Jeudi 20 février 2014

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.-

La réunion est ouverte à 9 heures 30.

Les stratégies de l'Etat : publications de documents administratifs et mise à disposition de données publiques - Audition de M. Xavier Patier, directeur de la direction de l'information légale et administrative (Dila)

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nous ouvrons le deuxième volet de nos auditions en nous penchant à présent sur l'offre des administrations et sur les réponses apportées aux attentes des usagers. Nous allons tout d'abord entendre le directeur de la direction de l'information légale et administrative (Dila), M. Xavier Patier, haut fonctionnaire que sa carrière a conduit à la chambre régionale des comptes et dans plusieurs cabinets, à Chambord et dans le secteur de l'édition privée. Plus inhabituel, il est l'auteur de nombreux ouvrages littéraires.

La Dila occupe une position centrale dans le dispositif de diffusion légale d'information administrative et d'édition publique. Nous souhaitons que vous nous présentiez ses missions, outils et moyens, l'analyse des attentes du public et les réponses que la Dila propose, les partenariats qu'elle a développés, notamment avec les éditeurs juridiques, et enfin l'évolution de son modèle économique.

M. Xavier Patier, directeur de la Dila. - La diffusion des données publiques est au coeur de notre activité, c'est notre métier. Nous ne sommes pas une administration qui produit de la donnée pour son usage pour l'ouvrir ensuite éventuellement à d'autres. Les données que nous traitons sont dès l'origine destinées à être mises à la disposition du public. Le vers de Victor Hugo s'impose, même si l'on est loin de l'amour maternel : « Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier ». La consommation de l'information par l'un ne prive pas les autres. « Nul n'est censé ignorer la loi », énonce le code civil. Cette mission qui consiste à porter la loi à la connaissance de tous, a vu évoluer ses moyens au cours de l'histoire : crieurs publics, tambours, affichage, pigeons voyageurs à une certaine époque, internet ou radio, tout a été essayé. Jusqu'à un temps récent, cet accès à la loi n'était pas gratuit et le Journal officiel était payant. Nul n'était censé avoir gratuitement accès à la loi. Actuellement, la consultation du site Légifrance est gratuite, c'est une nouveauté.

Un décret de 2010 a redéfini les missions de la Dila et fusionné la Documentation française et le Journal officiel. Une première mission est la diffusion légale - loi, norme ou règlement - que nous assurons par le biais du Journal officiel et de Légifrance. Deuxième mission : nous diffusons l'information administrative, grâce au site service public.fr, plébiscité, puisqu'il a enregistré 207 millions de visiteurs l'an dernier, et par le biais du 3939, service téléphonique de renseignement administratif. Dans le cadre de notre mission de transparence économique, nous publions les annonces des marchés publics, les annonces civiles et commerciales - plus de 2 millions par an - et des annonces concernant la vie associative. Enfin, nous participons au débat public, en publiant les débats du Parlement, mais aussi des revues et des ouvrages expliquant les politiques publiques - ce sont les publications de la Documentation française. Crémieux-Brilhac, pour décrire la stratégie éditoriale formulée à la Libération, disait que ces publications devaient faire la synthèse et poser la problématique du sujet. Nous continuons à suivre ce principe, en traitant par exemple la question de l'exploitation des gaz de schiste sans défendre aucune thèse. Ainsi définies, nos quatre missions sont un continuum, visant toutes à faire progresser la démocratie et l'Etat de droit par la connaissance : les citoyens sont intelligents, on ne leur en dira jamais trop.

Nous exploitons tous les supports, papier ou moyens dématérialisés. La tradition de la Dila est d'avoir toujours une longueur d'avance. La Gazette, en 1631, fut le premier périodique français imprimé ! Nous avons été les premiers à ouvrir l'accès légal aux citoyens, grâce au Journal officiel électronique, disponible sur minitel, au 3615 Joel. Actuellement, nous sommes en avance dans le développement des applications mobiles destinées à faciliter la diffusion de l'information légale et administrative.

La Dila est financée par le biais d'un budget annexe de l'Etat. Nous devons équilibrer les dépenses et les recettes et dégager un excédent d'exploitation. De ce point de vue, notre métier est de vendre des données. Récemment, nous sommes parvenus à prendre le tournant de la dématérialisation de la diffusion des données sans faire baisser notre chiffre d'affaires. Cela tient à la mise en place d'une stratégie consistant non plus à vendre des annonces publiques, mais un service - hotline, alertes thématiques,... - qui facilite la mise en relation de l'entrepreneur et de l'acheteur.

Pour mesurer l'efficacité des services que nous rendons, nous observons les pratiques des gens. Les abonnés au Journal officiel dans sa version papier sont tombés de 60 000 en 2000 à moins de 3 000 en 2014. Mais, dans le même temps, le nombre d'abonnés au sommaire électronique n'a cessé d'augmenter et dépasse désormais 70 000. Le site de Légifrance a enregistré 97 millions de visiteurs l'an dernier, soit plus de visites que de Français ! Un vrai phénomène de société ! Jules César disait que la Gaule était un pays d'avocats... Le site service public.fr a enregistré l'an dernier 207 millions de visites, soit une fréquentation en hausse de 35 %. Il est devenu un réflexe de la vie quotidienne pour effectuer nombre de démarches - changement d'adresse lors d'un déménagement, inscription des enfants à l'école, enregistrement de l'achat d'une voiture. Les enquêtes de satisfaction sont bonnes : plus de 90 % des utilisateurs de Service public se déclarent satisfaits. Des appels mystères externalisés ont été passés sur 3939 pour contrôler la qualité de la réponse apportée. Nous avons également rappelé certains usagers, pour qu'ils nous disent à froid, quinze jours après, si les renseignements fournis leur avaient été utiles. Ces contrôles ont tous donné de très bons résultats.

Les pratiques témoignent d'une fracture générationnelle plus que d'une fracture numérique. Les moins de 30 ans consultent internet non plus sur un ordinateur fixe, mais sur leur téléphone mobile. Ils naviguent sur des réseaux sociaux plutôt que sur des sites. Nous nous sommes adaptés à ces comportements nouveaux, en ouvrant nos propres comptes Twitter et Facebook, dans lesquels nous publions des alertes renvoyant aux sites de Légifrance ou de la Documentation française. Le nombre de nos suiveurs sur ces comptes reste modeste - 50 000 environ - mais nous sommes très souvent retwittés sur des sujets qui n'ont pourtant rien d'alléchant.

