Mardi 13 octobre 2015

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

Mesures des émissions des véhicules à moteur diesel - Table ronde

La réunion est ouverte à 16 h 05.

M. Hervé Maurey, président. - En janvier dernier, la table ronde sur les émissions des moteurs diesels organisée à l'initiative de Louis Nègre, rapporteur de la loi de transition énergétique et président du groupe de travail Mobilités et transports de la commission, nous avait fortement incités à poursuivre nos travaux. L'affaire Volkswagen n'a fait que renforcer cette préoccupation.

Les moteurs diesel émettent en particulier des NOx (oxydes d'azote) - objet de la fraude de Volkswagen - et des particules fines et doivent respecter des plafonds d'émissions fixés par l'Union européenne, les normes Euro, actuellement Euro 6. Nous souhaiterions faire le point sur la manière dont ces normes sont fixées et contrôlées. Nous avons donc invité Mme Joanna Szychowska, chef d'unité à la Direction générale Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME de la Commission européenne, M. Laurent Benoît, président-directeur général de l'Union technique de l'automobile, du motocycle et du cycle (Utac Ceram), accompagné de Mme Béatrice Lopez de Rodas, M. François Cuenot, représentant de la Fédération européenne pour le transport et l'environnement, et M. Bertrand-Olivier Ducreux, de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Nous avions bien entendu invité PSA, Renault, Volkswagen et le Comité des constructeurs français d'automobiles ; aucun n'a souhaité venir. Je leur ai personnellement fait valoir au téléphone que la politique de la chaise vide n'était pas la meilleure, en vain.

M. Louis Nègre. - Je regrette moi aussi cette absence des constructeurs, qui interpelle : ce n'est pas la meilleure façon de défendre leur position dans une situation catastrophique. En janvier dernier, ils étaient venus et avaient pu exposer leur point de vue dans une discussion élargie... Cette première table ronde avait fait apparaitre une suspicion sur la fiabilité des mesures d'émissions des véhicules diesel, ce qui nous avait poussés à préconiser la création d'un comité d'experts indépendants pour les superviser. Ce travail a continué avec la commission d'enquête sénatoriale sur le coût de la pollution de l'air, et dans le cadre du groupe de travail Mobilités et transports avec des auditions d'experts tels que MM. Cuenot et Ducreux ou des représentants d'IFP Énergies nouvelles.

Le scandale Volkswagen a confirmé ce constat et conduit Mme Ségolène Royal à suivre notre recommandation en créant une commission indépendante sur les émissions, à laquelle j'ai été invité à participer ; elle se contentera de tester une centaine de véhicules pris au hasard et n'abordera pas la question majeure des tests d'homologation et de leur décalage avec la conduite en conditions normales.

Comment sont fixées les normes d'émission ? Leur durcissement n'a-t-il pas conduit les constructeurs à tout mettre en oeuvre pour les contourner, frauduleusement ou non ? Qu'est-il prévu pour remédier à l'écart entre test en laboratoire et en conditions normales ? Pourquoi la Commission européenne a-t-elle tant tardé à apporter une solution ? J'ai cru comprendre que des alertes vous étaient parvenues d'autres pays sur des possibilités de fraude ; auriez-vous des précisions à ce propos ?

Mme Joanna Szychowska, chef d'unité à la Direction générale Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME de la Commission européenne. - Je vous remercie de votre invitation ; c'est un honneur pour moi d'être parmi vous et de vous présenter l'état des travaux de la Commission et les mesures qu'elle a prises depuis l'affaire Volkswagen. La législation sur les émissions de NOx par les véhicules diesel existe depuis longtemps. Depuis le 1er septembre dernier, la norme Euro 6 s'applique : les véhicules nouvellement enregistrés ne doivent pas émettre plus de 80 milligrammes par kilomètre, ce qui était prévu depuis 2007. Où est le problème si la législation est claire ? Il tient à la manière dont les voitures sont testées et à la différence entre les résultats des tests en laboratoire et la conduite réelle. Nous sommes conscients de ce problème depuis 2011, grâce aux travaux du Centre commun de recherche, et la Commission a immédiatement établi un groupe de travail pour entamer la réflexion sur le cadre législatif adéquat. Elle a ensuite décidé d'adopter un paquet législatif en quatre parties, dit RDE (Real Driving Emissions). En mai, les États membres ont voté le premier paquet : à partir de 2016, les émissions seront mesurées avec un système embarqué, le PEMS (Portable Emissions Measurement System). Le deuxième paquet, en cours d'élaboration, porte sur les délais et niveaux intermédiaires auxquels les constructeurs devront se conformer avant d'atteindre progressivement 80 milligrammes par kilomètre. Nous en sommes au stade de la comitologie, puis la réglementation sera soumise au Parlement pour être votée, nous l'espérons, fin octobre. Les troisième et quatrième paquets porteront sur les particules et sur la conformité en service. Cela devrait permettre de diminuer, voire de supprimer les différences constatées aujourd'hui entre tests et conduite normale.

Sur l'homologation, nous avons entamé une réflexion il y a trois ans et sommes prêts à proposer un dispositif, mais avons interrompu nos travaux au vu de l'affaire Volkswagen pour en tirer toutes les conséquences. L'homologation décentralisée, confiée à chaque État membre, incite les constructeurs à rechercher le système le plus souple ou le moins cher : c'est le Type approval shopping. Nous voudrions nous assurer que les services techniques chargés de l'homologation sont suffisamment bien équipés et performants. La mise en oeuvre est entre les mains des États membres. Nous réfléchissons à la possibilité de donner un certain pouvoir à la Commission pour procéder à des vérifications.

Que fait la Commission face à l'affaire Volkswagen ? Si elle n'a pas de pouvoir d'enquête, elle ne reste pas pour autant inactive : elle a d'ores et déjà proposé aux États membres de mettre en place une plateforme de partage d'informations - les discussions ont commencé il y a une semaine. Certains États membres testeront les voitures en circulation, d'autres s'appuieront sur le résultat des tests allemands. Nous voudrions que le contrôle se fasse de la même façon partout ; avec les États membres et le Centre commun de recherche, nous proposerons donc une méthode commune.

M. Louis Nègre. - La Commission savait depuis 2011, dites-vous. Pourquoi a-t-elle tant tardé ? Quels blocages sont à l'oeuvre ?

Mme Joanna Szychowska. - Elle n'a pas tardé, au contraire. Elle a pris connaissance des doutes en 2011 et immédiatement mis en place un groupe de travail. Les méthodes permettant de tester les véhicules en conditions réelles n'existaient pas ; il fallait commencer par les élaborer - ce sera les PEMS. Il fallait un cadre juridique ; nous avons commencé à l'élaborer en 2013 et adopté le premier paquet en 2014 ; le deuxième le sera dans les prochaines semaines Nous parlons de deux choses différentes : d'une part, le fait que les normes d'émissions soient dépassées, de l'autre, l'utilisation de defeat devices, ce qu'a fait Volkswagen.

Mme Évelyne Didier. - C'est-à-dire de la fraude.

Mme Joanna Szychowska. - Nous n'avons jamais eu connaissance d'une quelconque trace de fraude chez aucun constructeur. Nous avons simplement dit qu'il n'était pas exclu que le décalage entre les tests et la réalité soient dus à un defeat device, technique interdite par le droit européen depuis 2007. Mais le contrôle du respect de la législation incombe aux États membres. Ne mélangeons pas deux problèmes différents.

M. Louis Nègre. - Aucun lanceur d'alerte ne vous a indiqué qu'un tel différentiel posait problème ?

Mme Joanna Szychowska. - C'est pourquoi nous avons lancé la législation RDE. Le décalage dû à la différence de méthode de test n'est pas comparable avec celui provoqué par l'utilisation d'un defeat device.

M. Laurent Benoît, président-directeur général de l'Union technique de l'automobile, du motocycle et du cycle (Utac Ceram). - Plus précisément, le nouveau cycle de conduite parcourra bien plus de points sur lesquels les clients passent quotidiennement que l'ancien. Dès lors que le cycle correspondra à un parcours client, le décalage sera bien moindre qu'avec le cycle actuel, qui ne touchait qu'une partie des zones de fonctionnement du moteur.

M. Louis Nègre. - Le grand public sait désormais qu'il y a un décalage entre le test sur banc à rouleaux et la réalité. Pouvez-nous nous en dire plus sur les modalités pratiques des tests, et ce qui est appelé à changer ?

Mme Béatrice Lopez de Rodas, directrice marque à l'Utac Ceram. - Le test en laboratoire est un test de référence, réalisé dans des conditions normalisées de température et d'hygrométrie. Le véhicule est essayé sur route pour mesurer sa résistance à l'avancement, qui est reproduite sur un banc à rouleaux, de même que sa masse. Un guide de conduite suit le cycle New European Driving Cycle (NEDC), qui permet de mesurer les émissions de CO2, de NOx, etc.

M. Louis Nègre. - Pourriez-vous nous donner quelques précisions sur ce cycle ?

Mme Béatrice Lopez de Rodas. - Des flexibilités légales existent, comme une tolérance concernant la température, entre 20 et 30 degrés, le passage de vitesses, ou la charge de la batterie.

M. Louis Nègre. - Voilà du concret !

Mme Béatrice Lopez de Rodas. - Nous travaillons depuis quatre ans sur un nouveau cycle et sur de nouvelles procédures pour minimiser les écarts, les Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures (WLTP), qui devraient être adoptées d'ici 2017.

M. Louis Nègre. - Quelles seront les modifications ?

Mme Béatrice Lopez de Rodas. - La température devra être de 23 degrés, et un essai complémentaire à 14 degrés - la température moyenne en Europe - sera pris comme référence pour les émissions. Un logiciel calculera les changements de vitesse pour être au plus près de la réalité. Tous les paramètres ont été passés au crible et améliorés.

M. Louis Nègre. - Les prochains tests seront donc plus réalistes ?

Mme Béatrice Lopez de Rodas. - Oui, on sera plus proche de la réalité.

M. Louis Nègre. - Quand seront-ils mis en service ?

Mme Béatrice Lopez de Rodas. - Nous devrions boucler l'exercice en janvier 2016 dans le cadre du forum mondial de Genève, pour une adoption courant 2016 et une application en 2017, en même temps que le RDE.

M. Bertrand-Olivier Ducreux, de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). - La comparaison entre deux graphiques représentant le rapport entre la puissance du véhicule et la vitesse d'avancement pour les deux cycles, NEDC et WLTP, montre que les accélérations sont identiques entre elles dans le cycle actuel, alors que la couverture du champ de fonctionnement moteur par les points de fonctionnement prévus sera plus exhaustive dans le cycle futur. Aujourd'hui, c'est comme si nous tentions d'empêcher que la fumée sorte d'une casserole avec un couvercle trop petit ; demain, nous utiliserons un tamis plus fin, qui couvrira toute la surface. Avec le RDE, il n'y aura plus de cycle prédéfini ; aujourd'hui, la pratique équivaut à donner à un étudiant le sujet quinze jours avant l'examen. Cela explique que bien des intervenants aient confiance dans les progrès que représenteront le WLTP et le RDE.

M. Louis Nègre. - Que se passera-t-il après un an ou deux ? Comment être sûr qu'il n'y aura pas encore une différence considérable entre l'homologation et la réalité d'un véhicule ayant 20 000 kilomètres au compteur ?

M. Bertrand-Olivier Ducreux. - Depuis la norme Euro 4, la réglementation européenne, comme la réglementation américaine, comprend une exigence de durabilité du système de dépollution, qui doit être démontrée sur 160 000 kilomètres. Les mesures sont faites à neuf ; la réglementation prévoit bien des contrôles de conformité en usage, mais de manière non contraignante.

M. Louis Nègre. - Comme Saint Thomas, je ne crois que ce que l'on constate en conditions réelles d'utilisation. L'arsenal législatif existe mais jusqu'à ce jour, si je comprends bien, personne n'est allé vérifier sur le terrain la conformité des émissions avec la législation ?

Mme Béatrice Lopez de Rodas. - Nous pratiquons des essais d'endurance pour mesurer la durabilité des dispositifs de post-traitement. Nous multiplions nos mesures à l'échappement par des facteurs de durabilité qui tiennent compte de la dégradation du post-traitement. Le contrôle en service consiste à vérifier au cours de la vie du véhicule qu'il respecte les obligations en fait d'émissions ; ce contrôle est fait par chaque pays de l'Union. Il sera renforcé dans le cadre du RDE - c'est le quatrième paquet dont parlait Mme Szychowska - grâce au PEMS.

M. Louis Nègre. - Dans un futur proche ?

Mme Joanna Szychowska. - Oui et non. Les règles existent ; la question qui se pose, c'est leur application par les systèmes d'homologation des États membres.

M. Louis Nègre. - Ces contrôles sont-ils faits, notamment en France ?

Mme Béatrice Lopez de Rodas. - En France, oui. C'est l'Utac, service technique désigné par les autorités françaises pour les essais d'homologation, qui le fait, entre 15 000 et 100 000 kilomètres.

M. Louis Nègre. - Constatez-vous des dérives importantes ?

Mme Béatrice Lopez de Rodas. - Nous constatons des dérives dans la limite autorisée par la réglementation, mais pas d'écarts comme ceux dont nous parlons aujourd'hui.

M. Louis Nègre. - Quels sont les tests effectués aux États-Unis ? Évolueront-ils ? Se rapprocheront-ils des nôtres ?

Mme Joanna Szychowska. - Bonne nouvelle pour l'Europe, nous serons les premiers à faire des tests dans des conditions réelles, et non en laboratoire comme aux États-Unis.

M. Bertrand-Olivier Ducreux. - Aux États-Unis, la norme d'émission réglementaire est - essence et diesel confondus - de 70 milligrammes au mile, soit 45 milligrammes au kilomètre. La norme Euro 6 est de 80 milligrammes au kilomètre, et la norme Euro 5 - à laquelle étaient soumis les véhicules Volkswagen concernés - est de 180 milligrammes au kilomètre. Il est possible que nous n'observions pas de divergences aussi marquées qu'aux États-Unis, car le seuil réglementaire n'est pas le même.

La durabilité demandée est de 160 000 kilomètres en Europe contre 120 000 à 150 000 miles aux États-Unis. Volkswagen a avoué avoir utilisé un defeat device explicitement interdit par la réglementation américaine, mais les écarts entre seuils d'homologation et usage réel n'ont pas besoin de fraude pour être très importants.

M. Louis Nègre. - Cela confirme ce que le grand public découvre aujourd'hui.

M. Bertrand-Olivier Ducreux. - Les premières normes Euro sont apparues à une époque où les systèmes d'alimentation des moteurs étaient simplistes, avec un carburateur et une pompe d'injection mécanique, et où contraindre une toute petite partie du domaine de fonctionnement suffisait pour en contraindre l'ensemble. Le constructeur avait très peu de marge de manoeuvre. Avec les systèmes d'injection électronique - à partir de 1993 pour l'essence et de 2000 pour tous les moteurs diesel - le constructeur a une grande latitude pour fixer pour chaque point de fonctionnement du moteur, presque indépendamment des points voisins, le compromis des prestations qu'il doit respecter entre le bruit, la consommation, l'émission de polluants, l'agrément de conduite, etc. Le principe de la norme était pertinent à l'époque, mais il est pertinent aujourd'hui de s'adapter à l'évolution technologique.

La sévérisation des différentes normes, portant uniquement sur les facteurs d'émission limite, n'a pas apporté l'amélioration de la qualité de l'air espérée, au contraire. Il faut donc désormais privilégier la caractérisation des émissions du véhicule : changer la procédure et les méthodes de mesure. C'est ainsi que nous rendrons homogène le dispositif d'homologation par rapport à la situation réelle.

Observons maintenant un graphique mesurant le décalage entre mesure d'homologation et mesure en conditions réelles des émissions de NOx et de CO2 pour une quinzaine de véhicules...

