Mercredi 18 décembre 2013

- Présidence de M. René Garrec, doyen d'âge -

Constitution

M. René Garrec, doyen d'âge. - En l'absence de Mme Gisèle Printz, il me revient de présider le début de cette réunion constitutive de la mission commune d'information sur l'accès aux documents administratifs et aux données publiques.

Cette mission a été créée à l'initiative du groupe écologiste en application de son droit de tirage. La liste des membres en a été approuvée par le Sénat lors de sa séance du 11 décembre. Nous devons élire le président de la mission. Je suis saisi de la candidature de M. Jean-Jacques Hyest. 

M. Jean-Jacques Hyest est élu à l'unanimité président de la mission commune d'information.

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président -

La commission procède ensuite à la désignation de son Bureau. Mme Corinne Bouchoux est élue rapporteure à l'unanimité. Sont élus vice-présidents : Mme Françoise Cartron, MM. Christian Cointat et Pierre-Yves Collombat, Mme Cécile Cukierman, MM. Yves Détraigne et Vincent Eblé.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nos réunions seront ouvertes à la presse dès lors qu'elles comporteront des auditions. Les tables rondes seront ouvertes au public, avec enregistrement audiovisuel. Dans tous les cas, un compte rendu sera établi et publié dans le recueil hebdomadaire et sur la page du site de notre mission, sous réserve de l'accord des personnes auditionnées. Nous n'avons pas comme les commissions d'enquête de délai formel, je propose néanmoins que nous remettions notre rapport au plus tard à la mi-juillet.

Nous commencerons nos auditions en janvier. Mme la rapporteure a peut-être déjà des propositions à nous faire à ce sujet ?

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Oui, nous pourrions inviter M. Jacques Chevallier, professeur émérite à l'Université Paris II et spécialiste de la science administrative et particulièrement expert en matière d'accès aux documents administratifs, M. Serge Daël, président de la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), et Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Cnil. Les données personnelles sont hors champ - une autre mission d'information a été constituée sur le sujet par la commission des Lois.

Mme Hélène Lipietz. - Il faudrait aussi inviter M. Pierre Cohen, président de l'Open data France.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Et beaucoup d'autres ! Mes propositions ne concernent que la première série d'auditions.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Des déplacements de travail seraient peut-être utiles. Allemagne, Grande-Bretagne, pour des comparaisons internationales ?

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Oui.

La question de l'accès aux documents administratifs est ancienne et préoccupe tout le monde, des deux côtés du guichet ! Les demandes des usagers se sont multipliées, pour des usages personnels, professionnels, militants ou même électoraux. L'administration y répond de façon contradictoire, elle oscille entre ouverture et résistance.

La loi de 1978 a fait entrer la France dans la modernité. Mais les demandes sont de plus en plus nombreuses, l'impatience des usagers de plus en plus forte. Ils admettent difficilement tout délai dans la réponse. Des requêtes nouvelles apparaissent aussi, parfois paradoxales, demandes croisées entre collectivités, ou au sein d'une même collectivité. Il y a là un enjeu de compétences et de pouvoirs.  

Internet a bouleversé la donne : désormais, les organigrammes sont publics ; et les instances administratives sont accessibles en un clic. À cela s'ajoute l'ouverture des données publiques ou open data, qui conduit à mettre à la disposition du public un grand nombre de données.

Cette évolution suscite des convergences, mais aussi des contradictions, parfois même de vives tensions. La présente mission vise à dresser un état des lieux, dont nous, législateurs, pourrons tenir compte. En effet, dresser et analyser la cartographie des demandes reçues par la Cada, dont nous fêtons le trente cinquième anniversaire, fera apparaître en creux certains impensés de nos lois, les contradictions entre les textes. Nous en améliorerons ainsi la qualité.

Tout le monde est concerné, citoyens, associations, entreprises, collectivités territoriales - l'obligation de répondre aux demandes peut paralyser le fonctionnement des plus petites d'entre elles. Dans les procédures, marchés publics par exemple, les entreprises utilisent désormais l'accès aux documents administratifs comme un outil, l'exploitant jusqu'au stade contentieux. Toutes les administrations n'y sont pas préparées.

La jurisprudence, aux termes de laquelle tout document déposé en préfecture doit être accessible, est épineuse. Imaginons qu'un conseil municipal, au moment d'envoyer à la préfecture une série de pièces, y joigne par mégarde un document comportant des données personnelles : celui-ci devient de facto un document administratif consultable !

Les journalistes demandent des documents à fin d'investigation. Imaginez le séisme contentieux qui peut naître de l'oubli de bonne foi d'une page dans la liasse qu'on leur a communiquée !

Dans certaines administrations, on n'est pas loin de penser que la loi de 1978 a atteint ses limites. Je ne le crois pas. Faut-il la revoir sur certains points ? Nos usages sont-ils comparables à ce qui se fait dans d'autres pays ? Le point de vue de la mission d'information de la commission des lois sur l'« open data et la protection de la vie privée », confiée à MM. Gaëtan Gorce et François Pillet, complétera utilement nos travaux, de même que les conclusions du rapport en cours d'élaboration de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, sur le « risque numérique ».

