Jeudi 30 juin 2016

- Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente -

Rapport « Femmes et laïcité » - Premier échange de vues

Mme Chantal Jouanno, présidente, rapporteure. - Mes chers collègues, il m'a paru important de faire le point aujourd'hui avec vous sur notre projet de rapport que nous avions intitulé, dans un premier temps, « Femmes et laïcité ». Ce rapport donnera lieu à plusieurs échanges entre nous dans la perspective d'un examen en délégation dans le courant du mois d'octobre. Je souhaite d'emblée rappeler combien ce rapport aborde des sujets sensibles.

Je rappelle que ce thème de travail avait été inspiré à l'origine par le constat de dérives incompatibles avec les valeurs de la République, notamment par des difficultés d'accès des femmes à l'espace public dans certains quartiers. Un entretien avec l'association Femmes sans voile d'Aubervilliers avait attiré notre attention sur des menaces affectant l'égalité et la mixité et sur la nécessité d'une réflexion qui a d'abord, je le rappelle, porté sur la dimension protectrice, pour les femmes, de la laïcité.

Depuis cette première prise de conscience de la pertinence de ce sujet pour la délégation, nous avons pu faire le constat d'agissements graves tels que le refus de serrer la main à une femme. On a par exemple vu, à la télévision, le 24 janvier 2016, un responsable d'association affirmer devant la ministre de l'éducation nationale qu'il « ne serre pas la main aux femmes ». Cela a été finalement assez peu relevé.

Or des dérives de cet ordre, qui se produisent par exemple à l'école, à l'université et dans le domaine des soins médicaux, remettent profondément en cause les principes d'égalité et de mixité. Ces phénomènes, que le rapport décrit, sont très alarmants.

Ce sujet n'est pas nouveau pour la délégation, qui s'est déjà préoccupée des mariages forcés et des crimes d'honneur et qui a consacré, en 2003, un travail important à la « mixité menacée ».

Le contexte actuel est néanmoins différent, car il est marqué par les attentats, par le phénomène de radicalisation et par l'existence de groupes comme Daech, qui exercent contre les femmes une véritable barbarie. Et je n'oublie pas les événements du 31 décembre 2015 à Cologne.

Mais dans le même temps, il faut être prudent et ne pas cautionner des propos xénophobes. D'où mon souhait de privilégier, pour notre rapport, une approche dénuée de préjugé.

Comme vous le savez, nos premières auditions ont porté sur le sujet de la laïcité et sur sa portée émancipatrice pour les femmes. Cette première étape de nos réflexions a donné lieu à des auditions passionnantes. Mais le moins que l'on puisse dire est qu'elles ont montré combien la problématique de l'égalité hommes-femmes avait été absente des débats du début du XXe siècle sur la laïcité et combien les auteurs de la loi de 1905 se sont longtemps accommodés de l'absence de droits civils et politiques pour les femmes. Il y avait en effet à l'époque une volonté partagée de réduire la femme à son statut d'épouse et de mère.

Même si la laïcité a eu des conséquences émancipatrices pour les femmes car elle a permis de séparer la loi religieuse de la loi tout court, on ne peut dire que cette logique ait fait partie du « pacte laïque » d'origine. Je souhaite vivement que nous puissions avoir un échange sur ce point avec notre collègue Françoise Laborde, dont nous connaissons l'engagement en faveur de la laïcité et qui maîtrise parfaitement ce sujet.

Pour poursuivre notre réflexion sur notre rapport, nous avons fait le choix d'aborder la question de la dégradation de l'égalité et des droits et libertés des femmes sous un autre angle : non plus celui des relations entre femmes et laïcité mais, à l'inverse, celui de l'influence du fait religieux, dans son ensemble, sur les femmes. Il m'a semblé que cette approche était importante, même si elle n'avait jamais été tentée, il me semble, dans le cadre parlementaire.

L'idée était d'interroger, avec toutes les précautions qui conviennent, les contenus théologiques et d'envisager quelles conséquences ils impliquent, encore actuellement, sur le rôle des femmes dans notre société.

Dans cette logique, nous avons eu, le 14 janvier 2016, une table ronde extrêmement intéressante avec des personnalités investies dans les questions religieuses (parmi lesquelles un homme), mais qui ne représentaient pas nécessairement un point de vue officiel, aux côtés de représentantes des libres penseurs et de la Grande loge féminine de France. Cet échange avec des théologiennes, des sociologues, des ministres du culte, des responsables associatives et des traductrices de la Bible a été très stimulant. Le compte rendu de cette table ronde, qui a été publié, figure à titre de rappel dans vos dossiers.

