Jeudi 16 avril 2015

- Présidence de M. Charles Revet, président -

Audition du Professeur Michel Aubier, chef du service de pneumologie à l'hôpital Bichat, représentant l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris

La réunion est ouverte à 9 heures 30.

Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission procède à des auditions dans le cadre de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air.

M. Jean-François Husson, président. - Mes chers collègues, nous reprenons aujourd'hui les auditions de notre commission d'enquête sur l'impact économique et financier de la pollution de l'air.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public sur le fait qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue.

J'en viens à notre réunion.

Nous commençons par l'audition du Pr Michel Aubier, chef du service de pneumologie à l'hôpital Bichat, représentant l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris. M. Martin Hirsch, directeur général de l'AP-HP, nous a fait savoir qu'il avait une obligation prévue de longue date à Lyon aujourd'hui et nous l'auditionnerons à titre personnel plus tard dans nos travaux.

Savoir comment l'AP-HP appréhende la question des coûts économiques et financiers de la pollution de l'air, au travers d'abord, mais pas uniquement, de la question de la prise en charge des pathologies liée à cette pollution et spécialement des pathologies aigües nous a paru légitime et important.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander au Pr Aubier de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Michel Aubier, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

M. Michel Aubier prête serment.

Monsieur le Professeur, à la suite de votre exposé introductif, ma collègue Leila Aïchi, rapporteure de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pourriez-vous également nous indiquer les liens d'intérêts que vous pouvez avoir avec les acteurs économiques ?

M. le Professeur Michel Aubier. - Je n'ai aucun lien d'intérêt avec les acteurs économiques.

M. Jean-François Husson, président. - Je vous donne la parole.

M. le Professeur Michel Aubier. - Juste en préambule, l'évaluation que vous évoquez n'est pas chose aisée puisque la part attribuée aux pathologies dépend des modèles utilisés. Si aucune étude spécifique n'a été conduite, à ce jour, par l'APHP, il est en revanche possible d'estimer les coûts des pathologies les plus fréquentes liées à la pollution atmosphérique.

Celles-ci rassemblent d'une part les pathologies respiratoires, comme l'asthme, les bronchites aigües et chroniques, à savoir les bronchopneumopathies chroniques obstructives (BPCO) et, d'autre part, les maladies cardiovasculaires, comme les infarctus du myocarde et les accidents vasculaires cérébraux.

Les passages aux urgences ainsi que les hospitalisations sont ainsi recensés. En 2014, 62 % des 21 500 passages aux urgences recensés par l'APHP concernent des maladies respiratoires, parmi lesquelles, d'après la littérature médicale, 80 % sont dues au tabagisme, 10 % aux maladies professionnelles et une proportion de 5 à 10 % sont liées à la pollution de l'air. Les pathologies cardio-vasculaires représentent, quant à elles, une proportion plus faible de l'ordre de 1 à 2 %. Ce sont ainsi entre 800 et 1 500 hospitalisations qui sont directement liées à la pollution de l'air ; cette estimation ne prenant cependant pas en compte les éventuelles complications.

Un grand nombre de patients fréquentent les urgences sans être par la suite hospitalisés, sauf dans des cas d'asthme et de bronchite chronique, ces derniers touchant un enfant sur cinq et un adulte sur dix. Ces pathologies représentent ainsi entre 3 500 et 7 000 passages annuels aux urgences.

Le coût total pour l'APHP de ces pathologies est estimé entre 2,4 et 4,85 millions d'euros, dont 18,7 % de passage aux urgences et 81,3 % pour l'hospitalisation.

Les affections respiratoires représentent 14 000 hospitalisations. Les hospitalisations pour asthme et bronchites - essentiellement asthme à 90 % - représentent 8 500 séjours dont deux-tiers pour les enfants et un tiers pour les adultes.

L'âge moyen est de 16,6 ans chez les patients asthmatiques et la durée moyenne de séjour est de 2 jours. Chez les patients ayant une bronchite aigüe ou chronique simple, pour un total de 943 séjours, l'âge moyen est de 62,4 ans et la durée moyenne de séjour est de 5,2 jours. Enfin, les patients avec BPCO représentent environ 5 500 séjours pour un âge moyen de 68,7 ans et une durée moyenne de séjour de 5,4 jours. Les coûts varient entre 1,5 et 3 millions d'euros par an, selon la fraction attribuable à l'environnement et comprise entre 5 et 10 % sur les pathologies respiratoires.

Pour les infarctus du myocarde sont pris en compte tous les séjours avec un diagnostic principal chez les patients âgés de plus de 50 ans. Les affections cardiaques représentent 2 300 séjours hospitaliers. L'âge moyen est de 69,1 ans et la durée moyenne de séjour est de 6,5 jours. Le coût pour une part attribuable à l'environnement comprise entre 1 et 2 % est estimé entre 135 000 et 270 000 euros.

Les accidents vasculaires cérébraux représentent quant à eux 5 100 séjours. L'âge moyen est de 74,6 ans et la durée moyenne de séjour est de 11 jours. Le coût est estimé entre 320 000 et 640 000 euros.

Un graphique met en corrélation le nombre d'entrées hospitalières pour affections respiratoires à l'APHP et l'indice de pollution de l'air établi par Airparif. Cette corrélation est clairement attestée tout au long de l'année, à l'exception du mois d'août marqué par les départs en vacances.

Les besoins en nombre de lits et en personnels de l'APHP se situent respectivement entre dix et vingt lits tout au long de l'année, et entre dix et vingt équivalents temps plein, pour un montant entre 445 000 et 890 000 euros selon qu'on applique le ratio APHP entre la présence au lit et le personnel soignant. Ce ne sont là que des estimations.

M. Jean-François Husson, président. - Le coût total de la pollution atmosphérique est ainsi évalué par l'APHP entre 2,5 et 4,8 millions d'euros ? Pourrez-vous nous communiquer le graphique que vous venez de nous évoquer ?

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Avez-vous retracé une évolution quant au nombre de pathologies depuis ces dernières années ? Votre évaluation prend-elle en compte la pollution de l'air intérieur ?

M. le Professeur Michel Aubier. - S'agissant de l'évolution de la relation entre le nombre de pathologies et la pollution, il est assez difficile de fournir une réponse précise puisque les patients hospitalisés passent par les urgences. En revanche, il est manifeste qu'une hausse des demandes de consultation non programmées s'est produite au cours de ces dernières années.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pourquoi est-ce compliqué de fournir une réponse ?

M. le Professeur Michel Aubier. - Il existe un codage par pathologie au niveau des hospitalisations que ne suivent pas les consultations, ce qui rend l'estimation globale beaucoup plus approximative. Toutes les études scientifiques démontrent cependant qu'à chaque pic de pollution correspond une hausse des consultations médicales et de la consommation médicamenteuse.

Il est vrai que la pollution intérieure joue un rôle non négligeable, mais l'APHP n'a pas, à ce jour, conduit d'étude sur cette thématique. Il existe certes une réglementation pour les bâtiments et les seuls éléments dont nous disposons concernent les infections nosocomiales des patients consécutives à la présence de moisissures dans les faux plafonds et d'aspergillus dans l'air intérieur, induisant un risque pour les patients immunodéprimés.

M. Jean-François Husson, président. - S'agissant de l'impact économique et financier de la pollution de l'air, les enfants et les retraités sont manifestement les plus touchés. Mais nous sommes loin d'atteindre une estimation du coût économique qui aille au-delà des simples données financières que vous évoquiez. Pensez-vous possible d'atteindre une meilleure évaluation du coût en segmentant mieux les populations que touchent les pathologies induites par la pollution atmosphérique ? Par ailleurs, lorsque vous mentionnez le nombre de dix à vingt lits mobilisés, celui-ci est-il demeuré constant depuis ces dernières années ?

M. le Professeur Michel Aubier. - S'agissant de l'évaluation des coûts indirects engendrés par la pollution, l'hospitalisation des enfants et des jeunes n'induit pas de coût important et se mesure avant tout en termes d'absentéisme scolaire. Les gens âgés, qui sont principalement touchés par les accidents cardio-vasculaires cérébraux, ne sont plus, dans la quasi-totalité des cas, en activité. En revanche, la prise en charge des crises d'asthme chez l'adulte a beaucoup progressé ces dernières années et fait l'objet d'une hospitalisation dans une moindre mesure que par le passé. Les traitements de fond permettent de réduire les effets de la pollution sur la santé des patients, mais on constante un faible taux d'observance, de l'ordre de 15 à 20 % ! De sorte que, chez les adultes asthmatiques actifs, qui ne suivent pas leur traitement, la sensibilité à la pollution est extrême et conduit à des arrêts de travail lors de la résurgence de crise d'asthme. La population susceptible d'être concernée représente tout de même de 2,5 à 3 millions de personnes qui sont toutefois rarement hospitalisées !

D'ailleurs, l'hospitalisation est de moins en moins pratiquée et on préfère recourir à des soins ambulatoires. De ce fait, les patients qui arrivent aux urgences passent, la plupart du temps, en hôpital de jour. Une telle tendance laisse à penser que le nombre de lits demeurera stable ou diminuera ultérieurement non pas parce que nous aurons moins de patients, mais parce que leur prise en charge sera différente. Nous ne disposons pas des coûts en personnels occasionnés par le recours à la médecine ambulatoire, ces coûts étant pourtant supplémentaires.

M. Jean-François Husson, président. - Au regard des coûts engendrés, l'inobservance des patients coûte plus cher que la prescription des traitements !

Mme Evelyne Didier. - Vous parliez de 21 500 cas. Mais sur combien de cas traités par l'APHP ?

M. le Professeur Michel Aubier. - Soit environ 10 % des cas traités.

Mme Evelyne Didier. - Sur le coût global, vous mentionniez une fourchette de 2,4 à 4,85 millions d'euros. Mais par rapport à quel budget global ?

M. le Professeur Michel Aubier. - Le budget total de l'APHP s'élève à 6 milliards d'euros.

Mme Evelyne Didier. - Prenons le cas de la bronchite qui survient régulièrement à certains moments de l'année. Si je reprends vos propos, la pollution est à l'origine de 10 % des pathologies respiratoires tandis que 80 % de ces dernières sont provoqués par le tabagisme. Quelles sont les autres causes de la bronchite ?

