Mardi 11 février 2014

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Déplacement effectué en Malaisie et en Thailande du 27 janvier au 1er février 2014 - Communication

La commission entend une communication de MM. Jean-Louis Carrère et André Dulait sur leur déplacement effectué en Malaisie et en Thaïlande du 27 janvier au 1er février 2014.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Avec notre collègue André Dulait, nous avons effectué, la dernière semaine de janvier, un déplacement en Malaisie et en Thaïlande.

Je vous présenterai un bref compte-rendu de notre visite en Malaisie, avant de laisser la parole à notre collègue André Dulait pour qu'il évoque notre déplacement en Thaïlande.

Durant notre visite de deux jours et demi à Kuala Lumpur, nous avons pu rencontrer l'ambassadeur de France, Son Exc. Mme Martine Dorance, l'attaché de défense, le capitaine de vaisseau Pierre Mesnier, ainsi que l'ensemble des chefs de service de notre ambassade, qui nous ont réservé le meilleur accueil.

La Malaisie est une ancienne colonie portugaise puis britannique, dont une partie du territoire est située sur la péninsule au Sud de la Thaïlande et l'autre au Nord de l'île de Bornéo. Ce pays, de 30 millions d'habitants, est composé de différentes communautés (65% de Malais musulmans, 25% de Chinois bouddhistes et 8% d'Indiens hindouistes).

Il s'agit d'une démocratie dotée d'un régime parlementaire, avec un chef de l'Etat désigné tous les 5 ans, à tour de rôle, parmi les 9 sultans. Depuis son indépendance en 1957, la Malaisie est dirigée par la même coalition, composée de différents partis, dont le slogan est aujourd'hui « one Malaysia », qui vise à dépasser les différences entre communautés et à encourager l'unité et l'identité nationales. Lors des dernières élections de 2013, l'opposition a toutefois vu son score progresser.

Si l'Islam est la religion d'Etat, les Malais pratiquent un Islam modéré et tolérant, notamment à l'égard des autres religions. Il existe en outre plusieurs communautés étrangères, dont une importante communauté iranienne (évaluée à 150 000 personnes).

Plusieurs décennies de croissance économique et de stabilité politique ont fait de la Malaisie un Etat dynamique et prospère, comme l'illustrent les deux tours jumelles de Kuala Lumpur.

Dotée de ressources naturelles, notamment l'huile de palme et le gaz naturel, la Malaisie est devenue le leader mondial dans la production de composants électroniques et a développé une industrie automobile, avec deux constructeurs, Proton et Perodua.

La Malaisie est considérée comme l'un des « tigres asiatiques » ayant passé en 25 ans du stade de pays en voie de développement à celui de pays émergent.

Les principaux partenaires économiques de la Malaisie sont la Chine, le Japon, les Etats-Unis et l'Europe.

Sur le plan régional, la Malaisie est membre de l'ASEAN et s'efforce d'entretenir de bonnes relations aussi bien avec les Etats-Unis qu'avec la Chine. Ce pays essaye aussi de jouer un rôle actif sur la scène internationale en mettant en avant son modèle d'Islam modéré.

La Malaisie représente un partenaire privilégié de la France en Asie du Sud Est. Ainsi, la Malaisie est notre premier client en Asie du Sud-Est et notre cinquième client au monde en matière d'exportations d'armement (après l'Arabie Saoudite, l'Inde, le Brésil et les Emirats arabes unis). La France serait le premier et principal fournisseur d'équipements militaires de l'armée malaisienne avec notamment la vente de deux sous-marins de type « Scorpène », des avions A400M, des hélicoptères, des missiles, etc.

Cette position privilégiée de la France trouve son origine dans la relation personnelle nouée entre le Président Jacques Chirac et l'ancien Premier ministre malaisien Mahathir, qui a servi d'exemple à l'actuel Premier ministre, Dato' Seri Najib, alors ministre de la défense.

Elle est toutefois contestée par nos concurrents, dont les représentants multiplient les déplacements dans ce pays. En effet, la Malaisie doit renouveler ses équipements (hélicoptères et avions de combat notamment), pour lesquels la France est candidate.

D'autres secteurs intéressent également les entreprises françaises. Je pense notamment aux infrastructures, avec le projet de ligne ferroviaire à grande vitesse entre Bangkok et Singapour, à l'aéronautique avec Airbus, au spatial ou à l'électronique. Près de 260 entreprises françaises sont présentes dans ce pays et la communauté française dépasse les 3 000 personnes et est en augmentation sensible.

Les échanges culturels et universitaires sont aussi très denses (la France accueille 1 000 étudiants malaisiens). Le français est la deuxième langue étrangère dans l'enseignement après l'anglais. Le Lycée français accueille 1 000 élèves.

En définitive, la Malaisie semble désireuse d'une présence plus forte de l'Union européenne et de la France en Asie du Sud Est, afin de sortir du face à face entre les Etats-Unis et la Chine. La France dispose d'une très bonne image auprès des élites et de la population et je considère donc que nous avons une carte importante à jouer en renforçant notre présence politique et économique en Malaisie, notamment dans le domaine de la défense. Notre commission sera d'ailleurs représentée par nos collègues MM. Daniel Reiner, Jacques Gautier et Alain Néri lors du salon de l'armement Defence and Security Asia qui se tiendra du 14 au 17 avril à Kuala Lumpur. J'ai également invité, en accord avec Mme Patricia Adam, le vice-ministre de la défense de Malaisie à venir en France pour participer aux prochaines universités d'été de la défense, qui se tiendront à Bordeaux. Je laisse maintenant la parole à André Dulait pour qu'il vous présente le compte rendu de notre visite en Thaïlande.

