Mercredi 15 avril 2015

- Présidence de Mme Catherine-Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Avenir de France Télévisions - Audition de MM. Nicolas de Tavernost, président du groupe M6, Bertrand Méheut, président du groupe Canal+, et Nonce Paolini, président du groupe TF1

La commission auditionne MM. Nicolas de Tavernost, président du groupe M6, Bertrand Méheut, président du groupe Canal+, et Nonce Paolini, président du groupe TF1, sur l'avenir de France Télévisions.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, je suis heureuse d'accueillir ce matin en notre nom à tous MM. Nicolas de Tavernost, président du groupe M6, Bertrand Méheut, président du groupe Canal+, et Nonce Paolini, président du groupe TF1, qui nous rejoindra d'ici quelques instants.

Notre commission s'est beaucoup investie sur les questions d'audiovisuel ces derniers mois. Et cette table ronde vient compléter nos travaux relatifs aux enjeux de la nouvelle présidence de France Télévisions. Nous sommes, à cet égard, intéressés par le fait de connaître votre sentiment concernant l'avenir du groupe France Télévisions, ses moyens, ses programmes, ses missions spécifiques et, plus généralement, la place qui doit être celle du service public de la télévision à l'heure où les usages et les pratiques des Français en matière d'audiovisuel évoluent.

Je rappelle, par ailleurs, que notre commission a engagé, conjointement avec la commission des finances, une mission d'information sur le financement de l'audiovisuel public. Je suis sûre que vous souhaiterez nous apporter votre éclairage, ne serait-ce qu'au titre du partage nécessaire de la ressource publicitaire ou s'agissant du décret - toujours attendu - sur les parts de coproduction.

Bien entendu, notre réflexion s'inscrit dans le contexte plus général de la situation de l'audiovisuel. Je sais que les sujets d'actualité sont nombreux, qu'il s'agisse de la numérotation des chaînes de la TNT ou des conditions de rachat de Numéro 23.

Je vais vous laisser la parole pour exprimer chacun pendant quelques minutes votre point de vue et vos préoccupations sur ces différents sujets, avant que le débat puisse s'engager avec les membres de la commission qui souhaiteront vous interroger. Je précise que notre rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel, Jean-Pierre Leleux, est actuellement retenu par la réunion du Bureau du Sénat.

M. Nicolas de Tavernost, président du groupe M6. - Nous sommes toujours très heureux de pouvoir nous exprimer devant la représentation nationale. L'association des télévisions commerciales a pour objectif de traiter les questions d'intérêt commun. Elle est présidée de manière tournante et j'exerce en ce moment la présidence. En matière d'audiovisuel, on pourrait dire que la France a les yeux plus gros que le ventre et que les décisions des pouvoirs publics sont inappropriées. Le modèle économique de la télévision dépend de trois paramètres : les abonnements, la publicité et la contribution à l'audiovisuel public. Les ressources sont donc limitées alors que l'augmentation de l'offre a été importante sans avoir toujours permis d'améliorer la qualité. Il existe maintenant 25 chaînes accessibles gratuitement.

Une de ces chaînes, créée il y a deux ans et demi, a été revendue pour un prix prohibitif alors qu'elle ne dispose pas d'actifs, qu'elle a peu d'audience et qu'elle n'a pas créé d'emplois. Nous avons écrit au président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et au Premier ministre à propos de ce qui s'apparente à une commercialisation d'autorisation d'émettre. Le CSA devrait, à notre avis, pouvoir reprendre cette fréquence et procéder à un nouvel appel à candidatures.

Concernant le financement de l'audiovisuel public, tout projet de réaffectation de la ressource publicitaire à France Télévisions serait injustifié. Alors que les chaînes privées ont mené des efforts de rationalisation et sont confrontées à une augmentation des coûts de leurs programmes, la télévision publique a vu ses ressources poursuivre leur augmentation. La question se pose de savoir pourquoi France Télévisions devrait s'exonérer d'un effort de maîtrise de ses coûts. Un retour de la publicité après 20 heures sur les chaînes de France Télévisions pourrait lui procurer 100 millions de recettes qui seraient prélevées sur les ressources des autres acteurs qui ont également des engagements en faveur du soutien à la création. Nous souhaitons que le Sénat défende le principe du non-retour de la publicité après 20 heures sur les chaînes du service public.

Concernant la réglementation relative à la production et les limitations relatives à la production interne, on peut rappeler que la France est le seul pays qui limite autant les marges de manoeuvre des diffuseurs et qu'un rapport du Sénat avait proposé d'abaisser le quota de production indépendante.

Par ailleurs, chacun d'entre nous a une longue expérience, qui est liée à la pérennité de nos mandats consécutive à la confiance que nous accordent nos actionnaires.

M. Bertrand Méheut, président du groupe Canal+. - Je partage les propos de Nicolas de Tavernost. Concernant plus particulièrement la télévision payante, nous souffrons et nous voyons notre base d'abonnés baisser en France. Ce n'est pas le cas ailleurs ; c'est donc notre développement à l'international qui explique nos résultats. Il existe une concurrence forte en France du fait, en particulier, d'une offre de bouquets de télévision payante par les opérateurs télécoms. Le monde est ouvert, ce qui permet aux acteurs internationaux de délivrer leurs programmes sur des nouveaux supports comme YouTube, tandis qu'apparaît un nouvel acteur - Netflix - soumis à des règles différentes. Nous sommes soumis, pour notre part, à des contraintes de financement importantes. L'activité du groupe Canal+ génère environ 40 000 emplois directs et indirects si l'on tient compte des ligues sportives. Alors que le marché de la publicité reste à son niveau de 2005, nous sommes handicapés en matière de financement des oeuvres par une part insuffisante de production indépendante. La seconde étape de la réforme des décrets relatifs à la production sera donc importante.

M. Nonce Paolini, président du groupe TF1. - Sur le service public de l'audiovisuel, j'ajouterai les éléments suivants. Le coût des programmes par point d'audience est passé dans le service public de 45 millions d'euros en 2006 à 72 millions d'euros en 2013. Au cours de la même période, pour TF1, les chiffres s'établissent respectivement à 32 et 33 millions d'euros, ce qui illustre le travail réalisé sur les coûts et la gestion du groupe. L'augmentation des coûts était de toute manière inenvisageable avec une baisse du chiffre d'affaires de 430 millions d'euros en 7 ans. Il faut donc garder cette donne économique à l'esprit sous peine d'augmenter les recettes de l'audiovisuel public sans s'interroger sur la maîtrise des coûts des programmes. L'autre exemple en date est la signature d'un contrat entre Universal et l'audiovisuel public, alors que TF1 l'avait refusé auparavant car il n'était pas jugé pertinent économiquement.

J'en suis maintenant au contexte actuel.

D'abord, le marché a considérablement changé, à la fois en raison de la situation économique qui s'est dégradée et de l'arrivée de nouveaux acteurs. La ligne Maginot de la réglementation a ainsi explosé. Par ailleurs, les annonceurs ont revu leur stratégie d'investissement en raison de la diversification des supports ; ils se tournent de plus en plus vers le digital au détriment de la télévision. En outre, au-delà de la diversité des programmes, on a encouragé en France la diversité des acteurs (11 actuellement au lieu de 4 en 2002/2003), en commettant l'erreur de donner la priorité aux nouveaux entrants. Or, dans le secteur industriel de la création, un acteur isolé ne peut prospérer. Enfin, la réglementation actuelle, notamment en matière de fiction française, constitue l'un des très lourds handicaps que nous avons à supporter. Il faut rappeler que pour les fictions de prime time, tous les inédits perdent beaucoup d'argent. Seuls les producteurs en gagnent, et non les diffuseurs, ce qui ne veut pas dire que nous ne soyons pas attachés, au-delà de nos obligations, au développement de cette production française, qui recueille d'ailleurs un succès croissant auprès des téléspectateurs. Il ne faut donc pas voir dans notre démarche et nos demandes une volonté de ne pas s'engager dans cette production, mais plutôt le souci de transposer des dépenses dans de l'investissement. Ce constat est valable pour le service public qui dépense 400 millions d'euros dans la production française sans aucun retour, si ce n'est au profit des producteurs.

Mon propos n'est donc pas de remettre en cause la création ni le talent des uns ou des autres. Mais il n'est pas raisonnable de poursuivre dans la voie suivie par le législateur à une certaine époque visant à séparer de manière aussi stricte la diffusion de la production indépendante : comme faisait remarquer M. de Tavernost, indépendante de quoi, d'ailleurs ? Lorsqu'on constate que les sociétés de production les plus prolifiques font partie des groupes Lagardère, Zodiac ou Endemol, on peut s'interroger sur leur indépendance. Finalement, quel est l'intérêt d'avoir des sociétés de production qui se marient avec des groupes étrangers plutôt qu'avec des groupes français ? Notre but n'est de toute façon pas d'acquérir des sociétés françaises de production, mais d'avoir un juste retour sur les dépenses effectuées dans la production. Je sais que vous comprenez notre position, comme en témoigne le rapport particulièrement éclairant de M. Jean-Pierre Plancade sur les relations entre les producteurs audiovisuels et les éditeurs de services de télévision. Vous avez également adopté des dispositions en ce sens. Je constate néanmoins qu'à une période où tout change à une vitesse extraordinaire dans notre secteur, le décret d'application de la loi votée en novembre 2013 n'est toujours pas publié au 15 avril 2015. En dépit des débats sur cette loi et alors que les groupes publics et privés ont depuis investi 1,5 milliard d'euros, nous n'avons toujours pas de droit de propriété sur les productions, ce qui paraît extravagant. En résumé, nous souhaitons investir dans la création française, mais il faut changer la réglementation rapidement car les concurrents ne nous attendent pas.

M. David Assouline. - Je suis heureux de vous entendre car le paysage audiovisuel français comprend certes l'audiovisuel public, mais également les groupes privés qui jouent un rôle très important. Vos propos m'amènent à constater qu'à l'occasion de cette grande révolution sur le plan de la communication, des médias et du numérique, nous n'avons pas eu de débat de société sur l'architecture du paysage audiovisuel que nous souhaitons voir émerger, contrairement à ce qui a pu être fait dans le passé, notamment lors de la discussion sur la télévision numérique terrestre. Le secteur audiovisuel a été bouleversé par les évolutions du secteur public et du secteur privé, la concentration des acteurs, la multiplication des offres, dans l'anarchie la plus totale, sans régulation, permettant ainsi à la loi du plus fort de s'imposer. J'espère que le débat actuel permettra de prendre conscience de la nécessité de redonner un sens global à ces interrogations avant de prendre position sur telle ou telle question.

Je salue votre constance militante pour défendre l'intérêt de vos entreprises. Vous avez de manière spontanée mais coordonnée fait passer deux messages. D'abord, vous ne souhaitez pas augmenter la publicité dans l'audiovisuel public. En fait, vous avez déjà gagné cette bataille puisque M. Sarkozy avait fait voter une mesure en ce sens. Se pose alors la question de l'équilibre financier du secteur public, privé de ses ressources publicitaires. Je rappelle la position, à la fois constante et relativement consensuelle du Sénat, selon laquelle l'audiovisuel public doit être financé par une redevance dont l'assiette doit être élargie aux nouveaux usages. Certaines questions à la marge restent posées. Ainsi, le service public ne peut plus diffuser un match de football sans publicité le soir en raison du coût des droits de diffusion. Est-ce que ce type de compétition ne pourra plus être accessible gratuitement sur le service public puisqu'il faudra regarder des chaînes payantes pour accéder à ce genre de manifestation sportive ? Je n'ai personnellement pas tranché cette question mais globalement, je peux affirmer que le Sénat est d'accord pour ne pas rouvrir une fenêtre publicitaire aux heures de grande écoute.

L'autre question que vous soulevez est le retard pris dans la publication du décret sur les parts de coproduction. Dans ce cas précis, le retard n'est pas lié à l'habitude française de publier une loi sans se soucier de publier les décrets d'application. La situation s'est d'ailleurs beaucoup améliorée puisque désormais le délai de publication a été fixé à six mois à la suite de plusieurs circulaires prises par des ministres tant de droite que de gauche. En réalité, il s'agit de dispositions qui doivent être négociées par les partenaires. Or, ces derniers n'arrivent pas à se mettre d'accord. Certes, le Gouvernement pourrait décider d'agir, compte tenu du retard accumulé, mais il s'agirait d'une rupture par rapport à la tradition de négociation dans ce secteur. Il semblerait toutefois que la ministre ait décidé de faire pression sur les partenaires afin qu'un accord intervienne d'ici l'été. Au groupe socialiste du Sénat, nous insistons sur la nécessité de trouver un équilibre entre l'octroi aux diffuseurs de droits plus importants qu'aujourd'hui et le maintien d'un système caractérisé par une multitude de producteurs qui garantit la diversité de l'offre. En effet, plus les producteurs et les diffuseurs sont concentrés, plus l'offre de programmes est réduite. Nous devons donc éviter de copier les modèles étrangers et privilégier la mutation de notre système tout en sauvegardant sa particularité.