La réunion du 14 janvier nous a permis de comprendre comment les textes fondateurs ont été interprétés d'une manière qui a contribué à renforcer la domination des hommes. Car ces textes, à l'origine, n'étaient pas destinés à restreindre la place des femmes. Le problème est l'interprétation qui a pu en être faite dans un sens contraire à l'égalité.

L'une des choses qui m'a frappée au cours de cette table ronde est la connivence qui s'est exprimée entre nos interlocutrices, qui cherchent à faire admettre une plus grande place pour les femmes dans les religions, et les sénatrices de la délégation. Celles qui ont assisté à cette réunion ont eu le sentiment, je crois, que les convictions de la délégation en matière d'égalité entre femmes et hommes et les combats de nos interlocutrices se rejoignaient.

J'ai retenu de cette matinée très riche un autre constat, fait par la rabbin Delphine Horvilleur, que je cite : « L'incapacité d'un système à faire de la place au féminin est toujours révélatrice de son incapacité à faire de la place à « l'autre » en général. Cette problématique est directement liée à l'intégrisme. Dans une pensée intégriste, en effet, l'identité se conçoit toujours de façon monolithique, pure de toute contamination étrangère. C'est la raison pour laquelle tous les fanatismes mettent en garde contre l'impureté des croyances, des idées et, surtout, du corps des femmes ».

Voilà une belle synthèse de la question qui sous-tend notre réflexion : empêcher un ordre social fondé sur la soumission des femmes par la réaffirmation de l'égalité entre femmes et hommes.

Ainsi pourrions-nous d'ores et déjà envisager que le titre de notre futur rapport se réfère, comme d'ailleurs l'intitulé de notre table ronde du 14 janvier, à l'égalité entre femmes et hommes. Il est essentiel, à mon avis, que ce titre comporte le mot « égalité ». Car c'est bien de cela qu'il s'agit !

Il faut à la fois lutter contre les extrémismes et contre l'obscurantisme pour permettre à l'égalité entre hommes et femmes d'être effective et à la laïcité d'être porteuse d'émancipation. Il faut affirmer l'égalité entre hommes et femmes comme principe essentiel de nos valeurs, comme marqueur absolu pour empêcher l'extrémisme et l'obscurantisme de faire partie de notre société.

Mme Michelle Meunier. - Cette priorité donnée à l'égalité, j'y souscris tout à fait. Nous avons constaté, au cours de la table ronde du 14 janvier, que c'était pour nos interlocuteurs un aspect essentiel de leur engagement. Comme vous, je pense qu'il est indispensable d'avoir un échange avec notre collègue Françoise Laborde sur l'articulation de la laïcité avec le principe d'égalité.

Mme Chantal Jouanno, présidente, rapporteure. - Initialement, je comptais vous proposer de partir de la laïcité, en raison notamment de la spécificité de notre pays dans ce domaine, mais il m'a paru au fil du temps que la laïcité n'entraînait pas nécessairement de marteler comme une priorité le principe d'égalité entre les sexes. Or la laïcité, pour protéger les femmes, suppose l'égalité des sexes. À mon avis l'égalité doit être érigée en principe avant même la laïcité. Cette hiérarchie, pour moi, ne fait aucun doute.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - En effet, alors que la laïcité est un terme générique, qui s'adresse tant aux hommes qu'aux femmes, le principe d'égalité pour nous est crucial et il se trouve au coeur des dérives que vous évoquiez. Si l'on s'en tient à un travail sur la laïcité, on n'identifie pas de manière assez claire notre thématique centrale de l'égalité.

Mme Corinne Bouchoux. - Je suis d'accord. Ce qui m'a frappée, le 14 janvier, comme vous tous et toutes je crois, c'est que, si la laïcité était au départ notre questionnement, en revanche pour les personnes que nous avons entendues, l'égalité était bel et bien au coeur de leur lutte et elles sont venues témoigner des inégalités dont elles souffrent.

Mme Chantal Jouanno, présidente, rapporteure. - J'en viens au projet de rapport, qui à ce stade s'appuie sur dix auditions, table ronde et entretiens et sur une abondante bibliographie comportant de nombreux titres (rapports officiels, ouvrages juridiques, recueils de témoignages...). La principale difficulté est presque d'en arrêter la liste, tant les nouvelles parutions sur ces sujets sont fréquentes !