M. André Dulait. - De Malaisie, nous nous sommes rendus, avec le président M. Jean-Louis Carrère, à Bangkok, en Thaïlande, pour une visite de deux jours dans une atmosphère assez tendue. En effet, nous sommes arrivés à la veille des élections législatives, alors que le pays connaît une grave crise politique, marquée notamment par des affrontements entre la police et les manifestants qui bloquent plusieurs artères de la ville.

Comme lors de notre visite en Malaisie, nous avons reçu un excellent accueil de la part de notre ambassadeur, Son Exc. M. Thierry Viteau, de notre attaché de défense, le lieutenant-colonel Thierry Poignant, ainsi que de l'ensemble des chefs de service de notre ambassade.

J'évoquerai d'abord la situation politique et économique de la Thaïlande, avant de parler des relations avec la France.

La Thaïlande est un pays de 70 millions d'habitants, principalement d'ethnie Thaï mais avec une forte communauté d'origine chinoise, à 90% bouddhiste. Il s'agit d'une monarchie constitutionnelle et d'une démocratie marquée par une forte bipolarisation avec d'un côté les « chemises jaunes », qui rassemblent les « libéraux » ou royalistes, et de l'autre côté les « chemises rouges », actuellement au pouvoir, qui reposent sur les masses rurales et urbaines défavorisées. Les élections législatives, qui se sont déroulées le 30 janvier, ont vu la victoire de la coalition au pouvoir mais ces élections étaient boycottées par l'opposition qui dénonce la corruption de l'actuelle Premier ministre, Mme Yingluck Shinawatra, qui est la soeur de l'ancien Premier ministre renversé par un coup d'état militaire en 2006.

Au niveau économique, la Thaïlande se caractérise par son dynamisme. Après avoir beaucoup souffert de la crise asiatique de 1998, puis des inondations en 2011, le pays a renoué avec la croissance économique, avec 4,5% en 2012. La Thaïlande est le premier exportateur mondial de riz et accueille de nombreux touristes, notamment dans la région de Phuket.

En matière de politique étrangère, la Thaïlande joue un rôle actif en Asie du Sud Est, au sein de l'ASEAN. Elle entretient de bonnes relations tant avec les Etats-Unis qu'avec la Chine. Des tensions frontalières existent cependant avec le Cambodge et la Thaïlande fait face à une guérilla au Sud.

J'en viens maintenant aux relations avec la France. Celles-ci sont très anciennes puisqu'elles remontent au XVIIe siècle et aux échanges d'ambassades entre le Royaume de Siam et Louis XIV.

Même si la Thaïlande n'est pas notre partenaire privilégié en Asie du Sud Est, notamment par rapport au Vietnam, à la Malaisie ou à Singapour, ce pays dispose toutefois de nombreux atouts. Ainsi, la Thaïlande est la première destination touristique des Français en Asie du Sud Est, avec près de 550 000 touristes par an, et ce pays accueille une communauté française de 10 000 inscrits et sans doute autant de résidents non immatriculés.

Sur le plan économique, la Thaïlande est notre troisième partenaire commercial, après Singapour et la Malaisie. Plus de 300 entreprises françaises sont implantées. De nombreux projets, notamment dans le domaine de l'aéronautique et des infrastructures, intéressent nos entreprises.

La coopération culturelle et universitaire est aussi très active, avec une alliance française à Bangkok et trois annexes en province, plusieurs centres de recherche, un lycée français de 1 000 élèves. La Thaïlande est membre observateur de la francophonie.

Enfin, dans le domaine de la défense, la coopération avec la Thaïlande est ancienne puisqu'elle a débuté lorsque le roi RAMA VI a partagé les bancs de l'Ecole de Guerre avec le général De Gaulle.

Ce pays, où l'armée joue un rôle important, semble désireux de renforcer ses relations avec la France.

Après une période de suspension des relations à la suite du coup d'état militaire, le retour d'un gouvernement démocratique a entraîné une reprise de notre relation depuis 2011, dont le point d'orgue a été la signature d'un accord de coopération en matière de défense, signé entre le Premier Ministre français et le ministre de la défense Thaïlandais, lors du déplacement de M. Jean-Marc Ayrault à Bangkok en février 2013.

Le socle actuel de notre coopération militaire repose sur un programme de formation, avec près de 200 officiers thaïlandais formés en France, créant un véritable réseau de francophones au sein des forces armées.

Au-delà de ce cycle de formation, un plan de coopération, signé en avril 2013, a mis à l'ordre du jour un programme d'échange d'expertise dans le domaine de l'artillerie, de la lutte contre les engins explosifs improvisés et des opérations de maintien de la paix. La France participera ainsi cette année, pour la première fois, à un exercice multinational organisé en Thaïlande par les forces armées royales thaïlandaises et malaisiennes, sur le thème des secours aux populations en cas de catastrophe naturelle. Des officiers français du commandement de la zone Pacifique (ALPACI) y participeront, la France étant le seul pays européen invité à cet exercice mené dans le cadre du forum de l'ADMM+, qui rassemble les pays de l'ASEAN ainsi que les Etats-Unis, la Chine, la Russie, le Japon, la Corée du Sud et l'Australie. Dans le même esprit, un exercice régional sur le thème des opérations de maintien de la paix organisé en juillet en Thaïlande pourrait également voir une participation française.

