Jeudi 23 juin 2016

- Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente -

Audition de Mme Véronique Fayet, présidente du Secours catholique-Caritas France

Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Mes chers collègues, dans le cadre du rapport « Femmes et voitures », que nous préparons pour la rentrée prochaine, nous recevons aujourd'hui Véronique Fayet, présidente du Secours catholique-Caritas France, pour aborder notre sujet sous l'angle de la précarité des femmes. Je remercie Mme Fayet d'avoir accepté notre invitation. Je précise à votre attention, mes chers collègues, que Mme Fayet est la première femme à présider le Secours catholique.

J'indique à Mme Fayet que notre rapport vise, par-delà les clichés concernant les femmes et la conduite automobile, des sujets graves qui se profilent - en particulier les difficultés spécifiques qu'ont les femmes pour accéder au permis, à la formation, ou encore les réalités de la sécurité routière.

Dans son rapport d'activité de 2014 publié en 2015, le Secours catholique a en effet mené une enquête plus spécifique sur la problématique de la mobilité, afin de comprendre comment les personnes en situation de précarité se déplacent. C'est une question centrale de l'analyse que je souhaite mener dans le cadre de ce rapport, parce que ces personnes accèdent difficilement à la mobilité, et c'est l'ensemble de leur vie sociale qui en est affectée.

Or, nous savons que beaucoup de femmes, plus particulièrement chargées de familles monoparentales, sont concernées par ce problème, soit parce qu'elles ne possèdent pas de voiture, soit parce qu'elles ont des difficultés à entretenir leur véhicule et à le faire réparer.

Quels sont plus généralement les constats du Secours catholique s'agissant de la mobilité des personnes en situation de précarité, et notamment des femmes ? Quelles solutions proposez-vous pour les accompagner ?

Au-delà de cette question, nous vous demanderons de nous parler plus généralement de la précarité des femmes et de l'action du Secours catholique à leur endroit. La délégation aux droits des femmes s'intéresse en effet beaucoup à la question des familles monoparentales et à leur vulnérabilité croissante.

Après votre intervention, nous aurons ensemble un temps d'échanges.

C'est avec un grand intérêt que nous vous écoutons.

Mme Véronique Fayet. - Membre d'un réseau de 165 associations Caritas dans le monde, le Secours catholique-Caritas France est l'une des principales associations françaises de solidarité, avec quelque 70 000 bénévoles et 1 000 salariés. J'insiste sur le rôle central des bénévoles. Ce réseau contribue à donner une dimension internationale à notre action, souvent méconnue mais très importante. Nous accueillons environ 1,5 million de personnes par an, dont 95 % vivent sous le seuil de pauvreté qui est de 1 000 euros. Parmi elles, trois quart se situent même sous le seuil de très grande pauvreté. Sachant que notre pays compte plus de deux millions de personnes qui sont en situation de très grande pauvreté, nous accueillons donc la moitié des « très pauvres » qui vivent sur notre territoire - c'est un ordre d'idées.

Toutes les classes d'âges sont représentées, mais les jeunes sont peu nombreux. C'est pourquoi nous mettons en place une branche Young Caritas pour que davantage de jeunes passent notre porte à travers l'engagement. La grande pauvreté chez les jeunes est en effet un problème tout à fait préoccupant.

En outre, près du tiers des personnes que nous accueillons sont des familles monoparentales - proportion bien supérieure à la population active normale -, pour la très grande majorité comme vous l'avez mentionné, madame la présidente, des femmes seules avec enfants.

D'après nos enquêtes, la plupart des gens qui viennent chez nous recherchent de l'écoute, de la fraternité, au-delà de l'aide matérielle - qui est souvent une « porte d'entrée », un prétexte. Une femme que je rencontrais a eu cette belle formule, en me disant à propos du bénévole qui l'avait accueilli : « Il a compris davantage que ce que j'attendais ». Or cette compréhension a aidé cette femme à se remettre debout : elle s'est du reste engagée dans notre association comme bénévole. Cet exemple démontre combien l'isolement est une dimension du problème, parce que la pauvreté isole, détruit les liens sociaux, en particulier parce que la mobilité devient très difficile, voire impossible quand on n'a plus de moyens.