Ce projet se réfère d'ailleurs aussi aux auditions faites par la mission d'information sur l'organisation, la place et le financement de l'islam en France, dont le programme de travail, considérable, a permis de rassembler des informations très complètes. Il s'appuie aussi sur le travail de la commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation nationale, présidée par notre collègue Françoise Laborde, dont le rapport a été publié en juillet 2015.

À ce stade, le contenu de notre rapport n'est pas encore abouti, mais la trame que je souhaitais vous soumettre ce matin pourrait nous permettre d'articuler notre raisonnement en trois temps.

Nous sommes partis, je le rappelle, d'une interrogation sur la manière dont la religion a pu contribuer à justifier des sociétés inégalitaires.

Je vous rappelle que, parmi les informations que nous avons reçues lors de la réunion du 14 janvier, il y a l'idée que les textes fondateurs ne sont pas en eux-mêmes porteurs d'inégalités. Ce point est d'ailleurs confirmé par d'autres sources.

Nous avons entendu le 14 janvier qu'Ève n'avait pas été créée à partir d'une côte d'Adam, mais « aux côtés » d'Adam, ce qui est très différent. De même, le mot « aide » qui figure dans la Genèse à propos de la femme, doit être compris non pas comme justifiant le rôle d'éternelle seconde dévolu à la femme, mais comme soulignant le besoin d'aide de l'homme. La nuance est importante.

Il est ressorti de ces échanges que les interprétations faites de ces textes ont en revanche permis de rendre acceptable l'infériorité des femmes, d'autant plus facile à maintenir que s'il est une loi contre laquelle il est difficile de se rebeller, c'est bien la loi présentée comme divine.

Cette étape de notre travail pose aussi la question de l'évolution possible des religions vis-à-vis des femmes : toutes les religions connaissent aujourd'hui des relectures plus favorables aux femmes, que je qualifierais de féminines, car elles sont portées principalement par des femmes. Ces interprétations des textes fondateurs conduisent notamment à des demandes d'accès à l'espace sacré pour les femmes, quand elles en sont exclues, et dans certains cas aussi à des revendications de leur accès au sacerdoce. Mais leur combat ne se limite pas à cette question.

L'expérience des femmes pasteures était sur ce point très éclairante pour montrer que les femmes ont toute leur place dans les fonctions sacrées.

S'agissant des droits sexuels et reproductifs, si le Protestantisme libéral a été engagé assez tôt, comme cela nous a été rappelé le 14 janvier, aux côtés du Planning familial, il y a actuellement une remise en cause de ces droits, et plus particulièrement de l'IVG. Nous devons nous élever fermement contre cette tendance. C'est, vous en serez d'accord je pense, un positionnement très fort de notre délégation.

Par ailleurs, il me semble que la délégation ne peut que s'élever contre des demandes concernant des certificats de virginité (en dehors de toute plainte pour violence sexuelle) ou de réfection d'hymen, qui témoignent de la volonté de maîtriser la sexualité des femmes. Il s'agit là de pratiques d'un autre âge et il est regrettable que certaines femmes puissent encore y être soumises dans notre pays, dans certains cas.

Mme Michelle Meunier. - Je suis pour ma part inquiète que l'association Civitas, mouvement catholique intégriste, ait été reconnue comme parti politique. On sait quelles idées sur les femmes ce mouvement véhicule. J'ai la même remarque, sur ce point, en ce qui concerne l'association pro-vie Alliance VITA.

Mme Corinne Bouchoux. - En effet, l'association Civitas a tout récemment été agréée par la Commission nationale des comptes de campagne et de financement des partis politiques en tant qu'association de financement du parti politique Civitas. Elle peut donc oeuvrer en tant que parti politique, soutenir ou présenter des candidats, et bénéficier des mêmes exonérations fiscales.

Mme Maryvonne Blondin. - Dans le cadre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dont je suis membre, nous constatons une menace sur les droits sexuels et reproductifs liée à un certain retour du religieux. Ce phénomène coïncide à mon avis, pour les femmes, avec un retour en arrière que l'on peut constater sur le continent européen. On peut donc avoir quelques craintes pour l'avenir...

Mme Chantal Jouanno, présidente, rapporteure. - En effet, s'il y a une chose dont nous sommes ici toutes et tous conscients, c'est qu'en matière de droits des femmes, rien n'est acquis, spécialement en ce qui concerne la maîtrise de la fécondité.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Vous évoquiez, madame la présidente, des relectures « féminines » des textes religieux. Je trouve que nous devrions parler de relectures « objectives », car elles permettent tout simplement de rétablir la vérité : ces textes ne sont pas misogynes.