M. Laurent Benoît. - C'est à partir de ce graphique que l'Environmental Protection Agency (EPA) américaine a lancé ses investigations. L'un des véhicules présentant les pires émissions est la Volkswagen Jetta.

M. Bertrand-Olivier Ducreux. - La quasi-totalité des véhicules présentent un décalage entre test et usage réel, mais dans des proportions qui vont d'un ratio de deux à un ratio de vingt. Un seul respecte le facteur d'émission réglementaire. Cela ne dépend pas du système de dépollution : deux véhicules qui utilisent la technologie SCR (selective catalytic reduction) présentent des résultats très différents. Cela dépend de la philosophie, de l'éthique de calibration.

Il est difficile de définir l'usage réel d'un véhicule. Sur un site Internet qui commence à être réputé et où chacun peut mettre en ligne ses consommations de carburant, un même modèle, homologué à 5,5 litres et utilisé par 54 personnes différentes, a une consommation moyenne de 6,13 litres, minimale de 4,5 litres et maximale de 8,5 litres. La même hétérogénéité se constate pour un même conducteur à bord d'un même véhicule : sa consommation varie de 5 litre à plus de 7 selon les situations. Cela explique les difficultés à admettre le degré de représentativité du RDE. Chaque État membre ayant son propre service technique d'homologation, l'application plus ou moins stricte du RDE donnera des divergences importantes.

L'Ademe considère que les solutions technologiques déployées ont le potentiel pour remplir leur mission correctement et conformément à l'esprit de la réglementation - certains se contentent aujourd'hui de la lettre. Nous avons confiance dans le WLTP et le RDE pour avoir un effet sur la qualité de l'air. Il est néanmoins fondamental de garder une neutralité technologique. Le moteur diesel garde un avantage intrinsèque sur l'essence en termes de rendement énergétique favorable à la consommation ; la focalisation sur le diesel fait oublier que les émissions d'un moteur essence sont les mêmes que celles d'un moteur diesel : NOx, CO, HC, particules, autant sinon plus que sur un moteur diesel équipé d'un filtre à particules, et avec des effets sanitaires potentiellement pires. D'où l'importance de la neutralité technologique en matière de réglementation.

M. Louis Nègre. - On entend en effet crier haro sur le diesel. Avant Euro 6, il polluait considérablement, soit. Mais lui préférer par dogmatisme l'essence, qui, nous venons de l'entendre, polluerait davantage, c'est problématique.

Mme Évelyne Didier. - Nous sommes les représentants de la population française, pas des techniciens. Cela fait un moment que j'ai décroché. Je serais bien incapable d'expliquer ce que j'ai entendu, et je ne pense pas être la seule dans la salle. Je n'ai pas d'a priori contre votre conclusion qui renvoie dos à dos essence et diesel, mais je n'ai pas compris comment vous y arrivez ; je ne pourrai donc pas la relayer. Vous faites un usage surprenant du mot « philosophie ». Je sollicite donc des explications compréhensibles. Je ne comprends pas ce que représentent les taches vertes de votre graphique. Il ne faut certes pas attribuer tous les mérites à l'essence... Mais cela n'a jamais été le propos de ceux qui critiquent le diesel ou réclament plus de réglementation. Je dois être convaincue par des arguments compréhensibles par tous - c'est cela, la démocratie.

M. Hervé Maurey, président. - Nous allons entendre M. Cuenot avant de revenir sur les points qui méritent des éclaircissements.

M. François Cuenot, Fédération européenne pour le transport et l'environnement. - Un mot sur les réponses différentes apportées par les États-Unis et l'Union européenne. Le constat, c'est la différence entre tests de laboratoire et conduite réelle. Qu'a fait l'Union européenne ? En 2011, elle avait été informée de cet écart par les services techniques de la Commission. En 2014, le rapport du Conseil international des transports propres (ICCT, International Council on Clean Transportation) a informé l'EPA. L'Europe a alors mis en place un groupe de travail et entrepris d'élaborer une législation supplémentaire. Cette réflexion, initiée en 2011, devrait bientôt aboutir, et les États membres se prononcer sur un deuxième paquet d'ici quelques semaines. Les États-Unis n'ont été informés qu'en 2014. Le pouvoir législatif a investigué, comme il en a le pouvoir, demandé des explications à Volkswagen et abouti, en un an, à la découverte d'un defeat device. Il y a donc deux systèmes très différents avec une répartition des pouvoirs également très différente.

En Europe, plusieurs problèmes d'homologation restent à résoudre : celui du test, qui est en train d'être réglé par le WLTP et le RDE ; celui du véhicule testé lors de l'homologation, golden car avec alternateur débranché, batterie chargée au maximum, pneus surgonflés qui a peu de choses à voir avec le véhicule de série ; celui de la conformity of production et du in service conformity ; enfin, celui de l'organisme de contrôle. Le cas Volkswagen a révélé de grosses lacunes : nous avons 28 États-membres avec autant voire plus d'autorités homologatrices en concurrence entre elles : le constructeur peut aller chez le voisin s'il est mécontent du résultat. Ainsi, au Royaume-Uni, la VCA (Vehicle Certification Agency) - l'équivalent de l'Utac ...

Mme Béatrice Lopez de Rodas. - Pas exactement, la VCA est une autorité publique, à la différence de l'Utac. L'équivalent de la VCA serait le Centre national de réception des véhicules (CNRV), une autorité dépendant de la direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie.

M. François Cuenot. - L'Utac est considérée comme une autorité d'homologation au même titre que la VCA par les services de la Commission européenne. La VCA est agréée par le Royaume-Uni pour délivrer des certificats d'homologation avant la mise sur le marché. La part de son chiffre d'affaires provenant des constructeurs automobiles a augmenté pour passer de 50 % en 2005 à 70 % en 2015, ce qui représente 80 millions de livres sterling sur dix ans. Il y a un biais économique entre les constructeurs et les autorités d'homologation. Il est important que le Type Approval Framework revu par la Commission réduise voire supprime ce lien. Nous proposons qu'une autorité supranationale européenne supervise le travail des instances nationales d'homologation. En l'absence de base de données centralisée, la Commission ignore quels sont les véhicules homologués. Ce système malsain doit être remis à plat. L'Utac n'est sans doute pas le plus mauvais élève, mais les disparités sont fortes entre les instances nationales. Acceptons d'abandonner un peu de souveraineté et prenons exemple sur le système américain, qui a mieux fonctionné. Voyez les problèmes d'homologations qui ont été rendus publics : Kia et Hyundai sur la consommation de carburants, Volkswagen... Quand l'Allemagne a homologué un véhicule Mercedes avec un liquide réfrigérant non réglementaire, la France l'a fait savoir à la Commission, qui l'a signifié à l'Allemagne - mais l'agrément n'a pas été retiré et le véhicule continue à circuler dans toute l'Europe !

M. Louis Nègre. - Cela montre bien les failles européennes. Je m'inquiète d'entendre que des véhicules de série seraient préparés pour l'homologation... La Commission, l'Utac le savent-ils ? Il faudrait plus d'Europe : on ne peut rester avec 28 autorités d'homologation toutes différentes. Quelle est la part du financement de l'Utac par les constructeurs automobiles ?

M. Laurent Benoit. - Nous ne sommes pas financés par les constructeurs. L'homologation représente 10 % de notre chiffre d'affaires - et non pas 50 % comme pour d'autres structures. Nous avons de nombreux métiers. L'homologation est un processus clair et transparent. Nous sommes un service technique contrôlé très précisément pour garantir des résultats clairs, nets et indiscutables. Sur 8 600 homologations réalisées depuis la mise en oeuvre de la réglementation européenne, il n'y a jamais eu aucune contestation. L'Utac est reconnu au niveau européen comme l'un des services techniques les plus sévères.

M. François Cuenot. - Il existe donc des différences !

Mme Joanna Szychowska. - Les législations et systèmes européens et américains sont différents. L'EPA n'a pas trouvé seule le problème Volkswagen : l'ICCT l'a informée en 2014, alors que les voitures truquées étaient depuis longtemps sur le marché ; c'est alors qu'elle a réagi. Nous avons commencé nos travaux dès le problème identifié. On ne peut dire que le système européen est moins efficace que le système américain, même s'il existe des marges de progrès.

Mme Nelly Tocqueville. - J'avoue que je suis troublée. J'ai participé à la commission d'enquête sur le coût de la pollution de l'air. Lors de l'audition des représentants des constructeurs, certains d'entre nous avaient émis des doutes sur la fiabilité des tests, dont les conditions divergeaient fortement de l'usage réel. On nous a répondu que les tests étaient fiables. Nous étions prêts à y croire, maintenant c'est plus difficile...

Je pense au grand public : lorsque j'achète une voiture, je comprends ce qu'est la consommation aux cent kilomètres, mais au-delà je ne suis pas sûre de trouver un garagiste qui sache m'expliquer ce que vous venez d'exposer ! Le consommateur achète une voiture et respire l'air pollué, il est victime à ces deux titres. En plus, lorsqu'il achète un diesel, il est soupçonné d'être un pollueur ! Qu'acheter ? Une voiture électrique ? Nous avons besoin d'explications compréhensibles et sérieuses.

Il est urgent de mettre ce sujet sur la table pour plus d'harmonisation européenne. Le système américain est-il plus fiable ? Les 8 600 homologations de l'Utac n'ont jamais fait l'objet de la moindre contestation, dites-vous. Je veux bien croire ce qu'on me dit, mais comment ne pas penser que plus tard, un coin du voile sera levé ? Je suis très troublée, en dépit de tout mon intérêt, par ces auditions. J'en sortirai encore plus inquiète.

M. Rémy Pointereau. - Je regrette l'absence des représentants des constructeurs automobiles car l'affaire Volkswagen est dans tous les esprits. Vous avez parlé technique, j'aurais voulu évoquer les préjudices subis par les constructeurs français spoliés. Les consommateurs, qui se sont fiés aux résultats donnés par la presse spécialisée, ont été floués, d'autant que certains achètent leur voiture en fonction des rejets de dioxyde de carbone au kilomètre. À l'échelle internationale, l'amende de Volkswagen devrait atteindre 18 milliards de dollars. Quelle part reviendra aux constructeurs européens ? Bosch était le concepteur de l'appareil. Qui était au courant, depuis combien de temps ? Les autres constructeurs étaient-ils au courant ?

Lors de la table ronde organisée en janvier 2015, tout le monde criait haro sur le diesel. Aujourd'hui, l'Ademe nous déclare que le moteur diesel garderait des « avantages intrinsèques » sur le moteur essence, émetteur de particules, et prône la neutralité technologique. J'aimerais en savoir plus, il faudrait remettre un peu d'ordre.

M. Hervé Maurey, président. - La table ronde du 14 janvier nous avait appris que les nouveaux moteurs diesel de norme Euro 6 ne polluent pas plus que les moteurs essence. Louis Nègre a donc procédé à des auditions dans le cadre du groupe de travail Mobilités afin d'obtenir plus d'informations.

La présente table ronde vise à faire la lumière sur ce qui s'est passé aux États-Unis. Cela pourrait-il se passer en France et en Europe ? Comment faire pour que cela ne se reproduise pas ? La solution passe-t-elle par une autorité de contrôle indépendante ?

Mme Nicole Bonnefoy. - Qui finance et met au point les méthodes de mesure des émissions, NEDC et WLTP ? Les constructeurs ? Des laboratoires indépendants ?

Mme Chantal Jouanno. - Nous sommes face à un problème de confiance, accentué par l'absence des constructeurs. Comment vérifier l'indépendance des instances d'homologation et de contrôle ? Les constructeurs financent-ils en partie l'Utac ou d'autres organismes d'homologation à l'échelle européenne ? Le débat est le même que pour l'homologation des dispositifs médicaux ! Les nouvelles normes sont censées résoudre la question de la pollution aux NOx et aux particules - mais les constructeurs sont-ils capables de respecter ces normes ? Si c'est techniquement ou économiquement impossible, cela nous renvoie à nos propres responsabilités. Le législateur n'est pas là pour dire quelle est la meilleure technologie, comme le rappelait le rapport de Louis Nègre sur les véhicules propres.

M. Hervé Maurey, président. - Nous avons veillé, dans la loi de transition énergétique, à ne pas réduire le véhicule « propre » au seul véhicule électrique.

M. Louis Nègre. - Quelle que soit la technologie employée, le résultat doit être conforme aux aspirations de santé publique. L'émission de gaz polluants est un problème environnemental majeur, l'OMS l'a rappelé.

M. Hervé Maurey, président. - D'où la nécessité d'une autorité de contrôle indépendante.

M. Pierre Médevielle. - Le petit véhicule diesel est très important pour les industriels français - pensons à Renault ou à PSA, qui a beaucoup investi sur l'hybride. Aujourd'hui, on sait mesurer les émissions en conditions normales de circulation même si certains ont la semelle plus lourde que d'autres, on peut faire une moyenne. C'est affaire de volonté. Les tests en laboratoire ne disent pas grand-chose, rien ne vaut les conditions réelles, et chacun sait calculer ce que consomme son véhicule. Les tests de durabilité, pour positifs qu'ils soient, sont-ils réalisés dans des configurations réelles ? Les taxis ou les véhicules sanitaires légers (VSL) roulent jusqu'à 400 000 kilomètres !

M. Jean-François Mayet. - J'apprends que les organismes chargés d'établir les normes ou de contrôler les résultats travaillent dans l'approximation depuis plusieurs années, et on nous dit qu'il faut quelques mois pour réaliser des essais concrets dignes de confiance. Il y a aura bientôt un système portable de contrôle dans chaque véhicule - on pourrait même imaginer que les résultats s'affichent au tableau de bord ! Je suis un défenseur du diesel, on le sait. Merci de rappeler que l'essence émet autant de particules ou de gaz nocifs que le diesel ! C'est un grand pas. J'attends des réponses.

M. Laurent Benoit. - L'Utac ne reçoit aucun financement des constructeurs. Nous nous finançons par les travaux et les services que nous vendons : essais de durabilité, essais sur route, essais pré-réglementaires, etc.

M. Hervé Maurey, président. - Qui sont vos clients ?

M. Laurent Benoit. - Les constructeurs, les équipementiers, les carrossiers, tous ceux qui sont sur la route. Mais il n'y a pas de financement direct des constructeurs.

Le nouveau cycle et le RDE nous permettront d'être conformes à ce que les conducteurs font tous les jours. C'est très positif, même si cela n'a pas été facile à mettre au point. La technologie sera disponible vers 2017. Nous entrons dans un monde neutre technologiquement, avec des réglementations de plus en plus strictes. Euro 6 correspond à des seuils très bas par rapport aux premières normes. Demain, les niveaux seront établis en conditions réelles et non en laboratoire. Les constructeurs pourront-ils assumer ? Tout résidera dans le coefficient admis entre le cycle sur le banc et les conditions réelles. Rassurez-vous, la réglementation a déjà progressé et cela améliore la qualité de l'air.

M. François Cuenot. - Je mettrai un bémol aux affirmations de l'Ademe sur les avantages intrinsèques du diesel. En termes de coût, les moteurs diesel ne sont pas en compétition avec les moteurs essence standard mais avec les moteurs hybrides essence, qui ont des performances en laboratoire bien meilleures sur les émissions de dioxyde de carbone. Toyota offre un même modèle en version diesel Euro 6 et en version hybride essence : la différence de coût sur cinq marchés européens est inférieure à 500 euros. Avec les nouvelles normes et la plus grande efficacité des filtres, le coût des véhicules diesel va augmenter, quand celui des véhicules hybride essence diminuera.