Nous pourrons ainsi identifier les dysfonctionnements auxquels nous ne pensons pas toujours dans notre travail législatif, des zones d'ombre et de flou, susceptibles de provoquer des contentieux et des contrariétés, pour les collectivités territoriales et les administrations. Notre tâche ne satisfait pas une lubie, elle répond à une vraie attente.

Notre société a aujourd'hui des exigences contradictoires. La polémique sur l'article 13 de la loi de programmation militaire pour 2014-2019 l'a montré : d'un côté, on réclame des données, de l'autre on ne veut rien communiquer sur sa vie privée ! D'où le besoin d'un diagnostic paisible et serein, mettant à profit tout ce que la Cada peut avoir à dire au législateur. Nous exploiterons ensuite nos conclusions dans notre travail en commission.

Un exemple de l'ambiguïté de la transparence : dans certaines instances, lorsqu'une personne est juge et partie à une décision, il est d'usage qu'elle se déporte, autrement dit qu'elle quitte la séance. Ainsi, sur tel ou tel sujet, le président de la Cada, ancien membre du Conseil d'État, s'abstient pour ce motif de participer au débat ; son suppléant également qui est lui aussi issu du Conseil d'Etat, et ainsi de suite. Finalement l'instance collégiale se réduit à deux ou trois personnes ! Dans certaines situations, je me garde de donner mon avis ou je réclame qu'il ne soit pas porté au compte rendu, de manière à éviter tout soupçon de conflit d'intérêt ! Nous avons bien vu, au Sénat, combien tout cela risquait d'être compliqué.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Je ne suis pas du tout d'accord avec la jurisprudence sur le conflit d'intérêts. A la commission des lois, nous nous sommes penchés sur ce sujet ; il faut des définitions précises qui permettent de balayer toutes les incertitudes.

Mme Catherine Procaccia. - Faudra-t-il nous exclure à cause du petit cousin ?

M. Jean-Jacques Hyest, président. - C'est incroyable : un conseiller d'État est nommé ès qualités à la Cada, et il devrait renoncer à tenir son rôle ?

Mme Catherine Procaccia. - Les données médicales entrent-elles dans le champ de nos travaux ?

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Le problème est compliqué : devra-t-on préciser quelles personnes y auront accès ? Il faut aborder le sujet.

Mme Catherine Procaccia. - Je ne parle pas des données individuelles, mais bien de données médicales. Imaginez que vous demandiez des documents sur les « irradiés de l'Est » : faudra-t-il vous communiquer le nombre des actes pratiqués et les personnes concernées ?

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Les demandes d'avis adressées à la Cada vont parfois très loin : les laboratoires pharmaceutiques eux-mêmes réclament des données anonymisées pour se défendre dans des affaires en cours ou pour explorer de nouveaux marchés !

Sans doute devrons-nous malgré tout délimiter un périmètre précis pour nos travaux, quitte à créer ultérieurement de nouvelles missions.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Je suis d'accord. Ne couvrons pas un champ trop vaste : la question des données personnelles concerne la commission des lois. Les données médicales posent un problème spécifique, car les démarches ne sont pas innocentes : je songe à certaines demandes des compagnies d'assurance.

Il faudra aussi traiter l'accès aux documents numériques. Beaucoup de données sont disponibles sur les sites Internet : jusqu'où cela doit-il aller ?

Mme Catherine Procaccia. - Il était prévu qu'à partir de décembre 2013, il serait possible de consulter sur Internet le prix de cession de biens comparables vendus dans une zone géographique, pour vérifier par exemple la valeur de son propre patrimoine et déterminer si l'on est redevable de l'ISF. Imaginez qu'un seul appartement comparable au mien ait été vendu dans mon quartier : je saurai combien il a été payé ! Tout sera public ! Je crois que le dispositif n'est pas encore en vigueur.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Cela pose la question de la vie privée et de l'évolution de sa définition depuis 1978. Des données qui n'étaient pas publiques à cette époque le sont devenues aujourd'hui.

M. Yves Détraigne. - J'ai été pendant six ans représentant du Sénat à la Cada. On nous demandait jusqu'aux données médicales !

La loi de 1978, même si elle est fondatrice, au même titre que les grandes lois de la fin du XIXè et début du XXè siècle sur les libertés publiques ou le droit d'association, a besoin d'une mise à jour : en 1978, on n'imaginait pas Internet ! Cela n'empêchera pas de maintenir l'esprit de cette loi. Comme élu local on constate qu'il y a trente ans, les décisions des pouvoirs publics n'étaient pas contestées ; ce n'est plus le cas actuellement, en particulier dans ce qui touche aux marchés publics. Une sorte d'inquisition s'est désormais installée : la personne qui se sent lésée, ou déçue, veut tout savoir des raisons qui ont fondé la décision ! Jusqu'où faut-il se justifier ?

M. Jean-Jacques Hyest. - Voilà de quoi alimenter nos discussions à venir. Nous commencerons ces débats par des auditions le jeudi 9 janvier 2014, 9 heures 30.