Mercredi 16 mars 2016

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

Article 13 de la Constitution - Audition de M. Jean-Christophe Niel, candidat proposé aux fonctions de Directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire

La réunion est ouverte à 9h30.

La commission entend M. Jean-Christophe Niel, candidat proposé aux fonctions de directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

M. Hervé Maurey, président. - Notre ordre du jour appelle l'audition de M. Jean-Christophe Niel, candidat proposé aux fonctions de directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), en application de l'article 13 de la Constitution. Cette audition doit avoir lieu devant les deux commissions compétentes en matière d'environnement de l'Assemblée nationale et du Sénat. Elle est ouverte au public et à la presse et sera suivie d'un vote à bulletins secrets. Le même vote aura lieu mercredi prochain à l'Assemblée nationale, ainsi que le dépouillement des votes des deux commissions. En application de la Constitution, la nomination d'un candidat à un poste ne peut intervenir si au moins les trois cinquièmes des suffrages exprimés lui sont défavorables.

Monsieur Niel, vous exercez depuis neuf ans les fonctions de directeur général de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Vous avez effectué une grande partie de votre carrière en lien avec la sûreté nucléaire, y compris à l'IRSN, puisque vous y avez été chef du département de l'évaluation de sûreté et directeur de la stratégie. Vous êtes donc un spécialiste des sujets traités par l'IRSN, qui est l'organisme chargé de l'expertise des risques nucléaires et radiologiques, en appui scientifique de l'ASN. Il sera sans doute utile de préciser ce qui distingue ces deux structures.

L'accident de Fukushima, il y a tout juste cinq ans, a rappelé l'importance des enjeux de sûreté nucléaire. La loi de transition énergétique en a tiré les conséquences, en définissant plus clairement les missions de l'IRSN, en renforçant la transparence de ses actions et en prévoyant d'améliorer l'information des citoyens. Le décret du 10 mars 2016 a modifié la gouvernance de l'IRSN, et vous pourrez nous en rappeler les grandes lignes ainsi que les tutelles que les différents ministères exercent sur cet institut.

Comment envisagez-vous votre prise de fonction à la tête de cet organisme ? Quelles seront vos priorités d'action ? La France a-t-elle tiré toutes les conséquences de la catastrophe de Fukushima ? Votre prédécesseur avait indiqué que la gestion post-accidentelle d'une telle catastrophe devait être revue : qu'en pensez-vous ? Mes collègues auront certainement des questions à vous poser sur l'accroissement de la durée de vie des réacteurs nucléaires français. Selon vous, quelles mesures de sécurité supplémentaires serait-il nécessaire de prendre ? Considérez-vous que nos concitoyens sont mieux avertis qu'ils ne l'étaient auparavant sur ces questions de sûreté, notamment ceux qui sont à proximité de sites sensibles ? Enfin, nous souhaiterions avoir votre avis sur l'indépendance de l'IRSN : quelles sont les marges de manoeuvre de cet organisme par rapport au Gouvernement ? La question se pose pour les structures homologues dans les autres pays. Qu'en est-il en France ?

M. Jean-Christophe Niel, candidat. - C'est un honneur pour moi d'être auditionné par votre commission. J'ai cinquante-quatre ans et je suis ingénieur général des ponts et chaussées. Docteur en physique, j'ai travaillé pendant dix ans dans la recherche fondamentale en mécanique quantique des champs. Depuis une vingtaine d'années, je me consacre à l'évaluation et à la gestion des risques, notamment d'origine radioactive. J'ai passé quatre ans au ministère de l'Équipement comme sous-directeur en charge du contrôle de la sûreté des installations autres que les réacteurs, puis dix ans à l'IRSN où j'ai exercé diverses fonctions, dont celles de directeur de l'expertise et de directeur de la stratégie. J'ai ensuite été responsable de la mission « Stratégie » du ministère de l'Équipement. Enfin, il y a neuf ans, je suis devenu directeur général de l'ASN, fonction que j'occupe encore aujourd'hui.

