Jeudi 15 février 2018

- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -

Table ronde « Être élu en 2018, la nouvelle donne

M. Jean-Marie Bockel, président. - Le Président du Sénat, Gérard Larcher, a exprimé à plusieurs reprises le souhait que nous nous saisissions de la question du statut de l'élu local, problématique inscrite à l'ordre du jour de la conférence des territoires organisée à Cahors. Je suis alors intervenu sur cette thématique que le Président de la République avait lui-même évoquée lors de la première conférence des territoires, le 17 juillet 2017.

La délégation, reconstituée début novembre, a validé ce thème de travail lors de sa réunion du 16 novembre 2017. Pour que l'ensemble des sensibilités soit représenté, dans un esprit consensuel, un groupe de travail a été constitué sur le statut de l'élu local, qui correspond au Bureau, à quelques ajustements près. Ce groupe de travail s'est réuni le 7 décembre et a défini un programme d'auditions et de tables rondes qui se tiendront soit en séance plénière, comme aujourd'hui pour cette table ronde inaugurale, soit dans un cadre plus restreint, mais ouvert.

La table ronde de ce jour s'intitule « Être élu local en 2018 : la nouvelle donne ». Elle offre l'occasion de faire le tour des principaux problèmes, avec madame la ministre et les représentants des associations d'élus présentes. Quatre tables rondes suivront sur le régime indemnitaire, le régime social, la formation permanente et la préparation de la reconversion en fin de mandat, la responsabilité pénale et les obligations déontologiques.

Pour cette réunion de lancement, nous avons souhaité disposer d'éléments d'appréciation précis. Nous avons donc adressé aux élus un questionnaire étayé fin 2017. Les questions étaient nombreuses et certains n'ont pas répondu à toutes. Nous avons tout de même obtenu 17 500 réponses.

Je souhaite tout d'abord tirer quelques enseignements de ces contributions : sur 17 500 contributions, 7 300 étaient complétées de la première à la dernière page. Ce chiffre très significatif présente une incontestable valeur démonstrative. Je remercie les associations présentes, telles que l'AMF, qui ont relayé le questionnaire auprès de leurs membres. Nous procédons actuellement à une analyse approfondie des résultats.

La totalité des fonctions locales est représentée dans les réponses. Plus de six répondants sur dix occupent un mandat communal, un tiers des fonctions intercommunales. Les maires représentent un quart des participants (4 200 participants). Tous les niveaux, départementaux et régionaux, sont également représentés. Les répondants sont issus de l'ensemble des territoires métropolitains et des départements et régions d'outre-mer. Les régions ayant de nombreuses communes rurales sont plus représentées que les autres, mais cela traduit une réalité de notre territoire. Les réponses sont révélatrices du profil des élus locaux : deux tiers d'entre eux sont des hommes...

Les élus locaux portent un jugement contrasté sur les réformes engagées par l'État au cours des dernières années. Les réformes relatives aux compétences locales, à la carte des intercommunalités, des régions et des services déconcentrés sont toutes jugées négativement, dans des proportions allant de 35 % à 50 %. La réforme annoncée de la baisse du nombre d'élus locaux suscite une majorité d'oppositions, à 55 %. La loi sur le non-cumul des mandats est perçue favorablement par 74 % des répondants. La crise des vocations apparaît comme une réalité à la lecture du document : les répondants ont identifié plusieurs freins à l'accès aux mandats locaux. Selon eux, les cinq difficultés majeures, dans un ordre décroissant, sont le degré d'exigence des citoyens, la difficile conciliation du mandat et de la vie professionnelle, le risque juridique et pénal, la lourdeur des responsabilités et la difficile conciliation du mandat avec la vie personnelle. 43 % des répondants ont indiqué avoir éprouvé des difficultés à constituer leur liste, avec trois profils particulièrement difficiles à mobiliser : les moins de 35 ans, les femmes et les salariés du secteur privé.

La crise des vocations doit être corroborée par le fait que 45 % des répondants envisagent de quitter la politique à l'issue de leur mandat. Parmi les principaux motifs invoqués, les premiers sont de nature objective (le temps accordé à la politique au détriment de la famille et du travail, l'âge atteint par l'élu), et d'autres de nature plus subjective (le sentiment du devoir civique accompli ou, au contraire, le sentiment de déception).

Les élus relayent des inquiétudes sur le risque pénal inhérent à leur fonction. Près de 87 % des participants évoquent un déficit d'information sur la question, notamment sur la problématique de la transparence de la vie publique. Une forte proportion souhaite une évolution du cadre juridique : ainsi, les trois quarts des répondants souhaitent réviser le régime de responsabilité pénale et ils sont encore plus nombreux à vouloir réviser le régime de répression des délits non intentionnels.

Un autre point concerne l'insatisfaction sur le régime indemnitaire et social. 85 % des répondants indiquent bénéficier d'une indemnité de fonction et jugent le régime insuffisant, quoique lisible, et trouvent que l'ensemble des élus devrait pouvoir en bénéficier. Le tiers des répondants connaît ses droits à la retraite : pour eux, le régime n'est ni protecteur ni lisible.

Sur la conciliation entre le mandat local et l'activité professionnelle, la moitié des répondants a indiqué exercer une activité professionnelle tandis que plus d'un tiers est à la retraite. Les deux secteurs d'emplois les plus représentés sont la fonction publique (20 %), l'entreprise (17 %) et un panel de professions libérales, agriculteurs, artisans et ouvriers. 83 % des répondants ont précisé que leur fonction élective ne les empêche pas d'exercer une activité professionnelle. Plus d'un quart des élus estime consacrer plus de 35 heures hebdomadaires à leur mandat, et plus de la moitié plus de 25 heures.

Les dispositifs destinés à faciliter l'accès d'une activité professionnelle en parallèle d'un mandat sont peu utilisés : moins d'un tiers des répondants a eu recours aux autorisations d'absence. Les autres dispositifs sont encore moins cités.

Enfin, 55 % des élus ont bénéficié de formations aux fonctions d'élu local, essentiellement dispensée par les associations d'élus locaux (56 %) ou les services des collectivités (moins de 20 %). 88 % des répondants jugent nécessaires d'adapter ces formations : 70 % souhaitent des formations diplômantes et cinq domaines devraient être renforcés : la finance et la comptabilité publique (un quart), le droit de l'urbanisme (un cinquième), la responsabilité pénale, le droit des marchés publics (15 %) et le droit de la fonction publique (8 %).