Enfin, vous avez soulevé la question de la revente des fréquences. Comme vous l'avez souligné, M. de Tavernost, les fréquences hertziennes sont gratuites pour les chaînes de télévision, alors qu'elles coûtent des milliards aux entreprises de télécommunication. Vous ne pouvez donc pas dire que l'État donne tout au service public et rien au secteur privé. Au contraire, il vous accorde quelque chose de fondamental, sans lequel vous ne pourriez pas exercer votre activité. Il est donc normal que cette allocation permanente s'accompagne d'obligations permanentes. En ce qui concerne la chaîne Numéro 23, j'ai déjà soulevé le scandale que représente sa vente : les actionnaires de Numéro 23 ont attendu le délai légal de deux ans et demi pour revendre la chaîne 90 millions d'euros alors que la fréquence avait été attribuée gratuitement. Je souhaite toutefois rappeler le combat que j'ai mené pour l'instauration d'une taxe de 5 % sur les plus-values liées à la revente des fréquences. Maintenant, on estime qu'elle n'est pas assez élevée, mais on m'a reproché cette initiative lors de transactions similaires, je pense notamment au groupe Bolloré. J'ai été constant dans mes opinions, ce n'est pas le cas de tout le monde. Certes, on peut allonger le délai de détention incompressible à cinq ans, mais il faut également arriver à se projeter dans l'avenir. À quoi ressemblera-t-il ? J'aimerais avoir votre sentiment. Ainsi, la TNT a été conçue avec un nombre important de chaînes ; on assiste désormais à un phénomène de concentration. De même, Nextradio TV a racheté Numéro 23, mais des bruits courent sur le rachat de ce groupe par un autre. Autre exemple : le groupe Bolloré semblait avoir été absorbé par Canal+, or, désormais, il dirige cette entreprise. Face aux mutations à venir, que faire pour réguler ce secteur et assurer sa compétitivité tout en garantissant une certaine diversité ?

M. Nicolas de Tavernost. - De mon point de vue, la bataille de la publicité n'a malheureusement pas été « gagnée » par les groupes privés : elle a été au contraire « à moitié perdue » car en France, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays comme l'Espagne ou la Grande-Bretagne, l'opérateur public conserve des recettes publicitaires avant 20 heures.

Les fréquences que nous utilisons ne sont absolument pas « gratuites » pour nos groupes : les contreparties dont nous nous acquittons sous forme de taxes spécifiques (pour le Centre national du cinéma et de l'image animée - CNC -, le service public ou encore la presse et la radio à faibles ressources publicitaires, qui représentent aujourd'hui près de 10 % de notre chiffre d'affaires annuel) ou sous la forme d'obligations de réinvestissement dans la production d'oeuvres audiovisuelles, sont particulièrement rigoureuses et, au final, plus onéreuses pour nous que ne l'aurait été le paiement des fréquences.

S'agissant de la revente controversée de l'autorisation d'émettre de la chaîne Numéro 23, cette vente relève avant tout de la liberté du commerce et l'usage de la fiscalité pour encadrer ces opérations ne me semble pas optimal. Ce qui est le plus regrettable dans cette revente c'est que la chaîne Numéro 23 n'a quasiment créé aucun actif au cours de ses deux premières années et demie d'existence. Si je compare cette situation avec celle de M6, au cours de nos quatre premières années et demie d'existence, notre groupe a accusé une perte d'un million de francs par jour, avant de trouver un équilibre financier. C'est un « investissement » qui nous a permis de créer des actifs et des emplois. La régulation des évolutions du secteur doit se faire moins par le biais d'une taxe ou d'une disposition législative ad hoc que par le bon usage de ses pouvoirs d'autorisation et de contrôle par le CSA. Je rappelle à cet égard que M6 avait fait acte de candidature auprès du CSA sur trois projets de chaînes pérennes et que nous avons même été amenés en certaines circonstances à restituer une fréquence (TF6), sans revente.

Aujourd'hui, la réglementation limite le quota d'oeuvres que nous produisons en direct, celui-ci ne pouvant pas dépasser 15 à 20 %. Or il constitue manifestement un frein à la production. Prenez par exemple notre série quotidienne Scènes de ménages, dont M6 détient les droits longs, pour laquelle notre groupe investit entre 30 et 40 millions d'euros par an et qui aujourd'hui, pour des raisons réglementaires, ne peut pas entrer dans notre obligation de financement de la création alors que dans le même temps nos concurrents européens ont des sociétés de production rattachées qui se développent à l'export.

Autre demande : lorsqu'un groupe investit (et donc prend des risques) dans la production d'oeuvres audiovisuelles, il devrait pouvoir être intéressé aux bénéfices en cas de revente.

L'ensemble de ces contraintes qui pèse sur le secteur audiovisuel français, tout particulièrement sur ses industriels historiques, pourtant acteurs pérennes et pivots de notre secteur, nous handicape et nous fait malheureusement prendre beaucoup de retard par rapport à nos concurrents européens qui ont choisi, quant à eux, des règlementations pragmatiques et qui ont fait confiance à leurs acteurs historiques pour développer l'offre. La levée de ces contraintes - essentiellement réglementaires - aurait pourtant un coût budgétaire nul.

M. Nonce Paolini. - La loi votée par le Parlement, en donnant mission au CSA de privilégier la diversité des opérateurs sur le marché et donc de donner priorité aux nouveaux entrants (parfois sans le moindre projet industriel) au détriment des industriels historiques, portait malheureusement en germe tout ce que vous dénoncez aujourd'hui. Et tant que cet article de loi ne sera pas modifié, la fragmentation du secteur se poursuivra alors qu'elle est économiquement absurde dans une industrie comme la nôtre.

S'agissant du rachat de TMC, je tiens à préciser qu'il ne s'agit en aucune manière d'un « trafic de fréquences » mais tout simplement d'un projet industriel de concentration porté par TF1 avec des partenaires historiques.

Comme Nicolas de Tavernost, je ne considère pas que nous bénéficiions de fréquences « gratuites ». Je rappelle que M. Bouygues a acquis TF1 en 1987 pour 1,5 milliard de francs et que notre groupe s'est acquitté depuis de 3,3 milliards d'euros de taxes et a dépensé 6 milliards d'euros au titre de la production d'oeuvres audiovisuelles.

M. Assouline a insisté sur la nécessaire diversité du secteur ; je considère que les acteurs historiques sont déjà représentatifs de cette diversité : il suffit pour s'en convaincre de considérer la diversité des lignes éditoriales de nos chaînes respectives.

La France fait malheureusement figure d'exception européenne : nous sommes le seul pays d'Europe dans lequel il n'ait pas été fait appel aux acteurs historiques pour développer l'offre. Depuis l'apparition de la TNT, on assiste en France à un appauvrissement général du secteur : le marché publicitaire français est ainsi passé de 3,7 milliards d'euros en 2007 à 3,2 milliards d'euros alors qu'en 2013 le marché britannique atteignait 3,7 milliards d'euros et le marché allemand 4 milliards d'euros. Nos concurrents allemands et britanniques sont en bien meilleure santé que nous et en capacité de réaliser d'importants investissements dans le digital et la création.

Dernier exemple de l'incohérence du système français : TF1 a intégralement financé les 100 épisodes de la série à succès Julie Lescaut, pour 171 millions d'euros. Or il y a deux mois notre groupe a dû racheter les droits au groupe Lagardère - qui n'est pas connu comme un petit groupe indépendant - pour pouvoir en poursuivre la diffusion sur nos chaînes secondaires, pour un montant de 13 millions d'euros...

Le système français souffre aujourd'hui d'une « exception industrielle » qui nous fragilise dans la concurrence internationale.

M. Bertrand Méheut. - En ce qui concerne la TNT et l'attribution des fréquences, il me semble que nous sommes victimes d'une illusion collective, selon laquelle la diversité découle d'un plus grand nombre d'acteurs présents sur le marché. Or la diversité provient de l'offre élargie et diversifiée proposée aux téléspectateurs - nous éditons ainsi plus de trente chaînes dans des thématiques différentes ; elle ne provient pas de l'attribution gratuite de fréquences à des nouveaux entrants - souvent déjà sortis du marché ou qui en sortiront bientôt. Compte tenu de l'état du secteur et des investissements nécessaires, cela me semble illusoire.

Pour ce qui est de la chaîne Numéro 23, il existe une responsabilité importante concernant l'attribution des fréquences selon un véritable projet industriel. Dans ce cas, la revente juste après le délai de deux ans et demi paraît avoir été prévue dès le départ, dès l'attribution. Comment justifier l'acquisition pour 90 millions d'euros d'un actif aujourd'hui sans valeur ? Ce nouvel acquéreur pense sans doute revendre cet actif à une étape ultérieure.

En ce qui concerne les événements sportifs diffusés sur France Télévisions, vous savez qu'un décret prévoit qu'une vingtaine d'événements majeurs soient accessibles directement sur les chaînes gratuites. À cet égard, le système fonctionne de manière satisfaisante ; lorsque nous sommes confrontés à cette situation, nous trouvons toujours un accord avec France Télévisions, voire avec TF1, pour que ces grands événements demeurent accessibles à l'ensemble de nos concitoyens.

Mme Corinne Bouchoux. - Lorsque l'on regarde l'évolution des durées d'écoute quotidiennes de la télévision par tranches d'âge ces dix dernières années, on observe une diminution sensible de l'ordre de quinze minutes par jour auprès des 4-14 ans et des 15-49 ans, qui seront vos auditeurs de demain et pour qui la télévision ne constitue plus la référence culturelle partagée. Comment envisagez-vous cette évolution d'ordre structurel ? Il apparaît que le modèle économique actuel entre dans une nouvelle époque. On le voit dans le cas de la publicité, alors qu'apparaissent de nouveaux outils qui permettent aux téléspectateurs de la contourner, rendant d'ici peu caducs les calculs qui fondent le financement de la télévision.

M. Alain Vasselle. - Vous avez fait état, monsieur Paolini, de votre préoccupation quant à l'absence de sortie du décret prévu par la loi de novembre 2013. Estimez-vous que cette loi et ce décret apporteraient une réponse, partielle ou totale, aux problèmes que vous avez évoqués devant nous ce matin ? Mon collègue David Assouline indiquait à l'instant que le retard dans la publication de ce décret est lié à sa rédaction en partenariat avec les acteurs du secteur. Dès lors, d'où provient ce retard ? Ce blocage provient-il de vous ou du pouvoir règlementaire ?

Deuxième question, vous nous avez répondu en ce qui concerne la gratuité des fréquences, en contrepartie de laquelle vous êtes astreints au versement de taxes pour un montant important - 10 % de votre chiffre d'affaires. Où se trouve donc le point d'équilibre, compte tenu des avantages comparatifs dont bénéficient les chaînes publiques ?

Enfin, j'ai assisté récemment à une réunion qui s'est tenue à l'Assemblée nationale et où les mêmes questions étaient posées, notamment concernant la séparation entre les activités de diffusion et de production. Beaucoup plaident pour un rapprochement de ces deux activités. Vous êtes également des producteurs, mais limités dans votre activité par un pourcentage : est-il le seul élément de blocage qui ne vous permet pas d'atteindre un équilibre financier et qui gêne votre diversification ?

M. Pierre Laurent. - Vous nous demandez en quelque sorte de protéger vos intérêts d'industriels, or nous sommes en droit de vous demander pourquoi, car en tant que législateurs nous défendons l'intérêt général. Nous sommes en droit d'interroger votre contribution au développement de l'offre, dans l'intérêt du public.

Vos propos sur les taxes sont discutables. Ainsi, la taxe qui finance le CNC permet une mutualisation des ressources au profit de la production cinématographique, ainsi que la défense de celle-ci. De la même manière, la taxe qui répartit une partie de vos recettes publicitaires en faveur de la presse écrite répond à un intérêt mutuel, les rédactions audiovisuelles travaillant de pair avec celles de la presse écrite, qui est une source d'information indispensable. Il ne suffit pas de parler de taxes, il nous faut déterminer si ces taxes sont utiles ou non à l'intérêt général.