M. le Professeur Michel Aubier. - Les 80 % évoqués concernaient la bronchite chronique, mais pas aigüe. Je n'ai évoqué dans mon exposé que les trois pathologies les fréquentes, sans mentionner le cancer du poumon puisque l'impact de la pollution sur ce dernier s'avère extrêmement faible et très discuté. Ces trois principales pathologies sont ainsi l'asthme, la bronchite chronique et la bronchite aigüe, cette dernière étant en général infectieuse et d'origine soit virale ou bactérienne. La bronchite chronique, qu'on dénomme également bronchopneumopathie obstructive, est une pathologie chronique des bronches se traduisant par des symptômes spécifiques dont l'atteinte de la fonction respiratoire. Certains patients peuvent ainsi nécessiter un traitement lourd qui induit de sérieux coûts. Il faut savoir que 30 % des consultations en médecine de ville sont liées à la toux. La bronchite aigüe est quant à elle plus saisonnière et ne touche pas seulement les fumeurs. Celle-ci entraîne des anomalies respiratoires, comme l'inflammation des bronches et une toux qui peut demeurer pendant plusieurs semaines et qui, d'ailleurs, est la première cause de consultation en médecine de ville. La pollution peut ainsi entretenir ces bronchites aigües bien au-delà des périodes de l'année où elle peut se contracter de manière virale. Elle représente ainsi un effet additionnel.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je suis quelque peu étonnée par votre exposé. Vous indiquez, dans un premier temps, que les résultats fluctuent en même temps que les modèles et affirmez que 80 % des pathologies respiratoires sont dues au tabac. C'est là ma première interrogation. En outre, je ne peux que vous exprimer ma consternation puisque vous dîtes que la pollution n'a pas d'impact sur le cancer. Sauf erreur de ma part, l'Organisation mondiale de la santé considère le diesel comme un facteur cancérigène. Et je souhaitais enfin savoir pourquoi vous représentiez l'APHP aujourd'hui, comment l'exposé que vous nous avez présenté a été élaboré puisque j'ai l'impression que les fourchettes que vous avez évoquées ne sont nullement exhaustives et que subsiste un biais dans votre exposé du fait de votre focalisation sur les pathologies respiratoires que sont la bronchite et l'asthme. Or, nous savons, à la lecture d'un certain nombre de revues internationales, que la pollution de l'air entraîne d'autres maladies. Le prisme que vous avez retenu me semble donner lieu à des calculs qui demeurent à la marge puisque d'autres pathologies sont prises en compte dans l'évaluation des conséquences de la pollution atmosphérique, comme les maladies cérébrales et dégénératives. Vous n'en faites absolument pas état ! Il me paraît difficile d'obtenir une analyse juste de la sorte et je vous rappelle que l'objectif d'une commission d'enquête est de dresser un bilan le plus objectif et réaliste possible de la situation. Votre exposé ne me satisfait pas compte tenu des enjeux de la commission d'enquête.

M. le Professeur Michel Aubier. - Je n'ai pas uniquement pris les maladies respiratoires dans mon exposé, puisque j'y ai également mentionné l'infarctus du myocarde et les accidents vasculaires cérébraux puisque ces pathologies font également l'objet d'une hospitalisation. Ainsi, je n'ai pas seulement limité mon propos aux maladies respiratoires. Ce sont toutefois les pathologies sur lesquelles nous disposons, notamment dans les revues scientifiques à comité de lecture, des meilleures indications. Pour les autres pathologies, et il faut remettre en cause les conclusions des revues scientifiques car une telle démarche définit l'essence même de la science, comme Alzheimer et sa relation à l'environnement, les données demeurent extrêmement variables et essentiellement basées sur des modèles. En fonction des modèles utilisés, on obtient des chiffres différents. Je mentionnerai également un article qui a pour titre « notre environnement est-il plus cancérigène ?», dans un numéro de la revue dans laquelle Mme Isabella Annesi-Maesano, que vous avez d'ailleurs auditionnée, a publié un article sur le coût de la pollution pour le système de santé. D'après l'article sur l'impact environnemental, étayé par de sérieuses données scientifiques, notre environnement est globalement moins cancérigène qu'il y a une trentaine d'années.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pardonnez-moi de vous interrompre, mais lorsqu'on dresse un parallèle sur ce sujet entre le produit intérieur brut et le nombre de cancers, on constate manifestement le contraire ! Plus les pays sont développés, plus une augmentation significative des cancers est constatée.

M. le Professeur Michel Aubier. - Bien sûr. Mais cette augmentation est liée à l'accroissement de l'espérance de vie ! Dans les pays les plus pauvres, la durée de vie est beaucoup plus faible. Si vous prenez la Russie, par exemple, vous vous apercevez que le nombre de décès par cancer diminue, parce que l'espérance de vie dans ce pays est de 54-55 ans en moyenne.

Par ailleurs, les particules diesel sont classées cancérigènes par l'Organisation mondiale de la santé, ce qui est tout à fait logique car les carburants polycycliques utilisés par les transports sont des substances évidemment cancérigènes. Le problème est de savoir à quelles doses ces substances sont inhalées. Si vous étudiez le cancer du poumon et tentez de le réaliser sur un modèle animal, vous ne pouvez le faire qu'avec une seule espèce de rongeur, le rat, et avec des concentrations en particules, quel que soit d'ailleurs leur type, qui sont de l'ordre de 100 à 1000 fois ce que l'on trouve dans l'air extérieur. Lorsque vous regardez dans les différentes cohortes les cancers du poumon liés à l'environnement, le premier facteur demeure le tabac, qui peut atteindre jusqu'à 90 % des cas et l'autre facteur d'importance reste les maladies professionnelles. La pollution, quant à elle, représente des chiffres importants mais, à l'instar de toutes les études liées à la pollution, ceux-ci dépendent des modèles que vous utilisez puisqu'ils recoupent des pathologies sur des grandes populations. Ce sont ainsi des facteurs environnementaux qui sont polluants sur lesquels vous avez un risque individuel qui s'avère très faible, mais un risque populationnel qui est important puisqu'il touche l'ensemble des personnes. C'est pourquoi le nombre de cancers dans les pathologies respiratoires - je ne sais pour les autres pathologies - liées à la pollution est extrêmement faible. Il y a ainsi beaucoup de biais méthodologiques dans ces disciplines et il faut tenir compte d'un ensemble de paramètres, dont l'environnement intérieur qui présente des substances qui peuvent s'avérer à l'origine d'inflammation bronchique voire cancérigène. Il y a certainement une part qui peut être attribuée à la pollution.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Excusez-moi de vous interrompre, mais le sujet de notre étude tient à la pollution de l'air intérieur et extérieur, et j'ai l'impression que votre propos s'en tient à la pollution de l'air extérieur.

M. le Professeur Michel Aubier. - En ce qui concerne l'APHP, la pollution de l'air intérieur n'a fait l'objet d'aucune étude, à ma connaissance. Les chiffres que je vous ai donnés m'ont été transmis par les services de l'APHP qui ont repris les pathologies qui présentaient un lien avec la pollution extérieure. On a alors déterminé une part attribuable à la pollution de l'ordre de 10 %, qui semble raisonnable et en phase avec le contenu de l'article qu'a publié Mme Isabella Annesi-Maesano. Certes, cette fraction peut d'ailleurs être de l'ordre de 5 ou de 10 %. Les évaluations du coût de la pollution de l'air indiquent un chiffre de plusieurs millions d'euros qui est d'ailleurs loin d'être négligeable.

Mme Evelyne Didier. - Professeur, avez-vous une idée du nombre global de patients concernés, au-delà de ceux dont s'occupe l'APHP ? Les chiffres sont-ils analogues dans les cliniques ?

M. le Professeur Michel Aubier. - Je suis à peu près confiant dans les chiffres relatifs à l'APHP. Pour les autres structures hospitalières, qu'elles soient publiques ou qu'elles participent au service public, je pense que la proportion doit être à peu près la même. Les cliniques privées ont, quant à elles, une activité médicale moindre que les hôpitaux publics. Leurs activités sont d'ailleurs plutôt chirurgicales et obstétricales. Les pathologies qu'elles traitent dans ce cadre sont relativement différentes. Mais pour les cliniques qui prennent en charge les patients au niveau plus médical, les chiffres doivent être à peu près semblables.

M. Jean-François Husson, président. - On voit bien la nécessité d'avoir un double regard sur le monde hospitalier et c'est pourquoi il nous paraît important d'auditionner M. Martin Hirsch. On voit bien tout l'aspect médical, mais je rappelle que notre commission d'enquête se penche plus sur le coût économique et financier de la pollution de l'air. Il est ainsi manifeste qu'en fonction des secteurs d'activités, le risque est d'établir un lien sur la pollution de l'air extérieur sans prendre en compte celle de l'air intérieur. Il nous paraît essentiel de disposer du coût des prises en charge par l'assurance maladie et le système assurantiel dans son ensemble, puisque qu'il faut prendre en compte les complémentaires santé. C'est fort de ces informations qu'il est possible de mieux embrasser l'ensemble des cas, y compris dans le secteur agricole avec les risques induits par l'épandage et les pesticides. Il est certes compliqué de parler de ces sujets, mais il importe de poser sereinement les choses pour atteindre notre premier objet qui est, au-delà de la science et de la médecine, de quantifier de la manière la plus précise et la plus objective possible le coût de la pollution atmosphérique.

M. le Professeur Michel Aubier. - Les coûts que je vous ai donnés pour l'APHP me paraissent fiables. On peut en discuter la méthode puisqu'il s'agit d'une fraction attribuable des pathologies le plus liées par la littérature à la pollution de l'air et des coûts liés aux passages aux urgences et aux hospitalisations mais on aboutit à une fourchette entre 2,5 millions et 4,9 à 5 millions d'euros par an.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Vous travaillez également sur les sujets d'impact sanitaire de la pollution de l'air à l'Inserm. Etes-vous seul sur ce sujet à l'Inserm ?

M. le Professeur Michel Aubier. - Je ne suis pas seul. Dans mon équipe en épidémiologie, nous travaillons sur ces questions depuis un certain nombre d'années. Dans mon unité Inserm, nous travaillons en équipe avec une unité qui se trouve à l'Université Paris-VII Paris-Diderot et qui était dirigée jusqu'à ces derniers temps par Mme Francelyne Marano ainsi qu'avec Mme Isabella Annesi-Maesano. D'autres équipes, qui sont situées à Rennes et à Strasbourg, travaillent sur cette question.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Avez-vous les noms précis de vos collègues qui travaillent sur ces questions ?

M. le Professeur Michel Aubier. - Je ne travaille pas avec eux. Ce sont les autres équipes qui travaillent sur ce sujet.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je vous ai précédemment posé une question qui porte sur les personnes avec qui vous travaillez à l'Inserm.

M. le Professeur Michel Aubier. - Je travaille à l'Unité 1152 que j'ai dirigée pendant dix ans et qui l'est maintenant par Marina Pretolani. Parmi ces personnes se trouvaient Mme Francelyne Marano, qui était la directrice du laboratoire environnement en hépatologie et toxicologie à Paris-VII et de nombreux doctorants et post-doctorants qui sont partis. Nos travaux sont publiés depuis plusieurs années.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - On vous enverra des questions complémentaires sur ce sujet. Je ne vous cache pas ma stupéfaction sur l'exposé que vous venez de nous faire et qui porte sur la première préoccupation environnementale de nos concitoyens. Votre exposé m'a paru léger sur une question d'une aussi grande importance, compte tenu également de l'importance d'être mobilisé dans la prévention de la pollution atmosphérique et du budget important de l'APHP dans notre société et pour la sécurité sociale. Il est important que nous auditionnions M. Martin Hirsch et, à titre personnel, je ne suis pas satisfaite de cet exposé que je trouve extrêmement léger.