Dans le domaine de l'armement, notre relation se concrétise principalement au travers de l'essor récent de contrats. Eurocopter a vendu huit hélicoptères « Fennec » à l'armée de terre en 2011 et quatre hélicoptères « Caracal » à l'armée de l'air en 2012 (deux autres sont en commande). Dix autres hélicoptères « Caracal » pourraient suivre si le plan d'équipement annoncé par les Thaïlandais se concrétise. Par ailleurs la Marine est sur le point de contractualiser 6 hélicoptères EC 645. En outre, MBDA est actuellement bien positionné dans une compétition lancée par l'armée de terre thaïlandaise, qui vise à s'équiper d'un système de défense antiaérienne.

La Marine thaïlandaise souhaite s'équiper d'une sous-marinade moderne. DCNS a présenté l'« Andrasta », petit sous-marin côtier. L'Allemagne et la Corée du Sud se sont déjà positionnées.

L'armée de terre, équipée de canons CAESAR, pourrait aussi commander de nouvelles pièces.

Ainsi, même si la situation politique actuelle en Thaïlande ne paraît guère propice pour le moment, je considère que la France pourrait renforcer sa présence politique et militaire afin de se voir reconnaitre par les pays de la région comme une puissance globale de premier plan, présente en Asie Pacifique, et promouvoir ainsi nos industries de défense.

Ratification du traité d'extradition entre la France et le Pérou - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de M. Jean-Louis Carrère et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 205 (2013-2014) autorisant la ratification du traité d'extradition entre la République française et la République du Pérou.

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. - Mes chers collègues, le Sénat est saisi du projet de loi n° 205 (2013-2014) autorisant la ratification du traité d'extradition entre la République française et la République du Pérou. Il ne manquera pas d'attirer votre attention car cet accord se substitue à un traité du 30 septembre 1874. Vous en conviendrez, il était temps d'actualiser ses stipulations afin de répondre aux défis posés par l'essor de la criminalité transnationale.

En effet, l'intensification de la mobilité des personnes et des capitaux favorisée par les nouvelles technologies s'accompagne d'une internationalisation de plus en plus marquée de la criminalité. Les frontières sont effacées. Les infractions évoluent sans cesse.

Or le traité de 1874 énumère limitativement les faits autorisant l'extradition. Des références telles que l'extradition pour avortement ou pour évasion d'un individu transporté en Guyane doivent être abrogées.

C'est pourquoi, le 21 février 2013, un nouveau traité d'extradition a été signé à Lima. Négocié en même temps qu'un traité d'entraide judiciaire, il témoigne de la volonté politique d'étendre et de moderniser le réseau conventionnel de la coopération judiciaire.

C'est ainsi que vous avez récemment approuvé le 12 mars 2013, le 29 mai 2013 et le 25 juin 2013 les traités d'extradition signés respectivement avec l'Argentine, la Chine et la Jordanie. Vous examinerez également prochainement les traités d'extradition conclus avec le Venezuela et avec le Costa Rica.

L'accord franco-péruvien, à l'instar de l'ensemble de ces accords, reprend les stipulations de la pratique conventionnelle française ainsi que celles de la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957.

Ses 27 articles répondent à la nécessité de mettre en place un instrument moderne de coopération, efficace et soucieux de la protection des droits des personnes.

J'en donnerai deux exemples. La coopération entre les deux pays sera renforcée car le champ d'application du nouveau traité péruvien est désormais défini de manière générale. La liste énumérative a été supprimée.

Toute évolution ultérieure de la définition des infractions ne fera pas obstacle à l'application du traité. Le traité vise désormais les infractions punies d'une peine privative de liberté égale ou supérieure à un an ou d'une peine plus sévère.

Le nouvel accord est respectueux des droits de la personne remise. Je rappellerai que si le Pérou est un pays abolitionniste pour les crimes de droit commun, la Constitution péruvienne prévoit l'application de la peine de mort pour acte de trahison en temps de guerre et pour acte de terrorisme. Son application est toutefois subordonnée à l'adoption d'une loi la mettant en oeuvre.

Or, je constate :

- qu'il n'existe aucune disposition nationale prévoyant la peine de mort pour des crimes exceptionnels ;

- en outre, le Pérou est signataire de la convention interaméricaine sur les droits de l'homme qui interdit la peine de mort ;

- enfin, le traité impose à l'Etat requis de refuser l'extradition en cas d'application de la peine capitale. Cette interdiction ne pourrait être levée que si l'Etat recevait les garanties que cette peine ne serait ni requise, ni prononcée, ni exécutée.

Voilà bien l'intérêt d'un traité, celui de prévoir l'imprévisible... Pour une analyse juridique complète des stipulations du traité, je vous laisse consulter le rapport.

Paré de ces stipulations protectrices des droits de l'homme, le présent traité devrait permettre d'accroitre le flux des demandes d'extradition, qui jusqu'à présent a été plus que modeste. On dénombre six demandes formulées par la France ces treize dernières années et une seule émanant du Pérou.

Quant aux éléments contextuels liés aux relations que la France entretient avec le Pérou, je rappellerai brièvement qu'avec 65 filiales d'entreprises françaises, la France représente le 16ème investisseur au Pérou (1,5% du stock des investissements directs à l'étranger), l'Espagne étant le principal investisseur étranger avec un cinquième du stock péruvien.

