Jeudi 19 mars 2015

- Présidence de M. Jean-François Husson, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. Bernard Garnier, président, Mme Anne Laborie, secrétaire générale, MM. Guy Bergé, trésorier (président d'Air Lorraine), et Daniel Huot, membre du bureau (président d'Atmo Franche-Comté), d'Atmo France

M. Jean-François Husson, président. - Mes chers collègues, nous procédons aujourd'hui à la première audition de notre commission d'enquête sur l'impact économique et financier de la pollution de l'air.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue.

J'en viens à notre réunion.

Nous commençons nos auditions par Atmo France.

Son président, M. Bernard Garnier, est accompagné de Mme Anne Laborie, secrétaire générale, de MM. Guy Bergé, trésorier (et président d'Air Lorraine), et Daniel Huot, membre du bureau d'Atmo France (et président d'Atmo Franche-Comté).

Je rappelle, à l'attention de M. Garnier et de ses collaborateurs, que chacun des groupes politiques du Sénat dispose d'un droit de tirage annuel qui lui permet notamment de solliciter la création d'une commission d'enquête. Le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe écologiste d'utiliser ce droit pour soulever la question de l'impact économique et financier de la pollution de l'air. C'est sur cette base que notre commission d'enquête s'est constituée, le 11 février dernier. Mme Leila Aïchi, auteure de la proposition de résolution qui se trouve à l'origine de la constitution de cette commission, en est la rapporteure.

Un mot, mes chers collègues, pour présenter Atmo France.

Atmo France est la fédération des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air. La loi sur l'air de 1996 leur a confié plusieurs missions parmi lesquelles je relève :

- la mise en oeuvre de la surveillance et de l'information sur la qualité de l'air ;

- la diffusion des résultats et des prévisions ;

- la transmission immédiate aux préfets des informations relatives aux dépassements ou prévisions de dépassements des seuils d'alerte et de recommandations.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Bernard Garnier ainsi qu'à Mme Anne Laborie, et MM. Guy Bergé et Daniel Huot de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

M. Bernard Garnier, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

M. Bernard Garnier. - Je le jure.

Mme Anne Laborie, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Mme Anne Laborie. - Je le jure.

M. Guy Bergé, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

M. Guy Bergé. - Je le jure.

M. Daniel Huot, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

M. Daniel Huot. - Je le jure.

M. Jean-François Husson, président. - Monsieur le Président, à la suite de votre exposé introductif, ma collègue Leila Aïchi, rapporteure de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Monsieur le Président, vous avez la parole.

M. Bernard Garnier. - Je souhaite préciser que, pour répondre aux nombreuses questions qui nous ont été envoyées préalablement, nous transmettrons un document écrit en complément de notre audition.

M. le Président a rappelé les missions des Associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (Aasqa). Je souhaite souligner que les associations ne font pas que de la surveillance au travers de leur réseau de capteurs, même si c'est leur coeur de métier. Nous faisons également des inventaires et des modélisations, et nous fournissons de plus en plus des prévisions sur la qualité de l'air et jouons un rôle d'information des pouvoirs publics et du grand public comme cela a d'ailleurs été le cas ces derniers jours.

Un autre aspect est que nous accompagnons les décideurs au niveau des régions mais aussi des autres collectivités territoriales, spécialement les intercommunalités, dans l'aide à la décision et la mise en place d'actions de lutte contre la pollution de l'air. Nous évaluons également les politiques menées.

Il y a vingt-sept Aasqa. La dernière-née, il y a quelques mois, est celle de Mayotte. La fédération Atmo ne comporte que le président et deux salariés mais les Aasqa sont un réseau de 550 experts qui sont très présents sur le territoire.

Nous contribuons aussi à des études sur les impacts sanitaires. Bien que cela soit le travail des économistes, nous pouvons ainsi étudier le coût des actions nécessaires pour réduire la pollution.

Le budget total des Aasqa est de l'ordre de cinquante millions d'euros financés par l'Etat, les collectivités territoriales et des dons volontaires des entreprises au titre de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). En moyenne ces trois sources de financement contribuent chacune pour un tiers du budget mais il y a des variations importantes selon les associations.

La conférence des présidents des Aasqa, qui s'est réunie hier, a exprimé son inquiétude sur la pérennité du financement des associations. Pour 2015, le financement de l'Etat reste constant mais celui des collectivités locales, qui sont soumises à de nombreuses contraintes, n'est pas toujours au niveau que nous pourrions souhaiter. Nous profitons donc de cette occasion pour faire appel aux parlementaires afin qu'ils puissent relayer nos inquiétudes auprès des collectivités.

Certains polluants font l'objet d'une réglementation par les autorités européennes depuis 15 à 20 ans. Ils sont suivis pas les Aasqa mais nous suivons aussi, et de plus en plus, les polluants non réglementés comme les pollens ou les pesticides diffusés dans l'atmosphère par les épandages agricoles. Pour répondre à ces nouvelles demandes, nous avons besoin de financements. Aujourd'hui les industriels contribuent à nos budgets par l'intermédiaire de la TGAP mais le principe pollueur-payeur n'est pas appliqué car les industries ne sont pas les seuls pollueurs et les transports, le chauffage tertiaire ou résidentiel et les épandages ne donnent pas lieu à contribution. Ainsi, des acteurs importants de la pollution de l'air ne sont pas tenus de contribuer financièrement à la surveillance de sa qualité.

M. Guy Bergé. - Les Aasqa sont des instances régionales avec de fortes disparités de taille. On compte ainsi 60 experts en Rhône-Alpes contre seulement 4 ou 5 dans les plus petites Aasqa. Leur budget peut être ramené à une charge de 70 centimes par habitant. En dépenses, il est composé essentiellement des frais liés à l'acquisition et à la mise en place des analyseurs et à la rémunération des analyses. Les coûts de personnel représentent 50 % du budget.

La pollution de l'air est un domaine qui connaît une évolution rapide des connaissances. On mesure des particules qui font 10 micromètres. Si l'on doit mesurer des particules de 2,5 micromètres voire des nanoparticules, ceci suppose d'investir dans des analyseurs de plus en plus chers.

La mission des Aasqa évolue de plus en plus vers la prévision et l'aide à la décision. Ceci suppose de créer des modèles et de se doter de nouvelles compétences. A titre d'exemple, les collectivités sont incitées aujourd'hui à la densification urbaine. Ceci pose des questions en matière d'implantation des crèches et des écoles, et les Aasqa peuvent éclairer les choix des collectivités. A Metz, AirLorraine a accompagné l'évolution du parc des transports collectifs.

L'impact sanitaire de la pollution est évalué à 500 euros par habitant. Il me semble que ceci devrait être mis au regard de ce que coûtent les Aasqa. Le ministère de l'environnement nous soutient mais Bercy impose toujours de nouvelles règles qui rendent la perception de la TGAP plus complexe. Ainsi le nouvel outil informatique du ministère des finances ne permet plus de donner la TGAP par site d'entreprise mais uniquement par siège. Nous n'avons donc pas de sécurité de notre financement.

M. Daniel Huot. - Les Aasqa ont une grande indépendance du fait de leur gouvernance quadripartite. Sont représentés au conseil d'administration les préfets et les services de l'Etat, les collectivités locales et territoriales, les émetteurs, les associations de protection de l'environnement, des consommateurs et des personnalités qualifiées. Cette indépendance renforce la crédibilité de nos mesures journalières et permanentes.

Mme Anne Laborie. - Le fait que les Aasqa réunissent autant d'acteurs divers, dont tous les niveaux de collectivités locales, en fait un lieu de concertation unique au niveau régional.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pensez-vous que la question de la pollution de l'air soit suffisamment prise en compte par les pouvoirs publics ? La réduction de vos financements rend cette question encore plus d'actualité.

M. Guy Bergé. - Les Aasqa jouent un rôle de mesure de la pollution de l'air et les résultats ne plaisent pas toujours, ce qui peut conduire à vouloir freiner leur activité. C'est pour cela notamment que la composition multipartite de la gouvernance des associations est importante. Il y a aurait par ailleurs une vertu pédagogique à faire contribuer les transports et le chauffage résidentiel au financement de la surveillance de la qualité de l'air.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Dans un monde idéal, de combien auriez-vous besoin ?

M. Guy Bergé. - Nous demandons simplement le maintien de l'existant. Toute augmentation devrait résulter d'une négociation.

M. Bernard Garnier. - Il est important de souligner que le problème de la pollution ne se limite pas aux pics. Elle est présente 365 jours par an. Nous avons des consignes ministérielles de nous intéresser à d'autres missions que celles qui nous sont fixées par la loi et le règlement, mais ceci suppose des financements. Or nous ne savons même pas si nous aurons un maintien de nos dotations en 2016.

M. Daniel Huot. - Les pics de pollution, je le rappelle, sont déterminés par les autorités préfectorales à partir des données fournies par les Aasqa.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Les Aasqa ne disposent pas des moyens de suivre les nanoparticules ?

M. Bernard Garnier. - Il n'y a pas, à l'heure actuelle, d'obligation réglementaire les concernant.

Mme Anne Laborie. - Nous suivons plutôt les particules ultrafines qui englobent les nanoparticules. Mais il n'y a pas à l'heure actuelle de démarche nationale pour assurer leur suivi dans la pollution de l'air.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Comment sont désignées les associations et les personnalités qualifiées qui siègent dans les conseils d'administrations des Aasqa ? Quelles actions menez-vous à l'attention du grand public ?

M. Bernard Garnier. - Les associations candidatent. Il y a quelques grandes associations en ce domaine mais elles sont dans l'ensemble peu nombreuses et le nombre de candidatures dépasse rarement le nombre de sièges à pourvoir.

Nous communiquons tous les jours à destination du grand public sur internet, et j'espère d'ici quelques mois sur Smartphones. En cas de pic de pollution, nous informons les autorités préfectorales et, si nous sommes mandatés pour le faire, les collectivités locales par mail. Les collectivités répercutent l'information à destination du grand public.

Nous engageons aussi un travail à destination des enfants, nous menons des actions pédagogiques, notamment sous la forme de jeux.

Les journaux télévisés ont aussi souvent une information sur la qualité de l'air. C'est à mes yeux très important. En Alsace par exemple, cela se passe très bien et l'Aasqa a mis en place un partenariat important avec la radio.

Mme Nelly Tocqueville. - Je suis sénatrice de Seine-Maritime. Début 2013, un pic de pollution a eu lieu suite à une fuite de gaz de l'entreprise Lubrizol. L'information n'a pas été faite par la préfecture et la prise en compte du phénomène n'a eu lieu que lorsque la pollution a atteint la région parisienne. Y a-t-il eu des améliorations en ce domaine ? Vous avez indiqué que le principe pollueur-payeur n'est pas pleinement appliqué. Etes-vous en contact avec les associations de consommateurs et le monde agricole ? Enfin, comment accompagnez-vous les collectivités territoriales pour l'élaboration des plans climat-énergie territoriaux et des schémas de cohérence territoriale ?