M. le Professeur Michel Aubier. - Je ne sais pourquoi vous qualifiez mon exposé de léger car je vous ai transmis les chiffres objectifs et importants de l'APHP que vous pourrez vous-même retrouver.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je le trouve léger car vous nous avez indiqué que vous n'avez pas fait d'étude sur les autres pathologies.

M. le Professeur Michel Aubier. - L'APHP, comme je vous l'ai dit précédemment, n'a pas réalisé d'étude précise sur le coût économique de la pollution, donc les chiffres sont extraits des tableaux de bord de l'Assistance publique et mentionnent les données des pathologies liées à la pollution. Il n'y a pas d'étude spécifique faite à l'APHP.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je m'étonne d'ailleurs qu'il n'y en ait pas.

M. le Professeur Michel Aubier. - Il faut poser cette question à notre directeur général...

M. Jean-François Husson, président. - ... que nous allons d'ailleurs rencontrer prochainement. Monsieur le Professeur, je vous remercie de votre intervention.

Présidence de M. Jean-François Husson, président

Audition commune de M. Luc Barret, directeur général adjoint et médecin-conseil national, de Mme Christelle Gastaldi-Ménager, responsable adjointe du département études sur les pathologies et les patients, de la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), et de M. Fabrice Henry, président de l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire (Unocam)

M. Jean-François Husson, président. - Nous allons maintenant procéder à l'audition commune de M. Fabrice Henry, président de l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire (Unocam), du professeur Luc Barret, directeur général adjoint et médecin-conseil national de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam) et de Mme Christelle Gastaldi-Ménager, responsable adjointe du département études sur les pathologies et les patients de la Cnam.

L'Unocam a été créée suite à loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie. Elle regroupe les organismes complémentaires d'assurance maladie qui ont en commun d'assurer la prise en charge, à titre individuel ou collectif, par l'intermédiaire d'une entreprise ou d'une association, pour une personne ou sa famille, de tout ou partie des frais de santé, en complément ou en supplément des prestations de l'assurance maladie obligatoire.

La Cnam assure pour sa part la couverture d'assurance maladie obligatoire de l'ensemble des salariés du régime général et de leurs ayant droits soit près de 90 % de la population.

La Cnam et les organismes complémentaires agissent sur le financement des prises en charges sanitaires liées à la pollution de l'air mais agissent rarement sur les causes des pathologies, spécialement les causes environnementales. Le point de vue de ces deux acteurs centraux de notre système d'assurance maladie nous a néanmoins semblé essentiel aux travaux de notre commission d'enquête.

Je rappelle que cette audition est ouverte au public et à la presse et qu'elle fait l'objet d'une captation audiovisuelle qui sera diffusée sur le site du Sénat.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Henry ainsi qu'au professeur Barret et à Mme Gastaldi-Ménager de prêter serment.

Les trois intervenants prêtent serment.

M. Jean-François Husson, président. - Madame, messieurs, à la suite de vos exposés introductifs, ma collègue Leila Aïchi, rapporteure de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Vous avez la parole.

M. Luc Barret. - Nous n'avons pas, à la Cnam, de programme spécifique permettant de mesurer l'incidence de la pollution de l'air sur les dépenses de remboursement de santé. Les analyses dont nous allons vous parler reposent sur l'exploitation de nos bases de données, qui prennent en compte les remboursements des prestations de santé aux prestataires de service ou aux assurés. Nous avons reconstitué, à travers ces données, les parcours de soin des usagers afin de connaître l'ensemble des dépenses engendrées par telle ou telle maladie. En revanche, il existe certaines insuffisances et limitations liées au fait que nous ne connaissons pas les diagnostics ni le résultat des analyses radiologiques ou biologiques à l'origine des dépenses, et que nous devons donc reconstruire ces diagnostics à partir des parcours de soin observés. Ainsi, la consommation de médicaments antidiabétiques dans la durée nous permet de savoir que la maladie concernée est un diabète. En revanche, le niveau de gravité du diabète ne nous est pas directement accessible, autrement que par le recoupement et la fréquence des analyses. Ces limitations n'existent pas s'agissant du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) des hôpitaux, qui permet de faire un lien plus direct entre les données récoltées et les diagnostics.

Mme Christelle Gastaldi-Ménager. - Vos connaissez peut-être la cartographie des pathologies et des dépenses associées que la Cnam a développée à partir des données du système national d'information inter-régimes de l'assurance maladie (Sniiram), et qui permet d'affecter les dépenses relevant du champ de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) aux différentes pathologies traitées. Si cet outil nous permet d'affecter des dépenses prises en charge par l'assurance maladie à des pathologies, nous ne disposons en revanche pas d'éléments nous permettant de savoir quelle partie de ces dépenses est imputable à la pollution de l'air. Pour les besoins de votre commission d'enquête, nous avons identifié les montants des dépenses associées aux trois principaux groupes de pathologies liées à la pollution de l'air que l'on retrouve dans la littérature : les maladies cardio-vasculaires, les maladies respiratoires chroniques et le cancer. Puis, nous avons appliqué à ces montants les fractions attribuables à la pollution de l'air que l'on retrouve également dans la littérature afin d'avoir une estimation des dépenses de l'assurance maladie liées à cette pollution. Mais il s'agit d'un travail approximatif, réalisé uniquement pour les besoins de votre enquête. Nous n'avons sinon aucun autre moyen, à partir des données de nos bases, pour permettre de relier les dépenses de santé à la pollution de l'air.

M. Luc Barret. - Nous répondrons toutefois à vos questions et vous présenterons les résultats des calculs auxquels vient de faire référence Mme Gastaldi-Ménager.

M. Fabrice Henry. - En recevant la convocation à cette audition, l'Unocam a été un peu surprise car l'article de loi qui détermine les sujets sur lesquelles elle a compétence ainsi que ses statuts ne couvrent pas le champ d'étude qui vous occupe. Les difficultés qui ont été évoquées par les représentants de la Cnam sont amplifiées pour ce qui concerne l'Unocam, étant donné que celle-ci n'a pas les bases de données correspondantes et ne dispose que d'un accès aux données des différents instituts de santé. Il n'existe pas, au niveau des organismes complémentaires, de structuration permettant d'avoir une vision complète sur l'ensemble des pathologies que ceux-ci prennent en charge, ni a fortiori sur les causes inhérentes à ces pathologies.

Ce constat me permet de réaffirmer devant vous que l'Unocam souhaite pouvoir s'inscrire dans ce type de démarches, ce qui présuppose un accès plus large à un certain type de données dans des conditions acceptables pour tout le monde. Les organismes complémentaires essaient, par rapport à un certain nombre de pathologies, de développer les actions de prévention, de contribuer aux actions des agences régionales de santé (ARS) et des commissions de gestion du risque, de réagir sur tous les déterminants de santé qui peuvent impacter un individu. Nous sommes donc preneurs des évolutions qui permettraient, au-delà des études scientifiques et des études menées par la Cnam, de pousser les investigations sur le sujet que vous étudiez, comme sur d'autres sujets. Nous avons besoin d'agir non pas simplement en termes de réparation mais également en termes de prévention. Et pour cela, il faut agir sur tous les déterminants de santé. Les organismes complémentaires sont des financeurs incontournables mais ils se plaignent souvent d'être des « financeurs aveugles », ils souhaiteraient donc pouvoir jouer un rôle plus important.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Avez-vous réfléchi aux éléments dont les organismes complémentaires auraient besoin pour aller dans ce sens ? Cela nous permettrait peut-être de formuler des propositions.

M. Fabrice Henry. - En effet, nous avons déjà effectué un certain nombre de demandes s'agissant des données auxquelles nous souhaiterions avoir accès. Nous devons sans doute également mieux consolider les données des organismes complémentaires. Comme je l'ai dit, un certain nombre d'organismes complémentaires ont déjà développé des actions de prévention, qui vont dans le sens des programmes développés par la Cnam, à l'instar du programme Sophia d'accompagnement des patients diabétiques.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pouvez-vous nous donner des exemples d'actions de prévention menées par les organismes complémentaires ?

M. Fabrice Henry. - Oui, par exemple la Mutuelle générale de l'éducation nationale collabore actuellement avec la Cnam pour mettre au point le programme Vivoptim, qui a pour objet de prévenir les risques cardio-vasculaires. D'autres organismes complémentaires ont lancé des actions de prévention et d'accompagnement des patients. C'est au travers de telles actions et de l'étude de cohortes que nous pourrions arriver à préciser les éléments environnementaux ayant une influence sur telle ou telle pathologie. Il faut pour cela aller vers une complémentarité encore plus forte en termes d'actions, notamment de prévention, entre l'Unocam et la Cnam.

M. Jean-François Husson, président. - Monsieur Barret, pourriez-vous entrer dans le détail des calculs que vous avez évoqués précédemment ?

M. Luc Barret. - La Cnam a été associée à un groupe de travail mis en place en 2007 par l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), qui est devenue l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), dont l'objet était d'évaluer l'impact économique des pathologies liées à la pollution. En dehors de cette étude, nous n'avons pas retrouvé de sollicitations de la Cnam de la part d'autres organismes pour travailler sur ce sujet. Il faut toutefois préciser que certains organismes comme l'Institut de veille sanitaire (InVS) ont accès au Sniiram et à nos bases de données, et ont donc la capacité d'analyser ces données et de les confronter avec celles dont ils disposent.

Concernant le coût pour l'assurance maladie des pathologies identifiées comme étant liées à la pollution de l'air, nous sommes partis de la cartographie des pathologies dont nous disposons. Celle-ci permet d'identifier les grands secteurs sur lesquels porte l'effort de remboursement de l'assurance maladie, comme les pathologies mentales ou les hospitalisations ponctuelles, et d'en voir les évolutions en distinguant celles liées à la démographie et celles liées à l'évolution des pathologies elles-mêmes, c'est-à-dire au facteur épidémiologique.

Nous nous sommes concentrés sur les coûts des pathologies associées à la pollution de l'air, à savoir principalement les pathologies respiratoires comme l'asthme, les bronchites chroniques ou les bronchopneumopathies chroniques obstructives (BPCO), les cancers, ainsi que les pathologies neuro-vasculaires pour lesquelles la relation avec la pollution de l'air est plus aléatoire et plus discutée, comme les infarctus du myocarde, les accidents vasculaires cérébraux ou les angines de poitrine.

Ainsi, nous avons calculé que sur l'ensemble du traitement des pathologies représentant un total de dépenses pour l'assurance maladie de 146 milliards d'euros...

Mme Christelle Gastaldi-Ménager. - Je me permets juste de préciser que ce montant représente les dépenses de l'Ondam, réaffectées aux pathologies, et comprend donc les dépenses individualisables, c'est-à-dire celles que l'on peut imputer à des individus, comme les indemnités journalières. Nous avons également intégré à ce montant les dépenses d'invalidité. Par contre, il ne prend pas en compte les dépenses des établissements hospitaliers. Ainsi, les dépenses que nous vous présentons regroupent les soins de ville, l'hospitalisation, ainsi que les dépenses d'invalidité, ce qui permet d'avoir une vision globale des dépenses de l'assurance maladie pour la prise en charge de ces pathologies.