Mon itinéraire a été marqué par le dialogue avec les parties prenantes dans les territoires, qu'il s'agisse des élus, des commissions locales d'information (CLI) ou des organisations non gouvernementales. Lors de mon passage à l'IRSN, j'avais préparé le premier accord entre l'Institut et l'Association nationale des commissions locales d'information (ANCLI), devenue depuis l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI). Une autre particularité de mon parcours est d'avoir exercé des activités à forte composante technique et scientifique. J'ai été confronté à des crises, comme celle de Fukushima en 2011. Au sein de l'ASN, j'ai également traité les suites des sur-irradiés d'Épinal. J'ai toujours évolué dans un environnement marqué par une implication internationale forte. Je suis président du comité de l'OCDE des autorités de sûreté nucléaire. J'étais à l'IRSN quand le nouvel Institut a été créé et je suis arrivé à l'ASN au moment de sa création, en 2007. J'ai managé des équipes importantes. Enfin, pour avoir évolué dans la sphère publique depuis toujours, j'ai une bonne connaissance des mécanismes budgétaires et administratifs.

En tant qu'autorité de sûreté, l'ASN prend les décisions réglementaires, tandis que l'IRSN fournit l'expertise technique sur laquelle les autorités publiques s'appuient pour prendre leurs décisions. À l'IRSN, je me suis consacré à des activités variées : sûreté nucléaire, radioprotection, protection de l'environnement, sécurité, expertise, recherche, gestion de programmes, stratégie. Cette expérience m'a donné une connaissance profonde du fonctionnement d'un établissement public industriel et commercial à vocation scientifique et technique.

L'IRSN est l'expert public des risques nucléaires et radiologiques. Il contribue à la mise en oeuvre des politiques publiques relatives à la sûreté et à la sécurité nucléaires, comme par exemple la protection contre les rayons ionisants en matière de santé et d'environnement. L'établissement est placé sous la tutelle des cinq ministères concernés par la sûreté et la radioprotection. Son statut a été conforté par la loi sur la transition énergétique et par le décret de mars 2016.

L'IRSN a quatre missions. La recherche sur les risques nucléaires et radiologiques mobilise 40 % de son budget. L'appui par l'expertise aux autorités publiques s'exerce particulièrement en situation de crise. L'Institut exerce aussi des missions d'intérêt public, comme la surveillance de la radioactivité dans l'environnement et la gestion des données dosimétriques des travailleurs. Enfin, l'IRSN est un établissement public industriel et commercial qui exerce à ce titre des prestations diverses.

L'IRSN recense 1 750 collaborateurs dont les trois quarts sont des experts ou des chercheurs. L'Institut vous rend régulièrement compte de ses activités. Il interagit avec les exploitants, les autorités publiques et la société civile. Il est très impliqué au niveau européen, au travers de l'association European technical safety organisation network (ETSON).

Les enjeux de sécurité nucléaire seront importants dans les années à venir, avec notamment la prolongation de l'exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans, le réexamen de sûreté des installations du cycle du combustible, les démantèlements, la construction d'installations nouvelles comme EPR, Cigéo, ITER, ou le réacteur Jules Horowitz. La loi sur la transition énergétique a renforcé la sûreté nucléaire et l'information du citoyen. L'évolution des pratiques médicales induit une exposition croissante des patients et des travailleurs. Même si c'est pour un meilleur soin, les risques sont accrus, et la vigilance reste de mise notamment sur les nouvelles techniques utilisées en radiothérapie. Les Français restent préoccupés par les sujets d'environnement. Enfin, la sécurité et la protection contre les actes de malveillance prennent une importance grandissante.

J'entends développer la stratégie scientifique de l'IRSN, telle qu'elle a été rendue publique en janvier 2016, avec pour objectifs de contribuer à l'amélioration des connaissances pour la sûreté nucléaire et la radioprotection, la protection de l'environnement et la sécurité, de développer l'expertise avec les meilleures connaissances du moment, et enfin de maintenir une culture scientifique et technique de haut niveau à l'Institut. Ces objectifs devront s'intégrer dans la stratégie nationale française et dans l'agenda européen, grâce à des partenariats noués avec nos homologues, les organismes de recherche et les industriels, en veillant cependant à préserver l'indépendance de l'IRSN.

Je m'engage à renforcer la cohérence stratégique entre les autorités publiques, notamment l'ASN et l'IRSN, tout en préservant encore une fois l'indépendance de l'Institut. Il faut arriver à une programmation partagée pour une expertise incontestable, opérationnelle et proportionnée au risque.

Je souhaite également renforcer la transparence en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, et plus généralement en matière de gestion des risques. Nous mettrons notamment en oeuvre la publication de l'ensemble des avis rendus par l'IRSN sauf lorsque le secret défense ou le secret médical s'y opposeront, comme le préconise la loi sur la transition énergétique. Je poursuivrai aussi les actions déjà engagées auprès des publics scolaires.