Mme Anne Laborie. - Suite à l'accident de Lubrizol, une force d'intervention rapide a été mise en place pour associer les Aasqa aux événements de pollution industrielle. Deux ou trois régions sont pilotes pour la mise en oeuvre de ce mécanisme qui devrait améliorer l'information et la communication envers les collectivités.

Le projet de loi sur la transition énergétique prévoit l'élaboration de plans climats, air et énergie par toutes les intercommunalités. Atmo France salue la prise en compte spécifique de la pollution de l'air et travaille avec les associations nationales des collectivités urbaines ou d'intercommunalités pour voir comment intégrer la question de la pollution de l'air dans ces plans et aussi comment avoir une approche transversale à l'air, au climat et à l'énergie.

M. Guy Bergé. - S'agissant du monde agricole un certain nombre de chambres d'agriculture sont représentées au sein des conseils d'administration des Aasqa. Nous avons participé à l'automne 2014 à un colloque sur les activités agricoles et la pollution de l'air. Ceci a permis de faire passer un certain nombre de messages. Une réflexion est donc en train d'être engagée avec le monde agricole.

Par ailleurs, comme j'ai parlé de nouveaux moyens de financement, nous avons lancé il y a très peu de temps une étude auprès d'un cabinet de spécialistes pour y voir plus clair sur nos ressources, et éventuellement pour les compléter au travers des taxes existantes.

M. Daniel Huot. - S'agissant des plans climat, air, énergie, l'approche doit être aussi régionale. En Franche-Comté, les intercommunalité représentent 70 % de la population et le travail de l'Aasqa avec elles permet donc de couvrir la grande majorité de la population. Nous fournissons une aide au diagnostic au travers de contrats d'objectifs que nous signons avec les collectivités locales.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Le statut d'association vous paraît-il adapté aux missions qui sont les vôtres ? Par ailleurs, j'ai longtemps travaillé à l'élaboration du plan climat de Paris en 2006. J'avais été très surpris d'apprendre que l'émanation de CO2 était pour près de la moitié liée aux bâtiments. Est-ce toujours le cas et quel est le lien entre émanations de CO2 et pollution de l'air ? Est-ce la même chose ? Enfin peut-on mesurer la part de la pollution qui vient de l'extérieur de nos frontières ?

M. Bernard Garnier. - Sur votre première question, nous tenons à la forme associative qui est la base d'un véritable travail collaboratif.

M. Guy Bergé. - Je précise que notre forme est associative mais que le travail de surveillance de la qualité de l'air est industriel dans son fonctionnement et répond à des normes de qualité.

Mme Anne Laborie. - On distingue pollution de l'air et pollution du climat. Le CO2 relève de la pollution du climat. Cependant les Aasqa travaillent tant sur la pollution de l'air que sur celle du climat car la grande majorité des polluants dans les deux domaines provient de la même source qui est l'énergie.

Sur la part des différentes sources de pollutions dans la qualité de l'air, je me permets de vous renvoyer au document de synthèse annuelle que publie le ministère de l'environnement à partir des données fournies par les Aasqa. Il est difficile de mesurer la pollution importée car elle dépend fortement des conditions météorologiques et des réactions chimiques dans l'atmosphère. Nous suivons néanmoins les importations et les déplacements de pollution.

M. Guy Bergé. - Je souhaite attirer votre attention sur l'importance du maillage territorial. Il y a une Aasqa par région ce qui est important car les régions seront chef de file en matière de lutte contre la pollution énergétique. Néanmoins la réforme territoriale, en limitant le nombre de régions, risque d'avoir un impact sur le nombre d'Aasqa. Il ne faudrait pas perdre en moyens de contrôle alors que la pollution doit se mesurer parfois à l'échelle d'un quartier de ville.

Mme Christiane Hummel. - Je suis pour ma part sénatrice du Var. La commune dont je suis maire est située au sein d'un arrondissement de 500 000 habitants, coincée entre mer et montagne, et se trouve partagée par une autoroute. Or c'est près de cette autoroute que sont placés les capteurs tout au long de l'agglomération. Pourquoi les avoir placés là ? Par ailleurs, comment prenez-vous en compte des phénomènes comme le mistral qui dissipe la pollution ?

Mme Anne Laborie. - Il y a dans chaque région un plan régional de surveillance de la qualité de l'air. C'est dans le cadre de ce plan, qui est élaboré avec tous les acteurs locaux, que sont implantés les capteurs. Un plan national de surveillance est par ailleurs en cours d'élaboration.

M. Guy Bergé. - Tous les capteurs ne mesurent pas la même chose. Certains mesurent la pollution de fond, d'autres sont implantés à proximité de sites industriels, d'autres enfin à côté des axes routiers.

M. Charles Revet. - Qu'attendez-vous de l'étude que vous avez lancée s'agissant de la contribution du monde agricole au financement des Aasqa ?

M. Guy Bergé. - L'étude que nous avons commandée vient à peine de commencer et elle ne concerne pas seulement le monde agricole.

M. Charles Revet. - Je souhaite que nous ayons le cahier des charges que vous avez élaboré.

M. Jean-François Husson, président. - Nous le demanderons et nous vous adresserons également des questions complémentaires car nous sommes pris par le temps.

Mme Leila Aïchi. - Un dernier point : y a-t-il des divergences de qualité dans les mesures prises par les différentes Aasqa ?

M. Guy Bergé. - Non.

Audition de MM. Marc Mortureux, directeur général, Gérard Lasfargues, directeur-général adjoint scientifique, Dominique Gombert, directeur de l'évaluation des risques, de Mme Alima Marie, directrice de l'information, de la communication et du dialogue, et de M. Benoît Vergriette, chef de l'unité risques et société, de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses)

M. Jean-François Husson, président. - Nous auditionnons maintenant l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

Je rappelle que la commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse et qu'un compte rendu en sera publié avec le rapport.

L'Anses a été créée le 1er juillet 2010 par la fusion de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset). Elle couvre un large champ sur la santé humaine et animale et évalue notamment les risques environnementaux en s'appuyant sur son expertise interne et externe. Ses travaux se situent au coeur de nos problématiques.

M. Marc Mortureux, directeur général de l'Anses est accompagné de MM. Gérard Lasfargues, directeur-général adjoint scientifique, Dominique Gombert, directeur de l'évaluation des risques, de Mme Alima Marie, directrice de l'information, de la communication et du dialogue, et de M. Guillaume Boulanger, adjoint au Chef de l'Unité de l'évaluation des risques liés à l'air au sein de la direction de l'évaluation des risques.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, leur demander de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

MM. Marc Mortureux, Gérard Lasfargues, Dominique Gombert, Mme Alima Marie et M. Guillaume Boulanger, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les cinq personnes prêtent serment.

Monsieur le directeur général, à la suite de votre exposé introductif, ma collègue Leila Aïchi, rapporteure de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis, les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Monsieur le directeur général, vous avez la parole.

M. Marc Mortureux, directeur général de l'Anses. - Le champ « santé-environnement » constitue un domaine prioritaire pour les travaux d'évaluation des risques de l'Anses, avec notamment le défi du développement des maladies chroniques dont le facteur environnemental mérite d'être mieux documenté.

Parmi les sujets investigués, l'air, qu'il s'agisse de l'air extérieur ou de celui des environnements clos, est susceptible d'être pollué par des substances chimiques, des bio-contaminants ou des particules et fibres pouvant nuire à la santé. Ces polluants peuvent être d'origine naturelle - pollens, émissions des volcans -, ou être liés à l'activité humaine - particules issues des activités industrielles, de l'agriculture, du transport routier, ou encore issus de composés organiques volatils émis par les matériaux de construction. Pour l'air intérieur, la nature des polluants dépend notamment des caractéristiques du bâti, des activités et des comportements individuels. L'Anses travaille tant sur l'air intérieur qu'extérieur pour évaluer les risques liés aux polluants présents dans ces environnements.

La problématique de la pollution atmosphérique est une problématique environnementale d'ampleur dans le sens où elle concerne toute la population et où elle est sans frontières, multi-polluants et multi-sources. Elle est aussi à l'origine d'effets sur la santé aigus et chroniques. Elle est enfin liée à des émissions directes dans l'atmosphère ainsi qu'à des phénomènes complexes de chimie et photochimie atmosphériques rendant possible la formation de substances secondaires nocives.

Au sein de l'Anses, une entité dédiée se consacre à l'évaluation des risques liés à l'exposition aux milieux aériens, que ce soit en matière de pollution atmosphérique et de pollution de l'air intérieur, appuyée par un collectif d'experts de vingt-deux scientifiques extérieurs, sélectionnés par appel à candidature ouvert sur des critères de compétence scientifique, d'indépendance et de pluridisciplinarité.

La connaissance des effets sanitaires et environnementaux de la pollution de l'air ambiant par un grand nombre de polluants chimiques est bien établie depuis de nombreuses années.

Au cours des années 1990, l'état des connaissances était déjà suffisant pour alimenter le débat alors en vigueur dans le contexte de la préparation de la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie (LAURE) de 1996. En France, c'est avec le programme Erpurs (Évaluation des risques de la pollution urbaine sur la santé), mis en place par l'Observatoire de santé régional Ile-de-France (ORS) en 1990, que des premiers résultats, publiés en 1994, montrent qu'il existe des liens entre niveaux de pollution et état de santé de la population. Ces résultats sont comparables à ceux alors retrouvés dans la littérature, à savoir une augmentation des problèmes de santé en relation avec l'accroissement des niveaux de particules.

La loi sur l'air du 30 décembre 1996 transpose en droit français la directive communautaire 96/62/CE qui introduit un cadre pour le développement de la législation communautaire relative à la surveillance de la qualité de l'air. Elle impose à la Commission de soumettre des propositions de fixation de valeurs limites réglementaires (en moyenne annuelle, voire en période de pic) pour le dioxyde de souffre (SO2), le dioxyde d'azote (NO2), les particules, l'ozone (O3), le benzène (C6H6), le monoxyde de carbone (CO), ou encore les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), l'arsenic (As), le cadmium (Cd), le mercure (Hg) et le Nickel (Ni).

Cette directive a été à l'origine de quatre directives filles fixant des valeurs limites réglementaires pour ces différents polluants. En 2008, la législation européenne a été simplifiée et clarifiée en matière de qualité de l'air avec la directive unique 2008/50/CE du 21 mai 2008 qui fusionne dans un seul acte la directive-cadre de 1996, trois des directives filles (99/30/CE, 2000/69/CE et 2002/3/CE) et qui prévoit des mesures relatives aux particules fines (PM2,5), la dernière directive fille n° 2004/107/CE relative à la fixation de valeurs limites pour les HAP, l'As, le Cd, le Hg et le Ni restant en vigueur.