M. Bertrand-Olivier Ducreux. - Je nuance ce bémol. L'Ademe considère que les technologies peuvent avoir des avantages et des inconvénients complémentaires. Le coût d'achat d'une Toyota hybride n'est pas représentatif des hybrides essence disponibles sur le marché. Au niveau énergétique, l'hybride n'est pas pertinent pour un usage grand routier, contrairement au diesel. Pour être optimal sur les impacts environnementaux, il faut se poser la question des usages. L'étape suivante est de demander s'il est pertinent d'avoir un véhicule individuel motorisé pour se déplacer en ville. L'Ademe répond non. C'est effectivement plus compliqué, mais pour optimiser les systèmes de mobilité, il faut discriminer entre les technologies selon les usages. Un diesel n'est pas pertinent pour faire dix kilomètres par jour en ville, mais le reste pour un camion de quarante tonnes reliant Paris à Marseille, d'autant qu'il est équipé de filtres depuis bien plus longtemps que les véhicules individuels.

M. François Cuenot. - C'est la Commission européenne qui met au point les nouveaux cycles. Elle fait un travail remarquable. Nous participons aux groupes de travail sur la RDE à Bruxelles. Les constructeurs sont très entendus, notamment dans certains États membres : ils demandent toujours plus et tentent de retarder le processus. La Commission a haussé le ton après l'affaire Volkswagen, c'est maintenant aux États membres de réagir.

Mme Joanna Szychowska. - Nous ne parlons pas d'un petit problème technique mais de confiance et de fiabilité du système. Ce n'est pas business as usual. Nous revoyons tout notre système d'homologation : la législation RDE n'est que le début. La proposition de la Commission est ambitieuse mais réaliste. Nous croyons que les fabricants seront en mesure de s'y conformer, en nous appuyant sur des études et sur des échanges avec eux. Nous espérons être en mesure de conclure ces débats lors de la présentation de notre dernière proposition le 18 novembre.

M. Hervé Maurey, président. - Il faut que les règles soient contrôlées de manière incontestable.

Mme Béatrice Lopez de Rodas. - Il existe deux règlementations européennes, sur les deux à trois roues et sur les tracteurs, qui donneront l'exemple sur la surveillance des marchés. Si l'on homologue, il faut contrôler derrière. La Commission mettra prochainement sur la table le développement d'essais « surveillance des marchés » pour la réception des véhicules particuliers, comme le fait l'EPA. L'homologation gagnera en crédit.

M. Hervé Maurey, président. - Le scandale Volkswagen pourrait-il toucher d'autres entreprises ? La question est-elle taboue ?

M. Laurent Benoit. - L'Utac est missionnée par le Gouvernement pour investiguer, elle rendra ses conclusions dans quelques semaines. Difficile de vous répondre, s'agissant d'une tromperie : quel qu'aurait été le lieu d'homologation, le service technique n'aurait pas vu le problème car le dispositif était destiné à leurrer le système d'homologation. Il faudrait réaliser des essais partagés à l'échelle européenne pour piéger les systèmes de leurre.

Mme Joanna Szychowska. - Nous avons demandé à tous les États membres de vérifier les dires de leurs constructeurs. Nous attendons les résultats.

M. Rémy Pointereau. - Vous ne m'avez pas répondu sur les distorsions de concurrence. La Commission a-t-elle prévu des compensations financières pour les constructeurs français lésés, qui ont souffert d'un manque à gagner du fait de l'affaire Volkswagen ? On dirait qu'il existe une omerta entre les constructeurs : aucun n'a réagi à l'affaire ...

Mme Évelyne Didier. - Cela vous étonne ?

Mme Joanna Szychowska. - La Commission n'a aucun pouvoir en matière de compensation, cela dépend des fabricants. Nous ne pouvons pas nous prononcer sur ce sujet.

M. Hervé Maurey, président. - Chacun y voit-il plus clair ?

Mme Évelyne Didier. - Un effort de pédagogie s'impose pour que chacun comprenne les enjeux. À l'issue de cette table ronde, nous allons surtout pouvoir exprimer des doutes, des méfiances, des voeux... J'ai compris que la Commission agissait, que les normes évoluaient. Mais la commission d'enquête sur la pollution de l'air, dont j'étais membre et dont le rapport a été voté à l'unanimité, chiffre les dommages des émissions de particules pour la santé : à l'échelle mondiale, des milliards d'euros et de nombreux décès prématurés.

La neutralité technologique est indispensable, dites-vous. Je ne défends pas telle ou telle technologie, tel ou tel moteur - même si je soutiens notre industrie - mais le citoyen européen  lambda. Nous avons besoin de comprendre, c'est une question de démocratie.

M. Jean-Jacques Filleul. - Nous sommes troublés par ce débat. À la suite de la tricherie de Volkswagen, il était indispensable. Avec Louis Nègre, nous avons cherché à savoir quel carburant polluait le moins. En janvier, nous sommes sortis d'une rencontre persuadés que le diesel Euro 6 et le futur diesel Euro 7 étaient tout aussi pertinents - voire moins nocifs - que l'essence. En sommes-nous toujours là ? On peut le croire en entendant l'Ademe. Si c'est vrai, cela va dans le bon sens puisqu'on abaisse les seuils. Mais aujourd'hui, c'est une question de confiance.

M. Hervé Maurey, président. - Cette table ronde était nécessaire compte tenu de l'actualité mais cela n'enlève rien au travail de moyen à long terme effectué par Louis Nègre, notamment sur la neutralité technologique. Nous organiserons prochainement une nouvelle table ronde ouverte au public et à la presse.

M. Louis Nègre. - Les sénateurs sont troublés, nos concitoyens également. Nous avons progressé par rapport à la table ronde de janvier 2015 où l'on découvrait les différences entre les tests sur route et la réalité. Bien sûr, ce n'était pas nouveau pour les spécialistes. Nous avons demandé, dans la loi de transition énergétique, que les particules fines ayant un effet néfaste pour la santé fassent aussi l'objet d'une évaluation. Nous nous attachons aux résultats, pas à la technologie. Nous avons besoin de pédagogie.

La tricherie de Volkswagen confirme que l'information dont nous disposions n'était pas la vérité ; sa médiatisation ébranle la confiance dans la fiabilité des mesures et fait peser un doute sur toute l'industrie automobile. Les constructeurs auraient pu nous éclairer sur ce point...

La commission d'enquête sénatoriale sur la pollution de l'air a confirmé la réalité du problème sanitaire. Le transport est responsable de 30% des polluants atmosphériques. Nous devons déterminer lesquels sont imputables aux différents types de moteurs, pour informer le citoyen. Nous n'avons pas besoin d'une position dogmatique mais d'explications.

Nous avons effectivement fait un grand pas aujourd'hui mais nous attendons toujours des réponses plus précises. Le groupe de travail Mobilités et transports poursuivra sa réflexion. Vous serez invités à participer à ses travaux, avant une nouvelle table ronde ouverte au public et à la presse. Preuve que le Sénat peut intervenir utilement pour la Nation dans des domaines cruciaux pour nos concitoyens.

M. Hervé Maurey, président. - Merci aux participants, tant pis pour ceux qui ne sont pas venus. Nous continuerons à travailler sur ce sujet.

La réunion est close à 17 h 55.

Mercredi 14 octobre 2015

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

Communication

La réunion est ouverte à 9 heures.

M. Hervé Maurey, président. - Avant d'aborder notre ordre du jour, je voudrais évoquer le déplacement dans les Alpes maritimes, que notre commission effectuera le vendredi 23 octobre, à la suite des inondations qui ont touché le sud de la France il y a dix jours. Ce déplacement est organisé en étroite collaboration avec la présidence du Sénat et les autorités locales. Je laisse Louis Nègre présenter brièvement le programme de cette journée.

M. Louis Nègre. - Le programme comprendra une partie « théorique » le matin, avec analyse de photos et de vidéos, en présence du préfet et des responsables des opérations de secours. Puis, vers 11 h 30, nous rejoindrons les maires des Alpes-Maritimes, qui tiennent leur assemblée générale ce jour-là. A l'issue du déjeuner, et jusqu'à 19h, nous effectuerons plusieurs visites sur le terrain, afin de prendre la mesure des dégâts.

M. Hervé Maurey, président. - J'ajoute que ce déplacement fait suite au rapport sur les inondations dans le Var, présenté en septembre 2012 par Louis Nègre et Pierre-Yves Collombat. Ce rapport avait formulé un certain nombre de préconisations, et le déplacement est l'occasion de faire le bilan de leur mise en oeuvre, et éventuellement d'en tirer les conséquences. Il serait important que chaque groupe politique soit représenté par au moins un sénateur.

Consolider et clarifier l'organisation de la manutention dans les ports maritimes - Examen des amendements au texte de la commission

M. Hervé Maurey. - Premier point de l'ordre du jour : l'examen des amendements de séance à la proposition de loi sur l'organisation de la manutention dans les ports maritimes. Dix amendements ont été déposés.

Le premier, de Charles Revet, a été déclaré irrecevable au titre de l'article 41 de la Constitution puisque l'ajout qu'il proposait « ne relevait manifestement pas du domaine de la loi ». C'est à l'initiative du président Gérard Larcher - qui a la responsabilité de déclarer irrecevable ce type d'amendements - que cette procédure, prévue par la Constitution depuis 1958, est « ressuscitée » dans son application par le Parlement. L'objectif est d'améliorer la qualité du travail législatif, en s'épargnant des débats interminables sur des dispositions de nature réglementaire. Nous sommes la deuxième commission, après la commission des lois, à expérimenter ce dispositif prévu au nouveau chapitre VI ter de l'Instruction générale du Bureau du Sénat.

M. Jean Bizet. - J'ai cosigné cet amendement, et je comprends parfaitement l'irrecevabilité au titre de l'article 41 de la Constitution. En l'espèce, il s'agissait simplement de relayer les inquiétudes d'une grande compagnie bretonne, Brittany Ferries, qui bénéficie actuellement des dérogations prévues par voie réglementaire en ce qui concerne le périmètre d'intervention des dockers.

M. Michel Vaspart, rapporteur. - Que Brittany Ferries se rassure, en aucun cas il n'est prévu de modifier la liste des dérogations de l'article R.5343-2 du code des transports, notamment celle relative à l'avitaillement des natives dont l'entreprise bénéficie. J'ai été particulièrement attentif à ce point.

M. Hervé Maurey, président. - Tous les autres amendements, ceux des groupes socialiste et RDSE, visent à rétablir le texte de la proposition de loi tel qu'adopté par l'Assemblée nationale. Je laisse notre rapporteur, Michel Vaspart, nous donner son avis sur ces amendements.

M. Michel Vaspart, rapporteur. - Ces neufs amendements visent à revenir au texte de l'Assemblée nationale. Vous comprendrez que mon avis sera naturellement défavorable pour chacun d'entre eux. Je vous rappelle que l'objectif du texte que nous avons adopté en commission est de se limiter aux seules modifications rendues nécessaires par l'insécurité juridique qui découle de l'extinction de la catégorie des dockers intermittents, à l'origine de l'affaire de Port-la-Nouvelle.

En ce qui concerne les autres modifications, relatives au périmètre de la priorité d'emploi des dockers, aux implantations industrielles en bord à quai et aux dockers occasionnels, nous ne remettons pas en cause la qualité du travail de Martine Bonny et du dialogue qui a eu lieu. Simplement, le Gouvernement n'a pas jugé bon d'accompagner ce travail purement juridique d'une étude de l'impact économique des mesures proposées, afin de nous assurer que la compétitivité de l'ensemble de nos ports n'en serait pas affectée.

Au cours de mes auditions, j'ai entendu plusieurs craintes à ce sujet, que nous ne pouvons appréhender correctement en l'absence d'une analyse économique sérieuse, port par port. Aucune urgence, ni sur le terrain, ni au niveau européen, ne justifie de s'affranchir de ce travail précieux, alors que nos ports ont besoin de stabilité pour accompagner la modeste reprise de leur activité. En tout état de cause, le Parlement ne saurait être cantonné à un rôle de chambre d'enregistrement, fût-ce d'un dialogue social réussi.

Mme Odette Herviaux. - Puisque le rapporteur est défavorable à l'ensemble des amendements, il n'est effectivement pas utile que nous les défendions dans le détail : nous aurons largement l'occasion d'en reparler cet après-midi. Je signale néanmoins que les discussions qui vont s'ouvrir prochainement au niveau européen s'annoncent mal. Les représentants des armateurs ont indiqué qu'ils allaient plaider pour une libéralisation totale de la manutention portuaire, ce qui laisse présager un dialogue social difficile et d'éventuels conflits dans les ports. Le texte que nous examinons a pour objectif d'anticiper les exigences européennes, afin d'apaiser le climat dans nos ports, et de préserver la stabilité que vous revendiquez à juste titre.

M. Guillaume Arnell. - Je ne suis pas spécialiste des dockers, ce n'est pas une profession qui existe chez moi. Je comprends que le débat aura lieu cet après-midi en séance publique. En tant qu'unique représentant du groupe RDSE dans cette commission, je souhaite simplement attirer votre attention sur les amendements présentés par ma collègue Mireille Jouve. Notre groupe s'est réuni hier pour débattre de ces amendements, et bien que sceptiques au départ, nous avons été largement convaincus par les arguments de Mirelle Jouve. Je tiens à le signaler, pour que les membres de la commission prennent la mesure de l'intérêt de ces amendements, qui visent à résoudre un problème né à Port-la- Nouvelle.

M. Michel Vaspart, rapporteur. - Sur la question des dockers intermittents et du conflit de Port-la-Nouvelle, je vous rassure : le texte que nous avons adopté conserve l'ensemble des dispositions qui visent à résoudre l'insécurité juridique résultant de l'extinction progressive du régime de l'intermittence.

M. Hervé Maurey, président. - Je note par conséquent que la commission se prononce en bloc sur ces amendements, en retenant l'avis défavorable du rapporteur, par cohérence avec le texte adopté la semaine dernière.

Instaurer des contrats territoriaux de développement rural - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Hervé Maurey, président. - Cette proposition de loi, que nous devons à l'initiative de notre ancien collègue Pierre Jarlier, est inscrite pour examen en séance publique dans l'espace réservé du groupe UDI-UC, le 22 octobre. Sur ce sujet, notre rapporteure a procédé à de nombreuses auditions, avec l'objectif de proposer un outil simple et utile pour les collectivités territoriales et le monde rural - ce qui me paraît une bonne approche.

EXAMEN DU RAPPORT

Mme Annick Billon, rapporteure. - La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, déposée par notre ancien collègue Pierre Jarlier et plusieurs sénateurs du groupe UDI, part d'un constat simple, très largement partagé au-delà de nos sensibilités politiques : notre monde rural va mal.

Alors que la ruralité est une richesse pour notre pays, elle est confrontée à des difficultés croissantes : déclin démographique, désindustrialisation, recul des activités agricoles, baisse des revenus. Les habitants des territoires ruraux doivent aussi faire face, au quotidien, à de nombreuses difficultés : fermeture de services publics, désertification médicale, fracture numérique, entraves à la mobilité... Tout cela contribue à développer chez certains de nos concitoyens un vrai sentiment d'abandon. Les collectivités rurales sont, enfin, celles qui souffrent le plus de la baisse ininterrompue des dotations de l'État.

Ce constat est bien connu, mais les réponses apportées sont insuffisantes. Les dispositifs dédiés au développement rural, qu'il s'agisse de zonages, d'appels à projets, de fonds d'aide ou de dotations, n'offrent que des solutions dispersées, ciblées sur certaines portions du territoire, et accordées au cas par cas, avec les inconvénients que nous connaissons : saupoudrage des crédits, défaut d'une approche transversale des enjeux locaux, projection dans le temps insuffisante, manque de synergie entre les acteurs ; sans parler de la mise en concurrence des collectivités territoriales, via le recours de plus en plus fréquent aux procédures d'appel à projets, à l'issue desquelles seules les collectivités les mieux dotées en ingénierie peuvent tirer leur épingle du jeu ! Paradoxalement, ces procédures sélectives excluent les territoires qui ont le plus besoin d'être soutenus.

