Mercredi 26 octobre 2016

- Présidence conjointe de M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Audition de M. György Karolyi, ambassadeur de Hongrie en France

M. Jean Bizet, président. - Monsieur l'ambassadeur, bienvenue au Sénat où nous avons chaque fois grand plaisir à converser avec vous, qui êtes très francophile et tout à fait francophone.

À la demande du président Larcher, la commission des affaires européennes et la commission des affaires étrangères ont fondé conjointement un groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne. La situation du Brexit est un peu plus claire depuis l'annonce d'une échéance pour l'activation de l'article 50 du traité sur l'Union européenne. La refondation m'apparaît comme le premier sujet à aborder avec vous, étant donné le rôle important de la Hongrie dans l'Union européenne, par son action au sein du groupe de Visegrad. Comment voyez-vous l'Europe de demain ? Quelles sont les mesures à mettre en oeuvre pour affirmer l'unité de l'Europe après le Brexit ? Celui-ci a mis fin à 43 années d'ambiguïté. À nous de reconstruire l'Europe à 27.

M. Christian Cambon, président. - Quel sera le statut des travailleurs hongrois au Royaume-Uni, qui seraient entre 200 000 et 300 000 ? Alors que l'inquiétude est vive, les déclarations du nouveau gouvernement britannique sont contradictoires. Que vous inspire ce Brexit, au regard des intérêts des Hongrois présents sur le territoire britannique ?

Le Brexit affectera le montant des fonds européens alloués aux projets structurants. Le produit intérieur brut hongrois baisserait de 3 à 4 % si les fonds structurels s'amenuisaient, privés de la contribution britannique à partir de 2020. Quelle parade la Hongrie pense-t-elle trouver ?

J'en viens aux perspectives de refondation de l'Union européenne. Un référendum sur le plan de répartition des réfugiés dans les pays membres a été organisé le 2 octobre par le président Janos Ader. Si les électeurs n'ont pas été suffisamment nombreux pour que le référendum soit validé juridiquement, ils ont néanmoins exprimé à 98 % leur accord avec le président, qui a affirmé qu'il en tiendrait compte. Que faut-il en attendre ?

L'un des buts de notre groupe de travail est de tenter de réconcilier nos concitoyens avec le projet européen. Votre pays, étant donné certaines de ses positions, fait l'objet de notre plus grande attention.

M. György Karolyi, ambassadeur de Hongrie en France. - Merci de votre accueil et de l'honneur que vous témoignez à notre pays d'Europe centrale, en l'invitant à participer à la réflexion sur le Brexit et la refondation de l'Europe. Ces deux sujets sont étroitement liés. L'un nous invite à réfléchir à l'autre - ce qui aurait aussi été le cas si le résultat du référendum britannique avait été inverse.

La Hongrie fait partie des pays qui regrettent le plus amèrement le Brexit. Quelques semaines avant le vote, elle s'était même singularisée par une publicité payante, parue dans les journaux britanniques, disant aux électeurs que la décision leur revenait mais que les Hongrois aimeraient qu'ils restent dans l'Europe. Il faut prendre acte du vote britannique, sans chercher d'échappatoires. En démocratie, tous les votes se valent, qu'ils soient issus de la City, d'Ecosse ou d'ailleurs. Nous devons maintenant gérer cette situation.

Nous ne croyons pas à la contagion du Brexit. Le Royaume-Uni est un grand pays qui a passé une bonne partie de son existence hors de l'Union européenne - le président Giscard d'Estaing l'a rappelé devant vous. Son adhésion prend fin au bout de 43 ans. La situation est délicate mais pas ingérable. Les autres pays d'Europe qui manifestent leur euroscepticisme ne sont pas dans la même situation - la Hongrie notamment. Quand on annonce son départ, encore faut-il savoir où l'on va. Je ne peux pas imaginer un seul instant que la Hongrie quitte l'Union européenne ; où irait-elle ? J'affirme ici avec la plus grande détermination qu'il n'y a aujourd'hui ni volonté politique du Gouvernement, ni majorité dans la population en faveur d'un quelconque éloignement de l'Union européenne, bien au contraire.