Au-delà de ces appréciations, les répondants ont identifié cinq champs prioritaires : la protection juridique et le statut pénal, la conciliation avec une activité professionnelle, le régime indemnitaire, la formation et la protection sociale.

Après l'intervention de madame la ministre, nous souhaitons aborder prioritairement trois sujets : la responsabilité juridique, la conciliation avec une activité professionnelle et le régime indemnitaire.

Pour la fluidité des débats, je vous incite à intervenir en cinq minutes. Madame la Ministre devra partir à 10 heures.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je procéderai à une courte introduction pour laisser le temps aux débats. Le statut de l'élu local constitue un des chantiers identifiés par le Président de la République dans le cadre de la conférence nationale des territoires. Vous avez déjà évoqué plusieurs points et le poids croissant des responsabilités des élus locaux, après 35 ans de décentralisation. Le statut a évolué, sans subir une transformation fondamentale. Nous sommes restés sur un schéma hérité de la période révolutionnaire où nous sommes en fonction tout en exerçant un métier. Exercer un mandat à la tête d'une collectivité peut pourtant être un véritable métier dans d'autres pays. Nous avons cette spécificité de concilier une vie professionnelle et familiale et un mandat électoral local.

Le statut d'élu local contient déjà de nombreuses mesures. Le Sénat a contribué à l'évolution de la législation. Un certain nombre d'élus ne connaissent pourtant pas tous leurs droits dans l'exercice de leur mandat local, malgré les efforts des associations d'élus, sachant que l'association des maires produit régulièrement un guide de l'élu local qui recense tous les droits. Les associations doivent sans doute encore progresser dans la transmission de ces messages. Les droits sont différemment appréciés. La formation est assez utilisée tandis que les autorisations d'absence semblent davantage méconnues.

Le Président de la République a par ailleurs évoqué le point du nombre d'élus en France, ainsi que celui de la limite du cumul des mandats dans le temps. Tous ces sujets doivent être abordés. Figure également dans les questions posées celle de la rémunération des élus. La méthode repose sur un triptyque basé sur la pédagogie, la concertation et l'ajustement de la loi, si nécessaire. La prochaine conférence nationale des territoires se tiendra en juin et il conviendrait que cette réflexion ait abouti à ce moment-là.

Quand le Président de la République a évoqué au Sénat le lancement de la conférence nationale des territoires et a abordé le thème de la réduction du nombre d'élus, il pensait aux communes nouvelles qui entraînent de fait une diminution du nombre d'élus. Une loi a diminué le nombre d'élus des communes de moins de 100 habitants : s'était alors posée la question de savoir si d'autres conseils municipaux avaient le bon nombre d'élus. Une commune de 4 500 habitants compte ainsi 27 conseillers municipaux : pourrait-elle en avoir 23 ? La question se pose, parallèlement à celle de la crise des vocations. Je ne dis pas que le gouvernement souhaite une réduction, mais pose tous les sujets.

Régions de France, sous la présidence de M. Rousset puis de M. Richert, avait évoqué le nombre d'élus régionaux. Depuis la création des nouvelles régions, le nombre de conseillers régionaux de chaque région précédente a été additionné, ce qui aboutit à un nombre assez pléthorique de conseillers régionaux dans certaines régions. Les régions ont donc elles-mêmes émis l'idée d'une révision du nombre des conseillers régionaux. Le gouvernement n'a aucune intention de légiférer sur ce point.

Quand la question des indemnités est calmement évoquée, en lien avec le non-cumul des mandats, elle aboutit à conclure que les élus doivent être correctement indemnisés quand ils ne peuvent plus travailler à cause de l'exercice de leur mandat. Je considère qu'il faut prendre le maximum des indemnités, puisque les élus travaillent souvent à temps partiel. Être élu se justifie et se rémunère. Je me suis battue pour que les petites communes disposent d'une indemnité automatique. Le point avait été voté à l'unanimité, mais a ensuite posé problème. Il convient donc de procéder avec prudence aux modifications législatives. Le sujet de l'indemnisation des élus est très sensible, ne serait-ce que parce que l'indemnisation pèse sur le budget communal ou intercommunal. Pour qu'il y ait des élus locaux, ces derniers doivent toutefois être justement rémunérés au temps qu'ils consacrent à leur mandat.

J'ai souhaité aborder, dans mon introduction, les sujets les plus sensibles.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous remercie, madame la ministre, pour avoir lancé ces débats de manière directe. Je vous propose de céder la parole aux représentants des associations.

M. François Zochetto, Association des Maires de France, maire de Laval. - Je vous remercie de nous recevoir. L'AMF utilise la terminologie « conditions d'exercice des mandats » plutôt que celle de « statut de l'élu » puisque ce terme risque de créer des malentendus et des insatisfactions. Nous avons constitué deux groupes de travail au sein de l'AMF : le premier est chargé de formuler des propositions sur la promotion des femmes dans les exécutifs locaux, présidé par Edith Gueugneau, et le second, que je préside, sur les conditions d'exercice du mandat.

La crise des vocations est-elle spécifique aux élus ? Dans tous les domaines associatifs, cette crise des vocations est également observée. Il est de plus en plus difficile de trouver des personnes qui souhaitent s'engager, souvent bénévolement, du fait de la difficulté à concilier ces missions d'intérêt général avec une activité professionnelle et une vie familiale. Dans certains pans du secteur public, il est même difficile de recruter.

De nombreuses contraintes pèsent sur les élus locaux, en premier lieu la problématique des normes, avec une impossibilité évidente pour un élu local de connaître l'exhaustivité des normes et même d'en connaître les grands chapitres. Je suis souvent ébahi par les compétences que déploient mes collègues qui ne sont pas juristes pour connaître approximativement le champ des normes. Je trouve que le niveau est plutôt élevé, compte tenu de l'environnement normatif. Je citerai également la responsabilité juridique et judiciaire croissante, sans cesse élargie, qui doit être mise en parallèle avec l'exigence grandissante des citoyens ; une contrainte liée au poids d'internet et des réseaux sociaux ; enfin, en parallèle, l'impression d'une moindre reconnaissance, voire d'une ingratitude, de la part des citoyens.

La question de l'indemnité ne constitue pas le problème majeur pour l'AMF, même si des ajustements sont probablement nécessaires. Des questions se posent toutefois - vous le verrez dans la note que nous vous remettrons - sur la définition de l'enveloppe globale.