Nos relations économiques sont encore insuffisantes, eu égard aux opportunités offertes par ce pays en forte croissance. Avec un PIB estimé à plus de 200 milliards de dollars en 2013 et un taux de croissance annuel moyen de 6% entre 2002 et 2012, le Pérou est considéré, selon le FMI, comme un « néo-émergent » dans la région. Or ce pays n'a représenté que 0,06% du commerce extérieur de la France en 2012 en se situant au 94ème rang de ses clients et au 76ème rang de ses fournisseurs.

Cette expansion de l'économie s'accompagne de défis sociaux comme a pu l'observer la délégation du groupe d'amitié France-Pays Andins, conduite par notre collègue Philippe Adnot, accompagné d'Alain Néri, de Simon Sutour, Jean-Claude Lenoir et Albéric de Montgolfier. Ils se sont rendus au Pérou du 7 au 14 juin 2013.

L'économie péruvienne se développe cependant dans un contexte politique difficile. Le président Ollanta Humala, élu en juin 2011, et son gouvernement sont confrontés aux problèmes liés à la pauvreté et aux fortes disparités sociales. Le mécontentement a provoqué une forte instabilité gouvernementale avec 7 remaniements depuis en juillet 2011.

Cette présidence a toutefois permis la signature du nouvel accord d'extradition soumis à votre examen. À titre de conclusion, je souhaite insister sur la nécessité de moderniser le lien conventionnel qui nous unit au Pérou en matière d'extradition depuis 1874.

C'est pourquoi, je vous propose d'adopter le projet de loi visant à le ratifier, et de prévoir son examen en séance publique en forme simplifiée, le 18 février à 15 heures.

A l'issue de la présentation du rapporteur, la commission a adopté le rapport ainsi que le projet de loi précité.

Elle a proposé que ce texte fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique, en application des dispositions de l'article 47 decies du règlement du Sénat.

Approbation du deuxième protocole d'amendement à l'accord instituant le groupe aérien européen - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de M. Daniel Reiner et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 656 (2012-2013) visant à approuver le deuxième protocole d'amendement à l'accord instituant le groupe aérien européen.

M. Daniel Reiner, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons ce soir le projet de loi n° 656 (2012-2013) visant à approuver le deuxième protocole d'amendement à l'accord instituant le groupe aérien européen.

Ce protocole, signé à Londres, le 1er mars 2012, de nature essentiellement comptable et financière, m'a permis de constater combien les travaux du GAE étaient utiles.

En effet, fruit d'une initiative à l'origine franco-britannique en 1998, le groupe a été ouvert dès l'année suivante à l'adhésion de l'Italie, de l'Allemagne, des Pays-Bas, de la Belgique et de l'Espagne.

Composé de 30 personnes officiers ou personnels de soutien dont 3 Français, le GAE constitue un état-major permanent installé sur la base de la Royal Air force de High Wycombe, au Royaume-Uni.

Sa mission consiste à améliorer l'interopérabilité tactique entre les 7 armées de l'air participantes. Ce besoin de standardisation des procédures et de coopération a été identifié lors de la première guerre du Golfe et des opérations en ex-Yougoslavie.

En effet, si faire voler ensemble des avions des différentes armées relève d'un savoir-faire bien établi, la cohabitation logistique qui en découle s'avère paradoxalement complexe.

C'est pourquoi, il a été créée une structure dont la mission est de réaliser dans un cadre multinational ce que personne ne faisait, c'est-à-dire des arrangements techniques internationaux ou des manuels consacrés par exemple au vol basse altitude, au ravitaillement en vol, au sauvetage des équipages, au transit aérien ou encore à la sécurité des vols ou à celle des systèmes d'information et de communication.

Les activités du GAE ont également mené à la création de l'European Air Transport Command (EATC).

Enfin, le GAE peut assister d'autres organisations, telles que l'OTAN dans leurs efforts de standardisation des procédures.

Si je me suis permis de m'attarder un instant sur les missions du GAE, bien que non modifiées par le protocole, c'est parce qu'elles me semblent exemplaires, en termes de production de synergie inventive et pragmatique. Dans un contexte de rationalisation budgétaire global, il convient de saluer de tels efforts.

Venons-en justement aux aspects financiers concernés par le Protocole. Le budget global du GAE s'établit en 2014 à un peu moins de 175 000 euros.

La quote-part française au budget commun du GAE, stricto sensu, pour cette même année au GAE s'élèvera à un peu plus de 22 000 euros. Le budget du GAE est abondé, pour la France, sur le Budget opérationnel de programme (BOP) de l'armée de l'air, par le programme 178 « préparation et emploi des forces » de la Mission « Défense ».

L'objet du présent protocole est de simplifier le circuit de paiement des dépenses de soutien du GAE. Actuellement, ces dernières sont facturées par la base de la Royal Air Force de High Wycombe au Groupe qui les transmet ensuite à ses membres afin d'obtenir les moyens de financement nécessaires pour procéder au remboursement de l'Etat hôte britannique.

Le protocole prévoit désormais que le GAE règle directement les factures, au lieu de les faire suivre. Ce paiement sera effectué sur le budget commun qui sera désormais abondé en début d'exercice.

Le circuit de financement est ainsi simplifié. Le GAE gagne en souplesse de gestion. Ce protocole répond également aux nouvelles règles financières adoptées par le ministère britannique de la Défense, conformément aux normes de l'Union européenne (les nouvelles règles ne permettent plus à la Royal Air Force de préfinancer des dépenses du GAE).

