Des projets de recherche intéressants pourraient ainsi émerger.

M. Henri de Raincourt, président. - Quelles recommandations préconiseriez-vous pour renforcer la coopération avec le Sud ?

Mme Paola de Carli. - La formation est essentielle, celle des acteurs du Sud, mais aussi celle de la relève au Nord.

Je crois également qu'il faut soutenir la recherche fondamentale au Sud. Aujourd'hui, le Sud est souvent exploité en termes de recherche clinique ou en sciences sociales, alors qu'il y a certainement des ressources humaines en matière de recherche fondamentale. Je pense notamment à du personnel technique qui travaille dans des laboratoires de virologie, et qui a beaucoup d'expérience. Il peut évoluer vers la recherche fondamentale, s'il est accompagné d'une bonne formation.

Nous défendons également beaucoup la multidisciplinarité, des chercheurs et des soignants.

M. Henri de Raincourt, président. - Vos ressources s'élèvent-elles toujours à 20 millions d'euros ?

Mme Paola de Carli. - Hélas, non ! Elles ne sont plus que d'environ 17 millions d'euros et ont connu une certaine baisse.

Nous essayons de pérenniser notre action sur certains secteurs. Nous avons réduit toutes nos enveloppes. La recherche a également été touchée, mais nous n'avons pas l'intention de nous désengager d'un terrain particulier. Nous ne réduirons pas a priori le financement de projets en Afrique ou en Asie.

A l'échelon des programmes internationaux, nous avons dû concentrer les zones géographiques mais, en matière de recherche, nous conserverons un appel d'offres ouvert. Nous serons plus sélectifs pour rester présents sur tous les terrains.

M. Henri de Raincourt, président. - C'est indispensable. Je vous remercie chaleureusement pour votre coopération.

Mercredi 3 juillet 2013

- Présidence de Mme Kalliopi Ango Ela, puis de M. Henri de Raincourt -

Audition de Mme Marion Guillou, présidente d'Agreenium

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Le Groupe écologiste du Sénat a initié une mission commune d'information sur la recherche hors de France en matière de développement. Nous avons déjà auditionné plusieurs intervenants sur cette thématique et nous sommes heureux d'entendre Agreenium, qui a été mentionné de nombreuses fois dans ce paysage complexe de la recherche hors de France, en particulier dans le domaine agronomique. Le Cirad est probablement plus connu en tant qu'opérateur, ainsi que l'IRD ou les UMR qui travaillent dans l'agronomie.

Pouvez-vous nous présenter votre mission hors de France et la manière dont vous vous insérez dans le paysage de la recherche hors de France, ainsi que vos rapports avec les différents acteurs et les ministères de l'Enseignement supérieur et de la recherche et des Affaires étrangères ?

Mme Marion Guillou, présidente d'Agreenium. - Peut-être pourrions-nous d'abord nous présenter. Je suis présidente du conseil d'administration d'Agreenium. J'ai été PDG de l'Inra pendant les huit dernières années et suis membre du board des centres internationaux de recherche agricole. Ces quinze centres sont essentiellement situés dans les pays du Sud et sont financés par la Banque Mondiale, l'Union Européenne et d'autres organisations à hauteur d'environ 900 millions de dollars. Un consortium organise le programme commun de ces centres. En outre, je fais partie de deux instances internationales, l'une portant sur la sécurité alimentaire et l'autre sur la biodiversité et l'agriculture, qui sera lancée au Brésil le 12 juillet. Dans les travaux du G8 et du G20, je représente la France dans les réunions d'Agricultural Chief Scientists. Mon éloignement des activités opérationnelles a conduit à ma désignation dans ce rôle. J'essaie de faire participer la France aux instances internationales en matière de sécurité alimentaire en apportant des compétences scientifiques.