M. Luc Barret. - Merci pour cette précision. Le montant des dépenses prises en charge par l'assurance maladie pour les pathologies liées à la pollution de l'air, est de : 3,5 milliards d'euros pour les maladies respiratoires, 14 milliards d'euros pour les cancers et 14,6 milliards d'euros pour les pathologies cardio-vasculaires - dont 4,1 milliards d'euros pour les maladies coronariennes dont on peut considérer qu'elles sont les plus liées à la pollution de l'air.

Mme Évelyne Didier. - Je suis surprise par ce que je viens d'entendre. Vous venez de dire que les maladies qui sont les plus impactées par la pollution de l'air sont les maladies coronariennes ?

M. Luc Barret. - Non, au sein des pathologies cardio-vasculaires, ce sont les maladies coronariennes qui sont les plus impactées. Mais les maladies les plus liées à la pollution de l'air sont les maladies respiratoires chroniques.

Mme Évelyne Didier. - Avez-vous une idée de la proportion ?

M. Luc Barret. - A partir des chiffres que j'ai mentionnés, nous avons regardé le pourcentage de ces pathologies attribuable à la pollution que l'on retrouve dans la littérature avec des fourchettes importantes. S'agissant des maladies respiratoires, cette fraction attribuable à la pollution de l'air est évaluée entre 10 % et 15 % pour les BPCO et entre 10 % et 35 % pour l'asthme. Pour le cancer, tous cancers confondus, cette fraction est estimée entre 1 % et 5 %.

Mme Christelle Gastaldi-Ménager. - S'agissant du cancer, les données que l'on retrouve dans la littérature concernent principalement les cancers pulmonaires. Mais la pollution de l'air pourrait avoir un effet sur d'autres cancers. C'est pour cela qu'en raisonnant sur tous les cancers, la fraction attribuable est estimée entre 1 % et 5 %.

Comme indiqué dans nos propos liminaires, il s'agit d'un travail exploratoire réalisé pour les besoins de votre commission d'enquête. Nous avons une certaine confiance dans la cartographie des pathologies, mais s'agissant de l'imputabilité à la pollution de l'air, nous pouvons simplement vous donner des ordres de grandeur et non des chiffres très solides, puisque ceux-ci dépendent des fractions attribuables à la pollution qui ne sont pas simples à estimer.

M. Luc Barret. - Sur les 3,5 milliards d'euros de dépenses liées aux pathologies respiratoires, 70 % sont liés aux BPCO et 30 % à l'asthme

Mme Christelle Gastaldi-Ménager. - Je précise que cette répartition est une estimation que nous avons faite mais qui n'est pas non plus très solide étant donné que l'algorithme qui permet d'identifier ces pathologies respiratoires chroniques repose sur les motifs médicaux des hospitalisations des patients en affection longue durée (ALD) mais aussi sur les traitements. Or, les traitements pour l'asthme et les BPCO sont les mêmes, et il est donc difficile de réaliser une juste répartition des coûts entre ces pathologies.

Nous nous sommes intéressés aux pathologies respiratoires chroniques et aux cancers ; pour les pathologies cardio-vasculaires nous avons peu d'informations sur les fractions attribuables. Nous arrivons à un coût pour l'assurance maladie de la pollution de l'air estimé entre 500 millions d'euros et 1,4 milliard d'euros. Si nous étions maximalistes, et que nous avions appliqué le chiffre de 35 % de fraction attribuable à la pollution de l'air pour l'asthme, le coût total estimé serait de 1,9 milliard d'euros. Mais cette estimation nous parait déraisonnable. Notre estimation a l'avantage de prendre en compte l'ensemble des dépenses, c'est-à-dire à la fois les soins de ville, les hospitalisations, les indemnités journalières et les invalidités.

Mme Nelly Tocqueville. - Au début de votre intervention, j'ai été un peu surprise car vous nous avez indiqué que vous ne disposiez pas d'éléments précis. Or, nous avons auditionné des associations qui nous ont fourni des éléments chiffrés. Ceux-ci ne sont pas sortis de nulle part et il doit bien y avoir des études qui ont été faites. Je suis donc surprise d'entendre qu'il est difficile de croiser les chiffres donnés par les études sur l'impact sanitaire de la pollution de l'air et vos chiffres.

Nous avons eu hier la présentation d'un rapport réalisé par nos collègues Mmes Aline Archimbaud et Chantal Jouanno sur la réalité de la pollution atmosphérique. Ce rapport indique notamment que « l'incidence des ALD a doublé en France en vingt ans dans une proportion qui ne peut pas s'expliquer par le vieillissement et l'amélioration de la prévention et du dépistage ». Les ALD représenteraient 83 % des dépenses d'assurance maladie.

Mme Christelle Gastaldi-Ménager. - Les algorithmes médicaux qui nous permettent d'avoir une estimation du nombre de personnes atteintes par les maladies respiratoires chroniques et des dépenses associées à leur prise en charge utilisent les données sur les ALD. Il faut souligner que les ALD sont des informations médico-administratives : l'évolution des dépenses qui leur sont associées est liée à l'évolution de la démographie, à celle de l'épidémiologie, mais aussi à celle de la réglementation administrative relative qui leur est relative. Mais il est difficile pour l'assurance maladie de distinguer, au sein de ces dépenses, la part imputable à la pollution de l'air.

M. Luc Barret. - Les études réalisées sur la pollution de l'air, comme par exemple celles de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), procèdent d'approximations en approximations sur le plan méthodologique. En revanche, l'InVS a conduit une étude « Aphekom » sur neuf villes en France, qui me paraît être davantage solide sur le plan méthodologique, mais qui s'intéresse à l'impact sociétal de la pollution de l'air.

Mme Christelle Gastaldi-Ménager. - Je ne sais pas à quelles données vous faites référence quand vous parlez des informations que vous ont communiquées les associations. La Cnam n'a pas de légitimité pour établir la relation qui existe entre la pollution de l'air et certains pathologies. L'InVS serait mieux placé pour vous apporter ce type d'informations, puisqu'une de ses missions est justement de coordonner les activités de surveillance épidémiologique en lien avec la pollution.

M. Jean-François Husson, président. - Je pense que ni l'assurance maladie obligatoire ni les organismes complémentaires ne peuvent être indéfiniment des « financeurs aveugles ». C'est un non-sens pour moi. Je souhaiterais que vous nous fassiez remonter des propositions pour améliorer les choses, et pour nous indiquer les compétences nouvelles qui pourraient être confiées à ces organismes afin de mieux appréhender ces évolutions et de renforcer l'aspect préventif qui est essentiel.

M. Luc Barret. - Nous ne sommes pas si aveugles que cela. Nous savons à quels types de pathologies est associée la dépense. En revanche, il existe un réel problème pour établir le lien avec la pollution de l'air.

M. Jean-François Husson, président. - Certes, mais vous nous avez dit au départ que vous étiez surpris que nous vous auditionnions sur ce sujet.

M. Fabrice Henry. - Je vais dans votre sens s'agissant du besoin qu'il y a d'avoir une connaissance plus précise de ce qui est remboursé. J'ai utilisé l'expression de « financeurs aveugles » pour parler de la situation des organismes complémentaires et non de l'assurance maladie obligatoire. A mon sens, il faudrait avoir une vision d'ensemble des dépenses. Cela concerne aussi les ALD. Même si, en théorie, elles sont prises en charge à 100 % par l'assurance maladie, un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), publié il y a quelques années, a montré qu'il existait un reste à supporter par les organismes complémentaires. Ceux-ci peuvent également intervenir pour compléter des prestations d'invalidité ou des indemnités journalières servies par l'assurance maladie. La Cnam n'a sans doute pas tous les moyens pour connaitre par pathologie les différents facteurs de risque.

M. Luc Barret. - Il est prévu à l'article 47 du projet de loi relatif à la modernisation du système de santé une extension des possibilités d'accès aux données du Sniiram. La Cnam souhaiterait également avoir accès aux données des organismes complémentaires. Cela irait dans le sens d'une meilleure estimation du coût de la santé en France.

En revanche, pour pouvoir connaitre l'impact de la pollution de l'air sur les dépenses de santé, il faudrait pouvoir faire un lien entre des expositions identifiées à la pollution et l'incidence sur l'état de santé. Par exemple, il faudrait étudier un épisode récent de pollution et voir si les consultations médicales augmentent, ou suivre des cohortes de personnes pour relever des corrélations entre l'évolution des dépenses remboursées et l'évolution des facteurs d'exposition. Il s'agit là d'un travail de recherche d'évaluation médico-économique.

Mme Christelle Gastaldi-Ménager. - Nous ne cherchons pas à nous défausser à vers l'Invs. Nous pouvons calculer le coût des différentes pathologies mais pour faire le lien avec la pollution de l'air nous avons besoin des informations provenant d'autres acteurs. C'était l'esprit du travail réalisé par l'Afsset en 2007, qui avait mis plusieurs acteurs autour de la table, et auquel l'assurance maladie avait participé, afin d'estimer le coût pour le système de santé de la pollution de l'air. Ce travail s'était confronté aux insuffisances des données. Il faudrait peut-être le réitérer.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Malgré le soleil, ce sera la journée des frustrations ! Vous nous avez dit que vous n'aviez pas la légitimité pour calculer l'impact sanitaire de la pollution de l'air. Je ne vais pas vous apprendre la situation financière de l'assurance maladie. Cela fait au moins trente ans, s'agissant du polluant qu'est le diesel, qu'il n'y a pas d'anticipation. Est-ce parce qu'il y a une absence d'appétence sur ces sujets ou une forme de résistance au changement au sein de la Cnam ? Est-ce que l'idée de prévenir plutôt que guérir lui est hermétique ? Y a-t-il eu des réflexions au sein de la Cnam ces dernières années pour intégrer la question environnementale et le lien entre la santé et l'environnement dans ses actions, afin de prévenir et d'anticiper ? Vous pourriez impulser des dynamiques...

Mme Christelle Gastaldi-Ménager. - Quand j'ai parlé d'absence de légitimité, je parlais de légitimité scientifique. Nous n'avons pas, à la Cnam, d'informations permettant de mesurer l'impact de la pollution de l'air sur la dépense de santé pour pouvoir vous répondre de façon sérieuse, scientifique. Pour aller plus loin, il faudrait des données scientifiques, or nous n'avons pas la légitimité scientifique pour les acquérir. Cela ne veut pas dire que je considère que nous n'avons pas la légitimité nécessaire pour nous interroger sur la prévention des méfaits de la pollution.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Avez-vous justement réfléchi à la manière dont vous pourriez acquérir ces données ?