Je relève également une contradiction dans vos propos : vous commencez par cibler le service public. Or, en vous écoutant, nous constatons que l'essentiel de la dégradation de la situation du secteur provient d'abord de la concurrence au sein du secteur privé, comme Netflix. Je rappelle que ce ne sont pas les acteurs du service public qui ont empêché LCI de devenir une chaîne d'accès gratuit. Il y a une concurrence féroce dans un secteur aux ressources limitées. N'avez-vous pas de propositions pour réguler ce secteur pour empêcher une concurrence qui, débridée, se révélerait destructrice ? Cela est valable au plan national comme au plan européen.

Je suis sensible à ce que vous dites quant à la production ; vous faites référence au rapport Plancade dont je partage l'analyse. Mais les remarques que vous faites s'appliquent également au service public. Les difficultés qu'il rencontre, notamment en termes de financement, se trouvaient d'ailleurs à l'origine des travaux du rapport Plancade. Je ne suis pas sûr que, dans la situation actuelle, le service public soit votre adversaire principal. Vous évoquiez la BBC (British Broadcasting Corporation), mais c'est ce modèle industriel qui a été détruit à la dissolution de la Société française de production (SFP).

Enfin, comme vous l'avez dit, le secteur audiovisuel est un secteur aux ressources limitées qui est confronté à un très grand besoin d'investissements. Répondra-t-on à ce besoin d'investissement uniquement par la régulation de la concurrence ? La mutualisation et la création de synergies entre les différents acteurs ne sont-elles pas nécessaires pour faire face à la concurrence étrangère, notamment des grands acteurs anglo-saxons qui sont très agressifs sur le marché national ? Face à Netflix, y aura-t-il une réponse individuelle de chaque opérateur ou une réponse plus coopérative ?

M. Nicolas de Tavernost. - Pour ce qui est du temps d'écoute, la télévision se porte très bien, bien qu'elle soit un média un peu plus âgé que les médias sociaux. Elle a tiré profit du digital pour être présente sur les différents terminaux disponibles avec une qualité d'écran très importante. Certes, elle doit faire face à de nouveaux concurrents, en particulier les réseaux sociaux auprès des jeunes. Mais c'est une raison de plus pour mettre l'accent sur la valeur. La télévision c'est le programme. Ce que nous contestons, c'est la dilution de l'effort sur beaucoup de supports de télévision, au détriment d'une certaine concentration de l'effort autour des acteurs que nous représentons parce que nous avons la capacité d'investir dans des programmes.

Pour s'en sortir, la télévision doit s'appuyer sur des ressources publicitaires. Pourquoi la télévision française n'arrive-t-elle pas, à l'heure actuelle, à augmenter ses ressources publicitaires, à l'inverse de nos voisins (Royaume-Uni, États-Unis, Allemagne, Espagne) chez lesquels la publicité à la télévision progresse fortement ? Parce que la valeur et donc le prix sont plus importants. Le prix baisse en France car tous les nouveaux acteurs de la télévision numérique terrestre (TNT) sont arrivés avec un excédent d'offre, d'où une diminution considérable des prix. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes opposés à la publicité sur le service public, puisque cette extension aurait pour effet de détruire la valeur unitaire de la publicité à un moment où, au contraire, il est nécessaire de renforcer son prix. Ce n'est pas par le volume de la publicité diffusée mais par son prix que nous parviendrons à augmenter nos ressources.

Je n'ai aucune inquiétude sur la valeur du média, comme le démontre la situation aux États-Unis. Si les jeunes ont une consommation plus éparpillée, le temps d'écoute se maintient, voire augmente dès lors que la population vieillit. La seule vraie difficulté, c'est la régulation de notre secteur en France qui n'est conforme à un objectif d'efficacité qu'il s'agisse de la qualité des contenus, qui exige une certaine concentration des moyens, ou du niveau des recettes, qui nécessite un prix suffisant. La France a les yeux plus gros que le ventre par rapport à son marché.

De nombreux événements sportifs sont exploités par France Télévisions avec beaucoup de succès et de compétence. Ce n'est pas vrai de dire qu'il n'y a plus d'événements sportifs diffusés sur France Télévisions : le Paris Saint-Germain y passe tous les quinze jours, ce sera de nouveau le cas très prochainement. Le service public est déjà performant en la matière et continuera de l'être dans le cadre du décret, mais nous considérons qu'il n'a pas l'obligation d'acheter au prix fort des programmes américains pour ensuite réclamer de la publicité pour les payer. Réclamer de la publicité sur le service public pour les seuls événements sportifs n'a pas de sens : il y a des recettes qui doivent être affectées, de notre point de vue, à des productions que le service privé avec ses propres moyens ferait moins bien ou ne ferait pas. Nous devons être complémentaires. Le service public n'est pas un ennemi.

Je ne me suis pas plaint des taxes, quoique si vous souhaitez les réduire, vous ne rencontrerez pas d'opposition de notre part... Est-ce que nous avons eu des fréquences gratuites ? Non, nous avons obtenu des fréquences avec des taxes en contrepartie. Je n'ai pas contesté la taxe alimentant le CNC, c'est le fonctionnement de ce dernier que je remets en cause pour une grande partie. Nous participons doublement au financement du cinéma, non seulement par le CNC, mais également à travers nos obligations d'investissement. Le service public est lui aussi soumis à des taxes pour financer le cinéma français.

M. Bertrand Méheut. - La contribution de notre secteur à la collectivité est absolument considérable. Le groupe Canal+ suscite 40 000 emplois en France. C'est tout un secteur d'activité dans la création mais aussi dans l'événement qui est soutenu par nos diverses activités. Si je ne considère que le cinéma : nous avons certes des obligations d'investissement très importantes, de l'ordre de 12,5 % du chiffre d'affaires de notre groupe (part sur laquelle s'applique 50 % de droits d'auteur et des taxes variées), qui permettent à une industrie du cinéma d'exister en France. 200 films sont produits par an en moyenne dans notre pays. Il nous faut, cependant, être vigilants sur les conditions d'exploitation des films que nous finançons pour qu'en contrepartie de nos efforts nous jouissions d'une certaine sérénité dans l'exploitation de ces oeuvres. Certains imaginent ouvrir des fenêtres d'exploitation à d'autres acteurs, ce qui n'est pas concevable. On ne peut pas à la fois consentir à un montant élevé et ne pas exploiter sereinement un droit chèrement acquis. L'industrie audiovisuelle contribue fortement à la collectivité, y compris au sport, entièrement soutenu par les droits audiovisuels, qui ne serait pas de la qualité que l'on connaît aujourd'hui en France si nous n'investissions pas dans ces droits.

Nous ne faisons pas de fixation contre le service public et son financement. Le niveau de collaboration est en général assez efficace. Nous, secteur privé, sommes déjà bien régulés : par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) pour les relations entre distributeurs télécom et éditeurs... Je suis convaincu que notre dispositif de régulation est déjà très important.

Netflix fonctionne sur une formule d'abonnement, à hauteur de moins de dix euros par mois avec un accès à un catalogue de films et de séries. Nous avons développé notre propre offre « Canal Play » qui rencontre un succès certain et bénéficie d'une position très solide en France. Ce qui nous manque sans doute est la capacité à répliquer ce que nous faisons en France sur une base plus internationale, ce qui fait aujourd'hui la force de Netflix qui investit dans des contenus exploités sur une base beaucoup plus large que les États-Unis. Il nous faut donc faciliter les développements de nos groupes qui seront les seuls à déployer des offres à l'international. C'est pourquoi il est nécessaire d'être compétitif, en matière de taxes comme par exemple la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), par rapport à ces acteurs mondiaux.

M. Nonce Paolini. - Je vous rappelle que nous payons une taxe pour financer France Télévisions. Il n'existe aucun autre pays au monde dans lequel des chaînes privées sont mises à contribution pour payer un concurrent. Pour TF1, ce sont tout de même entre sept et neuf millions d'euros selon les exercices, qui sont versés au service public, au titre de la taxe de 0,5 %.

Considérer aujourd'hui que la publication du décret sur les parts de coproduction, qui n'est pas encore intervenue en avril 2015, est normale me paraît lunaire. Le Parlement, et le Sénat en particulier, se sont prononcés très clairement sur des dispositions qui visaient à rendre des parts de coproduction aux diffuseurs, ayant bien compris l'enjeu industriel que cela représentait, et à revenir sur la proportion dépendance/indépendance qui est aujourd'hui inférieure à 25 % selon les cas de figure.

Dans le cadre de la concertation que vous évoquiez, le CSA a reçu les avis des uns et des autres et est revenu sur ces dispositions. Le décret, désormais devant le Conseil d'État, revient sur des mesures que vous-mêmes aviez votées, tout simplement parce que les producteurs se sont opposés aux décisions que vous aviez prises et qu'il n'y pas eu ni du CSA ni du ministère de volonté de s'opposer aux producteurs.

On règle d'autant moins la question que le service public pourrait être le principal bénéficiaire de ces dispositions que nous réclamons. Aujourd'hui, le service public vit essentiellement de la redevance et finance à hauteur de 400 millions d'euros une création indépendante, donc privée, alors même qu'il connaît des difficultés de financement et qu'il n'a aucun retour sur cette dépense. La BBC est un des plus gros producteurs européens et plus de 26 % de ses ressources proviennent du financement extérieur issu de ses développements. À titre d'exemple, TF1 exploite l'émission de divertissement Danse avec les stars, qui est à l'origine un programme de la BBC. Ce que nous disons tous les trois est donc bien partagé par le service public. Que le service public considère qu'il n'a pas à investir dans les sociétés de production, c'est un choix que je n'ai pas à commenter.

Le malentendu est bien connu : le rétablissement de l'équilibre entre les financiers que nous sommes et les producteurs qui apportent leur talent est indispensable tant pour les chaînes privées que pour le service public. Nous avons exactement les mêmes intérêts. Cela fait maintenant des décennies que la spoliation dure en ce qui concerne le service public et ses ressources et on laisse faire. Il ne s'agit pas d'appauvrir les producteurs, l'enjeu est de disposer d'un tissu de production talentueux et prolifique s'appuyant sur une assise financière bien plus solide.

M. Nonce Paolini. - S'il est vrai qu'ils regardent maintenant de plus en plus nos programmes sur leurs ordinateurs et leurs tablettes, il me semble exagéré d'affirmer que les jeunes sont maintenant détachés de la télévision. Notre télévision est faite pour les jeunes et nous tenons compte des règles, notamment en matière de publicité, spécialement édictées pour leur protection, ce qui n'est pas forcément le cas des autres médias.

Cela dit, il nous serait plus aisé de fidéliser le public jeune, si l'on nous donnait les moyens d'organiser notre industrie dans la lutte contre des concurrents qui, de façon quelque peu déloyale, s'appuient sur les bénéfices engrangés aux États-Unis pour attaquer le marché européen avec des offres déficitaires. Face à ce phénomène, les industriels franco-français se trouvent en position de faiblesse.

M. Nicolas de Tavernost. - Je trouve assez cocasse que l'étude d'impact produite par le CSA ait évoqué la nécessité de protéger la chaîne Numéro 23 pour justifier le refus de la gratuité à Paris Première, une chaîne reconnue de notre groupe qui avait déjà 28 années d'existence et une vraie identité.

M. Jean-Claude Frécon. - M. Méheut pourrait-il nous donner des précisions s'agissant des 40 000 emplois directs et indirects qu'il dit induits par l'activité de son groupe ? Par ailleurs, comme Mme Corinne Bouchoux, j'aimerais connaître vos réflexions sur les dispositifs techniques permettant de détecter et de neutraliser les spots publicitaires.

M. Jacques Grosperrin. - Je souhaiterais revenir sur la situation du groupe France Télévisions, dont je considère que sa mission de service public devrait lui permettre de ne pas être soumis à la concurrence.

Ne pensez-vous pas qu'une plus grande stabilité managériale pourrait bénéficier à la télévision publique et qu'une modification des règles de désignation du président de France Télévisions pourrait être un moyen de parvenir à cette stabilité ?

M. Michel Savin. - J'ai été assez frappé par la diminution du chiffre d'affaires du groupe TF1, ainsi que par la baisse du nombre d'abonnés du groupe Canal+ que vous avez évoquées. Ces phénomènes ont-ils un lien avec la concurrence accrue constatée dans la diffusion des grands événements sportifs ? Je déplore que la retransmission de ce type d'événements soit de plus en plus réservée aux abonnés de chaînes payantes alors que, par ailleurs, le prix des places vendues dans les stades ne cesse d'augmenter.

On ne peut que regretter les retards pris s'agissant de la réglementation de la diffusion et de la production. Nous attendons le décret car les partenaires concernés ne parviennent pas à s'accorder sur la proposition du CSA. Celui-ci devrait être interrogé quant à sa décision de revenir sur le choix initial du législateur qui semblait faire consensus.

