Mercredi 4 décembre 2013

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 - Examen en deuxième lecture du rapport et du texte de la commission

La commission examine en deuxième lecture le rapport de M. Jean-Louis Carrère et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 1473 (AN - 14e Législature), relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous examinons en deuxième lecture le projet de loi de programmation militaire, adopté hier par les députés, et qui viendra mardi prochain en séance publique. L'Assemblée nationale n'a pas remis en cause son équilibre général et a conservé l'intégralité des avancées introduites par le Sénat grâce à notre travail commun, en particulier les clauses de sauvegarde, celle de revoyure et de retour à meilleure fortune, ou encore les dispositions relatives au contrôle parlementaire de l'exécution. Ses principales modifications ont limité l'effet sur la trajectoire financière des annulations de crédits de la fin de gestion de l'année 2013 ; elles ont également concerné les dispositions relatives au renseignement.

Particulièrement tendue pour le ministère de la défense, la fin de gestion 2013 risquait d'entraîner un important report de charges sur la première année de la loi de programmation militaire en 2014, susceptible de compromettre la soutenabilité de l'ensemble de la trajectoire financière. Plusieurs phénomènes s'additionnaient : le gel et le surgel de crédits liés à la réserve de précaution ; un surcoût des Opex de 1,26 milliard d'euros (dont 630 millions d'euros seulement avaient été budgétés), principalement en raison de l'opération SERVAL ; un dépassement de la masse salariale de 232 millions d'euros, dû, pour les trois-quarts aux dysfonctionnements du système Louvois, et, pour un quart, aux dépenses liées aux indemnités chômage et à l'indemnisation des victimes de l'amiante ; des annulations de crédits à hauteur de 486 millions d'euros au titre de la contribution de la Défense à la réduction des déficits publics.

Après de difficiles négociations avec Bercy et intervention de votre commission, le ministre de la Défense a obtenu le dégel de la plus grande partie de ses crédits, et la couverture par des crédits interministériels de l'intégralité du surcoût des Opex - la clause de sauvegarde a d'ores et déjà joué son rôle... En revanche, les dépassements de la masse salariale (232 millions d'euros), ainsi que les annulations de crédits supplémentaires (486 millions d'euros) au titre de la solidarité gouvernementale à la réduction des déficits seront intégralement pris en charge par le budget du ministère. Toutefois il peut espérer récupérer au moins une partie des trop-versés des soldes liés à Louvois. D'ailleurs, il n'a pas contesté l'imputation de ces dépassements sur le titre 2.

En outre, quatre amendements du Gouvernement autorisent, le cas échéant, une majoration des ressources exceptionnelles prévues par la loi de programmation militaire, à hauteur de 500 millions d'euros. Comme nous l'avait indiqué le ministre, et comme le précise l'article 3, cette modification compense les annulations de crédits supplémentaires pour la fin de gestion 2013 et sécurise la programmation des investissements. J'aurais certes préféré des crédits budgétaires à des recettes exceptionnelles, mais grâce à votre vote, leur usage est sécurisé. Le financement des Opex nous a instruits...

M. Christian Poncelet. - Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit-il les crédits nécessaires à l'opération en Centrafrique ?

M. Jean-Louis Carrère, président. - Non. Mais cette opération nouvelle n'obèrera pas le budget de la Défense puisqu'il y aura un financement interministériel.

Les 500 millions d'euros de crédits pourront être versés « sur toute la durée de la programmation » ; c'est pourquoi ils ne figurent pas dans le projet de loi de finances pour 2014, car si d'aventure on ne pouvait pas les consommer en 2014, le surplus serait retiré. Cette modification est de nature à contenir le gonflement du report de charges et à éviter un décalage significatif dans la programmation de l'équipement des forces - la bosse. Il faudra néanmoins, comme nous le réclamons, rechercher résolument une solution définitive. Ce sera l'un des enjeux de la revoyure. Avec votre accord, je demanderai en séance au ministre de nous indiquer quelles sont les intentions du gouvernement pour résorber les reports.

L'Assemblée nationale a également sensiblement modifié, à l'initiative de sa commission des lois, les dispositions relatives à la délégation parlementaire au renseignement. Tout en approuvant le renforcement des prérogatives de celle-ci, elle est revenue sur plusieurs avancées introduites par le Sénat en matière de renforcement du contrôle parlementaire, dans un sens plus conforme aux souhaits du Gouvernement et de certains d'entre vous. En particulier, le droit pour la délégation d'entendre les agents des services, sous réserve de l'accord et en présence du directeur du service concerné, a été remplacé par la possibilité laissée aux directeurs des services de se faire accompagner, s'ils le souhaitent, des collaborateurs de leur choix en fonction de l'ordre du jour de la délégation. Je regrette que l'Assemblée nationale n'ait pas conservé la totalité des modifications introduites par le Sénat pour un véritable contrôle parlementaire. Toutefois, le texte représentant un progrès notable par rapport à la situation actuelle, je n'ai pas souhaité présenter de nouveaux amendements, afin de privilégier une démarche consensuelle entre les deux assemblées, de manière à débuter la loi de programmation début 2014.

À l'initiative de la commission de la défense, l'Assemblée nationale a également adopté une série d'amendements portant sur le dialogue social au sein du ministère de la défense. Pas de faux procès ! L'objectif visé consiste à associer davantage les personnels, civils comme militaires, à la mise en oeuvre des réformes. Mais ces changements sont encadrés et limités : ils ne préjudicient en rien au fonctionnement des armées.

Je voudrais vous remercier pour votre importante contribution à l'examen de ce projet de loi. C'est la première fois qu'une loi de programmation militaire est déposée en premier au Sénat. Le travail réalisé par l'ensemble des membres de notre commission, lors de la préparation du Livre blanc, puis lors de l'examen du projet de loi, a démontré tout l'intérêt du bicamérisme et d'une assemblée telle que le Sénat, dont les membres savent placer l'intérêt général au-dessus des clivages partisans et se rassembler sur des sujets essentiels pour notre pays comme la Défense.

Pour conclure, voici une récapitulation des principaux apports du Sénat sur la partie normative : le renforcement des clauses de sauvegarde sur les ressources exceptionnelles, les Opex et la masse salariale, l'insertion d'une clause de revoyure et d'une clause de retour à meilleure fortune, avec la volonté de revenir à un tendanciel de 2% du PIB ; l'introduction d'un chapitre sur le contrôle parlementaire de l'exécution de la loi de programmation, avec un contrôle sur pièces et sur place ; le renforcement des prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement et un dispositif complet de recueil des données de connexion, plus protecteur des libertés publiques à l'initiative de la commission des lois unanime ; une meilleure protection des militaires en Opex face au risque de judiciarisation ; un suivi médical et psychologique des militaires engagés en Opex ; une meilleure garantie pour l'avenir du Foyer de la Légion étrangère ; un renforcement de l'indemnisation des victimes d'essais nucléaires.

De son côté, l'Assemblée nationale a apporté les modifications suivantes : une majoration, en cas de besoin, des recettes exceptionnelles à hauteur de 500 millions d'euros pour compenser les annulations de crédits ; un encadrement du contrôle sur pièces et sur place au regard du secret de la défense nationale ; une atténuation des prérogatives de la délégation au renseignement et un allongement de l'autorisation de géolocalisation en temps réel à 30 jours ; la reconnaissance de la carte du combattant aux militaires engagés en Opex ; le transfert de l'article sur le suivi médical et psychologique dans le rapport annexé ; l'insertion de nouvelles dispositions sur le dialogue social et sur les mousses ; le renforcement de l'indemnisation des victimes d'essais nucléaires ; l'insertion d'un nouveau chapitre sur les matériels de guerre, les produits chimiques, domaines qui faisaient l'objet d'une habilitation de légiférer par ordonnance.

Les apports du Sénat au rapport annexé consistent en une référence à l'Europe de la défense et à la brigade franco-allemande ; des précisions chiffrées en matière d'augmentation des effectifs des services de renseignement et de cyberdéfense ; et une modification du rythme de livraison des avions ravitailleurs MRTT, avec 4 appareils livrés d'ici 2019, au lieu de 2. L'Assemblée nationale a prévu l'insertion d'un volet sur la concertation des militaires et a rétabli le rythme initial de livraisons des avions MRTT.

Je remercie tous ceux qui, comme Daniel Reiner, ont travaillé avec les députés, de telle sorte que le texte n'a pas été dénaturé.

M. Christian Poncelet. - Les crédits pour la police et la gendarmerie devaient augmenter de 115 millions. Est-ce le cas ?

M. Jean-Louis Carrère, président. - Cette augmentation a été décidée. Les crédits figurent au budget du ministère de l'Intérieur, non dans la LMP.

M. Jean-Marie Bockel. - Une partie de l'opposition a voté pour ou s'est abstenue, en première lecture, dans l'esprit du consensus qui anime notre commission et afin de soutenir le ministre dans la défense de son budget. Il ne faudrait pas que nous retrouvions en porte-à-faux au point que cette position soit intenable.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous avons été très attentifs à la trajectoire financière. L'Assemblée nationale a adopté notre texte presque dans son intégralité. Il n'a pas été dénaturé. Sur les autres points nous chercherons à obtenir des réponses du ministre en séance. Le vote de l'Assemblée nationale ne trahit pas votre vote en première lecture, au contraire !

M. Bernard Piras. - Pourquoi l'Assemblée nationale a-t-elle rétabli le rythme initial de livraison des avions ravitailleurs ?

M. Jean-Louis Carrère, président. - Elle a rétabli la rédaction initiale du gouvernement, qui craignait de compromettre l'équilibre global en l'absence de retour de bonne fortune en 2015. Nous insisterons en séance pour que le ministre déclare que la fourniture de quatre ravitailleurs est une priorité en cas d'amélioration de la situation économique.

M. Xavier Pintat. - En effet, excepté sur ce point, l'Assemblée nationale a finalement peu modifié le texte. Les acquis du Sénat ont été préservés. En revanche, le report des charges est problématique. Comme l'a indiqué Jean-Marie Bockel, nous ne souhaitons pas être placés en porte-à-faux. Quel sera leur montant exact ? Nous avons dû rechercher dans les déclarations pour établir que le report serait de 3,6 milliards en 2014, contre 1,5 milliard en 2011. Vous nous annoncez une ouverture de crédits de 500 millions. Il importe d'y voir clair afin de ne pas voter une loi de programmation militaire mort-née. Passera-t-on à 1,3% du PIB en 2019 ou à 1,1% ? Il nous faut davantage d'explications. De plus, Jacques Gautier avait proposé d'autres pistes : pourquoi ne pas céder des participations inutiles afin de préserver la trajectoire financière ?

M. Jeanny Lorgeoux. - L'effort pour financer le surcoût de 1,26 milliard lié aux Opex n'est pas mince ! De même il faut annuler 232 millions dus à la catastrophe provoquée par le système Louvois, qui n'est pas le fait de ce gouvernement. Enfin l'annulation de 486 millions de crédits participe de l'effort de redressement des comptes publics et fournit des gages pour mieux négocier avec Bercy par la suite.

M. Jean-Louis Carrère, président. - A une réponse politicienne, je préfèrerais une réponse dans l'esprit de la commission.

M. Christian Poncelet. - C'est mieux !

M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous sommes unanimes sur le report. Nous sommes partisans de la vente de certaines participations de l'État pour compenser les reports de crédits. Nos amis communistes ne partagent pas tout à fait cette analyse, et Michelle Demessine me l'a rappelé, sans préciser qu'elle s'opposait à toute mesure pour éviter les reports. Je vous propose de demander au gouvernement de fournir rapidement des mesures de réduction, pour y arriver au plus tard avant la revoyure. Si la commission le souhaite, nous pouvons adopter une position plus solennelle et chaque groupe pourra formuler des pistes de financement pour limiter les reports, telles que celles que Jacques Gautier a déjà présentées ; le ministre se verrait soutenu pour avancer en ce sens.

Sur les MRTT, soit nous nous faisons plaisir en déposant un amendement pour modifier le rythme de livraison des avions ravitailleurs, ce qui retardera l'entrée en vigueur de la loi, soit nous insistons en séance, de manière unanime, afin d'obtenir une réponse précise du ministre figurant au Journal officiel, tout en adoptant ce texte conforme.

M. Jacques Gautier. - Je partage ce qu'a dit Xavier Pintat, de même que la majorité de nos amis UMP. Le report de charges est le problème central. La loi de programmation militaire ne résolvant rien, il nous faut des assurances pour le futur, au pire avant la revoyure. Les avions ravitailleurs coûtent 230 millions pièce. Pour l'armée de l'air, pour le ministre, il s'agit d'une priorité. Mon amendement n'a pas été maintenu. Je ne le redéposerai pas : nous avons besoin d'engagements dans la durée.

Enfin, Bercy gèle 7% des crédits cette année, contre 6% l'an dernier. Le budget soumis au Parlement n'est pas sincère. Devons-nous accepter que Bercy décide unilatéralement de geler des crédits ? La question est posée, nous aurons à y répondre ensemble.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Les MRTT constitueront l'un des enjeux du Conseil européen de la défense. L'objectif de la France est de parvenir à une mutualisation et à une coopération européennes. Jouons sur les deux tableaux et demandons avec fermeté au ministre d'affirmer que la modification du rythme d'acquisition des ravitailleurs sera prioritaire en cas de retour à meilleure fortune. Il n'est pas choquant que le budget de la Défense soit prioritaire en ce cas.

Je partage votre analyse sur les gels de crédits, pratiqués par tous les gouvernements. Cependant, grâce aux possibilités de contrôle sur pièce et sur place, nous serons extrêmement présents sur l'exécution. En outre, si la commission le souhaite, je suis prêt à demander que les règles budgétaires soient modifiées afin que les crédits sur lesquels le Parlement se prononce intègrent les prévisions de gels. Il ne faudrait pas, en effet, que des gels intempestifs de crédits modifient l'équilibre obtenu dans cette loi de programmation au risque de la rendre inopérante. Cherchons à obtenir un engagement du ministre en séance. Je pense, d'ailleurs, que le gouvernement a besoin de notre soutien. On peut certes l'affaiblir... Nous pouvons aussi le conforter en faisant valoir une position unanime de notre commission.

EXAMEN DES ARTICLES

M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous devons nous prononcer uniquement sur les articles modifiés, ajoutés ou supprimés par l'Assemblée nationale, mais non sur les articles adoptés conformes par nos collègues députés.

Article 2 et rapport annexé

M. Jean-Louis Carrère, président. - Le rapport annexé a fait l'objet de plusieurs modifications à l'Assemblée nationale. Elle est notamment revenue à la livraison de deux MRTT sur la période, l'un en 2018 et l'autre en 2019. Le ministre a expliqué que le doublement des livraisons impliquerait des coupes au détriment d'autres programmes, et probablement ceux destinés à l'armée de l'air. Il a rappelé que ce point ferait l'objet de discussions lors de la clause de revoyure en 2015. Aussi je vous propose d'adopter l'article 2 et le rapport annexé sans modification. Je vous suggère que nous travaillions à l'expression d'une position commune rappelant la nécessité d'accélérer le rythme des livraisons de MRTT en cas de retour à meilleure fortune.

M. Jacques Gautier. - Le groupe UMP s'abstient.

L'article 2 est adopté sans modification, ainsi que le rapport annexé.