M. Luc Barret. - Pour répondre à vos différentes questions, non, il n'y a pas de résistance au changement ou de blocage de nature idéologique au sein de la Cnam. En revanche, sur la relation des pathologies aux faits environnementaux, il y a une incertitude sur le plan scientifique. La Cnam n'a aucune objection à se lancer sur le champ de la prévention, bien au contraire. Bien que nos actions de prévention et d'éducation à la santé ne soient pas strictement ciblées sur la pollution de l'air, nous menons des actions comme le programme Sophia pour le diabète et l'asthme afin de permettre aux patients une meilleure gestion de leur maladie.

Le chiffrage auquel nous aboutissons s'agissant des dépenses l'assurance maladie imputable à la pollution de l'air s'établit entre 500 millions d'euros et 1,4 milliard d'euros. L'étude de l'Afsset de 2007 arrivait à un montant compris entre 0,3 million d'euros et 1,3 milliard d'euros. On retrouve donc les mêmes ordres de grandeur.

Mme Évelyne Didier. - J'aimerais savoir comment se construit la commande publique à votre endroit. Qui vous donne vos objectifs et sur quelles bases ceux-ci sont-ils pris ? Avez-vous la possibilité d'être à l'initiative de certaines actions ? On sait qu'il y a une commande pour réduire la dépense, mais comment se prend la décision de se concentrer sur tel ou tel volet de la dépense ? Par ailleurs, ce que vous nous dites confirme le constat qu'en France, on ne sait pas ce que c'est que la prévention et que l'on privilégie le curatif.

M. Luc Barret. - Il existe une commande de l'Etat relative à l'enveloppe budgétaire ainsi que des axes d'amélioration qui sont fixés, à l'instar du « virage ambulatoire ». Nous avons une capacité à repérer, à partir de l'analyse de nos bases de données, des déviations sur les habitudes de pratique, des aberrations dans le parcours de soin des patients, et donc à élaborer des projets d'action pour mieux maîtriser le risque. Nous avons donc des résultats qui nous permettent in fine de sous-exécuter l'Ondam. Etant donné les moyens limités dont nous disposons, des priorités sont données à telle ou telle action. Le médicament a été une action phare ces dernières années, ce qui a permis une maîtrise des dépenses. Actuellement, l'action est davantage dirigée vers les établissements de santé, avec la production d'études pour cibler les bonnes pratiques. Il est clair que la question de la pollution de l'air et de son impact sur les dépenses n'a pas figuré dans nos objectifs prioritaires.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Comment l'expliquez-vous ?

M. Luc Barret. - Par les incertitudes scientifiques que nous avons rappelées, et par la priorisation qui existe nécessairement.

Mme Christelle Gastaldi-Ménager. - La commande politique se manifeste à travers le contrat d'objectif et de gestion (COG), qui fixe un certain nombre d'orientations. Il est vrai que s'agissant de la pollution de l'air, le fait que l'InvS ait déjà une légitimité en matière de suivi de cette pollution explique peut-être le moindre investissement de la Cnam.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - C'est peut-être également lié à une forme de « culture institutionnelle », ou de résistance au changement ?

M. Luc Barret. - Non, je ne pense pas. Si l'InVS venait avec un projet construit en apportant le caractère scientifique pour mesurer l'impact sanitaire de la pollution de l'air et sollicitait notre aide et notre expertise sur l'exploitation de nos bases de donnée, nous collaborerions volontiers.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pourquoi ne seriez-vous pas vous-même à l'origine de cette initiative ?

M. Luc Barret. - Dans l'ensemble des problématiques auxquelles l'assurance maladie est confrontée, le coût de la pollution de l'air n'a peut-être pas reçu de la part de nos commanditaires politiques suffisamment d'attention pour nous permettre de prioriser une action en la matière.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je rappelle que le coût de la pollution de l'air intérieur a été évalué par l'Anses à 19 milliards d'euros par an, ce qui ne me parait pas être négligeable. Si cela n'est pas suffisant pour mobiliser et réfléchir sur la manière d'améliorer la situation...

Mme Christelle Gastaldi-Ménager. - En l'occurrence, ce qui a été mesuré est le coût sociétal et non le coût pour l'assurance maladie.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Certes, il s'agit du coût sociétal, mais cela a nécessairement un impact sanitaire. Et le coût de la pollution de l'air est majoritairement un coût sanitaire.

M. Luc Barret. - Si l'on se base sur les fourchettes que nous vous avons données, le coût est de l'ordre du milliard d'euros. La grande différence est que nous n'avons pas pris en compte le coût de la mortalité, qui relève du coût sociétal.

Mme Christelle Gastaldi-Ménager. - Si nous parlons bien de l'étude à laquelle je pense, qui a été commanditée par le commissariat général au développement durable, il s'agit d'une étude qui a valorisé les décès attribuables à la pollution. C'est une étude intéressante mais qui a utilisé des données très anciennes.

M. Fabrice Henry. - Pour conclure, j'aimerais insister sur la position des organismes complémentaires et leur volonté de s'insérer dans des processus qui ne soient pas seulement des processus de remboursement. Nous partageons donc les interrogations que vous soulevez.

Présidence de M. Charles Revet, président

Audition commune de Mme Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), de M Olivier Toche, chef de service, et Mme Béatrice Legrand-Jung, sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail à la Direction générale du travail

M. Charles Revet, président. - Nous allons maintenant procéder à l'audition commune de Mme Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam) et de M. Olivier Toche et Mme Bénédicte Legrand-Jung, respectivement chef de service et sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail à la Direction générale du travail.

La direction des risques professionnels de la Cnam a en charge la gestion de la branche : accidents du travail et maladies professionnelles du régime général de la sécurité sociale. A ce titre, elle est compétente pour l'indemnisation de l'ensemble des risques auxquels sont exposés les salariés.

La direction générale du travail définit l'ensemble de la réglementation applicable au travail en France et est également compétente sur les questions de santé au travail.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Jeantet ainsi qu'à M. Toche et Mme Legrand-Jung de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Mme Marine Jeantet, M. Olivier Toche, Mme Béatrice Legrand-Jung, veuillez successivement prêter serment et die toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les trois personnes prêtent serment.

Mme Marine Jeantet, directrice des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts). - En raison de la thématique qui est celle de votre commission, j'évoquerai les incidences de la pollution de l'air sur la santé des travailleurs. Nous avons d'ailleurs recueilli à votre intention des données statistiques précises en relation avec les coûts générés par la pollution de l'air, en termes d'indemnisation et de soins.

Un bilan qui porte sur les maladies professionnelles, sur la période 2004-2013, a récemment été dressé : 63.438 personnes ont contracté une maladie professionnelle en lien avec la pollution de l'air sur leur lieu de travail pendant cette décennie, soit 14 % des maladies professionnelles. Celles-ci sont essentiellement des maladies de l'appareil respiratoire, à hauteur de 71 % des cas recensés et sont provoquées notamment par les poussières de bois, l'amiante ou encore les gaz d'échappement ou les émanations de produits chimiques.

S'agissant des décès, les tumeurs malignes induites par les cancers broncho-pulmonaires consécutifs à l'exposition aux polluants chimiques, comme l'amiante, représentent les principales sources de coûts mesurables, notamment en termes d'indemnité journalière de travail. Durant cette même période 2004-2013, ce sont 4.838 décès qui sont imputables à des maladies de l'appareil respiratoire ; ces affections représentent, d'ailleurs, la quasi-totalité de l'ensemble des décès provoqués par les maladies professionnelles.

En termes de coûts, les données agrégées concernent les versements de capitaux imputés aux entreprises en compensation de la rente versée aux assurés et s'élèvent à quelque 8,7 milliards d'euros sur la période considérée, soit environ un milliard d'euros par an et 50 % du coût de l'ensemble des maladies professionnelles.

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Dans les 50 % représentés par les maladies respiratoires, distinguez-vous celles provoquées par le tabagisme ?

Mme Marine Jeantet, directrice des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts).- Il s'agit des maladies reconnues établies comme résultant de l'exposition à des composants chimiques comme l'amiante. Cette reconnaissance implique une imputabilité claire.

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Dans un souci de précision pour notre rapport, 50 % des maladies professionnelles sont ainsi dues à l'exposition à des substances sur le lieu de travail ?

Mme Marine Jeantet, directrice des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts). - Dès qu'une maladie est reconnue comme résultant de l'exposition au milieu professionnel, l'imputation est très normée et implique, à la fois, une durée d'exposition et une série de symptômes précis. Toutes ces maladies ont ainsi été reconnues comme professionnelles.

La prévention figure parmi les missions de notre branche et un grand nombre de nos actions sont destinées à soustraire les travailleurs aux risques d'exposition. La substitution aux risques cancérigènes est ainsi l'une de nos priorités inscrites dans notre convention d'objectifs et de gestion (COG) et figure parmi les objectifs du Plan national d'action coordonnée. Nos domaines d'intervention sont multiples : l'une de nos actions concerne notamment les pressings et vise, via des incitations financières, à substituer une forme d'éco-nettoyage aux techniques de nettoyage à sec avec perchloréthylène. Les centres de contrôle technique feront aussi prochainement l'objet d'une action ciblée qui visera l'installation de systèmes d'aspiration des gaz d'échappement destinés à prévenir l'exposition des personnes qui y travaillent. Il s'agit de toucher les Très petites entreprises (TPE) dont les moyens diffèrent de ceux des grands groupes. En outre, nous travaillons sur le styrène dans le secteur de la plasturgie et du nautisme, afin d'anticiper la réglementation dans ce secteur qui devrait conduire à l'interdiction de ce produit, ainsi qu'auprès des entreprises de chaudronnerie dans lesquelles il importe de capter les particules provoquées par les fumées de soudage. L'amélioration de la ventilation des locaux constitue l'un des axes de nos grandes actions nationales tandis qu'à l'échelle régionale, toute une série d'actions sont conduites en relation avec les préconisations de l'INRS auprès des entreprises.

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - A l'aune de quels critères échelonnez-vous vos priorités ?

Mme Marine Jeantet, directrice des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts).- Il nous faut, bien évidemment, établir des priorités en fonction également des plans nationaux et de leurs déclinaisons au niveau régional. Avec notre réseau de 800 collaborateurs, on ne peut qu'échelonner la réalisation de nos différents programmes. Les priorités sont ainsi fixées dans le cadre de la COG avec la tutelle et dans un souci d'articulation avec le plan santé travail.

M. Charles Revet, président. - Je vais maintenant passer la parole aux représentants de la Direction générale du travail.

M. Olivier Toche, chef de service de la Direction générale du travail. - Notre direction s'occupe, d'une part, des relations et des conditions de travail et prépare l'ensemble de la législation et de la réglementation du droit du travail. Elle assure, d'autre part, le service de l'animation territoriale qui contrôle l'effectivité de ce droit grâce à l'Inspection du travail. Nous travaillons en relation très étroite avec la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés ainsi qu'avec l'Anses que vous avez auditionnée. Je laisse la parole à ma collègue qui va vous exposer le cadre légal qui définit les obligations qui pèsent sur les employeurs dans le domaine de la santé au travail.