La Dila se nourrit des partenariats qu'elle a naturellement noués, en tant qu'administration rattachée aux services du Premier ministre, comme éditeur de documents provenant des différentes administrations, à travers la marque de La Documentation française, et comme dernier maillon dans l'édition des travaux du Parlement et des règlements ministériels. Nous avons également mis en place des partenariats avec les collectivités territoriales, grâce à un système de comarquage qui permet de mettre en lien le site service public.fr et celui d'une petite commune. Lorsqu'ils doivent effectuer une démarche sur le site de leur commune, les utilisateurs sont renvoyés à l'ensemble des fiches relatives au sujet sur le site service public.fr, à partir duquel, en retour, ils peuvent trouver jusqu'aux horaires d'ouverture de leur mairie mis à jour par la mairie elle-même. Toutes les collectivités territoriales ne sont pas comarquées, mais nous nous efforçons de développer ce système car pour nos concitoyens, la caisse d'allocations familiales, le conseil général, la commune ou l'Etat forment un tout administratif ; notre site a vocation à être le plus englobant possible.

Nos bases de données intéressent les éditeurs juridiques, qu'il s'agisse de la jurisprudence, des conventions collectives, de données économiques, des annonces de marché public ou des annonces civiles et commerciales. Jusqu'à présent, notre politique de licence a consisté à céder l'intégralité de ces bases de données à des rediffuseurs pour un prix modique. Nous n'avions pas prévu de licence gratuite, car la relation commerciale a la vertu de pousser à l'excellence du service. Le rediffuseur qui a payé est fondé à avoir un interlocuteur au téléphone et des fichiers au format Xml. A partir du mois prochain néanmoins, sur décision du comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (Cimap), nos bases de données seront disponibles gratuitement, en open data, mais sous licence avec un certain nombre d'engagements des rediffuseurs, afin notamment de protéger les données à caractère personnel. Nos données jurisprudentielles sont en principe toutes anonymisées. Sauf accident, aucune donnée personnelle n'est mise en ligne ni n'apparaît dans les bases que nous rendons diffusables.

Même si l'accès à nos données est ouvert gratuitement, nous voudrions continuer à offrir des services marchands aux rediffuseurs de données, sous la forme d'une offre premium incluant une assistance technique, un système d'alertes, une hotline et peut-être un label Légifrance ou Dila dans la réutilisation. L'Etat doit valoriser ses données. C'est un débat que le passage à l'open data relance. Les plus gros éditeurs ne souhaitent toutefois pas que nous en fassions trop. En fait, l'Etat n'a pas cessé d'améliorer le service, sans pour autant nuire aux éditeurs.

Le modèle économique de la Dila est tout à fait original mais s'apparente à celui des groupes multimédias qui possèdent des journaux gratuits, comme Metro ou 20 minutes. Notre chiffre d'affaires est d'environ 200 millions d'euros hors taxe. Il est constitué à plus de 80 %, 90 % par les bénéfices tirés d'un type particulier de publicité, celle des annonces des marchés publics et des annonces civiles et commerciales, auxquels s'ajoute la vente de produits déficitaires, comme le Journal officiel en version papier dont le coût de production est devenu très supérieur au prix de vente. Les fortes marges que nous faisons sur la publicité financent le développement de services gratuits comme le renseignement administratif par téléphone, qui ne sont pas financés par l'impôt. Les publications de la Documentation française sont également déficitaires. Les tirages sont souvent marginaux - une revue sur la politique européenne ne se vend pas à des millions d'exemplaires - mais ces publications sont nécessaires, car aucun autre éditeur privé ne voudrait les assumer.

La vente de nos données aux diffuseurs aurait pu constituer une ressource nouvelle, à laquelle nous renonçons dès lors qu'est mis en place un système d'open data gratuit. Une autre ressource pourrait être l'ouverture de nos sites à la publicité commerciale. La prudence s'impose néanmoins, car on ne peut barioler un site comme service public de publicité commerciale. Puisqu'elle dispose de capacités de stockage importantes, la Dila pourrait offrir un service d'hébergement aux systèmes d'information des administrations. Nous y travaillons avec la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication (Disic), au profit d'autres administrations. Nous avons commencé à proposer des services de formation en ligne ou e-learning. Nous ne sommes pas capables cependant d'imaginer un avenir sans annonces commerciales et de marchés publics. Notre souci n'est pas de gagner de l'argent, mais de gagner de l'argent pour financer nos services gratuits. La Dila possède une forte légitimité comme fournisseur d'informations - Légifrance est «  le plus court chemin entre la loi et vous ». Les utilisateurs veulent davantage et nous leur apportons, de plus en plus, des solutions, à partir d'outils comme les téléphones portables, solution qui sont offertes mais qui ont un coût d'exploitation qu'il faut financer. Il nous faut être très offensifs pour défendre notre modèle mais nous sommes très à l'aise avec la démarche d'open data telle qu'elle s'est décidée sous la conduite de la mission Etalab avec laquelle nous sommes en contact permanent.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Nous vous remercions pour cet exposé clair, précis et exhaustif. Le rapporteur spécial pour votre budget annexe, notre collègue Philippe Dominati, regrettait que la Dila, au lieu d'augmenter ses tarifs, ne cherche pas à augmenter son chiffre d'affaires sur les activités concurrentielles ; il déplorait que 80 % des recettes proviennent d'activités où la Dila est en situation de monopole. Ne craignez-vous pas que cette situation de monopole puisse être un jour revisitée ? Pourriez-vous préciser les pistes les plus innovantes pour que votre direction accroisse ses recettes ? Etes-vous totalement libre du choix de vos publications ? Enfin, envisagez-vous de publier dans une version papier ou sous un format électronique le répertoire des oeuvres spoliées tel qu'il a été stabilisé en 1954 ? Cette question un peu particulière a également été posée au ministère des affaires étrangères et au ministère de la culture.