Ces textes sont encore largement d'actualité aujourd'hui. Les valeurs de référence - normes - associées à ces réglementations européennes qui s'imposent aux États membres résultent de travaux portés par l'OMS et disposent donc de fondements sanitaires robustes. Il est ainsi clairement établi aujourd'hui que le dépassement des valeurs limites fixées réglementairement présente des risques sanitaires avérés, sachant que les études épidémiologiques menées au cours des dernières années ont permis d'objectiver les risques sanitaires, même à des concentrations de polluants inférieures aux valeurs limites actuellement établies par l'Union européenne : à court terme, ce sont des hospitalisations pour causes cardiovasculaires et respiratoires, et des décès prématurés et à long terme ; les études indiquant des augmentations du risque de développer un cancer du poumon ou de maladies cardio-vasculaires ou respiratoires (infarctus du myocarde, asthme et bronchopathies).

Aujourd'hui, les études les plus récentes qui font référence sur les impacts sanitaires de la pollution chimique de l'air ambiant sont les suivantes :

- d'une part, l'étude européenne « Aphekom » pilotée par l'Institut de veille sanitaire (Invs) sur la période 2008-2011 et publiée en 2012. Ce projet a évalué l'impact sur la santé de la pollution de l'air dans 25 villes européennes, représentant 39 millions d'habitants et conclut que le dépassement de la valeur guide de l'OMS se traduit chaque année par 19 000 décès prématurés (dont 1 500 pour les neuf villes françaises concernées), dont 15 000 pour cause cardiovasculaire, et par 31,5 milliards d'euros en dépenses de santé et coûts associés ;

- d'autre part, la revue de l'OMS Europe de 2013, Review of Evidence on Health Aspects of Air pollution, dite « Revihaap ». Cette revue avait pour objectif d'appuyer la révision de la législation sur la qualité de l'air ambiant en Europe. Les 26 questions posées par la Commission européenne concernaient un certain nombre de polluants incluant les particules (PM10 et PM2,5 dites particules fines), l'ozone (O3), le dioxyde d'azote (NO2), le dioxyde de soufre (SO2), des métaux (arsenic, plomb, dadmium, mercure, nickel), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Cette revue conclut clairement pour les particules à un lien de causalité renforcé entre l'exposition aux PM2,5 et la mortalité et la morbidité cardiovasculaire et respiratoire. Les études tendent à montrer des augmentations du risque de développer un cancer du poumon ou une maladie cardio-pulmonaire (infarctus du myocarde, broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO)) à la suite d'une exposition à long terme à la pollution atmosphérique. Ces effets sont a priori plus importants que ceux à court terme. L'impact en termes de santé publique est donc nettement identifiable : décès prématurés, qualité et espérance de vie nettement réduites.

Cette revue mentionne des études reliant l'exposition à long terme aux particules fines et des effets incluant l'athérosclérose, des issues indésirables de la grossesse, comme les faibles poids de naissance et les naissances prématurées, ainsi que des pathologies respiratoires chez l'enfant, infections respiratoires et asthme notamment. Elle mentionne également des études récentes indiquant un lien possible entre l'exposition à long terme aux particules fines, une atteinte du neuro-développement et des fonctions cognitives, et le développement du diabète. En outre, elle confirme l'absence de seuil en deçà duquel les particules n'auraient pas d'effet.

- enfin, je rappellerai l'expertise du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) en 2013 qui classe la pollution de l'air extérieur comme cancérogène pour l'homme, ainsi que les particules en suspension composant cette pollution dans le groupe 1, soit risque avéré. Le Circ conclut notamment au fait qu'une exposition à la pollution atmosphérique provoque le cancer du poumon et note une association positive avec un risque accru de cancer de la vessie. Par ailleurs, en juin 2012, le Circ a classé les effluents d'échappement des moteurs diesel comme cancérogènes pour l'Homme (groupe 1) et les effluents d'échappement des moteurs à essence comme possiblement cancérogènes pour l'Homme (groupe 2B). Il a également conclu à un niveau de preuve suffisant de l'expérimentation animale de la cancérogénicité des particules composant les effluents d'échappement des moteurs diesel.

L'Agence a rendu, à l'époque de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (Afsse) en 2004, puis de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) en 2009, un rapport sur l'impact sanitaire de la pollution atmosphérique urbaine ainsi qu'une synthèse des éléments sanitaires en vue d'un appui à l'élaboration de seuils d'information et d'alerte du public pour les particules dans l'air ambiant. Les conclusions du rapport de 2009 étaient que les effets à court terme des particules méritent certes une attention mais qu'au vu des études sur le sujet, la priorité doit être donnée aux effets à long terme, et qu'une politique visant, je cite, à « l'abaissement de la valeur moyenne de la concentration particulaire sur le long terme amènerait à un bénéfice sanitaire plus important qu'une stratégie de gestion focalisée sur les pics journaliers de pollution particulaire ». Ceci reste vrai aujourd'hui. Au-delà, de la question de la gestion des alertes et des pics, c'est donc la lutte contre la pollution chronique, tous les jours, toute l'année, qui doit être privilégiée par la mise en place de mesures permanentes de maîtrise des émissions.

Concernant la pollution atmosphérique, l'enjeu aujourd'hui se situe en termes de gestion des risques, dans la mesure où l'état des connaissances scientifiques est bien établi pour un très grand nombre de polluants chimiques. L'Anses a toutefois deux travaux en cours qui sont d'importance. Le premier porte sur l'état des connaissances de la physico-chimie des particules de l'air ambiant : le lien entre particules PM10 et PM2,5 et effets sanitaires est établi, mais on ne connait pas de façon précise les effets sanitaires associés à la composition et à la granulométrie de l'aérosol particulaire. Ces éléments peuvent être très utiles pour mieux cibler les mesures de réduction relatives aux sources d'émission de particules. Par ailleurs, concernant la source « trafic routier », il est prévu : de définir l'évolution rétrospective et prospective des émissions de particules selon le parc roulant français et en fonction de cycles se rapprochant d'usages réels en considérant différents scénarios ; d'identifier les impacts différenciés des technologies de dépollution sur les émissions de particules par la source « trafic ». Ces éléments pourront être mis en regard avec les données d'émissions disponibles concernant les autres sources de particules.

Le second travail concerne la réflexion sur l'extension de la surveillance nationale aux pesticides dans l'air ambiant. Il s'agit d'une mesure du nouveau plan national santé environnement (PNSE) 2015-2019 qui va conduire l'Anses à identifier une liste prioritaire de 10 à 20 substances pesticides à surveiller et à émettre des recommandations en termes de modalités de surveillance afin que celle-ci puisse être utile à terme à des exercices d'évaluation des risques pour la santé. Ces travaux font suite à l'état des lieux des connaissances quant à la présence de résidus de pesticides dans le compartiment aérien et les environnements intérieurs qu'elle avait lancé en 2008 dans le cadre de l'Observatoire des résidus de pesticides (ORP). Ces travaux avaient abouti, en octobre 2010, à la publication d'un rapport de « Recommandations et perspectives pour une surveillance nationale de la contamination de l'air par les pesticides ».

Ces dernières années, l'Agence s'est principalement mobilisée sur la qualité de l'air intérieur, car l'état des connaissances était beaucoup moins développé, avec des enjeux sanitaires également importants. A la différence de la pollution de l'air extérieur, plus médiatisée, celle de l'air intérieur est restée relativement méconnue jusqu'au début des années 2000. Pourtant, nous passons, en climat tempéré, en moyenne 85 % de notre temps dans des environnements clos, et une majorité de ce temps dans l'habitat. L'habitat, les locaux de travail ou destinés à recevoir du public, les moyens de transport, sont des lieux dans lesquels nous pouvons être exposés à de nombreux polluants. Les écoles représentent le second environnement où les enfants passent le plus de temps après les logements et il s'agit d'une population sensible. La qualité de l'air respiré dans ces environnements peut avoir des effets sur le confort et la santé, depuis la simple gêne - gêne olfactive, somnolence, irritation des yeux et de la peau - jusqu'à l'apparition ou l'aggravation de pathologies graves que sont les allergies respiratoires, l'asthme, le cancer, ou les intoxications mortelles ou invalidantes.

Les principaux polluants de l'air intérieur sont en effet des polluants chimiques - composés organiques volatils (COV), oxydes d'azote (NOx), monoxyde de carbone (CO), hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), phtalates -, des bio-contaminants - moisissures, allergènes domestiques provenant d'acariens, d'animaux domestiques et de blattes, pollens - des polluants physiques - radon, particules et fibres, amiante, fibres minérales artificielles. La présence de ces polluants est issue de différentes sources d'émission : constituants du bâtiment, du mobilier, appareils de combustion - chaudières, poêles, chauffe-eau -, transfert de la pollution extérieure - air ambiant, sols contaminés - mais dépend également des modes de vie, comme par exemple le tabagisme ou la présence d'animaux domestiques.

L'Agence travaille depuis sa création sur les risques sanitaires liés à la pollution de l'air intérieur. Ces travaux se sont déployés dans un contexte pionnier au niveau national et international. Parmi les principaux et emblématiques travaux de l'Anses, il est possible de citer, d'une part, l'élaboration, depuis 2004, de valeurs guides de qualité d'air intérieur. Elles sont définies comme des concentrations dans l'air en dessous desquelles aucun effet sanitaire n'est attendu pour la population générale. Onze polluants d'intérêt ont fait l'objet d'une expertise de l'Anses à ce jour, parmi lesquels le formaldéhyde, le CO, le benzène ou encore les particules. D'autre part, l'expertise de 2009 relative à un protocole visant à caractériser les émissions des produits de construction et de décoration. Ces travaux sont à la base des dispositifs d'étiquetage rendus obligatoires dans le cadre des lois Grenelle, pour les produits de construction et de décoration. Ils permettent d'éclairer le choix du consommateur sur l'émission de ces produits. Par ailleurs, et toujours dans le cadre des lois Grenelle, l'Agence poursuit actuellement son travail sur les produits d'ameublement. Elle publiera d'ici l'été 2015 le résultat d'une saisine visant à proposer une liste restreinte de substances qui pourraient faire l'objet d'un étiquetage, avec des propositions de seuils sanitaires pour les meubles les moins émissifs.

Enfin, l'Anses a conduit de nombreuses expertises sur les substances et fibres présentes dans les environnements intérieurs - formaldéhyde, perturbateurs endocriniens, particules, pollens, amiante - ainsi que sur les sources présentes (tapis puzzle, produits de consommation).

A noter également différents travaux de l'Agence pour évaluer plus spécifiquement les risques pour les travailleurs travaillant dans des environnements particulièrement pollués : les égoutiers, ceux qui travaillent dans les parkings souterrains, ou encore dans les enceintes ferroviaires souterraines.

Pour finir cette revue synthétique des travaux et recommandations de l'Agence, il est important de souligner le fait que les travaux ont essentiellement porté sur les contaminants chimiques de l'air. Or, il serait pertinent de définir également un cadre pour la surveillance biologique de l'air. L'Agence a travaillé sur l'impact sanitaire lié à l'exposition aux pollens, avec de possibles interactions entre pollens et polluants chimiques, sur la prise en compte des conséquences du changement climatique, et sur les liens entre allergies respiratoires et alimentaires. Elle travaille également sur les agents présents en milieu intérieur, notamment les moisissures.