M. Christian Hoste. - J'appartiens au Cirad. Agreenium est un établissement public de coopération scientifique qui vit uniquement grâce à la mise à disposition de personnel. A ce titre, j'ai été détaché du Cirad pour diriger les relations internationales d'Agreenium. J'ai passé une vingtaine d'années en Afrique et j'ai travaillé notamment pour des centres internationaux et pour la FAO. Je travaille désormais sur la mobilisation et la coordination en Europe des travaux de recherche agricole pour le développement. Un travail important piloté par la France a été effectué pour que l'Europe s'exprime d'une seule voix sur ces sujets, avec un unique opérateur. Marion Guillou pilote également une initiative européenne sur le changement climatique et l'agriculture. Le premier mandat de trois ans de l'équipe de direction vient de s'achever.

Mme Marion Guillou. - Pouvez-vous nous indiquer les points qui vous intéressent particulièrement ?

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Nous sommes intéressés par l'explication de la création d'Agreenium, la formule de l'alliance n'ayant pas été retenue. Je connais mal Agreenium, au contraire de Corinne Bouchoux. Comment Agreenium travaille-t-il avec l'Inra et le Cirad, outre les détachements de personnel ? Quels sont les projets conduits au Sud ? Comment fonctionnent la recherche agronomique, et les partenariats avec le Sud ? Pourquoi faire intervenir Agreenium plutôt que le Cirad ou l'IRD, et comment travaillez-vous avec ces organismes ? Comment mutualiser la présence internationale et améliorer la visibilité de la recherche conduite par la France, en particulier dans le domaine de l'agronomie ? Quelle est votre taille critique et quel est votre sentiment à ce sujet ?

Mme Marion Guillou. - Ces questions sont extrêmement pertinentes. Nous avons souhaité créer Agreenium quelques années auparavant pour renforcer l'influence de la France dans ce domaine.

Les ministères de tutelle du Cirad sont le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche, ceux de l'Inra sont le ministère de l'agriculture et le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche. Les écoles avec lesquelles nous traitons ont pour tutelle le ministère de l'agriculture et le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche. Agreenium possède donc trois ministères de tutelle.

Agreenium a été créé sous forme d'établissement public de coopération scientifique par un décret de 2009 après une réunion interministérielle.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - L'AIRD a-t-elle été créée à la même époque ? Il me semble qu'elle a été créée en 2010.

Mme Marion Guillou. - J'ai été membre du conseil d'administration de l'AIRD. Au moment de la création d'Agreenium, le président de l'AIRD et moi avons cherché à articuler Agreenium et l'AIRD. Les objectifs sont cependant différents. L'AIRD se voulait une agence de moyens, alors qu'Agreenium est un opérateur de contact.

Des organismes de recherche existent en France. Ils sont relativement présents dans les agrosciences au niveau mondial, en particulier l'Inra et le Cirad. Dans les classements internationaux, le numéro 1 est américain et l'Inra est deuxième en publications scientifiques, donc en production de découvertes dans le monde. Ces deux organisations sont donc bien situées. L'enseignement supérieur est de bon niveau, avec un réseau d'écoles d'agronomie et d'écoles vétérinaires et d'universités présentant des compétences en biologie, écologie... Toutefois, un affaiblissement de la présence française a été constaté au niveau international, par rapport aux Etats-Unis, à la Chine, au Brésil et aux Pays-Bas, qui possède un grand centre de formation dans notre domaine, largement internationalisé. En réaction, le gouvernement a décidé de créer un opérateur, qui n'est pas chargé d'effectuer de la recherche, mais qui est disponible pour réaliser des prestations composites. Nous sommes en contact avec le Forum for Agricultural Research in Africa (FARA) qui possède des besoins importants de reconstitution de capacité. La plupart du temps, ces organismes ont besoin de formation et de recherche et d'aide à la mise en place d'organismes de développement, allant parfois jusqu'à l'aide aux opérateurs économiques. En outre, ils doivent parfois remonter leur enseignement technique. Dans ce cas, nous devons nous rapprocher des capacités d'enseignement technique, BTS ou lycées agricoles. Nous avons plusieurs fois embarqué une composante de l'enseignement technique, notamment en Haïti.