M. Xavier Patier. - Je suis tout acquis au programme de M. Dominati, le seul problème, c'est que le secteur marchand ne nous laissera pas faire ! Nous ne sommes d'ailleurs pas un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) et nous sommes très surveillés. Dire que 80 % de nos recettes viennent de notre situation de monopole n'est pas très fidèle à la réalité. Nous n'avons pas le monopole des annonces de marchés publics inférieurs aux seuils des marchés européens, le journal Le Moniteur ou la presse quotidienne régionale sont des concurrents directs. Notre combat est d'abord commercial. En 2011, nous avons dématérialisé le bulletin des marchés publics, sans perte, avant un changement complet de la philosophie de la tarification. Auparavant, les annonces de marchés publics étaient facturées à la ligne. Nous avons mis en place un forfait dématérialisé et nous avons endossé de nouvelles fonctions d'entremetteur entre l'acheteur et l'entreprise : une application mobile donnant accès à des alertes à partir de mots-clefs permet au couvreur-zingueur de Dordogne d'accéder depuis son téléphone mobile à une liste d'appels d'offres. Actuellement, nous comptons plus de 40 000 abonnés à ce service, essentiellement des PME. Une telle initiative contribue à nous assurer des parts de marché. D'autres idées de relais de croissance existent, à des degrés de maturation inégaux. Le principe général est d'améliorer le service car l'Etat ne peut pas se borner à diffuser le droit brut. Déjà en 1840, Le Moniteur commentait la loi.

Le Journal officiel fait l'objet d'un travail de mise en forme peu connu, mais important, sur la typographie, notamment. La Documentation française publie 400 nouveautés par an, y compris les revues. Aucun système centralisé de validation n'existe. Notre liberté éditoriale est totale, mais c'est une liberté consciente. Une de mes fonctions est d'être directeur de publication des revues éditées par la Documentation française. Un comité bimestriel sur la stratégie éditoriale valide les axes de nos choix éditoriaux. Nos responsables de publication font le reste. Cette liberté s'exerce aussi sur notre site Vie Publique où l'on explique la politique en train de se faire. Ce site a enregistré 10 millions d'entrées. Nous devons faire preuve de discernement pour réaliser la synthèse et la problématique - j'en reviens à la formule de Crémieux-Brilhac - ce qui nous permet d'être présents sur des sujets d'actualité en toute impartialité. Nous sommes les éditeurs de l'Etat, pas du Gouvernement.

Je prends note de votre question sur la réédition du répertoire des oeuvres spoliées.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Vous avez dit que le Journal officiel dans sa version papier ne comptait plus que 3 000 abonnés. Son coût de production au numéro doit être extraordinaire !

M. Xavier Patier. - Le Journal officiel suit le modèle économique d'un journal papier. Un abonnement coûte 340 euros par an, pour 302 numéros, soit 6 numéros par semaine. C'est très inférieur au prix de revient du journal. Le dispositif d'impression a été calibré pour que la loi de finances - soit plus de 500 pages - soit publiée dans les 24 heures, avant le 31 décembre. En effet, en l'état du droit, pour que la loi soit opposable, elle doit être publiée en version papier et en ligne. Hormis ce cas particulier, pendant le reste de l'année, nous pouvons prendre d'autres charges ; nous imprimons par exemple pour la délégation de la sécurité routière, la préfecture de police, le ministère de l'intérieur. Dans les trois ans à venir, il est prévu que nous arrêtions de publier le Journal officiel en version papier. Cela ne nous fera pas faire d'économies, mais nous conduira à réorganiser notre imprimerie. Au lieu d'impression sur papier 45 grammes à l'encre noire, nous publierons sur du papier feuille, en couleurs, des revues ou des documents.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Quel est votre point de vue sur la loi de 1978 ? Les auditions précédentes ont montré qu'elle était pour certains un outil précieux qu'il n'y a pas lieu de modifier, tandis que d'autres souhaitaient qu'elle évolue.

M. Xavier Patier. - Parlez-vous de la loi sur la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ou de celle relative à la commission d'accès aux documents administratifs (Cada) ?

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Il est vrai que ces deux lois sont imbriquées !

M. Xavier Patier. - La Cada est antérieure à l'ère internet. Elle devait contribuer à transformer la culture de l'administration. Au départ, elle devait être provisoire. L'idée qui a présidé à sa création est qu'il y a un plus grand pouvoir à donner des informations plutôt qu'à les dissimuler. La Cada a souvent été utilisée dans un cadre individuel, dans une logique de contentieux. Rien à voir avec l'open data ! La Cnil contribue à la protection des données personnelles. Nous n'avons jamais suscité une saisine de la Cada, car nous n'avons jamais refusé de communiquer un document.

Nous constatons la montée parallèle de deux exigences contraires, la protection des données personnelles et la généralisation de l'open data. La Dila détient des données personnelles, qu'elle rend anonymes ; cette transformation est complexe et très coûteuse. La transposition de la directive de juin 2013 pourrait être l'occasion d'ouvrir un chantier législatif, dans le prolongement de la réflexion menée par Etalab au sein du conseil d'orientation de l'édition publique et de l'information administrative (Coepia) sur les scénarios de transposition possibles.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Je vous remercie.

Audition de M. Michel Pinault, président du conseil d'orientation de l'édition publique et de l'information administrative (Coepia)

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nous accueillons M. Michel Pinault, président du conseil d'orientation de l'édition publique et de l'information administrative (Coepia) qu'accompagnent MM. Olivier Garnier et Eric Gristi, respectivement secrétaire et secrétaire-adjoint du Coepia. Après une longue carrière au Conseil d'Etat, où vous avez présidé jusqu'à récemment la section de l'administration, interrompue par une douzaine d'années à l'UAP puis chez AXA, vous présidez le Coepia depuis un an. Pourriez-vous nous rappeler les missions du conseil, les enjeux de la publication des documents administratifs et de l'ouverture des données publiques ; nous décrire la situation en la matière, notamment la cartographie des sites de l'administration et de ses bases de données, la qualité des contenus et les politiques de réutilisation, l'état et la standardisation des référentiels ? Pensez-vous qu'il est répondu aux attentes des citoyens et des entreprises et que les objectifs fixés par le Gouvernement, le G8 et la directive de 2013 sont atteints ? Quelles seraient vos recommandations, notamment en matière de priorité, de rationalisation et de mutualisation?