Mme Édith Gueugneau, Association des Maires de France, maire de Bourbon-Lancy. - Avec ma collègue Cécile Gallien, maire de Vorey, nous avons constitué un groupe de travail pour promouvoir la place des femmes dans les exécutifs locaux. Si la loi impose désormais une obligation de parité, on s'aperçoit qu'il est compliqué de s'engager pour les femmes qui travaillent et ont une vie familiale. Adapter le temps de travail et le temps des réunions représente également un enjeu important. Comme toutes les femmes qui s'engagent, elles ne veulent pas faire les choses à moitié. Le groupe de travail vient de se constituer et formulera des propositions.

Se pose également la question du nombre d'élus dans un conseil municipal. Je suis élue en milieu rural, avec 29 conseillers municipaux, et nous pourrions être moins nombreux tout en restant efficaces. Nous sommes confrontés à de nombreuses réunions alors que les élus ruraux doivent aussi se former et assister aux réunions départementales et régionales. Tous les élus ne peuvent pas être aussi mobiles.

Concernant le cumul des mandats, j'ai été députée et ai choisi de conserver mon mandat local. Devenir parlementaire sans avoir exercé de mandat local peut interroger.

Nous avons parlé des parlementaires, mais pas d'autres élus qui cumulent les mandats au niveau régional, local et intercommunal. Des questions se posent alors aussi sur le cumul des mandats.

Enfin, un écart est constaté sur la rémunération entre les mandats ruraux et les autres puisque les élus des territoires ruraux doivent se rendre à Paris pour se former, ce qui requiert des moyens. La dotation diminue dans les collectivités et le volume dédié aux indemnités et aux formations est souvent mal perçu par les citoyens. Il conviendrait de démontrer que les élus doivent détenir des compétences et donc se former.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Vous exprimez la position de l'AMF tout en témoignant de votre choix puisque vous étiez l'un sénateur et l'autre députée, et avez privilégié vos mandats locaux.

François Rebsamen n'ayant pu se rendre disponible, l'association France Urbaine n'est pas représentée.

M. Loïc Cauret, président délégué de l'Assemblée des Communautés de France (AdCF), président de la communauté de communes Lamballe Terre et Mer. - Je suis maire depuis 1995 d'une commune de 14 000 habitants. La commune de Lamballe est une commune qui ressort de la loi Marcellin - donc commune associée - et une commune nouvelle. Les six entités qui forment la commune de Lamballe compteront 35 élus en 2020, contre 90 selon l'ancien modèle pour le même territoire. L'ancien territoire de la communauté comprenait 17 communes et regroupait 27 000 habitants, la moitié résidait dans la ville de Lamballe qui n'avait que 33 élus, l'autre moitié en ayant 150.

En France, les élus peuvent théoriquement concilier leur mandat avec une autre activité. Le grand danger consiste alors à laisser les services faire : l'administration territoriale est alors prise en charge par les services, si les élus ne sont pas suffisamment présents. Ce danger, qui guette toutes les collectivités, n'est pas admissible. Les élus doivent être présents, mais également détenir des connaissances techniques. Il est important qu'ils soient formés.

Les non-cumuls de mandats, dans les strates et dans la durée, amèneront des sorties. Lorsque j'ai été élu en 1995, j'étais conducteur routier et travaillais dans une petite entreprise. La seule sortie possible était la démission. L'entreprise de transport ne pouvait me promettre de me reprendre six ans après, si je n'avais pas été réélu. Si le non-cumul est institutionnalisé dans la durée, il conviendra donc de prévoir des sorties, faute de quoi les salariés du privé ne se présenteront pas aux fonctions électives. Les effets politiques et sociétaux doivent être anticipés. Les élus prendront le risque de deux ou trois mandats et se retrouveront sans rien à l'âge de 55 ans. Les effets sur la retraite et sur les rémunérations doivent être pris en compte. Autrement, ce sera une prime aux retraités, aux détachés ou à la nouvelle carrière des attachés parlementaires ou responsables de cabinet. Les maires des communes de plus de 10 000 habitants provenant du secteur privé ne sont déjà plus très nombreux. Ces questions doivent être traitées en termes de reconnaissance et de rémunération, directe et indirecte, mais aussi de formations qualifiantes, dans la durée, et de possibilités de sortie, sans quoi les personnes ne pourront prendre le risque de s'engager. Je constate depuis 2014 que certains jugent trop dangereux de s'engager, pas simplement du fait des risques pénaux, mais aussi pour la suite. De ce point de vue, une sécurisation des élus semble nécessaire.

Le point concerne également les adjoints et les vice-présidents des communautés : quand une communauté comporte des distances à parcourir de 50 à 70 km, et gère des budgets de plusieurs millions d'euros, les élus sont indemnisés entre 800 et 900 euros. Ils travaillent à temps partiel et effectuent des déplacements avec leur véhicule. De vrais problèmes se posent avec une telle organisation. Pour impliquer davantage les adjoints et les vice-présidents, il convient de leur donner des moyens. Nous nous interrogeons ainsi sur les véhicules de service pour les vice-présidents puisque nous ne pouvons pas les rembourser lorsqu'ils se trouvent sur leur propre territoire. Ce travail des vice-présidents et des adjoints doit être reconnu, puisque les situations ne sont plus du tout les mêmes qu'avant.

L'accession des femmes à de telles responsabilités pose la question de la garde des enfants, notamment pour les parents isolés, ainsi que celle des horaires de réunion.

Enfin nous nous interrogeons sur la question de l'harmonisation des statuts de communautés de communes et de communautés d'agglomération lorsque le nombre d'habitants est similaire. Ceci soulève également la question du statut des conseillers délégués dans les communautés de communes, puisqu'ils n'ont pas le même statut que dans les communautés d'agglomération.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous propose d'écouter maintenant les collègues des départements.

M. François Bonneau, vice-président de l'Assemblée des Départements de France (ADF), président du conseil départemental de la Charente. - Je détiens également un mandat d'élu local dans la commune de Rouillac. La dernière élection a conduit à une féminisation accrue, puisque la parité est maintenant respectée, et à un renouvellement. Le cumul des mandats a diminué, mais les élus, très impliqués, qui consacrent beaucoup de temps à leur mandat, s'interrogent sur la rémunération qui n'est pas à la hauteur du travail accompli. Je considère qu'une révision doit être apportée. De la même façon, les effets de seuil par rapport à la population posent également problème : la charge de travail est-elle moindre dans un territoire qui compte moins d'habitants ? J'ai la faiblesse de penser que tel n'est pas forcément le cas.