En complément, l'Agence a réalisé une étude exploratoire du coût socioéconomique des polluants de l'air intérieur, en lien avec un professeur de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI). S'il y a plusieurs études de ce type sur la pollution atmosphérique, il s'agit de la première sur les polluants de l'air intérieur au niveau français. Ce travail, qui reste à ce stade exploratoire, vise à approcher les coûts attribuables par an à une exposition à six polluants de l'air intérieur. Il aboutit à un coût pour la collectivité de l'ordre de 19 milliards d'euros par an.

Enfin, l'Agence mène depuis plusieurs années un travail de fond sur la question de la toxicité des substances chimiques, et notamment sur le caractère de perturbateur endocrinien de certaines d'entre elles. Si ces substances ne sont pas principalement émises par les émetteurs majoritaires en matière de pollution atmosphérique - transports, sources fixes industrielles, agriculture -, elles sont néanmoins potentiellement émises par différents produits de consommation et susceptibles d'exposer la population par l'air ambiant.

Les travaux de l'Agence ont donc vocation à conduire à des recommandations visant à limiter les expositions de la population à certaines de ces substances, susceptibles d'effets à des concentrations parfois très faibles.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Est-ce que, selon vous, les filtres à particules, dont sont obligatoirement équipés aujourd'hui les véhicules diesel pour être conformes à la norme Euro 6, sont réellement efficaces ?

M. Dominique Gombert. - On observe aujourd'hui des dépassements sur un certain nombre de polluants pour lesquels des valeurs de référence existent, comme pour les particules, l'azote, ou encore l'ozone. Les enjeux ne sont plus aujourd'hui de combattre les dépassements survenant quelques jours par an, car il importe avant tout de mettre en oeuvre des mesures pérennes. La pollution est ainsi toujours présente et l'exposition des populations demeure critique, voire plus grave que les épisodes de pollution atmosphérique. Les efforts doivent ainsi concerner l'ensemble des émetteurs, et pas seulement les industriels qui sont d'ailleurs de moins en moins nombreux en ville. Dans les grandes agglomérations se posent des problèmes d'émissions issus du secteur des transports. La maîtrise de ces émissions doit également s'inscrire dans un cadre géographique étendu : des efforts conduits, de manière isolée, dans quelques villes en France ne permettent pas de résoudre les problèmes importants qui se posent à l'ensemble de la population.

Les épisodes, comme celui d'hier, concernent une grande partie de l'espace européen et impliquent des phénomènes de circulation entre les grandes agglomérations, en fonction notamment de la direction des vents. Notre région peut ainsi être touchée par les émissions londoniennes, ou encore du Benelux, qui reviennent et vont être rechargées par ce qui va être produit localement dans la région Ile-de-France. Des mesures permanentes doivent ainsi être mises en oeuvre et s'inscrire dans un cadre européen. Elles s'inscrivent sur deux plans : d'une part, inciter à la réduction individuelle des émissions des véhicules de tous types et, d'autre part, maîtriser les distances parcourues par les différents moyens de transport. En effet, il importe de juguler ces deux aspects pour réduire efficacement les émissions de polluants et de proportionner les efforts de maîtrise pour atteindre les objectifs de qualité de l'air.

M. Guillaume Boulanger. - Nous avons été interrogés sur les émissions de dioxyde d'azote, NO2, des véhicules diesel dans le cadre de nos travaux sur les filtres à particules. Les études font état d'une réduction du nombre de particules grâce aux filtres, mais il convient de nuancer ce constat. En effet, il existe différents types de filtres à particules et je retiendrai dans mon propos les filtres oxydés. D'ordinaire, les filtres à particules retiennent ces dernières, mais leur température, de l'ordre de 550 degrés Celsius, s'avère insuffisante à les détruire. Ainsi, un catalyseur d'oxydation est ajouté afin de permettre la dégradation de ces particules. Or, ces catalyseurs augmentent la quantité de NO2 à l'émission. Le problème, pris en compte par la norme Euro 6 de la Commission européenne, réside donc dans l'augmentation de la diffusion d'un autre polluant qui vient se substituer à la diminution du nombre et de la masse des particules. Le caractère vieillissant du parc automobile français est également un autre problème puisque les nouvelles technologies, qui sont élaborées, ne sont pas suffisamment diffusées faute du non-renouvellement des véhicules. En outre subsiste un problème posé par les cycles conventionnels de la norme Euro 6, à partir desquels les véhicules sont testés, et leur correspondance avec la vie réelle. En effet, les études montrent que les niveaux de N02 émis par ce type de véhicule serait près de sept fois supérieur à ceux mesurés en laboratoire et pris en compte par la norme ! Enfin, je mentionnerai un autre problème identifié par la loi sur la transition énergétique et la croissance verte, et tout particulièrement par son article 15 : il s'agit de la pratique dite du défapage qui consiste à retirer les éléments internes aux filtres à particules.

M. Gérard Lasfargues. - Le lien entre le taux de particules et la morbidité est clairement établi, que ce soit l'impact du NO2 dans la dégradation des conditions respiratoires de l'enfant ou de l'augmentation du taux de maladies cardiovasculaires.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - J'aurais une question sur le trafic routier. Vous êtes-vous penché sur le phénomène de l'abrasion des freins et des pneus dont on sait qu'il participe à la pollution de l'air ?

M. Dominique Gombert. - Votre question renvoie à celle, plus générale, des bilans d'émissions. Des organismes recensent les polluants diffusés dans l'atmosphère. Ainsi, certains sont émis par des phénomènes de combustion, comme le soufre, l'oxyde d'azote et certaines particules, mais ces dernières peuvent également résulter de phénomènes de dégradation d'autres polluants émis dans l'atmosphère- on les désigne alors comme des particules secondaires -. En outre, d'autres particules primaires peuvent être émises par des phénomènes d'usure, d'érosion, voire de dégradation. Les routes ou les pneus sont souvent mentionnés, de même que des phénomènes de relargage de pots d'échappement. Ces phénomènes représentent une part extrêmement importante des émissions et des organismes en France, comme le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa), travaillent sur cette question. Ainsi, on peut citer l'exemple du métro où l'on est essentiellement exposé aux particules résultant de l'usure du ballaste, des rails, des freins, voire des vêtements des voyageurs, et atteignant des niveaux de concentration tout à fait importants.

Mme Nelly Tocqueville. - La qualité de l'air intérieur était relativement méconnue jusqu'au début des années 2000. Parmi les polluants chimiques, vous avez mentionné les produits d'entretien manipulés au quotidien par les consommateurs. Ces derniers sont-ils sensibilisés à cette réalité ? Ne pourrait-on pas s'inspirer des alertes adressées aux consommateurs sur les emballages des produits sucrés ou des alcools pour les informer des risques liés à l'utilisation de tels produits ? Une telle démarche permettrait en retour de responsabiliser le consommateur de sa consommation et de la pollution qu'il engendre, tout autant que des risques qu'il fait courir à lui-même et à son entourage ?

M. Marc Mortureux. - L'objectif de l'étiquetage, que j'ai évoqué dans ma présentation liminaire, est d'informer le consommateur et d'orienter son choix par rapport à des articles qui apparaissent comme les moins émetteurs. L'étiquetage permet également de faire progressivement évoluer l'offre des producteurs. Le second aspect, qui concerne plus précisément les produits ménagers, a fait l'objet d'une grande enquête intitulée « Pesti'home » qui a pour finalité d'évaluer les expositions des consommateurs à tous les produits chimiques désignés comme les biocides. Cette enquête est en cours et nous avons l'intention d'exploiter ces résultats dans une logique d'évaluation des risques. Cette étude pourrait fournir un support idoine à la sensibilisation et à l'information des consommateurs quant aux risques susceptibles d'être induits par les modalités d'utilisation de ces produits. Des préconisations relevant du bon sens pourront également être formulées.

M. Dominique Gombert. - La question que vous posez renvoie également à la réglementation et de l'étiquetage au-delà de l'information du public. En effet, les produits qui sont mis sur le marché doivent être conformes à un certain nombre de références. On limite les concentrations de produits chimiques à un certain pourcentage afin d'éviter les effets directs sur leurs utilisateurs.

Cependant, une démarche d'information du public est clairement assurée par le label sur les matériaux de construction et d'ameublement. A ma connaissance, une telle labellisation n'existe pas pour les produits domestiques. D'ailleurs, les articles de loisirs, comme les bougies parfumées ou les encens, peuvent contenir des substances qui peuvent, de façon cumulée, conduire à l'exposition réelle du consommateur. Ils pourraient être concernés par une démarche analogue de sensibilisation.

Mme Aline Archimbaud. - J'aurai deux questions. La première concerne la liste que vous êtes en train de dresser et qui concerne dix à vingt substances pesticides dont il convient de surveiller l'utilisation. Pourriez-vous nous communiquer, à tout le moins, les premiers éléments de votre étude ? Ma seconde question concerne les filtres à particules récents. Actuellement, l'Anses conduit-elle une étude sur ce point ?

M. Dominique Gombert. - S'agissant de la liste que vous évoquez, celle-ci s'inscrit dans les travaux très importants conduits par l'Agence en matière de produits phytopharmaceutiques ou de pesticides en général. Aujourd'hui, au-delà des travaux que nous avons conduits sur l'exposition des travailleurs, la mise en place d'une surveillance des pesticides dans l'air ambiant nous semble une perspective pertinente. Aucune obligation réglementaire en matière de surveillance des pesticides dans l'air ambiant n'existe actuellement et celle-ci peut constituer l'une des expositions possibles à la pollution, puisque l'air ambiant est un vecteur potentiellement important. Il n'y a pas non plus de référentiel technique pour mesurer les pesticides dans l'air ambiant. Des questions métrologiques et de stratégies de surveillance se posent également. Où doit-on mesurer exactement ? Près des émetteurs et à quel endroit ? A quel moment doit-on mettre en place de telles stratégies de surveillance ? Quelles sont les molécules auxquelles il convient de s'intéresser en priorité ? Certes, les substances actives sont au nombre de plusieurs dizaines et l'idée est de se focaliser sur celles que l'on retrouve le plus dans l'air ambiant et qui présentent des enjeux spécifiques s'agissant de l'exposition de la population. Notre travail se fera donc en deux phases : d'une part, jusque juin 2016, l'Anses va travailler sur l'exposition de la population générale avec comme objectif d'aboutir à un protocole faisant l'unanimité et qui pourra être utilisé par les différents réseaux de surveillance de la qualité de l'air. D'autre part, notre travail portera sur la population professionnelle et impliquera des techniques d'analyse qui seront différentes. Cette étude devrait être finalisée courant 2017.

L'Anses ne travaille pas directement sur les filtres à particules. L'Ademe est l'organisme compétent en matière de cycles et de projection des émissions dans le secteur des transports.

Mme Christiane Hummel. - Je suis sénatrice du Var qui accueille de nombreux touristes l'été. Dans les appartements se trouvent de plus en plus de climatiseurs. Avez-vous travaillé sur la relation entre climatiseurs et pollution de l'air intérieur ?