Article 3

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'Assemblée nationale a adopté un amendement du gouvernement qui modifie la trajectoire financière en autorisant, le cas échéant, une majoration des ressources exceptionnelles prévues par la loi de programmation militaire, à hauteur de cinq cents millions d'euros, afin de compenser les annulations de crédits intervenues en fin de gestion 2013. Cet amendement contient le gonflement du report de charges et évite l'apparition, d'entrée de jeu, d'un décalage significatif dans la programmation de l'équipement des forces. Je vous propose d'adopter cet article sans modification et de vous associer à une position commune demandant au ministre des explications précises. Même vote ?

L'article 3 est adopté sans modification.

Article 3 bis

M. Jean-Louis Carrère, président. - Cet article introduit par notre commission porte sur la clause de sauvegarde sur les Opex. L'Assemblée nationale n'a apporté que des modifications rédactionnelles.

M. André Dulait. - Nous l'adoptons.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je vote pour.

L'article 3 bis est adopté à l'unanimité sans modification.

Article 4

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'article 4, relatif à la déflation des effectifs, n'a fait l'objet que de simples modifications rédactionnelles.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je m'abstiens.

M. Jacques Gautier. - Le groupe UMP s'abstient.

L'article 4 est adopté sans modification.

Article 4 bis

M. Jean-Louis Carrère, président. - Cet article contient la clause de revoyure et celle de retour à meilleur fortune. L'Assemblée nationale n'a adopté que des amendements rédactionnels.

M. Daniel Reiner. - La nouvelle rédaction prévoit explicitement que la clause de revoyure concernera, entre autres, le ravitaillement en vol.

M. Jacques Gautier. - Nous le votons.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je vote contre.

Mme Leila Aïchi. - Je m'abstiens.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Mais développement et sécurité vont de pair ! Comment apporter le développement au Mali sans armée pour assurer la sécurité ?

L'article 4 bis est adopté sans modification.

Article 4 ter

M. Jean-Louis Carrère, président. - Sans modifier l'esprit de cet article, l'Assemblée nationale a précisé que le contrôle sur pièces et sur place ne pouvait porter sur les services de renseignement soumis au contrôle de la délégation parlementaire du renseignement, ni sur les sujets à caractère secret concernant la défense nationale.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je m'abstiens.

M. Jacques Gautier. - Nous, nous le votons.

Mme Leila Aïchi. - Je vote pour.

L'article 4 ter est adopté sans modification.

Article 4 quater

M. Jean-Louis Carrère, président. - Cet article n'a fait l'objet que d'un amendement rédactionnel.

L'article 4 quater est adopté sans modification.

Article 4 quinquies

M. Jean-Louis Carrère, président. - A l'article 4 quinquies, l'Assemblée nationale a étendu la transmission des rapports de la Cour des comptes à l'ensemble des commissions permanentes.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je m'abstiens.

L'article 4 quinquies est adopté sans modification.

Article 4 sexies

M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous avions un rapport annuel du Gouvernement sur l'exécution de la loi de programmation militaire. L'Assemblée nationale a précisé qu'il ferait l'objet d'un débat en séance publique et qu'il détaillerait la ventilation précise des ressources provenant des recettes exceptionnelles. Comment ne pas y souscrire ?

M. Daniel Reiner. - Nous avions prévu qu'il pouvait y avoir un débat.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Les députés font preuve de plus d'audace.

L'article 4 sexies est adopté sans modification.

Article 4 septies (nouveau)

M. Jean-Louis Carrère, président. - Cet article, introduit par la commission des finances de l'Assemblée nationale, avance la date de présentation du rapport annuel sur les exportations d'armement, afin d'améliorer l'information du Parlement.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je m'abstiens.

M. Daniel Reiner. - Pourquoi ?

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je porte la logique de mon groupe et reste fidèle à la position que nous avions adoptée en première lecture.

L'article 4 septies est adopté sans modification.

Article 5

M. Jean-Louis Carrère, président. - Tout en approuvant le renforcement des prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement, l'Assemblée nationale est revenue, à l'initiative de sa commission des lois, sur plusieurs avancées introduites par le Sénat, dans un sens plus conforme aux souhaits du Gouvernement et de certains membres de l'UMP. Ainsi, la délégation parlementaire au renseignement ne pourra prendre connaissance que d'« éléments d'information issus du plan national d'orientation du renseignement », et non pas du plan lui-même. Elle devra solliciter le Premier ministre pour avoir connaissance de tout ou partie des rapports d'inspection. Outre les opérations en cours et les échanges avec les services étrangers, elle ne pourra avoir connaissance ni des instructions données par les pouvoirs publics, ni des procédures et méthodes opérationnelles. Son droit d'auditionner les agents des services est remplacé par la possibilité laissée aux directeurs des services de se faire accompagner des collaborateurs de leur choix en fonction de l'ordre du jour de la délégation.

Je regrette les modifications introduites par l'Assemblée nationale. Toutefois, cet article marquant un progrès notable par rapport à la situation actuelle, je vous propose de l'adopter sans modification.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je m'abstiens.

Mme Leila Aïchi. - Moi aussi.

L'article 5 est adopté sans modification.

Article 6

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'Assemblée nationale a apporté plusieurs modifications à l'article 6, relatif à la commission de vérification des fonds spéciaux : elle remplace la « représentation de la majorité et de l'opposition » par la « représentation pluraliste » ; elle réserve au Premier ministre la transmission du rapport annuel ; elle précise que les membres de la commission seront désignés dans un délai de deux mois après son entrée en vigueur. Cela correspond à la position d'une partie de nos collègues ; adoptons-le sans modification. André Dulait et moi devrons donc nous dépêcher d'accomplir notre mission.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je m'abstiens.

L'article 6 est adopté sans modification.

Article 7

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'Assemblée n'a apporté que des modifications rédactionnelles à l'article 7, qui renforce la protection de l'anonymat des agents des services de renseignement appelés à témoigner dans le cadre de procédures judiciaires.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je m'abstiens.

Mme Leila Aïchi. - Moi aussi.

L'article 7 est adopté sans modification.

Article 8

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'Assemblée n'a apporté que des modifications rédactionnelles à l'article 8, qui étend l'accès aux fichiers administratifs du ministère de l'intérieur aux agents des services du renseignement.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je vote contre.

Mme Leila Aïchi. - Je m'abstiens.

L'article 8 est adopté sans modification.

Article 10

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'Assemblée nationale a exclu du nouveau fichier PNR des passagers aériens les données susceptibles de révéler l'origine raciale ou ethnique d'une personne, ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques, son appartenance à un syndicat, sa santé ou sa vie sexuelle - j'avais déposé, puis retiré un amendement identique. Je note que l'UMP et les écologistes s'abstiennent.

Mme Kalliopi Ango Ela. - C'est compte tenu de l'amendement adopté par les députés que je m'abstiens.

L'article 10 est adopté sans modification.

Article 11

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'article 11 n'a fait l'objet que d'un amendement de coordination.

L'article 11 est adopté sans modification.

Article 13

M. Jean-Louis Carrère, président. - Les débats sur l'article 13 provoquent bien des sollicitations... Clarifiant initialement le régime juridique de la géolocalisation en temps réel, cet article avait fait l'objet d'un amendement de Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, qui élargit son champ en unifiant le régime juridique des interceptions de communication issu de la loi du 10 juillet 1991 et celui de l'accès aux données de connexion (les fadettes) fixé par l'article 6 de la loi du 23 janvier 2006. Le dispositif est plus adapté aux besoins des services, mais aussi plus protecteur des libertés publiques : le contrôle de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité est accru et les demandes de géolocalisation en temps réel, motivées, émaneront du ministre.

Le seul changement apporté par l'Assemblée nationale porte sur la durée des autorisations : tandis que sa commission des lois voulait la porter à quatre mois, sa commission de la défense l'a ramené à trente jours, après notre intervention. C'est un équilibre raisonnable : adoptons cet article sans modification.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Y a-t-il un rapport entre ce texte et la jurisprudence récente de la Cour de cassation sur le sujet ?

M. Jean-Louis Carrère, président. - Cette jurisprudence concerne les écoutes judiciaires. Un projet de loi ultérieur devrait être déposé sur ce sujet.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Elle pourrait s'étendre aux écoutes administratives.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Cette jurisprudence reposait sur le manque d'indépendance du parquet ; il n'y a pas de lien. Je constate l'abstention du groupe écologiste.

L'article 13 est adopté sans modification.

Article 14

M. Jean-Louis Carrère, président. - Cet article et le suivant n'ont fait l'objet que de modifications rédactionnelles.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Abstention.

Mme Leila Aïchi. - Moi aussi.

L'article 14 est adopté sans modification.

Article 15

Mme Kalliopi Ango Ela. - Abstention.

Mme Leila Aïchi. - Moi aussi.

L'article 15 est adopté sans modification.

Article 16 bis

Mme Kalliopi Ango Ela. - Abstention.

Mme Leila Aïchi. - Moi aussi.

L'article 16 bis est adopté sans modification.

Article 16 quater (nouveau)

L'Assemblée nationale introduit un nouveau chapitre III bis composé de trois articles, où elle précise des points sur lesquels le Sénat avait admis la voie des ordonnances. L'article 16 quater aligne le régime des importations de matériels de guerre sur celui des exportations et des transferts intracommunautaires. Je note l'abstention du groupe écologiste.

L'article 16 quater est adopté sans modification.

Article 16 quinquies (nouveau)

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'article 16 quinquies soumet à autorisation préalable les transferts de certains produits chimiques entre États membres de l'Union européenne et harmonise les sanctions pénales.

M. Jeanny Lorgeoux. - Très bien !

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je m'abstiens.

Mme Leila Aïchi. - Moi aussi.

L'article 16 quinquies est adopté sans modification.

Article 16 sexies (nouveau)

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'article 16 sexies corrige une omission. Je note l'abstention du groupe écologiste.

L'article 16 sexies est adopté sans modification.

Article 18

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'article 18 n'a fait l'objet que d'une modification rédactionnelle. Adoptons-le sans modification.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je m'abstiens.

L'article 18 est adopté sans modification.

Article 19

M. Jean-Louis Carrère, président. - Même chose pour l'article 19.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je m'abstiens.

Mme Leila Aïchi. - Moi aussi.

L'article 19 est adopté sans modification.

Article 22 A (nouveau)

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'article 22 A accorde aux militaires ayant participé à des opérations extérieures le bénéfice de la carte du combattant.

M. Jeanny Lorgeoux. - Très bien !

M. Marcel-Pierre Cléach. - Ma proposition de loi sur le sujet allait plus loin. Comme elle a été rejetée la semaine dernière, je ne peux soutenir cette disposition. Je m'abstiens.

M. Jean-Claude Requier. - Un pilote de Rafale qui décolle de Saint-Dizier pour bombarder la Lybie ou la Centrafrique aura-t-il une carte d'ancien combattant ?

M. Jean-Louis Carrère, président. - Oui.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Pour.

Mme Leila Aïchi. - Je vote pour.

L'article 22 A est adopté sans modification.

Article 22

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'article 22 n'a fait l'objet que de modifications rédactionnelles, comme l'article 24.

Mme Leila Aïchi. - Je vote pour.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je m'abstiens.

L'article 22 est adopté sans modification.

Article 24

M. Jean-Louis Carrère, président. - Je note l'abstention du groupe écologiste.

L'article 24 est adopté sans modification.

Article 25

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'Assemblée nationale a précisé qu'un militaire qui serait recruté à nouveau par l'armée devrait rembourser le pécule dont il a bénéficié pour la quitter.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je m'abstiens.

Mme Leila Aïchi. - Moi aussi.

L'article 25 est adopté sans modification.

Article 26

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'article 26 n'a fait l'objet que de modifications rédactionnelles, adoptons-le sans nouvelle modification. Je note l'abstention du groupe écologiste.

L'article 25 est adopté sans modification.

Article 28 bis (supprimé)

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'Assemblée nationale a placé dans le rapport annexé le dispositif que nous avions prévu pour le suivi des militaires ayant été engagés en opérations extérieures. Confirmons la suppression de cet article.

L'article 28 bis demeure supprimé.

Article 28 ter A

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'article 28 ter A, ajouté par l'Assemblée nationale, prévoit des règles de temps de travail dérogatoires pour les mousses de la marine nationale âgés de 17 ans : temps de travail embarqué limité à onze heures par jour, repos hebdomadaire, service de nuit limité à quatre heures.

M. Jean-Pierre Chevènement. - Est-ce bien du domaine de la loi ?

M. Jean-Louis Carrère, président. - Ce compromis entre nécessités du bord et protection des mineurs est conforme à la directive européenne sur le travail des mineurs : c'est pour cela qu'il faut légiférer. Adoptons-le sans modification.

M. Jean-Pierre Chevènement. - Cela fait réfléchir. L'Europe pourrait s'occuper d'industrie, d'énergie, de défense plutôt que du temps de travail des mousses pendant la nuit ! C'est édifiant !

Mme Kalliopi Ango Ela. - Le groupe écologiste s'abstient.

Mme Leila Aïchi. - Moi aussi.

L'article 28 ter A est adopté sans modification.

Article 28 ter B

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'article 28 ter B, ajouté par un amendement de la commission de la défense de l'Assemblée nationale avec l'avis favorable du gouvernement, élargit le champ du dialogue social avec le personnel civil du ministère de la défense aux questions d'organisation ; les organismes militaires à vocation opérationnelle sont toutefois hors du champ et un décret en Conseil d'État déterminera le périmètre pour en retirer les questions d'organisation à caractère militaire ou opérationnel. Si vous le souhaitez, je demanderai au ministre de s'exprimer sur ce sujet en séance.

Je note l'abstention des groupes écologiste, UMP, UDI-UC ainsi que de M. Pierre Bernard-Reymond.

L'article 28 ter B est adopté sans modification.

Article 28 ter

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'article 28 ter sur le foyer d'entraide de la Légion étrangère, introduit par le Sénat, a fait l'objet d'une simple modification rédactionnelle.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Je m'abstiens.

L'article 28 ter est adopté sans modification.

Article 28 quater

M. Jean-Louis Carrère, président. - Même remarque sur l'article 28 quater, dans lequel l'Assemblée nationale précise que le nouvel établissement public pourra reprendre la dénomination actuelle.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Est-ce l'Europe qui le demande ?

Mme Kalliopi Ango Ela. - Nous nous abstiendrons.

L'article 28 quater est adopté sans modification.

Article 28 quinquies (nouveau)

M. Jean-Louis Carrère, président. - Le député Yves Fromion a ajouté l'article 28 quinquies, qui prévoit un rapport annuel du gouvernement sur les travaux du Conseil supérieur de la fonction militaire. Adoptons-le sans modification.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Nous nous abstenons.

L'article 28 quinquies est adopté sans modification.

Article 29

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'article 29 n'a fait l'objet que de modifications rédactionnelles. Je note l'abstention du groupe écologiste.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Tous les votes émis par le groupe écologiste obéissent à la même logique qu'en première lecture.

L'article 29 est adopté sans modification.

Article 33 bis

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'Assemblée nationale a modifié l'article 33 bis, que nous avions introduit : le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) devra justifier toute décision conduisant à considérer le risque attribuable aux essais comme négligeable ; le requérant pourra défendre sa demande en personne ou par un représentant ; le Civen produira un rapport annuel d'activité ; dates et zones de présence en Polynésie ont été modifiées, les zones n'étant plus définies par îles. Adoptons-le conforme.