Nous avons étudié ce que nous avons appelé « la fracture de la mobilité » et publié un guide de la mobilité, en novembre dernier. Nous n'avons pas de statistique par genre, mais je note que les exemples très parlants dont nous sommes partis, et issus d'une note réalisée par notre service de presse, concernent des femmes dans neuf cas sur dix. Celles-ci habitent exclusivement en milieu rural, semi-rural et dans les zones péri-urbaines.

Je vous citerai quelques-uns de ces exemples. Il y a cette femme de Vendée, mère d'un fils de dix-sept ans, qui garde des personnes âgées la nuit pour un salaire mensuel de 500 euros, 800 euros avec le complément du Revenu de solidarité active (RSA). Comme elle habite à la campagne, entre Fontenay-le-Comte et Niort, sa voiture lui est indispensable mais elle est tombée en panne ; la banque lui a refusé un crédit, mais le Secours Catholique lui a donné une voiture.

Autre exemple, cette femme de trente-sept ans, en couple avec deux enfants. Le ménage quitte l'Ile-de-France pour se loger pour moins cher dans le Loiret ; elle est en formation mais n'a pas de permis, son mari n'a plus le sien. En outre, ses horaires l'obligent, alors que sa formation finit à 12h30, à attendre le car de 17 heures, alors qu'elle a pris celui de 5h30 pour arriver à temps, après plusieurs heures d'attente le matin aussi et pour un coût élevé (11 euros le ticket) : nous avons financé une partie de son permis de conduire.

Autre exemple, une femme, dans la quarantaine, mère de trois enfants de sept à vingt-quatre ans, qui s'installe en milieu rural dans le Poitou après une séparation douloureuse, sans permis et sans avoir mesuré les difficultés de vivre dans ce qui, de la ville, lui paraissait un havre de paix - elle subit en particulier le racisme, comme Antillaise. Elle trouve un travail dans deux écoles, distantes de 12 et de 24 kilomètres de son domicile, pour 600 euros par mois : ce sont les bénévoles qui, chaque jour, l'accompagnent en voiture. C'est dire que la solidarité existe !

Je veux souligner le courage de ces femmes et la nocivité du discours politique qui associe les pauvres à des « profiteurs du système » et à des « fainéants ». Ce que nous voyons, sur le terrain, c'est que ces femmes admirables font ce qu'elles peuvent pour garder leur travail, quand bien même leur rémunération est très basse : le revenu moyen des personnes que nous recevons est de 809 euros mensuels pour celles qui travaillent et de 782 euros pour celles qui ne travaillent pas. La différence est donc très faible. C'est un phénomène connu, les actifs ne réclament pas toujours leur complément de RSA : le taux de non recours à ce complément atteint même 70 %.

Mais ce que nous constatons, c'est que ces femmes s'accrochent avec un courage extraordinaire, quand bien même, plus souvent que d'autres, leur travail est morcelé, caractérisé par des horaires atypiques et des phases de travail le week-end, ce qui implique de trouver des solutions pour faire garder leurs enfants, et tout cela pour rester sous le seuil de pauvreté...

Encore un exemple, cette femme qui travaille une heure le matin chez un particulier dans son village, puis trois heures l'après-midi, en contrat à durée indéterminée (CDI), dans une entreprise de nettoyage industriel à Lorient ; en raison de la très faible fréquence des bus, elle doit s'absenter huit heures de chez elle pour ces trois heures de travail. Ses 700 euros mensuels ne lui permettent évidemment pas de patienter dans de bonnes conditions. En début de mois, elle peut prendre un café, en fin de mois, ce n'est plus possible... Elle est épuisée ! Elle vient au Secours catholique parce qu'elle y trouve de l'accueil - elle nous dit avoir peur de l'avenir, peur de ne plus pouvoir faire face à l'entretien de son fils de quinze ans, mais aussi qu'elle est fière de payer la vie quotidienne, les frais de cantine de son fils avec les revenus de son travail plutôt qu'avec l'assistance sociale.