M. Dominique Gombert. - Nous n'avons pas travaillé sur les climatiseurs, mais sur les dispositifs d'épuration et de traitement de l'air intérieur qui peuvent être d'une grande variété. Nous avons d'ailleurs assuré l'inventaire des différents dispositifs existants qui peuvent s'avérer novateurs, comme les peintures dépolluantes. Dans quelle mesure ces dispositifs induisent-ils, le cas échéant, des émissions complémentaires ? Les premiers résultats de cette étude seront publiés à la fin de l'année 2015.

M. Jean-François Husson, président. - Ma première question portera sur les coûts économiques et financiers de la pollution de l'air. Que prend-on en compte dans le calcul de l'impact économique et sanitaire de la pollution de l'air ? S'agit-il principalement du coût lié aux conséquences sanitaires directes de la pollution ou d'autres coûts sont-ils également pris en compte, comme l'érosion des bâtiments, l'impact sur le transport aérien ou l'agriculture ? Par ailleurs, voyez-vous un intérêt à ce que le Parlement puisse vous saisir directement, ce qui n'est, pour le moment, pas encore possible ?

M. Marc Mortureux. - L'Anses est très favorable à l'idée que le Parlement puisse la saisir, ce qui n'est en effet pas le cas aujourd'hui.

M. Dominique Gombert. - Les coûts sont effectivement multiples et l'Anses a également étudié les coûts sanitaires s'agissant de la pollution de l'air intérieur. Vous avez ainsi mentionné l'impact de la pollution sur le bâti qui est avéré. Ce problème n'est d'ailleurs pas nouveau puisque les dégradations de certains bâtiments historiques témoignent de son ancienneté. La pollution a cependant évolué et d'autres impacts sont devenus conséquents et doivent être pris en compte. Ainsi, l'impact de la pollution photo-oxydante sur les cultures, qui font l'objet d'une surveillance réglementaire sous le label AOT qui permet d'évaluer la baisse des rendements des terres cultivées. D'ailleurs, l'un des indicateurs les plus pertinents pour évaluer l'évolution de l'ozone reste le plan de tabac ! L'impact sur les végétaux peut également être particulièrement significatif. On ne parle plus des pluies acides qui provoquaient des dégâts considérables sur les forêts en Europe et induisaient des phénomènes comme l'acidification et l'eutrophisation des espaces naturels. Celles-ci sont moins visibles en Europe en raison des efforts de réduction des polluants qui en étaient à l'origine, mais ce type de pluie est devenu très fréquent en Asie. La diversité des coûts de la pollution atmosphérique est ainsi extrêmement large.

M. Guillaume Boulanger. - Si l'étude que nous avons conduite sur la pollution de l'air intérieur concerne les coûts sanitaires, sa philosophie s'avère analogue à celle conduite sur les coûts de la pollution de l'air extérieur. En effet, son objectif est d'évaluer l'impact de la pollution de l'air en nombre d'années de vie perdue ou en perte de qualité de bien-être. Six polluants, qui nous paraissaient présenter un intérêt sanitaire prioritaire, ont ainsi été retenus par notre étude. Deux types de coûts ont également été distingués : d'une part, les coûts tangibles, qui transparaissent à travers la variation du solde des finances publiques provoquée par les coûts des traitements, des soins ou encore de la prévention. Parallèlement, nous avons pris en compte l'économie qui résulte pour l'État du non-versement des retraites en raison de la mort prématurée des personnes : le coût direct, qui représente moins de cent millions d'euros sur les dix-neuf milliards globalement évalués, demeurant mineur dans notre étude ; d'autre part, les coûts intangibles, relevant de la sphère non marchande, comme ceux liés aux années de vie perdues, en cas de décès prématuré, ou de qualité de vie perdue, lorsque survient une grave maladie. Des études de contingence permettent ainsi de monétariser ces phénomènes. L'ensemble de nos estimations atteint ainsi la somme de dix-neuf milliards d'euros, dont près de quatorze milliards d'euros résultent des particules. Enfin, sommer les coûts de la pollution de l'air intérieur et de celle de l'air extérieur me paraît un non-sens méthodologique puisque les particules proviennent notamment de l'interaction entre l'air intérieur et extérieur.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Comment prenez-vous en compte les évolutions technologiques ainsi que la progression de la connaissance des interactions entre pollution atmosphérique et dérèglement climatique, dans vos projections ?

M. Dominique Gombert. - Certains des sujets que nous abordons résultent de ces évolutions. Ainsi, la question des pollens, que nous abordons, est clairement motivée par l'évolution du changement climatique. Ainsi, en fonction de la densité de dioxyde de carbone et de l'augmentation de la température moyenne, les végétaux vont être amenés à polliniser davantage, que ce soit en termes de volume ou de durée. Dès lors, les problématiques auxquelles nous sommes d'ores et déjà confrontés vont être amenées à se renforcer, suite au changement climatique. De tels phénomènes affectent par ailleurs près de 30 % de la population et induisent ainsi une diversité d'enjeux pour la politique sanitaire. En outre, l'Anses travaille actuellement sur les moisissures qui doivent être appréhendées sous l'angle du changement climatique et, dans la perspective de construction de nouveaux bâtiments, de lutte contre les phénomènes de condensation. Ainsi, l'Anses veille à s'emparer de nouvelles problématiques résultant des conséquences du changement climatique.

M. Guillaume Boulanger. - Le changement climatique influe bel et bien sur la pollution de l'air et vice-versa. Ce constat est partagé par la communauté scientifique et se retrouve dans notre étude sur l'évolution de la pollinisation. Par ailleurs, nous travaillons également sur les risques induits par le changement climatique sur la santé des actifs, dans la perspective du Plan national d'action de lutte contre le changement climatique (PNLCC).

M. Jean-François Husson, président. - S'agissant de vos études sur la lutte contre la pollution, comment faire en sorte que les acteurs impliqués, que ce soient les collectivités et les industriels, soient incités à respecter de nouvelles normes ? Comment ces dernières, qui ont d'ailleurs vocation à se substituer à d'autres normes plus anciennes, pourraient-elles d'ailleurs exercer une influence sur les comportements individuels ? La contrainte peut-elle reposer sur des normes uniquement scientifiques ou doit-on également prendre en compte l'état de l'opinion ?

M. Dominique Gombert. - Je distinguerai deux types de normes. D'une part, les référentiels de qualité de l'air, qui sont fondés sur les connaissances relatives aux effets des polluants atmosphériques et servent de base à l'ensemble de la réglementation. Ces référentiels donnent lieu à l'établissement de seuils au niveau européen en partenariat avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui prennent en compte la faisabilité des objectifs de qualité de l'air. Certains seuils, dans le domaine sanitaire notamment, peuvent d'ailleurs être renforcés dans le temps. Ces seuils sanitaires ne sont pas respectés aujourd'hui. D'autre part, d'autres normes, dans le domaine des stratégies d'émissions, existent également et s'imposent à l'ensemble des émetteurs, qu'ils soient fixes ou mobiles, pour que les objectifs de qualité de l'air soient respectés à moyen et long termes. Aujourd'hui, les objectifs de qualité de l'air ne sont pas respectés et il importe de se donner les moyens de le faire auprès de tous les émetteurs ! Il faut ainsi s'interroger sur les raisons pour lesquelles les objectifs ne sont pas atteints.

M. Marc Mortureux. - L'Anses élabore ses valeurs de référence sur la base de données scientifiques. La fixation de ces valeurs dans un cadre réglementaire peut également prendre en compte l'aspect plutôt gestionnaire du risque. Le respect des normes existantes est en effet l'une de nos préoccupations.

Mme Aline Archimbaud. - Concernant les coûts économiques et financiers, les dix-neuf milliards d'euros que vous avez mentionnés concernent-ils une base annuelle ? Par ailleurs, quels liens peut-on établir entre l'évolution des perturbateurs endocriniens et celle de la qualité de l'air ? D'ailleurs, une définition du périmètre des perturbateurs endocriniens me semble, à l'heure actuelle, faire défaut et nous empêche de légiférer sur cette question.

M. Guillaume Boulanger. - Les dix-neuf milliards représentent un coût annuel pour la France. Ceux-ci représentent manifestement une sous-estimation des coûts réels induits par ces phénomènes !

M. Marc Mortureux. - Les perturbateurs endocriniens représentent un sujet sur lequel l'Anses travaille beaucoup. Si notre homologue européen, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), a divisé par onze le seuil de référence pour ces perturbateurs, les incertitudes scientifiques demeurent. Concrètement, certaines directives européennes prévoient d'exclure, à l'avenir, toute substance active qui serait susceptible d'être reconnue comme perturbateur endocrinien. Or, depuis fin 2013, la Commission européenne aurait dû fixer clairement les critères de qualification des perturbateurs endocriniens, mais cette démarche n'est pas, pour l'heure, aboutie. L'Anses a pourtant émis, il y a deux ans, un certain nombre d'avis scientifiques et les autorités françaises ont déjà transmis leur position officielle sur ce sujet, tandis que les différentes directions de la Commission conduisaient également leurs propres travaux. Nous attendons ainsi pour 2016 la fixation de ces critères. Il nous est d'ailleurs très difficile de ne pouvoir nous appuyer sur des critères harmonisés nécessaires à l'identification des perturbateurs endocriniens. En dépit de cette difficulté, l'Anses étudie en outre cinq substances par an dans le cadre de la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens.

M. Dominique Gombert. - Nous avons notamment étudié l'année dernière le bisphénol, substance qu'on retrouve dans les produits domestiques. Bien que leur concentration demeure faible, de telles substances se retrouvent dans l'air intérieur.

M. Jean-François Husson, président. - Quelle est l'interaction entre la pollution et les milieux ? La pollution de l'air agit-elle sur la pollution de l'eau et des sols, et inversement ? L'impact de ces interactions peut-il être mesuré ?

M. Dominique Gombert. - S'agissant des interactions entre l'air intérieur et extérieur, les polluants sont différents entre l'intérieur et l'extérieur. Ouvrir ses fenêtres revient parfois à laisser entrer des polluants extérieurs auxquels s'ajoutent d'autres polluants d'origine domestique qui se trouvent à l'intérieur. Globalement, en termes de mesure, les polluants ne sont pas les mêmes selon que l'on se trouve à l'intérieur ou à l'extérieur, à l'exception peut-être des particules qui demeurent un enjeu commun. Cependant, des travaux sur l'interaction, à proprement parler, entre les deux types d'air n'ont pas été conduits par l'Anses. En revanche, la Commission économique des Nations-unies (Cenu) s'est emparée de cette question et a porté un grand nombre de protocoles relatifs à la pollution transfrontière, en matière de diffusion de dioxyde d'azote induisant les pluies acides dans le Nord de l'Europe, avant de prendre en compte l'ensemble des polluants et de leurs externalités négatives. Un grand nombre de travaux, dont certains conduisent à une monétarisation des effets sur l'environnement à l'échelle européenne, a également été conduit par un institut autrichien, l'International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA).