M. Michel Pinault, président du Coepia. - Le Coepia est un organisme original. Il ne fait pas partie de l'administration active et n'est pas un opérateur comme la Dila ou le Service d'information du Gouvernement (SIG). C'est un forum où se rencontrent administrations, grands opérateurs publics et représentants du secteur privé. Il a été créé à la suite de la publication des circulaires Jospin destinées à pacifier les relations entre éditeurs publics et privés. Il comprend plusieurs formations, une formation plénière réunie deux fois par an et, à l'initiative du président, trois formations spécialisées : l'une travaille sur l'information administrative des usagers, la deuxième sur la réutilisation des données publiques, la troisième, que je préside, traite de la politique de publication des administrations. Des groupes de travail sont constitués au sein de chaque formation. Autre originalité du Coepia : il fonctionne sur la base du volontariat. Participent à nos travaux ceux qui y sont intéressés et qui sont à même de contribuer à nos discussions...il nous faut donc être attractifs ! Cette méthode favorise les échanges de bonnes pratiques et de réflexions. Nous essayons d'identifier les faiblesses françaises en matière d'information administrative et formulons des recommandations. Nous n'avons aucun pouvoir décisionnel. Nous auditionnons de nombreux sachants. Nous éditons une lettre mensuelle numérique diffusée à plus de 600 personnes et un rapport annuel remis au Premier ministre.

Nous exerçons notre triple mission d'évaluation, d'expérimentation et de conseil dans les domaines de l'édition publique, papier comme numérique, du renseignement administratif et de la mise à disposition des données publiques. Notre décret fondateur, en date du 11 janvier 2010, était prémonitoire : il évoquait la réutilisation des données publiques - on dirait désormais open data. Nous entretenons de bonnes relations avec la Dila, qui met certains de ses fonctionnaires à notre disposition, comme avec l'Agence du patrimoine de l'Etat (AAPIE) et les grands ministères, notamment l'intérieur, l'éducation nationale, l'environnement et le développement durable ainsi qu'avec les grands opérateurs : l'Institut géographique national français (IGN), Météo-France, l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Nous tirons beaucoup d'enseignements des méthodologies que l'Insee a mises au point pour garantir un accès aux données sensibles dans de bonnes conditions. De nombreuses questions ont été résolues par les statisticiens. En ma qualité de président du Coepia, je participe en outre aux travaux sur l'utilisation et la réutilisation des données de santé dans le cadre du groupe de travail institué par Mme Marisol Touraine. Dans ce secteur, les données sont disponibles... sinon accessibles.

L'Etat et les administrations locales, les grands services publics, les organismes de sécurité sociale occupent une place importante dans notre modèle républicain et dans la vie de nos concitoyens. Aussi, la facilité d'accès à ces administrations, aux renseignements administratifs est-elle cruciale. Nous avons des progrès à faire. Le sujet, autrefois orphelin, a été pris en main par la direction interministérielle de la modernisation de l'action publique (Dimap), et le comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (Cimap). Nous travaillons en symbiose avec eux. Avec un brin d'immodestie, je dirai que le Coepia est le think tank du Cimap. Les attentes sont considérables et certains organismes ont pris de l'avance. Les caisses nationales de sécurité sociale, de l'assurance vieillesse des travailleurs salariés, de l'assurance maladie des travailleurs salariés, des allocations familiales ont développé des dispositifs intéressants de contact avec le public.

Nous avons pris l'initiative de réunir les principaux responsables des plates-formes téléphoniques des organismes privés ou publics afin qu'ils aient des échanges sur les bonnes pratiques. Ils ont été si contents qu'ils ont constitué dans la foulée une sorte de club d'échanges et de réflexion sous l'égide de Bercy.

Selon nous, il est important de « segmenter les publics », pour utiliser un langage marketing, autrement dit de calibrer la diffusion des informations en fonction de la tranche de population visée. L'information administrative est souvent de très bonne qualité mais elle n'est pas toujours adaptée à ses destinataires. Même un conseiller d'Etat peine à comprendre certains formulaires administratifs ! Il faut aussi calibrer les instruments. Les fonctionnaires du service d'accueil téléphonique du 3939 de Metz fournissent un travail remarquable mais ce service est coûteux et ne peut être utilisé comme premier contact vocal. Le téléphone mobile devient le principal mode d'accès à l'information administrative. Nous travaillons sur la mise en place d'applications mobiles. Cet outil oblige à être simple. C'est pourquoi nous recommandons désormais aux organismes que nous conseillons, à rebours de la pratique courante, de concevoir leurs applications mobile avant leur site internet.

Dans le domaine de l'information administrative, il convient de simplifier, de mutualiser et d'assurer la cohérence et l'homogénéité de l'information délivrée tout en mesurant les résultats et en maîtrisant les coûts. Nous sommes favorables à l'introduction d'une comptabilité analytique au sein des opérateurs et des grandes administrations, ce qui permet d'identifier les coûts, à l'image de la nouvelle obligation imposée à l'Etat par le règlement général de comptabilité publique de 2012, de manière à identifier les coûts de diffusion de l'information. Actuellement dans les programmes de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), l'activité de publication n'est pas identifiée en tant que telle dans les différents ministères ; elle est retracée dans les comptes « communication, « frais de personnel », « frais de fonctionnement ».

Le risque principal reste, aujourd'hui comme hier, celui de l'éparpillement, de la dispersion. Les circulaires Jospin, la Médiatrice de l'édition publique, ont marqué une première étape, achevée sauf peut-être du côté des collectivités territoriales, centrée sur le contrôle des publications imprimées. Dans un second temps - l'étape Riester, en quelque sorte - l'effort a été porté, là encore avec succès, sur la limitation de la prolifération des sites ministériels. D'un peu plus d'un millier de sites, on est passé à moins de 500, mais il faut rester vigilant. C'est le SIG qui pilote la troisième étape. L'enjeu actuel est celui des réseaux sociaux. Les ministères les utilisent déjà pour toucher les jeunes, je pense au ministère de la défense qui y a recours pour recruter les militaires du rang. Le Coepia a publié une étude sur les bonnes pratiques pour gérer les réseaux sociaux. Nous proposons des guides d'utilisation aux ministères. Les jeunes n'utilisent plus le courrier et trouvent l'ordinateur lent. Nous demandons que chaque ministère définisse une politique de publication couvrant tous ces aspects.