Enfin, je valoriserai le potentiel humain de l'Institut. La qualité, la compétence et le professionnalisme des hommes et des femmes qui travaillent à l'IRSN sont reconnus en France et à l'étranger. Je voudrais travailler à la création d'itinéraires professionnels variés, incluant des allers retours entre l'IRSN et ses partenaires. Dans cette période où les finances sont contraintes, il me reviendra d'assurer un fonctionnement efficace de l'Institut et une gestion écologiquement responsable des moyens dont il dispose.

Ces orientations feront l'objet d'échanges approfondis avec la présidente de l'IRSN, Dominique Le Guludec et les autres parties prenantes, tutelles, autorités compétentes et personnel. Je mettrai tout en oeuvre pour que l'Institut poursuive ses missions.

M. Rémy Pointereau. - Un rapport publié en février indique que le centre de stockage des déchets nucléaires à très faible activité (TFA), le Cires, est arrivé à saturation. Quelle solution prévoyez-vous pour de nouveaux stockages ? Le financement de l'IRSN est assuré à 60 % par l'État, à 20 % par les opérateurs et à 15 % par d'autres financements. À quoi correspondent ces autres financements ? Le fait que l'État finance l'Institut à 60 % menace-t-il son indépendance ? Mmes Royal et Cosse sont en désaccord sur la date de fermeture de la centrale de Fessenheim : l'une la place à échéance 2018, l'autre dès 2016. Quelles règles s'appliquent selon vous ?

M. Jean-Jacques Filleul. - Comment fonctionne l'IRSN par rapport à l'ASN ? Dans quelle mesure les deux organismes sont-ils complémentaires ? Cinq ans après Fukushima, la France a-t-elle achevé d'élaborer son programme post-accidentel ? La presse semble dire le contraire. La ministre de l'écologie, Ségolène Royal, a mentionné une prolongation de dix ans des réacteurs nucléaires. Quel est votre point de vue ? Avec Louis Nègre, nous travaillons depuis longtemps sur la qualité de l'air. Est-ce l'une des fonctions de l'Institut ? Dans ce cas, nous pourrions vous auditionner à ce sujet. Enfin, les EPR sont une catastrophe financière. C'est un fait avéré en Finlande, et l'on a quelques doutes en Angleterre. Qu'attendez-vous de leur fonctionnement ?

M. Louis Nègre. - Je ne me sens pas capable de juger de vos compétences. Votre parcours vous autorise manifestement à postuler à ce poste. Cependant, c'est un rôle délicat d'un point de vue politique que d'être un expert public du nucléaire. Bien sûr, l'énergie nucléaire est un bien pour la France, compte tenu du coût de l'électricité, de notre volonté de conserver notre indépendance énergétique et de lutter contre les gaz à effet de serre. Cependant, selon l'ASN, la sécurité ne peut pas être garantie à 100 %, et la France n'est pas à l'abri d'un accident. Ce n'est pas tant le matériel qui est en cause que les erreurs humaines, que ce soit aux États-Unis, en Ukraine ou au Japon. Pouvez-vous nous confirmer qu'un risque existe en France ? Dans quelle proportion statistique ? Les Japonais ont beaucoup de difficultés à traiter les conséquences économiques, humaines et techniques de l'accident de Fukushima. Quel est le bilan exact de cet accident ? Quelle est la surface de la zone contaminée, et pendant combien d'années cette zone restera-t-elle contaminée ? Combien a-t-on recensé de décès de personnes contaminées et combien en attend-on ? Un certain nombre de personnes déplacées souhaiteraient revenir, mais ne le peuvent pas. À combien estime-t-on le montant des dégâts économiques ?

On nous disait en France que nous avions les meilleurs réacteurs et les meilleurs opérateurs du monde : tout allait très bien, madame la Marquise. Cependant, après Fukushima, EDF a engagé à votre demande plusieurs milliards de travaux supplémentaires de sûreté. Pourquoi ne les avait-on pas prévus avant ? Cela décrédibilise la vision que nous avions jusque-là de l'énergie nucléaire.

J'ai été rapporteur de la loi de transition énergétique, notamment sur la sûreté nucléaire. Je ne nie pas les progrès qui ont été réalisés sur la transparence en matière d'information. Cependant, le professeur Pellerin a joué un rôle catastrophique pour l'énergie nucléaire en France. En trompant les Français sur l'impact du nuage de Tchernobyl, il a semé le doute dans les esprits. De la même manière au Japon, ni Tepco, ni le gouvernement n'ont osé dire au grand public ce qui se passait vraiment. Ne pas dire la vérité aux gens, c'est catastrophique pour le nucléaire.