Afin de répondre aux problèmes des territoires ruraux, le Gouvernement a annoncé une multitude de mesures. Il s'est félicité d'en avoir élaboré près de soixante-dix lors des deux derniers comités interministériels aux ruralités. En réalité, nombre de ces mesures reprennent des initiatives en cours et relève de l'effet d'annonce plus qu'elles ne visent à répondre concrètement aux difficultés de nos territoires. J'ajoute que la fragmentation de ces dispositions sectorielles compromet toute vision stratégique, pourtant indispensable à une politique de cohésion territoriale efficace, dans les territoires concernés.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui retient une approche différente, à la fois partenariale et plus intégrée. Elle vise à inscrire dans la loi le principe d'une contractualisation pluriannuelle entre l'État et les territoires ruraux, en s'inspirant du modèle des contrats de ville. Elle instaure ainsi des contrats territoriaux de développement rural, signés entre l'État et les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux, créés à l'initiative de notre commission dans la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam) pour succéder aux pays, tout en prévoyant qu'en l'absence d'un tel pôle, ces contrats peuvent être signés par les syndicats responsables d'un schéma de cohérence territoriale.

Le texte vise ainsi à mettre en place un outil consacré aux territoires ruraux, qui privilégie une démarche de projet pour dépasser la logique de guichet qui prévaut le plus souvent. La forme contractuelle doit permettre d'adapter les actions et les moyens aux difficultés et aux atouts propres à chaque territoire. L'approche partenariale vise à mutualiser les ressources, afin d'atteindre la taille critique nécessaire à la gestion de problématiques communes de développement.

Ce type de contractualisation a déjà fait ses preuves dans certains territoires, par exemple dans le cadre des volets territoriaux des contrats de plan État-régions. Elle permet d'apporter une réponse globale, dans un cadre pluriannuel, avec l'ensemble des parties. J'y suis donc très favorable.

J'ai néanmoins souhaité m'assurer, en cohérence avec l'esprit du texte initial, de l'efficacité du dispositif, en travaillant à simplifier la rédaction proposée.

L'article 1er de la proposition de loi fixe les principes de la politique de cohésion territoriale et rurale, au même titre que dans la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. Je vous proposerai d'adapter davantage encore ces principes aux enjeux du monde rural, afin de mettre en exergue, en particulier, deux sujets chers à notre commission : la couverture numérique et l'accès aux soins.

L'article 2 détermine des critères limitatifs pour identifier les territoires en difficulté, à partir d'indicateurs mesurant le déclin démographique et l'emploi agricole. Je vous proposerai de supprimer cet article, pour deux raisons. Premièrement, ces critères ne suffisent pas à caractériser l'ensemble des territoires ruraux en difficulté ; il faudrait également prendre en compte le recul de l'activité industrielle ou encore l'évolution du revenu des habitants. En outre, il ne me semble pas adapté de fixer un cadre trop restrictif, qui risquerait de laisser au bord du chemin des territoires pourtant mal en point. Il est donc préférable de laisser aux parties prenantes le soin d'identifier les territoires requérant le plus d'attention, dans un cadre plus souple et plus propice à une concertation locale.

L'article 3 identifie les signataires des contrats territoriaux de développement rural. Outre quelques allègements rédactionnels, je vous proposerai que l'État, lorsqu'il n'existe pas de pôle d'équilibre territorial et rural, l'Etat puisse contractualiser directement avec un EPCI à fiscalité propre, plutôt qu'avec un syndicat responsable de SCoT. En effet, confier une telle mission aux syndicats responsables d'un schéma de cohérence territorial, dont les missions sont très différentes, ne me semble pas adapté. Sans compter qu'avec les évolutions de la carte intercommunale, certains pôles d'équilibre territoriaux et ruraux pourraient être transformés en EPCI à fiscalité propre. Cette modification vise donc à élargir le périmètre du dispositif proposé.

L'article 4 est relatif au financement des contrats, qui sera naturellement assuré par ses signataires, mais aussi par un recours aux fonds européens. Par souci de cohérence et de lisibilité, je vous proposerai d'en intégrer les dispositions à l'article 3, en les simplifiant.

L'article 5 porte sur l'élaboration et le contenu du contrat. Afin de simplifier le processus pour les parties prenantes, je vous soumettrai un amendement visant à recentrer sa rédaction sur le contenu du contrat, en précisant certains éléments. J'y intègre la possibilité pour les collectivités d'avoir recours à l'ingénierie de l'État, un sujet important pour les collectivités rurales.

L'article 6 détermine les modalités de signature du contrat. Là aussi, je vous proposerai de supprimer des dispositions qui ne semblent pas absolument nécessaires, dans un souci d'allègement du dispositif.

L'article 7 fixe les responsabilités de chacun des signataires. Ces précisions ne me semblent pas indispensables, puisque ce sont les parties prenantes qui détermineront ces modalités dans le contrat. Je vous en proposerai la suppression.

Sur l'article 8, qui pose un principe général de prise en considération des enjeux de la politique de cohésion territoriale et rurale par la planification et la contractualisation locale, sans imposer de révision des documents existants, je vous proposerai un amendement rédactionnel de simplification.

L'article 9 vise à geler le régime des zones de revitalisation rurale, tel qu'en vigueur au 1er juillet 2015, pour les territoires faisant l'objet d'un contrat territorial. Afin de recentrer la proposition de loi sur le dispositif du contrat, et dans la mesure où ce sujet relève davantage d'une loi de finances, je vous proposerai de supprimer cet article.

L'article 10 prévoit un soutien de l'État aux collectivités en matière d'ingénierie. Si je suis bien évidemment favorable à cette mesure, indispensable aux territoires ruraux, je vous proposerai d'intégrer ce dispositif directement à l'article 5, et, en conséquence, de supprimer cet article.

Comme vous le voyez, je vous propose un dispositif resserré, plus cohérent, plus opérationnel. Il s'agit de supprimer certains éléments du texte initial, afin de laisser davantage de souplesse aux territoires pour définir, de façon partenariale, les objectifs, les actions et les moyens à mobiliser. J'ajoute qu'entre le moment où cette proposition de loi a été déposée, en mai dernier, et aujourd'hui, bien des évolutions législatives sont intervenues, qu'il fallait prendre en compte. Ma préoccupation a été de mettre à disposition des élus locaux un outil simple d'utilisation, au service d'une véritable égalité entre les territoires.

M. Hervé Maurey, président. - Merci pour ce travail approfondi. Ce texte peut, à mon sens, apporter un outil utile aux territoires ruraux, à l'instar de ce qui existe pour les territoires urbains, et leur offrir plus de visibilité dans leurs relations financières avec l'État.

M. Jean-Claude Leroy. - Je salue le travail de notre collègue sur ce texte dont l'intention est certes louable mais qui n'en suscite pas moins, pour le groupe socialiste, des interrogations. Que vous ayez été amenée à réduire le nombre de ses articles laisse penser qu'il avait été rédigé à la hâte. Il contenait, de fait, beaucoup d'erreurs. Ainsi que vous l'avez rappelé, par exemple, un syndicat de SCoT étant un organisme d'étude et non de réalisation ne saurait être partie au contrat.

Ce texte ainsi retravaillé est-il, pour autant, satisfaisant ? Nous nous interrogeons toujours sur un certain nombre de points. L'affirmation selon laquelle il faudrait donner aux territoires ruraux les mêmes outils qu'aux territoires urbains procède d'une idée qui peut paraître généreuse, mais qui ignore le principe selon lequel la diversité des territoires appelle des réponses adaptées. Nous craignons qu'à force de comparaisons, on n'en vienne à opposer deux mondes qui sont plutôt complémentaires. Cette complémentarité entre ville et campagne est mise en oeuvre sur nombre de territoires, à l'heure où l'on repense les intercommunalités. Etre une commune rurale au sein d'une communauté d'agglomération est souvent un atout pour le développement.

Autre question : avec qui contractualiser ? Quel est le bon niveau, et le maître d'ouvrage adapté pour une bonne mise en oeuvre du contrat ? La contractualisation ne date pas d'hier. On contractualise avec l'Etat, avec les pays, et bon nombre de départements sont liés aux EPCI par des contrats territoriaux de développement durable. J'ajoute que nous prenons acte, quant à nous, de la loi NOTRe, qui a dévolu aux régions un rôle primordial en matière de planification et renforcé les compétences des départements dans le domaine des solidarités territoriales. Dès lors, la région nous semble le bon niveau pour contractualiser avec les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux, en collaboration avec les départements et les EPCI, l'Etat pouvant venir en renfort par le biais des dotations d'équipement des territoires ruraux et du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire, comme cela est le cas aujourd'hui. Notre conviction est d'ailleurs renforcée par le fait qu'à l'article 3, il est fait référence aux fonds européens, lesquels transitent par les régions.

Vous proposez la suppression de l'article 2, qui vise à définir les territoires ruraux en difficulté. Il est vrai que la rédaction proposée méconnait les conclusions du rapport Vigier-Calmette, qui donnera d'ailleurs très prochainement naissance à une nouvelle définition des zones de revitalisation rurale (ZRR), ainsi qu'il a été annoncé au cours du dernier comité interministériel aux ruralités. Pour autant, supprimer cet article pour en venir à considérer que chaque territoire pourra contractualiser dès lors qu'il fera la preuve de ses difficultés, c'est sortir du juridique pour laisser place à l'appréciation subjective.

Enfin, l'affirmation que l'on peut lire dans l'exposé des motifs et que vous reprenez à votre compte, selon laquelle les territoires ruraux seraient les grands oubliés fait bon marché des deux comités interministériels, qui ont été salués pour l'effort significatif consenti en faveur du monde rural : 3 milliards pour le haut débit, tous les bourgs-centres couverts en téléphonie mobile d'ici à la fin de l'année 2016, l'aide à la mobilité par la création de plates-formes dans les bourgs-centres, la création de nouvelles maisons de santé, de maisons de services au public, l'aide à l'installation des jeunes praticiens et surtout, l'aide à l'investissement, pour les petites villes et les bourgs, à hauteur de 500 millions - mesure pour nous essentielle et qui prend en compte le rôle éminent du bourg en matière d'aménagement du territoire : quand le bourg va bien, l'arrière-pays se porte bien ; quand le bourg va mal, l'arrière-pays souffre.

Si donc l'intention est louable, on a le sentiment, à la lecture de ce texte, que le temps s'est arrêté : il ignore le rôle dévolu aux régions en matière de planification, de même que les mesures importantes annoncées par les deux derniers comités interministériels. Qu'y voir d'autre, à ce compte, qu'un texte de circonstance, à l'approche des élections régionales, fait pour adresser un signal aux territoires ruraux ? Nous préférons, quant à nous, les mesures concrètes en faveur de la ruralité dans son ensemble telles que celles qui ont été prises par les comités de mars et septembre.

M. Hervé Maurey, président. - Pour amener à penser que les territoires ruraux ne sont pas oubliés, il vous faudra déployer un sérieux travail de conviction. Et puisque vous avez fait allusion aux élections régionales, je me permets d'ajouter que leurs résultats pourraient bien montrer, je le crains, que ce sentiment d'abandon est très largement partagé.

M. Jean-Claude Leroy. - Je ne saurais souscrire à certaine conception misérabiliste des territoires ruraux qui sont, à mon sens, des territoires extraordinairement dynamiques. Comme président d'un office HLM, il m'arrive souvent de me rendre dans les quartiers sensibles et je puis affirmer, en regard, que vivre sur un territoire rural est aussi une chance.

M. Hervé Maurey, président. - Reste que face à des difficultés que nous connaissons bien et que nous évoquons souvent au sein de notre commission, ce sentiment d'abandon est réel.

M. Hervé Poher. - Mon approche sera un peu différente, pour arriver à la même conclusion. Je m'interroge profondément sur le fonctionnement politique et administratif de notre société, car j'ai ici le sentiment que l'on revient dix-huit ans en arrière. En 1997, j'ai contribué à la création d'une intercommunalité, la communauté de communes des trois pays, rassemblant des communes rurales et semi-rurales, dont la plus importante comptait 5 000 habitants et la plus petite, 80. La première chose que nous avons fait, alors, a été de bâtir un contrat de développement rural, comme nous le proposait la région Nord-Pas-de-Calais. Etaient réunis, autour de la table, l'Etat, la région, le département et l'intercommunalité. Ce contrat a été signé en février 2001 et à partir de cette date, nous nous sommes réunis deux fois par an avec les délégations de l'ANAH (Agence nationale d'amélioration de l'habitat), de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), de la CAF (Caisse d'allocations familiale), de l'Agence de l'eau, etc. J'ai pu ainsi, comme président de l'intercommunalité, décliner mon programme et mes ambitions...

M. Louis Nègre. - « Moi, président » ?

M. Hervé Poher. - ...et intéresser à certains projets, sur lesquels je parvenais parfois à 80 % de financement. C'est ainsi que j'ai pu être pionnier dans le transport à la demande, que j'ai créé le premier centre intercommunal d'action sociale du Nord. C'est ainsi que nous avons élaboré le premier PLU (plan local d'urbanisme) intercommunal, créé des maisons de l'enfance... D'où une question : pourquoi réinventer ce qui existe déjà depuis des années ? Et une interrogation : quand on attelle un traineau, il y faut un chef de meute ; or, je doute que l'Etat soit le mieux à même de jouer ce rôle, d'autant qu'il ne dispose pas forcément des moyens financiers. Revenons donc au principe de subsidiarité, et appliquons la loi NOTRe : la région a compétence sur l'aménagement du territoire, le département sur les actions de solidarité ; engageons-les à revivifier cette procédure du contrat, qui a fait ses preuves dans le passé.

M. Rémy Pointereau. - Je félicite à mon tour notre rapporteure pour son travail sur ce texte. Il rejoint les positions qui sont les miennes comme rapporteur pour avis de la mission « Politique des territoires », et qui m'ont amené à dénoncer, année après année, le saupoudrage des aides, le manque de détermination politique et le manque de moyens pour soutenir les territoires ruraux. Il est vrai que beaucoup d'initiatives ont été prises depuis une vingtaine d'années, au point qu'il n'est pas facile d'inventer du nouveau : les ZRR ont été mises en place il y a plus de vingt ans, puis sont venus, en 2007, sous le Gouvernement Fillon, les pôles d'excellence rurale ; sont venues aussi les maisons de santé pluridisciplinaires, les maisons de service au public ; avec la DETR (dotation d'équipement des territoires ruraux), la DDR (dotation de développement rural) et la DGE (dotation globale d'équipement) ont été rassemblées sous une même enveloppe. Il est vrai que la politique des centres-bourgs est une innovation bienvenue, car beaucoup dépérissent et voient leurs commerces fermer. Mais je mettrai un bémol à ce qu'a dit notre collègue Leroy : quand un centre-bourg connaît ce sort, c'est aussi parce que l'arrière-pays dépérit. Pour que les commerces vivent, il faut de la richesse sur tout le territoire.

Ce que je crains un peu, c'est que le contrat de développement que ce texte entend promouvoir ne complexifie les choses. Il faudra trouver le bon interlocuteur, sachant que les syndicats de SCoT ne peuvent pas l'être.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Je propose la suppression de cette mention.

M. Rémy Pointereau. - Il ne faudrait pas non plus, sachant qu'un contrat ne va pas sans toute une série d'obligations, que cette initiative conduise à créer des normes supplémentaires. On le voit avec les contrats de pays : il devient de plus en plus compliqué d'obtenir des financements de la région, à croire que l'on ajoute règle sur règle à seule fin que les crédits ne soient pas consommés. Au point que le renouvellement de ces contrats de pays est repoussé d'année en année et que ces contrats, conçus pour une durée de quatre ans, finissent par s'étendre sur sept ans.

Les mesures annoncées par les comités interministériels ? Je me suis penché de près sur celui de Vesoul : ce ne sont qu'effets d'annonce et recyclage d'aides engagées depuis longtemps.

Il est temps de se rapprocher des territoires, car les appels à projets doivent venir de la base et non d'en haut : les problématiques ne sont pas les mêmes en zone de montagne ou en zone rurale.

Bref, ma position sur ce texte tiendra en un « oui, mais ». Oui à ces contrats, à condition qu'ils ne viennent pas se superposer à ce qui existe. Ne conviendrait-il pas, au reste, de nous inspirer du principe général qui voudrait, pour éviter l'inflation législative, que lorsque l'on édicte une norme, on en supprime, dans le même temps, une autre ?