La fusion des collectivités présente un intérêt pour la diminution du nombre d'élus. Il convient de trouver des leviers pour inciter les collectivités à opter pour cette solution.

La question du nombre d'élus par conseils municipaux mérite également d'être soulevée, puisque nous constatons souvent que seule la moitié des élus du conseil municipal est véritablement impliquée. Il convient toutefois que la rémunération soit convenable. Dans les très petites communes, les marges de manoeuvre sont extrêmement faibles - j'ai dans mon département une commune de 32 habitants.

J'insisterai aussi sur le fait qu'il n'existe pas de désaffectation réelle, cependant je constate qu'un certain nombre de maires ont démissionné pour des problèmes de cumul d'activité, jugeant la charge de travail trop lourde. Cette réalité doit être prise en compte.

Une réflexion sur la norme doit être menée puisque les élus sont excédés par cette avalanche de normes qu'ils subissent en permanence et qui freine leurs initiatives.

Sur la formation, la collectivité départementale est sensible au sujet et dispense de nombreuses formations. Tous les élus doivent être formés. Entre le privé et le public, il conviendrait d'instaurer des dispositifs de validation des acquis de l'expérience et de prévoir des dispositifs de reconversion.

M. Mathieu Darnaud. - Je propose de céder la parole aux régions.

M. Michel Neugnot, premier vice-président de l'Association des Régions de France (ADF). - La parité ne pose aucun problème aux régions. La fusion des régions a effectivement amené certaines assemblées à devenir pléthoriques. Nous avons proposé de limiter à 150 le nombre d'élus dans les régions et dans les CESER, qui se retrouvent maintenant parfois plus nombreux que l'assemblée régionale tout en étant financés par elle.

Plusieurs questions se posent s'agissant de la rémunération, notamment quant à la place des présidents de commissions, qui jouent un rôle important dans les régions et ne sont pourtant pas reconnus comme tels puisqu'ils ne perçoivent que l'indemnisation de base, comme tous les conseillers, alors qu'ils assument une charge de travail supplémentaire.

Comme pour d'autres collectivités, les élus doivent régulièrement se déplacer. Or, le remboursement des frais de nuitée est limité à 60 euros. Nous proposons de le porter à 90 euros, ou au réel plafonné dans certaines conditions. Nous ne connaissons pas l'incidence de la nouvelle fiscalité puisque nous ne pouvons plus payer à part.

Pour les élus qui sont salariés, l'assujettissement du régime général de Sécurité sociale aboutit à une double cotisation. Dans la même veine, il convient de clarifier certaines dispositions du Code de Sécurité sociale relatives à la retraite des élus locaux qui, en l'état, posent des difficultés d'interprétation et d'application.

Concernant la formation, celle des élus titulaires d'une délégation de fonction est obligatoire dans leur premier mandat. Il nous semble nécessaire d'étendre cette obligation à tout élu nouveau, et non uniquement à ceux ayant une délégation et l'exerçant. Il conviendrait de dresser un bilan d'utilisation du droit individuel à la formation par les élus locaux pour améliorer le dispositif. Nous constatons une sous-consommation des crédits de formation alloués aux élus, avec la nécessité de reconduire d'année en année ce budget. Une masse importante de crédit n'est donc pas consommée. Une réflexion pourrait être menée sur le sujet. Nous souhaiterions enfin dresser un bilan de l'application de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, afin de toiletter les modalités d'application.

Enfin, un dernier point concerne le protocole : les élus départementaux et régionaux n'ont pas le droit de porter l'écharpe tricolore.

M. Mathieu Darnaud. - Je vous propose maintenant d'écouter le dernier intervenant des associations, celui des petites villes de France.

M. Nicolas Soret, Association des Petites Villes de France (APVF), président de la communauté de communes du Jovinien. - Nous partageons le diagnostic sur la charge de travail des maires et la complexification accrue du droit : de ce fait, 42 % des maires de notre strate appartiennent à la catégorie socioprofessionnelle des retraités. Le sujet consiste donc à promouvoir les mandats des jeunes actifs. Élu à 27 ans président de la communauté de communes, il m'a été compliqué de poursuivre mon activité professionnelle, et j'ai fini par démissionner.

L'APVF partage les opinions exprimées par les autres associations sur les indemnités. Est-il bien utile que les assemblées fixent par un vote le montant des indemnités en début de mandat ? Nous pensons que la juste indemnisation de l'élu, eu égard au temps qu'il consacre à sa fonction et à la technicité requise, ne relève pas forcément de l'assemblée. Quand vous arrivez à votre premier conseil, municipal ou communautaire, il est compliqué d'aborder le sujet. J'ai pris la suite d'un député-maire président d'intercommunalité et conseiller départemental. Je ne détenais pour ma part aucun autre mandat et je me suis permis de remettre l'indemnité à ce que je pensais être son juste prix. Mon prédécesseur prenait 100 euros pour l'indemnité, et j'ai demandé 800 euros pour un temps plein. Vous imaginez combien cette situation est compliquée.

Nous vous proposons par ailleurs l'extension du bénéfice de l'allocation différentielle de fin de mandat. Dans la loi portée en 2015, vous aviez ouvert aux adjoints des communes d'au moins de 10 000 habitants, contre 20 000 habitants auparavant, le bénéfice de l'allocation différentielle de fin de mandat, et l'aviez octroyée pendant un an au lieu de six mois. Nous vous proposons de parfaire ce dispositif et d'augmenter le montant de cette indemnité de 80 à 100 %.

Je vous propose de créer un droit à la reconstitution de la carrière pour attirer des jeunes élus et des actifs du secteur privé. Pour favoriser le retour à la vie professionnelle des personnes choisissant de s'investir dans la vie publique, il convient de réintégrer les années de mandat lors du retour dans l'entreprise, pour qu'elles soient pleinement prises en compte, notamment au titre de l'ancienneté dans l'entreprise. Ceci vaut déjà pour les droits à congé individuel de formation.