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - J'ai été informée d'une évaluation annuelle des coûts tangibles et intangibles de la morbidité liée à la qualité de l'air à quelque 500 euros par habitant. Sur quels critères dressez-vous la liste des coûts tangibles et intangibles ? Les critères émanant des juridictions, en matière notamment d'indemnisation, sont-ils inclus dans votre démarche ? En fonction de la localisation des personnes, qui peuvent se trouver dans des zones très polluées, ne doit-on pas ré-estimer de tels coûts ?

M. Guillaume Boulanger. - Les coûts induits par les soins et supportés par la collectivité peuvent facilement être pris en compte, s'agissant notamment du traitement des pathologies comme les maladies respiratoires, le cancer du poumon ou encore les affections cardio-vasculaires. La question du coût induit par une année de vie perdue fait en revanche débat : l'Anses a retenu la valeur de 115 000 euros, en se fondant sur les travaux de la commission présidée par M. Emile Quinet. Mais cette évaluation demeure complexe et doit être sans cesse actualisée, en maximisant l'impact du présent dans les calculs. Les pertes en matière de production, liées à l'absentéisme du travail, sont également prises en compte. Le coût assurantiel n'est pas retenu dans nos calculs ; seuls les éléments opposables, faisant référence à un cadre réglementaire, sont pris en compte comme critères..

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Et les critères évoqués par le Conseil d'État en matière de réparation du risque écologique ?

M. Guillaume Boulanger. - Le coût d'une vie perdue peut être calculé de trois manières. D'une part, une première manière, qui se réclame d'une conception économique néo-classique, consiste à mesurer les pertes de revenus mais demeure critiquable puisque les non-actifs, comme les enfants, ne sont pas pris en compte. D'autre part, les coûts induits par les décès évalués par les assurances-vie représentent une seconde manière qui est considérée comme arbitraire et ne s'applique pas au risque environnemental. En outre, ce calcul ne prend pas en compte de manière pertinente les situations de maladie chronique induites par celui-ci. Enfin, une troisième manière repose sur la notion de consentement à un coût destiné à assurer la sécurité. Du fait de la difficulté entourant ces trois méthodologies, le recours à des scenarii et à des travaux préparatoires a été retenu par notre étude.

M. Jean-François Husson, président. - Je vous remercie pour la qualité de vos propos et de nos échanges.

Audition de Mme Nathalie Girouard, chef de la division des performances environnementales et de l'environnement, et de M. Nils-Axel Braathen, administrateur principal, à la direction de l'environnement de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

M. Jean-François Husson, président. - Nous auditionnons maintenant Mme  Nathalie Girouard, chef de la division des performances environnementales et de l'environnement, et de M. Nils-Axel Braathen, administrateur principal, à la direction de l'environnement de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Je rappelle que la commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse et qu'un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Le 9 octobre dernier l'OCDE a publié un rapport sur le coût économique de la pollution de l'air lié au transport routier. Le dernier en date de nombreux travaux qui rejoignent l'objet de notre commission d'enquête. Il nous a donc semblé important de vous entendre et je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête leur demander de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Madame Nathalie Girouard et Monsieur Nils-Axel Braathen, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Les deux personnes prêtent serment.

M. Jean-François Husson, président. - Madame, Monsieur, à la suite de votre exposé introductif, ma collègue Leila Aïchi, rapporteure de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Vous avez la parole.

Mme Nathalie Girouard. - Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je débuterai mon propos par une rapide présentation de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). La mission de notre organisation est de promouvoir les politiques qui améliorent le bien-être économique et social partout dans le monde. L'OCDE offre ainsi aux gouvernements un forum où ils peuvent conjuguer leurs efforts, partager leurs expériences et chercher des solutions à des problèmes communs. Nous travaillons avec les gouvernements afin de comprendre quel est le moteur du changement économique, social et environnemental. Nous mesurons la productivité et les flux mondiaux d'échanges et d'investissement. Nous analysons et comparons les données afin de prédire les tendances à venir. L'OCDE élabore également des normes internationales dans un grand nombre de domaines, de l'agriculture à la fiscalité en passant par la sécurité des produits chimiques.

Nous examinons également les questions qui affectent directement la vie des gens, comme le coût des impôts et de la sécurité sociale. Nous comparons la façon dont les systèmes éducatifs préparent les jeunes à la vie moderne et la façon dont les systèmes de retraite protègeront les citoyens plus âgés.

Je vais laisser la parole à mon collègue, M. Nils-Axel Braathen, qui va vous présenter les conclusions du rapport « le coût de la pollution de l'air : impacts sanitaires du transport routier. »

M. Nils-Axel Braathen. - Notre livre, publié en français en octobre dernier, s'appuie sur les données épidémiologiques fournies par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Institute for Health Metrics and Evaluation basé à Seattle, aux Etats-Unis. A partir de ces données, l'OCDE a précisé la « valeur d'une vie statistique ».

Ces données relatives au nombre de décès résultant de la pollution extérieure ont évolué de manière significative durant ces dix dernières années. En 2000, l'OMS faisait état de huit cent mille décès résultant de ce phénomène, puis l'OCDE a réévalué ce chiffre en 2010 à 1,4 million, tandis que l'Institute for Health Metrics and Evaluation, la même année, estimait ce chiffre à 3,2 millions de décès causés par les particules fines auxquels s'ajoutent 200 000 décès causés par l'ozone. L'OMS a, quant à elle et pour l'année 2012, évalué jusqu'à 3,7 millions le nombre total de décès dus à la pollution atmosphérique. Une telle croissance, doit-on souligner, résulte d'une qualité accrue des données disponibles qui a permis d'affiner les analyses.

D'ailleurs, de tels résultats présentent de réelles disparités entre les pays. En effet, si l'on constate, entre 2005 et 2010, une légère diminution du nombre de morts dans les pays de l'OCDE, les décès dus à la pollution de l'air extérieur enregistrent une hausse dans le reste du monde, en particulier en Chine et en Inde. Des variations très significatives se retrouvent au sein des pays membres de l'OCDE ; les pays qui présentent le moins de décès présentent des caractéristiques géographiques, comme une façade maritime par exemple, qui favorisent une bonne qualité de l'air. Les pays qui appartenaient à l'ancien bloc de l'Est connaissent, en revanche, un nombre de décès plus important, du fait notamment des anciens systèmes de chauffage.

Certes, la réduction de la mortalité due à la pollution de l'air extérieur entre 2005 et 2010 a été plus significative parmi les pays de l'OCDE, en raison notamment de la politique mise en oeuvre par l'Union européenne. Cependant, la réduction enregistrée en France, durant cette même période, figure parmi les performances les plus basses en Europe continentale.

Dès lors, la mortalité a baissé de 4 % entre 2005 et 2010 dans les pays de l'OCDE. Elle a ainsi baissé dans 20 pays et augmenté dans 14. Dans les autres parties du monde, le nombre de victimes augmente concomitamment. Ainsi, en Chine en 2010, la pollution de l'air a provoqué 1,3 million de morts, soit 5 % de plus qu'en 2005 et, durant la même période, elle a entraîné la mort de 700 000 personnes en Inde, soit 12 % de plus qu'en 2005.

L'ensemble de ces données à caractère épidémiologique ne relève pas de l'expertise de l'OCDE. La contribution de notre organisation à ce débat débute réellement avec la publication, en 2012, d'une nouvelle méthode pour calculer la valeur d'une vie statistique en fonction des pays dans notre rapport intitulé « La valorisation du risque de mortalité dans les politiques de l'environnement, de la santé et des transports ».

Il importe, avant tout, de préciser ce qu'on entend par la notion de « coût » dans le domaine économique. Si la valeur désigne ce qui représente un intérêt pour un individu donné, comme la consommation, le loisir, la santé ou encore la vie, le coût correspond à la perte de ces éléments constitutifs de la valeur. Ainsi, le coût de la mortalité est la « valeur d'une vie statistique » ou, en d'autres termes, la consommation à laquelle on est prêt à renoncer pour réduire le risque de mourir prématurément. Le coût de la morbidité est plus difficile à établir. Il impose des calculs multiples, qui ne se limitent pas à la santé mais concernent également les pertes de consommation et de loisir. Si la méthode pour calculer ce coût doit encore être élaborée, il est estimé à environ 10 % du coût de la mortalité.

La valeur statistique d'une vie varie ainsi selon les pays et reflète le niveau de vie des pays pour lesquelles elle est calculée (en effet, plus le pays est riche, plus la valeur de la vie statistique est élevée). Elle s'élève, en France, à quelque 3,2 millions de dollars USD en 2010. Cette valeur est plus haute dans les pays de l'OCDE qu'en Chine et en Inde. Dans les pays où le niveau de vie est plus bas, il est moins possible de renoncer à certains biens pour réduire le risque. Toutefois, un tel écart se réduit : les PIB par habitant de la Chine et de l'Inde ont respectivement augmenté de 65 % et de 40 % entre 2005 et 2010.

Dès lors, les calculs de valeur d'une vie statistique établissent le coût économique des décès liés à la pollution de l'air dans les pays de l'OCDE à presque 1 600 milliards de dollars USD en 2010. Avec 10 % de supplément pour la morbidité, le nombre atteint 1 700 milliards de dollars USD. La part attribuable au transport routier revient à 900 milliards de dollars USD. En outre, le coût économique des morts liées à la pollution de l'air s'élève à 1 400 milliards de dollars en Chine et à 500 milliards de dollars USD en Inde. Certes, le transport routier représente moins de 50 % en Chine et en Inde, mais sa part demeure tout de même conséquente.

Notre estimation ne concerne pas l'impact sur le PIB. Mais on peut souligner que le coût de la mortalité liée à la pollution de l'air représente en moyenne l'équivalent, de 4 % du PIB pour l'ensemble des pays de l'OCDE -3,4 % pour la France.

Le transport routier demeure une source importante de la pollution. Ainsi, dans les pays de l'OCDE, on attribue en moyenne 50 % de la pollution de l'air extérieur au transport. La tendance demeure à la baisse dans la plupart des pays de l'OCDE, mais le nombre croissant de véhicules à la motorisation diesel menace cette tendance. Ainsi, la quasi-totalité des pays membres de l'OCDE, à l'exception notable des Etats situés sur le continent américain, appliquent des taxes plus faibles pour le diesel, ce qui incite à sa diffusion. C'est pourquoi la part du diesel dans les nouvelles immatriculations demeure très élevée dans les voitures de tourisme et la France possède l'un des taux de diésélisation les plus élevés.

Notre rapport se termine avec des préconisations de politique publique. Ainsi, concernant la pollution de l'air en général, il est temps de redéfinir les politiques en faveur du diesel. En effet, les bénéfices d'une réduction de la pollution sont plus élevés que les coûts des mesures nécessaires pour l'obtenir.