Enfin, plusieurs usines nucléaires sont installées dans le sillon rhodanien. S'il faut prévoir une zone de sécurité de trente kilomètres en cas d'accident, le sillon rhodanien sera fermé. Par où passera-t-on pour aller du sud au nord de la France et vice-versa ? À moins de prendre l'avion, on ne pourra plus se déplacer.

Mme Odette Herviaux. - Alors que la société souhaite toujours plus d'informations, les dotations de l'État à l'IRSN ont diminué pendant trois ans pour se stabiliser cette année. En revanche, la contribution prélevée sur les installations nucléaires de base est en augmentation. Est-ce suffisant ? J'ai cru comprendre que certains projets avaient été retardés ou reportés. Envisagez-vous une révision du dispositif de financement, et notamment du prélèvement effectué sur les entreprises de base ?

M. Alain Fouché. - En tant qu'élu, je suis favorable au nucléaire. Il y a quelques années, la centrale nucléaire de Civaux a été implantée dans la Vienne. En matière de déchets nucléaires, un premier site d'enfouissement a été développé à Bure, en Haute-Marne. Il n'est pas encore opérationnel, malgré toutes les études qui ont été réalisées depuis quinze ans, avec des retombées financières importantes. À quel moment ce site recevra-t-il des déchets nucléaires ? Un deuxième site avait été prévu dans la Vienne, qui a été annulé à la suite, peut-être, d'accords entre le PS et les Verts. Il serait temps que le site de Bure soit opérationnel.

On assiste à une dérégulation climatique très forte, ce qui ne va pas sans causer quelques inquiétudes. La centrale nucléaire du Blayais en Gironde est-elle à l'abri d'intempéries causant des vagues gigantesques ? Les travaux réalisés seront-ils suffisants ?

M. Pierre Médevielle. - La radiothérapie se développe de plus en plus. Quelles relations entretenez-vous avec les autorités de santé ? A Fukushima, l'IRSN a joué la transparence, en étant parmi les premiers à dénoncer la fuite dans une cuve. En revanche, à Tchernobyl, on oscillait entre le secret et le mensonge médical. On a assisté à une montée en flèche des pathologies thyroïdiennes avec une omerta des autorités sanitaires. Quelles relations avez-vous avec la Haute autorité de santé ?

M. Ronan Dantec. - Les Japonais estiment à 450 milliards d'euros le coût de la catastrophe de Fukushima. L'IRSN mènera-t-il des travaux sur la sécurité du système économique ? La société française ne survivrait pas à une catastrophe nucléaire d'un tel coût.

Vous aurez, avec l'ASN, un rôle décisif dans le choix des réacteurs qui seront conservés. Ségolène Royal n'a jamais dit que la totalité des réacteurs seraient prolongés : certains seront arrêtés. Dans quelle mesure l'IRSN participera-t-il à ce choix ?

L'échec de l'EPR met EDF en péril, de sorte qu'on envisage de recourir à un réacteur low-cost qui présenterait moins de garanties en matière de sécurité. Dans quelle mesure l'IRSN interviendra-t-il dans la mise en place de ce nouveau programme qui s'apparente à une fuite en avant ? Dans ce moment d'extrême tension, n'importe quel avis de l'IRSN peut faire chuter l'action d'EDF, entreprise surendettée et déjà en grande difficulté économique. Quelle part prendrez-vous dans ce jeu à quatre entre l'IRSN, l'ASN, le Gouvernement et EDF ?

M. Michel Raison. - Le dossier sur les déchets nucléaires est évidemment important. Quelles relations l'Institut entretient-il avec l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) ? Quel avenir prévoyez-vous pour le centre de recherche de Bure, à cheval entre la Haute-Marne et la Meuse ? Est-il voué à stocker des déchets, à 500 mètres de profondeur, comme on le prévoyait ?

M. Charles Revet. - Il y a une forte présence nucléaire en Normandie, avec la centrale nucléaire de Penly, en Seine-Maritime, et plusieurs installations dans la Manche. Aux informations de ce matin, sur France 2, les journalistes ont mentionné certaines interrogations sur les générateurs, en cas d'accident. Le nucléaire étant un sujet particulièrement sensible, la population est forcément tout de suite en alerte, même si les médias vont parfois un peu vite. D'où l'importance de bien informer les élus. Je crains qu'en cas d'accident nucléaire, les décideurs n'appliquent un principe de secret maximal. Comment ajuster l'information sans semer la panique ?