M. Jean-Pierre Chevènement. - S'agit-il vraiment d'améliorations ? Toutes ces modifications vont dans le même sens : l'élargissement des droits de requérants pouvant venir d'îles distantes de plusieurs milliers de kilomètres de Mururoa et de Fangataufa et qui espèrent ainsi obtenir une ristourne. La République est-elle assez riche pour se payer le luxe d'étendre les droits à indemnisation indéfiniment ? En allant encore au-delà sur un domaine où nous étions allés déjà assez loin, l'Assemblée nationale a manqué d'esprit de responsabilité. Je vote contre.

M. Marcel-Pierre Cléach. - La mesure a une portée plus psychologique que financière ; les critères d'indemnisation restent les mêmes et ils n'ouvrent de droits qu'aux requérants justifiant d'avoir contracté la maladie. Le fond de la loi n'a pas été remis en cause. La plupart des demandes que la commission reçoit ne sont pas indemnisables.

M. André Dulait. - Pour avoir participé aux premiers travaux sur la question avec M. Jurien de la Gravière, je crains une plus grande judiciarisation : les requérants ne bénéficieront pas de plus d'indemnisation, mais la demanderont et la contesteront davantage. Est-ce bien nécessaire ?

M. Jean-Louis Carrère, président. - Faisons un conforme : cela nous fera gagner du temps et n'aura pas de conséquences financières dévastatrices.

M. Marcel-Pierre Cléach. - Ce dispositif n'entraînera pas une plus grande judiciarisation au sens propre, puisque c'est la commission qui reçoit et traite les demandes.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Je note l'abstention de M. Pierre Bernard-Reymond et du groupe UMP. M. Jean-Pierre Chevènement vote contre.

L'article 33 bis est adopté sans modification.

Article 33 ter

M. Jean-Louis Carrère, président. - Je constate le même vote pour l'article 33 ter, où l'Assemblée nationale allonge le délai des ayants droit pour déposer une demande d'indemnisation ou pour obtenir un réexamen de leur demande. Même vote ?

L'article 33 ter est adopté sans modification.

Article 34

M. Jean-Louis Carrère, président. - Outre des amendements rédactionnels et de coordination, l'Assemblée habilite le gouvernement à prendre par ordonnance des mesures de protection des installations nucléaires, sujet sur lequel nous avions entendu le directeur général de la gendarmerie nationale et le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale.

M. Robert del Picchia. - Nous sommes pour.

Mme Kalliopi Ango Ela et Mme Leila Aïchi. - Et nous contre.

L'article 34 est adopté sans modification.

M. Jacques Gautier. - En commission, sur l'ensemble du texte, le groupe UMP s'abstient, à l'exception d'Alain Gournac, qui vote contre ; pour la séance, nous attendrons les réponses du ministre à nos questions.

M. Daniel Reiner. - L'Assemblée nationale ayant respecté le travail de notre commission en ne procédant qu'à des modifications rédactionnelles - sauf exceptions et dans le bon sens - le groupe socialiste votera des deux mains pour l'adoption de ce texte.

M. Jean-Pierre Chevènement. - Pour les mêmes raisons, le groupe RDSE votera également pour.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Le groupe centriste avait, à l'issue d'un long débat, voté pour ce texte en première lecture. Malgré le vote contre des députés de notre sensibilité, les changements sont assez mineurs pour que nous ne changions pas d'avis à ce stade.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je vote pour.

Mme Leila Aïchi. - Le groupe écologiste votera contre. Pour ma part, je m'abstiendrai.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Je regrette beaucoup la position de votre groupe : la sécurité implique des moyens. Je rends hommage au travail de concertation avec les députés mené par Daniel Reiner, grâce auquel nous pouvons nous retrouver dans le texte de l'Assemblée nationale.

Le projet de loi est adopté sans modification, ainsi que le rapport annexé.

- Présidence de M. Daniel Reiner, vice-président -

68ème Assemblée générale de l'ONU - Communication

La commission entend une communication de MM. André Vallini, Christian Cambon, Jean-Marie Bockel et Mme Leila Aïchi sur leur déplacement à la 68ème Assemblée générale de l'ONU du 21 au 25 octobre 2013.

M. Christian Cambon, vice-président - Comme il est d'usage nous allons vous présenter le résultat de notre mission à l'ONU à quatre voix. Je vous parlerai en introduction de la perception de notre pays à l'ONU et de ce serpent de mer qu'est la réforme du Conseil de sécurité avant que nous abordions les deux grands blocs géographiques que sont le Moyen Orient et l'Afrique qui ont constitué le coeur de nos entretiens.

Les entretiens que nous avons eus à New York ont été, comme chaque année, particulièrement riches. 

Les rencontres et réunions organisées avec le soutien de notre Représentation permanente nous ont permis de nous entretenir à l'ONU avec le Secrétaire général, M. Ban Ki-moon, et quatre secrétaires généraux adjoints : notre compatriote M. Hervé Ladsous pour les opérations de maintien de la paix ; le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, M. Jeffrey Feltman ; la Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et coordonnatrice des secours d'urgence, M. Valerie Amos ; le Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques, M. Miguel de Serpa Soares. Nous avons également rencontré le président de la 68ème AGNU, M. John Ashe.

Parmi les représentants permanents nous avons eu des échanges avec les membres du P5 : l'ambassadeur Vitali Tchourkine pour la Russie, le ministre conseiller aux affaires politiques, Christopher Klein pour les Etats-Unis, le représentant permanent du Royaume-Uni, Sir Mark Lyall Grant, M. Wang Min, représentant permanent adjoint de la Chine. Nous avons également rencontré M. Peter Wittig, représentant permanent allemand, puis pour l'Union européenne le chef de délégation, M. Thomas Mayr-Harting. Enfin, nous nous sommes entretenus avec l'ambassadeur israélien M. David Roet, et l'observateur permanent de la Palestine, M. Riyad Mansour.

La délégation a assisté à une partie du débat public mensuel du Conseil de sécurité sur la situation au Moyen Orient.

Plusieurs déjeuners de travail sont venus compléter ce programme d'entretien : un déjeuner à la résidence nous a permis de rencontrer les ambassadeurs du Maroc, de la Tunisie et de l'Egypte pour faire le point des révolutions arabes.

Un déjeuner auquel ont participé le directeur Afrique du PNUD, M. Abdoulaye Mar Dieye, le représentant du PNUE à New York, M. Elliott Harris, et l'ambassadeur du Bénin, M. Jean-Francis Zinsou, porte-parole du groupe des PMA à New York, a été consacré aux questions de développement durable, de changement climatique et d'agenda post-2015.

Enfin un déjeuner organisé par le Consul général avec des analystes politiques et des journalistes a été l'occasion d'échanges sur la situation politique intérieure américaine après le bras-de-fer entre le Président Obama et la majorité républicaine à la Chambre des représentants sur le budget et la dette.

Comme vous le voyez, notre séjour a été occupé de manière dense par ces rencontres.

Le très grand intérêt de ces missions consiste en la juxtaposition des analyses et des positions des différents pays ou acteurs intervenant au sein de cet outil irremplaçable du multilatéralisme qu'est l'ONU, en dépit de ses défauts et de ses faiblesses. Il permet aussi de juger, dans cette enceinte, de la pertinence de nos choix diplomatiques, de la façon dont ils sont perçus et donc de situer l'action de la France dans le monde.

Il convient d'emblée de rendre hommage à notre représentation à l'ONU pour le très remarquable travail qui y est effectué. L'équipe rassemblée autour de notre ambassadeur, Gérard Araud, est de premier ordre. Les personnalités que nous avons rencontrées, ambassadeurs, responsables de l'ONU, nous ont tous vanté les mérites de notre représentation permanente à l'ONU. C'est un jugement des pairs qui mérite d'être souligné.

Beaucoup de nos interlocuteurs, à commencer par le Secrétaire général, ont souligné le rôle clef joué par la France aux Nations unies pour des nombreuses raisons. Nous sommes le 3ème contributeur au budget des OMP et le 5ème contributeur au budget ordinaire. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, la France est l'un des moteurs de l'ONU et, avec le Royaume-Uni, le principal rédacteur des projets de résolution. Nous occupons également un leadership dans la gestion de crise, comme au Mali et en RCA, avec un engagement militaire sur le terrain. Notre implication est forte sur les questions de changement climatique - Paris accueillera la COP en 2015 - et de financements innovants. Enfin nous venons de prendre une nouvelle initiative sur le droit de véto.

Que ce soit le Secrétaire général, M. Ban Ki-moon, le président de l'Assemblée générale, les secrétaires généraux adjoints rencontrés ou des représentants permanents, tous ont souhaité le soutien et l'implication de la France dans les grands thèmes prioritaires de l'ONU.

La France est bien sûr membre de l'Union européenne qui peine à trouver sa place d'organisation régionale au sein d'une institution qui ne reconnait que les Etats et qui appliquent strictement le principe 1 Etat = 1 voix.

Le chef de la délégation de l'UE, M. Mayr-Harting a rappelé le poids de l'UE aux Nations unies (40 % du budget ; plus de 50 % de l'aide au développement ; 3 à 4 membres du CSNU sont européens ; avec ceux qui s'alignent sur elle, l'UE parle pour une quarantaine d'Etats). La coopération européenne profite aux petits Etats membres (car elle accroît leur information et leur capacité d'influer sur les négociations) et aux grands (lesquels trouve une plateforme pour faire partager leurs priorités de politique nationale). C'est en particulier, comme l'ont souligné plusieurs de nos interlocuteurs, le cas de la France.

Depuis le traité de Lisbonne, c'est la délégation qui est la présidence permanente de l'Union européenne. Elle a remplacé la présidence tournante. Le poids de l'union à l'ONU permet, avec ses 28 membres, de mobiliser un volant de 40 pays sur 193. L'union européenne dispose en 2013 de trois membres au conseil de sécurité et en aura quatre en 2014 dont, bien sûr, les deux membres permanents que sont la France et le Royaume-Uni.

Cela étant, le vote reste individuel par État. Comme le faisait remarquer l'ambassadeur du Royaume-Uni, le fait de parler d'une seule voix n'est pas forcément la solution la plus efficace dans les débats. Selon les cas et les circonstances, il est parfois préférable d'avoir une série d'interventions complémentaires des pays européens, en particulier en matière de droits de l'homme et de questions humanitaires. Ce débat, de nature un peu théologique, ne doit pas masquer une certaine montée en puissance de l'Union européenne à l'ONU. Sans que nous nous prononcions sur l'impact réel de l'Union, en tant qu'organisation régionale économique et politique à l'ONU, nous devons constater le bon fonctionnement des délégations des pays membres les uns avec les autres et saluer le travail de coordination indispensable qu'effectue sa représentation permanente à New York. Un chiffre est significatif : la délégation organise plus de mille réunions de coordination chaque année et tient une réunion hebdomadaire au niveau des ambassadeurs.

La conclusion que notre président tirait il y a un an, de retour de New York, demeure pleinement valable : c'est notre intérêt national de jouer la carte ONU, afin de préserver notre statut, gage de notre influence internationale et de promouvoir en son sein le rôle de l'Union européenne. Notre intérêt c'est d'avoir une ONU forte et active dans la gestion des crises internationales. Une perte d'influence de l'ONU rendrait le monde plus incertain, ce dont il n'a pas besoin. Cette implication est d'autant plus importante que notre pays, comme la plupart des grandes nations sans doute, ne peut agir seul. Nous le voyons très clairement en Libye, au Mali ou demain en RCA. Dans un certain nombre de crises, durer implique que l'ONU et les organisations régionales concernées prennent le relai d'une intervention en urgence.

Mais l'ONU évolue. Le principal défi est celui de sa représentativité et de sa légitimité sans lesquelles les forces centrifuges pourraient l'emporter. Il est évident que, pour que l'ONU continue à être l'acteur majeur de la régulation des crises internationales, il faut que les nouveaux équilibres du monde se retrouvent dans l'équilibre des pouvoirs au sein de l'institution. La réforme du Conseil de sécurité est donc un enjeu crucial.

En 2005, la France avait proposé que les cinq membres permanents renoncent volontairement à exercer leur droit de véto quand il s'agissait de traiter de crimes passibles de la CPI. A la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies, en septembre dernier, le président de la République a défendu l'idée d'une décision volontaire et collective par les membres permanents de renoncer au droit de véto dans les situations de crime de masse. Cette proposition est soutenue par nombre de pays qui constatent chaque jour l'incapacité du Conseil de sécurité à arrêter le massacre des populations en Syrie.

Depuis vingt ans, les Etats membres échouent à élargir le Conseil de sécurité. Mais même s'ils y parvenaient, il est douteux qu'ils parviennent du même coup à restreindre l'usage du véto, comme ce serait souhaitable (le processus de révision de la Charte prévoit lui-même un droit de véto des membres permanents...).

La réforme du Conseil doit permettre l'accession de nouveaux membres permanents pour associer les puissances (notamment émergentes) qui ont la volonté et la capacité de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales, et la création de sièges non-permanents supplémentaires pour ajuster l'équilibre de la représentation des différentes zones géographiques.

Au total, un Conseil élargi pourrait compter jusqu'à 25 membres. La France soutient les candidatures du G4 (Allemagne, Japon, Inde et Brésil) comme membre permanent ainsi que d'au moins un Etat africain. On connaît néanmoins les fortes réticences de la Chine à l'encontre du Japon et de l'Inde, de l'Argentine vis-à-vis du Brésil, de l'Italie contre l'Allemagne.... Quant à l'Afrique elle est divisée et se réfugie dans le maximalisme. Les Etats africains restent bloqués sur la position arrêtée par l'Union africaine en 2005, dite « consensus d'Ezulwini ». Ils souhaitent pour l'Afrique deux sièges permanents, avec droit de véto, et deux sièges non-permanents (en plus des trois actuels). Ce « consensus », s'il sert à porter la revendication d'une meilleure représentation de l'Afrique, permet surtout au continent de ne pas se diviser sur le choix du (ou des) futur(s) permanent(s) africain(s). Par son maximalisme, encouragé entre autres par la Chine, il entretient le blocage.

S'agissant précisément du droit de véto, la position du représentant des Etats-Unis à New York est révélatrice de celle des grandes puissances. Pour avoir souvent employé le véto, ils considèrent qu'ils peuvent difficilement critiquer un autre des membres permanents sur son emploi.

Pour l'ambassadeur Churkin, le véto garantit le droit de la minorité. La complexité du monde fait que certains pays sont quasi assurés d'avoir 9 voix au Conseil de sécurité. Sans le véto, le Conseil perdrait sa raison d'être. Au-delà de cet argument, c'est l'intérêt vital d'un membre du P5 qui justifie, au nom de la souveraineté, l'utilisation du véto. Il nous semble que c'est l'analyse faite par les Russes en Syrie : le risque de contagion du danger islamiste dans le Caucase prime sur les crimes de masse qui sont perpétrés.

Le Chinois a rappelé que le droit de véto, expressément limité au P5 par la Charte, découle du principe de consensus entre les grandes puissances, lequel relève des enseignements de l'histoire. Il n'y a donc aucune raison de changer le système. Il nous a du reste fait remarquer que la position de la France serait affaiblie en cas de limitation du droit de véto.