Les exemples de ces « drames silencieux » sont encore nombreux, ils démontrent des conditions de vie qu'on ne soupçonne pas toujours, comme devoir faire cinq kilomètres à pied pour aller à l'école ou au collège, mettre la demi-journée à faire quelques courses, faute de bus plus fréquents ; ils démontrent les actes de courage quotidien qu'il faut, dans ces conditions, et l'injustice flagrante, inacceptable, d'entendre dire que ces personnes « profitent » du système ou qu'elles sont « fainéantes ».

Nous avons publié notre rapport en novembre dernier, en phase avec les élections régionales, avec l'idée que ces exemples, et les solutions que nous apportons, devraient inspirer les politiques publiques. Comme l'a dit le fondateur du Secours catholique, l'abbé Jean Rodhain, « la charité d'aujourd'hui doit être la justice sociale de demain » : nos « bouts de ficelle », notre bricolage ont ainsi vocation à influencer les politiques publiques. Un exemple : dans l'Orne, nos bénévoles se sont aperçus que la suppression d'une ligne de bus empêchait des populations précaires de se rendre au marché. Or, aller au marché, ce n'est pas seulement faire les courses, c'est aussi un espace de vie sociale primordial, surtout quand il n'y en n'a pas beaucoup d'autres sur un territoire. En dialoguant avec la communauté de communes, nous avons permis de rétablir un service par semaine, pour assurer la liaison avec le marché.

Nous multiplions les mesures pour aller vers les populations précaires : des cafés itinérants, une « Roulotte des délices », un espace « Bon thé », où l'on prépare et partage des repas, de la convivialité ; des boutiques solidaires mobiles, où, à la différence des vestiaires qui donnent des vêtements sans laisser de véritable choix aux personnes, chacun peut acheter des vêtements, des objets, partager un moment, s'offrir quelque chose, s'accorder un plaisir. Tout cela est essentiel à l'estime de soi alors que dans la pauvreté, on a tendance, surtout les mères, à tout s'interdire, y compris d'aller chez le dentiste, se soigner, sans parler du coiffeur...

De plus, dans le cadre de notre action, nous accordons des micro-crédits, dont 55 % sont attribués à des femmes. Dans trois cas sur dix, ces crédits servent à acheter une voiture ou à financer le permis de conduire. Vous savez que certains conseils régionaux peuvent financer le permis, mais à condition que la personne travaille, ce qui pose des difficultés à ces personnes précaires. Soit dit en passant, nous avons évalué à 1 000 euros les revenus mensuels minimums permettant la possession d'une voiture ; en deçà, c'est très difficile...

Le remboursement de nos crédits est bon : le taux d'appel à garantie - c'est-à-dire le taux de non-remboursement - n'est que de 11 %. Et les femmes remboursent mieux, avec un taux de 9 %, contre 12 % pour les hommes. Ce n'est pas parce que les personnes sont pauvres qu'elles ne remboursent pas.

Nous avons créé deux garages solidaires - le premier, pionnier, à Angers et le second à Grenoble - où l'on peut réparer, acheter ou louer une voiture d'occasion ; nous avons un partenariat avec Renault, et des particuliers nous donnent des voitures, que nous remettons en état et que nous garantissons, avec du travail à la clé via des entreprises d'insertion. Nous souhaitons développer une dizaine de ces garages dans toute la France. Lorsque j'étais élue à Bordeaux, nous avions mis en place, dans le « Garage moderne » - un garage qui était aussi un lieu culturel - un atelier appelé « La mécanique Angélique » où les femmes pouvaient apprendre à entretenir et à réparer leur voiture, ceci pour en réduire le coût d'usage. Quand on est capable de faire soi-même la vidange de son véhicule, celui-ci revient tout de suite beaucoup moins cher à entretenir.