Où en est-on à Flamanville ? Les problèmes d'étanchéité ont-ils été résolus ? Pourquoi n'ont-ils pas été découverts avant ? Y a-t-il lieu de modifier le contrôle de l'ASN et de l'IRSN pour qu'il intervienne plus en amont ?

M. Jean-François Rapin. - Voilà quasiment trente ans que l'accident de Tchernobyl a eu lieu. Sommes-nous en mesure de quantifier les dégâts sur la nature et la santé ? Quelle sera la durée de leur impact ? A-t-on réalisé des simulations sur un accident de ce type, en France, si tant est qu'il puisse se produire compte tenu de nos réacteurs ? Quelles en seraient les conséquences sanitaires et économiques ?

Mme Annick Billon. - Quels moyens développer pour assurer une meilleure communication et une plus grande transparence ? Les technologies nouvelles sont porteuses de nouveaux risques en matière de santé. De quel budget disposez-vous pour y faire face ?

M. Jean-Christophe Niel, candidat. - En créant l'IRSN, la France a fait le choix de se doter d'un organisme d'expertise et de recherche qui travaille pour les autorités publiques, afin de les aider à prendre leurs décisions. L'IRSN n'est pas pour autant sous la tutelle de l'ASN. Il faut plutôt envisager le système français comme un système à deux pôles, et ce système a fait ses preuves. L'expert est responsable pour mener l'analyse de risques, il donne son avis et les autorités publiques prennent ensuite leur décision. Aux États-Unis, le système est différent, puisque l'autorité de sûreté intègre les experts. Le système français fonctionne bien et il vient d'être conforté par la loi.

L'Institut prononce 800 avis techniques par an. Nombre d'entre eux sont rendus publics sur le site internet de l'IRSN. La loi impose qu'ils le soient tous. Le processus est en train d'être mis en place. La mission de recherche de l'Institut consiste à développer la connaissance, notamment pour alimenter l'expertise. Il existe des programmes de recherche en sûreté, sur la gestion des accidents graves, en particulier avec l'hydrogène, mais aussi en radioprotection. Deux dispositifs expérimentaux sont actuellement mis en place : Mircom qui étudie l'effet des rayonnements ionisants sur les cellules, et un autre programme qui s'intéresse à l'effet des radioéléments sur les êtres vivants à partir d'une expérimentation in vivo. S'ajoutent à cela des missions de service public. Pour la surveillance de l'environnement, l'IRSN dispose de 400 balises qui mesurent le débit de dose ambiant sur le territoire, c'est-à-dire les rayonnements. L'objectif est de vérifier le travail des exploitants, mais aussi d'identifier des phénomènes inattendus, comme cela est arrivé en Espagne, où les balises de l'IRSN ont repéré une source de cobalt, il y a quelques années. L'Institut dispose également d'une cinquantaine d'aérosols et d'instruments de mesure dans les cours d'eau. Quelques balises ont été installées sur le toit des ambassades de France au Japon et en Ukraine.

L'indépendance par rapport aux tutelles est garantie par le fait qu'une expertise est un fait collectif. Dans ces conditions, on voit mal comment un responsable pourrait changer un résultat scientifique. Une autre garantie vient des dispositions législatives qui s'appliquent à l'IRSN sur les lanceurs d'alerte. L'exigence de transparence joue également, avec l'obligation faite à l'Institut de rendre publics tous ses avis.

L'ASN estime que ses moyens sont insuffisants. Pour ce qui concerne l'IRSN, le travail ne manquera pas dans les années à venir, ce qui nécessitera une hiérarchisation des tâches. Je serai attentif à préserver la recherche, car les économies dans ce domaine se paieront à terme. Les 15 % de prestations que vous avez mentionnées proviennent de l'appui que l'Institut apporte aux autorités de sûreté étrangères, notamment dans les ex-pays de l'Est. Ces ressources sont également générées par des prestations de dosimétrie et par les contrats européens de recherche.

Fukushima, c'était il y a cinq ans : 100 000 personnes ont été évacuées dans un périmètre de 20 kilomètres. Aujourd'hui, ces personnes peuvent revenir sur une partie de ce territoire mais une partie d'entre elles - notamment les jeunes - a refait sa vie ailleurs.