Mme Béatrice Legrand-Jung, sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail à la Direction générale du travail. - Les expositions qui interviennent dans le cadre du travail sont prises en compte. La Dares réalise des enquêtes sur l'exposition des salariés aux substances chimiques dangereuses. Les statistiques montrent ainsi qu'environ 5 % des cancers en France seraient liés à des expositions professionnelles, c'est-à-dire à des agents chimiques cancérogènes sur le lieu de travail ; ce qui représente entre quinze et vingt mille cancers par an, dont mille, environ, pour l'amiante. Les principales expositions prises en compte par les organismes de prévention sur le terrain sont les gaz d'échappement, les fumées de diésel, les huiles minérales routières, les poussières de bois, le formamide, la cilice cristalline, l'amiante, le plomb, le chrome et le nickel. Les actions sont orientées, en fonction de ces données, vers les branches professionnelles. Les salariés les plus exposés se retrouvent dans le secteur des bâtiments et travaux publics, de la maintenance et des industries mécaniques.

L'employeur est responsable de la préservation de la santé des salariés. Tel est le principe général qui implique une obligation générale de sécurité et la reconnaissance d'une faute inexcusable dans un cadre pénal. Celui-ci doit également respecter un nombre de principes généraux de prévention des risques professionnels, précisés par une directive européenne relative à la santé au travail. Le premier de ces principes est de mettre en oeuvre un mécanisme de captation, à la source, de ces substances ou, à défaut, de protéger les salariés par des mesures collectives destinées à réduire les taux d`exposition. La maîtrise des risques suscités par l'exposition aux risques d'origine chimique fait l'objet d'une réglementation très spécifique. D'autres réglementations sont plus anciennes et concernent l'assainissement et l'aération des lieux de travail clos. Ces dernières peuvent être plus précises encore et se rapporter spécifiquement aux substances dangereuses qui y sont manipulées ou y sont diffusées, comme pour l'amiante qui reste l'un des agents les plus exposants pour les travailleurs. A cet égard, au titre du code du travail, l'employeur a l'obligation de mesurer le taux de pollution en dehors du chantier ou du lieu de travail, ce qui souligne le lien direct de l'amiante avec la pollution environnementale.

La maîtrise du risque chimique est une préoccupation de longue date pour les acteurs de la prévention des risques professionnels, comme les services de santé au travail qui développent des actions en direction des entreprises. L'Inspection du travail y participe également. En outre, la préservation de la santé des salariés exposés aux agents chimiques cancérogènes est l'une des priorités du plan santé au travail dont la troisième édition devrait être prochainement présentée par le ministre du travail, se fondant sur les orientations définies avec les partenaires sociaux.

Certaines populations peuvent être exposées à des formes de pollution atmosphérique externe, à l'instar des salariés du secteur des transports. La problématique diffère de celle d'un local fermé, comme une usine.

Au titre de la pollution atmosphérique générale que vous intégrez dans le champ de votre enquête, celle qui est perceptible sur les lieux de travail fermés ou sur un chantier relève des mêmes principes de prévention que ceux que je viens d'évoquer. En outre, l'exposition de travailleurs, dans le cadre de déplacements professionnels ou d'activités à l'air libre, ne fait pas l'objet de réglementations spécifiques en matière de santé au travail assurant le lien avec la pollution atmosphérique. Certes, les émanations de véhicules d'entreprises s'inscrivent dans la problématique de la responsabilité sociale et sociétale de ces dernières et des conséquences sur l'environnement que leurs activités entraînent.

S'agissant enfin des accidents routiers qui représentent 10 % des accidents du travail et 50 % des accidents mortels au travail, ceux-ci font l'objet d'une priorité pour les pouvoirs publics qui incitent les entreprises à prendre davantage en compte le risque dans le cadre de leur évaluation globale des risques encourus au travail. Des actions de formation et de contrôle de la durée du travail sont ainsi conduites. La réorganisation des transports dans l'entreprise qui tente de minimiser le rôle des transports routiers, peut être un facteur d'amélioration de la situation et de prévention des risques.

M. Charles Revet, président. - Je vous remercie d'avoir évoqué cette partie importante et grave mais celle-ci n'entre pas dans le champ de notre commission d'enquête.

M. Olivier Toche, chef de service de la Direction générale du travail. - S'agissant de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, dans le décret qui dispose des obligations de transparence des entreprises dans les domaines social et environnemental, les entreprises -qui sont notamment cotées en bourse- doivent fournir à leur conseil d'administration les informations relatives aux conséquences environnementales de leurs activités. Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective travaille également sur ces questions.

J'étais invité, à la lecture de votre questionnaire, à intervenir sur deux points : l'expérimentation d'une indemnité kilométrique pour l'usage du vélo et la question du télétravail.

S'agissant du premier point qui est une expérimentation destinée à inciter à l'usage du vélo en entreprise, le coordinateur interministériel pour l'usage du vélo, placé sous l'égide du ministère des transports, avait constitué un groupe de travail auquel la Direction générale du travail avait été associée. Dix-huit entreprises, soit dix mille salariés, ont participé à cette expérimentation. L'indemnité kilométrique était fixée à 65 centimes d'euros. Cette expérimentation a ainsi donné lieu à un bilan publié par l'Ademe et ses résultats s'avèrent contrastés. D'un point de vue positif, l'usage du vélo a doublé pour arriver à 4,7 % des salariés des entreprises concernées, mais d'un point de vue négatif, la question du mode de remboursement des transports en commun, puisque l'un était exclusif de l'autre, se posait et ne favorisait pas l'usage multimodal de ces deux modes de transport. Faute d'un dispositif législatif le permettant, l'indemnité kilométrique était perçue comme une charge nouvelle pour les entreprises concernées, puisqu'elle entrait dans l'assiette des cotisations sociales patronales et ne bénéficiait d'aucune exonération.

D'après les dispositions des articles L.3261-2 et L.3261-3 du code du travail, l'employeur prend en charge à 50 % du coût des transports en commun entre leur lieu de travail et leur résidence. Cette prise en charge constitue une incitation à l'usage des transports collectifs au détriment de celui des véhicules personnels. Par ailleurs, l'employeur peut prendre en charge les frais de carburants, selon des modalités fixées par voie réglementaire. La législation actuelle ne prévoit donc pas une prise en charge de l'usage du vélo, mais un amendement qui vise la prise en charge, par l'employeur, des frais engagés par les salariés se déplaçant à vélo, a été déposé dans le cadre de l'examen du projet de loi sur la transition énergétique. D'ailleurs cet amendement a été voté par votre Haute assemblée, et ce même si la Direction générale du travail considère comme préférable le caractère facultatif d'une telle mesure et son adoption à l'issue d'une négociation entre partenaires sociaux afin d'en faciliter l'application.

Par ailleurs, la question du télétravail a fait initialement l'objet d'un accord-cadre européen qui a été signé par les partenaires sociaux le 16 juillet 2002 avant de faire l'objet, en France, d'un accord interprofessionnel intervenu le 19 juillet 2005 qui en fixe le cadre général. Deux nouveaux articles du code du travail, issus de la Loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives, dite Loi Warsmann de 2012, en ont même sécurisé l'usage. Si le télétravail demeure moins développé en France que dans d'autres pays européens, il concerne tout de même 12,4 % de la population active en 2012, soit deux millions de salariés et ce, même si le télétravail ne concerne pas du temps complet.

L'accord interprofessionnel de 2005 renvoie à des accords de branche et d'entreprise, même si la loi précise que le télétravail est prévu dans les contrats individuels des salariés. L'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail s'est vu confier un programme national pour l'expérimentation du télétravail et l'incitation des entreprises dans une démarche visant à en diffuser la pratique. L'article L.1222-11 du code du travail, introduit par la loi de 2012 précitée, prévoit la mise en oeuvre du télétravail afin d'assurer la continuité de l'activité de l'entreprise et de garantir la protection des salariés en cas de circonstances exceptionnelles, d'épidémie ou de force majeure. Le contexte de la mise en application de cet article reste celui d'une crise sanitaire grave. Il me faut vous préciser que les décrets d'application de cet article n'ont pas été, à ce jour, publiés et qu'en raison du contexte qu'il vise, son application effective nous paraît relever du ministère de l'intérieur. Ainsi, en cas de pic maximum de pollution, cet article pourrait fournir le cadre légal de la mise en oeuvre du télétravail au-delà des accords d'entreprises ou interprofessionnels.

M. Charles Revet, président. - Merci pour vos interventions. Je passe la parole à Madame le rapporteur.

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Avez-vous pu obtenir des éléments sur la perte de productivité provoquée par la pollution de l'air ?

Mme Béatrice Legrand-Jung, sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail à la Direction générale du travail. - En ce qui concerne la perte de productivité en tant que telle, la direction générale du travail dispose du nombre de journées d'incapacité temporaire mais elle s'attache à la compensation des heures perdues, à l'imputation à l'employeur du coût de cette réparation, sans disposer des données relevant de la médecine du travail. Il faut être au sein de l'entreprise pour mesurer le coût de l'absentéisme sur l'activité ! Nous allons certes nous emparer progressivement de cette question pour sensibiliser les entreprises à mettre en oeuvre des actions de prévention. Il nous faut ainsi insister davantage sur l'intérêt économique de l'entreprise à agir mais nous ne disposons que de peu de données sur l'impact de la prévention. Un plan de contrôle sur les arrêts de travail existe et il nous faut réduire l'absentéisme, quelle que soit sa cause. Ce champs demeure à explorer.

Par ailleurs, nous disposons en effet de données générales sur le coût des indemnités journalières des salariés mais nous ne disposons pas, dans ce coût global, de données concernant ce qui est imputable à la pollution globale extérieure. De même, pour l'absentéisme, une étude estime son niveau à 4,26 % de la population active en moyenne, ce qui peut entraîner un coût en termes de masse salariale pour les entreprises. Quelle est la part imputable à la pollution atmosphérique ? Nous ne sommes pas en mesure d'y répondre pour le moment.

Mme Évelyne Didier. - Merci pour ces explications. J'aurais plusieurs questions. La première concerne les normes : le pourcentage de particules, par exemple, considéré comme acceptable me paraît plus élevé en milieu professionnel que pour les particuliers. Ces normes, entre pollution de l'air intérieur et extérieur, sont-elles différentes ? Par ailleurs, vous avez évoqué la pollution dans les transports. Une personne qui travaille à un péage d'autoroute et qui respire constamment les vapeurs des véhicules qui passent, et notamment des véhicules diésel, est-elle considérée comme exposée à une pollution due à son travail ? Le fait que cette personne se trouve à l'extérieur constitue-t-il, à l'inverse, un facteur suffisant pour considérer cette exposition comme infondée ? En outre, les résidus de roulage et de freinage constituent, notamment dans le métro, des facteurs aggravants. Disposez-vous de données précises sur les incidences de la pollution atmosphérique dans les transports ? Enfin, avez-vous des informations sur les travailleurs de la route qui sont exposés au bitume ainsi que sur les agriculteurs qui le sont aux pesticides ? Lorsque vous évoquez la notion de risque chimique, les particules fines sont-elles considérées comme incluses ou font-elles l'objet d'une évaluation distincte ?