M. Paolini pourrait-il nous donner des précisions sur l'envol des coûts de production du secteur public, alors que ceux de son groupe restent stables ?

M. Nonce Paolini. - Il s'agit en fait du coût du point d'audience qui revient à 72 millions d'euros à France Télévisions à comparer aux 33 millions que coûte chaque point au groupe TF1.

M. Bertrand Méheut. - Je répondrais à M. Frécon que notre groupe emploie directement 10 000 personnes en France, mais que par ailleurs nombre d'emplois indirects sont générés par le recours à des centre d'appels, par la fabrication, la maintenance et la logistique liées aux 6 millions de boitiers décodeurs que nous avons en circulation, ou encore les 130 films cofinancés par Canal+ sur les 200 films produits chaque année en France.

S'agissant du sport nous sommes actuellement en concurrence avec la chaîne beIN SPORTS, certes payante, mais qui a choisi d'être déficitaire pour pénétrer notre marché. Nous affrontons aussi la concurrence des fournisseurs d'accès Internet, et leurs offres dites Triple Play et, plus généralement, d'offres gratuites de plus en plus nombreuses.

Les droits de retransmission télévisée constituent pour les fédérations sportives et les ligues professionnelles un moyen d'offrir des spectacles de qualité au travers des événements qu'elles organisent. Les retransmissions régulières de type feuilleton tels que les rencontres de la ligue 1 de football ou du Top 14 de rugby sont, il est vrai, maintenant du ressort des chaînes, notamment payantes, du secteur privé. Cependant, la place du secteur public reste essentielle pour la retransmission de grands événements tels que les jeux olympiques.

M. Nicolas de Tavernost. - Je pourrais citer d'autres événements, comme le Tour de France, le Tournoi de Rolland Garros ou le Tournoi des six nations, qui montrent que le secteur public n'a pas réduit la place du sport sur ses antennes. Le financement public permet à France Télévisions de ne pas être déficitaire sur ces retransmissions, alors que les groupes M6 et TF1 perdent de l'argent.

S'agissant du management de France Télévisions, je ne souhaite pas m'immiscer dans des dossiers qui ne me regardent pas mais, ayant personnellement connu successivement huit présidents à la tête de ce groupe, je peux m'autoriser à avancer que sur la durée, nous bénéficions d'un certain avantage managérial dans la mesure où nos actionnaires nous font confiance sur le long terme.

M. Nonce Paolini. - Je pense qu'il faudrait éviter d'adresser au président de France Télévisions des injonctions paradoxales du type : « faite de l'audience avec la retransmission des Chorégies d'Orange ». Il faudrait lui accorder une confiance durable et aussi du temps car une période de cinq ans me paraît insuffisante pour parvenir à imposer le changement de modèle qui semble nécessaire.

Je voulais indiquer que le groupe France Télévisions se prive de ressources non négligeables en mettant à disposition sur Internet de nombreuses émissions visibles gratuitement en replay. J'ajoute que cette pratique nous met en difficulté à l'égard des fournisseurs d'accès, ceux-là même qui mettent tout en oeuvre pour s'affranchir de notre fiscalité et de nos règlementations, qui expriment quelques réticences à nous rémunérer.

Je voudrais, pour conclure, souhaiter bon courage au CSA dont les membres vont devoir choisir le prochain président de France Télévisions, selon une procédure qui nous laisse pantois.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous vous remercions pour ce temps d'échange. Notre commission restera très attentive aux équilibres de ce secteur, essentiel à la création et générateurs de croissance et d'emplois.

Nous sommes bien conscients que la réglementation doit évoluer et je vous remercie d'avoir évoqué le rapport fait par notre ancien collègue Jean-Pierre Plancade intitulé Production audiovisuelle : pour une politique industrielle au service de l'exception culturelle, au nom d'un groupe de travail de notre commission auquel un certain nombre d'entre nous ont participé, en particulier - outre moi-même - David Assouline, Marie-Annick Duchêne, Pierre Laurent et Claudine Lepage présents aujourd'hui.

Comme vous, je trouve très regrettable que le décret relatif à la production, attendu pour juin 2014 n'ait toujours pas été publié.

En l'absence de notre collègue Jean-Pierre Leleux, retenu à une réunion du Bureau du Sénat et que je vous prie de bien vouloir excuser, je crois pouvoir dire que nous sommes opposés au rétablissement de la publicité sur les antennes publiques après 20 heures. Une première raison est que le marché publicitaire est en phase de stagnation, une autre est que cela constitue un vrai point de différenciation entre le secteur public et le secteur privé.

Comme vous, nous avons été choqués par la rupture des engagements de la chaîne Numéro 23 et par la revente très lucrative d'une fréquence octroyée à titre gratuit. Les conditions d'attribution des fréquences devraient sans doute être modifiées, s'agissant notamment des modalités de revente. Les fréquences constituent une ressource précieuse à gérer avec beaucoup d'attention, en particulier dans un contexte budgétaire difficile. Je me suis entretenue récemment de ce dossier avec la ministre de la culture et de la communication, qui semble partager ce sentiment, et je pense que ces questions vont être abordées lors de l'examen du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, actuellement en cours au Sénat.

Refonte de la directive européenne sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information - Audition de MM. Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), et Olivier Brillanceau, directeur général de la Société des auteurs des arts visuels et de l'image fixe (SAIF)

La commission auditionne MM. Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), et Olivier Brillanceau, directeur général de la Société des auteurs des arts visuels et de l'image fixe (SAIF), dans la perspective de la refonte de la directive européenne sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous poursuivons aujourd'hui, avec MM. Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), et Olivier Brillanceau, directeur général de la Société des auteurs des arts visuels et de l'image fixe (SAIF), nos auditions relatives à la révision annoncée de la directive du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.

Nous avons déjà entendu plusieurs représentants de sociétés de perception et de distribution des droits, des experts, et j'ai reçu également, avec mes collègues qui avaient pu se libérer à cette occasion, Mme Julia Reda, députée européenne et auteure de propositions qui nous alarment dans le cadre du rapport qu'elle a établi au nom de la commission des affaires juridiques du Parlement européen. Notre société change vite et dans ce mouvement où tout s'accélère, il faut être de ceux qui proposent des solutions : c'est la raison de ces auditions que nous voulons approfondies, pour mettre toutes les chances du côté des solutions que nous aurons choisies.

M. Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). - Lors des précédentes auditions, je ne doute pas que vous ayez déjà mesuré le consensus créé contre les propositions de Mme Julia Reda, ainsi que la surprise de voir la seule députée pirate du Parlement européen se voir confier un travail sur le droit d'auteur ! La Commission Barroso s'était déjà distinguée en revenant sur l'engagement de ne pas inclure la culture dans les négociations sur le nouveau traité transatlantique, elle avait monnayé l'exception culturelle contre une ouverture des Américains sur un autre sujet ; et voici que la nouvelle Commission Juncker inscrit la réforme du droit d'auteur en deuxième priorité, devant l'harmonisation fiscale, comme si la question des droits d'auteur était aussi importante que l'emploi, par exemple.

En matière de droit d'auteur, du reste, la Commission européenne ne varie guère : en 1982-1983, lors de la directive « Télévision sans frontières », on nous présentait déjà le droit d'auteur comme un obstacle à la liberté de circulation et la Commission avait déjà voulu exproprier les auteurs de leurs droits. Jack Lang avait alors obtenu que les droits d'auteur soient traités séparément et l'on a assisté ensuite à un retournement, avec une directive « satellite et câble » qui a protégé les auteurs, interdisant explicitement l'expropriation des droits d'auteur et obligeant au passage les producteurs à la gestion collective de leurs droits.

Le système a bien fonctionné depuis, mais, tout comme il y a trente ans des fonctionnaires britanniques pressaient une réforme parce qu'ils trouvaient insupportable de ne pas pouvoir regarder à Bruxelles leur programme sur Channel 4, des commissaires d'États baltes trouvent aujourd'hui injustifiable de ne pas pouvoir suivre leur championnat de football et leurs épouses se plaignent d'être privées de leur série télévisée turque favorite - et c'est pour cela qu'on en arrive à dire que l'Europe entière a un problème... avec le droit d'auteur !

Que nous proposent ceux qui réclament une réforme, et avec eux Julia Reda ?

Ils nous proposent d'abord d'en finir avec la territorialisation du droit d'auteur et de considérer que l'Europe ne fait plus qu'un seul territoire, doté d'un titre européen de droit d'auteur. C'est très grave, parce que cela compromettrait frontalement le financement de notre cinéma, fondé sur la territorialité des droits, sur l'exclusivité de l'exploitation en salles pendant une certaine durée, ou encore sur les droits prioritaires des télévisions qui ont investi dans la production des films. C'est très grave également parce que cette obligation de vendre à l'échelle européenne privilégierait les entreprises qui disposent d'un réseau couvrant toute l'Europe, c'est-à-dire les grands groupes dominant la diffusion sur Internet... et qui sont tous américains ! Nous parviendrions ainsi à ce résultat ahurissant qu'au nom de l'Europe, de la création européenne, la Commission européenne ferait en fait la promotion de grands groupes américains...

Il faut voir qu'à Bruxelles, c'est tapis rouge pour ces grands groupes, pour leurs lobbyistes, ils ont davantage l'écoute du législateur européen que bien des entreprises européennes, que les auteurs européens eux-mêmes, alors qu'inversement, les Européens n'ont pas leurs entrées au Congrès américain quand il s'agit de voter la loi américaine... Qui plus est, la situation institutionnelle est complexe à Bruxelles, puisque la réforme du droit d'auteur est entre les mains de Günther Oettinger, commissaire à l'économie numérique, qui a su écouter les professionnels, mais que la réforme dépend aussi d'Andrus Ansip, commissaire au marché unique numérique, lequel tient des propos pour le moins surprenants. Je le cite : « Imaginez que je veuille acheter une cravate à Paris et qu'on me le refuse parce que je suis estonien : c'est la même chose pour les films que je ne peux pas voir dans un autre pays que le mien ! ». Non seulement les films sont mis au rang de cravate, mais il est faux de dire qu'on ne peut pas acheter sur Internet des films à la demande, ce qui ne se confond pas avec la question de la portabilité des abonnements : il y a un vrai sujet sur le « géoblocage », des solutions techniques existent, Canal+ avance par exemple que ses abonnements pourraient être « transportés » d'un pays à l'autre ; ces solutions règleraient peut-être les problèmes que disent rencontrer les fonctionnaires et commissaires en poste à Bruxelles - en tout cas, ces problèmes de commercialisation n'ont rien à voir avec le droit d'auteur.

Le droit d'auteur, faut-il le rappeler, est une conquête de la Révolution française, c'est un droit de l'homme attaché à la liberté de la création, n'en déplaise à certains groupes constitués qui ne s'intéressent qu'au consommateur, à sa liberté d'accéder à tout et gratuitement autant que possible.

Ce qui est regrettable, c'est qu'à chaque fois, avec l'Europe, nous soyons sur la défensive : l'Europe ne signifie jamais un élan pour la création, l'Europe ce n'est pas la possibilité d'investissements nouveaux qui seraient rendus possibles par un prélèvement sur les fournisseurs d'Internet ; non, c'est toujours moins pour les auteurs, moins pour la création, moins pour l'activité et je crois que cette réalité n'est pas pour rien dans les progrès du sentiment anti-européen.

Autre événement significatif : la seule représentante du parti pirate au Parlement européen se voit confier le rapport d'initiative sur le droit d'auteur. Et voici qu'il lui faut deux mois à peine pour évaluer l'ensemble des questions posées par la réforme de la directive de 2001 : c'est un record, nous avons là une personnalité hors du commun, chapeau ! Julia Reda dit s'être appuyée sur les travaux de la Commission européenne : drôle de conception de la séparation des pouvoirs, où le législatif, pour se faire une opinion, se contente du diagnostic établi par l'exécutif ...

Que nous propose encore Julia Reda, en plus du titre européen ? De rendre obligatoire les 21 exceptions prévues par la directive de 2001, de ne pas les rémunérer, d'harmoniser les critères de rémunération de la copie privée, et, encore, d'abaisser à 50 ans, contre 70 ans aujourd'hui, le délai avant que les oeuvres n'entrent dans le domaine public. C'est, à peu de chose près, le programme des grandes entreprises du net qui veulent éradiquer le droit d'auteur...

Ces propositions me paraissent le symptôme d'un mouvement de fond. Jack Lang avait voulu harmoniser les droits d'auteur « sur la base de l'auteur le plus favorisé », disait-il ; c'est l'inverse ici, nous assistons à une volonté de faire reculer le droit d'auteur, ce qu'un éminent professeur de droit a désigné comme « une entreprise de destruction de la propriété intellectuelle ».