M. Hervé Maurey, président. - Je pense que les amendements de notre rapporteure seront de nature à transformer votre « oui, mais » en un oui.

M. Gérard Cornu. - Je félicite à mon tour notre rapporteure pour son travail remarquable. Je partage, sur le fond, ses positions. Si je suis tout à fait d'accord pour supprimer la mention des syndicats de SCoT, je m'interroge, en revanche, sur la suppression de l'article 2. Ainsi que vous l'avez souligné, il existe une concurrence d'autant plus vive entre les projets, sur le terrain, que l'argent se fait rare. Et c'est pourquoi il me paraît dangereux de supprimer cet article. Je vous accorde que tous les critères mentionnés ne méritent sans doute pas d'être conservés, mais il me semble que ceux de la densité de population et du revenu moyen par habitant doivent être préservés. Car ce sont des indicateurs qui permettent de cibler les territoires en difficulté. Je comprends votre souci d'introduire de la souplesse, mais je crains qu'en l'absence de tout critère inscrit dans la loi, on ne les voie foisonner, au risque d'en revenir au saupoudrage. C'est là ma seule réserve sur vos propositions.

M. Benoît Huré. - Je félicite notre rapporteure d'avoir eu le souci de resserrer ce texte mais je rejoins mon collègue sur l'article 2. Densité de population et revenu moyen par habitant, à quoi j'ajoute le potentiel fiscal, doivent rester des critères prépondérants.

La démarche part d'un bon sentiment - rationaliser et mutualiser - mais on n'assurera pas la solidarité territoriale sans moyens nouveaux. On n'arrivera à rien à périmètre constant : ce que l'on trouvera d'un côté ne se retrouvera pas de l'autre.

La simplification ? D'accord, mais notre pays est désormais structuré en intercommunalités. C'est à leurs élus, qui représentent à la fois des communes et des bassins de vie structurés autour de ces intercommunalités, et ont capacité à lever l'impôt, qu'il revient de contractualiser. Les autres structures n'ont pas la même légitimité. Nos concitoyens ont besoin de lisibilité ; ils doivent pouvoir identifier les responsables auxquels demander des comptes.

Pour moi, les zones de revitalisation rurale sont l'une des innovations les plus marquantes de ces cinquante dernières années en matière d'aménagement du territoire. Il ne serait pas juste de lier leur existence à celle de ces futurs contrats. Certains territoires ne pourront, faute de moyens, s'engager dans de tels contrats : si on leur supprime, du même coup, ce qui leur vient des ZRR, ce sera pour eux un arrêt de mort ou pour le moins un recul considérable. Les critères d'éligibilité aux ZRR méritent sans doute un toilettage, mais souvenons-nous que les gouvernements, de gauche comme de droite, n'ont eu de cesse de tenter de les supprimer subrepticement, à la faveur de débats nocturnes sur le projet de loi de finances.

Sans doute les régions pourraient être l'interlocuteur, comme le suggère Jean-Claude Leroy. Mais il va falloir qu'elles se mettent en place, et je crains que cela ne complique les choses pour quelques mois, voire quelques années. Au-delà, l'expérience me porte à dire que le jacobinisme de l'Etat, qui met en oeuvre une vraie péréquation, verticale, m'inquiète moins que le jacobinisme régional, qui ne fera jamais de même parce qu'entre les territoires, c'est la compétition qui prévaut sur la solidarité. On l'a vu pour l'accompagnement des départements en difficulté en matière d'aide sociale. Il est vrai que les moyens de l'Etat sont limités, mais il est réellement présent dans les départements. J'ajoute que la loi NOTRe a certes renforcé les compétences des départements en matière de solidarité territoriale, mais leurs moyens ont été ramenés, dans le même temps, à un niveau tel qu'ils ont le plus grand mal à remplir leur mission.

M. Louis Nègre. - Merci à notre rapporteure, qui m'a permis de comprendre les objectifs, louables et animés de bons sentiments, que poursuit ce texte. Cela dit, plusieurs points arrêtent mon attention. La question des transports, en premier lieu. On lit ainsi, à l'article premier, que la politique de cohésion territoriale vise à « contribuer à l'amélioration de la mobilité ». On ne saurait faire moins ! De même, on peut se demander ce que deviennent les compétences en la matière que la loi vient d'attribuer à la région au regard de celles que l'article 8 reconnait aux pôles de développement durable.

Mon autre interrogation porte sur les financements. Sachant que déjà, les contrats de plan Etat-région en manquent, je me demande, comme Benoît Huré, où l'on va prendre l'argent pour ces nouveaux contrats. Je sais bien, et je m'adresse là à mes collègues socialistes, que l'on a le meilleur Gouvernement qui soit, puisque chaque semaine, il tire des centaines de millions de son chapeau...

Mme Évelyne Didier. - Pour les entreprises.

M. Gérard Cornu. - Que nenni, les annonces, c'est pour tout le monde !

M. Louis Nègre. - Il vient de fait un moment où l'on commence à douter. Après avoir décidé de prélever 11 milliards sur les collectivités locales, il annonce qu'il remet un milliard en faveur de l'investissement. J'y ai regardé de près, car je vais être contraint, dans ma commune, à réduire les dépenses d'investissement. Or, sur ce milliard, seuls 150 millions sont inscrits en crédits de paiement ! Je mets en garde notre commission : ces effets d'annonce finissent, à la longue, par discréditer la parole publique.

L'article 3 dispose que les contrats de développement peuvent être signés avec les départements et les régions. Pourquoi pas avec les métropoles ?

Comme Rémy Pointereau, je crains un empilement et je préfèrerais que l'on simplifie plutôt que de créer un nouveau texte.

L'aménagement des territoires, qu'ils soient ruraux ou urbains, doit être envisagé en complémentarité. Je suis premier vice-président de la première métropole de France, Nice-Côte-d'Azur. C'est une région où la densité urbaine est particulièrement élevée mais qui compte, en même temps, plus de communes rurales que de communes urbaines. Or, nous travaillons ensemble, et il faut poursuivre dans cette voie, car l'urbain a besoin du rural.

M. Jean-Jacques Filleul. - Je rends hommage à notre rapporteure, qui a beaucoup travaillé, mais comme bien d'autres, j'estime que l'on enfonce ici des portes ouvertes. On peut d'ailleurs se demander pourquoi ce texte, dont les treize articles souffrent de quelque retard sur le tempo législatif, arrive à l'ordre du jour de notre assemblée. Pour tenter, sans doute, d'y remédier, vous l'avez resserré. Mais des interrogations demeurent. J'ai eu l'honneur de défendre, comme rapporteur pour avis du projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Matpam), les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux. L'objectif était de laisser aux élus de terrain le choix de s'organiser ensemble avec des outils qui leur étaient apportés. A quoi bon en rajouter, avec un texte qui est pour moi un recul au regard de ce que nous avions voté.

Je sais qu'il est de bon ton d'ignorer, voire de dénaturer les mesures prises par le Gouvernement, mais la loi NOTRe est tout de même un outil formidable pour les territoires ruraux. Sans parler des Assises de la ruralité, qui se sont tenues à deux reprises, et où ont été proposées des mesures qui sont aujourd'hui mises en oeuvre.

Jouer sur la corde du misérabilisme, c'est prendre le risque de pousser les territoires et ceux qui y travaillent vers la désespérance, quand bien même il n'y a pas lieu. Dans mon département de Touraine, on voit le Front national progresser dans certains villages qui ne manquent pourtant de rien. Voilà plusieurs décennies que la région Centre fait un travail formidable. Des citadins sont revenus s'installer dans ces campagnes, parce que l'on y vit bien. Les 4 milliards mobilisés dans le cadre des contrats de plan Etat-région pour la ruralité, les 3 milliards engagés pour le haut débit, et qui ont permis à 87 départements de se mobiliser, les plans de mobilité rurale ne comptent pas pour rien. Si les territoires s'emparent des mesures mises en place par ce Gouvernement, ils iront de l'avant. Les 200 maisons de santé créées en 2015 ont aussi bénéficié aux territoires ruraux. Sans parler des mesures que l'on doit aux comités interministériels aux ruralités. La péréquation, horizontale et verticale, n'a jamais été aussi importante qu'aujourd'hui, et les territoires ruraux en profitent.

Comme l'a souligné Jean-Claude Leroy au nom du groupe socialiste, ce texte n'apporte rien et nous n'y sommes pas favorables.

M. Claude Bérit-Débat. - Je félicite notre rapporteure de son travail sur un texte qui, comme cela a été rappelé, datait quelque peu. Je partage cependant le point de vue de mes collègues socialistes.

Une question : ce texte a-t-il était soumis à la commission des finances ? Car j'ai souvenir d'un texte similaire auquel elle avait opposé l'article 40.

Je m'inquiète, comme mes collègues Leroy et Filleul, de la suppression de l'article 2, qui, en supprimant tout critère dans la loi, laisse aux territoires le soin d'en décider. C'est méconnaître les propositions du rapport Vigier-Calmette.

M. Hervé Maurey, président. - Il n'y a pas de disposition financière dans ce texte, qui se contente de créer un outil de contractualisation, à enveloppe constante. L'article 40 ne s'applique pas.

Le but est de donner une visibilité aux collectivités locales. Quand une commune, ou un EPCI, a un projet, elle peine à savoir si elle pourra bénéficier d'une part de DETR ou de crédits du FNADT. D'où l'intérêt de la contractualisation, à l'instar de ce qui existe pour les zones urbaines.

M. Michel Raison. - Bien qu'élu d'un département très rural, à densité de population assez faible, je rejoins le propos de notre collègue Leroy : n'opposons pas les territoires entre eux. La France est un beau pays qui a besoin d'équilibre, mais équilibre ne veut pas dire égalitarisme absolu. Chaque territoire a ses problèmes. Dans certaines zones urbaines, ils peuvent être plus complexes à gérer que dans certaines zones rurales.

Nous avons besoin, avant tout, de simplicité. Les territoires ruraux les plus isolés et les moins peuplés souffrent, notamment, de problèmes d'enclavement. La communauté de communes de 15 000 habitants dont je fais partie va ainsi être amenée à donner, dix ans durant, dix euros par habitant et par an à une association départementale pour installer la fibre optique. Il y a là un vrai déséquilibre au regard d'autres territoires. Ce n'est pas à coups de comités interministériels que l'on résoudra le problème. Ces comités ne sont guère que des outils de communication. Dans mon département, le Président de la République est venu avec pas moins de dix ministres, dont le Premier ministre, sans rien nous apporter. S'il m'avait annoncé que nos dotations seraient un peu moins amputées, pour prendre en compte cette dépense de 150 000 euros par an pour la pose de fibre optique, cela aurait été autre chose. Pas besoin d'usine à gaz. Le général de Gaulle rappelait que les plus grandes choses que l'on ait jamais dites au peuple ont toujours été des choses simples. Restons donc simples.

Pour pouvoir investir, nous devons faire des économies de fonctionnement. Plus on montera d'usines à gaz, plus on créera de contrats, plus il nous faudra de fonctionnaires pour y faire face, moins il nous restera d'argent pour investir.

Sachons faire simple, et cibler les problèmes. Quand le téléphone a été posé après guerre, il a été installé partout. Il est vrai que depuis, la libéralisation des services publics a perturbé les équilibres territoriaux. Il n'est pas normal que certains territoires doivent se payer eux-mêmes la fibre quand ailleurs, ce sont les opérateurs qui s'en chargent, alléchés par le nombre.

Nos territoires, urbains comme ruraux, sont divers. Dans l'une et l'autre catégorie, il en est qui se portent bien, d'autres moins. N'oublions pas que l'aménagement du territoire est une compétence de notre commission. Il est harmonieux quand il se fait dans l'équilibre et le respect, surtout pas dans l'antagonisme.

M. Jean-François Longeot. - Je suis reconnaissant à Pierre Jarlier de son initiative et salue le travail utile d'Annick Billon. Il n'est nullement dans l'esprit de ce texte d'opposer territoires urbains et ruraux, ainsi que le rapporteur l'a souligné. Ne nous engageons pas dans ce débat d'un autre siècle. Les contrats de développement ici envisagés ne sont rien d'autre que le pendant des contrats de ville. C'est tout simple. Et c'est le moyen de rétablir les choses dans leur vérité. Car on nous parle des milliards consacrés au monde rural, mais si je sens bien la pluie qui me tombe sur la tête, j'avoue je ne vois pas les milliards tomber sur nos campagnes. J'entends vanter la politique en faveur des bourgs-centres, mais avec la réforme des cantons, où est passée la dotation supplémentaire qu'ils recevaient comme chefs-lieux de canton ? Ils sont aujourd'hui abandonnés. Je rejoins Michel Raison : quand un département comme le Doubs doit mettre beaucoup d'argent pour le déploiement de la fibre optique, et doit faire appel à la communauté de communes, qui devra mettre pendant dix ans dix euros par an et par habitant à cette fin, alors que cela tombe tout cuit à Besançon, à Pontarlier, à Montbéliard, j'estime, sans vouloir opposer les territoires, que cela n'est pas normal.

Ce texte, sur lequel Annick Billon a beaucoup travaillé, ne vise pas à susciter l'antagonisme, mais à rétablir l'égalité. Quand on cherche à comprendre, à la suite d'élections locales, ce qui a bien pu se passer, on se trouve face à un constat : il ne faut pas oublier les territoires ruraux. Cette proposition de loi nous donne l'occasion de nous exprimer et de faire des propositions. C'est en s'en emparant que l'on parviendra à simplifier les procédures administratives, à reconnaître enfin les territoires ruraux et à répondre à une attente légitime du pays.

Mme Évelyne Didier. - Je m'en tiendrai à quelques observations. Nous aurons l'occasion de dire en séance, exactement, ce que nous pensons.

Le sujet de la ruralité, voire de l'hyper-ruralité, est une préoccupation qui ne date pas d'hier dans cette commission. Mais le texte qui nous est aujourd'hui soumis, en dépit du travail de Mme Billon, est une mauvaise réponse à une bonne question. On n'a que trop tendance à répondre en créant des structures, des contrats, quand le vrai problème auquel nous avons à faire face tient à ce véritable « déménagement du territoire » qui consiste à concentrer les moyens sur les métropoles tandis que dans le même temps, se réduisent les dotations aux collectivités - et la majorité sénatoriale a beau jeu de s'en plaindre, quand on sait que cela faisait aussi partie du programme de la droite. Je sais que nous sommes entrés en période électorale, où l'affichage est utile, mais cessons un moment, de grâce, de nous renvoyer la balle.

Ce qui importe par dessus tout, c'est de donner des moyens, et de les rééquilibrer. Je rappelle que notre groupe avait déposé une proposition de loi visant à rééquilibrer la dotation globale de fonctionnement (DGF) : un habitant de la ville bénéficie de deux fois plus qu'un habitant de la campagne. Sans rééquilibrage, la désertification guette certains territoires où les services publics partent en quenouille. On le voit dans bien des domaines, et notamment la santé.

Je rassure mes collègues : loin de moi l'idée de verser au misérabilisme. On vit très bien à la campagne, et c'est bien plutôt au combat que j'appelle.

M. Pierre Médevielle. - Je félicite Mme Billon, qui a su préserver l'esprit de cette proposition de loi, dont je m'étais longuement entretenu avec Pierre Jarlier.

En période électorale, on a toujours tendance à dire que tout va bien, comme l'a fait M. Filleul, évoquant nos beaux villages. Pour moi, il y a plusieurs réalités. J'entends parler de haut débit, de fibre optique, quand certains villages se contenteraient d'un téléphone qui fonctionne correctement.