Les missions, structures du GAE ainsi que le montant des contributions des Etats ne sont donc pas modifiés par ce protocole. Son objet est celui de la simplification et de l'efficience. C'est pourquoi, je vous propose d'adopter le projet de loi visant à le ratifier, et de prévoir son examen en séance publique en forme simplifiée, le 18 février à 15 heures.

A l'issue de la présentation du rapporteur, la commission a adopté le rapport ainsi que le projet de loi précité.

Elle a proposé que ce texte fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique, en application des dispositions de l'article 47 decies du règlement du Sénat.

Nomination de rapporteurs

La commission nomme rapporteurs :

. Mme Michelle Demessine sur le projet de loi n° 166 (2013-2014) autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela.

. Mme Josette Durrieu sur le projet de loi n° 167 (2013-2014) autorisant la ratification de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses Etats membres et la République de Moldavie.

. M. Jean-Pierre Cantegrit sur le projet de loi n° 1503 (AN-14e législature) autorisant la ratification de l'accord entre la République française et la République fédérative du Brésil en matière de sécurité sociale.

Jeudi 13 février 2014

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Géopolitique de l'Asie du Sud-Est : situation en mer de Chine méridionale et géostratégie des détroits - Audition du Professeur Eric Frécon, d'Asia-Centre

La commission auditionne le Professeur Eric Frécon, d'Asia-Centre, sur la géopolitique de l'Asie du Sud-Est : situation en mer de Chine méridionale et géostratégie des détroits.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Je suis très heureux d'accueillir M. Eric Frécon, pilote de l'Observatoire Asie du Sud-est à Asia Centre, qui enseigne la géopolitique de l'Asie du Sud-Est à Sciences-po et à l'École navale. Cette région, qui nous paraît parfois lointaine, à tous points de vue, émerge comme le nouveau centre du monde. La mer de Chine méridionale, inconnue de la plupart il y a peu, concentre désormais l'attention. Centre économique du monde, mais aussi centre géopolitique, à tel point que le directeur du centre de prévision du ministère des affaires étrangères nous disait la semaine dernière que si une troisième guerre mondiale devait éclater un jour, ce serait en mer de Chine ! Souhaitons que sa « prévision » ne se réalise pas...

Vous allez donc nous éclairer sur cette Asie du Sud-Est écartelée entre une logique d'intégration régionale et une véritable balkanisation face à l'émergence, pacifique ou pas, c'est discuté, en tous cas indéniable, de la puissance maritime chinoise, dans une zone vers laquelle les États-Unis ont affirmé pivoter.

Quel sont les rivalités de puissances qui s'y déroulent ? Pourquoi une telle course aux armements ? Peut-on envisager des modes pacifiques de règlement des différends ? Et surtout, quel peut être le rôle de la France dans une région où nous pesons finalement peu : quelles y sont nos positions et quels y sont nos intérêts : sont-ils économiques seulement, comme on a parfois trop tendance à le croire ?

Au sein de cette commission, nous avons pris l'habitude de travailler ensemble, quelles que soient nos appartenances partisanes : cela n'enlève rien à nos oppositions - en particulier celles entre conservateurs et progressistes, chacun se reconnaîtra... - mais cette façon de travailler nous a paru la meilleure pour comprendre le monde et suggérer des pistes au Gouvernement, dans l'intérêt de la France ; nous y sommes parvenus, puisque nos rapports d'information sont lus jusqu'au plus haut niveau de l'Etat. Cette année, dans cette perspective, nous consacrons une mission à l'Asie du Sud-Est.

M. Eric Frécon, vice-président d'Asia-Centre. - Je suis très heureux et très honoré de cet échange, je vais m'employer à mettre au jour quelques pistes de réflexion et d'action en Asie du Sud-Est.

Premier constat : l'Asie du Sud-Est se caractérise par une très grande diversité, qu'il s'agisse de la géographie, des systèmes politiques, des religions et même des calendriers ; cette diversité tient à ce que cet ensemble est avant tout un carrefour, sur le plan tectonique autant que pour les voies maritimes et le système éolien. Le carrefour devient stratégique dans les grands détroits que sont Malacca et Makassar - ce dernier étant appelé à prendre encore de l'importance, grâce à sa profondeur. L'ensemble géopolitique peut se départager entre sa partie occidentale, développée et sa partie orientale, qui représente encore un front pionnier. Il faut prendre en compte, également, l'ancienneté des échanges au sein de l'ensemble austronésien : des marchands sont allés de l'actuelle Indonésie jusqu'à Madagascar dans notre Antiquité, « l'indianisation » s'est déroulée à partir Ier siècle jusqu'au XIIIème siècle - d'où l'importance de la Look East Policy dans l'Inde actuelle... -, puis il y a eu les Chinois, puis les Musulmans - une islamisation via les marchands et non le Jihad, ce qui fait une différence majeure avec d'autres pays musulmans -, puis, à partir du XVIème mais surtout du XIXème siècle, les Occidentaux.

L'Asie du Sud-Est est-elle toujours un carrefour ? Certainement, à voir les grandes puissances qui se bousculent dans ce sas maritime, en particulier les Américains et les Chinois. Un nouveau « Grand Jeu » semble y avoir même remplacé la Guerre Froide. Dans ce contexte, le défi pour les Etats de la région est d'entretenir des relations harmonieuses entre eux et avec les grandes puissances : l'harmonie - plus que le simple équilibre des forces -, voilà un maître mot dans la région.