D'un point de vue technique, le coeur des réacteurs 1, 2 et 3 est entré en fusion tandis que le réacteur 4 a explosé, mais sans combustible. Depuis, les Japonais ont évacué les 1 500 combustibles de la piscine et ils ont vidé le réacteur 4 qui a été contaminé par ses voisins. Pour les trois autres réacteurs, la priorité est de retirer les 500 combustibles que compte chaque réacteur : techniquement, cela est possible, mais la radioactivité élevée ralentit les opérations.

La centrale de Fukushima étant au bas d'une colline, l'eau propre qui en descend se contamine : les Japonais érigent un mur gelé de 1 500 mètres autour de la centrale sur 30 mètres de profondeur pour que cette eau n'entre pas dans les réacteurs. On passerait ainsi de 200 m3 contaminés par jour à 10 m3. Les 900 000 m3 d'eau sur site ont été décontaminés du strontium et du césium mais ils restent contaminés au tritium : les Japonais envisagent de les rejeter dans l'océan mais des études d'impact sont nécessaires ainsi qu'un dialogue approfondi avec les habitants.

Les déchets de haute activité sont ceux issus du retraitement. La loi sur les déchets de 2006 prévoit le stockage en couches géologiques profondes. Ce confinement a pour but de permettre le retour progressif de la radioactivité à la géosphère. Sous la responsabilité de l'Andra, le laboratoire de Bure doit démontrer la faisabilité de ce projet de stockage. L'ASN contrôle l'Andra tandis que l'IRSN entretient un dialogue technique avec cette agence : elle présente des dossiers techniques et l'IRSN les analyse avec ses propres experts. L'Institut dispose d'ailleurs d'une installation de recherche à Tournemire dans lequel des essais sur les scellements pour bloquer la radioactivité sont réalisés. L'Andra déposera d'ici 2017 un dossier sur la question de sûreté et l'ASN demandera à l'IRSN son avis technique. Un débat sur la notion de réversibilité sera mené et le Parlement devra se prononcer mais il semble difficile de concilier durablement sûreté et stockage ouvert.

Les déchets de très faible activité (TFA) sont stockés dans le centre Cires. Celui-ci étant presque saturé, il est indispensable de trouver d'autres lieux de stockage. A l'heure actuelle, les centrales nucléaires disposent d'une zone où tous les déchets TFA sont entreposés, même s'ils ne sont pas en tant que tels radioactifs. Ce principe de gestion a été élaboré il y a une vingtaine d'années afin d'éviter la dissémination de matériaux faiblement radioactifs, comme c'était le cas auparavant. Pour faire évoluer ce système, il faudrait, comme en Allemagne, des mesures extrêmement performantes sur de gros volumes, mais leur coût est élevé. En outre, il faut éviter la dilution, c'est-à-dire le mélange de déchets non radioactifs avec des déchets contaminés qui permettent de réduire la valeur globale. Ce sujet fera l'objet d'un débat public.

Moyennant certains travaux, l'ASN estime que Fessenheim peut fonctionner jusqu'à la prochaine visite décennale. S'il s'agit juste d'arrêter la production électrique, il est aisé de le faire à Fessenheim, comme ailleurs, puisqu'EDF arrête régulièrement ses réacteurs pour leur entretien. En revanche, l'arrêt irréversible est plus compliqué car une procédure de démantèlement est nécessaire : EDF doit présenter un dossier qui fera ensuite l'objet d'une procédure administrative aboutissant à un décret de démantèlement. L'IRSN expertiserait les procédures proposées par EDF et l'ASN gérerait le dossier au niveau administratif.

J'en viens à la prolongation de la durée d'exploitation. Une directive européenne sur la sûreté nucléaire prévoit un réexamen périodique de sûreté. Tous les dix ans, les installations nucléaires font l'objet d'une vérification détaillée et il est demandé aux installations d'améliorer leur niveau de sûreté en fonction des exigences les plus récentes, le but étant d'éviter des standards de sûreté différents en fonction de l'âge des centrales. EDF doit prendre comme référence le réacteur EPR. Il lui est ainsi demandé de tenir compte des accidents graves. Les réacteurs EPR disposent d'un récupérateur de corium en cas de fusion du coeur. En revanche, tel n'est pas le cas pour les centrales plus anciennes. L'IRSN demande à EDF de travailler sur ce sujet complexe, qui met en interaction du béton avec une matière très chaude, très corrosive et très radioactive. L'échéance des 40 ans est particulièrement importante puisque les réacteurs avaient initialement été conçus pour cette durée.