Selon la Hongrie, le Brexit a des conséquences sur l'organisation de la défense. Le Royaume-Uni et la France sont les deux principaux pays européens à être dotés d'armées puissantes. La sortie britannique de l'Union européenne divise par deux ses capacités militaires, ce qui est extrêmement dangereux. Nous avons donc lancé l'idée d'une armée européenne. On nous rétorque que c'est un rêve, une idée de très long terme à la limite de l'utopie. Il faut néanmoins y réfléchir. L'Union européenne doit se doter des capacités de défense dont elle ne dispose pas encore. Je le dis dans le respect total de notre adhésion à l'Otan, en qui nous avons confiance. Au début des années 1990, cette adhésion été approuvée par plus de 80 % des électeurs hongrois lors du premier grand référendum ouvert au monde libre. Dans toute armée bien constituée, à côté de l'artillerie lourde et des canons de marine - c'est l'Otan -, les obusiers ont aussi leur importance. Dans un monde qui change, face aux périls qui nous guettent, l'Europe doit se doter d'une capacité de défense. Trois échelons se compléteraient : l'Otan, l'armée européenne - avec 450 millions d'habitants, l'Union européenne exerce une grande influence mondiale - et l'armée nationale.

Quant à la gestion du Brexit, le pouvoir décisionnaire doit relever du Conseil européen, c'est-à-dire des chefs d'État et de gouvernement démocratiquement élus. La Commission, appareil administratif de l'Union européenne, doit évidemment être mise à contribution. Mais dans un dossier aussi politique, aussi sensible, le pouvoir ne doit pas lui appartenir. Le Conseil européen doit donner l'impulsion de départ des négociations mais aussi contrôler en permanence l'exécution des mandats de la Commission.

Comme la France et d'autres pays de l'Union européenne, la Hongrie est principalement attachée à l'indissociabilité des quatre grandes libertés. Le Brexit ne peut être aménagé : c'est tout ou rien.

La Hongrie se soucie de la protection des droits de ses ressortissants travaillant au Royaume-Uni, au nombre de 100 000 à 150 000, bien moins que les 800 000 à 900 000 Polonais. La négociation, que nous suivons avec attention, en donnera les modalités.

Je ne m'étendrai pas sur la logique du Fonds de cohésion. On me fait observer que la Hongrie profiterait de l'Union européenne, mais tous ici au Sénat s'accorderont pour dire qu'il s'agit non pas d'une aumône mais d'une initiative de l'Union européenne préexistant à l'adhésion des pays d'Europe centrale, dont le but est d'équilibrer les économies des pays adhérant au marché commun, et dont les niveaux en divergent.

La répartition du Fonds de cohésion, dont le Royaume-Uni est l'un des principaux contributeurs, devra être redéfinie après 2020. Le calcul de la différence entre les sommes que le Royaume-Uni ne versera plus et celles qu'il ne recevra plus montre que tous les pays souffriront. Nous sommes tous dans le même bateau. La Hongrie se prépare d'ores et déjà à la fin du Fonds de cohésion en prenant des mesures économiques.

L'Europe à 27 est une réalité. Née à six, pour des raisons contraintes, puisque beaucoup de pays qui auraient voulu faire partie des fondateurs ne l'ont pas pu, l'Union européenne a été élargie jusqu'à sa configuration actuelle, dont on ne peut que se réjouir. Il fallait l'élargissement, comme il fallait la réunification de l'Allemagne. Cette décision historique s'imposait, toutes choses égales par ailleurs. La gestion de l'Europe à 27 ne ressemble pas à celle de l'Europe à six. Les pères fondateurs n'avaient pas envisagé ce défi. L'histoire évolue, les hommes passent. Ce qui a été imaginé au début doit être repensé.

Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; les États membres de l'Union européenne aussi. Ce principe doit guider la refondation de l'Europe. Les pays d'Europe centrale s'estiment tout aussi européens que l'Allemagne, l'Italie ou tout autre pays fondateur. L'attachement de la Hongrie à l'Europe est au moins aussi fort que celui de la France.

Le bloc de 27 membres n'empêche pas la formation de sous-ensembles, qu'il s'agisse du groupe de Visegrad, du Benelux, de l'axe franco-allemand ou du Triangle de Weimar. Ils n'ont pas pour but de diviser ni d'affaiblir l'Union européenne, mais plutôt de contribuer à la réflexion commune, à la manière de think tanks. C'est ainsi que nous entendons le groupe de Visegrad, qui proposera une série de conférences sur la refondation européenne.