Mais il faut pouvoir aller plus loin, en créant des plateformes locales de mobilité, intermodales. C'est un concept plus large que celui de garage solidaire, car on y trouverait des voitures mais aussi des deux-roues, du covoiturage accessible - il n'est pas toujours facile de trouver une voiture à partager quand on ne maîtrise pas Internet -, ainsi que des ateliers pour expliquer le fonctionnement des transports dans les environs. En effet, on n'y pense guère, mais l'offre de transports n'est pas toujours comprise par ceux qui en ont le plus besoin. Les tableaux des horaires sont compliqués, il n'est pas toujours facile de comprendre comment fonctionnent les horaires en semaine, le week-end, le soir...

Par exemple, nos bénévoles ont créé un atelier intitulé « Garrigue » dans le Var à ce propos. Dans le Beaujolais nous avons aussi constaté l'intérêt d'un tel atelier - la prochaine étape étant de convaincre les services régionaux et départementaux d'élaborer leurs documents en concertation avec les associations, pour faire en sorte que l'offre soit bien comprise par ceux qui en ont le plus besoin.

C'est ainsi que les meilleurs services peuvent échouer s'ils ne sont pas connus, compris de celles et ceux à qui ils s'adressent. Je me souviens par exemple qu'à Bordeaux, notre offre de garderie avec horaires décalés - très tôt le matin, tard l'après-midi - n'avait pas rencontré son public alors que la demande était forte, probablement parce que nous étions trop éloignés géographiquement, mais aussi parce que notre fonctionnement n'avait pas été très bien expliqué et n'avait pas été compris. On constate ainsi souvent une distance entre ce qui est proposé et ce qu'en comprennent les gens. D'où l'idée d'aller vers eux, c'est vraiment important.

Pour finir cette présentation, je voudrais citer les propos tenus par une femme lors d'un groupe d'action citoyenne, c'est-à-dire un groupe qui réfléchit à la manière d'améliorer l'accès aux droits des personnes. Ces paroles, assez dures, ont été reproduites dans notre rapport statistique, dans les termes mêmes qu'elle a utilisés - il est important d'être précis, du point de vue du respect des personnes : «  Il y a une hypocrisie politique. Ils disent vouloir lutter contre la misère, l'exclusion, les inégalités scandaleuses, mais ils n'en prennent pas les moyens. La solidarité existe, c'est vrai, mais sous forme de redistribution de miettes. On a l'impression de recevoir des miettes d'un repas auquel ne nous sommes jamais invités ». Comme nous l'a suggéré une collègue québécoise de l'association « Québec sans pauvreté », des « bulles » reproduisant la parole brute des gens sont parfois bien plus parlantes que de grands discours...

Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Je vous remercie. Je note qu'une dizaine de projets de garages solidaires existe actuellement. Cela signifie-t-il que la demande de services associés à ces structures est en forte croissance ?

M. Roland Courteau. - Bravo pour l'ensemble de vos actions, en particulier pour l'initiative remarquable que constituent les garages solidaires. Disposer d'une voiture est l'une des conditions pour trouver ou conserver un emploi.

Pourquoi les jeunes hésitent-ils à pousser votre porte ? Quelle est la proportion de garçons et de filles ? Pourquoi ces jeunes en difficultés ne demandent-ils pas le RSA ? Est-ce par manque d'information ? Ou alors les démarches sont-elles trop compliquées ? Vous n'avez pas parlé de l'aide et de la solidarité des familles. Est-elle limitée parce qu'elles sont dans la même situation ?

Mme Françoise Laborde. - Je voudrais également féliciter les bénévoles. Madame la présidente, vous nous avez rappelé les discours politiques nocifs qui assimilent les personnes précaires à des « profiteurs du système » - il est bon de s'en souvenir, même si je pense qu'aucun d'entre nous, au sein de cette réunion, ne les tient.