L'OCDE conduit actuellement une série de travaux sur le coût macro-économique de la pollution de l'air. Ainsi, le Centre de développement de notre organisation a réalisé des évaluations similaires pour l'Asie du Sud-Est. L'OMS Europe et l'OCDE préparent également ensemble des évaluations pour les 53 pays membres de l'OMS Europe. En outre, les travaux préparatoires se poursuivent pour estimer les coûts économiques de la morbidité, du même type que la valeur d'une vie statistique pour la mortalité. Et l'année 2015-2016 devrait être marquée par de nombreux travaux de l'OCDE sur ces questions.

M. Jean-François Husson, président. - Je vous remercie de votre présentation synthétique.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - J'aimerais savoir si l'OCDE s'interroge sur les raisons pour lesquelles les choix collectifs en matière de transport n'ont pas été opérés. Le choix du diesel et du faible développement des transports collectifs est-il lié à une mauvaise appréciation des coûts économiques de la pollution de l'air ?

M. Nils-Axel Braathen. - Il est parfois difficile de comprendre les motivations qui concourent à la mise en oeuvre d'une certaine politique. Des intérêts économiques et l'existence d'une industrie automobile importante tendent à faire prévaloir leur point de vue. D'une manière générale, vous connaissez la politique mieux que moi ! S'agissant du calcul de l'impact sur le PIB, on doit bien évidemment essayer de le calculer, mais celui-ci ne me paraît pas très haut. Les chiffres que je viens de vous communiquer me paraissent d'ailleurs beaucoup plus élevés au niveau social que sur le PIB. En effet, seuls les décès des personnes actives induisent des effets manifestes sur le PIB et la productivité, alors que celui de personnes en bas âge ou retraitées induit une réelle perte pour la société. Des études conduites aux Etats-Unis ont montré que la productivité des travailleurs, dans le secteur agricole, varie selon la pollution de l'air, de même que pour les personnes travaillant à l'intérieur de bâtiments. Mais je reste personnellement convaincu que l'impact sur le PIB demeure beaucoup plus bas que celui du coût réel pour la société.

Mme Nathalie Girouard. - A cet égard, la modélisation de l'impact sur le PIB s'inscrit dans un cadre comptable beaucoup plus restrictif que le cadre utilisé dans notre étude, puisque celui-ci incorpore des aspects sociaux. Par conséquent, un seul aspect du vrai coût supporté par la société est modélisé en mesurant l'impact sur le PIB ! Une telle perspective permet certes de retracer les liens entre diverses politiques économiques, mais elle ne représente qu'une vue partielle de cette réalité !

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Quels sont, selon vous, les facteurs de croissance économique liés à la lutte contre la pollution de l'air ?

M. Nils-Axel Braathen. - Cette question est difficile. Il existe des secteurs industriels qui provoquent la pollution de l'air et qui acquittent les taxes frappant les émissions d'oxyde d'azote instaurées dans plusieurs pays. D'ailleurs, le taux de taxe en Suède est environ cent fois plus élevé que celui appliqué en France ! Une telle importance n'est pas sans induire un impact accru sur les niveaux d'émissions. Le taux en vigueur en France me paraît proprement inefficace à l'inverse du taux qui, en Suède, a induit une forte réduction des émissions d'oxyde d'azote sur chaque unité d'énergie produite par le secteur industriel.

Mme Nathalie Girouard. - De façon plus générale, les politiques économiques qui intègrent dès leur formulation une dimension et des préoccupations environnementales, s'avèrent moins dommageables pour la pollution de l'air. D'ailleurs, l'intégration des politiques sectorielles dans une perspective de croissance verte conduit à maximiser les effets bénéfiques et à favoriser une croissance durable.

Mme Nelly Tocqueville. - Je formulerai une remarque. Au vu de votre présentation, je suis très inquiète car tout dépend de l'angle par lequel on analyse les conséquences de la pollution de l'air. Lors des précédentes auditions, nous avons évoqué différents types de coût, dont le coût humain, qui nous imposent de réfléchir rapidement à d'autres modes de consommation et à des comportements différents. Limiter ces préoccupations aux seules conséquences sur le PIB me semble relativiser l'urgence qu'il y a à agir et le choix opéré en faveur du diesel va bien au-delà des seules incidences économiques pour renvoyer au projet de société lui-même. L'intérêt de l'humain doit nous préoccuper avant tout ! De ce fait, je m'interroge sur les conséquences que peuvent avoir de telles études sur les choix de politiques publiques dans la durée !

Mme Aline Archimbaud. - Les coûts sociaux et sanitaires sont supportés par les finances publiques. S'agissant des coûts économiques, certains secteurs industriels sont aujourd'hui en crise. Ne peut-on pas calculer les conséquences de l'évolution technologique de certaines industries, aujourd'hui polluantes, dans le secteur des transports notamment, et les envisager en termes d'attractivité et de développement économiques ? A l'inverse, ne peut-on pas évaluer le coût économique de la non-évolution de ces secteurs et leur absence de lutte contre la pollution de l'air ?

M. Nils-Axel Braathen. - Quelques-uns des impacts vont être estimés dans notre projet Circle « Costs of Inaction and Resource Scarcity », mais il est presque impossible d'évaluer l'impact double que vous venez d'évoquer, du fait de la difficulté d'identifier des paramètres pour envisager les tenants et les aboutissants de cette évolution. Je souligne que je ne veux pas limiter notre réflexion au coût pour le budget public, car celle-ci va bien au-delà et concerne la société prise dans son ensemble. Ce vrai coût va bien au-delà de ce qui est calculé pour le PIB. Que la population soit prête à accepter de perdre quelque pourcentage de PIB, soit environ 2 à 3 % en France, pour éviter les décès liés à la pollution de l'air me paraît important.

Mme Nathalie Girouard. - Certains coûts peuvent s'avérer moins difficiles à calculer que d'autres, à l'instar des coûts induits par la congestion ou les embouteillages dont on a, pour Londres notamment, une évaluation qui peut être traduite en termes de perte de bien-être.

M. Nils-Axel Braathen. - Nous avons reçu une question concernant les voitures diesel et leur comparaison avec les véhicules essence. Ainsi, le diesel est-il toujours plus nocif que l'essence ? Les nouveaux moteurs diesel, qui doivent désormais être conformes à la norme Euro VI, demeurent-ils plus polluants que les moteurs à essence ? Je ne suis pas un expert, mais je vous ai distribué les conclusions d'une étude réalisée par l'International Council on Clean Transportation (ICCT) qui a testé en condition réelles les voitures conformes à la norme Euro VI. Tandis que les résultats du test de l'ICCT coïncident avec les mesures faites dans le cadre de l'élaboration de la norme Euro VI pour évaluer la pollution des véhicules essence, la pollution des véhicules diesel s'est avérée, en conditions réelles, sept fois plus élevée que celle évaluée pour la norme Euro VI. Je suis tout à fait convaincu que les voitures diesel les plus modernes demeurent très polluantes.

Mme Nathalie Girouard. - Cette étude souligne l'inadéquation des protocoles de test d'un véhicule diesel avec les conditions réelles de son utilisation.

M. Jean-François Husson, président. - L'Anses, que nous venons d'auditionner, a, du reste, formulé le même constat.

Mme Fabienne Keller. - Dans le cadre de mon rapport sur le véhicule écologique, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) nous avait indiqué que seuls quelques polluants étaient mesurés, comme l'oxyde d'azote et le dioxyde de carbone, et que certains qui sont actuellement ignorés par les tests, peuvent s'avérer plus dangereux encore ! C'est la raison pour laquelle l'Ademe s'est prononcée de façon moins tranchée sur cette question du diesel, en insistant sur la nécessaire neutralité en matière de fiscalité. La stratégie française d'encouragement au diesel n'est certes pas neutre et s'inscrit sur le long terme. On ne sait que ce l'on mesure et un certain nombre de micropolluants ne sont pas aujourd'hui mesurés.

M. Nils-Axel Braathen. - Je vous l'accorde, mais je rappellerai que si l'OMS prend en compte la mortalité résultant des particules fines et de l'ozone, elle commence à s'intéresser aux conséquences morbides de l'exposition au dioxyde d'azote. Cette démarche est importante car, durant cette dernière décennie, l'oxyde d'azote (NO2) émis par les voitures diesel a augmenté de manière certaine. Et cette substance peut causer un certain nombre de décès prématurés.

M. Jean-François Husson, président. - Faut-il - et le cas échéant, comment - accompagner l'industrie automobile vers une production moins polluante, pour ne pas dire non polluante ?

Mme Nelly Tocqueville. - Pouvez-vous évaluer l'impact de la croissance verte sur la croissance en général dans les pays de l'OCDE ?

M. Nils-Axel Braathen. - Nous avons essayé d'étudier l'impact des politiques environnementales plus ambitieuses sur la productivité de long terme dans les pays membres de l'OCDE. Cette étude n'a pas recensé d'effets négatifs. Introduire des politiques environnementales ambitieuses ne tue donc pas la croissance ! Par ailleurs, il importe à mes yeux de réduire l'écart de taxes entre l'essence et le diesel. Il faut également adresser un signal fort à l'industrie automobile, ce qui ne manquera pas de stimuler sa créativité et ce, sans pour autant lui attribuer de subventions supplémentaires. Par le passé, il est vrai, on a plutôt stimulé la demande pour les véhicules diesel, via le système bonus-malus par exemple en France. Il faut ainsi combattre la diésélisation de la France !

Mme Nathalie Girouard. - S'agissant de la croissance verte, une meilleure gestion des ressources naturelles entraîne des gains de productivité pour produire la même quantité de biens et de services ! Une économie qui impute un coût croissant à la pollution stimule l'innovation. Ces mesures permettent également d'éviter des chocs ou des dérèglements macroéconomiques et de prévenir la raréfaction de certaines ressources naturelles et dans certains secteurs. Enfin, nous entendons conduire une revue des performances environnementales de la France et si le Sénat, via ses commissions, souhaite nous communiquer ses travaux, nous serons heureux de dialoguer avec vous et de partager vos résultats.

M. Jean-François Husson, président. - Je vous remercie. Nous ferons part aux commissions et à la présidence du Sénat de votre proposition.

La réunion est levée à 13 heures.

Audition de M. Philippe Hubert, directeur des risques chroniques, et de Mme Laurence Rouil, responsable du pôle modélisation environnementale et décision de cette direction, à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris)

M. Jean-François Husson, président. - En conclusion de notre première journée de travaux, nous auditionnons M. Philippe Hubert, directeur des risques chroniques, et Mme Laurence Rouil, responsable du pôle modélisation environnementale et décision de cette direction, à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris).

Je rappelle que la commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse. Un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public, ici présent, sur l'obligation d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera expulsée.

L'Ineris a pour mission de contribuer à prévenir les risques induits par les activités économiques sur la santé, la sécurité des personnes ou des biens, et sur l'environnement. Menant des programmes de recherche visant à mieux comprendre les phénomènes susceptibles de conduire aux situations de risques ou d'atteintes à l'environnement et à la santé, il développe sa capacité d'expertise en matière de prévention. Ses compétences scientifiques et techniques sont mises à la disposition des pouvoirs publics, des entreprises et des collectivités locales afin de les aider à prendre les décisions les plus à même d'améliorer la sécurité environnementale.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais maintenant demander à M. Philippe Hubert et Mme Laurence Rouil de prêter serment.