Heureusement, les consciences s'éveillent, plus de cinq cents amendements ont été déposés sur le rapport Reda ; nous espérons que le texte en deviendra... un outil de promotion du droit d'auteur sur le continent européen : il faut retrouver le chemin de la raison, car nous sommes face à des positions tout à fait déraisonnables, qui vont contre l'intérêt des Européens.

Nous ne manquons pas de propositions pour améliorer la situation. Le problème principal, Fleur Pellerin l'a dit, c'est que le droit d'auteur n'est pas respecté en Europe, c'est qu'on assiste sans rien faire au vol, par les pirates, des auteurs et des investisseurs. Le problème, c'est ce que j'appelle la piraterie mafieuse, celle des sites qui gagnent de l'argent en utilisant des oeuvres sans les payer : l'Europe doit réagir vigoureusement contre ces pratiques !

Ensuite, comme le dit le professeur Pierre Sirinelli, il faut revoir les règles du e-commerce et de la responsabilité des hébergeurs : la directive en vigueur a établi l'irresponsabilité de l'hébergeur à une époque où l'hébergeur se contentait d'accueillir les pages personnelles des internautes ; aujourd'hui, les grands hébergeurs sont des diffuseurs de contenus, ils ont une activité tout à fait comparable à celle des chaînes de télévision, au point qu'ils en sont les concurrents : c'est bien pourquoi les mêmes règles doivent s'appliquer, parce que les chaînes de télévision, elles, paient des impôts et contribuent à financer la création.

Enfin, l'Europe pourrait soutenir le principe d'une rémunération des auteurs proportionnelle aux recettes d'exploitation, comme il est appliqué en France, en Italie, en Espagne, ou encore la gestion collective des droits d'auteur.

Même chose pour le financement de la création : l'Europe doit imposer l'égalité de traitement et faire cesser la concurrence déloyale des géants d'Internet, qui profitent des paradis que sont l'Irlande et même les Pays-Bas pour abriter leur chiffre d'affaires ; la France et l'Allemagne proposent une taxe sur la vidéo à la demande en prenant pour référence le pays de la consultation, nous verrons quel accueil la Commission européenne fait à cette proposition.

La culture n'est pas seulement synonyme d'emplois ; elle représente également des oeuvres, des territoires, des émotions. Elle ne doit pas être réduite aux questions de marché, au risque que les industries culturelles, devenues productrices de marchandises ordinaires, ne se voient appliquer, sans exception, le traité transatlantique ou les règles du marché unique européen. La culture constitue l'âme de l'Europe ; on ne peut laisser impunément la Commission européenne la brader !

M. Olivier Brillanceau, directeur général de la Société des auteurs des arts visuels et de l'image fixe. - La SAIF, créée en 1999, est la plus récente des sociétés d'auteurs. Elle rassemble 6 000 adhérents en France. Sa création répondait aux besoins de disposer, pour les artistes des arts visuels, d'une société d'auteurs qui leur soit propre et qui réponde au défi du numérique. De fait, les artistes des arts visuels (sculpteurs, photographes, designers, graphistes, etc.) étaient auparavant les parents pauvres de la gestion collective. Les deux tiers de nos adhérents sont photographes ; la majorité du tiers restant, illustrateurs de bandes dessinées et de livres jeunesse.

La récente étude d'E&Y sur le poids économique des industries culturelles montre que les arts visuels représentent le premier secteur d'activité culturelle en France, en emplois comme en chiffre d'affaires : 300 000 emplois en France pour 19 milliards d'euros de chiffre d'affaires, alors qu'on estime à 1,2 million le nombre de personnes travaillant dans ce secteur d'activité en Europe. Pourtant, les arts visuels demeurent moins bien connus que la musique ou le cinéma malgré l'attractivité de leurs métiers pour les jeunes et la qualité de leurs formations à l'instar de l'école des Gobelins. Il est vrai toutefois que les artistes des arts visuels bénéficient de faibles revenus tendant en outre à diminuer, comme l'indiquent les données issues des caisses de sécurité sociale de ces professionnels. La précarisation des rémunérations s'explique en partie par la multitude des diffusions des oeuvres (presse, livre, musées, cartes postales, publicité, vente, etc..) qui entraîne une fragmentation des revenus. Hormis la photographie de presse rémunérée forfaitairement, la rémunération des artistes des arts visuels dépend essentiellement de leur capacité de négociation contractuelle avec les diffuseurs, processus dans lequel l'artiste est rarement en position de force. Par ailleurs, le monde des arts plastiques et graphiques a été durement atteint par la révolution numérique, il n'est de voir le nombre de photos et de dessins à disposition de tous sur les sites Internet. Cet accès illimité aux oeuvres est désormais banalisé par les internautes : les moteurs de recherche d'images sont devenus le premier point d'accès aux oeuvres d'image fixe. Or, ces supports ne rémunèrent pas les créateurs, pas plus qu'ils ne financent la création. Quel avenir alors pour les artistes et pour ceux qui les produisent ? La captation de valeur par les opérateurs de l'Internet au détriment des créateurs représente la problématique majeure des droits d'auteur à l'ère numérique.

S'agissant du projet de révision de la directive de 2001, nous avons été plus que surpris que Mme Julia Reda, unique députée européenne membre du parti pirate, se voit confier un rapport d'initiative sur ce sujet. La méthode de travail fut également fort critiquable : les ayants droit n'ont été auditionnés qu'après la publication du projet de rapport et aucune étude d'impact sur le bilan de l'application de la directive n'a été réalisée. Compte tenu de cette entrée en matière, nous sommes particulièrement inquiets pour la suite de la procédure de révision. Mme Reda a, en réalité, envisagé son rapport sous le seul angle de l'antagonisme supposé entre créateurs et consommateurs. Or, s'agissant des arts visuels, il n'existe pas vraiment de liens entre artistes et consommateurs. Le débat essentiel sur la rémunération des créateurs n'a pas même été traité par Julia Reda. Pire, elle propose de généraliser les 21 exceptions au droit d'auteur prévues par la directive de 2001 sans qu'aucune compensation financière ne soit autorisée (point 21 de son rapport). Dès lors comment financer et renouveler la création ?

Deux exceptions concernent plus particulièrement les arts visuels. Concernant l'exception de panorama, je rappelle que la jurisprudence, désormais bien établie en France et en Europe, autorise l'utilisation d'images, à des fins non commerciales, d'oeuvres installées dans l'espace public. Le problème, n'est donc pas dans le fait de publier des images sur des blogs personnels, mais que l'exception de panorama est revendiquée pour une exploitation économique des oeuvres ? La généralisation d'une telle exception aura des conséquences certaines sur la rémunération des créateurs, certains tirent par exemple une partie de leurs revenus des cartes postales.

S'agissant ensuite de l'exception pédagogique, sachez que les manuels scolaires représentent un marché non négligeable pour les arts visuels, par exemple pour un photographe animalier dont les clichés sont utilisés dans les livres de science. Nous sommes tous favorables à donner la priorité à l'éducation et à l'accès des élèves aux contenus culturels mais il faut prévoir une compensation pour les créateurs, dont le montant serait fixé par une étude d'impact, sur le modèle de ce qui fut mis en place en 1995 pour compenser le manque à gagner que constitue l'usage de la photocopieuse. Maintenant que le numérique se substitue à la photocopie, il convient de prévoir un nouveau mode de compensation. Un droit d'auteur équilibré doit permettre l'accès aux oeuvres tout en assurant, via la gestion collective, une juste rémunération aux créateurs.

Il faut profiter du débat sur la révision de la directive de 2001 pour instaurer une obligation, pour les hébergeurs de contenus sur Internet, de participer au financement de la création en versant une contribution aux sociétés de gestion collective. Un tel système constituerait la contrepartie des bénéfices qu'ils tirent des dispositions favorables de la directive de 2000 sur le commerce électronique. La France, qui fut à l'initiative de nombreuses législations nationales et européennes favorables aux créateurs, doit se positionner à la tête de ce combat. Le mécanisme proposé par Philippe Marini dans sa proposition de loi instaurant la gestion collective des droits de reproduction et de représentation d'une oeuvre d'art graphique, plastique ou photographique par un service de moteur de recherche et de référencement serait un premier pas dans la bonne direction. Par ailleurs, tout doit être mis en oeuvre pour garantir le pluralisme de la création sur Internet en obligeant les moteurs de recherche à respecter leur obligation de neutralité.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La première bataille doit effectivement être menée en faveur d'une neutralité du Net garantie par les moteurs de recherche. Doit être banni de leurs pratiques tout favoritisme tendant, par le biais de leur algorithme, de renvoyer prioritairement à leurs services dédiés.

M. David Assouline. - La défense des droits d'auteur est un combat essentiellement européen, avec des progrès mais aussi des atavismes de la Commission européenne.

Madame la présidente, vous vous êtes entretenu avec Mme Reda dans votre bureau : comprend-elle qu'il faut évoluer ?

Vous êtes, monsieur Rogard, un combattant inlassable des droits d'auteur et, observateur lucide, vous comprenez dans quel monde ce combat doit être mené. Au début des années 2000, l'idée s'est répandue que le droit d'auteur « à la française » était caduc parce que le monde allait dans un autre sens et que le copyright était plus adapté aux nouvelles technologies et aux nouveaux usages. Vous continuez cependant à défendre le modèle français, celui où les auteurs s'en sortent quels que soient les usages et quelle que soit la commercialisation, celui où la rémunération des auteurs ne passe pas à la trappe. Pensez-vous, cependant, que nous allons gagner ce combat ? Est-on à hauteur de la révolution numérique et des rapports de force dans ce domaine ? J'aimerais entendre votre analyse des enjeux, celle d'un êtes un acteur engagé et lucide.

Sur la question des moteurs de recherche, il faut agir à l'échelle européenne ; certains de nos collègues veulent prendre des mesures dans le cadre de la loi Macron, je crois que l'échelle nationale n'est pas la plus pertinente pour réguler ce secteur.

Mme Reda a-t-elle des chances de gagner ? Un certain nombre d'États, comme l'Allemagne, semble-t-il, commencent prendre conscience des enjeux...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je partage un grand nombre de vos analyses. Peut-on gagner ce combat ? Je crois que nous devons faire valoir, très largement, que la création n'est pas un bien comme un autre, que l'Europe n'est pas une oeuvre de bienfaisance et que la culture ne doit pas être livrée aux marchands ! Nous devons dire aussi qu'une Europe qui se borne à libérer des espaces de conquête aux marchés, fait nécessairement des dégâts. Nous sommes là face à des enjeux de démocratie et de pouvoir, avec des intérêts financiers dont nous devons prendre la mesure et dire ce qu'ils sont.

Vos propositions me paraissent donc aller dans le bon sens. Et je me demande si nous ne devrions pas adopter une résolution, comme nous l'avons fait quand l'exception culturelle a été remise en cause : ce serait une façon de prendre position dans ce débat, collectivement.

Mme Corinne Bouchoux. - Faut-il que l'heure soit grave, pour que l'on fasse une présentation aussi caricaturale des positions de Julia Reda ? Je le dis sans intérêt partisan, n'étant pas membre du parti pirate, mais votre propos sur Julia Reda m'a choqué, monsieur Rogard : nous l'avons rencontrée, avec la présidente de notre commission, et je témoigne qu'elle était beaucoup moins caricaturale que vous dans son discours !

Contester, comme vous le faites, qu'on lui confie un rapport parce qu'elle est seule de son parti au Parlement européen, est-ce un argument recevable ? Cela revient à dire qu'un sénateur, par exemple, n'est pas légitime pour devenir rapporteur s'il est le seul représentant de son parti : chacun jugera... Quoiqu'il en soit, ce n'est pas la bonne façon de débattre et nous ne sommes guère habitués à de tels arguments, ici, au Sénat...

De même, quand vous feignez de croire que le problème serait celui de l'épouse d'un commissaire balte qui se plaindrait de ne pas pouvoir suivre sa série turque : je n'imagine pas autre chose que vous faites là de l'humour, car vous n'en manquez pas ; mais le sujet, parce qu'il est plus grave, ne peut s'en contenter, il s'agit quand même d'arbitrer entre le droit légitime des artistes de vivre de leur talent et l'accès du plus grand nombre à leurs oeuvres.

Vous avez utilisé d'emblée des arguments peu dignes de ce débat, ils gênent l'écoute que l'on peut avoir de vos propositions, en tout cas la mienne.

