Mercredi 13 juillet 2016

- Présidence conjointe de M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -

La réunion est ouverte à 14h20.

Réunion constitutive

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Deux documents vous ont été distribués, l'un relatif à la composition du groupe de suivi
- dix membres de la commission des affaires étrangères et dix membres de la commission des affaires européennes - et l'autre sur la réunion informelle à 27 qui s'est tenu à Bruxelles le 29 juin. La dernière phrase du point quatre de la déclaration des chefs d'État et de gouvernement mérite une attention particulière puisque l'accès des Britanniques au marché unique passe par leur acceptation de chacune des quatre libertés : ils sont donc placés devant un choix cornélien puisqu'ils ne veulent pas perdre une partie de leur souveraineté tout en désirant restreindre la liberté de circulation des personnes. Aucun des partenariats qui existent à l'heure actuelle ne leur convient : ils voudraient un nouveau modèle à la carte.

Lundi, à Bratislava, nous avons vu Lord Boswell de la Chambre des Lords, qui était plutôt triste, estimant qu'il n'était pas impossible que le nouveau Premier ministre soit appelé à provoquer des élections anticipées pour demander la confirmation de l'intention du peuple. Sir Cash, le président de la commission des affaires européennes de la Chambre des communes, qui était triomphant avant le référendum, nous a paru un peu désemparé, tout en réclamant des négociations informelles avant la notification de l'article 50.

Nous avons auditionné ce matin à l'Assemblée nationale l'ambassadeur d'Allemagne en France, M. Nikolaus Meyer-Landrut, qui prône la fermeté.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. - Excusez-moi pour ce retard. Je me réjouis de la création de ce groupe sur un sujet d'une brûlante actualité. Hier, nous avions une réunion des commissions de la défense de l'Assemblée nationale et du Sénat français avec nos homologues britanniques. Les Anglais nous ont semblé perdus, désorganisés et opposés entre eux. Le sujet est grave et le calendrier incertain. Nous devrons tenir compte de cette réalité. Nous nous reverrons en septembre pour élaborer un programme de travail précis. Nous y verrons plus clair avec la nomination du nouveau Gouvernement britannique.

Nous avons une double crise à gérer : celle que traverse le Royaume-Uni mais aussi celle de l'Europe qui craint sa déconstruction. Il est toujours dangereux que deux faiblesses se rencontrent. En outre, nous devrons aider au redémarrage de l'Europe.

Hier, nos amis britanniques cherchaient à protéger leurs intérêts, qu'il s'agisse de l'agriculture ou de la défense. Leur ligne de défense était de dire qu'ils quittaient l'Union européenne mais pas l'Europe. La France se doit de définir une stratégie pour éviter de se faire tirailler entre les institutions européennes fragilisées et le Gouvernement britannique qui va vouloir imposer son propre rythme.

M. Jean Bizet, président. - Je me réjouis de voir nos deux commissions travailler ensemble. Nous allons devoir aider nos amis britanniques à répondre à la question : to be or not to be...

Notre première mission porte sur le suivi du retrait du Royaume-Uni à la suite du référendum du 23 juin. Le moins que l'on puisse dire est que la situation demeure assez confuse. L'article 50 du traité prévoit que le délai de deux ans pour la négociation d'un accord de retrait court à compter de la notification de sa décision de se retirer par le Royaume-Uni. Il prévoit que, accord ou pas accord, c'est à l'expiration de ce délai que les traités européens cesseront de lui être applicables. Or, nos amis britanniques ne semblent pas pressés de notifier leur décision. Une notification pas avant la fin de l'année est même évoquée : nous suivrons de très près les propos de Mme Theresa May. La déclaration des chefs d'État et de Gouvernement du 29 juin demande que cette notification soit faite « aussi rapidement que possible ». L'Union ne peut en effet demeurer dans l'incertitude sur une question aussi cruciale. Mais le traité est ainsi rédigé que le pays qui décide de se retirer a la maîtrise de la date à laquelle les négociations s'ouvrent. Notre ami Alain Lamassoure a rédigé cet article 50 et il n'imaginait sans doute pas qu'un pays pourrait un jour l'invoquer. Peut-être faudra-t-il le réécrire un jour...