Nous sommes extrêmement attachés à une redéfinition très claire des fonctions du Conseil européen et de la Commission. L'Europe, c'est le Conseil européen. Le président Giscard d'Estaing l'a dit devant vous, et nous ne pouvons que nous féliciter qu'il ait créé ce conseil. L'Europe est née de la volonté politique de certains pays de s'unir. L'administration
- la Commission - est le ciment qui fait tenir la maison ; le Conseil européen en est le maçon. Beaucoup a été dit sur le prétendu rôle politique de la Commission, auquel nous sommes défavorables. Elle est une administration, dont le rôle est strictement défini par les traités constitutifs de l'Union européenne. Or la politique est l'art de gérer l'imprévu, souvent sous la contrainte des événements, en étant responsable vis-à-vis des électeurs. La Commission en est bien incapable. Elle doit avoir un pouvoir d'instruction des dossiers, peut-être de proposition, mais la décision politique doit rester entre les mains du Conseil.

Pour paraphraser la constitution française, le Conseil européen détermine et conduit la politique de l'Union ; la Commission l'exécute.

La Commission s'est fourvoyée à chaque fois qu'elle a voulu jouer un rôle politique. Ainsi, elle a divisé l'Europe sur les quotas obligatoires de migrants, suscitant une foire d'empoigne malheureuse entre les pays membres après avoir refusé de suivre le mandat du Conseil européen. De même, elle a proposé de réviser la directive sur les travailleurs détachés sans qu'aucun État membre, pas plus que le Conseil européen, ne demande rien. Sa proposition a suscité un carton jaune d'onze États représentant quatorze parlements. La Commission souhaite passer outre : sur quel mandat s'appuie-t-elle pour faire ainsi fi du souhait de tant de pays membres ? C'est en respectant les traités et la place de chacun que l'on pourra avancer.

L'Europe n'est pas aussi divisée qu'on le croit. Il est de bon ton de dire qu'il n'y a pas d'Europe s'il n'y a pas de solution commune. C'est à la fois vrai et faux. Il est bien entendu préférable d'obtenir l'unanimité, et les pays européens s'entendent sur beaucoup de sujets. Mais, sur d'autres, ils ne peuvent ni ne doivent être d'accord, sans que cela affaiblisse l'Europe. Pourquoi ne pourrait-elle pas faire état de sa diversité ?

La devise européenne consacre l'union dans la diversité. Les deux termes doivent recevoir leur dû, selon les moments. En matière de contrôle des frontières extérieures, on sous-entend que les initiatives individuelles des pays sont un fourvoiement, la solution devant être commune. Or une décision européenne peut être prise par un seul État. Si celui-ci est aux frontières de Schengen, il n'exerce pas les mêmes responsabilités que ceux qui sont entièrement enclavés, comme la République tchèque, et l'Union européenne n'a pas les mêmes attentes à son encontre. Lorsque nous avons procédé au contrôle de la frontière serbo-hongroise, nous avons appliqué la solution européenne. Tous les joueurs d'une équipe de football n'évoluent pas au même poste. Demande-t-on au gardien de marquer des buts ? L'Europe peut très bien fonctionner si chaque pays prend ses responsabilités européennes à son niveau.

Il y a soixante ans, à l'heure où nous parlons, les combats faisaient rage à Budapest. La Hongrie avait eu la témérité d'enfoncer un premier coin dans la toute-puissance de l'empire soviétique. Nous avons longtemps attendu la solidarité du monde libre ; elle n'est pas venue. Nous avons été écrasés. La porte à laquelle nous avions eu le courage de frapper ne s'est pas ouverte, et nous en avons repris pour trente-quatre ans. Quelques mois après cet événement - hasard ou non -, la partie européenne du monde libre créait le marché commun à Rome, devenu la Communauté économique européenne, puis l'Union européenne. Nous avons dû attendre quarante-huit ans pour la rejoindre. Ce simple fait devrait suffire à persuader tous nos interlocuteurs que la Hongrie est profondément attachée à l'Europe et qu'elle ne la quittera pas.

M. Jean Bizet, président. - Merci pour la clarté et la profondeur de vos réflexions, Monsieur l'ambassadeur.

M. Jean-Pierre Masseret. - Merci d'avoir confirmé l'attachement de la Hongrie à l'Union européenne. Monsieur l'ambassadeur, vous apportez un début d'explication à l'euroscepticisme en pointant du doigt l'espace occupé par la Commission, qui est supérieur à ce qu'il devrait être. Est-ce dû à l'absence de projet politique européen réel, capable de concilier les énergies et d'imposer à la Commission des directives plus précises ?