La Haute-Garonne, dont je suis élue, est un département très partagé entre ville et campagne. Je constate, lors de mes déplacements, le mirage du logement pas cher à la campagne dont vous avez parlé. Certains habitants sont même installés dans des caravanes et des mobil-homes. Le nombre de kilomètres effectués à pied ou en bus est très important pour ceux qui n'ont pas de voiture.

J'ai fréquenté, pour des raisons personnelles, un centre de formation des apprentis (CFA) géré par le Groupement national formation automobile (GNFA) - qui a l'interdiction de faire concurrence aux garagistes ; les jeunes doivent se faire la main mais sans utiliser leurs compétences, ce qui est absurde... Ne pourriez-vous pas obtenir cette autorisation ? Il ne s'agit pas ici de faire de la concurrence aux garagistes, puisque cela s'inscrit tout à fait, il me semble, dans le cadre d'une action complémentaire à celle des garages solidaires.

J'ai vécu à Eysines, où une halte-garderie de la Caisse d'allocations familiales (CAF) organisait des ouvertures nocturnes pour que les mères puissent sortir. J'y laissais mon enfant, moi qui avais une voiture. Cette halte-garderie ne servait donc au fond qu'à ceux qui n'en avaient pas besoin, puisque sans voiture à Eysines, rien n'est possible.

Mme Danielle Michel. - Vous dites que la charité d'aujourd'hui est la justice sociale de demain, et qu'elle doit se manifester dans les politiques publiques. Que faites-vous pour travailler avec les politiques au niveau local et national ? Votre expérience d'élue vous ouvre-t-elle des portes à cet égard ?

Mme Annick Billon. - Merci pour votre témoignage. En Vendée, où je suis élue, peu de personnes ont conscience de la pauvreté qui peut exister à proximité de tout un chacun. Il existe un idéal du bord de mer. Dans le sud du département, le mètre carré de terrain est à 17 euros, mais le prix s'élève à 250 euros sur le littoral. Les maires accueillent une population en demande de logement pas cher ou aidé, sans qu'il y ait d'activité pour faire travailler ces nouveaux habitants. Une famille s'installe, mais une fois sur place elle n'a aucun moyen de repartir et se retrouve bloquée, avec des enfants qui tombent dans la spirale infernale de la pauvreté et parfois de la délinquance. Dans la communauté de communes des Olonnes, une bonne part de la demande de logements sociaux provient de personnes qui se disent seulement : « autant être au bord de la mer ».

Mme Véronique Fayet. - Pour répondre à la question de M. Courteau, je dirai que, par définition, je ne dispose pas de statistiques sur les jeunes qui ne poussent pas la porte du Secours catholique. Quand on est jeune, on se dit qu'on va s'en sortir seul, surtout si on a vu ses parents entretenir des rapports difficiles avec les organismes d'assistance sociale. Nous sommes plutôt favorables au RSA jeunes, sauf si ce dispositif a pour conséquence de les isoler et de les exclure de l'emploi. Le non-recours au RSA socle est de 30 %, ce qui est élevé, mais il n'est pas facile d'aller le demander et les dossiers, déjà compliqués à remplir, s'égarent parfois. Il n'est pas non plus facile de subir une forme de contrôle social. Quelque 18 % des personnes que nous recevons n'ont aucune ressource, et il ne s'agit pas que d'étrangers. Elles ont parfois touché le RSA, puis dû rembourser un trop-perçu, ce qui a précipité leur chute.

M. Roland Courteau. - Et la garantie jeunes ?

Mme Véronique Fayet. - La garantie jeunes est une bonne idée, car elle oriente vers un travail et offre un vrai accompagnement.

La solidarité des familles est grande, mais invisible, et elle peut s'épuiser au fil du temps. Nous disons que le plus grand Centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de France, ce sont les familles pauvres, qui ne laissent jamais personne à la rue.