Nous vous proposons également de rénover les conditions d'engagement de la responsabilité pénale des élus. Depuis la loi Fauchon de 2000, les jugements rendus sur la responsabilité des maires nous semblent parfois excessifs et très disparates. Les maires des petites villes de France souhaitent plutôt déporter la responsabilité personnelle du maire pour les homicides et blessures involontaires vers la responsabilité des communes en tant que personnes morales. L'enjeu n'est pas de dédouaner l'élu mais de distinguer ce qui relève d'un dysfonctionnement collectif de la collectivité de ce qui relève de la faute manifeste du maire. Nous souhaitons revenir à l'esprit de la loi Fauchon, avec la possibilité de condamner en présence d'une faute caractérisée, terme toutefois trop ambigu qu'il conviendrait de remplacer pour le restreindre à la seule violation délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité, qui pourrait alors légitimement conduire à la condamnation pénale d'un élu local pour négligence.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Je cède maintenant la parole aux sénateurs.

Mme Françoise Gatel. - Le nombre de réponses que nous avons obtenues illustre l'importance du sujet et la diversité des préoccupations. Chaque association a bien posé les problématiques.

J'ai une question précise, née d'une situation difficile vécue dans le Morbihan, qui concerne le regard porté sur le statut juridique et social de l'élu. Dans la commune de Pontivy, deux élus ayant une activité professionnelle ont continué à exercer leur fonction d'adjoints alors qu'ils étaient en arrêt maladie. Ils ont continué leur mission tout en percevant des indemnités pour leur arrêt de travail. Quelques mois plus tard, l'URSSAF leur a demandé de rembourser une partie des indemnités perçues au titre de la maladie, considérant qu'ils avaient continué à exercer une activité, pour des sommes allant jusqu'à 10 000 euros. Au-delà du montant, une vraie question se pose. J'entends qu'il aurait apparemment suffi que le médecin écrive que l'arrêt n'empêchait pas d'exercer le mandat. Ceci signifie que l'élu est considéré comme un salarié. Le sujet me pose un véritable problème.

M. François Bonhomme. - Concernant la crise des vocations, disposez-vous d'ores et déjà de statistiques sur le nombre de maires démissionnaires ? J'ai le sentiment qu'ils sont plus nombreux qu'auparavant.

Le droit à la formation est important, souvent obligatoire en dépenses pour les collectivités. Je m'interroge toutefois sur la qualité des formations dispensées par certaines associations agréées par le ministère de l'Intérieur. Si les formations dispensées en matière d'urbanisme, de responsabilité pénale des élus ou des aspects budgétaires et financiers me paraissent fondées, d'autres me paraissent fort éloignées de l'exercice du mandat. Exercez-vous un contrôle sur la qualité de ces associations et sur la réalité de certaines formations ? J'ai l'impression qu'il existe des dérives en la matière.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Je suppose que tu fais référence aux associations proches des formations politiques, qui réalisent un travail formidable mais peuvent être exceptionnellement tentées d'être plus politiciennes.

M. François Bonhomme. - Organiser systématiquement des formations à proximité d'autres dates politiques peut soulever une question quant à la réalité de la formation proposée. Ce point mérite une clarification.

Vous avez introduit le sujet de l'interdiction du cumul dans le temps qui viserait à permettre le renouvellement. Ce sujet ne doit toutefois pas constituer l'alpha et l'oméga de la vie politique. Introduire dans la loi la limitation du cumul dans le temps reviendrait à dire que le peuple souverain ne le serait plus tout à fait puisque son choix serait restreint en amont par le profil de l'élu qu'il peut choisir. Ceci introduit des idées sur le profil des élus (trop de retraités), sur l'appartenance sociale ou le genre. Le principe premier me semble oublié : celui de la souveraineté du peuple et du suffrage universel, clé de voûte de tout le système. Le suffrage universel doit prévaloir.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Je vous remercie pour la concision et la clarté des constats posés et des attentes exprimées. Quand on a le privilège, ou le handicap, d'être élu depuis fort longtemps, on constate avec intérêt qu'il n'existe pas d'antinomie entre les constats dressés aujourd'hui et ceux d'hier. Il n'existe pas non plus d'antinomie fondamentale entre les différents niveaux de collectivités puisque les constats et attentes sont globalement similaires.

J'ai le sentiment, quand je parle avec les élus locaux, qu'ils n'y croient plus. Je suis très favorable à la proposition de l'AMF de privilégier la notion de conditions d'exercice des mandats, pour cesser de parler d'un statut de l'élu. Ce changement me semble de nature à redonner des lettres de noblesse au travail que nous entendons conduire.

Nous constatons des avancées sur le statut de l'élu, auxquelles le Sénat a grandement contribué. Pour autant, ces avancées n'ont existé qu'avec un cadre législatif. Il conviendrait donc que vous vous accordiez sur une hiérarchisation des attentes prioritaires en matière d'exercice des mandats locaux et que vous indiquiez si vous êtes favorables à une évolution législative, en sachant tout de même que l'heure n'est pas vraiment à de nouvelles lois sur les élus. Il y aurait, Madame la ministre, un certain courage - et nous savons que vous n'en manquez pas - à porter une nouvelle loi qui poserait les priorités des conditions d'exercice des mandats locaux et qui pourrait redonner goût à la démocratie locale.

M. Christian Manable. - Je souhaite revenir sur trois sujets.

Le premier concerne l'avenir des très petites communes rurales. Elles sont certes un héritage de notre histoire et une spécificité française, mais ont-elles encore un sens au XXIe siècle, alors que les dotations de l'État n'augmenteront pas et que le régime fiscal rend difficile la gestion de ces petites communes rurales ? Ces petites communes sont condamnées à mourir lentement. Le département de la Somme, dont je suis élu, est le troisième en nombre de communes, derrière l'Aisne et le Pas-de-Calais, avec 778 communes dont 750 dites rurales, selon les critères de l'INSEE, puisqu'elles comptent moins de 2 000 habitants. Parmi elles, 115 ont moins de 100 habitants. La plus petite de nos communes compte cinq habitants et plusieurs communes ont dix habitants. La solution consisterait à constituer des communes nouvelles, comme préconisé dans le rapport que nous avons rédigé avec Françoise Gatel, puisqu'elles constituent le moyen de sauvegarder la ruralité et de proposer des services de proximité à la population en milieu rural. Pour cela, il faut maintenir, voire augmenter, les dotations d'État afin d'inciter financièrement ces communes à s'agréger.