Les demandes sont généralement des demandes de reconstitution de capacités au sens global. Dans tous les pays, la sécurité alimentaire représente un problème, en raison des contraintes géographique et de ressources. La situation s'améliore car le nombre de personnes qui souffrent de la faim diminue proportionnellement à la population mondiale qui s'accroît de manière exponentielle, et a doublé en 40 ans. Un phénomène d'une ampleur tout aussi importante se produit également. Les classes moyennes augmentent pour atteindre 3 milliards de personnes, ce qui signifie un appel à la consommation plus fort, avec des demandes de production d'origine animale, avec en moyenne un besoin de 3 kilocalories végétales pour produire une kilocalorie animale, et des demandes non alimentaires, adressées à la production agricole, notamment les sources de carbone renouvelable. L'appel à la production agricole dans le monde augmentera donc fortement. En fonction des hypothèses de réduction des pertes et gaspillages, et des hypothèses de régimes alimentaires, nous estimons cette augmentation entre 30 % et 80 %. En outre, une forte augmentation de production agricole dans un contexte de changement climatique renforce les exigences en termes de contraintes sur les rendements.

Tous les pays du monde s'interrogent à ce sujet. Nous nous sommes donc organisés au moment opportun, même si la France a perdu du terrain au cours des vingt dernières années. Les demandes d'aide d'accompagnement ou de coopération se multiplient, sous une nouvelle forme, impliquant la participation des acteurs locaux. Nous recevons des demandes de différents pays, mais culturellement, nous serons plus solidaires des demandes de nos Suds, Méditerranée ou Afrique.

Nous rassemblons aujourd'hui des acteurs autour de l'affectio societatis. Nous étions cinq au départ et nous sommes désormais huit.

Le Cirad et l'Inra sont les principaux opérateurs de recherche dans le domaine des agrosciences.

Dans l'enseignement supérieur, Agro Paris Tech a été le premier membre fondateur qui rassemble les anciennes Ecole nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires (ENSIA) et Agro. Sup Agro Montpellier rassemble 7 anciens établissements fusionnés. Agro Campus Ouest rassemble trois anciennes écoles, l'Ecole nationale supérieure agronomique de Rennes (ENSAR), l'Ecole nationale de formation agronomique (ENFA) et l'Ecole du Paysage et de l'horticulture d'Angers. L'Institut national polytechnique de Toulouse regroupe l'école vétérinaire de Toulouse, l'Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse (ENSAT), Purpan, l'Ecole nationale supérieure des ingénieurs en arts chimiques et technologiques de Toulouse (ENSIACET), qui est une école de chimie verte, et l'Ecole de la météo. A Dijon, les anciennes écoles que sont l'Ecole nationale supérieure de biologie appliquée à la nutrition et à l'alimentation (ENSBANA) et l'Etablissement national d'enseignement supérieur agronomique de Dijon (ENESAD), ainsi que Bordeaux Sciences Agro viennent de nous rejoindre.

80 % du dispositif d'enseignement d'agrosciences français nous a donc rejoints. Vet Agro, l'Ecole nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l'alimentation Nantes-Atlantique (ONIRIS), l'Ecole nationale du génie de l'eau et de l'environnement de Strasbourg (ENGEES) ne nous ont pas rejoints, ainsi que l'Ecole du Paysage de Versailles qui est à mi-chemin entre les écoles du ministère de l'agriculture et une approche artistique de l'aménagement. En recherche, il nous manque la partie de l'IRD qui concerne les ressources, soit 25 % de l'IRD et l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) pour la partie ingénierie de l'environnement. Je considère qu'il serait plus raisonnable qu'ils soient membres associés pour la partie qui nous concerne mutuellement.