La réforme du Conseil de sécurité est indispensable, notamment son élargissement, pour faire en sorte que l'institution demeure représentative est légitime. Ce sont les blocages régionaux et les antagonismes entre pays émergents qui bloquent le processus. S'agissant du droit de véto, notre sentiment est qu'une réforme inscrite dans la charte est inatteignable du faite de l'opposition, en particulier, des Russes et de la Chine, mais aussi des États-Unis. En revanche, un gentleman agreement sur sa discipline d'emploi et, en particulier, le stade de renoncer à son emploi dans certaines circonstances particulières est une voie pragmatique à creuser.

Nous allons à présent aborder les principales questions évoquées lors de notre séjour. Nous commencerons par la zone du Moyen Orient avec la Syrie, le conflit israélo-palestinien et l'Iran, avant d'en venir à l'Afrique. Nous n'abordons pas dans cette communication les questions sur les négociations climatiques et l'agenda post 2015 qui sont deux des thèmes majeurs de l'ONU mais dont le champ dépasse la seule question des Affaires étrangères et de la défense qui est le périmètre de notre commission.

En tout premier lieu la situation en Syrie. Je passe à présent la parole à André Vallini.

M. André Vallini. - La situation dans ce pays a naturellement été évoquée dans l'ensemble des entretiens que nous avons eus à New York. Le changement de pied de la diplomatie américaine a été particulièrement déstabilisant pour la France comme pour le Royaume-Uni. Depuis deux ans la diplomatie des États-Unis était extrêmement discrète et la ligne rouge qu'avait fixée le président Obama sur l'utilisation de l'arme chimique n'a pas été respectée. La consultation du Congrès n'avait, de fait, aucune chance d'aboutir à une décision d'intervention. De cette séquence nous pouvons retenir avec certitude que les Etats-Unis n'interviendront pas militairement en Syrie. Cette décision a des conséquences importantes.

Après le refus de la chambre des Communes d'autoriser une participation du Royaume-Uni à des frappes éventuelles, la France s'est trouvée abandonnée par les États-Unis. De même, et surtout, cette décision a conduit à une déstabilisation des pays arabes. La décision américaine de ne pas employer la force fait planer un doute sur la fiabilité des garanties militaires apportées à ces pays par les États-Unis. Cela vaut principalement pour l'Arabie Saoudite plus que pour la Jordanie, glacis d'Israël, où les Etats-Unis ont du reste déployé des missiles Patriot. De plus, l'ouverture faite par l'Iran, acceptée par les États-Unis, est un autre facteur de déstabilisation, notamment pour l'Arabie Saoudite pour laquelle les deux piliers de sa sécurité s'effondrent. C'est cette conjugaison qui explique l'abstention de l'Arabie Saoudite lors du débat général et son refus de siéger au Conseil de sécurité. Le monde arabe est en profond désarroi. L'Égypte est considérablement affaiblie et l'Irak n'existe plus en tant que puissance.

La première conclusion que l'on peut en tirer est que la guerre civile va continuer : d'un côté les salafistes et les extrémistes se renforcent qui reçoivent des armes en provenance de l'Arabie Saoudite et du Qatar, et se battent bien, tandis que le reste de l'opposition, et notamment l'armée syrienne libre, ne reçoit pas de livraisons d'armes de la part des occidentaux. De l'autre côté les forces loyalistes sont soutenues et armées par la Russie, l'Iran, par le Hezbollah qui prend une part considérable aux opérations militaires. Les offensives de l'armée de Bachar actuellement en cours sont des offensives de reconquête.

Au plan politique, la Russie, qui a réussi à délégitimiser l'opposition et utilise désormais la perspective de l'élection présidentielle de 2014, a fait une utilisation très habile du refus d'engagement des États-Unis désormais clairement affiché et assumé. L'adoption de la résolution 2118 sur les armes chimiques en Syrie a permis une réconciliation entre les Etats-Unis et la Russie mais surtout a eu pour effet de relégitimiser Assad et de faire oublier, momentanément, la guerre civile. La « bonne volonté » du gouvernement syrien dans le démantèlement de son arsenal chimique, dont il semblerait qu'il ait déclaré 70 % de son stock, procède de ce processus de relégitimisation sur la scène internationale.

Rappelons que le soutien indéfectible de la Russie et l'intransigeance de sa position tiennent au fait que, pour le président Poutine, le choix est entre Assad et les islamistes. Pour la Russie il s'agit d'un combat vital pour sa propre sécurité. Il y a 12 millions de musulmans en Russie et le Caucase est un souci d'inquiétude majeur pour le Kremlin.

Le régime s'appuie sur le soutien de 30 à 35 % de la population et sur la division de l'opposition et de ses soutiens.

En dépit d'une volonté affichée, notamment par le secrétaire général de l'ONU, de voir se tenir la conférence de Genève II, il existait un scepticisme général de l'ensemble des interlocuteurs que nous avons rencontrés. Lors de notre séjour à New York, le coordinateur spécial nommé par le secrétaire général, M. Brahimi, était en déplacement dans la région afin de consolider les volontés politiques. L'attitude plus conciliante des États-Unis vis-à-vis de l'Iran pourrait se traduire par la participation de ce pays à la conférence. La position de notre pays n'est pas fermée à une telle participation pour peu que soient partagés les objectifs énoncés lors de la première conférence de Genève.

L'opposition syrienne s'est enfin mise d'accord, le 9 novembre, sur sa participation à la conférence mais elle l'a assortie de conditions qui ne peuvent qu'être rejetées par le gouvernement syrien et par la Russie. Contredisant le pessimisme général que nous avions rencontré, une date a été retenue pour la tenue de cette conférence qui devrait se tenir le 22 janvier prochain.

Pendant ce temps, la situation humanitaire continue à se dégrader. En matière de santé par exemple, les cliniques et hôpitaux ont été détruits. Il n'y a plus de médicaments fabriqués en Syrie du fait de la destruction des usines. Lors de notre entretien avec Mme Amos, secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, celle-ci a souligné l'impact régional de la crise syrienne en particulier sur le Liban et la Jordanie. Une approche globale est donc nécessaire en particulier pour venir au secours des 2 millions de réfugiés syriens dans les autres pays. À l'intérieur du pays l'ONU essaie d'atteindre 4 millions de personnes déplacées et 6,5 millions de personnes vulnérables. C'est plus de 50 % de la population totale qui est affectée par la crise. L'extrême violence du conflit se traduit par un flux continu de réfugiés dont le nombre déstabilise les pays d'accueil. C'est particulièrement le cas au Liban où désormais un cinquième de la population est syrienne. En dépit des difficultés 2,5 millions de personnes sont assistés alimentaires réguliers et 1 million d'enfants ont été vaccinés. Pourtant plus de 2,5 millions de personnes assiégées ne peuvent être atteintes par l'aide de l'ONU. L'action humanitaire des Nations unies s'appuie sur la déclaration du président du Conseil de sécurité mais non sur une résolution. Dans l'hypothèse où la crise pourrait être résolue, l'ONU essaye de lever 4,4 milliards de dollars pour la reconstruction de la Syrie.

L'ensemble des interlocuteurs rencontrés considère que la solution du conflit doit être politique et non militaire. Le département des opérations de maintien de la paix, que dirige notre compatriote Hervé Ladsous, se prépare à un éventuel succès de la conférence de Genève et aux conséquences de la transition qui en résulterait. Il est vraisemblable que la situation sur le terrain sera très violente et il existe donc une préférence pour une opération initiale menée par une coalition de pays volontaires. L'ONU pourrait intervenir après la stabilisation avec une force importante, de l'ordre de 18 000 hommes, avec de gros appuis extérieurs en particulier en ce qui concerne l'appui aérien et le matériel lourd.

Mais ces hypothèses de travail paraissent fragiles et lointaines face au renforcement du régime et à l'évolution de la situation sur le terrain.

Lors de notre entretien avec le représentant permanent russe, l'utilisation du véto a été justifiée par le fait que le changement de régime ne relève pas du Conseil de sécurité et qu'il n'est pas prévu dans la charte de l'ONU. L'exemple des suites de l'intervention en Libye montre, selon notre interlocuteur, les effets négatifs de l'opération dont, en particulier, la déstabilisation du Mali, résultat direct de la désintégration de la Libye.

Selon l'analyse des Russes, le conflit syrien est un conflit interne à dominante religieuse avec une montée en puissance des organisations affiliées à Al Qaïda qui veulent établir un califat islamique en Syrie comme en Irak. L'ambassadeur russe a rappelé l'accord général à la première conférence de Genève. La Russie considère comme un signe très positif l'acceptation par le gouvernement syrien de la destruction de son stock d'armes chimiques prévues par la résolution 2118. Selon l'ambassadeur Churkin une nouvelle dynamique est en marche et il convient d'encourager les parties syriennes à rester autour de la table jusqu'à un accord de compromis politique. Parmi les questions difficiles à traiter lors de la deuxième conférence de Genève, l'avenir du président Assad sera central. L'important est de comprendre que le président Assad ne se trouve pas dans la position d'un Kadhafi isolé au sein de son propre pays et même de ses plus fidèles partisans. Le président Assad est non seulement soutenu par la communauté alaouite mais le régime était également le garant des minorités en Syrie, lesquelles craignent par-dessus tout une victoire des islamistes radicaux. L'exemple de l'Irak où la minorité chrétienne a été contrainte massivement à l'exil est rappelé.

L'ambassadeur Churkin a rappelé l'importance du principe de responsabilité de protéger mais a souligné que ce principe n'était pas destiné à l'origine à soutenir uniquement des interventions militaires. Ce concept est parfois incompatible avec les réalités de la géopolitique.

De son côté la représentation permanente chinoise a rappelé que l'utilisation du véto ne signifiait pas un soutien à Assad. Il reflète au contraire un attachement aux principes de base de la charte des Nations unies qui reposent sur la souveraineté des Etats. C'est aux peuples des pays considérés, et non au Conseil de sécurité, de déterminer si ses dirigeants doivent ou non rester au pouvoir. La Chine soutient une solution politique tout en reconnaissant que la transition sera extrêmement difficile car le gouvernement syrien dispose de soutiens très forts et remporterait vraisemblablement des élections si elles se tenaient aujourd'hui. C'est une réalité qu'il faut regarder en face.

En conclusion de nos entretiens sur cette question nous pouvons retenir plusieurs points :

Les Etats-Unis ont clairement renoncé à toute forme d'intervention militaire en Syrie ;

L'adoption de la résolution 2118, toute utile qu'elle soit, a permis d'occulter les réalités de la guerre civile et de relégitimer le régime Assad ;

Il existe un très fort doute sur la réussite de la Conférence dite de Genève II alors même que la décision des Etats-Unis n'offre d'issue que dans une solution politique ou dans l'écrasement de la rébellion par le régime ;

La Russie sort renforcée de cet épisode et son analyse du conflit, à savoir un conflit interne à dominante religieuse avec la nécessité de contrer une montée en puissance de l'islamisme radical et du terrorisme, tend à prendre le dessus. Du reste le refus par les puissances occidentales d'armer la rébellion s'explique par la crainte de voir ces armements récupérés par l'opposition extrême et se retourner contre l'occident, ce qui accrédite l'analyse russe ;

L'échec possible de la conférence de Genève serait une victoire pour la Russie et la Syrie. Le régime aborderait l'année électorale en position de force au niveau international comme au niveau militaire sur le terrain. Une réélection du président Assad achèverait le processus de relégitimisation entamé avec la résolution 2118. Dans cette hypothèse le conflit interne pourrait encore durer mais le rapport de force entre un régime soutenu par l'Iran, par l'Irak et par le Hezbollah et armé par la Russie et une opposition divisée et mal armée en dépit du soutien de l'Arabie et du Qatar, penche en faveur du premier ;

La France et le Royaume Uni se trouvent de facto marginalisés dans la résolution du conflit. L'Europe a toujours été inexistante et le demeure ;

La victoire d'Assad serait bien aussi une victoire du principe de souveraineté des Etats et un échec du principe de responsabilité de protéger. Elle constituerait une brèche importante dans le primat de l'universalité des principes de la Charte, et notamment des droits de l'homme, au profit des principes de la Realpolitik. La lutte contre le terrorisme et l'extrémisme de l'islam radical justifiant la tolérance envers des régimes dictatoriaux, comme ce fut le cas encore récemment avec la Libye, la Tunisie ou l'Egypte.

Deuxième grand sujet, un peu « académique », de toute AG de l'ONU : le conflit israélo-palestinien que va vous présenter Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. - Alors que le président de la République, M. François Hollande, vient d'effectuer un déplacement officiel en Israël et en Palestine, il convient de souligner la discrétion des positions prises lors de l'ouverture officielle de la 68ème Assemblée générale. Le président ne l'a citée que dans un court paragraphe rappelant la position de la France en faveur de la coexistence de deux Etats dans des frontières justes et reconnues. Dans ses conférences de presse le ministre des Affaires étrangères n'y fait pas allusion.

Est-ce à dire que nous sommes absents du processus ? Je le crois assez volontiers. Certes nous affirmons notre soutien par des mesures de financement de l'autorité palestinienne mais c'est en fait l'Europe qui participe, au nom des 27, au Quartet, et, bien évidemment, les Etats-Unis qui jouent un rôle majeur. L'objectif d'un accord final entre les deux parties étant un axe central du deuxième mandat du président Obama, le Secrétaire d'Etat John Kerry a mis tout son poids dans la relance des négociations à tel point que cet engagement entraine un fort refroidissement de la relation entre le gouvernement américain et Israël qui n'hésite pas à le contourner pour le contrer auprès du Congrès. Il est clair que la France n'est pas un acteur majeur de cette négociation même si elle l'approuve et la soutient. Même si son action bilatérale est importante c'est surtout au sein de l'Union européenne que transite son aide et son appui à des positions collectives.

L'Union européenne a fait valoir sa disponibilité à soutenir les négociations et, en cas de succès, leur mise en oeuvre. La publication, le 19 juillet dernier, de lignes directrices excluant à partir de 2014 les entités israéliennes et leurs activités dans les territoires occupés du bénéfice des programmes financés par l'Union, a provoqué une levée de boucliers de la part des autorités israéliennes. La Commission et le SEAE font toutefois preuve de fermeté sur ce dossier et nous ne pouvons que nous en féliciter. Les lignes directrices traduisent, en effet, une politique constante de l'UE à l'égard des colonies, réaffirmée notamment dans les conclusions du Conseil de mai et décembre 2012. Le Président Abbas a souligné le rôle des lignes directrices dans sa décision de rester à la table des négociations jusqu'au terme des 9 mois prévus.

Sur ce thème nous avons rencontré l'ambassadeur palestinien, M. Mansour et celui d'Israël, M. Ron Prosor.

M. Mansour nous a rappelé que l'enjeu du rehaussement du statut de l'Autorité palestinienne à l'ONU constitue une donnée-clé des négociations de paix. Après avoir acquis en 2011 le statut d'Etat membre de l'UNESCO, l'Autorité palestinienne a en effet enregistré un succès le 29 novembre 2012 en se voyant octroyer, par l'Assemblée générale, le statut d'Etat non membre observateur à l'ONU. Ce nouveau statut offre à la Palestine la possibilité d'adhérer aux organisations des Nations unies et notamment au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, ce qui lui permettrait de saisir la Cour pour les violations du droit par Israël dans les territoires occupés. Une perspective redoutée par Israël, même si la Palestine affirme faire preuve de responsabilité et ne pas risquer l'application de la loi américaine qui interdit la participation financière des Etats-Unis aux organisations internationales qui octroieraient le statut d'Etat membre à la Palestine. Aussi les pourparlers de paix ont-ils été entamés sur la base de l'engagement des Palestiniens à s'abstenir de toute initiative dans les organisations internationales pendant les neuf mois prévus pour leur durée. Mais comme le rappelle M. Mansour, la menace d'une adhésion, notamment à la CPI, plane toujours.