La commission des affaires européennes a entendu la semaine passée notre représentant à Bruxelles Pierre Sellal qui nous a livré une réflexion intéressante. Je vous renvoie au compte rendu de la réunion. J'ajoute que le délai de deux ans prévu par le traité pourra en outre être éventuellement prorogé par le Conseil européen qui devra alors se prononcer à l'unanimité. Le groupe de suivi devra donc exercer sa mission dans la durée. C'est ainsi qu'il pourra rendre compte régulièrement à nos deux commissions et au Sénat dans son ensemble de l'évolution du processus de retrait jusqu'à l'achèvement de celui-ci.

Dans l'immédiat, nous pouvons engager des réflexions sur plusieurs questions : l'évolution de la position britannique sur la notification de la décision de retrait ; l'impact de la période transitoire sur le fonctionnement de l'Union et sur la place du Royaume-Uni en son sein ; la question des contributions budgétaires et des retours dont bénéficie le Royaume-Uni. Ce sera l'occasion de démontrer les contre-vérités énoncées par M. Boris Johnson et beaucoup d'autres.

Nous devrons aussi réfléchir à l'application du droit européen au Royaume-Uni ainsi qu'à l'impact d'un retrait sur les accords du Touquet concernant le contrôle des flux migratoires. L'essentiel des motivations anglaises portait sur la politique d'immigration alors qu'en 2004, cette même immigration a contribué au renouveau économique de la Grande-Bretagne.

Nous allons devoir examiner les conséquences de ce retrait en matière de défense, ses effets sur les places financières et la question des chambres de compensation. Sur ce point, nous avons à l'esprit l'argumentaire de la Cour de justice qui a spécifié que ces chambres devaient être localisées dans un État membre.

La deuxième mission de notre groupe sera de faire des propositions en vue d'une refondation de l'Union européenne. La Déclaration des Chefs d'État de Gouvernement évoque « une réflexion politique afin de donner une impulsion à la poursuite des réformes ». Une réunion informelle se tiendra le 16 septembre. Dans cette perspective, le Gouvernement va préparer une proposition française. On voit donc que le calendrier s'accélère, même si, à ce stade, rien de très concret ne semble se dessiner. Tout ce que l'on peut dire est qu'une nouvelle impulsion politique apparaît indispensable. Rien ne se fera sans le moteur franco-allemand aujourd'hui bien affaibli. Nous l'avons redit ce matin à l'Assemblée.

Il me semble nécessaire que nous travaillions à la recherche de ce qui fait la plus-value européenne. C'est la clé d'une relance du projet européen pour surmonter le scepticisme croissant à l'égard de la construction européenne.

Je voudrais évoquer plusieurs axes qui pourraient être explorés en ce sens : une intégration économique renforcée, qui permette de construire une Europe plus compétitive et d'aller vers une plus grande convergence économique et sociale. À la question d'un collègue député socialiste qui évoquait ce matin une assurance chômage européenne, l'ambassadeur allemand a répondu clairement que l'Europe ne s'alignerait pas sur les indemnisations généreuses pratiquées par certains pays européens.

L'Europe devra aussi répondre à la demande de protection et de sécurité des citoyens européens, ce qui soulève l'enjeu de l'Europe de la Défense, de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité intérieure. Elle devra aussi répondre à la crise migratoire.

Dans cette démarche, deux exigences devront être mises en avant : la simplification qui est la condition même de la réussite de l'action européenne et de sa perception positive par les citoyens et les entreprises, et la subsidiarité, qui pose la question du rôle des parlements nationaux dans le fonctionnement de l'Union européenne. Au fur et à mesure des réunions de la COSAC, la procédure dite du « carton vert » commence à être acceptée par beaucoup. La Commission européenne estime même nécessaire de donner un espace de liberté supplémentaire aux Parlements.

Toujours est-il que le groupe de suivi devra s'attacher à formuler des propositions concrètes et opérationnelles d'ici la fin de l'année. Il ne s'agit en effet pas de refaire un état des lieux de la construction européenne. Notre commission des affaires européennes l'a déjà fait dans ses travaux antérieurs. Je songe en particulier au rapport de notre ancien collègue Pierre Bernard-Reymond.