La baisse des dotations fait planer l'incertitude sur nos territoires. La ruralité vit des heures sombres, victime de réformes territoriales à marche forcée qui n'ont pas été pensées. On fait des mariages forcés et ce n'est qu'ensuite que l'on se demande comment cela va fonctionner. On l'a vu pour les régions. On va le voir pour la fusion des intercommunalités. Nous savons ce qu'est la situation financière des départements, et beaucoup de villages auront le plus grand mal à entretenir leurs équipements. Comment rétablir la confiance ? A mon sens, avec ce type de contrat. J'ai rencontré, récemment, l'ordre régional des experts-comptables : le problème des élus aujourd'hui est le même que celui des chefs d'entreprise ; la confiance n'est plus là, donc les investissements ne se font pas. Cela aura des conséquences catastrophiques sur les entreprises du BTP. On ne rétablira la confiance qu'avec de tels contrats, qui donneront aux élus une visibilité.

M. Hervé Maurey, président. - Merci de ces nombreuses interventions, qui témoignent de notre réactivité sur ces questions. Il a beaucoup été question du numérique, sur lequel nous reviendrons dans les semaines à venir, avec la présentation du rapport du groupe de travail que je signerai avec Patrick Chaize. En matière d'aménagement du territoire, le numérique est un sujet qui revient immanquablement sur la table, comme celui de la démographie médicale. Gardons-nous de tomber dans le misérabilisme, mais gardons-nous aussi d'une vision idyllique qui ne correspondrait pas à la réalité et de chausser, monsieur Filleul, des lunette roses. Le sentiment de mal-être, sur les questions que je viens d'évoquer, est réel, et se manifeste dans les urnes. Un malaise qu'accentue la baisse des dotations, qui touche tous les territoires. J'ai d'ailleurs cru comprendre, en écoutant hier la radio, que l'on ne se bousculait pas, dans les plus hautes instances de l'Etat, pour s'aventurer devant le congrès de l'Association des maires de France. Il semble que ni le Président de la République ni le Premier ministre ne veuillent s'y risquer, ce qui témoigne bien que tout n'est pas rose.

Mme Annick Billon, rapporteure. - M. Leroy a commencé par des compliments, qui précédaient un « mais ». Je rappelle que cette proposition de loi a été déposée par Pierre Jarlier en mai dernier. Beaucoup de textes ont été adoptés depuis, dont la loi NOTRe. Je me suis employée à en tenir compte, ainsi qu'à simplifier le dispositif. La contractualisation reste une démarche volontaire. Vous regrettez la suppression de l'article 2, définissant les territoires ruraux en difficulté. Pour moi, cette définition ne saurait être homogène. Certains territoires ruraux sont très agricoles, d'autres moins. Certains sont même industrialisés. J'ajoute que retenir une définition trop pointue ne permettrait pas de prendre en compte l'évolution des enjeux - voyez le numérique, qui n'en était pas un il y a quinze ans.

Une commission parlementaire n'est pas le lieu pour engager un débat politicien et c'est bien pourquoi je ne me suis pas attardée sur les différentes mesures annoncées par voie de comité interministériel ou autre.

M. Poher, en évoquant les financements, a apporté de l'eau à mon moulin. Vous avez mis en place, dites-vous, des outils qui fonctionnent ? Eh bien, cette proposition de loi ne se donne pas d'autre objectif : mettre en place un outil souple, qui fonctionne. Nous allons dans le même sens.

M. Pointereau a égrené la liste des outils mis en place : ZRR, pôles d'excellence rurale, maisons de santé... Il ne s'agit pas ici de complexifier, mais de proposer un outil aux territoires qui le souhaitent. Les territoires évoluent, c'est pourquoi j'ai souhaité que le dispositif soit calé sur les EPCI, à même d'accompagner ces évolutions. Mon objectif est bien de simplification.

M. Nègre s'inquiète du financement des transports, et regrette que, parmi les contractants possibles, la métropole soit oubliée. Elle ne l'est pas. Ma proposition de rédaction pour l'article 3 mentionne bien, à côté des EPCI, « toute personne publique ou privée ». Loin de moi l'idée d'opposer la ruralité à la ville ou la métropole. Quant à la question du financement, vous aurez compris qu'elle ne peut être abordée dans ce texte, qui se contente de définir un cadre.

Si ce texte est en retard sur ce qui a été voté, monsieur Filleul, c'est qu'il a été déposé en mai dernier. J'ai travaillé à y remédier. Vous vantez les mesures annoncées lors des Assises de la ruralité : je vous répond, de même qu'à Jean-Claude Leroy, que la bataille politicienne n'a pas sa place ici.

Je ne fais pas de misérabilisme. J'ai au contraire souligné que les territoires ruraux et l'agriculture sont notre richesse.

Vous évoquez les pôles d'équilibre territorial et rural. La loi Maptam prévoit qu'ils peuvent constituer le cadre d'une contractualisation : nous ne la trahissons nullement.

M. Jean-Jacques Filleul. - A quoi bon en rajouter sur ce que prévoit déjà la loi ?

Mme Annick Billon, rapporteure. - Personne ici, monsieur Longeot, ne souhaite voir opposer villes et campagnes. Ce texte, que je me suis employée à simplifier, ne fait que mettre en place un outil adapté, à l'image des contrats de villes. Sur le numérique, il est clair qu'il reste un gros travail à faire. C'est une priorité pour le développement économique des territoires.

M. Bérit-Débat regrette la suppression de l'article 2. Mais les critères initialement proposés étaient, au-delà du revenu par habitant, principalement agricoles ; ce n'est pas suffisant. Plutôt que de dresser un inventaire à la Prévert, il m'a semblé plus logique, dès lors que l'on est dans le cadre d'une démarche volontaire, de laisser les mains libres aux territoires, sans préjuger de l'avenir.

M. Benoît Huré. - Ces critères sont le pivot de tous les actes de péréquation et de solidarité. On ne peut pas laisser les territoires les définir à leur gré !

Mme Annick Billon, rapporteure. - Je n'entends pas, monsieur Raison, opposer les territoires entre eux. Il ne s'est agi pour moi que de simplifier, comme en témoignent mes amendements.

Mme Didier voit dans cette proposition de loi une mauvaise réponse à une bonne question. Je rappelle que ce texte a été déposé en mai 2015, avant la loi NOTRe et les Assises de la ruralité. Mon travail a consisté à la remettre à jour, et à proposer un cadre de contractualisation destiné à fixer des objectifs généraux au niveau des territoires. Cette proposition de loi pouvait à mon sens recueillir le consensus, et je remercie M. Médevielle de ses commentaires en défense.

M. Cornu me suit sur la suppression de la mention des syndicats de SCoT, mais s'interroge sur celle de l'article 2. Je le répète, les critères retenus restaient essentiellement agricoles, d'où mon choix, dont je me suis expliquée. C'est bien aux signataires, Monsieur Huré, de définir les moyens qu'ils auront besoin de solliciter. Et ce sont bien les intercommunalités qui sont retenues comme interlocuteur, puisque sont visés les EPCI à fiscalité propre. Délier le dispositif des ZRR ? Je réponds à votre souci par un amendement. Le but de ce texte est de permettre la signature de contrats sans avoir à attendre que les régions soient en place.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 1er

Mme Annick Billon, rapporteure. - Mon amendement n° 2 vise à adapter les objectifs visés par la politique de cohésion territoriale et rurale, inspirés de la politique de la ville, aux spécificités des territoires ruraux. Il vise à renforcer la place de l'aménagement numérique des territoires, à recentrer l'objectif d'accès aux soins, à rappeler l'importance du soutien à l'agriculture et l'industrie et à souligner la nécessité d'un développement équilibré des territoires.

L'amendement n° COM-2 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

Mme Annick Billon, rapporteure. - Mon amendement n° 3 vise à supprimer l'article 2, qui prévoit que les territoires ruraux visés par les contrats territoriaux de développement rural doivent cumulativement être cités dans le périmètre d'un PETR ou à défaut d'un SCoT, être caractérisés par une faible densité de population et un faible revenu par habitant, répondre à des critères de déclin démographique et de recul de l'emploi agricole. Ces critères restrictifs compromettent l'adaptation d'un contrat à chaque territoire et limitent significativement son utilisation par les élus locaux. Ils ne reflètent pas la diversité des difficultés locales : baisse de l'emploi global, sans déclin démographique ; recul de l'activité industrielle ; absence d'infrastructures ou de services publics. Il s'agit, par cet amendement de suppression, de permettre aux parties prenantes d'identifier elles-mêmes les difficultés locales.

M. Gérard Cornu. - Je l'ai dit, la rédaction de cet article ne me convient pas, mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Il est pour moi important de retenir des critères nationaux définissant clairement les territoires ruraux en difficulté. Si on laisse cela à la libre appréciation de chaque territoire, on pourrait voir foisonner les territoires dits en difficulté, au risque d'un saupoudrage des moyens.

La densité de population, le revenu moyen par habitant, à quoi l'on peut ajouter le potentiel fiscal sont, avec le déclin de population, des critères pertinents, quand ils sont faibles, pour définir les territoires ruraux en difficulté. Mon collègue Nègre m'objectera que les communautés d'agglomération comptent des communes très rurales, mais on sait bien que les communes rurales qui ont la chance d'appartenir à une communauté d'agglomération sont aidées.

Je ne voterai pas la suppression de cet article qui, à mon sens, mérite seulement d'être simplifié dans le sens que j'ai indiqué.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Je comprends vos arguments, mais les termes que vous retenez sont imprécis. Une faible densité de population, un faible revenu par habitant : où placez-vous le curseur ?

M. Hervé Maurey, président. - Nous pourrions travailler, d'ici à la séance publique, à un amendement de portée juridique claire.

M. Rémy Pointereau. - Cela rejoint les critères d'éligibilité des ZRR.

M. Jean-Claude Leroy. - Il faut tabler, en effet, sur leur nouvelle définition, en cours d'élaboration.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous propose de voter la suppression de l'article en nous laissant le temps de rédiger un amendement de séance.

M. Ronan Dantec. - Mieux vaut faire l'inverse. Quid si l'amendement n'est pas voté en séance ?

M. Jean-Claude Leroy. - Nous ne pouvons souscrire à la suppression.

L'amendement n° COM-3 est retiré.

M. Ronan Dantec. - Les parcs naturels régionaux, garants de la cohérence des engagements des collectivités et de leurs groupements, doivent pouvoir porter un contrat de développement territorial. Tel est le sens de mon amendement n° 1. Evitons de multiplier les structures, dans un souci de cohérence de l'action publique, et de disperser les moyens financiers et humains.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Votre amendement est satisfait puisque la rédaction que je propose à l'article 3 vise aussi « toute autre personne publique ou privée ».

L'amendement n° COM-1 est retiré.

L'article 2 est adopté sans modification.

Article 3

Mme Annick Billon, rapporteure. - Mon amendement n° 4 prévoit qu'en l'absence d'un pôle d'équilibre territorial et rural, un contrat territorial de développement rural peut être signé directement avec un EPCI à fiscalité propre, au lieu d'un syndicat responsable de SCoT. Je m'en suis expliquée. Sans compter que l'évolution de la carte intercommunale pourra amener un PETR à se transformer en EPCI à fiscalité propre : il convient de préserver la possibilité, pour l'État, de conclure un contrat avec une telle structure.

L'amendement n° COM-4 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

Mme Annick Billon, rapporteure. - Mon amendement n° 5 vise à supprimer cet article, dont nous venons d'intégrer les dispositions à l'article 3.

L'amendement n°COM-5 est adopté et l'article 4 est supprimé.

Article 5

Mme Annick Billon, rapporteure. - Mon amendement n° 6 vise à simplifier la procédure d'élaboration du contrat territorial de développement rural et à mettre en cohérence l'article 5 avec les autres dispositions de la proposition de loi. Il intègre également la référence au soutien de l'État en matière d'ingénierie territoriale, pour appuyer les communes qui manquent de ces moyens.

L'amendement n° COM-6 est adopté.

L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 6

Mme Annick Billon, rapporteure. - Mon amendement n° 7 est de simplification : c'est une évidence que ce sont les parties au contrat qui le signent.

L'amendement n° COM-7 est adopté et l'article 6 est supprimé.

Article 7

Mme Annick Billon, rapporteure. - Même souci avec mon amendement n° 8 : les responsabilités des parties prenantes font évidemment partie du contrat.

L'amendement n° COM-8 est adopté et l'article 7 est supprimé.

Article 8

L'amendement rédactionnel n° COM-9 est adopté.

L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 9

Mme Annick Billon, rapporteure. - L'article 9 prévoit un gel du dispositif des ZRR pour un territoire faisant l'objet d'un contrat de développement. Le régime des ZRR relève plutôt du domaine de la loi de finances, d'où mon amendement de suppression.

M. Rémy Pointereau. - Je ne vous suis pas. Si un contrat de développement est signé pour un territoire dont une partie est en ZRR et pas l'autre, comment se mettra-t-il en place ?

Mme Annick Billon, rapporteure. - Cela ne met pas en cause l'existence de la ZRR. C'est seulement en termes d'obligation de durée que l'article 9 liait les deux dispositifs.

M. Rémy Pointereau. - Cela paraît logique. Les ZRR portent sur des territoires en réelle difficulté. Les critères d'éligibilité, parmi lesquels on trouve le potentiel fiscal ou le nombre d'employés dans l'agriculture, témoignent d'une réelle volonté d'assurer la cohérence du territoire.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Les deux dispositifs sont distincts. Les ZRR n'auront pas besoin d'un contrat de développement pour fonctionner. J'ajoute que leur réforme est en cours : mieux vaut ne pas les mentionner ici.

M. Hervé Maurey, président. - L'intention de Pierre Jarlier était d'éviter tout impact du nouveau dispositif sur celui des ZRR. Mais notre rapporteure, en supprimant cet article, ne touche en rien aux ZRR.

Mme Annick Billon, rapporteure. - On ne supprimera pas les ZRR en votant cet amendement de suppression. Mon souci n'est autre que de simplification. Sans compter que cela poserait problème, dès lors qu'une réforme des ZRR est en cours, de les mentionner ici.

M. Hervé Maurey, président. - Une proposition de loi examinée dans le cadre de l'ordre du jour réservé doit être ramassée si l'on veut parvenir au bout de la discussion. J'attire votre attention là-dessus.

M. Hervé Poher. - Des esprits méfiants pourraient néanmoins considérer que les cartes sont rebattues. Maintenir l'article, c'est s'assurer que ce qui a été signé avant ces contrats sera maintenu.

M. Benoît Huré. - Je vous rejoins. Connaissant les services de Bercy, je sais qu'ils savent tirer profit de toute brèche. Ne leur donnons pas l'occasion d'entailler le dispositif des ZRR.

J'ai le sentiment que notre travail sur ce texte revient à regarder l'aménagement du territoire par le petit bout de la lorgnette, et je doute de ses effets positifs sur les territoires. On aurait pu avoir plus d'ambition. « Tout ça pour ça », vont se dire les élus.

M. Hervé Maurey, président. - Cette proposition de loi ne se prétend pas la grande loi d'aménagement du territoire que j'aimerais nous voir un jour capables de bâtir. Elle ne vise qu'à apporter aux territoires ruraux un outil comparable à ce qui existe pour les territoires urbains.

L'amendement n° COM-10 n'est pas adopté.

L'article 9 est adopté sans modification.

Article 10

L'amendement de conséquence n° COM-11 est adopté et l'article 10 est supprimé.

M. Rémy Pointereau. - Je disais tout à l'heure « oui, mais » : au terme de nos discussions, je pencherais plutôt vers le non, ou du moins l'abstention. A quoi bon ce texte sans moyens supplémentaires ? Faut-il une loi, de surcroît, pour mettre en place un contrat territorial ? Cela n'a pas été le cas pour les pôles d'excellence rurale, ni pour les ZRR. Où est la simplification ?

Par solidarité avec le groupe UDI-UC, nous voterons ce texte en commission, mais cela ne préjuge en rien de ce qu'il en sera en séance, où il y aura sans nul doute débat. A titre personnel, je pencherais plutôt vers l'abstention. Entre deux maux, il faut choisir le moindre. Le texte initial ne convenait pas, les amendements de notre rapporteure l'améliorent certes un peu mais au total, j'estime qu'il n'apportera pas grand chose. Cela dit, nous le laisserons prospérer, pour que le débat ait lieu en séance.