Le second sujet est celui de l'indemnité. Durant les 23 années où j'ai été conseiller général, j'ai toujours dit aux maires des communes rurales de mon canton de prendre l'indemnité maximum. Il n'y a pas de honte à cela. En divisant le nombre d'heures passées au service de la collectivité par l'indemnité mensuelle, le montant est vraiment dérisoire. Il convient donc de prendre l'indemnité maximum autorisée par la loi puisqu'un tel mandat est un véritable sacerdoce républicain.

Le troisième sujet que je souhaite évoquer est celui de la crise des vocations. Lors des élections municipales de 2014, 64 communes n'ont eu aucun candidat, ce qui n'était jamais arrivé dans notre pays. Les candidatures se raréfient. Par ailleurs, je constate dans mon département une multiplication de zizanies aux conseils municipaux, une frénésie de démissions en cours de mandat et une augmentation d'élections partielles.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Je juge ce plaidoyer très convaincant. Madame la ministre avait annoncé dès le départ ses contraintes horaires ; je propose de prendre encore deux interventions avant sa réponse.

M. Bernard Delcros. - Je souhaite nuancer les propos tenus sur les communes rurales. Je viens du département du Cantal, qui comprend de nombreuses communes rurales, et j'ai longtemps été maire d'un petit village. Le nombre d'habitants ne peut constituer le seul critère pour déterminer l'intérêt d'une commune. Je suis favorable aux communes nouvelles et j'en ai d'ailleurs créé une. Aucune solution ne peut toutefois s'avérer partout pertinente. Les communes rurales jouent un rôle majeur dans l'équilibre des territoires, dans le service de proximité, dans le lien social et dans la vie des territoires. Mais de nombreux élus sont découragés dans ces petites communes, à cause du poids des responsabilités et des normes. Il convient toutefois de veiller à ne pas prendre uniquement en compte le nombre d'habitants. Je pourrai citer des exemples de communes de 100 ou 150 habitants où il ne servirait à rien de supprimer la commune puisque ceci diminuerait les services aux habitants sans rien régler. À l'inverse, quand je me rends dans la capitale régionale, je traverse 15 communes dans la même ville.

Sur la question des indemnités, dans ces petites communes, il existe un problème de l'indemnité du maire. J'étais partisan de l'automaticité de cette indemnité. Il conviendrait peut-être de réévaluer la dotation des élus locaux, qui est très faible au regard de l'indemnité de 500 ou 600 euros du maire.

Mme Sonia de la Provôté. - Je souhaite aborder quatre points.

Le premier concerne la mise à disponibilité, quand on a un emploi, y compris dans la fonction publique. Dans bien des situations, la liberté donnée à l'élu local pour exercer son mandat ne semble pas tout à fait transparente. Au sein de l'Éducation nationale, il est plus facile dans certains établissements de libérer du temps pour exercer le mandat que dans d'autres. J'entends bien qu'il existe des problèmes organisationnels, mais cela ne met pas tout le monde au même niveau. Ce n'est pas une critique, mais un constat factuel. Il conviendrait de prévoir une plus grande transparence dans les autorisations et les obligations, pour que l'élu ne se retrouve pas en situation de devoir négocier avec sa hiérarchie.

Le second point est celui de la « réunionite ». Ce sont toujours les mêmes élus qui se retrouvent dans toutes les réunions à traiter tous les sujets. Ils deviennent très polyvalents et compétents. Il nous faut parvenir à ce que chacun puisse faire autre chose qu'échanger au cours de réunions : il faut du temps de travail et du temps de présence sur le terrain, et il conviendrait d'équilibrer cette manière de fonctionner, peut-être en permettant à d'autres élus que les adjoints de représenter le maire dans certaines situations.

Le troisième sujet est celui des parcours. Pour être élu national, il convient peut-être d'avoir des exigences sur le parcours d'élu local. Il n'est pas possible de s'improviser porte-parole des citoyens et des collectivités si l'on n'a pas pratiqué soi-même l'exercice du mandat local pour comprendre l'engagement et les difficultés d'exercice.

Enfin, mon quatrième point est celui des rémunérations. Elles doivent inclure les coûts directs et indirects, tels que la garde des enfants, pour les femmes, mais aussi pour les hommes, compte tenu des horaires des élus locaux, le coût des déplacements et la prise en charge des arrêts maladie et des grossesses.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Mes chers collègues, je vous céderai de nouveau la parole immédiatement après l'intervention de madame la ministre, en présence des représentants des associations.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - J'ai bien noté l'exemple de Pontivy. J'ai connu un exemple similaire dans mon département, pour un élu en arrêt maladie auquel la Sécurité sociale a réclamé par la suite d'importants remboursements. Nous étudierons comment améliorer le point. Les arrêts maladie peuvent préciser les droits de sortie et pourraient sans doute préciser ce point.

Nous ne disposons pas encore de statistiques sur les maires démissionnaires, mais nous pouvons interroger tous les préfets pour disposer d'informations plus précises.

Vous évoquiez tout à l'heure les zizanies dans les conseils municipaux : je constate effectivement qu'elles se répandent et entraînent des démissions. Il serait intéressant d'analyser les causes de ce phénomène et les ressemblances entre les communes où elles interviennent. Le sujet est presque culturel.

Le ministère de l'Intérieur délivre les autorisations pour les associations habilitées à dispenser des formations. Ces dernières doivent produire le détail du contenu des formations proposées. La question posée portait finalement plutôt sur le lien entre les associations et les partis politiques. Actuellement, il n'existe pas de contrôle sur les formations réellement dispensées et il n'est pas interdit aux partis politiques d'avoir des associations de formations.

Nous parlons du cumul dans le temps pour les parlementaires et pouvons le faire pour les élus locaux, même si telle n'est pas l'intention du gouvernement. Je lie ce sujet au cumul des mandats des élus locaux, en nombre de mandats. Je rappelle que les élus des CESER ont exigé d'avoir un tel nombre d'élus lors de la création des nouvelles régions. J'ai connu des personnes élues dans plusieurs grandes collectivités et aux CESER. Certains cumuls peuvent sembler excessifs.

Vous avez parlé des conditions d'exercice des mandats locaux : c'est effectivement une meilleure appellation que le terme de statut. Si une démarche législative était envisagée, il conviendrait de définir des priorités.