En matière de cartographie des sites de l'administration, des bases de données et des traitements, nous avons d'abord travaillé sur les sites juridiques. Outre Légifrance, qui est un instrument remarquable, de nombreux ministères diffusent une information juridique sur leurs sites. Il s'agit souvent de la mise sous forme numérique des anciens Bulletins officiels des ministères. Nous les avons recensés ; ils ne peuvent fonctionner qu'avec une autorisation du Secrétariat général du gouvernement. Certains de ces sites sont d'une grande utilité. C'est le cas du bulletin officiel des finances publiques-impôts (Bofif) qui remplace l'ancien système de publication des instructions fiscales de la direction générale des impôts (DGI). La base de données est impressionnante. Après des débuts compliqués, le portail fonctionne très bien. On ne peut en dire autant de la base de données des traités internationaux du ministère des affaires étrangères. Sans vouloir jeter la pierre aux services du ministère, elle a été conçue comme une base d'archives et non comme une base active dotée d'un moteur de recherche, ce qui la rend difficile à utiliser. En l'état, il est délicat de comprendre si un traité mis en ligne a abrogé ou s'est substitué à un traité plus ancien également consultable. Il est important de remédier à ces difficultés compte tenu de la place du droit international dans la hiérarchie des normes.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - La Cour de cassation, et dans une moindre mesure le Conseil d'Etat, ne manquent pas de nous la rappeler fréquemment...

M. Michel Pinault. - Il n'y a pas d'homogénéité de présentation des sites de l'Etat. Il existe bien une charte graphique mais elle est utilisée de manière différente par chaque ministère : l'une fait apparaître la Marianne et le drapeau tricolore sur son site, l'autre non. L'utilisateur ne sait pas immédiatement qu'il se trouve sur un site de l'Etat avec la garantie de contenu que cela implique. C'est dommage ! Un effort a été réalisé sur les sites de l'Etat dans les départements et les régions, il doit être mené à présent au niveau central, avec mise à l'image, charte des couleurs... Il y a là un enjeu d'identification et de sécurité, qui a été bien compris au Canada ou au Royaume-Uni. Ces exemples peuvent nous inspirer.

Sous l'impulsion de l'open data, la réutilisation des données constitue un mouvement irrésistible, ainsi qu'Henri Verdier, qui siège au Coepia, l'a souligné lors de notre débat hier sur la transposition de la directive de juin 2013. Il convient toutefois de bien cerner son champ. Ce qui est ouvert dans l'open data, ce sont des données brutes, le plus souvent chiffrées. L'accessibilité à ces données en vue de leur réutilisation ne se confond pas avec le droit d'accès à l'information administrative au sens de la loi de 1978 ou avec la transparence de l'action publique, même si elle y contribue. La gratuité de l'accès aux données doit être gérée de manière moderne et intelligente. Le rapport remis par M. Trojette sur l'ouverture des données publiques comporte des développements très intéressants sur ce point. Le site data.gouv.fr, qui a été rendu beaucoup plus convivial et plus accessible, comporte deux compartiments distincts, le premier contient des données brutes, les fichiers estampillés par l'Etat ; les opérateurs comme IGN ou Météo France déposent, sous leur responsabilité, leurs propres traitements dans le second. Le sujet est en constante évolution. L'idée de réutilisation des données est apparue pour la première fois dans l'ordonnance du 6 juin 2005 relative à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, qui s'est greffée sur la loi de 1978. Mais l'approche de ce texte est datée ; la problématique n'est plus aujourd'hui d'organiser l'accès individuel à des documents administratifs existants. La transposition de la directive de 2013 nous donne l'occasion d'adapter notre législation au nouveau contexte technique. Cela relève d'un choix politique car notre droit est globalement conforme à la directive et la transposition pourrait être effectuée a minima. Je suis en règle générale hostile au goldplating, cette technique consistant à saisir le prétexte d'une directive pour révolutionner un domaine, mais en matière d'ouverture des données, la législation doit être adaptée. Aux anciennes problématiques de protection des libertés publiques et des droits individuels, traitées par les lois ayant créé la Cnil et la Cada, s'ajoutent des enjeux économiques importants qui ne sont pas appréhendés par ces textes : autour de l'open data, des industries nouvelles créatrices de richesses vont émerger, ce que la législation doit prendre en compte.

De grands mouvements sont en cours dans la standardisation des référentiels au niveau international : web sémantique, web des données, big data, métadonnées... pour rendre plus efficaces les moteurs de recherches. La structuration de l'univers des données disponibles est en marche. Il ne faut pas la craindre mais y prendre notre part. Nous avons suggéré au Secrétariat général du gouvernement que l'écosystème français du web participe à l'initiative européenne ISA (Interoperability Solutions for european public Administrations).

Le bilan des stratégies d'ouverture des données des administrations est positif. La licence Etalab a été mise en place. Reste en discussion les contenus que les administrations doivent mettre en ligne sur data.gouv.fr. L'open data requiert de donner au public ce dont l'administration dispose pour son propre travail. Parfois ces outils de travail internes sont illisibles par le grand public et inutilisables par les tiers. Un partage efficace suppose leur transformation... qui a un coût. Correspond-t-elle à une obligation de service public ? Il convient à notre sens de l'envisager comme une politique publique, dans un contexte bien sûr de réduction des crédits de fonctionnement.

Le Coepia est à l'origine de la circulaire du 29 mars 2012 relative à l'efficience des activités de publication de l'Etat. Nous avons publié une «  Fiche d'aide à la décision de publier à l'usage des administrations », une «  Grille d'analyse des activités de publication », un «  Guide d'amélioration de la qualité de l'information administrative » et un memento sur « La protection des informations à caractère personnel dans le cadre de l'ouverture et du partage des données publiques ». Ce memento a reçu l'imprimatur de la Cada et de la Cnil.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure.- Votre exposé exhaustif nous conforte dans l'idée que notre mission, que d'aucuns jugent inutile ou relevant de la lubie, porte sur un véritable sujet d'intérêt général. Dans le cadre de vos travaux, êtes-vous en contact avec des universitaires ou des pratiquants hétérodoxes d'internet, voire non conformes, tels que les élus du parti pirate allemand ou d'un parti très controversé en Italie qui comprend des activistes très proches de ces thématiques ? De jeunes interlocuteurs usagers des nouvelles technologies me disent que je suis restée à l'ère du cheval et de la calèche quand ils sont déjà à celle de l'automobile. Comment changer d'ère, partager plus et nous rapprocher d'eux pour prendre les bonnes décisions ? Notre mission consiste à faire un état des lieux pour proposer des solutions. A l'aune de la loi de 1978, qu'on l'envisage comme un idéal à consolider ou comme un texte à retoucher, quelles sont les priorités ?