Mme Chantal Jouanno, présidente, rapporteure. - Effectivement. Mais il se trouve que ces interprétations sont souvent le fait de théologiennes ou de traductrices, même s'il y a des hommes, bien sûr, pour porter ces relectures. Mais en effet, nous devrons tenir compte de ce qualificatif « objectif » dans le rapport, je suis bien d'accord.

J'en viens à la partie du rapport qui concerne les conséquences du fait religieux aujourd'hui, en France, sur l'égalité entre femmes et hommes.

Cette partie du projet de rapport fait également le constat, préoccupant, de menaces à la fois sur les droits et libertés des femmes en France et sur nos traditions de mixité. Le constat de ces menaces concerne le monde du travail, l'école, l'université et les soins médicaux, avec des conséquences particulières sur la pédiatrie et sur la gynécologie-obstétrique. Quant à l'espace public, on peut observer que dans de nombreux quartiers les femmes en sont trop souvent exclues.

J'observe que l'amendement de notre collègue Françoise Laborde a permis, dans le cadre de la discussion du projet de loi « travail », de faire passer dans le code du travail, avec l'accord du Gouvernement et de la commission, la possibilité d'inscrire le principe de neutralité dans le règlement intérieur des entreprises. Cet amendement a d'ailleurs été adopté avec un large consensus.

Cette partie met en évidence la diffusion, par Internet notamment, de messages encourageant une vision inégalitaire du couple et de la société au nom d'allégations religieuses exprimées à des fins politiques.

Le projet de rapport développe de manière assez complète les questions concernant le fait religieux à l'hôpital.

Dans ce domaine, je pense que nous pourrions recommander la mise en place, dans les hôpitaux, d'équipes pluriconfessionnelles d'aumôniers, dont la présence semble permettre de lever les doutes de certains malades sur la compatibilité entre les soins qu'exige leur santé et leur pratique religieuse. Les aumôniers hospitaliers sont d'ailleurs prévus par la loi de 1905. Encourager le renforcement de leur présence dans un esprit pluriconfessionnel permettrait probablement d'apporter des réponses à certains patients et contribuerait à apaiser la vie à l'hôpital.

Les questions qui se posent vont donc bien au-delà du débat sur le voile, dont le rapport analyse d'ailleurs l'enjeu et le sens. Les questions qui nous intéressent sont à mon avis bien plus vastes et le débat public se réduit trop souvent, dans ce domaine, au voile. Par exemple, je suis assez réservée sur l'idée, avancée par certains, d'étendre à l'université la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse.

En revanche, je voudrais savoir si vous seriez d'accord pour que nous abordions le sujet de la manifestation de signes d'appartenance religieuse par des élu-e-s : la loi, actuellement muette sur ce point, pourrait prévoir l'extension du principe de neutralité aux élu-e-s dans le cadre de l'exercice de leur mission. Pourquoi la même exigence de neutralité ne s'applique-t-elle pas aux agents du service public et aux élu-e-s ?

Mme Michelle Meunier. - Pour ma part, je m'abstiens, dans mes activités d'élue, de porter certains bijoux comportant une croix.

M. Roland Courteau. - Il me semble qu'une telle recommandation aurait du sens.

Mme Catherine Génisson. - En effet, les élus ont valeur d'exemple. À mon avis, la question devrait aussi se poser pour les candidats.

Mme Chantal Jouanno, présidente, rapporteure. - Je souhaitais aussi aborder avec vous le problème de l'influence étrangère qui s'exerce à travers par exemple la formation des imams et le fonctionnement des mosquées.

J'ai été très frappée, lors de la table ronde du 14 janvier, d'entendre certains intervenants déplorer que la loi de la République ne s'applique pas dans les espaces religieux, s'agissant notamment des droits des femmes. Je comprends pour ma part ces regrets, même si la question posée est très difficile compte tenu de la séparation des Églises et de l'État. L'un des participants de la table ronde a fait état de ce regret s'agissant plus particulièrement des mosquées, et de ce qu'il a qualifié de discriminations qui y sont faites aux femmes. Appliquer la loi de la République aux lieux de culte ? Cela mérite débat !

Mme Corinne Bouchoux. - À mon avis, la loi devrait s'appliquer partout.