L'EPR est un réacteur beaucoup plus sûr. En revanche, à la suite d'essais demandés par l'ASN, les calottes de cuve ont présenté des défauts : la concentration de carbone étant trop importante dans certaines zones, des fissures risquent de se produire. Suite aux analyses de l'IRSN, Areva procède à l'heure actuelle à des essais pour qualifier la tenue de ces calottes. Nous devrions disposer des conclusions de ces études au cours du deuxième semestre.

On ne peut exclure un accident nucléaire majeur en France et les pouvoirs publics s'y préparent. Fukushima a démontré qu'un tel accident pouvait survenir en Europe. Les autorités de sûreté ont donc estimé que la coordination en amont était essentielle et qu'il fallait anticiper des évacuations dans un rayon de 5 kilomètres et distribuer des comprimés d'iode dans un rayon de 20 kilomètres.

Environ 75 % des dysfonctionnements sont dus à des facteurs humains, mais n'oublions pas que les opérateurs parviennent aussi à récupérer des situations qui pourraient dégénérer. L'IRSN analyse ces problèmes, notamment en ce qui concerne la maintenance et la formation chez EDF.

En 2010, EDF a mis en place la démarche AP913, qui suppose une approche de la maintenance par la fiabilité. Cette méthode vient des États-Unis et n'est pas spécifique au nucléaire. L'IRSN et l'ASN approuvent cette démarche. Ce matin, la presse a dit que la maintenance à Penly était insatisfaisante, ce qui ne signifie pas que la performance sûreté du réacteur est en cause. Celle-ci fait en effet l'objet d'essais périodiques et si les résultats ne sont pas satisfaisants, EDF dispose d'un temps limité pour se mettre en conformité. Si tel n'est pas le cas, l'arrêt du réacteur est ordonné.

M. Charles Revet. - Ce n'est donc pas le matériel qui est en cause.

M. Jean-Christophe Niel, candidat. - Non, c'est la façon dont est traitée la maintenance de ces matériels : EDF devrait être plus proactive sur le traitement des écarts.

En situation de crise, il faut des règles simples et efficaces. En cas d'accident, il faut évacuer ou confiner, en fonction du périmètre. L'ASN et l'IRSN travaillent depuis plusieurs années sur le post-accidentel, à savoir les conditions de retour à l'activité socio-économique dans les territoires évacués.

M. Charles Revet. - Et l'EPR de Flamanville ?

M. Jean-Christophe Niel, candidat. - Le chantier se poursuit. EDF a déposé il y a un an un dossier d'autorisation de mise en service sur lequel nous avons fait divers commentaires. L'opérateur doit y répondre. Des expertises techniques sont en cours, notamment en ce qui concerne le couvercle et les soupapes du pressuriseur.

L'IRSN apporte son appui technique aux autorités de santé, notamment en cas de sur-irradiations dans les hôpitaux. Il suit également la dosimétrie des professionnels de santé et des patients et il a constaté une augmentation des doses délivrées à ces derniers. L'IRSN propose des niveaux de référence diagnostique qui sont régulièrement révisés. Récemment, l'Institut a mis sur son site un rapport sur la tomosynthèse.

C'est à EDF et aux responsables politiques de décider quels sont les réacteurs qui doivent être arrêtés. L'IRSN se borne, quant à lui, à donner des avis techniques sur la sûreté des installations.

Trente ans après l'accident de Tchernobyl, 30 km2 restent interdits. Un sarcophage avait été construit après la catastrophe qui n'a pas résisté aux intempéries. Le nouveau sarcophage permet de confiner la radioactivité, de protéger l'ancien sarcophage et d'engager le nettoyage du site. Il est difficile de se prononcer sur les conséquences de cet accident car les études sont parcellaires : il y a eu quelques milliers de cancers de la tyroïde chez de jeunes enfants, des décès parmi les 500 000 liquidateurs qui se sont succédés sur le site. L'impact environnemental est contrasté : la forêt a souffert, mais en l'absence d'activité humaine, la vie animale semble prospérer.

J'en viens aux questions sur la communication : deux millions de pages de notre site sont consultées chaque année. Je souhaite poursuivre le travail engagé par l'IRSN, avec la charte d'ouverture à la société civile qui date de 2009. Son objectif est triple : accroître la transparence et l'information, augmenter le partage des connaissances et accompagner la société civile, notamment les CLI, pour qu'elle devienne acteur éclairé de nos débats.