Pour les Palestiniens, Israël occupe leur territoire, ne respecte pas les résolutions du Conseil de sécurité et bafoue constamment le droit international, notamment par sa politique de développement des colonies.

Selon M. Mansour, dans les négociations en cours, Israël ne veut parler que de sécurité et prétend contrôler les frontières, les accès aériens, les ressources, ce qui revient à la perpétuation de l'occupation. Il est évident que la Palestine ne peut accepter la présence de soldats israéliens sur son territoire. Il ne se passe donc rien. Aucun progrès n'est constaté.

M. Mansour a réitéré son souhait de voir l'Europe participer pleinement au processus de paix et de ne pas être uniquement une banque. Selon lui Israël joue l'échec des négociations en marginalisant l'Europe, le Conseil de sécurité et le Quartet dans son ensemble. Pour débloquer la situation il faut tirer les conséquences des violations du droit par Israël et lui opposer des sanctions. Un Etat mosaïque ne répond pas aux aspirations du peuple palestinien. Il faut exiger l'arrêt de la colonisation et ensuite négocier sur ce que M. Mansour qualifie « d'hydre » en appliquant un principe simple : ce qui est illégal doit être détruit. On rappellera qu'Israël a refusé toute référence aux frontières de 1967.

La position de l'ambassadeur israélien paraît diamétralement opposée à celle de l'observateur permanent palestinien. Il souligne d'abord l'absence d'un leader susceptible de prendre des décisions sur le terrain pour faire avancer la négociation. Selon l'ambassadeur Ron Prosor, plus on passe par l'ONU pour internationaliser le conflit, moins on est en mesure de faire des progrès. Le travail de concession est beaucoup plus difficile politiquement parlant et il revient aux leaders politiques de prendre des décisions courageuses même si c'est dangereux pour eux.

Les négociations directes, animées par Mme Litvi, en sont à leur septième mois sur les neufs prévus. La négociatrice serait plutôt optimiste bien que les négociations soient très difficiles. Le premier ministre israélien a pris, selon l'ambassadeur, un risque politique considérable. Il n'a en effet pas le soutien de son propre parti et certains de ses ministres à la Knesset font campagne contre la question de Jérusalem, les colonies etc.

Dans le discours du Premier ministre Nétanyahou à l'ONU, deux points peuvent être soulignés selon l'ambassadeur israélien :

- il est significatif qu'il ait très peu parlé des colonies et pas du tout de la question de Jérusalem dans son intervention ;

- en revanche, il a insisté sur la reconnaissance de la nature juive d'Israël comme le veut du reste la résolution 47 du Conseil de sécurité qui prévoyait la création d'un État juif et d'un État arabe. Derrière les termes « État juif » se profile la question de la fixation sans appel des frontières ainsi que le refus du retour des réfugiés ce qui signerait la fin d'Israël.

Le premier ministre israélien a également évoqué la question de la sécurité avec la présence de soldats israéliens à la frontière. Il s'agit, selon l'ambassadeur, d'un arrangement de sécurité que les Palestiniens dénoncent en disant qu'il y a continuation de l'occupation. C'est pourtant ce qui s'est passé en Allemagne ou en Corée du Sud avec une présence de troupes américaines.

Dans tous les autres domaines, il est possible de faire des progrès. La position officielle de l'État d'Israël prône deux Etats.

La situation parait donc durablement bloquée et l'équilibre de l'alliance politique des partis qui soutiennent le Likoud ne permet guère d'optimisme sur une solution convenable tant sur la question des colonies qu'à fortiori sur celle de Jérusalem comme capitale partagée ou, bien sûr, la question des réfugiés.

À Jérusalem comme à Ramallah, le président Hollande a rappelé, en termes diplomatiques, la position de la France qui est, rappelons-le, une position constante, depuis des dizaines années, comme celle de l'Europe. Le seul élément d'optimisme est cette célèbre phrase de Tomaso Guiseppe di Lampedusa dans « le Guépard » : "Il faut que tout change pour que rien ne change."

Je repasse à présent le relai à André Vallini sur l'Iran.

M. André Vallini. - L'autre sujet sur le Moyen Orient est bien évidemment l'évolution de la position iranienne. Tous nos interlocuteurs ont souligné le changement de ton de l'Iran dès l'ouverture de la session avec le discours du président Rohani. Mais comme nous le faisait remarquer M. Feltman, secrétaire général adjoint aux affaires politiques, il est trop tôt pour dire si ce changement de ton est un changement de politique.

Se référant au Guide, M. Rohani a proposé que l'Iran et les autres acteurs poursuivent deux objectifs inséparables pour trouver une solution politique au dossier nucléaire de l'Iran :

Il a d'abord fortement réaffirmé que le programme nucléaire de l'Iran doit être exclusivement pacifique. Selon M. Rohani, tel avait été et tel serait toujours le cas. Les armes nucléaires et autres ADM n'avaient pas leur place dans la doctrine de défense et de sécurité de l'Iran, et contredisaient les convictions éthiques et religieuses de l'Iran. L'intérêt national commandait que l'Iran dissipe toute préoccupation raisonnable au sujet du programme nucléaire pacifique de l'Iran.

En second lieu, le droit à l'enrichissement de l'Iran sur son territoire devait être reconnu, ainsi que les autres droits liés au nucléaire. C'était la seule façon de mener à bien le premier objectif. L'Iran maîtrisait la technologie nucléaire, y compris au stade industriel. Il était illusoire, et pour le moins extrêmement irréaliste, de supposer que l'on pouvait s'assurer du caractère pacifique du programme nucléaire en l'entravant au moyen de pressions illégitimes.

En conclusion, M. Rohani a indiqué que l'Iran était prêt à s'engager immédiatement dans des pourparlers à durée limitée et avec pour objectif d'atteindre des résultats concrets, pour construire une confiance mutuelle et dissiper les incompréhensions mutuelles en toute transparence. C'est ce qui s'est passé avec la première réunion de Genève puis avec l'accord finalement signé le 24 novembre dernier.

On le sait, cette « ouverture » a été unanimement soulignée.

La première remarque que nous pouvons faire est de constater l'efficacité des sanctions internationales. Le changement de position du Guide Khamenei aurait été impensable si l'économie iranienne n'était au point de rupture et si des conséquences politiques intérieures vitales n'étaient pas à redouter pour le pouvoir.

La seconde remarque est pour souligner qu'il convient de ne pas s'emballer sauf à prendre le risque de voir le patient travail des sanctions réduit à néant par des concessions hâtives. Les Iraniens ont suffisamment fait preuve de leurs qualités de diplomates faisant trainer les négociations avec le 5+1 et avec l'AIEA en longueur tout en poursuivant un programme nucléaire militaire évident. La question n'est pas de savoir si l'Iran veut ou non rester un Etat du seuil en brandissant la menace de se doter de l'arme atomique pour affermir sa position de grande nation régionale. La question c'est que l'Iran, qui a le droit, comme tout état, au nucléaire civil, doit clairement renoncer à toute velléité de se doter de l'arme atomique.

Dans ce contexte c'est à tort qu'on a attribué à la France une position plus restrictive que les autres membres du 5+1. Nous ne souhaitons tout simplement pas lâcher la proie pour l'ombre. On ne peut avancer que si l'Iran prend des engagements fermes et vérifiables. Pour reprendre l'expression du porte-parole du Quai d'Orsay, notre position est ferme, elle n'est pas fermée. La position de fermeté de la France a permis aux négociations d'aboutir.

Lors de ce son déplacement en Israël, le président de la République avait détaillé quatre demandes précises :

- mettre l'intégralité des installations nucléaires iraniennes sous contrôle international, dès à présent ;

- suspendre l'enrichissement d'uranium à 20 % ;

- réduire le stock existant ;

- arrêter la construction de la centrale d'Arak.

Ces quatre exigences ont bien été prises en compte. Elles ont été du reste celles du 5+1 et non celles uniquement de la France.

Il est intéressant de constater que lors de notre entretien avec l'ambassadeur israélien, c'est l'Iran qui a constitué la question prioritaire. Les réactions israéliennes à l'accord du 24 novembre le confirment si besoin en était.

Après le discours extrêmement offensif du Premier ministre Natanyahou à l'ouverture de l'Assemblée générale, dans lequel il qualifiait le Président Rohani de « loup déguisé en agneau », l'ambassadeur nous a rappelé que l'Iran constitue la principale menace existentielle pour son pays. Outre les aspects nucléaires, il a rappelé que l'Iran était impliqué dans tous les conflits de la zone : en Syrie, au Liban avec le Hezbollah, à Gaza, en Cisjordanie.

Selon lui le danger est que le peuple iranien agit rationnellement sur la base d'une idéologie irrationnelle. Israël n'a aucun doute sur la volonté de l'Iran de se doter de l'arme nucléaire. Seul le maintien des sanctions peut faire suffisamment de pression pour faire bouger les lignes. La recherche d'une solution politique, à laquelle Israël, premier menacé, est favorable, doit s'accompagner du maintien de l'option militaire. Ce fut la même chose en Syrie, jamais Assad n'aurait accepté de négocier sur son arsenal chimique sans la menace d'une offensive militaire imminente. Prenant une comparaison pugilistique, M. Prosor a indiqué que l'Iran était dans les filets, qu'il fallait le mettre KO et ne pas le laisser récupérer.

Israël ne fait aucune confiance aux Iraniens qui veulent conserver une capacité d'enrichissement pour avoir la capacité potentielle de passer au militaire. L'Iran doit se débarrasser de toute capacité d'enrichissement sur le modèle espagnol. M. Netanayou avait demandé de « détruire, démanteler, vérifier ».

On peut remarquer que la difficulté de la négociation de Genève tenait précisément au fait que, pour l'Iran, le maintien d'une capacité d'enrichissement était un point de départ alors qu'il n'était, pour nous et pour le 5+1, qu'un aboutissement. C'est du reste la principale ambiguïté de l'accord puisque, selon des Iraniens, il a été reconnu un droit à l'enrichissement, de façon plus ou moins explicite, alors que le Secrétaire d'Etat, John Kerry, prétend le contraire. Ce sera l'un des enjeux de la mise en oeuvre de l'accord qui est, rappelons-le, un accord intérimaire pour une durée de 6 mois.

L'autre difficulté de la négociation est que l'antiaméricanisme est tout ce qui reste de la Révolution. Le débat est donc aussi, et peut être surtout, un problème de politique intérieure pour l'Iran qui porte sur la perspective ou non d'un accord avec le Grand Satan. De ce point de vue des résultats tangibles pour le peuple iranien seront nécessaires pour conforter le clan modéré. Le risque est celui d'une désillusion des espoirs d'amélioration des conditions de vie suscités par l'accord.

L'ambassadeur russe s'est montré convaincu de la sincérité des Iraniens et a affirmé ne rien avoir à redouter d'un rapprochement de ce pays avec les Etats-Unis.

L'un des obstacles de la négociation, et des négociations à venir, est bien évidemment Israël. Lors du débat du Conseil de sécurité sur le Moyen Orient auquel nous avons assisté et qui a été un redoutable exercice de langue de bois internationale, l'Israélien a dressé un tableau très noir de la politique de l'Iran.

Il est évident que les pressions d'Israël vont continuer tous azimuts. Cela passe par le lobbying sur le Congrès mais aussi, comme on vient de le voir par la décision d'autoriser des constructions de logements dans les colonies ou encore par des contacts avec les pays de la zone opposés à l'Iran.

Les tensions avec le gouvernement Obama sont révélatrices des craintes d'Israël sous la pression de trois évolutions :

Du fait des printemps arabes, Israël ne sera plus, à terme, la seule démocratie de la région. Même si le chemin sera long et difficile, les peuples arabes ne sont pas structurellement voués à la dictature. Comme nous le faisait remarquer Gilles Kepel il y a quelques mois, l'homme arabe a reconquis sa dignité. Il y aura un avant et un après les printemps arabes.

De plus la perspective de l'autonomie énergétique de l'Amérique à l'horizon 2020 grâce au gaz et au pétrole de schiste diminue leur intérêt pour la zone du Moyen Orient.

Enfin, la disparition de ce qu'Israël considère comme une menace existentielle, avec le renoncement possible de l'Iran à l'arme nucléaire, fera que la situation sécuritaire du pays ne sera plus la même. Partant, le soutien inconditionnel des Etats-Unis ne sera plus aussi nécessaire. C'est peut être la meilleure chance d'aboutir pour le processus de paix israélo-palestinien.

Venons-en à L'Afrique que Jean-Marie Bockel va vous présenter.

M. Jean-Marie Bockel. - Comme nous le rappelait l'ambassadeur allemand, M. Peter Wittig, ce continent est le principal bénéficiaire des opérations de maintien de la paix. Nous avons eu à New York deux entretiens extrêmement intéressants. Le premier avec le général Jean-Luc Friedling qui est le chef de la mission militaire de la France auprès des Nations unies, et le second avec Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint pour les opérations de maintien de la paix.

En quelques chiffres, les OMP de l'ONU c'est 15 opérations en cours, 118 000 hommes dont 98 000 « en uniforme ». C'est un budget de 7,3 milliards de dollars sur lequel la quote-part de la France est de 527 millions de dollars. Nous contribuons pour 900 hommes déployés, 52 policiers ou gendarmes et 20 observateurs militaires, ce qui nous place au 24e rang sur 114 pays contributeurs notre principal contingent est celui déployé au Liban dans le cadre de la Finul pour 868 hommes.

L'un des points à souligner est que les pays ne sont pas les pays contributeurs en troupes. La principale contribution financière et celle des États-Unis (28,4 %) suivis du Japon (10,83 %) puis de la France (7,22 %) talonnée par l'Allemagne (7,14 %) puis par le Royaume-Uni (6,68 %) et la Chine (6,64 %).

Les principaux pays contributeurs en troupes sont le Pakistan, le Bangladesh, l'Inde, l'Éthiopie, le Nigéria et le Rwanda.

Le défi principal de ces opérations tient à leur dimension multidimensionnelle et à la capacité de l'ONU à faire la génération de troupes et à réussir les déploiements opérationnels dans des zones enclavées et reculées, sans infrastructures. Une approche globale est nécessaire avec en particulier l'amélioration du travail en partenariat avec les différents acteurs locaux et régionaux. L'allongement de la durée des missions est un problème important d'autant que les forces régionales en attente n'existent pratiquement pas. Le département des opérations de maintien de la paix est par ailleurs confronté à des difficultés logistiques - en particulier les moyens aéroportés - et à la nécessité d'améliorer une capacité autonome d'information.

Trois progrès très significatifs, qu'il convient de porter au bénéfice du secrétaire général adjoint, Hervé Ladsous - méritent d'être soulignés :

Le premier concerne la RDC : pour la première fois, et malgré les réticences d'un certain nombre d'états, a été déployée une brigade d'intervention de 3000 hommes avec un mandat très robuste qui a immédiatement porté ses fruits. Sa mission est de neutraliser les groupes armés comme le M 23. Cela a été autorisé par la résolution 2098 du Conseil de sécurité. C'est une avancée considérable.