M. Michel Pinault- Des représentants de l'écosystème du web aux pratiques iconoclastes, tels Regards citoyens et Open Knowledge Foundation (OKF) siègent dans notre formation restreinte n° 2. Leur présence est essentielle pour faire progresser nos discussions hors des sentiers battus. Ce n'est pas toujours facile. Même si leurs exigences peuvent apparaître excessives, ils sont représentatifs des attentes de nos concitoyens. Le niveau de services auquel ils sont habitués est désormais élevé : Amazon leur offre choix, simplicité et livraison rapide. Ils attendent la même chose des administrations. Le paradigme des relations entre les administrations et les administrés change fondamentalement. Elles doivent aller au-delà des attentes, comme certaines entreprises promettent un service beyond expectations... ce qui nous éloigne de la pureté originelle de l'open data. Pour sa part, le Coepia partage avec l'usager et communique grâce à sa lettre mensuelle et a mis sa documentation en ligne sur le site data.gouv.fr.

M. Olivier Garnier, secrétaire du Coepia.- Notre site n'est pas interactif. Mais faire appel à un prestataire extérieur pour concevoir un site ultramoderne aurait été en contradiction avec nos recommandations aux administrations.

M. Michel Pinault.- Notre système d'administration consultative doit être ouvert au public. Je suis partisan de consultations informelles ouvertes, préconisées par le Conseil d'Etat dans son rapport « Consulter, administrer autrement », à l'image de ce qui existe dans le secteur de l'urbanisme depuis le vote de la charte de l'environnement, des forums britanniques d'échanges sur des projets ou les méthodes adoptées par la Commission européenne avec ses livres blanc et vert. La loi de 1978 était une loi d'avant-garde. Elle a posé des principes qui demeurent valables pour notre temps mais certains des mécanismes de protection de ces principes me paraissent dépassés. Les notions de « fichiers » ou de « traitements » utilisées par la Cnil doivent être revues pour tenir compte de la fantastique collecte d'informations et données en cours. Les sanctions que peut infliger la Cnil sont limitées à 150 000 euros, et donc insuffisamment dissuasives. La Cnil et la Cada ne sont pas d'accord sur la responsabilité de l'anonymisation des données personnelles. Il faut aussi reprendre les textes sur la propriété intellectuelle : certaines données publiques sont potentiellement grevées de droits d'auteur des agents publics ce qui peut gêner leur utilisation par les entreprises, même si pour l'heure la loi n'a pas de décret d'application. Sans bousculer les grands principes qui demeurent valides, l'administration doit faire son aggiornamento. Le président Tricot disait « l'informatique n'oublie rien » ; sa puissance est un enjeu économique. Les lois de 1978 n'abordaient pas vraiment ces problématiques.

M. Yves Détraigne. - Nous avons été précurseurs en 1978, sommes-nous aujourd'hui dépassés ? Comment assurer la protection de la vie privée consubstantielle à la démocratie ? Vous êtes-vous rapprochés de démocraties étrangères comparables ? Diriez-vous qu'au regard des enjeux économiques de l'open data, la France est en retard ?

M. Michel Pinault.- Il est temps d'agir. Nous ne sommes pas en retard, la directive européenne sur la réutilisation des données publiques est d'ailleurs assez largement inspirée de la législation française. Mais il est important de prendre le train en marche et d'avancer. La percée irrésistible de l'open data doit nous servir d'aiguillon.

Notre lettre mensuelle comporte un volet international et nous publions des entretiens avec des responsables étrangers dans nos rapports annuels. Si les problématiques sont identiques, les anglo-saxons les abordent de manière plus pragmatique et moins juridique que nous. Les évolutions techniques sont si rapides qu'il est délicat de concevoir un cadre juridique pour les vingt prochaines années. Secouée, la loi de 1978 a bien tenu le cap des principes.

M. Jean-Jacques Hyest, président. Je vous remercie.

Audition de Mme Danielle Bourlange, directrice générale de l'Agence du patrimoine immatériel de l'Etat (Apie)

M. Jean-Jacques Hyest, président. Nous allons maintenant entendre Mme Danielle Bourlange, directrice générale de l'Agence du patrimoine immatériel de l'Etat. inspectrice générale de l'Insee, vous êtes directrice générale de l'Apie depuis septembre 2012. Pourriez-vous nous rappeler le rôle de l'Apie, l'objet de ses interventions auprès des administrations publiques, son articulation avec le Coepia et la mission Etalab ? Pouvez-vous nous décrire les enjeux de l'exploitation des données publiques dans un contexte d'extension du principe de gratuité et nous présenter vos recommandations s'agissant des licences types de réutilisation des données, de leur articulation avec certains droits protégés ou de la mise en oeuvre de partenariats avec des opérateurs privés ? Nous vous remercions enfin de nous indiquer la position de l'agence vis-à-vis de la transposition de la directive de 2013.

Mme Danielle Bourlange, directrice générale de l'Agence du patrimoine immatériel de l'Etat. - L'Apie est une jeune institution créée en 2007 à la suite de la publication du rapport Jouyet sur l'économie de l'immatériel. Elle est née du constat que, dans les économies modernes, la performance dépend des talents, des idées, des savoir-faire, de la qualité des systèmes d'information, des marques, et que cela est vrai pour les administrations aussi bien que pour les entreprises. Les actifs immatériels constituent un levier d'efficience des administrations et un vecteur de création de valeur. Le rôle dévolu à l'agence a été de développer la prise de conscience des enjeux liés à la valorisation du patrimoine immatériel, c'est-à-dire d'initier un changement culturel. Il lui incombe aussi de promouvoir de nouveaux modes de gestion.