Mme Catherine Génisson. - J'ai observé, dans ma région des Hauts-de-France, lors de funérailles religieuses, que femmes et hommes se trouvaient parfois séparés dans certains lieux de culte, même les membres de la famille du défunt.

Mme Maryvonne Blondin. - Je n'ai pas fait ce constat en Bretagne.

Mme Chantal Jouanno, présidente, rapporteure. - En tout cas, en ce qui concerne l'égalité entre femmes et hommes, on peut se demander pourquoi des lieux de notre territoire en seraient exonérés, même si ce sont des lieux de culte.

L'un des points évoqués au cours de la table ronde du 14 janvier concernait la formation des imams, qui actuellement est assurée par des pays étrangers avec lesquels notre pays conclut à cet effet des conventions. Je me demandais donc s'il ne serait pas pertinent de suggérer que les conventions bilatérales conclues par la France avec les pays dont sont originaires des imams appelés à exercer leur mission sur notre territoire, soient renégociées de manière à prévoir que la formation de ces personnes comprenne l'égalité entre femmes et hommes. Il faudrait aussi que ces conventions comportent l'engagement des intéressés à respecter, dans le cadre de leur mission en France, l'égalité entre femmes et hommes, socle de nos valeurs. Bien sûr, l'idéal serait que les imams qui exercent leur mission en France puissent être formés dans notre pays. Mais tant que cela n'est pas possible, il serait important, à tout le moins, d'attirer l'attention de ces personnes sur ce principe essentiel.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je comprends qu'actuellement, dans notre pays, l'islam radical pose des problèmes au regard de l'égalité et de la mixité. Mais ne pourrait-on pas rappeler que, dans l'histoire, les droits et libertés des femmes ont pu être bafoués, et parfois de manière assez épouvantable, par le catholicisme ?

Mme Catherine Génisson. - Ne pourrions-nous pas aussi rappeler l'attitude de l'Église catholique à l'égard de la condamnation des crimes pédophiles ? Surtout avec la remise en cause du droit des femmes à maîtriser leur corps à laquelle on assiste aujourd'hui... Pourquoi une telle fermeté à cet égard et tant d'hésitations face à la pédophilie ?

Mme Chantal Jouanno, présidente, rapporteure. - Un autre point qui me tient à coeur concerne les influences étrangères qui s'exercent dans les compétitions sportives internationales, et qui ont entre autres conséquences l'expansion du voile dans le sport féminin. Cela est contraire à l'égalité entre les athlètes, parce que l'on applique l'article 50 de la Charte olympique sur la neutralité politique et religieuse de manière beaucoup plus rigoureuse aux hommes qu'aux femmes.

L'une de nos recommandations pourrait concerner, si vous en êtes d'accord, l'appel à une stricte application du principe de neutralité des athlètes, prévu par l'article 50 de la Charte olympique, dans le cadre de la candidature française aux Jeux olympiques.

Mme Corinne Bouchoux. - Pour assister régulièrement aux réunions du groupe d'études sur les pratiques sportives et les grands événements sportifs, constitué au sein de la commission de la culture, il ne me semble pas acquis que les responsables de la candidature française abordent pour l'heure cette question dans ces termes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Le Qatar, qui attache beaucoup d'importance au sport dans ses relations internationales et qui recourt à des sportives pour améliorer son image, a envoyé pour la première fois des athlètes femmes aux Jeux olympiques de Londres et a organisé en février 2016 un Tour cycliste féminin du Qatar. Mais on observe que ces athlètes, dès la fin des compétitions, sont très vite invitées à retourner à leur place. L'émancipation par le sport a ses limites...

Mme Catherine Génisson. - Ce sujet est essentiel. Nous devrions, je pense, informer la maire de Paris, dont nous connaissons les engagements féministes, de notre détermination à cet égard.

Mme Chantal Jouanno, présidente, rapporteure. - Je suis d'accord pour lui écrire après l'adoption de notre rapport. Cette exigence de neutralité doit d'ailleurs être portée par la France pour toutes les grandes compétitions internationales, sans se limiter à la candidature française aux JO.

J'en viens à la dernière étape de ce pré-rapport, qui concerne la nécessité de réaffirmer l'égalité entre femmes et hommes dans notre législation et de mettre l'égalité au coeur de la laïcité : celle-ci ne peut vraiment protéger les femmes contre le risque d'obscurantisme lié aux extrémismes religieux qu'à la condition d'une stricte application de l'égalité entre les sexes.

Nous pourrons aborder à la rentrée des recommandations juridiques qui pourraient concrétiser cette affirmation.