Lorsque l'on s'adresse à Agreenium, on s'adresse donc à l'ensemble du dispositif français en agrosciences. Le FARA en Afrique a demandé comment remonter l'enseignement supérieur et la recherche francophone dans les zones collaboratives. Nous représentons un point d'entrée pour réaliser un travail collectif avec l'ensemble des acteurs.

M. Henri de Raincourt, président. - Avec le faible recul dont vous disposez, considérez-vous que vous êtes dans la bonne direction pour atteindre vos objectifs ?

Mme Marion Guillou. - Nous sommes encore petits. Nous considérons que nous représentons un point d'entrée et de sortie. Je préside le conseil d'administration à titre bénévole.

M. Christian Hoste. - Les équipes salariées d'Agreenium représentent neuf personnes.

Mme Marion Guillou. - Christian Hoste est salarié du Cirad, le directeur général est salarié de Sup Agro Montpellier, le secrétaire général est salarié de l'Inra. Les apports de ces membres permettent d'effectuer l'ingénierie par rapport à une demande externe.

Christian Hoste nous disait au dernier conseil d'administration que 152 chercheurs sont intervenus dans différents pays demandeurs pour réaliser des expertises à l'extérieur de la France, par exemple sur le lait en Chine ou les semences en Haïti. Il est plus simple de trouver un expert ainsi pour l'extérieur.

M. Christian Hoste. - La valeur ajoutée d'Agreenium consiste à aider les partenaires à entrer dans le système français, qui est complexe et unique. En effet, les pays étrangers, qui possèdent des universités d'agro, ne comprenaient pas comment entrer dans le système français. Notre principal message consiste à expliquer à nos partenaires où entrer. Nous trouvons ensuite le cursus de formation ou le partenaire adéquat. Cette compétence est reconnue par les partenaires. En outre, les écoles d'agro françaises ne possèdent pas d'équivalence dans le monde anglo-saxon ; nos écoles proposent désormais des masters.

Le second message consiste à parler d'une seule voix à l'international, dans les colloques et au G8. Marion GUILLOU joue le rôle d'Agricultural chief scientist dans les G8 et G20, un rôle qui a été récemment créé par les ministères. Le Brésil a lancé un programme Sciences sans frontière avec 100 000 bourses de doctorat sur les quatre prochaines années. Nous avons évalué les capacités d'accueil des laboratoires des membres d'Agreenium, et expliqué leurs capacités au Brésil et les thèmes de recherche possibles. Cela n'aurait pu être réalisé individuellement.

M. Henri de Raincourt, président. - Quelle est la relation entre Agreenium et l'AIRD ?

Mme Marion Guillou. - Nous ne sommes pas positionnés sur le même créneau. Avec Michel Laurent nous avons décidé d'articuler les deux organismes, qui ont des métiers différents. Notre objectif consiste à travailler dans le domaine des agrosciences sur des demandes composites. En revanche l'AIRD ne se limite pas au domaine des agrosciences. La plupart des demandes sont du capacity building, un terme difficile à traduire qui représente un ensemble formation, recherche, et développement. Par exemple, nous pouvons répondre à la demande d'une université africaine qui souhaite se remonter. En effet, nous trouvons des chercheurs de l'Inra, du Cirad ou de l'enseignement supérieur, qui constituent de petits ensembles.

En revanche, l'AIRD a l'objectif d'être une agence de moyens. Un besoin d'articulation entre AIRD et ANR est nécessaire.

M. Henri de Raincourt, président. - C'est certain.

Mme Marion Guillou. - L'idée consiste à posséder une capacité financière de mobilisation de moyens lorsqu'une demande se présente au sud.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - L'AIRD effectue également de la coordination.

Mme Marion Guillou. - Il ne s'agit pas de coordination au sens programmatique du terme.