Mme Béatrice Legrand-Jung, sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail à la Direction générale du travail. - Sur la question des normes, il existe des valeurs limites d'exposition professionnelle qui sont environ au nombre de 80 et sont fixées par décret. Elles fixent les limites à ne pas dépasser et le niveau de ces valeurs limites diffère selon les travailleurs et la population, en général. L'élaboration de ces valeurs-limites ...

Mme Évelyne Didier. - Je me permets de vous interrompre. Ce sont pourtant les salariés qui sont les plus longtemps exposés !

Mme Béatrice Legrand-Jung, sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail à la Direction générale du travail. - L'Anses est l'expert commun pour les questions de santé au travail aux ministères de la santé et du travail et réfléchit à ces questions de valeur-limite. Les principaux paramètres qui expliquent les niveaux de pollution plus élevés sur les salariés que sur l'environnement, en général, font qu'on raisonne, pour la population en général, sur une exposition pour la vie entière, alors que sont considérées des durées quotidiennes de huit heures d'exposition pour le travail. Méthodologiquement, les résultats ne peuvent ainsi qu'être différents.

Mme Évelyne Didier. - Lorsque je suis dans le métro de manière épisodique, ce n'est tout de même pas la même situation que celle d'une personne qui travaille de manière continue !

Mme Béatrice Legrand-Jung, sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail à la Direction générale du travail. - La composition de la population générale qui comprend des personnes fragiles comme les enfants et les personnes âgées, explique l'adoption de normes plus basses. De telles raisons expliquent cette différence de normes. C'est un vrai sujet sur lequel nous travaillons avec le ministère de l'environnement afin notamment de s'assurer de la convergence de ces valeurs-limites d'exposition, pour éviter de travailler de manière trop cloisonnée.

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Ce que vous venez d'évoquer, à la suite de la question adressée par ma collègue, apparaît en contradiction avec ce que votre direction opère en matière de lutte contre la pollution au travail. D'ailleurs, la situation de certains salariés, comme ceux de la Régie autonome des transports parisiens, ou encore ceux qui travaillent dans des sièges extrêmement pollués, à l'instar des employés de la Société Microsoft qui sont exposés à des problèmes de pollution atmosphérique et sonore, n'est pas prise en compte dans les données statistiques. On ne peut que s'inquiéter  de ce fait ! Pourquoi une telle absence de prise en compte et comment remédier à cette situation ? C'est d'ailleurs l'un des objets de notre rapport qui est de prendre en compte cette réalité.

Mme Béatrice Legrand-Jung, sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail à la Direction générale du travail. - Ces salariés sont en effet exposés à une situation spécifique et ils sont prioritaires pour notre action. Leurs employeurs ont en effet l'obligation de les protéger. L'Anses conduit actuellement une étude sur les personnes qui travaillent dans les enceintes ferroviaires et des recommandations, en termes d'organisation du travail, ont été formulées. Les règles de protection des salariés doivent en effet s'imposer dans les conditions que vous évoquiez. Les mesures à mettre en place en application de ces principes de prévention doivent faire l'objet d'une réflexion conduite en amont, comme le recommandait l'Anses dans un rapport publié en 2011 et consacré à la situation des personnels des parkings de stationnement couverts.

Notre direction conduit actuellement une action envers les salariés qui travaillent au contact de containers. Celle-ci ne concerne pas seulement les dockers mais tous les personnels affectés à la chaîne de marchandises et exposés aux gaz de fumigation et aux cocktails de substances chimiques émanant de marchandises qui ont passé un temps confiné dans les containers. Une telle situation est complexe et on réfléchit actuellement, avec l'INRS, sur cette question qui relève également d'une concertation interministérielle.

Sur les agriculteurs et les pesticides, le ministère de l'agriculture, ainsi que la MSA d'ailleurs, ont une compétence spécifique. Nous travaillons actuellement sur les équipements de protection des agriculteurs et sur le fait de s'assurer que ces derniers portent des vêtements de protection de qualité suffisante pour le maniement des produits phytosanitaires.

M. Charles Revet, président. - Je reviens sur le constat décennal que vous avez évoqué à titre liminaire et sur les préconisations qui en ressortent. Avez-vous constaté des évolutions entre la période antérieure et cette période sur le nombre, toujours trop élevé, de décès provoqués par telle ou telle pollution ? Un premier impact de la mise en oeuvre de vos préconisations a-t-il été constaté ?

Mme Marine Jeantet, directrice des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts). - Je vous adresserai les données retraçant cette évolution. Il est manifeste que les maladies professionnelles augmentent de manière globale sur la période de dix ans, toutes choses confondues, et les maladies respiratoires demeurent stables. Cependant, certaines fluctuations s'expliquent également en raison de la démarche volontaire de l'assuré qui va déclarer telle ou telle pathologie comme causée par le milieu professionnel. Certaines périodes sont ainsi marquées par un taux important de sous-déclarations ou encore par la non-reconnaissance de certaines maladies comme professionnelles, à l'instar du cancer de la vessie qui est une affection de longue durée pourtant causée par certaines expositions au travail ! Il faut aller démarcher ces assurés afin de leur proposer une reconnaissance et nous venons de généraliser une expérimentation en ce sens, qui avait été initiée en 2008. Il n'existe pas de registre en ce sens !

Nous ne disposons pas, en revanche, de l'évaluation de l'impact de nos actions de prévention, du fait des difficultés méthodologiques qu'une telle démarche implique.

Mme Béatrice Legrand-Jung, sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail à la Direction générale du travail. - Au-delà des données de sinistralité, je vous renvoie à l'enquête Sumer de la Dares qui est conduite tous les cinq ans et au cours de laquelle les médecins du travail interrogent un très large échantillon de salariés pour leur demander quelles sont les expositions professionnelles auxquelles ils sont soumis. Cette enquête permet ainsi de mesurer l'évolution des expositions professionnelles et démontre que sur ces dix dernières années, les expositions aux agents chimiques cancérogènes ont globalement baissé. La Dares indique cependant que 10 % des salariés demeurent exposés et que subsistent de fortes inégalités en matière d'exposition ; ces dernières se seraient même renforcées entre les différentes catégories socio-professionnelles, malgré cette tendance globale à la baisse.

Mme Marine Jeantet, directrice des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts). - Nous intervenons, en effet, en aval et nous nous attachons aux conditions de prise en charge.

Mme Béatrice Legrand-Jung, sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail à la Direction générale du travail. - D'ailleurs, sur l'amiante, les cas recensés prennent en compte des expositions qui sont intervenues il y a vingt ou trente ans et il n'y a pas d'effet direct de la prévention sur les statistiques de la sinistralité.

M. Charles Revet, président. - Je vous remercie de vos interventions et des éléments que vous nous avez apportés.

La réunion est levée à 12 h 30

Audition commune de Mme Andrée Buchmann, présidente du conseil de surveillance, et du Pr Francis Allard, président du conseil scientifique, de l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OBQI) et de Mme Séverine Kirchner, directrice scientifique de l'OBQI, directrice adjointe « santé, confort » du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB)

La réunion est ouverte à 14 heures

Au cours d'une seconde réunion tenue l'après-midi, la commission poursuit ses auditions dans le cadre de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air.

M. Charles Revet, président. - Pour notre dernière audition de la journée nous recevons de Mme Andrée Buchmann, présidente du conseil de surveillance de l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI), M. Francis Allard, président du conseil scientifique de l'OQAI, et Mme Séverine Kirchner, directrice scientifique de l'OQAI, directrice adjointe «santé, confort» du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Le CSTB est un établissement public qui a pour mission de rassembler et partager les connaissances pour améliorer la qualité des bâtiments. L'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI) étudie la pollution de l'air.

Cette audition est publique et ouverte à la presse.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Mme Andrée Buchmann, M. Francis Allard et Mme Séverine Kirchner, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

Les trois intervenants prêtent serment.

Mme Andrée Buchmann, présidente du conseil de surveillance de l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI). - Nous sommes très honorés d'être auditionnés. La qualité de l'air intérieur est un sujet important, tant sur le plan sanitaire qu'économique. Il est normal que la représentation nationale s'en saisisse. L'OQAI a été créé en 2001 à l'initiative des ministres de l'environnement et de la santé qui souhaitaient disposer d'une expertise indépendante, au moment où l'amiante suscitait beaucoup de polémiques et de scandales. Les recherches sur ce thème, qui avaient été financées par les industriels de l'amiante, étaient d'une objectivité douteuse...

Un conseil de surveillance réunit les ministères de l'écologie, du logement et de la santé, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Adème), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), le CSTB, l'Agence nationale de l'habitat, et le Conseil de l'air (CNA). Il est assisté d'un conseil scientifique présidé par M. Allard, qui réunit des scientifiques français et étrangers. Ceux-ci siègent à titre gracieux : pas de jetons de présence, pas de pressions ! L'observatoire est géré sur le plan opérationnel par le CSTB, en coordination avec Mme Kirchner. Il fonctionne de manière autonome, avec un budget propre, alimenté par des fonds publics. Les axes de recherche et l'orientation stratégique sont définis par le conseil de surveillance. Des conventions pluriannuelles de trois ans règlent son fonctionnement.

L'OQAI a eu pour mission de réaliser une campagne d'étude pour analyser l'air des logements. Depuis il mène une série d'études complémentaires sur les écoles, sur les bureaux, ou sur les bâtiments performants en énergie, afin d'orienter la législation. L'Observatoire a été créé aussi à la demande des professionnels de la santé et du bâtiment car nous ne connaissions pas les conséquences sanitaires des nouveaux matériaux. Les médecins constataient une hausse des cas d'asthme, de cancers, et notaient un lien entre l'air respiré et le développement de certaines pathologies. La France est le seul pays à s'être doté d'une telle instance d'étude. L'observatoire a permis une évolution des méthodes de construction, de la réglementation, des connaissances et des pratiques. Notre conseil de surveillance travaille en lien avec un comité consultatif composés d'organismes et d'associations concernées par notre réflexion. Il ne s'agit pas d'une usine à gaz émettant des ukases depuis Paris : nous travaillons en réseau avec différentes structures, tant françaises qu'étrangères, afin d'avoir une vision de toute la société et de tout le territoire. Nous organisons régulièrement des ateliers thématiques où des scientifiques présentent au public les résultats de leur recherche.

Nous avons étudié les coûts sociaux et économiques de la pollution intérieure. Comme vous avez déjà auditionné l'Anses, je me contenterai de rappeler nos conclusions rapidement. Nous avons réalisé une étude socio-économique sur six polluants qui ont des conséquence sur la santé : le benzène, source de leucémies ; le trichloroéthylène, qui provoque des cancers ; le radon, susceptible de provoquer des cancers du poumon ; le monoxyde de carbone, cause d'asphyxie ; les particules fines, sources de cancers, de maladies cardiovasculaires, de bronchopneumopathies chroniques obstructives ; le tabac, cause d'infarctus, de cancers de poumon, d'accidents cardiovasculaires, de bronchites. On estime à 28 000 le nombre de nouveaux cas chaque année et à 20 000 le nombre de décès annuels liés à la pollution de l'air. Le coût de cette dernière est estimé à 19 milliards par an. Notre budget est assez modeste, et n'est pas en relation avec l'importance des enjeux. Malgré cela, nous nous appliquons à développer une recherche efficace.