M. Alain Fouché. - Vous n'avez pas répondu à ma question sur la centrale en Gironde.

M. Jean-Christophe Niel, candidat. - Elle sera très probablement dans la moyenne générale des centrales. Nous avons connu une inondation majeure en 1999 : depuis, divers travaux ont été réalisés, comme une nouvelle digue, un renforcement des dispositifs de sûreté, des alertes multipliées. Nous avons revu ces dispositions après Fukushima. Lors du prochain réexamen décennal, l'opérateur devra évaluer l'impact du réchauffement climatique.

M. Ronan Dantec. - Une éventuelle rupture de barrage n'a pas été envisagée.

M. Jean-Christophe Niel, candidat. - Le guide inondation de l'IRSN a pris en compte ce risque.

M. Rémy Pointereau. - Vous n'avez pas répondu précisément à ma question sur la fermeture de Fessenheim.

M. Jean-Christophe Niel, candidat. - L'ASN s'est prononcée en 2011 : elle estime que l'installation peut être exploitée encore dix ans. L'arrêt pour démantèlement imposerait un travail de préparation technique et administrative, sans compter la consultation des populations.

M. Rémy Pointereau. - Est-il sain que le directeur général de l'ASN devienne celui de l'IRSN ?

M. Jean-Christophe Niel, candidat. - J'ai passé dix ans à l'IRSN ; je connais donc l'institut. En outre, les relations entre les deux institutions ne pourront que bénéficier de mon expérience professionnelle.

M. Louis Nègre. - La transparence est un impératif et vos réponses ne nous ont pas tous convaincus. Je vous ai posé des questions simples... auxquelles vous n'avez pas répondu. Quel est le bilan de l'accident du Fukushima ? Quelle est la superficie de la zone contaminée ? Combien de décès, combien de personnes irradiées ? Quel coût ? 450 milliards comme l'a dit notre estimé collègue Dantec ?

Après Fukushima, des travaux de sûreté ont été réalisés en France. Pourquoi a-t-il fallu attendre cette catastrophe ?

Si nous connaissions pareil accident dans le sillon rhodanien, celui-ci serait-il fermé ?

M. Jean-Christophe Niel, candidat. - Je ne peux répondre sur le nombre exact de victimes à Fukushima.

M. Louis Nègre. - Les Japonais n'ont pas communiqué sur le sujet ?

M. Jean-Christophe Niel, candidat. - Je ne dispose pas de ces données.

M. Louis Nègre. - Il est inquiétant que le futur directeur général de l'IRSN ne connaisse pas ces chiffres !

M. Jean-Christophe Niel, candidat. - Les effets de la radioactivité ne sont pas immédiats. Des études japonaises sont en cours pour déterminer le nombre de cancers de la tyroïde chez les enfants.

Le montant de 450 milliards est compatible avec les études menées par l'IRSN il y a quelques années en cas d'accident nucléaire dans notre pays. Nous devons poursuivre les échanges sur le sujet.

Les mesures de sécurité civile du ministère de l'intérieur prévoient l'interruption des voies de communication dans le sillon rhodanien en cas d'accident nucléaire. Lors des exercices de crise, la préfecture peut décider d'interrompre l'autoroute et la ligne TGV.

Lorsqu'un évènement survient, le retour d'expérience nous impose de revoir les procédures d'urgence et parfois les installations. L'accident de Fukushima nous a conduits à mener des exercices de stress test, d'où des mesures de renforcement de la sûreté. En France, nous avons mis en place la force d'action rapide nucléaire : il s'agit d'équipes de 300 personnes situées sur quatre sites, qui peuvent se déplacer rapidement pour intervenir sur 2, 4 ou 6 tranches. En décembre, nous avons réalisé un exercice à Gravelines. En mars, l'IRSN rendra ses conclusions.

En outre, nous réexaminons tous les dix ans les installations. Celles-ci étaient prévues à l'origine pour durer 40 ans : le prochain réexamen des centrales sera donc particulièrement sévère puisqu'il s'agit de les emmener au-delà de cette date butoir. Pour nous rapprocher des exigences de sûreté propres à l'EPR, des travaux importants devront être réalisés.

M. Hervé Maurey, président. - Merci pour ces réponses précises.

Nous allons procéder au vote. Le dépouillement aura lieu mercredi prochain 23 mars après l'audition de M. Niel par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale.

La réunion est levée à 11h05.