J'étais PDG de l'Inra jusqu'à il y a quelques mois. L'Inra ne coordonnait pas ses programmes avec le Brésil avec l'AIRD, en revanche, il coordonnait ses programmes de recherche avec le Cirad sur l'agriculture de conservation ou la couverture des sols. Le Brésil par exemple possède des compétences en agriculture de conservation et la France possède des spécialistes de la microbiologie des sols. Les opérateurs peuvent travailler ensemble, car un opérateur peut mobiliser des chercheurs pour travailler avec les chercheurs brésiliens. Le Cirad représentait l'Inra et Agreenium était représenté par l'un des deux au sein du conseil de l'AIRD. Si l'AIRD représentait un des sujets, nous avions une personne chargée de réaliser une articulation entre Agreenium et l'AIRD.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Concernant votre répartition géographique, pourquoi avoir choisi telle ou telle implantation ? Comment, sur le terrain, savez-vous quels réseaux sont nécessaires pour une certaine demande ? Comment recueillez-vous cette information et comment la partagez-vous éventuellement avec les différents partenaires français ou africains ?

M. Christian Hoste. - Le mandat d'Agreenium consiste à développer une offre consolidée en France et à la promouvoir au niveau international. La dimension internationale était donc incluse dans le décret de création d'Agreenium. La première action mutualisée d'Agreenium a concerné les relations internationales. L'Inra a fermé sa mission des relations internationales et transféré ses personnels au sein d'Agreenium.

Le métier du Cirad est en revanche exclusivement international. Il a mis son personnel à disposition d'Agreenium. Je suis le directeur des relations internationales d'Agreenium parce que le Cirad souhaitait que son dispositif soit complétement valorisé. Le Cirad a également offert à Agreenium ses représentants sur le terrain, soit des directeurs régionaux qui sont devenus à 60 % représentants d'Agreenium.

Deux représentants Inra et Cirad au Brésil et en Chine sont devenus représentants d'Agreenium. L'ensemble du système formation, recherche et développement français peut donc être présenté aux partenaires au lieu que les seules offres du Cirad soient mentionnées. Les demandes des partenaires vont toujours en ce sens. Le Cirad n'avait jusqu'ici pas de légitimité sur la dimension formation. Désormais il bénéficie d'un dispositif terrain à l'écoute des partenaires.

Mme Marion Guillou. - Les deux points sur la carte qui peuvent vous étonner concernent en fait la Banque Mondiale à New York - il n'est donc pas destiné aux États-Unis -, et la FAO à Rome. Ils servent à être en contact avec les acteurs qui promeuvent des projets de manière multilatérale.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Afin que nous soyons certains d'avoir bien compris, pouvez-vous préciser votre positionnement par rapport aux alliances ?

Mme Marion Guillou. - Agreenium est membre d'AllEnvi, qui est une alliance informelle portant sur les sujets de l'agriculture, de l'alimentation, de l'eau, des territoires et du changement climatique. Agreenium, lui, a la capacité de passer des contrats. L'INRA est aussi membre d'Aviesan, en raison du lien entre santé et alimentation. Les organisations scientifiques sont organisées par métiers ou disciplines. Or le changement climatique est une question de recherche qui concerne les sciences de l'univers, les grandes modélisations comme en fournissent Météo France ou le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), les usagers que sont les agronomes car l'agriculture contribue au changement climatique et doit s'y adapter. Ces sujets ne respectent donc pas les frontières des organisations de recherche. Le sujet de l'alimentation et de l'obésité suit un schéma similaire car il concerne simultanément l'aliment, les pratiques alimentaires, qui relèvent de la sociologie et de l'économie, et la santé. L'étude du corps humain est cependant très différente de celle de la production d'un aliment.

Les alliances permettent de faire travailler ensemble des groupes par projet, par exemple agro-écologie et sol. Des personnes s'intéressent à la structure granulaire du sol, d'autres observent la transformation de la matière organique en matière minérale, des agronomes étudient le dialogue entre le sol et les plantes...

Les problèmes réels sont rarement encapsulés dans des approches disciplinaires. Les alliances permettent donc, en s'organisant autour de projets, de poser plusieurs types de regard sur certains sujets.