Mme Séverine Kirchner, directrice scientifique de l'OQAI, directrice adjointe « santé, confort» du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). - L'Observatoire est une institution unique qui a vocation à fournir des informations sur la qualité de l'air que nous respirons et sur ses conséquences en termes de santé publique. Nous collectons des données dans les bâtiments occupés pour identifier les polluants, et mesurer leur concentration en fonction de différents déterminants : la nature du bâtiment, l'air extérieur, le comportement des occupants, l'utilisation de produits d'entretien, etc. Pour cela, nous avons établi des parcs statistiques représentatifs. Grâce à la campagne de 2003-2005, qui visait les résidences principales, nous avons pu, pour la première fois, dresser une photographie de la pollution de l'air respiré par les ménages. Les données ont été utilisées par l'Institut de veille sanitaire ou l'Anses pour identifier les substances dont l'effet est le plus nocif pour la santé publique. Elles ont aussi été utilisées pour établir des valeurs-guide, instruments de gestion, afin d'identifier des zones à cibler ou déterminer le coût d'une action pour diminuer la pollution. Cette étude, la seule disponible en France, a également permis d'évaluer le coût social de la pollution de l'air. Nous avons identifié une vingtaine de substances polluantes. La plupart sont présentes dans l'ensemble des logements (10 % sont multi-pollués), et elles sont plus concentrées à l'intérieur qu'à l'extérieur. Un faisceau de causes intervient : le type de bâtiment, la présence ou non d'un garage, l'usage de matériaux neufs ; le comportement des occupants -l'usage d'encens, de pressings, le taux d'occupation- ; la gestion de l'air -plus que le type de système de ventilation, c'est l'état des systèmes qui est déterminant- et l'environnement extérieur. Aujourd'hui nous reprenons ces échantillons pour analyser la présence des composés organiques semi-volatils, comme les phtalates, les pesticides, les retardateurs de flamme bromés, etc. Nous présenterons nos résultats lors d'un atelier public le 11 juin.

Nous menons aussi une campagne sur 300 écoles et 600 salles de classe, ainsi qu'un programme sur l'air des bureaux, sujet sur lequel nous manquons de données. Nous étudions aussi les bâtiments performants en énergie. Nous avons mis au point des protocoles pour mesurer la qualité de l'air ou le confort ; les opérateurs intéressés les utilisent et nous renvoient les données. Nous présenterons nos résultats le 2 juin lors de la conférence Les Défis bâtiment et santé. Cette base de données sera complétée au fil de l'eau puisque nous suivons les bâtiments pendant un an après leur construction.

Nous réfléchissons également à de nouvelles campagnes sur les maisons de retraite ou les établissements de santé. Nous avons conçu, en outre, un programme sur les outils d'aide à la décision. Une de nos études les plus utilisées a été la hiérarchisation des substances : nous avons développé une méthodologie pour classer les substances présentes dans l'air en fonction de leur fréquence d'apparition, ou de valeurs toxicologiques de référence associées à des taux d'exposition. Certaines substances sont apparues comme prioritaires. L'Anses a utilisé cette hiérarchisation des données pour établir ses valeurs guides sur l'air intérieur en France et pour mettre au point un étiquetage des produits de construction. De même, ce programme a permis de fournir une estimation du coût social d'une exposition à des polluants de l'air intérieur.

Nous avons aussi développé un module pour mesurer le confinement de l'air, sur la base du taux de concentration du monoxyde de carbone. Associé à des indicateurs lumineux (vert-orange-rouge), ce système indique, dans les écoles non équipées de systèmes mécaniques, s'il faut ou non ouvrir les fenêtres pour aérer.

Nous travaillons aussi à mettre au point des indicateurs simples permettant d'apprécier rapidement la qualité de l'air intérieur. Nous avons aussi un module de communication, essentiel car le comportement des occupants d'un bâtiment influe sur la qualité de l'air. Les professionnels du bâtiment sont intéressés. Nous cherchons à favoriser l'émergence d'un réflexe santé lors de la construction d'un bâtiment, au même titre que la prise en compte de l'énergie, ou de l'environnement.

M. Francis Allard, président du conseil scientifique de l'OQAI. - La recherche sur la qualité de l'air intérieur est assez récente : pendant longtemps, les outils de modélisation nécessaires n'étaient pas disponibles. Depuis une vingtaine d'années de grands progrès ont été faits. La recherche a porté à la fois sur la physico-chimie des polluants ou les modes de transport des particules de l'extérieur vers l'intérieur, et sur l'impact sanitaire de l'air respiré, que les épidémiologistes et les toxicologues ont du mal à apprécier, car nous sommes tous exposés à des milliers de composants chimiques durant notre vie. Ces observations sont indispensables pour orienter les politiques publiques.

Nous passons 85 à 90 % de notre vie dans des milieux confinés, ce qui explique l'impact indéniable de l'air intérieur sur notre santé ; mais la prise de conscience de ce phénomène est relativement récente.

Nous avons mis en place un dispositif innovant, envié par beaucoup de pays, à partir de protocoles de représentativité statistique, de manière à représenter l'ensemble des logements français. C'est un programme de longue haleine qui mobilise des moyens importants. Nous espérons voir à partir de bases similaires si nous constatons une évolution positive ou non.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Avez-vous produit des études sur la pollution engendrée par les bâtiments eux-mêmes, ou sur le coût économique de la pollution atmosphérique sur les bâtiments, à cause de la corrosion ? Globalement, les pouvoir publics ont-ils selon vous la bonne attitude sur le sujet général de la pollution de l'air ?

Mme Séverine Kirchner. - L'impact du bâtiment sur l'air extérieur est en premier lieu celui du chauffage par combustion. Le CSTB a traité ce sujet dans son programme « usages-santé-confort », prônant l'amélioration intrinsèque des chaudières - avant même de placer des filtres à particules - constatant une relation directe entre température des fumées et pollution ou la nocivité relative d'une utilisation réduite des chaudières. La métrologie n'est pas toujours facile, à cause de la vapeur d'eau. Mais des solutions innovatrices sont possibles.

Une étude a été menée il y a dix ans sur l'impact de la pollution sur les bâtiments et les différents enduits, davantage pour comprendre le mécanisme que pour les mesurer ; mais elle n'a pas eu de suites. De nombreux matériaux autonettoyants sont aujourd'hui proposés. Nous travaillons sur la question de leur innocuité sur l'air intérieur. Un projet dans le cadre de Primequal, financé par l'Ademe et le Ministère de l'écologie, vise à observer leur comportement ; c'est important : ces matériaux pourraient se déployer de plus en plus.

Mme Andrée Buchmann. - Des polluants secondaires pourraient surgir.

Mme Séverine Kirchner. - Par comparaison, la pollution de l'air intérieur était inconnue avant les années 1990 : nous travaillions plutôt avec notre réseau étranger, en particulier les pays nordiques, les Etats-Unis et le Canada. Aujourd'hui, nous accueillons dix chercheurs étrangers qui veulent consulter nos données, qui sont rares dans le monde : la mise en place d'un dispositif permanent d'observation de la vie de la population a constitué un bond en avant remarquable. Seul bémol : les fonds diminuent, réduisant drastiquement notre programmation.

Les plans nationaux santé-environnement ont entraîné des politiques publiques assez importantes, comme l'étiquetage obligatoire des matériaux, la surveillance des écoles et des crèches, les valeurs guides. La prise de conscience a été tardive, mais nous avons rattrapé notre retard. Les enjeux sont importants : l'exposition continuelle de populations parfois vulnérables entraîne des maladies comme les cancers ou l'asthme. Nous ne pouvons que souhaiter que cela aille plus loin. Il me semble que l'on entend de plus en plus parler d'air intérieur.

M. Francis Allard. - La prise de conscience au niveau international de l'impact sanitaire de l'air intérieur a eu lieu il y a une vingtaine d'années. L'air extérieur contient certes des polluants, mais c'est sans comparaison ! La prise de conscience date de vingt ans pour les scientifiques... mais je ne suis pas sûr qu'elle soit achevée pour les décideurs.

Mme Andrée Buchmann. - Le programme date de 2001, Louis Besson étant secrétaire d'Etat au logement. Les ministres de l'environnement ont été souvent des jeunes femmes que la question de l'air intérieur intéressait à cause de leurs jeunes enfants, elles ont oeuvré pour préserver nos crédits. C'est un outil fantastique, permettant des observations dans la vie réelle, et non en laboratoire, pour un budget modeste.

La recherche publique doit être complétée par la recherche privée, insuffisante en France. Mais l'Etat doit sanctuariser la recherche publique pour préserver sa position de référence : si l'industrie du tabac ou de l'amiante finance la recherche dans ces domaines, cela remet en question les résultats. C'est pourquoi nous tenons à notre financement public, qui empêche toute contestation de nos travaux.

M. Charles Revet, président. - L'incidence du type de construction sur la qualité de l'air peut varier, et des produits autonettoyants peuvent s'avérer nocifs. Quant à l'incidence sur les bâtiments de l'air extérieur, on peut la constater en regardant l'état de l'Assemblée nationale, qui a pourtant été totalement ravalée il y a quelques années ! Les différents types de chauffage, comme l'air pulsé, qui coûte moins cher, ont-ils une incidence différente sur l'air intérieur ?

M. Francis Allard. - Nous ne pouvons pas vous répondre en détail sur l'effet de l'air extérieur sur les bâtiments : les espèces chimiques qu'il faudrait observer sont les agents agressifs, à commencer par le gaz carbonique, donc très différentes que celles qui nous intéressent dans le domaine sanitaire. Les deux aspects peuvent agir de concert, mais ils obéissent à des phénomènes physiques ou chimiques différents.

A part la combustion interne, le type de chauffage n'a pas d'incidence prouvée. Le chauffage à air pulsé, peu développé en France mais très courant aux Etats-Unis, n'a pas d'incidence directe, car l'air est filtré en amont. Ce qui compte, c'est la maintenance des différents systèmes ; tel avait été le résultat d'une enquête sur le logement.

L'air des espaces confinés en voiture, dans les bureaux ou les logements est toujours de plus mauvaise qualité que l'air extérieur, que les professionnels appellent « l'air neuf ». Sauf les éléments très réactifs, comme l'ozone, dont la concentration est bien moindre à l'intérieur, toutes les espèces gazeuses de l'air extérieur se retrouvent à l'intérieur, en plus de la pollution que nos bâtiments, notre occupation, nos activités génèrent. L'air extérieur occupe le devant de la scène depuis le smog de Londres des années 1950, qui aurait fait des milliers de morts.

Toutes les données sont transparentes et nos publications accessibles sur notre site.

M. Charles Revet, président. - Je vous remercie.

La réunion est levée à 14 h 55.