L'Apie entend protéger les actifs immatériels publics. Elle cherche à éviter les appropriations abusives ou les détournements - par exemple l'usurpation de l'identité des collectivités locales - qui pourraient parasiter l'action publique sur le net. Elle veille à l'intégrité et à la disponibilité des actifs immatériels.

Elle s'intéresse également à la valorisation de ces actifs. Cela ne signifie pas nécessairement les vendre ou en tirer des ressources financières mais reconnaître leur potentiel de valeur et en tirer le meilleur parti pour contribuer à la performance de l'action publique et à la satisfaction des usagers. Les actifs immatériels doivent être partagés entre les administrations et mis à la disposition des citoyens. L'agence a une conception ouverte du patrimoine immatériel de l'Etat.

Parmi ces actifs immatériels, les données publiques sont des éléments de premier ordre. Toutes les administrations produisent des données publiques qui sont souvent des données de référence. Au moment de la création de l'Apie, la loi de 1978 avait été modifiée par l'ordonnance de 2005 sur l'ouverture des données publiques mais cette innovation majeure n'était pas connue en dehors d'un petit cercle d'initiés. Il a fallu d'abord sensibiliser les administrations et les utilisateurs à l'existence de ce droit et à ses enjeux : la transparence démocratique, l'enjeu économique, la modernisation de l'administration.

La loi ne suffit pas pour développer un écosystème dynamique autour de la réutilisation des données. Des mesures d'accompagnement sont nécessaires pour la clarifier et apporter une sécurité juridique, pour ouvrir un dialogue avec les utilisateurs et les associations qui s'y intéressaient. En octobre 2008, l'Apie a proposé au ministère en charge de l'économie numérique d'inscrire dans le plan numérique 2012 la conduite de travaux interministériels pour concevoir un portail unique d'accès aux données, ainsi que la conception de licences types contribuant à la sécurisation juridique en matière de réutilisation des données. A l'époque, l'écosystème numérique n'était pas ce qu'il est actuellement. Hormis celle opérée par les éditeurs juridiques, nous manquions alors d'exemples de réutilisation des données en France et à l'étranger. Le cahier des charges du portail unique a été livré au cabinet du Premier ministre en avril 2010. La mission Etalab l'a mis ensuite en oeuvre, à partir de décembre 2011, sur le site data.gouv.fr. Début 2009, des premiers modèles de licence ont été publiés.

L'Apie joue un rôle actif au sein du Coepia auquel elle apporte son expertise. J'ai moi-même été corapporteure de la formation spécialisée sur la mise à disposition des données publiques, de la création du Coepia en 2010 jusqu'à juillet 2013. Dans ce cadre, nous avons formulé un certain nombre de recommandations visant à accélérer le processus d'ouverture des données publiques. L'une de ces recommandations, qui reste d'actualité, a porté sur la nécessité de mettre à disposition les données sous des formats ouverts. Dans une autre recommandation, nous indiquions que le secteur culturel, au-delà de ses spécificités, devait contribuer à une politique active d'ouverture des données publiques. Le Coepia a tenté de donner aux administrations des clefs pour comprendre un dispositif juridique parfois complexe. Pour éclairer l'articulation de la loi Cada et son article 13 avec d'autres lois comme la loi Cnil, nous avons récemment diffusé un memento auprès des administrations.

Nous avons également pris conscience très rapidement que l'ouverture des données devait relever d'une logique de la demande et d'une stratégie de l'offre. Dans ce cadre, une réflexion doit être menée sur les données à fort potentiel de création de valeur économique et sociale - données de santé, de transports, d'environnement. En 2012, une recommandation a été prise sur les référentiels adresses dont les administrations disposaient sous des formes variées : une mise en cohérence de ces différents référentiels s'imposait pour une réutilisation plus efficace de ces données. Cette recommandation a été reprise par le Cimap en décembre 2012. Enfin, une autre de nos recommandations a porté sur les données de santé. Elle a été versée au débat ouvert actuellement sur la réutilisation de ces données.

Nos actions de sensibilisation devaient pouvoir toucher les collectivités locales et les services déconcentrés de l'Etat. Avec la Cada, nous avons organisé des formations en région, en matière de réutilisation des données publiques, au profit de l'ensemble des cadres. Elles ont concerné entre 2010 et 2012, la Bourgogne, l'Ile-de-France, l'Aquitaine, la région Paca et le Nord-Pas-de-Calais. C'est une démarche à poursuivre.

L'Apie a apporté son concours à la mission Etalab lors de sa création, par un transfert d'expertise. Elle a contribué à la rédaction de la licence ouverte qui en est une référence. Elle a également participé activement aux travaux interministériels, sous l'égide du Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), en vue de l'établissement de la nouvelle directive communautaire. Aujourd'hui, l'Apie est en retrait sur ce sujet, laissant Etalab gérer le développement de l'open data. Nous continuons à participer aux travaux du Coepia et nous contribuons en tant que de besoin à ceux d'Etalab. Nous avons également noué des échanges avec les collectivités territoriales, Rennes par exemple qui a été pionnière en matière d'ouverture des données, ou le grand Lyon qui a récemment ouvert des données de transport. Le sujet est fortement évolutif. Nous ne sommes qu'au début du développement de l'écosystème de réutilisation des données. Des défis importants restent à relever.

L'un de ces défis est la mise à disposition des données dans des formats ouverts. Elle représente un coût non négligeable, notamment dans le cas de données anciennes qui nécessitent un travail de transposition. Un autre défi est l'anonymisation des données à caractère personnel. Il faudra également prendre en compte l'ouverture des données à fort potentiel, le financement de la numérisation des données culturelles, la viabilité économique des innovations à l'autre bout de la chaîne de valeur, et enfin la nécessité de faire évoluer les habitudes et d'inscrire dans le temps une nouvelle culture de la donnée dans la culture administrative.