Il s'agit de collaborations entre individus mais aussi d'investissements lourds. AllEnvi ne possède donc pas de structure juridique mais coordonne les priorités scientifiques en définissant les outils les plus importants et en faisant dialoguer les modélisateurs à petite et grande échelle, et en se préoccupant des formations des scientifiques pour les dix ans à venir. L'alliance s'occupe également des structurations nécessaires au niveau européen. L'initiative européenne que je préside rassemble 21 pays sur les thèmes de l'agriculture, de la sécurité alimentaire et du changement climatique, car nous sommes tous trop petits pour aborder ces sujets. L'échelle nationale est insuffisante.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Ces alliances ont-elles une vocation internationale ?

Mme Marion Guillou. - Dans l'immédiat, elles représentent davantage un réseau qu'une structure, qui permet d'intervenir de manière pertinente à un moment donné. Une alliance pourrait considérer que certains sujets doivent se traiter impérativement au niveau international. Dans ce cas, AllEnvi fera en sorte de créer le réseau international adéquat pour que son intervention soit pertinente. En fonction du projet, nous pouvons être plus pertinents à l'échelle nationale, européenne ou internationale. Il convient que les alliances restent souples et se déplacent sur les sujets prioritaires qui se posent à un moment donné.

En revanche, nous pouvons passer des contrats avec des ingénieurs pour réaliser de l'ingénierie de projet autour d'une demande. Nous pourrions vous citer quelques contrats en cours.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Pouvez-vous citer quelques contrats, des réalisations réussies et d'autres dont vous êtres moins satisfaits, et pour quelles raisons ?

M. Christian Hoste. - J'ai évoqué la nécessité d'une offre coordonnée au Brésil. Nous réalisons une offre similaire en Chine, où nous avons signé un accord avec la Chinese Academy of Science avec un mécanisme de distribution de bourses à des doctorants chinois. La difficulté principale consiste à identifier de bons doctorants, que nous accueillerons dans les laboratoires français.

S'agissant de l'Afrique francophone, les financements français sur la recherche et l'enseignement supérieur à l'international ne font pas partie du mandat de l'AFD. En effet, le mandat reste au ministère des Affaires étrangères en ce domaine. Les autres bailleurs internationaux ont compris qu'il convenait d'investir dans l'enseignement supérieur dans les pays en développement, ce qui est récent. Jusqu'ici il s'agissait d'enseignement de masse, mais depuis cinq ans les bailleurs commencent à financer l'enseignement supérieur. Il est problématique que ces financements soient surtout anglo-saxons et donc dirigés vers les pays d'Afrique anglophone. Nous perdons du terrain, parce que notre système d'éducation est original et difficile en ce qu'il est éloigné du système universitaire international. Nos partenaires d'Afrique francophone nous sollicitent. 85 % des francophones du monde seront africains en 2050, or tout le système d'enseignement-recherche africain est à rétablir. Si la France n'y participe pas, nous risquons de perdre notre spécificité. Il existe un appel d'urgence sur ce sujet.

Par ailleurs, la Banque Mondiale essaie de trouver un partenaire français pour réaliser un projet de centre d'excellence en Afrique. Or l'AFD vers laquelle elle s'est tournée ne possède pas ce mandat. Actuellement, ces nouveaux centres d'excellence en Afrique partent vers d'autres universités africaines que nos partenaires.

M. Henri de Raincourt, président. - La situation évolue-t-elle entre l'AFD et le ministère des Affaires étrangères afin de créer un système comparable aux autres ?

M. Christian Hoste. - L'un semble disposer du mandat mais n'a pas les moyens, et l'autre possède un certain nombre de moyens mais ne dispose d'aucun mandat. Notre contribution aux assises du développement et de la solidarité évoque ces problèmes.

Il est impossible de se coordonner avec les trois ministères de tutelle et l'opérateur.