Une communauté de 450 millions d'habitants, sur sept milliards, ayant des intérêts puissants, devrait être un acteur respecté et respectable du monde. Mais le projet commun doit être conjugué avec l'exigence croissante de souveraineté nationale. L'unité dans la diversité est compliquée à réaliser. La refondation ne sera pas à la hauteur des défis du XXIe siècle si le Conseil européen ne définit pas de projet cohérent qui entraîne l'ensemble des nations. La montée des populismes et des nationalismes est le plus grand danger.

M. Jacques Gautier. - Merci de cet exposé clair, tranchant par moments. Les amis doivent se dire les choses. Monsieur l'ambassadeur, vous avez rappelé l'attachement viscéral, historique, de la Hongrie à l'Europe. Vous connaissez notre proximité.

Vous avez montré votre foi en une armée européenne, au sein de l'Otan. Nous y sommes engagés, comme pour des capacités européennes de défense, même si nous sommes plus sceptiques à court terme sur une armée européenne. Nous avons plaidé pour avancer avec ceux qui le veulent et le peuvent. J'ai cru comprendre que la Hongrie pouvait être un de ceux-là, et je m'en félicite.

Vous avez rappelé que l'Otan constituait l'artillerie lourde, et qu'il y avait place pour une posture de défense européenne, plus « légère ». Néanmoins, quand ils intègrent l'Union européenne, certains Etats membres choisissent des avions de combat américains et non européens. Récemment, aux hélicoptères européens ont été préférés des américains. Pourtant, nous devons partager des matériels communs.

Mme Gisèle Jourda. - Monsieur l'ambassadeur, vous soulignez que l'espace européen pourrait bénéficier de sa propre défense, avec une armée européenne qui ne remplace pas les armées spécifiques à chaque pays. Les capacités militaires de l'Europe sont déstabilisées par le départ du Royaume-Uni. Sans le remettre en cause - c'est hors de question -, un accord de défense ne peut-il être trouvé entre l'Union européenne et le Royaume-Uni ?

M. György Karolyi. - Contrairement à la Pologne, la Hongrie n'a pas acheté d'avions américains, mais suédois. Quant aux hélicoptères, les négociations hongroises en la matière sont encore en cours, notamment avec Airbus.

M. Jacques Gautier. - Il est exact que je faisais plutôt allusion à la situation polonaise....

M. György Karolyi. - Nous sommes membre de l'Otan, que nous continuons à juger indispensable, mais nous avons cessé de penser qu'il n'était plus nécessaire de nous défendre. À l'époque du pacte de Varsovie, l'armée hongroise était en mesure de résister un quart d'heure à une agression. C'est dire d'où nous partions... La Hongrie est encore loin de consacrer 2 % de son budget national aux investissements de défense, mais elle progresse à marche forcée. Nous sommes parfaitement conscients que l'Europe ne peut pas rester un nain militaire. La Hongrie fait tout ce qu'elle peut pour construire l'Europe de la défense, même si ses modalités restent à définir.

Le Brexit, sur ce point comme d'autres, conduira à une redéfinition. Le verre, que d'aucuns jugeaient à moitié plein, a été totalement vidé, mais il se remplira à nouveau : des accords avec le Royaume-Uni seront noués dans les années à venir, sur d'autres fondements. Je ne peux pas imaginer qu'il n'y en ait pas sur la défense.

Après soixante ans d'existence, l'Union européenne souffre de la maladie, classique, de la routine. Le projet de départ a suscité un enthousiasme qui a diminué au fur et à mesure de sa réalisation. Ce n'est pas une catastrophe, ni une surprise, mais un phénomène naturel à prendre en compte, auquel s'en ajoutent deux autres : l'éloignement chronologique de la Seconde Guerre mondiale - l'Union européenne a été fondée sur la volonté d'éviter les conflits - et le fondement de l'Union sur la prospérité, c'est-à-dire la certitude que les générations futures vivraient mieux que les générations présentes et passées. Or, avec les crises à répétition, nous ne pouvons plus l'affirmer. Ces raisons produisent un euroscepticisme qui n'est pas diabolique, mais grave.

Loger le projet européen dans les institutions, qui ne sont qu'un instrument, est illusoire. Le projet doit venir des pays. Ce sont eux qui font la force de l'Europe, non les institutions. C'est le maçon, et non le ciment, qui fait la maison.