Les questions du logement, du transport et de l'emploi sont intimement liées. Si l'existence de logements sociaux dans les villages est très intéressante, j'émets des réserves sur la loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU)1(*). Une fois les 25 % de logements sociaux établis dans une petite commune, que fait-on ? Il faut densifier les villes le long des transports en commun pour rentabiliser les investissements publics. Parfois, le manque de courage des élus qui ne veulent pas s'opposer à la population donne des résultats contraires au développement durable.

En ce qui concerne l'emploi, je voudrais souligner l'intérêt du projet d'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée », en faveur duquel le Sénat a voté à l'unanimité fin 2015. Dans les zones rurales, la démarche se décline en trois temps : rencontrer les chômeurs, leur demander qui ils sont, quel métier ils ont exercé, quelles sont leurs compétences et leurs envies ; trouver quels sont les besoins non satisfaits sur le territoire ; créer l'outil qui mettra en relation les compétences des chômeurs et les besoins. On inverse ainsi la logique habituelle qui consiste à partir des besoins non satisfaits. Cinq territoires ont déjà lancé ce projet très porteur, en Ille-et-Vilaine, en Meurthe-et-Moselle, dans la Nièvre, dans les Deux-Sèvres et dans les Bouches-du-Rhône. Cinq autres le lanceront d'ici le mois de septembre.

Des emplois sont ainsi créés sur de petits territoires riches en logements. C'est très prometteur. Il faut raisonner dans une perspective durable, en partant des initiatives territoriales - c'est l'idée des plateformes locales de mobilité -, sans être étouffé par une centralisation excessive qui tend à normaliser toutes les actions, et dont on se meurt aujourd'hui. Une telle chape de plomb de l'administration pourrait faire échouer l'expérimentation en voulant tout normaliser, alors que chaque territoire présente des spécificités. En bref, il faut permettre aux personnes en situation de précarité de résoudre le dilemme : « soit je me loge, soit je travaille », ce qui est faisable à condition de partir des territoires.

Ayant été élue pendant vingt-cinq ans, j'encourage le Secours catholique à adopter une démarche politique très forte. Il faut parler au maire, quelle que soit son étiquette. Beaucoup de nos bénévoles, que nous formons à rencontrer les élus, siègent dans des centres communaux d'action sociale (CCAS) ou dans des comités économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER). Si l'on veut s'attaquer aux causes de la pauvreté, il faut travailler avec les élus.

Mme Françoise Laborde. - Je viens d'être nommée membre de la commission spéciale qui examinera au Sénat le projet de loi « égalité et citoyenneté »2(*), véritable loi « catalogue ». Lors de l'examen de ce texte par notre assemblée à la rentrée3(*), nous devrons notamment nous interroger sur le logement et le seuil de 25 % de logements sociaux fixé par la loi SRU. En effet, les maires rencontrent des problèmes car les logements sociaux ont parfois été construits à la périphérie des villages, ce qui ne correspond ni aux besoins des personnes âgées, qui ne peuvent pas aller acheter leur pain, ni à ceux des familles, dont les enfants ne peuvent pas se rendre à l'école à pied.

Quels sont les liens du Secours catholique avec des associations telles que l'Association des maires ruraux de France (AMRF) ? De par mon expérience, il me semble que l'AMRF de Haute-Garonne est un bon complément, sinon un contre-pouvoir, à la métropole et aux grandes villes.

Mme Véronique Fayet. - En ce qui concerne votre suggestion sur le GNFA, je dirais que cela fait partie des arrangements locaux qu'on peut trouver.  

Mme Françoise Laborde. - Le concours du GNFA est validé par Paris.

Mme Véronique Fayet. - Réparer la voiture d'une personne en grande difficulté est très valorisant pour un jeune.