M. Jean-Jacques Filleul. - J'en suis désolé pour notre rapporteure, mais nous ne voterons pas ce texte, qui n'apporte rien. On peut s'organiser sans lui.

M. Alain Fouché. - Pour ma part, je voterai ce texte, qui procède d'une volonté de simplification louable. Les territoires ruraux évoluent, ainsi qu'en témoigne le sujet devenu essentiel du numérique. Cette proposition de loi ne vise pas à autre chose qu'à mettre en place des dispositions qui existent déjà pour les territoires urbains. Elle est sans doute appelée à évoluer en séance mais j'y suis, en tout état de cause, favorable.

M. Gérard Cornu. - Je suis sensible, moi aussi, au souci de simplification de notre rapporteure. Je voterai ce texte en commission, par solidarité, mais cela ne préjuge pas de mon vote final. Tout dépendra de nos discussions en séance. Je serai notamment très attentif à l'amendement que vous nous proposerez à l'article 2 ainsi qu'à l'article 9.

M. Guillaume Arnell. - Depuis un an que je suis sénateur, je suis sensible aux positions de mon collègue Alain Bertrand sur la ruralité et l'hyper-ruralité. Mais nos discussions de ce matin ne m'ont pas totalement convaincu de l'utilité de ce texte. Je m'abstiendrai, sans préjuger de ce que sera la position de notre groupe du RDSE en séance.

M. Hervé Maurey, président. - Il vous appartient de faire évoluer ce texte en séance publique, afin qu'il réponde à vos attentes. Profitez de ce véhicule sur des questions qui nous intéressent de près.

Mme Annick Billon, rapporteure. - J'ai fait mon travail de rapporteure sur ce texte dont je rappelle que l'initiative revient à Pierre Jarlier. Si nous sommes sénateurs, c'est bien pour défendre nos territoires. L'intention de ce texte est à mon sens de mettre en place un outil au service de ces territoires. Il me semble que cela pourrait faire consensus. Mon souci a été de mise à jour et de simplification. A chacun de se déterminer en séance.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la prévention des risques - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Hervé Maurey, président. - Michel Raison nous présente son rapport sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la prévention des risques. Je le remercie d'avoir accepté d'être rapporteur de ce texte extrêmement technique, et parfois frustrant en raison de la marge de manoeuvre limitée dont nous disposons sur ces transpositions. Je vous indique d'ailleurs qu'aucun amendement extérieur n'a été déposé, nous étudierons donc uniquement les quelques modifications qui seront proposées par le rapporteur.

M. Michel Raison, rapporteur. - Hervé Maurey l'a rappelé : notre marge de manoeuvre, déjà peu importante en matière de transposition de textes européens, est considérablement limitée par le temps bien insuffisant qui nous est imparti pour examiner un texte d'une nature aussi technique et recouvrant des sujets aussi variés. Nombre de rapporteurs connaissent bien ce problème...

Ce projet de loi est en réalité le deuxième « Ddadue » examiné par le Parlement dans le domaine de l'environnement. Le premier de ces textes était la loi du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable qui a, pour ainsi dire, inauguré une ère nouvelle pour les politiques publiques environnementales, en les faisant devenir un champ à part entière de transposition du droit européen, d'action et d'harmonisation des règlementations nationales en la matière.

Notre collègue Odette Herviaux, qui était alors rapporteure de ce texte pour notre commission, avait déjà souligné à l'époque que ce projet de loi recouvrait quasiment tous les contours du champ de compétences de notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, c'est-à-dire l'environnement, les transports et certains aspects des politiques énergétiques.

Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui se concentre, lui, sur le sujet de la prévention des risques et poursuit donc l'oeuvre de transposition commencée en 2013. Il a pour objectif de transposer dans notre droit un certain nombre de dispositions issues de directives européennes et de l'adapter à d'autres dispositions issues de règlements européens.

À titre principal, il transpose deux directives récentes visant à améliorer la prévention des risques :

- la directive du Parlement européen et du Conseil du 12 juin 2013 relative à la sécurité des opérations pétrolières et gazières en mer, dite « directive offshore », adoptée à la suite de l'accident survenu sur la plate-forme mobile Deepwater Horizon le 20 avril 2010 dans le Golfe du Mexique ;

- la directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2015, qui a modifié la directive n° 2001/18 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés (OGM) dans l'environnement.

Il adapte en outre notre droit national à la règlementation européenne en matière de produits et équipements à risques, de prévention et de gestion des déchets et de produits chimiques.

Cela a été rappelé, les lois de transposition peuvent procurer un sentiment de frustration en raison de leur double dimension : l'importance des sujets abordés par rapport à la faiblesse de la marge de manoeuvre. D'autant que nous avons l'obligation de transposer ces directives européennes en en respectant la lettre et l'esprit, sous peine de sanctions financières importantes !

Chacun des titres du projet de loi constitue un sujet à part entière et un champ important de l'activité de notre commission, ce qui fait que j'ai été tenté - et nous le sommes tous j'imagine - de rouvrir plus largement certains sujets qui, à mon sens, méritent de l'être - je pense notamment à la question des OGM. L'objectif est cependant tout autre : s'en tenir avec rigueur aux dispositions des textes européens - pas plus, pas moins - et ne pas tomber dans l'écueil d'une « surtransposition » qui ne ferait qu'ajouter à la légendaire complexité franco-française.

J'ai décidé de rencontrer les professionnels des secteurs concernés afin qu'ils me fassent part de leurs difficultés et de la manière dont ils étaient impactés, concrètement, par ces règlementations européennes. Je voudrais que notre priorité, étant donné le peu de latitude que nous avons pour transposer des textes déjà votés au niveau européen, soit de ne pas imposer de contraintes supplémentaires inutiles aux différents acteurs. Un mot d'ordre donc : de la simplification !

S'il est fondamental aujourd'hui de renforcer la sécurité dans un certain nombre de secteurs comme les opérations pétrolières et gazières, ou encore les produits chimiques et les équipements à risques, nous devons veiller à ne pas complexifier davantage le droit existant ni alourdir les procédures et les démarches administratives pour les différents opérateurs économiques.

Je vous rappellerai que, si nous pouvons regretter le calendrier particulièrement serré d'examen du texte, nous sommes pris par une contrainte : la date de transposition de la directive relative à la sécurité des opérations pétrolières et gazières en mer était fixée au 19 juillet 2015 et les mesures transitoires en ce qui concerne la possibilité pour les États membres de restreindre ou d'interdire la culture d'organismes génétiquement modifiés (OGM) sur leur territoire étaient en vigueur jusqu'au 3 octobre 2015. La transposition de ces différentes dispositions dans notre droit national doit donc intervenir rapidement.

Le titre Ier du projet de loi, qui regroupe les articles 1 à 10, vise essentiellement à transposer les dispositions de la directive offshore du 12 juin 2013, relatives à la sécurité des opérations pétrolières et gazières en mer. L'accident de Macondo, dans le golfe du Mexique, en avril 2010, a conduit toutes les compagnies à des révisions systématiques des installations existantes, des évolutions de la conception des installations en fond de mer et un renforcement des bonnes pratiques. Notre vigilance ne doit pas pour autant se relâcher, notamment dans les environnements fragiles comme l'Arctique, qui suscite de plus en plus de convoitise. Une modernisation du cadre juridique sur la question de la sûreté des opérations de forage d'hydrocarbures en mer se justifie d'autant plus que le cadre législatif qui régit ces activités est ancien et mal adapté.

Pour cette raison, les articles 1 et 2 apportent des garanties supplémentaires quant aux capacités techniques et financières que doivent posséder les entreprises pour faire face aux risques et aux conséquences de leurs projets. L'article 3 prévoit que les autorités publiques disposent, dès la demande d'autorisation de travaux, d'un rapport sur les dangers majeurs particulièrement fouillé en ce qui concerne les risques environnementaux. L'article 4 lui adjoint un programme de vérification indépendante des installations. L'article 5 permet à l'administration d'exiger un rapport sur les circonstances de tout accident majeur survenu hors de l'Union Européenne sur une plateforme offshore d'une entreprise enregistrée sur le territoire national. L'article 6 précise que l'exploitant devra prendre en charge les frais d'intendance supportés par l'administration lors de l'inspection d'une installation offshore, ce qui correspond à une pratique déjà existante chez les industriels de l'offshore. L'article 6 bis, inséré par les députés, aligne les sanctions pénales pour les infractions offshore sur celles prévues onshore. L'article 7 introduit des dérogations de bon sens à l'interdiction de pénétrer dans la zone de sécurité définie autour des installations offshore, par exemple pour les navires en situation de détresse ou ceux chargés de l'inspection de cette zone. L'article 8 étend le champ d'application du principe pollueur-payeur à la pollution des eaux marines. Enfin, l'article 10 organise l'extension de ces dispositions à Wallis-et-Futuna et dans les TAAF. Toutes ces dispositions sont la transposition fidèle de la directive du 12 juin 2013 : je ne proposerai donc aucune modification.

Reste un article relatif aux stockages souterrains d'hydrocarbures et de gaz naturel. Depuis la transposition en droit français de la directive Seveso III, ces stockages relèvent de la législation sur les installations classées, les ICPE, et non plus du code minier. L'article 9 procède donc à quelques coordinations manquantes afin que ce régime s'applique pleinement à ces stockages. S'il n'appelle pas de commentaire à première vue, les représentants de l'industrie gazière que j'ai entendus m'ont fait part de leur inquiétude quant à l'application à venir de la législation sur les ICPE. Compte tenu des spécificités des activités de stockage souterrain, il semble plus adapté de maintenir les phases d'arrêt de l'exploitation et de suivi de l'après-mines dans le champ du code minier. Ces deux phases soulèvent en effet des problématiques de gestion du sous-sol profond - notamment en raison du stockage dans des puits, des cavités creusées dans le sel, ou encore des formations géologiques poreuses-, qui relèvent pleinement des activités minières et sont mieux encadrées par le code minier. Je vous proposerai donc un amendement en ce sens.

Le titre II comprend trois articles qui transposent des dispositions relatives aux produits et équipements à risques. Les articles 11 et 12 précisent le champ de contrôle des autorités et les sanctions applicables en matière de produits et équipements à risque en transposant les directives du 15 mai 2014 relative à l'harmonisation des législations des États membres concernant la mise à disposition sur le marché des équipements sous pression et du 23 juillet 2014 relative aux équipements marins. Ces directives ont pour objet de renforcer la sécurité maritime et la prévention de la pollution des milieux marins. L'article 12 bis, inséré en commission à l'Assemblée nationale, précise les modalités d'accès des agents chargés de la surveillance du marché des équipements marins aux espaces clos et aux locaux des opérateurs économiques. Sur ces articles, je vous proposerai d'adopter quatre amendements corrigeant des erreurs rédactionnelles ou de coordination.

Le titre III, relatif aux produits chimiques, comprend cinq articles. L'article 13 adapte le droit national au règlement du 16 avril 2014 relatif aux gaz à effet de serre fluorés, entré en vigueur au 1er janvier 2015.

Les articles 14 à 16 concernent les produits biocides, qui sont utilisés pour lutter contre les organismes nuisibles pour l'homme, les animaux ou l'environnement, dans un but d'hygiène générale ou de santé publique. Ils sont le « pendant » des produits phytosanitaires en agriculture, mais relèvent d'une réglementation européenne distincte.

Le règlement du 22 mai 2012 prévoit une autorisation des biocides en deux temps, comme pour les phytosanitaires : tout d'abord, l'agence européenne des produits chimiques évalue les substances, qui sont ensuite autorisées par la Commission européenne ; ensuite, les produits incorporant ces substances doivent être évalués et autorisés par chaque Etat membre pour obtenir une autorisation de mise sur le marché.

En France, le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie délivre les autorisations sur la base des avis transmis par l'Anses, autorité chargée de l'évaluation.

Le projet de loi propose de modifier les compétences de l'Anses, afin que cette agence réalise non seulement les évaluations de produits biocides, mais procède également à la délivrance, à la modification et au retrait des autorisations de mise sur le marché.

Nos collègues du groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale ont posé la question de l'opportunité et de l'utilité de ces dispositions. Lors de l'examen de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, le Gouvernement a proposé de réaliser ce même transfert de compétence en matière de phytosanitaires, ce qui avait provoqué de vifs débats. Si nous n'avons pas aujourd'hui de recul sur ces dispositions, qui sont entrées en vigueur le 1er juillet, elles ne semblent pas inquiéter les acteurs.

Plusieurs raisons me conduisent à vous proposer d'adopter ces articles sans modification. Ce dispositif prévoit que le ministre conserve un pouvoir de dérogation ou de veto. Dans l'ancien système, les autorisations étaient données automatiquement par le ministère après avis positif de l'Anses. L'enjeu consiste à pouvoir modifier ou retirer une autorisation, en cas d'apparition d'un nouveau risque par exemple. N'oublions pas que le problème, avec les produits dangereux, est toujours le même : il faut trouver un produit remplaçant et être sûr que lui-même n'est pas dangereux...

Par ailleurs, l'Anses a d'ores et déjà réorganisé ses directions pour mettre en oeuvre ses nouvelles compétences en matière de produits phytosanitaires : l'évaluation du risque et la gestion du risque sont rigoureusement séparées. L'agence est donc prête à exercer cette nouvelle mission pour les biocides aussi.

Enfin, ce transfert de compétences simplifie la procédure pour les firmes commercialisant ces produits, les entreprises et les services publics utilisant des biocides : cela permettra de réduire les délais de mise sur le marché, ce qui me semble une bonne chose.

Je vous propose donc de voter ces articles sans modification.

Le titre IV transpose la directive du 11 mars 2015 relative à la possibilité pour les États membres de restreindre ou d'interdire la culture d'organismes génétiquement modifiés (OGM) sur leur territoire.

Vous connaissez tous le contexte de cette directive : les autorisations de mise sur le marché d'OGM sont aujourd'hui bloquées au niveau européen en raison des divergences entre les différents États membres. Les États ne pouvaient s'opposer aux autorisations délivrées qu'en invoquant des mesures d'urgence ou des clauses de sauvegarde, qui étaient sources de contentieux, comme cela a pu être le cas pour la France.

La directive de 2015 vise à résoudre ces difficultés en laissant aux États la possibilité d'interdire la culture d'OGM sur leur territoire, sur la base de critères d'intérêt général, à savoir la politique environnementale, des critères sociaux, économiques, agricoles, ou encore l'ordre public, ce que je trouve assez éloigné d'une objectivité scientifique. Je suis choqué qu'on puisse interdire la culture d'OGM au prétexte que cela troublerait l'ordre public, même si je soupçonne la France d'être à l'origine de cette demande auprès du parlement européen. Je pense à ces fameux champs d'OGM plantés par l'INRA : ils ont été honteusement détruits et les auteurs de ces actes sont restés tout aussi honteusement impunis... L'objectif est donc de débloquer de cette manière le processus européen d'autorisation des OGM.

Les articles 18 et 19 du projet de loi modifient donc le code de l'environnement et le code rural afin d'inscrire dans notre droit la nouvelle procédure qui se décline en deux phases : premièrement, la France peut demander au pétitionnaire que sa demande d'autorisation d'un OGM n'inclue pas le territoire national. En cas de refus du pétitionnaire, ou si la France n'a pas formulé de demande en phase 1, l'État pourra restreindre ou interdire la mise en culture de l'OGM en question sur le territoire national pour les motifs cités précédemment.

Nous n'avons pas d'autre choix que de transposer cette directive. Cette transposition m'inspire toutefois quelques regrets, ou tout au moins quelques interrogations.