Sur la base de ces réflexions, le groupe de suivi devra donc envisager les voies et moyens d'une relance effective du projet européen dans les prochains mois. Hier, le secrétaire d'État italien aux affaires européennes, Sandro Gozi, nous a rappelé que le 25 mars 2017, nous fêterions le soixantième anniversaire du traité de Rome. Nous pourrions à cette occasion essayer de réenchanter l'Europe et nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Le Brexit aura également des conséquences sur nos relations bilatérales avec d'autres pays. Je pense notamment à l'Afrique.

Nous allons voir comment organiser nos travaux. Nos collègues britanniques veulent renforcer la coopération bilatérale mais évitons de tomber dans le piège qui nous verrait nous rapprocher du Royaume-Uni en matière de coopération bilatérale (défense, nucléaire...) et nous montrer beaucoup plus durs à Bruxelles. Comment gérer ces divergences ? Évitons de perdre en crédibilité.

Il nous faut à la fois conserver de bonnes relations avec nos voisins britanniques et éviter la déconstruction européenne. Nous rendrons nos arbitrages au sein de nos commissions et de nos groupes. Il nous faudra définir une position stratégique sur ces questions.

M. Jean Bizet, président. - Ne nous enfermons pas dans un cadre trop strict pour éviter d'être en porte à faux.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Le calendrier va être difficile à établir : les chefs d'État vont se réunir à Bratislava à la mi-septembre et ils feront des propositions. Que faire des nôtres ?

En outre, les fonctionnaires européens donnent l'impression d'imposer leurs vues au Conseil et à la Commission. Ainsi, en raison d'une prise de position de la commissaire chargée de la concurrence, les valeurs italiennes des télécoms se sont effondrées et l'Espagne et le Portugal risquent d'être condamnés. Tout semble continuer comme avant, sans prise en compte du Brexit. Je regrette l'absence d'inspection générale à Bruxelles : les directeurs sont tout puissants et l'autorité politique très faible.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - L'administration de Bruxelles respecte beaucoup plus les politiques que certains directeurs de notre administration centrale.

M. Christian Cambon. - Qu'allons-nous faire ? Des rapports ? Des communications ? Il serait dommage que nous commentions des évènements qui nous échappent. En septembre, nous verrons comment les choses tournent, mais ne nous bornons pas à être des spectateurs impuissants.

M. Jean Bizet, président. - Nous devrons fixer les lignes rouges sur lesquelles nous ne pourrons transiger. Nous examinerons à la loupe chaque Conseil européen et nous ferons des recommandations pour la refondation européenne.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous publierons sans doute des notes d'information et peut-être des rapports thématiques légers. Ce travail sera long, dans un calendrier serré. Nous devrons nous montrer réactifs.

M. Jean Bizet, président. - Avec les élections de 2017, notre exécutif risque de ne pas avoir la tête à ce dossier. Notre travail sera d'autant plus nécessaire.

Mme Éliane Giraud. - Nous devrons régir rapidement. N'oublions pas l'élection présidentielle aux États-Unis, qui aura certainement un impact sur la façon dont sera traité le Brexit.

On nous dit que l'Europe est fragile, mais nous ne savons pas comment la faire redémarrer.

Enfin, les élections européennes auront prochainement lieu : j'appelle donc à prendre un certain recul avec tous ces évènements.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous devrons savoir quels sont les moyens dont disposera notre groupe de suivi. Pourrons-nous étudier les réactions de Moscou, de Pékin ou de Washington au Brexit ?

La commission des affaires européennes a des rendez-vous réguliers avec les instances européennes. Les auditions de personnalités ne poseront pas de problème. En revanche, comment financer nos éventuels déplacements ?

M. Jean Bizet, président. - Il serait pertinent de prévoir l'audition de l'ambassadeur de Grande-Bretagne en France avant la réunion informelle des chefs d'État du 16 septembre. Peut-être serait-il également opportun de faire revenir notre ambassadeur de Londres pour l'entendre.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous solliciterons, en vue d'une audition, Sir Julian King qui restera sans doute ambassadeur britannique en France pendant encore quelque temps.

Avec Jean Bizet, nous allons élaborer un programme de travail que nous vous soumettrons.

La réunion est levée à 15 heures.