Le second, également en RDC, concerne l'emploi de drones de reconnaissance et de renseignement.

Enfin, le secrétaire général adjoint a obtenu la création d'un « inspecteur général des opérations de maintien de la paix » qui lui est directement rattaché et dont la tâche consistera tant à enquêter sur les incidents ponctuels qu'à étudier les problèmes systémiques.

Ce dernier progrès est à mettre en relation directe avec l'importance de la formation des troupes onusiennes à laquelle le Secrétaire général adjoint, Hervé Ladsous, est particulièrement attentif. Il a souligné la priorité qu'il accordait à la qualité (compétence et comportement) des contingents engagés dans les OMP des Nations unies. La question des normes et de la formation (avec une labellisation par l'ONU des activités dispensées par les écoles régionales de formation au maintien de la paix) est particulièrement importante. Je ne rappelle pas l'implication de la France dans la formation militaire à travers notre coopération même si nous ne pouvons que déplorer la baisse des moyens budgétaires qui lui sont consacrés alors qu'il s'agit d'un enjeu majeur.

Face au nombre et à la complexité croissante des OMP, leur rationalisation constitue une triple nécessité opérationnelle, budgétaire et politique. Au-delà de la réduction des dépenses, la maîtrise du coût des OMP et leur meilleure gouvernance financière constituent un objectif politique. L'enjeu est bien de gagner des marges de manoeuvre afin d'être capable de faire face à de nouvelles crises, comme l'illustrent le Mali et la RCA, ou de marquer des efforts sur des opérations déjà engagées.

Notre pays est, avec le Royaume Uni, en pointe sur ces questions à travers la mise en oeuvre du rapport New Horizon. La France entend poursuivre, en liaison avec le DOMP, l'adaptation permanente et l'amélioration de l'efficacité des OMP pour garantir la crédibilité des Nations unies. Le renforcement de la chaîne de commandement, la coopération du Conseil de sécurité avec les contributeurs de troupes, la gestion des phases de transition et de retrait des opérations, la coopération avec les organisations régionales, la coopération inter-missions demeurent aujourd'hui les principaux axes de cet effort.

Nous en venons à présent aux principales crises concernant l'Afrique. Nous avons choisi de nous limiter au Mali et à la République centraficaine. À New York nous avions organisé un très passionnant diner avec les ambassadeurs africains au cours duquel a été évoquée la question de la prévention. Il est évident que les Nations unies ne peuvent continuer à faire de la gestion de crise à répétition et d'être confrontées à l'alternative opération africaine ou OMP des Nations unies. Il faut traiter les problèmes à la racine, de façon globale. À l'initiative française ce sera l'un des thèmes évoqués lors de la réunion au sommet de l'Elysée qui va débuter le 6 décembre.

Dans la suite des recommandations et des analyses de notre rapport d'information sur l'Afrique, notre commission a décidé de se saisir de ce sujet en 2014. Il pose de redoutables problèmes dans lesquels nous retrouvons la ligne de fracture entre ceux qui défendent strictement le principe de la souveraineté des Etats et ceux qui tentent d'élaborer une pratique autour de la notion du devoir de protection.

S'agissant des opérations au Mali, l'un des premiers constats est celui l'unanimité des remerciements faits à la France pour son intervention. Le Secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki-moon, a notamment émis le souhait de bénéficier encore dans l'avenir de l'appui politique et militaire de notre pays au Mali.

Comme l'a souligné Hervé Ladsous, la MINUSMA est une opération de maintien de la paix qui, pour la première fois, met l'ONU en présence, non pas d'un gouvernement, mais d'acteurs non étatiques transnationaux comme AQMI ou comme des trafiquants de tout genre. Il n'y a pas à s'interposer entre des belligérants. Il ne s'agit pas de maintenir la paix puisqu'il n'y a pas de guerre, même civile. Cela signifie que les attaques asymétriques seront privilégiées. Le mandat et les moyens d'action sont donc à repenser.

La question qui se pose dans l'immédiat est la montée en puissance de la MINUSMA et l'élargissement des contingents à d'autres pays pour venir compléter la force onusienne. À cet égard, nous ne pouvons que souligner l'importance d'avoir des contingents francophones dans un pays francophone. C'est bien sûr l'une des conditions du succès.

Le principal défi, récurrent pour les OMP, est celui de la mobilité et donc de la mise à disposition d'hélicoptères. Le fait, très positif, que les Pays-Bas se soient récemment engagés avec la mise à disposition de quatre hélicoptères Tigre et des personnels les accompagnant, ne résout pas la question de l'aéromobilité. L'autre point positif est la mise en place d'une escadre d'hélicoptères au Mali, grâce à la mutualisation des moyens du Burkina Faso, du Niger et du Sénégal. Cette opération pourrait servir d'exemple à l'avenir.

La solution de la crise au Mali se trouve bien évidemment dans la gouvernance de ce pays. C'est le défi auquel est confronté le nouveau président de la République en particulier pour réussir la réconciliation et la réforme de l'armée.

Nous ne revenons pas ici sur l'opération en cours si ce n'est pour souligner qu'elle doit s'inscrire dans une stratégie plus large de l'ONU sur la zone sahélienne qui soit parfaitement coordonnée avec la stratégie Sahel de l'Union européenne.

La stratégie, adoptée en 2012 à notre initiative et confiée à Romano Prodi, tourne autour de 3 axes (développement, gouvernance, sécurité). Elle couvre cinq pays (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso) et élargit la perspective à l'Afrique du nord.

L'évènement Sahel qui a eu lieu à New York en marge de l'AGNU a confirmé la mobilisation de l'ensemble des partenaires et du besoin de coordonner les différentes initiatives (ONU, UE, Banque mondiale, CEDEAO, bilatéraux, etc.).

Le secrétaire général de l'ONU a fait récemment une tournée dans la région accompagné du président de la Banque mondiale, de l'Union européenne, de Mme Zuma pour l'Union africaine et de la Banque africaine de développement.

Le succès de ces démarches qui doivent aboutir à des décisions concrètes est la condition indispensable pour permettre le retrait de nos troupes et la limitation de notre contingent à un millier d'hommes. On comprend mieux à travers l'exemple malien l'importance du rôle confié à nos diplomates à l'ONU.

J'en viens à la RCA. Comme au Mali en 2012 notre pays s'est trouvé en pointe en République centrafricaine. L'alerte a été donnée par le Président de la République lors de son discours devant l'AG le 24 septembre. Outre l'urgence humanitaire, quelles sont nos motivations pour intervenir ?

La première est que nous ne voulons pas laisser la situation dégénérer avec un Etat qui n'aurait plus d'Etat que le nom et qui, par contagion, entraînerait une situation extrêmement difficile dans l'ensemble de la région. Si elle se poursuivait, cette déstabilisation de la Centrafrique serait de nature à compromettre la paix et la sécurité dans toute la région et d'attirer un certain nombre de groupes terroristes et criminels. C'est très vraisemblablement le cas avec des éléments importants de Boko Aram et de la LRA, l'armée de résistance du Seigneur.

Cette analyse a été partagée par la communauté internationale puisqu'à la suite de la demande de partenariat en faveur de la force africaine en cours de déploiement (MISCA) adressée par l'UA, la résolution 2121 a été adoptée le 10 octobre à l'unanimité par le Conseil de sécurité.

La résolution appuie le processus politique, qui doit accompagner les efforts de stabilisation, en rappelant que les élections doivent se tenir, comme prévu par la déclaration de N'Djamena et la Charte de transition, 18 mois après le début de la transition soit d'ici février 2015. Elle demande au Secrétaire général un rapport sous 30 jours sur des options de soutien international à la force africaine MISCA, y compris sa possible transformation en OMP lorsque les conditions sur place seront réunies. Ce rapport a été remis le 19 novembre dernier.

M. Ban Ki-Moon a proposé au Conseil de sécurité cinq options pour rétablir la sécurité en République Centrafricaine, dont l'envoi de 6000 casques bleus. Le rapport souligne la grave détérioration de la situation. Ils mettent en exergue le « niveau alarmant de violences intercommunautaires » et les affrontements confessionnels entre chrétiens et musulmans. Il souligne le risque que les affrontements « dégénèrent en conflit religieux et ethnique à l'échelle du pays avec le risque d'aboutir à une spirale incontrôlable débouchant sur des atrocités ».

Ce rapport permet la poursuite des efforts de mobilisation politique et diplomatique.

Il convient à présent d'entreprendre la négociation de la deuxième résolution qui devrait être adoptée dans les prochains jours. Placée sous chapitre VII, elle devrait donner un mandat robuste à la MISCA, précisera les conditions de soutien international à la force (probablement via une conférence des donateurs pour alimenter un fonds fiduciaire) et ouvrira la perspective d'un passage de cette force africaine sous le casque bleu des Nations unies. Il faut toutefois être bien conscient que le déploiement d'une OMP fait encore l'objet de préventions, notamment africaines mais aussi anglo-saxonnes. De ce point de vue les négociations en cours montrent que le soutien de nos alliés les plus proches se fait du bout des lèvres, ce que nous ne pouvons que regretter.

Les Etats-Unis ne souhaitent pas voir en RCA une réplique de ce que fait l'ONU en Somalie. Ils refusent notamment la mise à disposition d'un paquet logistique. La représentation britannique nous a fait savoir qu'elle n'avait pas d'objection de principe sur le montage d'une OMP en RCA sous réserve que les financements nécessaires ne viennent pas en déduction des fonds alloués pour la Somalie, pays qui constitue une priorité pour le Royaume Uni.

Les discussions à l'ONU posent très concrètement la question de notre politique d'intervention en RCA comme au Mali, peut-être demain dans un autre pays. Le surcoût des OPEX en 2013 constaté en loi de finances rectificative est de 1,26 milliard d'euros à comparer aux 650 millions budgétés en LFI. C'est le coût supplémentaire de Serval qui explique ce doublement. Certes, le financement est couvert par la réserve interministérielle et ne pèse pas sur le budget du ministère de la défense mais nous voyons bien la limite de la multiplication des interventions alors même que nous avons beaucoup de mal à seulement stabiliser les crédits en euros constants.

Ces interventions sont pleinement justifiées par l'urgence humanitaire et par le risque de déstabilisation régionale dont les conséquences sont directes sur la sécurité des zones concernées mais aussi sur celle de nos pays. Nous le savons, les frontières n'arrêtent plus les menaces. Ce double impératif nous conduit à assumer nos responsabilités de membre permanent du Conseil de sécurité. Mais il est évident que nous ne pouvons supporter le poids tant militaire que financier de ces interventions. Le relai des organisations régionales et de l'ONU sur ses deux plans est indispensable. Nous ne pouvons être durablement les seuls à prendre nos responsabilités.

M. Daniel Reiner, président - Le compte rendu qui vient de nous être fait montre tout l'intérêt des missions que notre commission effectue chaque année à l'ONU. Sur les grandes questions internationales elles nous permettent de confronter nos points de vue et nos analyses. Il en va de même du forum transatlantique qui vient de se tenir à Washington et auquel j'ai participé avec Jacques Gautier. Sur la Syrie ou sur l'Iran, nous avons pu constater l'évolution de la politique américaine qui n'entend plus être le gendarme du monde et l'opinion publique a été très désemparée par les bilans obtenus en Irak et en Afghanistan. Nous avons pu également constater le blocage du Congrès américain par le parti républicain qui, paradoxalement, donne une marge supplémentaire au secrétaire d'État John Kerry dans les négociations qu'il mène. Beaucoup de nos interlocuteurs ont fait état pour l'avenir d'alliances de circonstance comme par exemple celle qui pourrait avoir lieu entre Israël et l'Arabie Saoudite contre l'Iran.

M. Jean-Claude Requier- L'ONU ne rencontre-t-elle pas les mêmes difficultés financières pour le financement de ses opérations de maintien de la paix que celles que nous connaissons ?

M. Christian Cambon. - Le budget des opérations de maintien de la paix dépasse les 7 milliards de dollars alors même que de nouvelles opérations lourdes se profilent comme par exemple celles en RCA mais surtout celle, si elle intervient, en Syrie. Cela pose naturellement un problème très important et c'est la raison pour laquelle j'ai insisté tout à l'heure sur la bonne gestion financière de l'organisation. S'agissant des OMP il faut distinguer ceux qui payent - pour simplifier les états occidentaux - de ceux qui fournissent des soldats.

M. Jeanny Lorgeoux. - Pour éviter la dérive des coûts il est vital que notre pays comme l'Europe, tout comme l'ONU, doivent avoir une doctrine en matière de suivi des opérations. Il est absolument nécessaire lorsque nous intervenons d'avoir une claire vision de la suite des opérations et notamment des moyens à mettre en oeuvre pour reconstruire des Etats. Je crois que, notamment dans le cadre européen, il faudrait trouver un mécanisme pour que ceux qui ne veulent pas participer militairement puissent participer financièrement aux opérations.

Mme Leila Aïchi. - La prévention des conflits est fondamentale. L'Europe et, au sein de celle-ci la France, devraient être leaders dans ce domaine. La communauté internationale ne prend pas assez en compte les questions environnementales qui sont potentiellement génératrices de conflits.

M. Daniel Reiner. - Il est évident qu'après l'usage de la force pour remédier à des situations d'urgence la seule solution est d'ordre politique. S'agissant du Mali ou de la RCA c'est à l'Afrique de régler ses propres problèmes à travers ses organisations sous régionales et l'action de l'Union africaine. Il est nécessaire que l'Afrique se dote progressivement des attributs de la puissance. La France n'a pas vocation à être le gendarme du monde.

M. Christian Cambon- Au regard des dernières interventions en Libye, au Mali ou en RCA, cela en donne pourtant l'impression ! Il est extrêmement préoccupant que nous n'ayons pas réussi à entraîner l'Europe qui est pourtant tout autant concernée que la France par la déstabilisation de ces pays. À part au Royaume-Uni, je ne constate aucune prise de conscience que l'Afrique est notre frontière sud commune.

M. Daniel Reiner- Le Conseil européen qui doit se tenir les 19 et 20 décembre prochain devrait définir une stratégie européenne. Or les échanges que nous avons avec les autres Européens montrent qu'il n'y a aucune analyse commune des menaces. Très peu de pays considèrent l'Afrique comme une menace.

Jeudi 5 décembre 2013

- Présidence de M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président -

Contrat d'objectifs et de moyens de France Médias Monde - Audition de Mme Marie-Christine Saragosse, présidente

La commission auditionne Mme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde, sur le contrat d'objectifs et de moyens entre l'Etat et France Médias Monde.

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Nous accueillons Marie-Christine Saragosse, présidente directrice générale de France Médias Monde, qui nous présente le contrat d'objectifs et de moyens (COM), que nous attendons depuis quatre ans. Chacun connaît les difficultés que la société a traversées, après lesquelles vous avez su négocier ce contrat, avec l'État, remotiver le personnel et remobiliser cette entreprise, qui est l'un des vecteurs de la France et de son influence dans le monde.