Je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Philippe Hubert et madame Laurence Rouil, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux intervenants prêtent serment.

M. Jean-François Husson, président. - Madame, monsieur, à la suite de votre exposé introductif, ma collègue Leila Aïchi, rapporteure de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions, puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Vous avez la parole.

M. Philippe Hubert. - Notre présentation liminaire suivra le questionnaire que vous avez transmis.

L'institut est un établissement public industriel et commercial à très forte composante expérimentale. Passant beaucoup de temps sur le terrain, il travaille dans le domaine accidentel ainsi que sur les risques chroniques.

Thésards non compris, ce dernier thème occupe quelque 200 personnes représentant quatre grandes fonctions : les mesures effectuées par des chimistes ; le travail des toxicologues ; l'évaluation des risques sanitaires ; la modélisation du trajet de polluants à longue distance et l'appréciation de la dépollution ou de la substitution de substances chimiques.

Face à une pollution, la première interrogation est : quelles sont les émissions ? Vient ensuite la modélisation des transformations chimiques et du transport -notamment vers les villes- permettant d'apprécier l'exposition des personnes et des milieux. S'ajoute l'appréciation des dommages puis des coûts induits par les actions de réduction. L'Ineris maîtrise l'ensemble du processus, sauf les dommages. Un modèle intégré, élaboré par l'institut permet de tout enchaîner.

Sur le plan international, la France et l'Union européenne sont parties au protocole de Göteborg à la Convention sur le transport de polluants atmosphériques à longue distance. Le « European monitoring and evaluation program » (Emec), présidé par Mme Rouil depuis trois mois, produit les données scientifiques nécessaires à l'évolution du droit mondial. Un organisme situé en Autriche, autrefois rattaché à l'Otan, dénommé International institute for applied systems analysis (Iiasa), a travaillé sur les modèles intégrés utilisés pour les valorisations économiques. À une époque, l'Iiasa était accusé de produire des « boites noires » mais l'Ineris a depuis retravaillé ces modélisations.

Mentionnons enfin le paquet « air pur » élaboré l'an dernier par la Commission européenne.

Mme Laurence Rouil. - J'en viens aux travaux et analyses coûts-bénéfices des stratégies de gestion de la pollution atmosphérique.

L'Ineris, notamment le pôle dont j'ai la responsabilité, apporte une contribution à de nombreux organismes et participe à des programmes de recherche européens ou internationaux destinés à développer des outils -notamment en matière de chimie et de transport de substances polluantes- afin de réduire la concentration de polluants atmosphériques. L'Ineris est membre du centre thématique de l'Agence européenne de l'environnement sur la pollution de l'air. Nous travaillons avec l'Iiasa depuis une dizaine d'années en utilisant des versions francisées des outils élaborés.

Ainsi, l'institut a simulé, pour le ministère de l'écologie, l'effet sur l'ozone troposphérique des mesures destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Résultat : les mesures de réduction des émissions réduisent nettement les pics de pollution à l'ozone troposphérique à l'horizon 2030.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Ça fait rêver !

Mme Laurence Rouil. - En effet !

Il en va de même pour la pollution aux microparticules PM2,5.

Le bilan coûts-bénéfices des effets sanitaires des microparticules est simulé à partir de deux scénarios à l'horizon 2030 : selon le premier scénario, les bénéfices sanitaires atteindraient 15 milliards d'euros par an pour un coût annuel de 6 milliards ; dans le deuxième scénario, fondé sur des efforts accrus négociés en ce moment au niveau européen, les bénéfices annuels atteindraient 17,7 milliards d'euros pour des coûts chiffrés à 6,4 milliards d'euros par an.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Les modélisations sont critiquées. Comment éviter leur mise en cause ?

Mme Laurence Rouil. - Elles ont pu l'être avec raison il y a une quinzaine d'années mais nous avons fait d'importants progrès depuis. Avec le CNRS, nous développons le modèle CHIMERE qui prend en compte les émissions et la météorologie. D'autres équipes européennes travaillent sur des modèles ayant le même objet. CHIMERE est utilisé dans le cadre de prévisions à un ou deux jours pour le système national de prévision de la qualité de l'air (PREVAIR), ou à des fins de simulation en 2020, 2030 ou 2050. L'utilisation quotidienne à un horizon de 24 heures a permis de le perfectionner depuis douze ans en suivant des axes de recherche définis par référence à l'évaluation permanente du modèle. Sous l'impulsion de l'Ineris, les équipes européennes comparent les résultats de leurs modèles, ce qui les rend plus fiables. D'où notre assurance en ce domaine.

M. Philippe Hubert. - Ce travail de modélisation explique largement la création de cette équipe au sein de l'institut : nous ne voulions pas d'une « boite noire ».

Mme Laurence Rouil. - Les études coûts-bénéfices prennent en compte de nombreux indicateurs de mortalité ou de morbidité avec des niveaux de doses-réponses. Les polluants concernés sont l'ozone troposphérique et les microparticules PM2,5 car l'état de l'air ne permet pas d'aller plus loin aujourd'hui. Des valeurs monétaires sont associées aux années de vie perdues et aux morts prématurées. Moyennant des hypothèses sur l'évolution démographique, nous estimons que le coût de la pollution atmosphérique passera de 35 milliards d'euros en 2005 à un montant compris entre 17,6 et 20 milliards d'euros à l'échéance 2030 en fonction des politiques appliquées.

Le coût de ces politiques est évalué par l'Iiasa qui se focalise sur les mesures techniques, à mode de vie inchangé.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Justement, quelle est l'incidence du mode de vie ?

Mme Laurence Rouil. - Sujet extrêmement compliqué : tout dépend de l'appétence du citoyen pour les mesures prises.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - C'est donc loin d'être négligeable.

M. Philippe Hubert. - Avant de laisser Mme Rouil poursuivre, j'ajoute que la France compte aujourd'hui 66 millions d'habitants, contre 59 millions en 2005, soit 10 % de plus. Ce qui a un impact important sur le calcul des coûts et des bénéfices.

Mme Laurence Rouil. - Les effets non sanitaires de la pollution atmosphérique sont souvent négligés. L'Ineris s'est intéressé aux excès de dépôt d'azote et à leurs effets sur les écosystèmes. À l'horizon 2020, un effet d'eutrophisation incontestable a été mis en évidence mais cette perte de biodiversité n'a pas encore pu être valorisée en termes monétaires.

L'ozone troposphérique affecte les rendements agricoles et la capacité des végétaux à stocker du CO2. En 2000, les pertes provoquées par la chute des rendements du blé -soit 14%- ont atteint 3,2 milliards d'euros pour l'Union européenne.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Y a-t-il un effet pour les algues ?

M. Philippe Hubert. - Elles subissent plutôt l'évolution de l'eau. Mais la pollution de celle-ci n'est pas nécessairement dénuée de rapport avec l'air.

L'Ineris a édité des cartes d'inégalités environnementales pour certains polluants.

Mme Laurence Rouil. - J'en viens au troisième point de votre questionnaire : les enseignements tirés.

Tout d'abord, les bénéfices l'emportent largement sur le coût des mesures à prendre. Ensuite, l'impact sanitaire est le thème largement prédominant lié à la pollution de l'air, surtout à propos des microparticules bien que la problématique soit multifactorielle, la notion de microparticule n'étant pas homogène.

M. Charles Revet. - Il y a quinze jours, notre assemblée a examiné la loi sur la transition énergétique. Les cultures ont-elles une incidence sur la qualité de l'air ? La luzerne transforme le gaz carbonique en azote, restitué au sol.

Mme Laurence Rouil. - Les végétaux influencent la qualité de l'air surtout via les composés organiques volatils.

M. Charles Revet. - Quid de l'absorption de polluants ?

Mme Laurence Rouil. - C'est le cas vertueux par excellence -perturbé par l'excès d'azote dans l'atmosphère- mais nous n'avons pu le quantifier.

M. Philippe Hubert. - La pollution a un effet négatif sur les cultures : l'agriculture en est donc victime.

Mme Laurence Rouil. - S'agissant du lien entre changement climatique et pollution de l'air, il faut noter que le climat influence la qualité de l'air, notamment les pics d'ozone troposphérique. Il y a de quoi équilibrer plus aisément la politique climatique, notamment en lien avec une politique dirigée contre la pollution.

M. Philippe Hubert. - Il est donc possible de gagner sur les deux tableaux à la fois : il y a des synergies.

Mme Laurence Rouil. - Les antagonismes -illustrés par le débat sur la combustion du bois- sont relativement rares.

M. Philippe Hubert. - Comment mesurer les polluants ? Ce n'est pas le coeur de métier pour l'Ineris, qui travaille donc avec le Laboratoire central sur la qualité de l'air. En outre, nous procédons à des enquêtes sur le terrain pour analyser l'air, qu'il soit intérieur ou extérieur. Les données des installations classées font l'objet d'une collecte spécifique ; elles sont mises à la disposition du public. Enfin, nous sommes chargés de réaliser un inventaire national spatialisé des émissions, ce qui suppose toute une chaîne de partenaires afin que les modèles utilisent toutes les données pertinentes.

La pollution de l'air à l'intérieur des logements. Nous avons effectué des études extrêmement fines dans les logements, notamment en fonction des chaudières utilisées, un sujet que nous avons étudié en liaison avec l'Observatoire sur la qualité de l'air intérieur, dont nous avons défini les protocoles.

Nous avons travaillé sur les pressings, d'où nous avons fait bannir le perchloroéthylène après un travail de dix ans. Nous nous sommes penchés sur toutes les combustions et nous achevons une étude sur les produits ménagers. En matière d'air intérieur, beaucoup dépend des usagers, ce qui simplifie l'élaboration de recommandations. L'Anses s'est également intéressée à la pollution de l'air intérieur.

Les sols et sous-sols sont trop souvent oubliés, alors même que certaines constructions sont érigées sur des sols pollués.

Presque toutes les émissions de polluants aériens classiques ont diminué -l'ammoniac seul reste constant- au cours du temps, mais cela n'assure pas nécessairement une moindre exposition des êtres humains.

J'ajoute que nos cartes de prévision sont disponibles sur notre site.

En conclusion, la pollution de l'air relève d'une problématique de grande échelle nécessitant des mesures globales articulées avec des actions locales ou sectorielles. Pour mettre en balance la santé publique et la pollution, il convient de généraliser la monétarisation des modèles. Je pense au plan national « santé-environnement ».

Enfin, j'insiste sur la pérennité d'une présence française forte et compétente dans les institutions internationales, qui suppose de conserver une capacité suffisante d'investigation sur le terrain et d'innovation.

M. Jean-François Husson, président. - Il me reste à vous remercier.

La séance est levée à 15 heures.