Comment les puissances extérieures se présentent-elles dans ce carrefour, quelles sont leurs perspectives ?

Pour les Etats-Unis, l'Asie du Sud-Est est une zone de la politique du pivot, du « rebalancing policy » et de la « defence diplomacy »; cependant, le pivot n'est peut-être pas aussi clair qu'on le dit parfois : ainsi, le président Obama n'a-t-il pas cité une seule fois l'Asie du Sud-Est dans son dernier discours sur l'état de l'Union, c'est un signe à prendre en compte.

Côté chinois, si des incidents se multiplient à propos de territoires encore disputés en mer de Chine, la Chine signe de plus en plus d'accords commerciaux avec les pays de l'ASEAN, tout en menant une defence diplomacy très active, qui passe par des formations conjointes avec d'autres armées, ou encore des coopérations inattendues, par exemple celle (timide) avec les Philippines après le typhon Haiyan ; à signaler aussi que la Chine prépare des voies d'accès en amont du détroit de Malacca, via la Birmanie et une voie ferrée, qui contredit le mythe du « collier de perles », cet ensemble de bases maritimes que la Chine mettrait en place pour assurer la continuité de ses échanges.

Le Japon, lui, revient en force depuis l'élection de Shinzo Abe, l'archipel renforce sa coopération avec les Philippines, le Cambodge, la Birmanie - n'oublions pas que son budget de la défense atteint 50 milliards de dollars.

La Corée du Sud est elle aussi très active en matière de défense, pour la vente d'armements et elle utilise les bourses universitaires pour attirer des élites de la région, en particulier d'Indonésie.

La Russie continue à se ménager des accès à la mer, d'où les liens renforcés avec le Vietnam, les exercices navals avec la Chine et les diverses initiatives prises par Moscou pendant sa présidence de l'APEC en 2012.

Et la France, dans tout cela ? Je dirais que nous sommes très peu présents... mais que cela ne nous empêche pas de commettre des erreurs ! Je pense en particulier à l'Indonésie : en 2011, l'archipel, membre du G20, a pris la présidence de l'ASEAN - mais c'est cette année-là, précisément, que notre ambassadeur a changé, ce qui ne va jamais sans problème de continuité ; le dernier voyage d'un président de la République française remonte à 1986, alors que l'Indonésie est le quatrième pays du monde par la population... Des correctifs sont intervenus récemment, mais nous avons pris de mauvaises habitudes.

Comment réagissent les pays d'Asie du Sud-Est face à un certain entrisme des grandes puissances ? Le maître-mot de leur attitude, c'est le consensus, nous sommes dans une région du monde où le modèle à atteindre est celui de l'harmonie, ce qui se traduit par la recherche constante du consensus - et d'un « équilibre dynamique » que résume cette autre formule de la diplomatie indonésienne : « nous avons des millions d'amis et pas d'ennemi ». C'est cet équilibre qui permet à un pays comme l'Indonésie d'acquérir à grand bruit pour 57 millions de dollars de radars aux Etats-Unis, puis d'y ajouter pour 158 millions de radars chinois... Singapour incarne ce modèle de la recherche du plus grand nombre d'amis : le régime mis en place dans les années 1960 par Lee Kwan Yew, le père fondateur de Singapour toujours en place, pourrait cependant avoir envoyé un message en autorisant des navires de combat américains à stationner dans son port.

Le Vietnam a accepté des patrouilles conjointes avec la Chine dans le golfe du Tonkin, des passerelles existent du fait de l'idéologie communiste, ce qui ne l'a pas empêché de recevoir le secrétaire à la défense américaine Leon Panetta, sur une ancienne base américaine puis soviétique du Vietnam, ni de s'équiper en sous-marins auprès de la Russie.

Quant à la Thaïlande, elle continue de suivre sa diplomatie de bambou, qui plie
- dans toutes les directions - mais ne rompt pas, ce qui vaut aussi pour d'autres Etats de la région, par exemple Brunei.

Quelle institutionnalisation entre les Etats du Sud-Est asiatique ? A quelle porte devrions-nous frapper ? L'Asean compte 630 millions d'habitants, pour un PIB équivalent à environ 70% du PIB français. L'East Asian Summit est actif, avec entre autres les Etats-Unis, la Chine, la Russie, le Japon, mais le moins qu'on puisse dire, c'est que la France aura du mal à s'y faire accepter. Il existe encore des forums thématiques intéressants, comme le Regional Cooperation Agreement on Combating Piracy and Armed Robbery against Ships in Asia (ReCAAP), sur les questions de coopération policière contre la piraterie. Ces pays sont confrontés à des défis communs, comme les divers trafics (personnes, sable, animaux sauvages), le terrorisme et la piraterie, qui sont autant de portes d'entrée pour proposer notre coopération.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Et la lutte contre le trafic de drogue ?

M. Eric Frécon. - Cela ne paraît pas une priorité : si des trafics d'amphétamines existent effectivement, la répression contre la drogue est telle dans cette région du monde, qu'elle est relativement épargnée par la consommation et les trafics. En revanche, la piraterie est bien de retour dans la région : entre 2009 et 2013, le nombre d'actes de piraterie est passé de 15 à 106 en Indonésie, soit bien davantage qu'au large des côtes somaliennes. Des conflits territoriaux perdurent entre Etats : entre l'Indonésie et la Malaisie pour Ambalat, une zone riche en pétrole et en gaz ; au sein même de la Thaïlande, avec le séparatisme d'une partie du Sud, majoritairement musulman. Ce côté « poudrière » est souvent mis en avant, en particulier la course aux armements qui voit les principales armées de la région acquérir des sous-marins, mais je crois que la menace ne doit pas être surestimée, car les Etats d'Asie du Sud-Est coopèrent également.