Mme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde. - Je m'exprime ici pour la première fois depuis l'assassinat de nos deux correspondants au Mali ; je remercie le Sénat d'avoir partagé notre douleur, par le communiqué du président Jean-Pierre Bel, la minute de silence dans l'hémicycle et le communiqué du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique de l'Ouest présidé par Jacques Legendre. Le soutien du Sénat fut important pour nous, dans ces moments très difficiles.

M. André Vallini, rapporteur pour avis du contrat d'objectifs et de moyens de France Médias Monde. - A mon initiative, notre commission a aussi rendu hommage aux deux journalistes.

Mme Marie-Christine Saragosse. - Je tiens à vous remercier pour ces marques de sympathie très importantes, y compris pour les familles ; elles nous renvoient au coeur de notre mission : défendre une certaine idée de l'information, pluraliste, donnant la parole à chacun. Telles sont nos valeurs. C'est en leur nom que nous avions des envoyés spéciaux dans toutes les régions du Mali pour couvrir les élections, mais il y a des barbares qui ne respectent ni l'information ni les êtres humains.

Ce sont ces mêmes valeurs qui forment le socle du COM, fruit d'un travail collectif ayant commencé en novembre 2012, avec des séminaires se déroulant le samedi, sur la base du volontariat des équipes, où nous avons discuté de nos valeurs, de nos contenus éditoriaux et de nos missions, pour aboutir en mars 2013 à un projet stratégique. Une quinzaine de réunions détaillées avec nos tutelles ont conduit cet été à un arbitrage budgétaire permettant de rédiger ce COM qui en garde l'esprit et l'essentiel des mesures.

Quelles sont les caractéristiques du contexte mondial dans lequel s'inscrit ce COM ? L'explosion de nouveaux médias, d'abord, dont l'usage ne se substitue pas aux autres : avoir une tablette ou un i-phone n'impose pas de renoncer à regarder son téléviseur ou à écouter la radio sur la bande FM, majoritaire pour l'écoute sur téléphone portable. Gardons-nous donc de jeter aux orties les anciens modes de diffusion. Ces nouveaux médias s'accompagnent d'un développement de la mobilité : c'est une grande révolution pour nous, car elle touche l'Afrique, où l'usage des terminaux mobiles est plus important que celui des ordinateurs fixes. Les réseaux sociaux explosent, eux aussi : il n'est plus concevable de penser des médias unilatéraux. Les évolutions des équipements numériques sont très contrastée selon les zones, notamment en termes de coût : il faut les analyser pays par pays, afin de ne pas commettre de contresens.

Le développement de la télévision en haute définition (HD) ensuite. Cela ne nous arrange pas forcément : la HD coûte deux fois et demie plus cher en termes de diffusion satellitaire que la télévision classique, la SD - or nous n'avons pas cet argent ; elle occupe plus de capacité de diffusion. Cela peut provoquer des effets d'éviction chez les opérateurs et, selon les zones, en Europe en particulier, constituer une menace dans les deux ans à venir. L'arrêt de la diffusion analogique et le passage complet à la télévision numérique terrestre (TNT), par ailleurs, offrent des opportunités qu'il ne faut pas rater, notamment en Afrique francophone.

L'extrême violence et l'hétérogénéité d'une concurrence multiforme est due à l'explosion des médias locaux - notamment les radios - et internationaux - on pense au Qatar mais aussi à la Chine, qui s'attaque à l'Europe, à l'Afrique mais aussi à l'Amérique latine, puisqu'elle vient de lancer une chaîne en espagnol. Certains sont des amis mais restent des concurrents : Broadcasting Board of Governors (BBG) qui chapeaute les médias américains tels que Radio Free Asia ou Voice of America avec un budget de 750 millions de dollars et une diffusion en 50 langues, la BBC, qui pour un budget de 400 millions d'euros diffuse en 40 langues, et Deutsche Welle qui avec 270 millions d'euros diffuse en 30 langues. Nous disposons d'un budget de 250 millions d'euros dont 238,7 millions d'euros de dotation publique en 2013 pour faire entendre la voix singulière de notre pays.

Il est fondamental d'affirmer cette identité singulière au niveau du groupe, mais aussi au sein de chaque média. En juillet 2012, la décision a été prise de ne pas fusionner les rédactions. France 24 fait de l'information en continu en français, en anglais et en arabe. Nous devons affirmer ce regard français : nous parlons depuis Paris. Une nouvelle signature a été présentée hier, avec un slogan, « Liberté, égalité, actualité », valeurs universelles que nous partageons avec de nombreux citoyens du Monde.

L'AFP est partenaire de notre campagne d'illustration de cette signature. Nous accentuerons les différences de programmation entre les trois langues. Une chaîne en anglais qui s'appelle France 24 est plus cohérente si nous y parlons davantage de la France. France 24 en arabe cherche à être l'autre chaîne arabophone : la chaîne de la liberté et de la laïcité, enracinée en Méditerranée, contrairement aux autres chaînes qui viennent de l'Est du bassin. J'accompagnerai ainsi le Premier ministre pour signer des accords de coopération le 16 décembre à Alger ; la radio nationale algérienne et Monte Carlo Doualiya ont déjà commencé leur mise en oeuvre et nous coproduisons une émission hebdomadaire recevant des invités à Alger et à Paris avec des thèmes aussi sensibles que le terrorisme aux frontières de l'Algérie ou le rôle des États-Unis dans ce pays : c'est une grande première !

Radio Monte-Carlo Doualiya (MCD), inventée il y a quarante ans par les Français, est la radio généraliste qui défend en langue arabe la laïcité, l'universalisme, l'égalité des hommes et des femmes et la liberté de conscience. Elle diffuse dans seize pays, mais malheureusement, pas en France. Nous affirmons une signature française en arabe et nous nous ouvrons aux femmes et aux jeunes, qui ont fait les révolutions arabes. Le nouveau site internet a vu les visites passer de 200 000 à 400 000 en un mois. Son slogan est : « sur la même longueur d'ondes » - sous entendu de l'autre monde arabe, celui de la liberté et du respect de l'Autre.

Depuis le drame qui nous a frappés, nous mesurons d'autant plus le poids de Radio France Internationale (RFI), avec la vague incroyable de milliers de témoignages d'affection, et pas seulement d'Afrique. Je rentre de Roumanie, où nous avons une filiale depuis 22 ans, qui est la radio qui fait l'information là-bas, avec une audience moyenne respectable de 200 000 auditeurs veille, avec ses quatre émetteurs, RFI donne le « la » de l'information. C'est aussi le cas en Afrique évidemment, mais au Maghreb, alors qu'elle n'y dispose pas de fréquence FM - faute d'autorisation - ce que les journalistes locaux déplorent à chaque conférence de presse que j'y donne, la radio bénéficie d'une réelle notoriété. Sa signature, « les voix du monde », signifie qu'elle n'est pas « la » voix de la France, ou plutôt que celle-ci ne peut être que plurielle. Être fidèle à la France, c'est donner la parole à chacun : grâce à ses douze langues étrangères - bientôt treize, car nous allons ajouter une nouvelle langue d'Afrique de l'Ouest - qui ne sont pas un problème mais bien un atout pour RFI ; grâce aussi aux auditeurs, très présents sur les ondes, et qui ont tous les accents de la francophonie.

Nous construisons une stratégie différenciée selon trois zones. Les zones de consolidation, d'abord - Afrique francophone, Maghreb et Moyen-Orient -où notre présence ne doit pas se laisser déstabiliser : nous ne devons pas rater le passage à la TNT, saisir les opportunités de FM, lancer une nouvelle langue africaine et être très présents sur la mobilité. Les zones de développement, ensuite, où l'accessibilité existe, où nous sommes bien diffusés, mais avec une insuffisante notoriété, et par conséquent une audience à développer : dans les pays du Golfe - où les nouveaux médias sont très répandus - ou en Afrique non francophone - qu'une stratégie panafricaine ne doit pas laisser en tête à tête avec l'Afrique du Sud. Nous avons des atouts : France 24 diffuse en anglais, RFI en anglais et en kiswahili ; nous avons signé avec le Kenya et la Tanzanie une diffusion de France 24 sur la TNT ; nous devons aussi rechercher des partenariats pour des reprises partielles.

Autre zone de développement : l'Europe, où il faudrait des ressources massives pour exister. RFI y garde beaucoup d'émetteurs, mais a dû réduire le nombre de langues. Reste Radio France România avec ses vingt-cinq agents vivant depuis des années dans l'angoisse de voir leur antenne fermer - ce qui est regrettable - alors qu'ils ne coûtent que 600 000 euros par an et s'autofinancent à 15 % et alors que ce pays est courtisé par les chaînes chinoise (CCTV) et russe (Russia Today). J'y suis allée récemment : de nouvelles fréquences seront financées par des recettes publicitaires, et j'y ai signé un « acte de mariage » entre RFI Romania et TV5 Monde qui sous-titre ses programmes en roumain.

La France fait partie de ces zones de développement : RFI est diffusée en Île-de-France seulement et France 24 sur le câble, le satellite et l'ADSL, tout en restant jusqu'ici interdite de TNT. J'ai obtenu de nos tutelles une modification de notre cahier des charges pour que cela change. Nos concitoyens ont besoin de s'ouvrir au monde ; nous avons des programmes dans des langues utilisées par nos concitoyens, mais aussi par des médias qui ne partagent pas forcément nos valeurs. La diffusion temporaire à Marseille de MCD et de RFI gagnerait à être pérennisée ; RFI pourrait être diffusée à Lyon, à Bordeaux ou Toulouse et surtout à Strasbourg, en accord avec la vocation européenne de cette radio, avec ses deux émissions hebdomadaires et son émission quotidienne sur l'Europe. De nombreux parlementaires européens francophones étrangers viennent y parler et ne s'entendent pas sur la bande FM de la ville - est-ce pour cela que certains préfèreraient Bruxelles ? Je sais que la création d'une radio européenne est un projet cher à M. Pierre Bernard-Reymond...

M. Pierre Bernard-Reymond. - Nous y reviendrons dans un instant !

Mme Marie-Christine Saragosse. - Mieux diffuser une radio aux contenus européens importants sans coûts de structure supplémentaires pourrait être intéressant. L'Île-de-France compte 1,3 million de locuteurs de l'arabe, qui parfois n'écoutent que des médias arabophones : si MCD pouvait y être diffusée et rester à Marseille, elle contribuerait à un climat plus apaisé dans notre pays. J'aurais rêvé aussi d'une diffusion nationale en TNT pour France 24, mais sa diffusion régionale en Île-de-France est déjà appréciable.

Les zones de conquête, enfin : Asie-Pacifique et Amérique du Nord. L'Amérique latine et la Caraïbe ne sont pas prioritaires pour France 24, faute de diffusion en espagnol. En revanche, RFI en espagnol et en brésilien est très écoutée, avec plus de 300 partenariats. Elle l'est aussi en Haïti, où nous aimerions créer un studio-école en créole.

S'agissant de nos régies de diffusion et production, nous nous rééquipons totalement en matériel HD sur nos propres fonds ; le présent COM ne prévoit pas de diffusion satellitaire HD, mais un système d'alerte en direction des tutelles, pour réagir au mieux en cas de risque d'éviction. La diffusion de France 24 en espagnol n'est pas écartée, mais reportée : une étude de faisabilité détaillera comment s'installer en cinq ans. Une diffusion 24 heures sur 24 coûterait 18 millions d'euros. Puisqu'il est question de langues, entre autres nouveautés, nous devrons développer l'offre d'apprentissage du français ; le site internet, datant de 12 ans mérite, pour mieux valoriser la qualité de ses programmes, un coup de jeune.

Nous saluons l'effort de l'État dans un contexte budgétaire difficile : plus 1,4% en deux ans (0,7 % en 2014 et 0,7 % en 2015), et un crédit d'impôt compétitivité entreprises, représentant 1 million d'euros. Mais France Médias Monde est la société publique qui a le plus restitué de budget, avec 4,6% de moins aujourd'hui qu'en 2011. De plus, nous avons fait largement un effort nous aussi dans le cadre du COM: à côté des 4,4 millions d'euros apportés par l'État, nous développons l'autofinancement à hauteur de 6,4 millions d'euros, dont 2 millions de publicité et des gains de productivité dans la planification, la gestion des régies et les frais généraux. Or cette année a été dense : nous avons fusionné les instances sociales qui seront constituées sous leur nouvelle forme dans quelques jours. La distribution de France 24 a été élargie à plus de 40 millions de foyers, record depuis sa création franchissant la barre de 250 millions de foyers raccordés. Nous avons changé de nom. Nous avons déménagé dans la sérénité. La fréquentation des sites a augmenté de 30 %. Nous avons refondu l'ensemble des grilles. Le mécontentement du personnel était lié à son inquiétude ; il s'est remobilisé et mérite un vrai coup de chapeau.

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - Merci pour cet exposé rapide et complet. Première observation : vous nous présentez un COM pour la période 2013-2015, alors que 2013 s'achève, que le budget 2014 est en train d'être voté, que 95 % de vos ressources sont d'origine publique ; il ne reste donc que l'exécution 2014 et le budget 2015 pour aller au bout de vos objectifs. Vous n'y êtes pour rien, l'État est coutumier de ces pratiques, que j'ai pu observer pour Campus France. Il serait néanmoins souhaitable de présenter la nouvelle édition 2016-2018 avant les arbitrages budgétaires de 2015. Nous apprécions également de disposer d'un document qui ne présente pas tant la stratégie de l'entreprise que les objectifs auxquels elle adhère avec l'État et auxquels ce dernier affecte des moyens ; démarche intéressante qui laisse une certaine autonomie à la société pour développer des projets en dehors du COM si elle peut les autofinancer - et si Bercy n'en profite pas pour réduire sa participation...Soyez vigilante !

Mme Marie-Christine Saragosse. - Je le suis !

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - Ce COM est cohérent et d'une modestie adaptée à vos ressources, qui vous conduisent à faire mieux avec peu.

Estimez-vous les objectifs réalisables avec les ressources disponibles ou devrez-vous dégager des marges de manoeuvre supplémentaires ? Dans le plan stratégique, vous évaluiez les besoins à 18 millions d'euros dont 7,8 millions de l'État : à combien les estimez-vous aujourd'hui ? Les négociations en vue de l'harmonisation sociale conduiront-elles à des charges supplémentaires ? Quelles est la marge de progression des ressources propres et quel montant d'économie comptez-vous réaliser, et sur quels postes ? Des projets sont présents en filigrane dans le COM, mais de manière très hypothétique, alors que pour des coûts réduits, ils pourraient générer des ressources, donner de la notoriété aux marques et apporter un vrai service, y compris avec la diffusion de MCD dans les grandes agglomérations françaises, comme nous le souhaitons dans cette commission. Vous nous dites qu'elle est à Marseille ?

Mme Marie-Christine Saragosse. - À titre transitoire jusqu'au 31 janvier ; la porte de l'obtention de fréquence nationale étant antérieurement fermée, nous sommes entrés par la fenêtre ouverte par Marseille Provence « capitale européenne de la culture », avec le soutien des élus locaux de tous bords. Nous aimerions le pérenniser.