Le référendum hongrois a fait l'objet de beaucoup de malentendus qu'il me faut lever. On a dit qu'il était invalide. Selon la constitution hongroise, un référendum n'est valide que s'il rassemble au moins 50 % des électeurs. Mais cette notion n'a de sens que pour un référendum normatif, puisque s'il n'est pas valide, le Gouvernement n'est tenu à rien. En l'espèce, le référendum hongrois était non pas normatif, mais consultatif. Les électeurs hongrois devaient dire s'ils étaient d'accord pour que l'Union européenne impose l'implantation collective de citoyens non hongrois en Hongrie sans l'approbation du Parlement hongrois. La réponse ne donnait lieu à aucune obligation pour quiconque. La notion de seuil n'a donc aucun sens. Il faut plutôt analyser le nombre de votants et le résultat. Quelque 44 % des électeurs se sont déplacés, pour voter à 98 % en faveur de la position du Gouvernement. Les députés européens ont été élus par moins d'électeurs, sans que personne ne rejette leur élection comme invalide.

Avec ce référendum, nous avons tenté de répondre à l'éloignement des populations de leurs dirigeants européens, puisque nous avons posé aux Hongrois une question qui préoccupe l'ensemble des Européens. Nous avons également mis en avant le rôle du Parlement, soulignant qu'une décision aussi importante pour un pays que la composition de sa société ne peut être prise sans l'accord du parlement national. L'Union européenne ne peut pas faire abstraction des représentants élus réunis au sein des parlements.

Mme Éliane Giraud. - Je suis d'accord avec M. l'ambassadeur sur la responsabilité politique, mais si l'Europe veut se projeter dans l'avenir, elle doit être ouverte, accepter une circulation importante des hommes et femmes ainsi que du négoce. Nous devons développer des cultures communes, progressivement travaillées pour la politique étrangère.

Le problème des migrants est international. Le changement climatique l'accroîtra dans le siècle à venir. Sans culture commune, sans réaction commune, l'Europe laissera place à des cultures d'exclusion et de fermeture. On ne peut pas progresser sur l'armée sans position commune sur les étrangers.

M. Jean-Marie Bockel. - L'impression de migrations sans limite, notamment issues du continent africain, provoque une angoisse à laquelle nous sommes loin de savoir répondre. Face au problème très concret des réfugiés, on ressent une distorsion. La chancelière Merkel s'est engagée très fortement, pour diverses raisons. La France reçoit peu de réfugiés mais exprime de grandes craintes, car tout est lié dans l'esprit des gens.

Votre exposé, Monsieur l'ambassadeur, est très argumenté. En arrière-plan se dessine toutefois l'image de votre gouvernement et ce qu'elle sous-tend d'inquiétudes de dérives populistes qui creuseraient davantage les clivages.

M. György Karolyi. - Ces propos me confortent dans mon idée : nous sommes beaucoup moins divisés que nous ne le croyons.

Certains pays, comme l'Allemagne, ont des raisons propres d'accepter les réfugiés. L'Allemagne subit le vieillissement de sa population, le manque de main d'oeuvre. D'une certaine façon, la Hongrie aussi, mais elle pense qu'elle peut y faire face autrement. Cette diversité me semble tout à fait admissible dans le cadre de l'Union européenne.

Il est clair que des politiques communes doivent être trouvées. Par notre attitude parfois qualifiée d'eurosceptique, nous tentons de contribuer à la réflexion de l'Union européenne sur des attitudes communes cohérentes et bénéfiques pour tous.

Le problème ne porte pas tant sur la gestion actuelle des flux migratoires que sur leur avenir. Personne n'a la réponse. La Hongrie estime, avec d'autres, que le problème doit être traité à la source, sans quoi l'Union européenne se prépare à intégrer entre dix et trente millions de personnes dans les prochaines décennies - c'est inconcevable. Il faut développer les pays africains et stabiliser sur place tous ceux qui voient en l'Europe un eldorado. Les systèmes de répartition au sein de l'Union européenne ne sont que des succédanés. La solution réside dans des accords de non départ avec les pays africains, c'est-à-dire des politiques de développement incitant les gens à rester chez eux. L'ambassadeur du Sénégal en France a lui-même déclaré que fondamentalement, l'homme souhaitait trouver son bonheur là où il a ses appuis : là où il est né, là où il a toute sa vie.

M. Jean Bizet, président. - Merci de cet éclairage qui renvoie au sommet de La Valette et à l'Union pour la Méditerranée, qui, prémonitoire, n'a pas été bien comprise. C'est dans les pays de départ qu'il faut oeuvrer.

La réunion est levée à 9 h 35.