Il s'agirait, d'une part, de mieux appliquer la règle de droit quand elle existe. Par exemple, un jugement récent a fait application de l'article du code pénal interdisant la discrimination contre un commerçant qui avait prévu des horaires d'ouverture séparés pour hommes et femmes dans son épicerie de la région de Bordeaux. Cela montre que notre législation permet d'ores et déjà, dans une certaine mesure, de faire respecter de manière stricte l'égalité entre les sexes.

Il s'agirait, d'autre part, d'approfondir les dispositions de notre corpus législatif pour permettre de sanctionner de manière plus rigoureuse les discriminations et les agissements sexistes.

L'idée serait aussi de modifier l'article premier de la Constitution pour que l'égalité des sexes figure explicitement dans notre loi fondamentale.

Certes, l'article premier prévoit, dans son second alinéa, l'égal accès aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. Mais il ne s'agit pas d'une affirmation claire du principe d'égalité entre les sexes.

Mme Corinne Bouchoux. - En effet, mais le principe inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 ne doit pas être minimisé.

Mme Chantal Jouanno, présidente, rapporteure. - Certes, le préambule de la Constitution de 1946 garantit aux femmes « des droits égaux à ceux de l'homme ». Cette affirmation n'a pas la même dimension, à mon avis, que revêtirait l'affirmation explicite de l'égalité entre femmes et hommes dans le texte de la Constitution de 1958.

M. Roland Courteau. - Rien ne nous empêche de déposer, le moment venu, une proposition de loi constitutionnelle !

Mme Chantal Jouanno, présidente, rapporteure. - Ce serait en effet une belle conclusion pour nos travaux. Nous aurons, bien sûr, ce débat plus tard : je voulais aujourd'hui vous indiquer quelques orientations constituant la trame de nos futures recommandations.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Cela présenterait le mérite de faire avancer, peut-être, le débat sur l'égalité...

Mme Corinne Bouchoux. - Je suis convaincue que ce débat ne peut pas laisser le Sénat de côté. Des progrès en matière d'égalité doivent y être encouragés. Par exemple, mon groupe est partisan de faire évoluer la présence des sénatrices dans les commissions où elles sont trop peu nombreuses ; je pense par exemple aux commissions des lois et des finances. Il nous semble important que la présence des sénatrices dans les commissions soit proportionnelle à leur place au Sénat, soit actuellement 26 % du total des membres de notre assemblée. Nous ne saurions exonérer le Sénat de l'obligation de respecter le principe d'égalité, dont notre rapport prônera une application rigoureuse...

Mme Maryvonne Blondin. - Dans le même ordre d'idée, j'observe que trop peu de femmes sont désignées pour participer à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, dans laquelle on ne compte que 16 % de femmes. Pourtant, cette assemblée, il faut le souligner, a la volonté d'y confier des responsabilités à des femmes, et ce depuis 2008. Des sujets tels que les violences faites aux femmes dans les armées ont ainsi été abordés dans le cadre de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Les parlements nationaux, et plus particulièrement le Sénat français, peuvent-ils se tenir à l'écart de ce mouvement favorable aux responsabilités des femmes ?

Je voudrais mentionner aussi aujourd'hui que mon rapport sur les femmes dans les forces armées a été adopté à l'unanimité dans le cadre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Mme Catherine Génisson. - L'année 2017 sera une année de rendez-vous politiques très importants. Nous devrions, je pense, à cette occasion, faire une « piqûre de rappel » pour que les partis politiques n'oublient pas les femmes en procédant aux investitures. Même dans les partis plutôt engagés en faveur de l'égalité, on peut avoir des surprises...

Mme Maryvonne Blondin. - En effet, nous savons bien que, souvent, les femmes sont investies dans des circonscriptions difficiles, voire ingagnables...

Mme Chantal Jouanno, présidente, rapporteure. - Je tiens à faire observer que si, au Sénat, les seuls groupes effectivement paritaires sont le groupe CRC et le groupe écologiste, le groupe dont je suis membre vient juste après, avec 30 % de sénatrices !

Mme Corinne Bouchoux. - Il faut toutefois souligner que la parité dans le groupe écologiste n'est pas nécessairement liée à une volonté déclarée de promouvoir des femmes, car il me semble qu'une une assez forte proportion de nos sénatrices était inscrite en second sur les listes. Le parti communiste est le premier parti à avoir appliqué la parité, il a à cet égard une très nette antériorité historique. Et de surcroît, il inscrit des femmes en tête de liste.