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - Où en sont vos projets à ce sujet ? Quelles sont vos chances d'y aboutir ? Pour quelles ressources et quels coûts ? Le renouvellement des équipements de France 24 pour être capable de diffuser en HD, comme vous l'aviez fait à TV5 Monde, est un projet lourd. En quoi est-il stratégique ? Pourquoi l'État n'a-t-il pas accepté de l'inclure dans le COM ? Combien cela vous coûtera-t-il, surtout si vous devez recourir à l'emprunt ? Comment assurerez-vous la bascule ? Est-ce compatible avec les objectifs du COM ? Où en êtes-vous de votre projet de studio-école et d'académie France Médias Monde ? Pourquoi l'État ne vous a-t-il pas suivie ? Subissez-vous des contraintes limitant le développement de la publicité, au même titre que les médias nationaux, et pourraient-elles être évitées ?

Mme Marie-Christine Saragosse. - C'est moi qui ai insisté pour que ce COM soit court, dans l'espérance d'une réforme de la redevance, qui me permettrait de signer bientôt un nouveau COM avec plus de ressources. Une fois qu'il est signé, ce type de contrats est revu souvent à la baisse, rarement à la hausse. Une mise à plat était nécessaire, et nous l'avons faite, sans baisse de financement, contrairement à ce qui était prévu. J'ajoute qu'un COM glissant s'imposait, face à un marché très volatile. Certains aspects devront être retravaillés. Nous réfléchissons ainsi à un site éducatif. L'annualité budgétaire nous permet, au-delà même du COM, d'en discuter avec le Parlement, ce qui donne l'occasion à ses membres de déplorer que nous n'ayons pas assez de ressources...

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Nous le disons !

Mme Marie-Christine Saragosse. - Nos recettes propres ne proviennent pas seulement de la publicité, mais aussi de l'édition musicale, RFI étant un acteur de premier plan en ce domaine, ou de produits dérivés. Ce qui nous gêne en matière de publicité, ce n'est pas tant la rigueur de la loi française, à laquelle nous ne sommes pas totalement soumis à l'international - RFI fait ainsi de la publicité pour la bière, que l'organisation de la collecte. RFI a une régie interne de deux agents, qui récolte 1,5 million d'euros nets par an ; la régie externalisée de France 24, France Télévisions Publicité International, rapporte la même somme avec plus de personnes, alors que la chaîne émet en trois langues et a 41,5 millions de téléspectateurs différents chaque semaine en audience strictement mesurée (sans extrapolation ou estimation). Pour les nouveaux médias, elle nous rapporte 250 000 euros, alors qu'il y a 14 millions de visites par mois sur notre site -. Cela nous inquiète. Le minimum garanti, qui nous protégeait pendant trois ans, s'est arrêté fin 2012, nous exposant à des non réalisation de chiffres d'affaires. La régie nous avait indiqué un chiffre d'affaires 2,9 millions d'euros pour 2013 ; nos économies nous permettront heureusement d'absorber un déficit d'1,4 million d'euros. Beaucoup de chaînes ont quitté cette régie : Canal Plus Horizon, Euronews. Nous restons seuls avec TV5 Monde, mieux rémunérée grâce à son signal France-Belgique-Suisse, qui peut être vendu en package avec France Télévisions. La question de l'internalisation n'est pas simple  elle coûterait d'entrée un million d'euros, avec des recettes aléatoires et peu sûres, surtout la première année.

J'assistais cette semaine à la réunion, dite « DG7 » des grands médias mondiaux occidentaux : BBC World ne représente que 10 millions d'euros de recettes publicitaires, à comparer avec près de 400 millions d'euros provenant de la vente de programmes. Or je refuse le publi-reportage sur France 24, qui représente la France. Je refuse de programmer une semaine consacrée à tel ou tel pays, qui chercherait à nous imposer certains reportages. Notre crédibilité tient à notre indépendance. Je fais confiance à nos journalistes. Un média d'information continue, public, assimilé à la France, même s'il n'est pas l'émanation d'un gouvernement, doit s'interdire certaines choses. C'est pour cela que nous avons été raisonnables dans nos prévisions de recettes publicitaires. RFI fait ainsi très attention à ne pas multiplier certaines publicités, par exemple, car ce qu'elle diffuse est parfois considéré parole d'Évangile ! La Haute autorité de Côte d'Ivoire nous ainsi demandé des pauses dans certaines publicités, nous assurant que les gens sont très attentifs à tout ce qui est dit à l'antenne ! Si les annonceurs le savaient, ils viendraient plus nombreux !

Nous avions demandé 18 millions d'euros, dont 2 millions d'euros pour la chaîne espagnole, 3,5 millions d'euros pour le signal diffusé en HD. La diffusion par satellite n'a pas été retenue : Nous ne pourrons donc pas doubler la capacité de diffusion de France 24 dans aucune des langues ; mais les équipements de fabrication de nos signaux en HD, eux, sont bien prévus, et autofinancés à hauteur d'une dizaine de millions d'euros sur nos fonds propres, de même que la formation. Nous avions aussi prévu 2,2 millions d'euros pour le marketing ; c'est une variable d'ajustement, puisque baisser ce budget n'entraîne évidemment aucun licenciement. Voici l'explication de la différence avec le plan stratégique. Une partie peut être récupérée par des partenariats qui permettent aussi de belles réalisations au meilleur coût, comme au Maghreb, où les médias locaux fournissent les locaux et des équipes techniques.

Le financement se fait à travers 4,4 millions d'euros de l'État et 6,4 millions d'autofinancement : 2 millions de recettes publicitaires sur deux ans, 1,4 million d'économies provenant de la fabrication de notre télévision en régie : le passage à la HD permet de réduire les effectifs de notre sous-traitant, qui seront reconvertis, grâce à une clause sociale. Les économies de frais généraux représentent 1,5 million d'euros. Nous « grattons » partout ! Une mauvaise planification des journalistes engendre une faible prise de jours de congés que nous devons provisionner : son amélioration, à laquelle nous allons travailler, réduit ces provisions. La motivation des équipes est phénoménale. France 24, va ainsi changer de grille le 12 décembre et revêt un nouvel habillage, très French Touch, et lance son nouveau site.

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - J'espère qu'il sera un peu plus chaud que l'actuel, sans aller jusqu'au clinquant et à la vulgarité d'autres chaînes d'information continue !

Mme Marie-Christine Saragosse. - Rassurez-vous !

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - Je tiens à le dire, au lendemain d'une journée délirante sur ces chaînes, dont l'antenne était saturée par...la prostate du Président ! Contrairement à d'autres, France 24 prend de la hauteur, elle fait preuve d'une distanciation salutaire, mais parfois un peu froide.

Mme Marie-Christine Saragosse. - L'habillage sera plus chaleureux ; les studios seront également refaits avec la régie HD l'année prochaine. Les « jeunes » journalistes de France 24 n'ont cessé de s'aguerrir depuis la création de la chaîne, et la maturité de la chaîne va continuer à s'affirmer avec ces nouvelles grilles et permettre à chacun de donner son potentiel.

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - J'apprécie leur ton, leur regard sur l'actualité...

M. Pierre Bernard-Reymond. - Absolument !

M. André Vallini, rapporteur pour avis. - Ils ne sont pas vulgaires, ils ne crient pas l'information, comme on le voit, hélas, sur d'autres chaînes.

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - La non-diffusion en France est-elle due à des raisons techniques ?

Mme Marie-Christine Saragosse. - Ces médias ont d'abord été conçus pour l'international, ce qui explique un certain cloisonnement, à sens unique : l'international ne devait pas venir au national. Peut-être craint-on des risques de concurrence au sein même du service public : RFI est-elle une concurrence de France info ? MCD ne l'est sûrement pas. Lors d'un débat à l'Assemblée nationale, Jacques Myard se demandait s'il était légitime que le service public français émette en arabe sur le territoire, craignant que cela n'encourage le communautarisme.

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Tout dépend de ce qui est dit.

Mme Marie-Christine Saragosse. - Tout à fait ! Notre cahier des charges contenait pourtant une mission consistant à servir les populations non francophones vivant en France ; RFI utilisait ainsi le réseau B de Radio France pour diffuser en vietnamien ou en mandarin dans le 13e arrondissement de Paris, par exemple, ce dont certains sont nostalgiques. Je n'ai pas été jusque-là. Mais cela pourrait se concevoir. Les élus membres de notre conseil d'administration, sont favorables à la diffusion de MCD en France. La bande de fréquences est saturée ; les privés ont peur que le service public, qui en occupe une partie significative, n'agrandisse son domaine. En Île-de-France, qui compte 12 millions d'habitants - c'est beaucoup - France 24 devrait obtenir une diffusion partielle en TNT, la Ministre a déjà saisi le CSA. Une fenêtre nationale sur une chaîne de France Télévisions reviendrait moins cher que les sept millions d'euros que coûterait bon an mal an un réseau national mais c'est un sujet délicat.

Certaines radios reprennent déjà nos programmes ; malheureusement, il s'agit uniquement de l'information, alors que nous avons des programmes magnifiques, comme les Impertinentes de MCD, où trois femmes journalistes arabophones commentent l'actualité...

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Je vois beaucoup de femmes dans votre brochure sur MCD.

Mme Marie-Christine Saragosse. - Notre comité exécutif est également paritaire. Peut-être est-ce encore si rare que cela attire l'attention !

La formation et la coopération sont dans l'ADN de RFI. Elles font partie de notre mission de service public. Ces actions sont des outils pour être présent sur les territoires. À chacun de mes déplacements, mes interlocuteurs expriment des besoins dans le domaine de la formation en particulier. Nous n'avons malheureusement pas de budget pour cela. Soit nous nous condamnons à réserver ces actions aux pays qui en ont les moyens ; soit nous devons nous entendre avec Canal France International (CFI), dont la tutelle et les sources de financement sont distinctes des nôtres. BBC et Deutsche Welle s'appuient sur des académies internes importantes, les Américains n'en ont pas. Lorsque le poste diplomatique nous aide, comme récemment en Tunisie, c'est formidable : nous pouvons payer le déplacement en France des personnes devant y être formées, y compris en arabe et en anglais. Le studio-école permet de faire d'une pierre trois coups : couvrir l'actualité locale, en formant des jeunes, et dans la langue locale - créole en Haïti, wolof à Dakar - dans lesquelles nos moyens ne nous permettent pas d'ouvrir de rédaction. Cela n'a pas été retenu dans le COM ; aussi rechercherons-nous des financements autres (européens par exemple).

Conformément à nos valeurs, nous avons mis sur la table en toute transparence dès janvier 2013 l'enveloppe disponible pour financer l'harmonisation sociale : 3,5 millions d'euros. Les deux radios sortent de la convention « audiovisuel public » ; la télévision a une convention qui n'a rien à voir. Nous sommes les seuls dans le service public à faire les deux métiers à la fois. C'est un vrai challenge dont sont conscients les syndicats. Ce sera une grande première ! L'équité est un objectif difficile qui se heurte aux spécificités des médias. C'est un énorme chantier ; pendant qu'on y travaille, on n'est pas en train de conquérir les Etats-Unis ou l'Asie ; mais il faut le mener pour avancer.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Bravo pour votre maîtrise et la qualité de votre stratégie. C'est en béotien du monde des médias... et en Européen convaincu que je m'exprime. Tous les matins, à Gap, j'écoute RFI, grâce à un accord avec une radio locale qui n'émet pas toute la journée. De tels contrats sont-ils habituels ou exceptionnels ? S'ils tendent à se développer, ils pourraient permettre de couvrir une bonne partie du territoire national, les zones rurales passant d'ailleurs, pour une fois - quel scandale ! - avant les zones urbaines.

Je voudrais par ailleurs vous informer de l'évolution d'une question qui me tient à coeur et dont je vous avais déjà entretenue. Inquiet de la montée du nationalisme, du populisme, du séparatisme, je crois qu'il serait intéressant que le peuple français se sente en plus forte intimité avec les autres peuples européens. En écoutant RFI, je connais bien l'actualité du Burkina Faso, mais guère celle des pays européens. Ma proposition consiste à créer une radio France Europe (RFE) qui ne chercherait pas à faire connaître la France en Europe, mais la vie quotidienne des autres pays européens en France. L'Union européenne pourrait aider financièrement une telle initiative, d'autres pays européens pourraient l'imiter. Ma proposition de résolution à ce sujet, malgré les réticences de la ministre - pour des raisons financières et techniques que je peux comprendre - a été adoptée à 193 voix contre 150, grâce aux votes de certains écologistes, du RDSE, des centristes et de l'UMP. Certains socialistes l'avaient signée, mais ne l'ont pas votée pour des raisons de cohérence. D'autres m'ont fait part après coup de leur soutien. Cette idée rassemble donc une large majorité, composite, au Sénat. Le président de notre commission semble très favorable et a préconisé que les deux rapporteurs André Vallini et Joëlle Garriaud-Maylam donnent un avis de faisabilité.

Hier, le sénateur écologiste André Gattolin a présenté en commission des affaires européennes, dont je fais évidemment partie, une proposition de résolution sur la citoyenneté européenne, dans laquelle il a intégré RFE, qui a été adoptée à l'unanimité.

Voulons-nous continuer la politique des petits pas, quitte à risquer les petits pas en arrière, ou considérons-nous que l'avenir de la France se joue au sein de la construction par l'Europe d'une puissance dans la mondialisation de demain, grâce à un vrai pouvoir politique ? En ce cas, l'adhésion des citoyens passe par une meilleure information mutuelle des peuples.

Mme Marie-Christine Saragosse. - RFI est beaucoup reprise, parfois sans que nous le sachions. Il ne s'agit pas toujours des émissions que nous souhaiterions davantage diffuser, lesquelles sont en prime time, créneau où les autres radios ont leurs propres émissions. Les auditeurs ne savent pas toujours ce qu'ils écoutent ; ce n'est donc pas forcément bon pour la notoriété. Cela ne génère pas de recette de publicité et ne permet pas de mesure d'audience.

Votre radio Europe existerait déjà, si RFI était diffusée en France avec toutes ses émissions sur l'Europe : Bonjour l'Europe, Allô Bruxelles, Ici l'Europe, Accents d'Europe, Carrefour de l'Europe, et j'en passe. En outre, elle pourrait reprendre d'autres émissions sur l'Europe, francophones, de nos amis de la BBC, de Deutsche Welle ou d'autres partenaires pour constituer une web radio sur son site par exemple.

Trois obstacles, pas insurmontables, s'opposent à votre projet de RFE tel que je l'ai compris : dès que l'on prononce le mot Europe en France, l'audience chute, sauf pour les jeunes, qui sont Européens presque sans le savoir ; une radio indépendante a des coûts de structure importants, difficile à financer, à moins que l'Union européenne décide soudainement de ne plus demander cinq mètres de haut de documents pour donner cinquante mille euros de subvention ; l'attribution des fréquences en France fait l'objet d'une sorte de guerre, dans laquelle je pourrais me sentir concurrente de votre projet.

Ces écueils seraient évités si les émissions sur l'Europe de RFI, auxquelles pourraient être ajoutés les programmes en français de la BBC, de Deutsche Welle et de la radio néerlandaise, étaient rassemblées au sein d'une web radio, ce qui ne coûte pas très cher, à la différence d'un réseau FM national. Il faudrait créer une application dédiée pour exposer également cette offre qui donnerait du prix à l'Europe. Une telle application et une présence sur le site de RFI permettrait déjà d'avancer, car elle serait riche en contenus et personne n'écoute la radio pendant 24 heures d'affilée. C'est une piste à étudier.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Lorsque la nouvelle commission européenne sera installée, un tel projet devrait pouvoir obtenir des financements européens.

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - En effet. Merci.

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Le compte rendu sera publié ultérieurement.