Sur le plan juridique, certaines règles restent à clarifier. Il est important, pour les bases de données créées dans le cadre de marchés publics, qu'il n'y ait pas de frein à l'ouverture. Les données ne sont pas grevées de droits de propriété intellectuelle, mais la structure de la base de données peut l'être. Lorsqu'un prestataire développe une base de données spécifique, adaptée aux besoins de l'administration, il faut veiller à ce qu'il cède les droits de propriété intellectuelle sur cette base pour rendre possible la réutilisation des données par l'administration. Nous avons diffusé une clause type à intégrer dans les marchés publics pour faire en sorte que ces droits soient systématiquement cédés à l'administration.

Deux licences coexistent majoritairement, la licence ouverte d'Etalab et la licence Open Database license (ODbL). Elles sont toutes les deux aisément compréhensibles et interopérables, ce qui permet de croiser les données quand bien même elles proviennent d'administrations différentes, du public ou du privé, des collectivités locales ou de l'Etat. Dans la licence ODbL, la clause dite de share alike, c'est-à-dire du partage à l'identique, pose problème. Elle impose au réutilisateur de mettre à disposition les données qu'il a réutilisées, dans les mêmes conditions que celles dont il a bénéficié, c'est-à-dire une réutilisation libre et gratuite, en pratique. Le principe est séduisant dans une logique de chaîne de valeur collaborative et d'innovation cumulative. Mais le partage à l'identique peut brider l'innovation, car il n'est pas compatible avec tous les modèles économiques. Il faudrait à tous le moins prévoir des modalités d'utilisations commerciales dans ces licences.

La terminologie devrait s'adapter à l'heure du numérique. La nouvelle directive l'a fait puisqu'elle parle de format lisible par des machines, ce qui n'était pas le cas en 2003 ou dans la transposition de 2005.

Nous avons participé activement, sous l'égide du SGAE aux travaux interministériels d'où est issue la nouvelle directive. Une de ses innovations majeures est d'inscrire dans la loi un droit à la réutilisation des données, anticipée par la France dès 2005 alors que ce n'était qu'une possibilité dans le texte de 2003. Elle prévoit aussi l'extension du droit commun aux données culturelles, pour les musées, les bibliothèques et les archives. Elle met en place une instance de recours dont les décisions sont contraignantes, ce qui est nouveau. Enfin, elle généralise le principe de tarification au coût marginal. La question du financement de la numérisation des données culturelles reste posée. La nouvelle directive ouvre à cet égard certaines marges de manoeuvre, en prévoyant des mesures dérogatoires en matière de tarification et en tolérant des accords d'exclusivité limités dans le temps. Dans un contexte de redressement des finances publiques, il est important de disposer de ces marges de manoeuvre. Une réflexion doit cependant être menée sur la possibilité de modalités de financement alternatives à la tarification : crowdfunding, mécénat, services à valeur ajoutée dans une logique freemium... Les oeuvres qui sont dans le domaine public ne doivent en aucun cas être distraites dudit domaine public.

La nouvelle directive prévoit une généralisation de la tarification au coût marginal, ce qui, dans beaucoup de cas, revient à la gratuité. Des exceptions restent possibles, notamment quand des opérateurs doivent financer la diffusion des données par des redevances. La logique d'un tel dispositif repose sur la distinction entre les données brutes qui dépendent directement d'une mission de service publique - les informations juridiques, par exemple - et les données produites par des opérateurs publics dont c'est la mission, et qui doivent inscrire leur modèle économique dans l'économie numérique, mais aussi dans la trajectoire de redressement des finances publiques. Ce principe de gratuité n'exclut pas la mise en place de services à valeur ajoutée : certains utilisateurs auront par exemple besoin d'extractions ou de mises en forme à la demande, lorsqu'ils seront confrontés à des bases brutes désagrégées, dans le respect de la concurrence.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure. - Quels sont les moyens humains dont dispose l'Apie ? Avez-vous anticipé les effets d'une situation moins paisible et d'un contexte moins démocratique sur ces pratiques d'extrême valorisation du patrimoine immatériel, les risques potentiels ?

Mme Danielle Bourlange. - Nous sommes au total 27. Mon prédécesseur nous qualifiait de start-up administrative. Nous fonctionnons en mode projet et nous rassemblons des compétences peu représentées dans l'administration, notamment en droit de la propriété intellectuelle, très utiles dans le cadre des marchés publics, ou en marketing stratégique.

Nous nous intéressons aux risques qui menacent l'action et la souveraineté de l'Etat. Nous faisons, par exemple, de la veille sur les marques déposées qui peuvent nuire à la lisibilité des politiques publiques. Nous sommes très attentifs aux questions d'éthique, notamment dans le mécénat. Nous nous sommes intéressés très tôt à la protection des données personnelles. Dans notre premier projet de licence, nous avions rappelé dans une clause la responsabilité des utilisateurs par rapport aux données anonymisées qui pouvaient être réidentifiables par croisements. Nous avons également considéré les données les plus sensibles, pour lesquelles des conditions particulières d'ouverture devraient être prévues. Des réflexions sont en cours, notamment sur les données de santé. Le décret de 2002 prévoit que les données juridiques sont réutilisables, mais en prévoyant le respect de leur intégrité. On voit bien le risque qu'il y aurait à publier une norme juridique faussée.

Dans les régions, à Bordeaux, à Rennes, on nous a posé plusieurs fois la question de la mise en place d'un contrôle a priori. Je ne crois pas qu'il soit bon de mettre des barrières à l'innovation. La loi du 17 juillet 1978 a prévu que les données secrètes ne soient pas ouvertes. D'autres lois protectrices existent, mais toutes les données à caractère personnel ne sont pas de même nature. Dans le cadre des travaux que nous avons menés au Coepia, nous avons examiné le cas de données personnelles publiques, diffusées sur internet et donc aspirables par des machines, mais non réutilisables, soit pour des raisons techniques, soit parce que la possibilité de leur réutilisation n'a pas été prévue. Il s'agit, par exemple, de l'annuaire des médecins, accessible sur ameli-sante.fr mais dont les données ne sont pas réutilisables pour des données juridiques alors que cela pourrait présenter un vrai intérêt social, des annuaires professionnels ou des résultats de concours. Une réflexion reste à mener sur ce type de données de caractère personnel, mais qui ne représente pas de risque pour la vie privée et ont un grand intérêt social.

M. Jean-Jacques Hyest, président. - Nous vous remercions pour cet exposé précis.

La réunion est levée à 12 heures 35.