Nous n'avons pas l'intention de rendre les fusions de communes obligatoires, et les communes nouvelles se constituent sur la base du volontariat. Des incitations peuvent toutefois exister. Nous avons prolongé l'incitation financière (DGF + 5 %) et l'avons ouverte plus largement, à 150 000 habitants. Je ne suis pas toujours sûre que les moyens financiers soient constamment la solution puisque l'attachement au clocher et au village reste très grand en France. La pédagogie est donc essentielle. Si la loi Pélissard a permis, par les maires délégués, de conserver une réalité aux communes historiques, il reste un problème culturel pour les communes nouvelles. L'ouest de la France, par exemple, est bien plus engagé dans les communes nouvelles que d'autres régions. Les associations d'élus ont un rôle à jouer pour relayer les informations.

La dotation d'élu local est versée par l'État aux communes de moins de 1 000 habitants pour compenser les indemnités, considérant que les budgets de ces communes sont trop faibles. Nous entendons la revendication formulée.

Il est difficile de réglementer les absences dans les métiers pour les élus locaux. Les applications des lois-cadres sont très diverses, dans le public et le privé, pour les autorisations d'absence. Cette mesure est bien plus facile à appliquer pour certains métiers, comme ceux de l'enseignement, ou pour les professions libérales, qui gèrent elles-mêmes leur temps de travail. Exercer un métier à mi-temps est bien plus simple pour un enseignant que dans d'autres professions. Nous pouvons peut-être améliorer le point relatif aux gardes d'enfants.

Sur le fait d'avoir été élu local avant d'être élu national, je suis toujours interrogative quant à la création d'un cursus, qui serait en outre inconstitutionnel. Il vaut mieux connaître les collectivités locales pour être sénateur. Certains peuvent cependant devenir sénateurs sans être élus locaux, si leur métier les amène à bien connaître les collectivités. Ainsi, un fonctionnaire territorial connaît bien les collectivités locales. Je pense en outre que les grands électeurs votent plutôt pour des personnes qui connaissent le métier. La démocratie ne doit pas être trop contrainte.

M. Jean-Marie Bockel, président. - J'ai été élu député sans avoir exercé aucun mandat auparavant.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - De nombreux députés de la nouvelle assemblée n'ont pas exercé de mandat local.

J'ai pris bonne note de toutes les remarques formulées par les associations.

Une instance de dialogue préparera la conférence nationale des territoires et nous vous associerons.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Le Sénat est très associé à la démarche. Il est effectivement important d'associer également les associations d'élus le plus en amont possible.

M. Éric Kerrouche. - Il existe un problème en termes de statut de l'élu relatif à la sélection du personnel politique. Une partie de la population a effectivement disparu de la plupart des assemblées françaises, qui ne comptent plus d'ouvriers ou d'employés, tandis que les agriculteurs sont surreprésentés, mais uniquement dans certaines parties du territoire. Certaines personnes ne se sentent donc même plus en capacité d'être sélectionnées pour exercer un mandat politique. Un travail doit être mené pour que le statut permette à chacun de penser qu'il peut se présenter, faute de quoi nous assisterons à une raréfaction des expériences qui peuvent être valorisées.

Il est question de professionnalisation, mais celle-ci est totalement inégale selon le rôle occupé. Quand, pour être président de département ou maire d'une grande ville, les élus sont obligés d'abandonner leur activité professionnelle, le mandat devient une profession pendant la période où vous l'exercez. Ce n'est pas forcément le cas pour les adjoints ou les conseillers municipaux délégués. Dans certains pays, pendant l'exercice du mandat, la profession s'arrête, ce qui entraîne des droits et des devoirs. Des indemnités peuvent rester valables pour ceux qui exercent toujours une profession, en complément de leur mandat. Faut-il continuer avec cette méthodologie de l'indemnité qui est un pis-aller, cachant une professionnalisation complète de certains ? Cette indemnité est soumise aux prélèvements sociaux alors que ces derniers valent normalement plus pour les salaires que pour les indemnités.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous nous intéresserons dans notre travail à cette dimension comparative avec les pays européens.

M. Daniel Chasseing. - J'interviens sur trois points. Le premier porte sur le système de sortie précédemment évoqué. Lorsque les élus auront exercé trois mandats et seront âgés de 55 ans, il convient de prévoir un système de sortie. Il faut aussi un minimum de moyens pour les adjoints et les vice-présidents des petites communautés de communes.

Le second point est le suivant : un parlementaire aurait pu être maire ou adjoint d'une commune de 5 000 ou 10 000 habitants, ou même vice-président d'une petite communauté de communes.

Je souhaite enfin évoquer les communes rurales : je suis élu d'un département et dans une communauté de communes de 5 000 habitants, dont deux communes de 1 500 habitants, les 19 autres communes comptant donc peu d'habitants. Il convient d'inciter les petites communes à se réunir, même si les communes nouvelles ne peuvent être constituées contre la volonté des habitants. Le nombre d'habitants ne peut constituer le seul critère. Dans les bourgs-centres, il est souhaitable d'avoir un minimum d'habitants pour proposer des activités et certaines politiques, par exemple celle de l'enfance, puisque ces politiques sont coûteuses. Il faut donc encourager la fusion des communes par des aides.

M. Marc Daunis. - Le sujet de la représentativité renvoie aux questions démocratiques : pourrions-nous avoir, dans la France actuelle, un Premier ministre avec un CAP d'ajusteur ou bien un ministre de l'Éducation nationale avec un parcours atypique ? Cette question doit constituer une grille de lecture pour nos travaux. On ne peut pas avoir toute une partie de la population qui ne se sent plus directement représentée dans une démocratie participative. Je ne vais pas entrer dans un débat sur la promotion sociale des organisations syndicales ou politiques, mais nous constatons que tout ceci ne fonctionne plus de la même façon. Le vivier des élus est le seul à pouvoir régénérer cela en matière politique.

La proposition visant à prendre sur la dotation des élus locaux pour rendre la rémunération des élus obligatoires me paraît très intéressante, tout en ayant un coût supportable. Ceci concernerait en outre plutôt des territoires qui ne sont généralement pas les mieux servis par la solidarité nationale.

La question de la zizanie a été abordée ; ce phénomène n'est pas totalement nouveau, même s'il a pris une plus grande importance. Il s'explique sans doute par une perte globale du sens du collectif dans notre société, phénomène qui touche également les partis politiques. Un émiettement naturel des postures individuelles est observé.