Sur la problématique « égalité et citoyenneté », nous avons décidé de nous concentrer fortement sur le soutien à l'apprentissage du français, pour lequel les financements se font de plus en plus rares. Nous sommes à cet égard très présents à Calais, auprès d'une nouvelle génération de migrants - généralement de jeunes réfugiés de sexe masculin, et nous travaillons avec l'association Dom'Asile en Ile-de-France. Les migrants veulent de vrais cours de français qui leur permettraient, par exemple en deux mois intensifs, d'apprendre les rudiments de notre langue nécessaires à leur insertion. Les séances dispensées par des bénévoles ne permettent pas nécessairement cela. Or, la maîtrise du français est fondamentale pour s'intégrer et accéder à l'emploi. Une telle action pourrait toucher d'autres publics, comme des femmes turques présentes en France depuis vingt ans, qui n'ont jamais appris le français.

Mme Françoise Laborde. - À nous de réfléchir au seuil de 25 % de logements sociaux et à son sens : mieux vaudrait un peu moins de ces logements, mais qu'ils soient mieux raccordés aux réseaux de transports.

Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Il est vrai que le seuil de 25 % conduit parfois à l'effet inverse de l'objectif recherché.

Mme Véronique Fayet. - Je note que l'AMRF est un interlocuteur à connaître et je vous en remercie.

Mme Françoise Laborde. - En Haute-Garonne, 102 maires y adhèrent.

Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure. - Il nous reste à remercier Mme Fayet pour sa contribution si éclairante à notre réflexion.

Questions diverses

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Mes chers collègues, je tenais à vous informer qu'un rapport va prochainement être publié par notre délégation pour reproduire le compte rendu des quatre événements qui se sont déroulés au Sénat à l'occasion du 8 mars : l'échange de vues à la présidence du Sénat, la table ronde avec des meilleures ouvrières de France, la séance de questions au Gouvernement et le débat ayant fait suite à la projection du documentaire de Frédérique Bedos, Des femmes et des hommes, le soir.

Chaque membre de la délégation recevra très prochainement un projet de rapport, et je vous propose de procéder à la publication de ce volume à la suite de notre prochaine réunion.

M. Roland Courteau. - J'ai été invité hier par l'Association des élu-es contre les violences faites aux femmes (ECVF) à présenter notre rapport 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales. Il me semble nécessaire que nous ayons un débat en séance public sur ce sujet.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Vous avez raison, il est important que ce débat ait lieu. Cela était prévu, d'ailleurs. Je pense qu'il serait pertinent que ce débat soit organisé, si le calendrier parlementaire s'y prête, à une date proche du 25 novembre, Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes.

Mme Françoise Laborde. - Nous étions convenus, lors de l'adoption de ce rapport, que chaque membre de la délégation le remette au procureur de la République de son département. J'ai eu un premier entretien tout récemment à ce sujet en Haute-Garonne et d'autres échanges sont prévus à la rentrée.

M. Roland Courteau. - Il en effet très important de faire vivre nos recommandations. Par exemple, l'ordonnance de protection, qui se trouve au coeur de nos recommandations, ne fait pas l'objet des mêmes priorités partout. Si les choses avancent très bien en Seine-Saint Denis, dans d'autres territoires cette procédure est confrontée à une charge de travail des juges aux affaires familiales tellement lourde que l'ordonnance de protection ne semble pas traitée comme une urgence.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je vous remercie d'avoir attiré notre attention sur ce point.

Je vous donne donc rendez-vous, mes chers collègues, pour un échange de vues, le jeudi 30 juin, sur notre thème de travail « Femmes et laïcité ».


* 1 Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

* 2 Le Sénat a nommé au cours de la séance du 22 juin 2016 les membres d'un groupe de travail préfigurant la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi « égalité et citoyenneté ». Il appartiendra au Sénat de transformer ce groupe de travail en commission spéciale après la transmission du projet de loi, conformément à l'article 16 du règlement (note du secrétariat).

* 3 Pour mémoire, l'Assemblée nationale examinera ce texte en séance à partir du lundi 27 juin 2016 (note du secrétariat).