Pour en revenir au fond, je pense que l'on peut travailler à partir du rapport Reda qui, s'il inquiète les auteurs, a le mérite de poser des questions utiles en particulier sur les exceptions, par exemple l'exception éducative, dont nous avons débattu lors de la loi sur la refondation de l'école. Nous devons en débattre de façon sereine et paisible, plutôt que caricaturale.

Mme Maryvonne Blondin. - Le rapport Reda a reçu un accueil plutôt favorable en Europe mais pas en France et l'on peut s'interroger sur les raisons de l'opposition si forte qu'il provoque dans notre pays. Je m'inquiète pour ma part de la rémunération des droits d'auteur, où les pratiques varient d'un pays à l'autre : dans quel sens irait une harmonisation, telle que la propose Julia Reda ? Je déplore, ensuite, qu'elle ne vous ait pas reçus avant d'écrire son rapport : il est toujours important d'entendre les différents points de vue en présence.

Vous faites des propositions intéressantes, en particulier contre la piraterie mafieuse : l'Europe, effectivement, devrait prendre des initiatives. Que peut-on faire, de manière plus générale et comme vous l'a demandé David Assouline, pour parvenir à une situation plus équilibrée ?

Les exceptions de panorama et éducative, ensuite, sont des sujets très importants, parce qu'il en va de la diffusion des oeuvres d'art présentes dans l'espace public, de la diffusion de la culture en général dans le cadre éducatif, et finalement de l'accès des jeunes à la culture.

La culture n'est pas un marché, il faut la défendre, comme nous sommes parvenus à sauver l'exception culturelle. Je suis favorable à l'idée d'adopter une résolution.

M. Jacques Grosperrin. - Dans son rapport, le professeur Sirinelli s'est montré très réservé sur la refonte de la directive européenne sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information. Il souhaite voir consolider le droit d'auteur. Et, il ne faut pas limiter la protection d'oeuvres protégées. Les exceptions aux droits d'auteur ne doivent pas, non plus, être augmentées.

Mes deux questions portent sur ce rapport : partagez-vous le sentiment du professeur Sirinelli ? Quelles modifications apporter pour consolider le droit d'auteur ?

M. Pascal Rogard. - J'ai une grande capacité d'indignation quand je défends la création. Mme Reda est intelligente, subtile et maligne. Elle prétend, en même temps, mieux rémunérer les auteurs et multiplier les exceptions : il faudra qu'elle m'explique ! Le parti pirate ayant comme principal objectif d'affaiblir la propriété intellectuelle, pour un accès prétendument « libre » aux oeuvres par les consommateurs, je suis effectivement choqué que le seul représentant de ce parti se voit confier le rapport sur la réforme des droits d'auteur. Loin de moi de contester la légitimité du Parlement, je dis simplement que ce choix est inquiétant.

Peut-on l'emporter ? Quand je m'engage dans un combat, c'est pour le gagner. Nous avons reçu l'appui du Gouvernement, Fleur Pellerin a fait des déclarations explicites dans notre sens. La Commission européenne me paraît avoir compris que le sujet est complexe ; mais il existe des tensions entre les commissaires Oettinger et Ansip.

La création est une force de l'Europe, le droit d'auteur est un atout bien plus avantageux que le copyright, parce qu'il inclut un droit moral, le respect de l'oeuvre. Le droit d'auteur, je le répète, est une conquête de la Révolution française, c'est un droit de l'homme qui compte dans le socle européen, qui nous différencie des autres nations : plutôt que de le détruire, renforçons-le, en l'adaptant aux nouvelles technologies !

Je suis tout à fait favorable à la disponibilité et à la circulation des oeuvres, mais le numérique, qui devrait élargir et accélérer l'accès aux oeuvres, se traduit par toujours plus de piratage, contre les auteurs et la création elle-même.

Voyez le moteur de recherche recensant les oeuvres légales, que le CNC a élaboré à la demande du ministère de la culture et de la communication : sur 30 000 films référencés, le tiers seulement est disponible légalement, il faudrait commencer par rendre les oeuvres disponibles. L'éditeur de livres a l'obligation contractuelle d'exploiter l'oeuvre de manière permanente et suivie, il doit rendre l'oeuvre disponible ; pourquoi ne pas faire de même pour le cinéma et l'audiovisuel, en composant par exemple avec une période d'exclusivité ? C'est d'autant plus légitime que tous les films français, toutes les oeuvres audiovisuelles ont été produites avec la participation de fonds publics, via le CNC.

Internet n'est pas le diable, il constitue un formidable outil pour que les oeuvres soient accessibles au public, je n'emploie pas le terme de consommateur comme ils le font à Bruxelles... La question de la portabilité se posait déjà il y a trente ans, le problème est d'ordre commercial, on peut tout à fait le régler, pourquoi vouloir lui sacrifier un principe aussi fondamental que le droit de l'auteur à vivre de son oeuvre ?

La Commission européenne et Mme Reda défendent une philosophie de commerçants plutôt que les valeurs de l'homme, des créateurs, des auteurs. Que restera-t-il à la fin ? Ce sont les grandes oeuvres créées sur notre continent, par des auteurs européens, qui comptent pour l'Europe, pour son image, pour son épanouissement, bien davantage que l'intérêt de commerçants et d'entreprises extérieures ! Comprenez que je sois énervé, je réagis avec fougue parce qu'on s'attaque frontalement à la création : il est grand temps de réagir !

M. Olivier Brillanceau. - Je formulerai deux remarques. Tout d'abord sur les moteurs de recherche. Le problème de la position dominante du principal moteur de recherche, l'absence d'encadrement, le pouvoir de vie ou de mort des moteurs sur certaines activités, sur certaines oeuvres, les algorithmes qui décident... tout cela pose question. La SAIF et le CEPIC (Centre of the Picture Industry), organisme européen qui représente les agences photographiques, ont déposé un recours pour abus de position dominante auprès de la Commission européenne contre Google. La Commission a conclu hier à l'ouverture de griefs concernant Google et elle vient de l'accuser d'abus de position dominante.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La Commission a notifié ses griefs ce matin.

M. Olivier Brillanceau. - Google Images est devenue la première banque d'images du monde accessible à tous, gratuitement, fournissant et indexant toutes les images disponibles sur le web, ce qui a asséché le marché des agences photographiques et la rémunération des photographes. Nombre d'entre elles ont malheureusement disparu depuis une dizaine d'années. Les grandes agences, telles Gamma, Sipa et Sygma ne produisent plus et l'une d'entre elle a fermé récemment.

Sur la nécessité de passer par la loi européenne avant la loi française, évoquée par David Assouline, certes il y a un souci d'adaptation de la directive européenne. D'ores et déjà, sur la base du droit positif existant en France, il est possible d'assujettir les moteurs de recherche à une rémunération au titre des usages d'oeuvres qu'ils réalisent, que ce soit pour l'image ou la presse.

Les accords de l'Élysée, il y a trois ans, avaient prévu une solution transitoire qui n'est pas satisfaisante, qui ne rémunère pas les créateurs. On peut agir à droit constant sans attendre que la directive soit adoptée puis transposée dans le droit national.

Concernant l'exception éducative, je pense qu'il faut respecter le travail de Mme Reda, même si elle est issue d'un parti minoritaire au niveau européen. Elle a établi un rapport qu'on peut qualifier de « provocation » : 21 exceptions obligatoires sans rémunération. Cela permet d'ouvrir le débat.

L'exception éducative mentionnée par Mmes Bouchoux et Blondin ne doit pas empêcher la circulation, la reproduction, la communication au public par voie numérique des oeuvres pédagogiques pour les besoins de l'éducation nationale et des étudiants. Il faut s'inspirer de ce qui s'est fait dans le passé pour l'analogique ou la photocopie.

Les sociétés d'auteurs, la gestion collective permettent d'obtenir la capacité d'utiliser des oeuvres à des fins pédagogiques tout en s'assurant qu'une rémunération est versée aux ayants droit via des sociétés de gestion collective. Dans cette Haute Assemblée, le travail à mener consisterait en une d'étude d'impact du rapport Reda : quelles sont les activités des créateurs, les rémunérations qu'ils tirent de la diffusion de leurs oeuvres dans les ouvrages pédagogiques ? Cela doit être mis à plat et ne pas être fait sur une exception éducative large mais compensée, ce n'est pas satisfaisant ; il n'y a pas besoin de nouvelles exceptions. On peut trouver une solution acceptable dans les deux sens : l'accès aux oeuvres et la rémunération des auteurs.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je souhaitais apporter une réponse à M. Assouline qui vient de s'absenter et lui indiquer que la rédaction des conclusions de notre entretien avec Mme Reda est en cours et sera prochainement diffusée auprès des membres de la commission.

D'autres députés européens seront auditionnés pour compléter notre réflexion. Il est vrai que le parti pirate s'est attaché à travailler sur la mutation numérique. Il nous faut être présent sur ce sujet majeur. N'oublions pas que le rapport Reda est un rapport d'initiative ; cela nous laisse du temps pour réfléchir à notre mode d'action. J'ai dit à Mme Reda que l'objectif est de fluidifier, diversifier le marché unique numérique. Avant de s'attaquer à une éventuelle révision des droits d'auteur, il y a bien d'autres chantiers à mener : la neutralité des réseaux, leur sécurisation, le juste partage de la valeur ajoutée, militer pour une TVA unique... Je rappelle que dans un arrêt récent, la Cour de justice de l'Union européenne a refusé d'appliquer le taux réduit de TVA au livre numérique. Voilà autant de freins à lever.

Je suis d'accord avec vous, monsieur Rogard, la création c'est la valeur ajoutée de l'Europe, c'est notre force. Nous sommes bons dans la création des contenus, nous avons des créateurs, des entrepreneurs, des ingénieurs et nous sommes faibles sur les deux bouts de la chaîne : les hébergeurs, les fournisseurs d'application, les moteurs de recherche et les équipementiers. L'Union européenne a matière à réfléchir pour se doter d'une politique industrielle plus ambitieuse avec pour objectif la diversité culturelle.

C'est ce qui fonde mon amendement sur les moteurs de recherche dans la loi Macron : je pense qu'il faut mettre un coup d'arrêt aux pratiques anticoncurrentielles qui favorisent l'abus de position dominante. Le temps est venu d'agir, tant au niveau français qu'européen.

La réunion est levée à 12 h 35.

Situation de Radio France - Audition de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication

La réunion est ouverte à 17 h 20.

La commission auditionne Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, sur la situation de Radio France.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Soyez remerciée, madame la ministre, d'avoir répondu à notre invitation. Cette audition intervient à un moment-clé au vingt-huitième jour d'un conflit qui restera dans les mémoires comme l'un des plus longs du service public de la radio. Il semble que nous soyons sur le point de sortir de la crise : si des difficultés persistaient ce matin à France Info, les antennes de France Inter et de France Culture émettent à nouveau normalement. On ne comptait plus, à midi, que soixante-seize grévistes, soit 2,8 % du personnel... mais il suffit qu'ils se trouvent à des postes-clés pour que le média ne soit pas en état de fonctionner correctement.

Nous espérons votre éclairage sur les causes et les conséquences de ce conflit. Le rapport, sévère, de la Cour des comptes sur la gestion de Radio France avant 2014 laisse penser que la dégradation de la situation financière de la société est ancienne, tout comme les difficultés qu'elle rencontre dans le dialogue social. Quel est votre sentiment sur cette question, sur les problèmes structurels et les changements à opérer ?

Vous vous êtes engagée personnellement, en rencontrant les syndicats lundi soir afin de favoriser la sortie de la crise. Pouvez-vous nous préciser quel rôle a joué le Gouvernement par rapport à la direction de Radio France, au médiateur et aux syndicats ? Comment avez-vous accueilli les demandes de ces derniers, concernant notamment le plan de départs volontaires, l'avenir des deux orchestres et la syndication sur le réseau France Bleu ? Quelles avancées, ou quelles concessions, ont-elles été faites ? Comment s'assurer qu'elles n'obéreront pas l'avenir de Radio France, qui connaît actuellement une situation financière précaire ?

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. - Je me réjouis comme vous que les antennes aient retrouvé ce matin un fonctionnement quasi-normal. Radio France a manqué aux Français, qui reconnaissent et plébiscitent sa qualité et sa singularité. Quatre des cinq organisations syndicales qui appelaient à la grève ont levé leur préavis hier, sur la base du texte présenté par le médiateur et des explications que j'avais apportées lundi à l'intersyndicale. La CGT doit faire connaître sa position d'ici ce soir et a indiqué qu'elle souhaitait poursuivre le travail avec l'intersyndicale.