Une fois cette analyse réalisée, la réduction du nombre d'élus peut s'avérer dangereuse : la constitution d'une liste sera très compliquée puisque des critères serviront à choisir parmi les candidatures.

Mon dernier point concerne les questionnements soulevés sur les adjoints. C'est une question importante que nous devrons traiter, bien qu'elle se trouve en contradiction avec la proposition de prendre sur la dotation d'élu local. Faciliter l'utilisation par les élus de moyens collectifs, tels les véhicules, semble néanmoins logique. Un DST peut utiliser un véhicule de service, contrairement à l'adjoint ou au maire qui se rend à une réunion. Nous ne pouvons nous abstraire de soulever la question, dans le cadre des travaux.

M. Charles Guené. - Nous avons entendu l'ensemble des problématiques liées à la question de l'élu local. Nous devons regarder la philosophie qui sous-tend nos travaux.

Trois questions m'interpellent.

La première concerne le choix à effectuer entre professionnalisme et fonctionnarisation. Compte tenu de la technicité de la fonction, les fonctionnaires gouverneront de plus en plus si nous instaurons un non-cumul des mandats dans le temps. Une ligne de conduite doit donc être fixée.

La deuxième question consiste à ne pas établir une dichotomie entre les parlementaires et les autres élus, puisque les conditions se rapprochent de plus en plus. Certains élus locaux gagnent aujourd'hui plus que les parlementaires. Le parlementaire est un des rares professionnels à avoir perdu entre 40 et 50 % de son pouvoir d'achat en l'espace de quinze ans.

Le dernier point concerne le fait que des règles uniques ne sont pas possibles puisque deux France existent. Les collectivités refusent souvent des indemnités puisqu'elles ne peuvent les assumer.

M. François Grosdidier. - Les sénateurs comme les représentants d'élus locaux partagent le même diagnostic, même si le consensus manque sur certains points, par exemple s'agissant de l'allocation systématique du maximum des indemnités. Ce manque de consensus explique les précédentes contradictions. Je pense que la règle devrait être que l'indemnité maximum est perçue de plein droit, sans vote, pour toutes les communes. Rien n'est plus détestable que ce vote au premier conseil municipal ou régional qui donne l'impression aux citoyens que déterminer nos indemnités constitue notre première préoccupation. Il conviendrait que ce consensus soit établi.

La Moselle compte 730 communes, avec une métropole et des communes de quelques dizaines d'habitants. Je ne partage toutefois pas l'approche qui consiste à dire que les petites communes disparaîtront et que la commune nouvelle constitue la solution. Plus les communes sont petites, plus elles rendent service à moindre coût. L'État ne réduira pas la dépense publique en obligeant les communes nouvelles et le transfert de compétences de proximité à l'intercommunalité. Sur les compétences de proximité, aucune économie n'est réalisée, mais les circuits de décision et d'exécution sont allongés : il faut alors recruter du personnel d'encadrement, encadrement pourtant réalisé par l'élu dans la petite commune. Ceci ne signifie pas qu'il ne faut pas favoriser la commune nouvelle. Le fait que la machine d'État veuille à tout prix favoriser ce système va dans la direction opposée à une réduction globale de la dépense publique.

Sur les indemnités, si la CSG est due sur tous les revenus, le point diffère en revanche pour les cotisations sociales sans contrepartie quand les élus exercent par ailleurs une profession et cotisent à ce titre. Ce transfert, sans contrepartie du budget des collectivités vers le budget de la Sécurité sociale, me paraît très critiquable.

Le métier ou la profession d'élu requiert une disponibilité, parfois totale, à mi-temps pour le maire d'une petite commune et à plein temps à partir d'une commune moyenne, sachant que l'intercommunalité est chronophage. C'est un problème de disponibilité et de technicité. Plus on monte les compétences, plus les fonctionnaires de l'intercommunalité prennent les dossiers en main, à la place des élus communaux. Les fonctionnaires d'État sont plus à l'aise, exerçant sur les fonctionnaires territoriaux un ascendant qu'ils n'ont pas sur les élus. La démocratie locale y perd et c'est une victoire de la technostructure, à l'instar du fait que les parlementaires ne puissent plus être dans un exécutif local alors qu'ils peuvent exercer un métier en parallèle. Les parlementaires ont été déracinés des exécutifs locaux.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Le problème du cumul pour les chefs de petits exécutifs revient régulièrement, mais risque de poser la question d'un déséquilibre de présence au Parlement, au détriment des territoires urbains.

Mme Josiane Costes. - La réduction du nombre d'élus ne doit pas porter préjudice aux toutes petites communes situées dans les territoires enclavés et isolés. La commune et le maire représentent la République dans ces territoires. Si ces toutes petites communes sont supprimées, le sentiment d'abandon s'accroîtra et le résultat sera catastrophique pour la démocratie, avec des votes extrêmes.

Il convient d'obtenir un minimum d'adhésion des habitants pour constituer les communes nouvelles - nous en avons eu un exemple catastrophique dans le Cantal.

Pour réduire le nombre d'élus, il est possible en revanche de diminuer un peu le nombre d'élus des villes moyennes. Dans ma commune, nous sommes 39 élus et ce chiffre pourrait passer à 35. Il convient toutefois de tenir compte de la réalité des territoires et de ne pas supprimer les toutes petites communes.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Je remercie tous les intervenants pour nos riches échanges.

Jacqueline Gourault indiquait tout à l'heure qu'elle privilégiait le terme de « conditions d'exercice du mandat » à celui de « statut de l'élu ». Je partage cette position, même si nous avons repris le terme consacré. Le monde a évolué et nous souhaitons exercer au mieux nos responsabilités au service de nos concitoyens et de la démocratie.

D'autres tables rondes seront organisées. Nous travaillerons sur les thématiques suivantes :

- synthèse générale, avec Mathieu Darnaud, Marie-François Perol-Dumont et moi-même ;

- régime indemnitaire, avec Charles Guené, Bernard Delcros et Josiane Costes ;

- régime social, avec Daniel Chasseing et Marc Daunis ;

- formation permanente et préparation de la reconversion, avec François Bonhomme, Antoine Lefèvre et Michelle Gréaume ;

- responsabilité pénale et obligations déontologiques, avec François Grosdidier et Alain Richard ;

- analyse des réponses du questionnaire, avec Eric Kerrouche et Françoise Gatel ;

Faites-moi savoir si vous souhaitez vous associer à un de ces groupes de travail.