M. Jean-Louis Carrère, président. - D'autant que la menace de sous-marins paraît peu crédible, dans des eaux aussi peu profondes...

M. Eric Frécon. - C'est vrai. Cela invite du reste à se concentrer sur les principaux enjeux, par exemple le détroit de Makassar.

On parle aussi de la corruption des Etats, mais ce critère ne va pas de soi. Singapour, par exemple, est classé au 5ème rang des pays les moins corrompus par le Corruption Perception Index, alors que l'Indonésie y figure au 114ème rang ; cependant, Singapour est aussi classé au cinquième rang des places financières les plus opaques au monde...

En tout état de cause, on ne soulignera jamais assez l'importance de connaître le terrain, de bien comprendre l'esprit de consensus qui règne dans cette région du monde, mais aussi la force d'idées comme la non-ingérence, l'humilité, la considération, la patience. Regardez bien le logo de l'ASEAN : il représente une gerbe de riz sans corde pour la lier - si les tiges se mettent en gerbe, c'est que chacune l'accepte, sans qu'il y ait besoin de contrainte.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous l'avons bien ressenti, lors d'un déplacement récent en Malaisie et en Thaïlande.

Mme Nathalie Goulet. - Quel impact l'adhésion au groupe des non-alignés a-t-elle sur la diplomatie et le développement de ces pays ? Pensez-vous que la France devrait avoir une représentation permanente auprès de l'ASEAN ?

M. Eric Frécon. - Je pense que ce serait d'autant plus utile que d'autres puissances occidentales y sont représentées. Quant au non-alignement, sa perspective a changé depuis la fin de la Guerre froide : beaucoup plus qu'une posture militante, il s'agit désormais, très pragmatiquement, de pouvoir traiter avec tout le monde, sans contrarier aucune des grandes puissances.

M. André Dulait. - Pensez-vous que l'ASEAN puisse évoluer vers plus d'intégration en matière de défense ? Des Etats coopèrent pour la maintenance de leurs sous-marins, est-ce le prélude à une alliance plus intrusive ? La France, ensuite, se targue d'être une puissance du Pacifique - mais vu du détroit de Malacca, il y a encore loin jusqu'à la Polynésie ! Nous sommes donc peu présents en Asie du Sud-Est : quelles pistes voyez-vous pour l'être davantage ? Quid, enfin, de la présence des Australiens dans la région ?

M. Eric Frécon. - Si l'ASEAN a longtemps pris l'Union européenne comme perspective, sinon comme modèle, elle cherche aujourd'hui sa propre voie, qui fasse une part plus belle au consensus. Une anecdote : j'ai vu un jour, suite à une bagarre sur un terrain de football, le match être suspendu le temps que les deux équipes tiennent une réunion... pour revenir ensuite poursuivre la partie ! Il faut tenir compte, ensuite, de l'échelle interétatique bi ou tri latérale, avec un nombre important d'organisation ad hoc, par exemple en matière de lutte contre la piraterie, ou encore sur l'échange d'étudiants - sans que l'ASEAN en soit saisie.

La France n'est pas très présente, mais quelque 10 000 de nos compatriotes résident à Singapour, c'est loin d'être négligeable. Des entreprises françaises renforcent leur présence - en particulier Thales. Nous pouvons renforcer notre présence de multiples façons, sans renfort budgétaire. Je pense que la visite navale de bâtiments présents dans la région, produit toujours un certain effet - par exemple Le Mistral en 2011. Ensuite, l'échange scientifique de chercheurs est une composante essentielle du soft power d'un pays, nous pouvons faire bien mieux qu'aujourd'hui, d'autant que nos scientifiques sont très appréciés dans la région.

Enfin, l'Australie est bien sûr un acteur majeur de la région, longtemps perçu comme l'adjoint du sheriff américain. Les relations entre l'Australie et l'Indonésie ont été contrariées par une affaire d'espionnage, et il faut signaler également que les militants australiens des droits de l'homme ont le don d'agacer les dirigeants dans la région. Enfin, l'attitude des autorités sur l'immigration clandestine en direction de l'Australie - consistant à fermer les yeux dès que cette immigration ne fait que passer... - compte aussi dans les relations avec les Australiens.

M. André Vallini. - Il paraît étrange que le président Obama n'ait pas mentionné l'Asie du Sud-Est dans son discours sur l'état de l'Union, alors qu'on explique partout que les Etats-Unis se désengagent de l'Europe - et que nous devons, pour compenser ce retrait, accentuer l'Europe de la défense - parce qu'ils se réorientent vers l'Asie et le Pacifique...