Ce conflit a révélé un malaise profond, justement souligné par le médiateur Dominique-Jean Chertier. Comme toute organisation, Radio France doit innover, se transformer et s'adapter aux nouvelles pratiques de ses auditeurs. Son plan stratégique, à cinq ou dix ans, doit être partagé avec l'ensemble des salariés. Il en va de notre vision du service public au XXIe siècle, dans un monde numérisé où les pratiques d'accès à l'information et à la culture ont radicalement changé. Un deuxième sujet a cristallisé les inquiétudes : la révélation d'une situation financière difficile, qui rend d'autant plus complexe la gestion du changement. Le dialogue et l'écoute n'ont sans doute pas été suffisants, de sorte que les salariés ont eu le sentiment que, en plus de leur demander un effort financier, on remettait en cause les valeurs du service public. Le recours à un audit externe pour la réforme des modes de production, dont la Cour des comptes a souligné la nécessité, a concentré les critiques. Il convenait donc de resituer les évolutions souhaitables dans un cadre stratégique stabilisé et de les présenter aux salariés par l'intermédiaire des institutions représentatives du personnel. Le chantier de rénovation, enfin, lourd, long et coûteux a pesé sur les conditions de travail des salariés, dont certains ont dû déménager plusieurs fois.

J'ai voulu, tout au long de ces trois semaines, rester dans mon rôle : il n'appartient pas à l'État actionnaire de s'immiscer dans la gestion quotidienne de l'entreprise, ni d'émettre des jugements sur sa présidence. J'ai d'abord souhaité donner à la direction les moyens de reprendre le dialogue social ; c'est pourquoi j'ai demandé au président Gallet de mettre sur la table son projet d'entreprise. Il me l'a présenté le 2 avril ; j'ai fait connaître le lendemain la position de l'État sur les pistes évoquées, en y ajoutant une ambition pour le service public, mais aussi l'exigence d'une réforme de l'entreprise dans le respect de sa trajectoire budgétaire. J'ai notamment intégré au débat la nécessité d'un chantier de modernisation sociale afin de se pencher sur l'organisation du travail. J'ai à nouveau pris mes responsabilités lorsque, après le dépôt de ce projet, le dialogue social s'est définitivement rompu et qu'une médiation est apparue indispensable. J'ai alors désigné Dominique-Jean Chertier, dont le grand professionnalisme est unanimement reconnu. Le texte issu de sa médiation a rendu possible des avancées notables de part et d'autre. J'ai expliqué lundi aux organisations syndicales qu'il constituait à mes yeux une bonne base de travail pour aborder la seconde étape : la négociation du contrat d'objectifs et de moyens (COM). J'ai rappelé la nécessité des réformes et levé certaines inquiétudes formulées par les salariés, en insistant sur l'importance du réseau local pour les missions de service public de l'entreprise : la syndication, c'est-à-dire la mutualisation de la production des programmes, n'est pas la règle de fonctionnement des antennes de France Bleu, elle doit faire l'objet d'une expérimentation préalable.

Cette méthode, fondée sur l'écoute, le dialogue et la volonté de restaurer la confiance indispensable aux réformes, a convaincu. La grande vertu de la médiation menée par Dominique-Jean Chertier a été de poser les bases du dialogue pour l'avenir : de nouveaux outils favoriseront une meilleure information des salariés sur la situation financière de l'entreprise, afin qu'ils soient à même d'appréhender le sens des réformes qui leur sont proposées.

Il importe désormais, en priorité, de rassembler les salariés de Radio France, qui doivent se tourner ensemble vers l'avenir : vers la discussion, tout d'abord, du COM pour la période 2015-2019. J'ai dit clairement aux syndicats, en accord avec le rapport de la Cour des comptes, que les réformes ne sauraient être différées. L'entreprise a besoin, pour respecter sa singularité et les valeurs du service public, de s'ajuster à son environnement. Nous ferons tout pour que les conditions dans lesquelles seront menées ces réformes permettent d'y associer correctement les salariés. Il s'agit de servir une ambition de service public, sur l'information, le décryptage, l'accès à la culture, une ambition de prescription culturelle, de mise en valeur des talents et de la création. Radio France doit également porter une ambition numérique : les pratiques changent, beaucoup de nos concitoyens accèdent désormais aux programmes par le biais de plates-formes numériques ou en mobilité. Le maintien de la qualité reste évidemment une priorité.

Ce projet doit à présent faire l'objet d'un diagnostic partagé avec les salariés dans le cadre d'un dialogue social rénové. Cette seconde phase de l'intervention du médiateur devra répondre aux inquiétudes apparues au cours de ce conflit, touchant notamment le redimensionnement des orchestres et le plan de départs volontaires. Je me suis portée garante de ce processus.

Radio France est un beau symbole du service public, qui offre à tous un accès à la culture, à la création, à la musique, à la connaissance, au décryptage de l'actualité. Elle aide chacun à mieux exercer ses missions de citoyen et à faire partie de la communauté nationale. Nous sommes fiers de cette réussite, validée récemment par les audiences qui montrent l'attachement des auditeurs à ses antennes. C'est pourquoi j'ai demandé au président de Radio France un vrai projet de service public. Elle doit rester un ensemble de radios audacieuses et non pasteurisées à coups de recettes de marketing. J'ai cependant dit clairement aux organisations syndicales que les réformes sont inéluctables : on ne peut pas toujours demander davantage aux Français ; il serait irresponsable de faire des promesses qui ne seraient pas finançables. Des économies durables s'imposent, sous peine de nous retrouver dans la même situation tous les quatre ou cinq ans.

Voilà beaucoup trop longtemps que l'État n'a pas assumé ses responsabilités vis-à-vis de Radio France. Ses réformes n'ont pas été conduites, ni même anticipées. Il est temps de porter une ambition réformatrice, qui conforte les missions de service public tout en restaurant durablement la situation financière. C'est cette sincérité-là que les salariés et les Français attendent. L'État accompagnera financièrement l'entreprise pour faire face aux dérives du coût du chantier de réhabilitation de la Maison de la Radio. J'ai demandé à l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic) d'étudier très rapidement les options possibles pour la finalisation de ce chantier, ainsi que leurs conséquences sociales et financières. Sur cette base, le COM précisera le montant de la dotation en capital liée au chantier que l'État actionnaire s'est engagé à verser.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel. - Si nous nous réjouissons tous de la reprise progressive des émissions, nous sentons bien que les plaies ne sont pas refermées et que les tensions restent vives. Ce conflit a mis au jour des problèmes qui devront être pris en compte pour que le développement de Radio France et sa pérennité soient assurés.

Quelle est, au terme de sa première phase, l'étendue de la mission du médiateur ? Sera-t-il associé à la définition de la stratégie ultérieure de l'entreprise ? Quel sera son rôle dans la négociation du COM ?

L'indépendance de Radio France, et de l'audiovisuel public en général, est un sujet récurrent et délicat. Vous vous êtes impliquée personnellement, au nom de l'État actionnaire, dans la résolution du conflit. Sommes-nous tous à l'aise face à la répartition tripartite des rôles entre l'entreprise, avec son indépendance, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui en est le garant, et l'actionnaire, légitimement fondé à intervenir ? L'indépendance de Radio France n'a pas atteint un degré satisfaisant. Faut-il voir dans votre intervention une évolution de la conception même de l'indépendance reconnue aux présidents des sociétés de l'audiovisuel public ?

Certains de nos interlocuteurs, auditionnés dans le cadre de la mission de contrôle du financement de l'audiovisuel public que je conduis conjointement avec André Gattolin au nom de la commission des finances, ont invoqué les institutions d'autres pays où l'indépendance financière de l'audiovisuel public est garantie par la Constitution et où l'actionnaire ne peut intervenir directement. Des réflexions plus poussées et plus sereines semblent nécessaires en France sur ce sujet.

Qu'en est-il des engagements financiers de l'État pour soutenir Radio France ? Le coût du chantier de rénovation de la Maison de la radio a quasiment doublé et le fonctionnement de l'entreprise doit être réformé. Quelle contribution envisagez-vous d'apporter, et sous quelle forme, afin de l'aider à passer ce cap ?

Mme Fleur Pellerin, ministre. - La mission du médiateur consiste en une aide méthodologique d'accompagnement du dialogue social, non en une intervention sur le fond. Il assistera l'entreprise jusqu'à la conclusion du COM, dans deux ou trois mois.

Nous avons, depuis 2012, engagé plusieurs réformes destinées à renforcer l'indépendance de l'audiovisuel public : la part de la ressource publique provenant de la redevance a été accrue, la dotation budgétaire réduite. Nous avons restitué au CSA le pouvoir de nommer les présidents. Je suis intervenue afin de renouer le dialogue social, non de m'immiscer dans la gestion de l'entreprise. J'étais dans mon rôle lorsque j'ai fait connaître les arbitrages de l'État actionnaire, contre l'augmentation, notamment, du volume de publicité, contraire à la singularité du service public. J'étais encore dans mon rôle lorsque je suis intervenue pour restaurer le dialogue social. Je conçois mes responsabilités comme celles de l'actionnaire qui assume des décisions structurantes pour l'entreprise, tout en garantissant les conditions de concertation indispensables à son évolution. L'intervention du médiateur a dénoué en trois jours une crise déjà longue. Si je ne l'ai pas nommé plus tôt, c'est qu'il nous fallait d'abord connaître le projet stratégique de la direction, qui n'a été présenté qu'au début d'avril ; il fallait ensuite que ce projet soit communiqué aux salariés. Ce n'est donc qu'après la réunion du comité central d'entreprise et la rupture du dialogue que j'ai décidé de nommer un médiateur.

Vous avez raison de distinguer la prise en charge des surcoûts du chantier et la réforme du fonctionnement de l'entreprise. Sur ce second point, nous avons été très clairs depuis 2012 : la dotation publique est stabilisée et le restera au cours des prochaines années. Afin d'éviter, en revanche, que les surcoûts du chantier ne pèsent sur le fonctionnement de l'entreprise, je me suis engagée à lui apporter une dotation en capital, dont le montant sera communiqué ultérieurement. La demande de la direction - une aide de 30 millions d'euros -- sera examinée au regard de l'évolution de la situation et des résultats de l'étude conduite par l'Oppic.

M. Pierre Laurent. - La longueur de la grève ne laisse pas de doute sur la profondeur du malaise dont souffre Radio France. La reprise progressive du travail ne signifie pas que nous soyons sortis de la crise. Ce sera l'enjeu de la négociation qui s'ouvre sur le COM. Nous verrons s'il conduit ou non à restaurer la confiance des personnels dans l'entreprise.

Si le mot de « réforme » est employé par tous comme une formule magique, la crise qui vient d'avoir lieu montre bien qu'il est compris de manières très diverses. De quoi parle-t-on au juste ? Beaucoup de salariés, en entendant ce mot, perçoivent désormais le risque d'une régression sociale. Il est donc indispensable d'entrer dans les détails : va-t-on obligatoirement vers le recul de la dotation publique ? Vers la réduction du personnel ? Cela n'a pas été dit clairement. Le compromis obtenu par le médiateur consiste surtout à rouvrir la discussion sur la plupart des dossiers. L'objectif de 380 suppressions d'emplois est-il maintenu ? Les salariés considèrent qu'il a été obtenu en divisant l'économie à réaliser par le coût moyen d'un emploi. Si ce n'est pas le cas, d'où vient ce chiffre ?

Pourquoi l'interrogation sur la dotation se limite-t-elle au problème du chantier ? En l'absence d'un COM clair et d'un plan stratégique finalisé, comment l'engagement de l'État peut-il être défini ?

Vous nous disiez que la syndication ne pouvait être la règle. C'est un point crucial, puisque le plan de Mathieu Gallet prévoyait de passer de 44 à 17 programmes. La vocation de proximité du réseau France Bleu s'en trouvait évidemment mise en cause. Ce projet est-il vraiment derrière nous ?

Nous avons été contraints de remettre les auditions de l'intersyndicale et de Mathieu Gallet, prévus pour hier. Il serait bon qu'elles aient lieu sans attendre la fin des discussions sur le COM. Notre commission devrait être saisie au début du processus, peut-être aussi vers son aboutissement, de manière à être pleinement informée de ce qui s'engage.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous auditionnerons, comme prévu, l'intersyndicale et M. Gallet, sans doute après la suspension des travaux en séance plénière.

M. Alain Vasselle. - Pourquoi le Gouvernement a-t-il tant attendu pour réagir ? Pourquoi a-t-il fallu aussi longtemps au président de Radio France pour mettre les syndicats autour de la table et discuter du projet d'entreprise ? Quel est le bilan financier de cette crise ? Comment le trou sera-t-il comblé ?