En outre, tous nos partenaires demandent désormais des cofinancements. La contribution de la France à l'aide publique au développement laisse peu de place aux financements bilatéraux.

M. Henri de Raincourt, président. - Le débat entre multilatéral et bilatéral constitue un sujet sensible que nous essayons de réorienter progressivement, dans un contexte de réduction budgétaire. Fonctionnez-vous avec un conseil d'administration ? Quelles personnalités extérieures y siègent ?

Mme Marion Guillou. - M. Pagesse, le président de la coopérative Limagrain, ou M. Tillous-Borde, qui était directeur général de Sofiprotéol.

Le conseil d'administration est l'émanation des membres et des personnalités qualifiées. Le conseil d'orientation stratégique comporte des personnalités africaines ou brésiliennes et représente les parties prenantes. Une ONG en fait partie.

M. Henri de Raincourt, président. - Où se trouve le gouvernement ?

Mme Marion Guillou. - La directrice générale de l'enseignement et de la recherche du ministère de l'agriculture siège au conseil d'administration, ainsi qu'une personne du ministère des affaires étrangères et une personne du ministère de la recherche.

M. Henri de Raincourt, président. - Aucun lien avec le développement n'est établi.

Mme Marion Guillou. - Je le déplore. La direction de la mondialisation s'occupe de sécurité alimentaire, et une autre personne est chargée de s'occuper des structures de la recherche et de l'enseignement supérieur. Il est regrettable que ces personnes ne soient pas présentes dans les instances qui traitent de la recherche et de l'enseignement supérieur dans les agrosciences. Cette organisation ne me semble pas optimale. Nous avons donc proposé au ministère de l'agriculture d'inviter en plus de la DGER des personnes en charge des relations internationales et nous inviterons une personne de la direction de la mondialisation, afin de rassembler le fond et la forme.

M. Henri de Raincourt, président. - Pourquoi n'invitez-vous pas le Parlement ? Au sein de la commission des affaires étrangères, des collègues s'intéressent aux sujets de politique et de développement, cependant le lien a été insuffisamment établi entre la recherche et le développement. Les rapports produits au Sénat sur les politiques de développement ne comportent aucun chapitre sur la recherche. Il pourrait être intéressant de permettre au Parlement d'assister aux conseils en auditeur libre.

Mme Marion Guillou. - Nous avons suggéré qu'un groupe parlementaire s'intéresse à ces sujets, comme en Grande-Bretagne. Les parlementaires étant très pris, leur demander de faire partie d'un groupe opérationnel est malaisé. En revanche, la création d'un groupe informel pourrait être intéressante. Par ailleurs, il me semble désormais difficile de séparer la recherche pour le Sud et pour le Nord.

M. Christian Hoste. - Le groupe de parlementaires anglais réussit à auditionner des personnes au plus haut niveau, comme Bill Gates, pour informer les parlementaires de ces grands enjeux.

M. Henri de Raincourt, président. - L'idée est intéressante, mais la mise en oeuvre verra l'affrontement des commissions de l'économie, du développement durable et des affaires étrangères.

Mme Marion Guillou. - Les questions sont trans-commission, ce qui justifie les alliances.

M. Christian Hoste. - Ce groupe est influent sur le gouvernement car il vient des parlementaires, tous partis confondus. Un secrétariat l'anime et identifie les personnes à auditionner.

M. Henri de Raincourt, président. - Dans l'avis publié par nos collègues Christian Cambon et Jean-Claude Peyronnet sur l'aide publique au développement, nous chercherons les chapitres concernant l'enseignement et la recherche. Il s'agit d'une faille de la politique française en termes d'influence.

Mme Marion Guillou. - Nous possédons toutefois les ressources scientifiques dans ce secteur.

M. Henri de Raincourt, président. - Je vous remercie.

M. Christian Hoste. - Nous restons à votre écoute si vous avez besoin d'informations complémentaires.