M. Jean-Louis Carrère, président. - Le président Obama sera dans quelques semaines en Malaisie.

M. Eric Frécon. - Effectivement, le Trans-Pacific Partnership est présenté comme le nouvel élan de la politique extérieure américaine, mais le président Obama ne l'a pas mentionné dans son dernier discours sur l'état de l'Union - ce qui est interprété comme un signe à son administration. Il faut dire aussi que la politique occidentale contre le terrorisme est perçue avec un sentiment d'ingérence, les Asiatiques présentent souvent la politique occidentale comme arrogante - et il y a un déséquilibre certain entre la présence américaine quand elle se limite à l'envoi de navires-hôpitaux, quand les Chinois investissent par milliards dans l'économie des pays de la région. De fait, pour comprendre l'attitude américaine, il faut aussi considérer les priorités intérieures de l'administration Obama ainsi que ses contraintes budgétaires. Quoiqu'il en soit, les Américains sont bien présents, voyez la présence de John Kerry sur le terrain pour tenter de relancer les négociations entre les deux Corées, ainsi que les signes envoyés par les Etats-Unis en matière de défense aux Etats de la région.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Lors de notre déplacement en Malaisie et en Thaïlande, nous avons pu constater combien nos interlocuteurs étaient disposés à une présence plus affirmée de notre pays - la Malaisie est notre cinquième client en matière de défense - mais aussi, qu'ils demandaient plus de considération de notre part. Nous avons fait passer le message et j'ai aussi invité le vice-ministre de la défense malaisien à l'Université de la défense qui se tiendra à Bordeaux, en présence notamment du vice-Premier ministre russe à la défense : c'est un signe de notre considération. Je crois utile, aussi, que notre ministre de la défense se rende bientôt en Malaisie... avant d'aller à Singapour, c'est un détail qui a son importance.

Je ne partage pas, ensuite, l'idée que la politique américaine du pivot, la rebalancing policy, toucherait à sa fin ou même qu'elle marquerait une pause : les diplomates américains nous interrogent fréquemment sur nos liens d'amitié avec des pays de la région, des militaires de haut rang s'y rendent régulièrement ou y séjournent et le président Obama a prévu de se rendre bientôt en Malaisie...

M. Robert del Picchia. - Je crois utile de nommer un représentant permanent auprès de l'ASEAN, dont le suivi représente assurément un temps plein. Pourquoi, ensuite n'évoquez-vous pas Taïwan ? L'importance de Singapour, enfin, se mesure à bien des indicateurs, dont le moindre n'est pas le Singapore Airshow, le plus grand salon aéronautique de l'Asie - où Airbus devrait vendre des avions ravitailleurs à Singapour.

M. Jean-Louis Carrère, président. - L'importance de Singapour n'est-elle pas surestimée ? Les compagnies aériennes Thai et Malaysian commandent autant d'avions que la Singapore Airlines, de même que la compagnie low cost Air Malaysia est présente autant à Kuala Lumpur qu'à Singapour... N'y a-t-il pas un effet de mode à parler surtout de Singapour ?

M. Eric Frécon. - Je ne connais pas précisément la situation de Taïwan, qui n'est pas membre de l'ASEAN - mon collègue Stéphane Corcuff répondrait bien mieux que moi à vos questions sur le sujet.

Sur les relations entre Singapour et Malaisie, je ne saurais être parfaitement neutre, ayant vécu trois années à Singapour. Il est vrai que ce pays ne compte que 5 millions d'habitants, dont 3 millions de citoyens singapouriens, mais c'est aussi le deuxième port de containers et la quatrième place financière au monde, le premier budget de défense de la région et un véritable pôle culturel, passé maître du soft power en Asie du Sud-Est.

Singapour est également parvenu à un très bon niveau de structural power, c'est-à-dire la capacité à influer sur l'agenda international ; le pays est numéro un mondial pour les conférences internationales et c'est un peu devenu « the place to be ».

M. Jean-Louis Carrère, président. - Est-ce que cela peut durer ?

M. Eric Frécon. - Les choses évoluent certainement, Singapour vient de connaître sa première grève depuis 1986 et les premières émeutes depuis 1969. Notre intérêt est de consolider nos relations sur le long terme, de développer des relations d'amitié - en matière de défense, je crois beaucoup à l'utilité des échanges d'élèves officiers.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je crois que l'Asie du Sud-Est est bien trop méconnue dans notre pays et que nous avons du retard à rattraper. J'ai effectué une mission il y a trois ans au Japon, nos échanges ont été très positifs, mais il n'y a pas eu de suivi, c'est regrettable. Nous avons des progrès à faire en matière de defence diplomacy - l'IHEDN, du reste, n'est ouvert que depuis peu à l'international. Enfin, je crois que les Etats-Unis ont fait le pivot et que les Américains - je le sais de source directe - considèrent que les Européens peuvent se défendre tout seuls : en d'autres termes, le parapluie américain s'est refermé.

M. Jacques Gautier. - Je ferai une remarque à contre-courant de ce qui vient d'être dit. Le Livre Blanc sur la défense ayant confirmé combien nos moyens diminuent, le plus utile et le plus efficace pour notre présence internationale serait peut-être de nous concentrer sur notre « pré carré », de l'Afrique de l'Ouest au détroit d'Ormuz, plutôt que de se disperser sur des théâtres où, de toute façon, nous ne compterons pas.

M. Eric Frécon. - Attention, la soft diplomacy n'est pas toujours onéreuse, surtout vu ce qu'elle rapporte dans la durée.

M. Jean-Louis Carrère, président. - C'est vrai aussi pour la gestion des escales de nos bâtiments militaires : l'idée est à retenir.

M. Eric Frécon. - Une représentation permanente à l'ASEAN serait aussi un signe très positif.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Merci pour cet échange de vues, très utile à nos travaux.