M. David Assouline. - Il est regrettable que ces auditions viennent aussi tard : nous aurions pu intervenir utilement dans le débat public, qui avait besoin de paroles apaisantes et de la compréhension de la représentation parlementaire. Cette crise a été la concrétisation des débats que nous avons eus sur le rôle des uns et des autres vis-à-vis de l'audiovisuel public et sur son indépendance. La condition minimale de cette indépendance était pour moi que les nominations n'émanent plus de l'exécutif. Ce point acquis, reste la vieille habitude sémantique qui continue à parler de « tutelle ». Une entreprise n'est pas indépendante si elle sous tutelle, un enfant le comprendrait. Vous avez eu raison, madame la ministre, d'insister pour que l'État examine au moins une feuille de route en amont du processus de nomination par le CSA du président des sociétés nationales de programmes de l'audiovisuel public. Cela n'a pas eu lieu pour l'actuel président de Radio France. Appartient-il au CSA de définir la mission du service public ? Le flou ainsi engendré fait que nous ne savons plus qui est responsable de quoi, ni qui doit réagir à la crise.

S'il était prudent, d'un point de vue politique, que l'État n'intervienne pas trop tôt dans un conflit touchant une entreprise indépendante, nous n'avions jamais connu de mutation technologique aussi radicale que la révolution numérique des dernières années. D'où le malaise profond que connaissent certaines professions : alors qu'il fallait sur chaque plateau deux techniciens pour réparer très vite la bobine lors d'un direct, un seul suffit désormais. Comment leur reconversion sera-t-elle accompagnée ? Au-delà des revendications immédiates, cette grève a révélé une inquiétude profonde et diffuse dans beaucoup d'autres domaines de l'économie. Il faudra en tirer les leçons pour l'évolution de France Télévisions, et en finir avec la notion équivoque de tutelle, qui met l'État en première ligne dans des conflits qui doivent se régler par le dialogue social entre un patron et les syndicats de son entreprise.

Ma question sera plus concrète, et fera écho à celle de Pierre Laurent : a-t-on défini les bornes du travail de médiation en cours ? Comment la représentation parlementaire peut-elle être davantage impliquée dans l'observation de ce mouvement ? Pour avoir fait partie du conseil d'administration de Radio France, je savais qu'un malaise grandissait, particulièrement chez les personnels techniques.

Mme Françoise Laborde. - Combien de temps le médiateur restera-t-il ? La crise a été trop longue pour qu'il soit déjà temps qu'il se retire. Comment les objectifs à définir pour la période 2015-2019 seront-ils conciliés avec la stabilisation de la dotation ? Quelle a été la position des intermittents employés par Radio France face à la grève ? Retrouveront-ils leurs places ? L'audit des modes de fonctionnement semble avoir concentré les critiques parce qu'il a été conduit par un organisme extérieur, mais n'est-ce pas la seule manière de faire procéder à un audit ?

M. Philippe Bonnecarrère. - Merci, madame la ministre, de vous être prononcée en faveur de l'adaptation et du changement. Nos difficultés actuelles ne viennent-elles pas de ce que nous n'avons pas suffisamment assimilé l'idée que le service public doit trouver son équilibre économique et dégager la marge nécessaire à ses investissements ? La situation à France Télévisions n'est pas moins délicate qu'à Radio France ; quant à l'Agence France-Presse (AFP), nous vous avons signalé qu'elle connaissait une trajectoire financière très tendue. Que doit-être un service public en 2015, avec les contraintes économiques qui pèsent désormais sur lui ?

Qu'est-ce au juste que la reconfiguration d'un orchestre national ? Certains orchestres de province sont devenus excellents, celui de Paris a une réputation hors du commun, et celui d'Île-de-France a fait beaucoup de progrès. La saison parisienne est tout à fait exceptionnelle, nombre de phalanges étrangères s'y produisent pour le bonheur des mélomanes. S'il ne s'agit pas d'obliger l'orchestre philarmonique de Radio France ou l'orchestre national de France à jouer spécifiquement le Requiem de Berlioz ou la huitième symphonie de Mahler, qui requièrent des effectifs considérables, en quoi la reconfiguration d'un orchestre symphonique peut-elle bien consister ? Quels objectifs seront-ils donnés sur ce point au président de Radio France ?

Mme Fleur Pellerin, ministre. - S'il est vrai que le mot de réforme ne veut parfois plus rien dire, et qu'il peut même inquiéter, mon intention était, en y appelant, d'ouvrir un chantier de modernisation sociale. Radio France est le produit d'une longue histoire de stratification de statuts et de métiers, qui font sa richesse, et qui doivent désormais être considérés dans leur ensemble, avec une attention particulière à la précarité, qui s'y est beaucoup développée. Un véritable diagnostic de la situation sociale de l'entreprise s'impose afin de pouvoir remettre à plat l'ensemble des métiers et l'organisation du travail. Ces questions se sont sédimentées au cours du temps, sans être jamais traitées dans un but de justice sociale. Or les entreprises publiques doivent être exemplaires en la matière. Une réflexion est également possible sur le plafonnement de certains hauts salaires.

L'autre chantier prioritaire est la réforme du dialogue social et de la méthode au sein de l'entreprise. Dans la plupart des entreprises cotées, les salariés sont régulièrement informés de l'état des comptes et du bilan. Une information tout aussi transparente s'impose lorsqu'il s'agit de l'argent des Français. Ce n'est pas galvauder le mot de réforme que d'affirmer que ce préalable indispensable exige la création de certains outils.

Un plan de départs n'est jamais une fin en soi. J'ai demandé au président de Radio France de me présenter une stratégie d'ensemble, dans laquelle toutes les voies de réforme et d'économie soient examinées, parce que l'emploi ne doit pas constituer la seule variable d'ajustement. L'organisation du travail, la précarité, la modération salariale doivent être traitées dans le cadre d'un règlement d'ensemble de l'équation financière de l'entreprise.

Le médiateur devra accompagner l'entreprise dans un diagnostic partagé, dans la discussion d'un plan de réforme et dans ses conséquences sociales. Si, à terme, un plan de départs apparaît nécessaire, il devra reposer sur le volontariat et être discuté avec les instances représentatives du personnel. Toutes les mesures devront être prises pour accompagner les salariés.

Lorsqu'il s'agit de ressources publiques, le cadre budgétaire doit être défini en amont. C'est pourquoi un COM doit être un document stratégique définissant non seulement des ambitions, mais aussi un cadre financier. Il est irresponsable de s'engager sur des promesses qui ne pourront être tenues.

Nous sommes tous très attachés au réseau local dans les missions de service public de l'entreprise. Les programmes locaux sont les éléments fondamentaux des radios de proximité, tandis que la syndication n'est pas un principe d'action. Le médiateur préconise que toute opération nouvelle de syndication ne soit appliquée qu'après expérimentation et évaluation complète et partagée des résultats avec les personnels concernés. La syndication relève des décisions à prendre par la direction de l'entreprise.

Si Mathieu Gallet a attendu, après m'avoir remis son projet, pour convoquer le comité central d'entreprise, c'était pour respecter les délais légaux de convocation. Il vous répondra de manière plus précise sur ce point, ainsi que sur le coût net de la grève, qui se monte à 1,5 million d'euros par semaine environ.

Je m'accorde entièrement avec M. Assouline sur la nécessité préalable du cadrage stratégique : l'État doit dire clairement, avant toute nomination, ce qu'il attend de l'audiovisuel public. Radio France réunit des compétences exceptionnelles - je pense notamment à ses preneurs de son, largement reconnus à l'étranger. Le nouvel auditorium offrira de nouvelles possibilités pour valoriser ces savoir-faire, ainsi que la qualité de nos orchestres. D'autres compétences, comme l'enregistrement de fictions, sont très particulières à l'audiovisuel public.

J'ai demandé au médiateur d'accompagner l'entreprise jusqu'à la signature du COM, soit encore deux ou trois mois. Ce contrat devra fixer une trajectoire financière réaliste, afin de donner à l'entreprise une visibilité dans la durée. Si les salariés ont été quelque peu heurtés de ne pas avoir été suffisamment associés à l'audit, une méthodologie renouvelée leur permettra de partager son diagnostic.

Si je suis sensible, en tant que magistrat de la Cour des comptes, au souci de la bonne gestion des deniers publics, je ne souhaite pas parler de rentabilité ou de marge à propos du service public, dont les missions sont spécifiques et servent l'intérêt général. Une politique musicale ambitieuse réalise des objectifs d'éducation artistique et culturelle. La maîtrise de Radio France a fait un travail extraordinaire à Bondy, en zone d'éducation prioritaire : des enfants, accompagnés depuis le primaire, forment une chorale d'un niveau époustouflant, capable d'appréhender le répertoire contemporain. Une telle mission ne s'appréhende pas en termes de coûts.

D'autres radios publiques européennes, comme la BBC, ont consenti des efforts conséquents en matière d'effectifs de leurs orchestres, tout en respectant, bien sûr, leurs couleurs et leurs répertoires propres. Il nous incombe de mener une réflexion analogue au sujet des deux orchestres de Radio France, dont les répertoires sont assez proches. Parce que je crois à la nécessité d'une véritable politique musicale, j'ai écarté les projets de fusion ou de transfert dénués de sens.

Mme Maryvonne Blondin. - Les contrats à durée déterminée, très nombreux dans l'audiovisuel public, appellent notre vigilance ; le COM devra assurer leur devenir. Si la syndication soulève beaucoup d'interrogations dans les stations locales de France Bleu, elle fonctionne parfois très bien : c'est le cas, dans la grande région qui va de la Rochelle à la Bretagne, de la couverture des événements maritimes, ou de festivals comme celui des Vieilles Charrues. La difficulté est évidemment de trouver le bon créneau horaire - sans doute au début de l'après-midi...

Restaurer la confiance passera probablement par un plafonnement des hauts salaires, ainsi que de l'âge du capitaine : le taux d'encadrement de certaines radios est préoccupant. Il revient fort cher, et nuit à la progression de personnels plus jeunes, rompus au numérique.

M. Christian Manable. - Compte tenu des évolutions technologiques, il devient chaque année plus archaïque de n'assujettir à la contribution à l'audiovisuel public que les seuls postes de télévision. Ne serait-il pas temps d'élargir son assiette aux terminaux connectés ?

M. François Commeinhes. - La situation de Radio France a contraint son président à courir un 110 mètres haies avec des chaussures de ski. Comment pourra-t-il continuer à exercer ses fonctions avec un COM imposé par un médiateur qui va certainement clarifier les orientations de l'entreprise qu'il préside, mais sans lui accorder beaucoup de moyens ?

Mme Dominique Gillot. - Les révélations sur les dérives financières du chantier de rénovation de la Maison de la radio ont accru les angoisses des salariés.

Dans un quotidien, Jean-Paul Cluzel rappelle qu'il avait engagé un plan pluriannuel jusqu'en 2015 : qu'est-il advenu ?

M. Jean-Louis Carrère. - Merci, madame la ministre, pour vos explications. Qui va décider que ce président, qui vient de subir une telle grève, peut rester en place ? Quel est le rôle du CSA ? Existe-t-il un rattrapage ?

Mme Fleur Pellerin, ministre. - Madame Blondin, je souhaite que le COM aborde la question de la précarité. Il faut faire le point pour proposer des évolutions dans le sens de la justice sociale.

La syndication fonctionne bien ? Ce sera intéressant d'en discuter avec l'intersyndicale et la présidence de Radio France.

Monsieur Manable, la réforme de la contribution à l'audiovisuel public a été évoquée par le Président de la République devant le CSA à l'automne dernier. De moins en moins de Français accèdent à la télévision par un téléviseur : il faut réfléchir à la modernisation de son assiette. Le Parlement sera associé à cette réflexion.

Monsieur Commeinhes, le médiateur n'a pas imposé le COM ; il a travaillé sur la méthode et favorisé le dialogue : lorsqu'on ne partage pas le diagnostic, on ne partage pas les solutions. Il faut d'abord définir une méthode pour travailler ensemble.

Le coût du chantier, madame Gillot, a certainement fait craindre aux salariés de devenir la variable d'ajustement ou les victimes collatérales du dérapage financier. La dotation en capital est un moyen de l'empêcher.

Le plan Cluzel ? J'ai lu l'article auquel vous avez fait allusion ; je ne veux pas faire le procès du passé, mais certains des chantiers à venir auraient pu être engagés plus tôt...

Monsieur Carrère, le CSA est aujourd'hui une autorité indépendante qui nomme et révoque les responsables de l'audiovisuel public ; je vois mal en quoi pourrait consister un rattrapage.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci de cette présentation très complète de la situation de Radio France. Une dépêche de l'AFP nous apprend à l'instant que la grève sera levée jeudi à 13 heures.

La réunion est levée à 18 h 45.