Cette directive marque, d'une certaine manière, l'abandon du principe pourtant fondamental en droit européen d'application uniforme et harmonisée des réglementations. Nous réclamons l'harmonisation sur beaucoup de sujets : nous voilà dans la démarche inverse, c'est rare... Avec ce texte, certains États cultiveront des OGM, d'autres non. Les autorisations ne seront plus délivrées pour l'Europe entière. Il est regrettable que la situation de blocage dans laquelle nous nous trouvons actuellement conduise à revoir notre ambition européenne à la baisse.

Pour autant, je veux rester positif, et j'espère que la mise en oeuvre de cette directive se traduira par une sortie de la paralysie, même si la France a pour sa part déjà annoncé, sans attendre le vote de ce texte, qu'elle souhaitait exclure son territoire de la mise sur le marché d'une dizaine d'OGM en cours d'évaluation.

Ce texte pose par ailleurs la question cruciale du seuil d'OGM autorisé dans les semences et les produits : il y a de nombreux débats, vous le savez, sur le seuil accepté dans les semences et produits conventionnels. Avec une mise en oeuvre différenciée des autorisations de mise sur le marché d'OGM entre les États membres, et une circulation toujours plus grande des semences entre les États, cette question va retrouver toute son importance. Le projet de loi que nous examinons n'est pas le lieu pour avoir ce débat, mais j'espère que les discussions, et en particulier les discussions techniques sur la mesure des seuils, vont pouvoir aboutir dans un futur proche.

Je vous proposerai un seul amendement sur ce volet : la suppression d'une demande de rapport à l'article 19 ter sur les risques de contamination des cultures conventionnelles et biologiques. Nous avons eu une position assez constante sur les demandes de rapport dans les textes examinés récemment, et je sais que notre collègue Gérard Cornu sera sensible à cet amendement. (Sourires) Je me sens d'autant plus convaincu de la nécessité de supprimer ce rapport que le Haut Conseil des biotechnologies va travailler sur le sujet et remettra une étude. Evitons les doublons inutiles...

Le titre V procède à une simplification de procédure en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, pour les entreprises dont le régime administratif change à la suite d'une modification de la nomenclature des ICPE.

Le titre VI comprend un article unique inséré par le Gouvernement en séance publique à l'Assemblée nationale, qui vise à actualiser la transposition de la directive du 13 octobre 2003 relative au système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SEQE) dans la Communauté et de ses textes d'application, au regard des nouvelles règles applicables à la « troisième période » qui a débuté en 2013. Je vous proposerai un amendement rédactionnel sur cet article.

En conclusion, je dirai que la France se doit d'être exemplaire en matière de transposition, particulièrement sur des sujets très sensibles comme les risques environnementaux.

Mme Odette Herviaux. - Je souhaite féliciter notre rapporteur pour le travail de précision qu'il a mené sur ce texte. J'y suis d'autant plus sensible que pour avoir été rapporteure d'un projet de loi Ddadue, j'en connais bien les écueils...

Je partage tout à fait votre conclusion : la transposition doit être la plus exacte possible, nous devons nous y tenir. Le débat de fond sur les hydrocarbures a été long et houleux au parlement européen. Entre la volonté d'anticiper de grands risques, ce qui fait peser une sévérité trop importante sur les entreprises, et un laxisme qui pourrait nous conduire à des catastrophes environnementales aux conséquences dramatiques, l'équilibre est ténu.

En ce qui concerne les industries pétrolières et gazières, la sécurité des opérations en mer est renforcée par le texte. Il me semble que les garanties techniques et financières qui sont exigées sont normales au vu des enjeux d'un éventuel problème.

Les députés ont inséré un article 6 bis relatif aux sanctions en cas de non-respect de règles relatives aux demandes de titres miniers. Sur ce sujet, la position du groupe socialiste et républicain est proche de la vôtre, et pourtant, nous sommes contre l'amendement que vous proposez. Il nous semble important que l'ensemble des activités de stockage d'hydrocarbures et de gaz continuent d'être régies par les ICPE, et non par le code minier comme vous le proposez. En effet, avec le régime des ICPE, les entreprises endossent la responsabilité de la surveillance accrue du stockage, et financent cette surveillance pendant trente ans - ce sont de grosses entreprises, elles en ont les moyens. Si ces dispositions sont transférées dans le code minier, c'est alors à l'Etat d'assumer cette responsabilité, pour une durée de dix ans seulement. Ne faisons pas trop de cadeaux aux entreprises !

Mme Nelly Tocqueville. - Je remercie à mon tour notre collègue pour ces explications techniques. Certes, l'exercice de transposition ne nous permet pas une grande marge de manoeuvre ; il nous laisse cependant le choix des moyens de mise en oeuvre de la directive, ce qui est positif.

Pour les OGM, l'objectif de ce projet de loi a été rappelé, il s'agit de pallier les manques constatés dans la directive de 2001. Se posait notamment le problème de la majorité qualifiée, qui n'a d'ailleurs jamais été atteinte il me semble.

Il me semble qu'il existe d'autres raisons de restreindre ou d'interdire la mise en culture de certains OGM sur le territoire national que celles que vous avez mentionnées : la politique agricole, le risque pour les sols, les incidences socio-économiques...

Si je n'ai aucune autre observation à faire sur l'ensemble des articles, je m'interroge tout de même sur la proposition de suppression de la demande de rapport à l'article 19 ter. Pourquoi donc le supprimer ? Le sujet me paraît important...

Votre exposé ne mentionne pas non plus le problème de la gestion des risques dans les zones transfrontalières : quelles garanties peuvent être demandées par un Etat ?

Concernant les biocides, il est important que le politique garde la main : c'est le sens de vos travaux, et je m'en réjouis.

Enfin, je note l'apport substantiel de nos collègues députés à l'article 18 sur le sujet de la participation du public.

M. Jean Bizet. - J'interviendrai uniquement sur le sujet des biotechnologies vertes.

Je voterai ce texte, puisque nous sommes dans l'obligation de transposer les directives européennes, mais sans enthousiasme. La volonté de simplification qui a animé vos travaux va dans le bon sens pour mieux légiférer. Je vais d'ailleurs déposer demain, avec mon collègue Simon Sutour, une proposition de résolution à ce sujet.

Force est de constater que la directive de 2015 fait montre d'un certain manque de courage politique. Malgré la possibilité de mise en oeuvre d'une clause de sauvegarde - ce qui permettra d'ailleurs de déjuger des autorités sanitaires scientifiques comme l'Anses, disons-le clairement -, on peut craindre des effets collatéraux néfastes, et en particulier une distorsion de concurrence entre les Etats membres. Nous connaissons d'ailleurs déjà le problème avec la filière porcine espagnole. On assiste également à un « détricotage » de la politique agricole commune : cela me semble assez ennuyeux... Attendons quelques années pour tirer les premières conclusions, mais pour l'heure, cette directive ne satisfait personne. J'en profite pour mentionner que la proposition de directive sur la limitation de l'importation d'OGM venant d'autres pays mise au vote hier au parlement européen a été rejetée très brutalement, à la fois par la commission de l'environnement et par la commission de l'agriculture. Ce sujet qui provoque des crispations en France ne pose pas tant de problèmes dans d'autres pays : nous sommes seuls contre tous, mais nous voulons à tout prix avoir raison...

Cependant, je salue les propositions de notre rapporteur sur ce texte, qui vont dans le bon sens. Ses analyses sont très justes.

M. Alain Fouché. - Cet exposé était très clair : merci monsieur le rapporteur. Je souhaite revenir sur le sujet des opérations pétrolières : quels en seront véritablement les contrôles ? quelles dispositions pour sanctionner le non-respect des règles ? Par exemple, il me semble qu'il est interdit de puiser du pétrole en Arctique. Pourtant, Total contourne l'interdiction en missionnant des navires russes qui ramènent le pétrole dans des ports nordiques où il est récupéré et acheminé en France. Total est-il une puissance industrielle intouchable ?

J'ai déjà interrogé Ségolène Royal sur ce sujet grave et important, mais je n'ai pas obtenu de réponse ; je la solliciterai à nouveau car la situation me semble, actuellement, loin d'être satisfaisante.

M. Ronan Dantec. - Je rends à mon tour hommage à notre rapporteur pour le travail qu'il a fourni : un Ddadue, c'est compliqué car très réglementé, mais il a su y injecter une volonté politique.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce texte ; je vais m'en tenir à l'essentiel. Les grandes entreprises doivent maintenant prouver leurs capacités à gérer d'éventuels dommages environnementaux, c'est très intéressant et ça change profondément la donne économique de certaines activités. Alors oui, ça peut créer certaines distorsions de concurrence... mais dans l'ensemble, ces avancées me paraissent positives.

Sur le sujet des biocides, le texte a été considérablement amélioré par nos collègues écologistes de l'Assemblée nationale.

Odette Herviaux a tenu un argumentaire très précis sur l'absence d'intérêt, voire les conséquences dommageables, à troquer la réglementation des ICPE contre celle du code minier. J'y souscris pleinement.

Enfin, et une fois n'est pas coutume, mon avis sur les OGM rejoint celui de notre collègue Jean Bizet. Il a dû nous quitter, mais si on pouvait le lui faire savoir... (Sourires) Personne n'est content du compromis choisi par l'Europe !

On passe trop souvent sur le sujet de la contamination transfrontalière, qui est complexe : traverser la frontière, trouver le responsable et chiffrer les dommages environnementaux devient très compliqué. L'Europe devrait adopter une position forte contre le développement des OGM. Là se situe peut-être un léger désaccord avec Jean Bizet, je soutiendrai fermement les amendements du groupe écologiste visant à renforcer l'étiquetage des produits et l'information du consommateur. Il me semble d'ailleurs que c'est l'un des meilleurs moyens de lutter contre la distorsion de concurrence ! Nous savons qu'en France, les consommateurs ont tendance à privilégier des produits sans OGM. Il existe d'ailleurs des raisons objectives d'être « anti-OGM » : ces raisons sont scientifiques, et pas obscurantistes comme on l'entend parfois... D'ailleurs, à titre personnel, je pense que la filière porcine bretonne gagnerait à ne plus s'adosser à des productions OGM.

Nous sommes d'accord, l'Europe a opté pour un compromis qui ne satisfait personne. Laissons les consommateurs être arbitres, et donnons-leur les moyens de faire un choix éclairé en toute transparence. J'espère donc que notre collègue Jean Bizet votera mon amendement sur l'étiquetage...

Mme Chantal Jouanno. - Bien sûr !

M. Michel Raison, rapporteur. - Je voudrais ajouter un élément à notre débat : pour une fois dans cet exercice de transposition, sur la partie pétrolière, nous sommes sur quelque chose de très concret. Il n'y a là aucune idéologie : nous sommes face à du risque avéré. Nous avons le devoir de prendre le maximum de précaution, non seulement pour l'environnement mais aussi pour la sécurité des personnes.

Pour répondre à notre collègue Nelly Tocqueville, sur les motifs qu'un Etat membre peut invoquer pour interdire les OGM, j'avais cité les motifs socio-économiques. J'ajoute qu'en ce qui concerne la participation du public à l'article 18, il s'agit d'une obligation constitutionnelle.

Quelques mots sur les OGM par rapport à ce que vient de dire notre collègue Ronan Dantec. En ce qui concerne les amendements qu'avaient déposés vos collègues écologistes à l'Assemblée nationale sur la question de l'étiquetage, nous sommes bien là dans la surtransposition. Le débat sur l'étiquetage doit être européen. Une directive européenne est d'ailleurs en préparation. Il y a un risque à surtransposer à l'échelon national sur ce sujet, et surtout si on le fait de manière non scientifique.

Deuxièmement, je crois qu'il nous faut raisonner OGM par OGM. Il est trop facile de présenter uniformément les OGM comme des plantes qui résistent aux herbicides. Oui, un certain nombre d'OGM sont des plantes qui résistent aux herbicides - les plus classiques sont le colza et le soja. À titre personnel, je ne suis pas un grand défenseur de ce type d'OGM car c'est vrai qu'ils n'apportent pas grand-chose, ni au consommateur ni au producteur. En revanche, il y a des OGM qui peuvent nous apporter des réponses, en particulier dans certaines parties du monde, comme par exemple un riz qui peut se cultiver avec très peu d'eau ou un riz qui peut devenir riche en vitamine A, alors qu'on sait que les populations qui consomment le plus de riz ont des problèmes de cécité liés à un manque de vitamine A. Ne généralisons pas le discours sur les OGM.

M. Hervé Maurey, président. - Nous en venons maintenant aux amendements. Vous aurez compris que c'est parce que ce texte est compliqué que nous avons fait appel à un rapporteur de talent.

Les articles 1er, 2, 3, 4, 5, 6, 6 bis, 7 et 8 sont adoptés sans modification.

Article 9

M. Michel Raison, rapporteur. - Sur mon amendement, je ne suis pas en complet désaccord avec notre collègue Odette Herviaux. Je propose néanmoins de le maintenir, tout en sachant que je ne suis pas arc-bouté par principe sur cette position. Ce qui m'intéresse, c'est surtout d'avoir une réponse de la ministre sur ce sujet.

Mme Évelyne Didier. - Je rejoins les préoccupations de notre collègue Odette Herviaux. Lorsqu'on a donné la responsabilité des fins de concession à l'Etat, c'est qu'il y avait eu des défaillances du côté des entreprises. Il n'empêche que c'est un passage de témoin entre deux entreprises. Or, on sait que les entreprises refusent le risque et préfèrent laisser la responsabilité à l'Etat. Je suis donc moi aussi impatiente d'entendre la réponse de la ministre sur ce sujet.

M. Michel Raison, rapporteur. - Nous savons déjà qu'elle ne sera pas favorable à l'amendement.

Mme Chantal Jouanno. - Il serait préférable que l'amendement soit retiré et redéposé pour la séance.

M. Michel Raison, rapporteur. - Il peut être voté ici, je ne le retire pas.

L'amendement COM-7 n'est pas adopté.

L'article 9 est adopté sans modification.

L'article 10 est adopté sans modification.

Article 11

Les amendements COM-4, COM-1 et COM-2 sont adoptés.

L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 12

L'amendement COM-5 est adopté.

L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Les articles 12 bis, 13 et 14 sont adoptés sans modification.

Article 15

L'amendement COM-9 est adopté.

L'article 15 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Les articles 16 et 17 sont adoptés sans modification.

Article 18

L'amendement COM-8 est adopté.

L'article 18 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Les articles 19 et 19 bis sont adoptés sans modification.

Article 19 ter

M. Michel Raison, rapporteur. - Mon amendement vise à supprimer un rapport. Je suis d'accord sur la nécessité de regarder la situation dans les zones transfrontalières. Mais ce rapport est déjà prévu par le Haut Conseil des biotechnologies. Il sera fait. Nul besoin d'en redemander un autre.

M. Ronan Dantec. - Je trouve maladroit de supprimer cet article puisque, d'un côté, on dit qu'il faut un maximum de transparence et de l'autre, dès qu'on demande davantage de transparence et, de débat public, vous votez contre. Vous contribuez ainsi à ce qui fait que le débat ne peut pas avancer. Ici, il s'agit de renforcer le travail du Haut Conseil des biotechnologies.

M. Michel Raison, rapporteur. - Je peux vous assurer que moi aussi je souhaite de la transparence sur ce sujet. Et je fais confiance au Haut Conseil des biotechnologies.

M. Jean-Jacques Filleul. - Nous ne sommes pas pour les rapports systématiques. Mais ce rapport nous semble important ; il peut être déterminant pour les zones frontalières. Nous voterons contre l'amendement du rapporteur, mais pour le projet de loi.

M. Pierre Médevielle. - En tant que membre du Haut Conseil des biotechnologies, je pense qu'il n'est pas inutile d'avoir un rapport supplémentaire sur ce sujet. Tous les éclaircissements sont les bienvenus.

L'amendement COM-6 n'est pas adopté.

L'article 19 ter est adopté sans modification.

L'article 20 est adopté sans modification.

Article 21

L'amendement COM-3 est adopté.

L'article 21 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La réunion est levée à 12 h 05.