Jeudi 22 mars 2018

- Présidence de Mme Laure Darcos, vice-présidente -

Audition des co-fondateurs de Women Safe - Institut en Santé Génésique, le Docteur Pierre Foldès, urologue, et Frédérique Martz, directrice générale, sur les mutilations sexuelles féminines et le fonctionnement de l'Institut

Mme Laure Darcos, présidente. - Mes chers collègues, notre présidente vous prie de bien vouloir excuser son absence, due à des obligations auxquelles elle ne pouvait se soustraire, et qui me vaut l'honneur de présider notre réunion d'aujourd'hui.

Pour conclure nos auditions sur le rapport relatif aux mutilations sexuelles féminines, nous accueillons aujourd'hui le Docteur Pierre Foldès, urologue, qui a mis au point la technique chirurgicale de réparation des mutilations, et Frédérique Martz, co-fondatrice et directrice générale du Women Safe - Institut en santé génésique de Saint-Germain-en-Laye. Le docteur Foldès est le pionnier de ces techniques chirurgicales, auxquelles il a formé de nombreux confrères et consoeurs. Son engagement est universellement reconnu.

Plusieurs membres de la délégation ont eu l'occasion de visiter le Women Safe, le 5 février dernier. Ils ont pu constater le travail majeur qui y est accompli au quotidien pour réparer et accompagner les femmes victimes de ces mutilations.

La délégation a également organisé un déplacement, le 12 mars, au foyer d'hébergement Une femme, un toit (FIT). Nos collègues y ont rencontré une ancienne patiente du Women Safe, qui leur a expliqué que sa prise en charge et son accompagnement au sein de l'Institut avaient contribué de manière décisive à sa « reconstruction ». J'imagine que cela a dû être un moment très émouvant.

Enfin, les co-rapporteures ont entendu, le 15 mars, le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), qui a témoigné de son expérience de médecin de Protection maternelle et infantile (PMI) très engagée dans la prévention des mutilations.

Docteur Foldès, Frédérique Martz, nous comptons sur vous pour nous éclairer sur la prévention des mutilations sexuelles féminines et sur la prise en charge des victimes, notamment dans le cadre de votre institut.

Docteur Pierre Foldès, urologue. - Nous vous remercions de votre accueil.

Les mutilations sexuelles féminines touchent beaucoup notre pays du fait des migrations. Avant l'intervention des médecins dans ce domaine, des initiatives juridiques ont été prises, notamment par Maître Linda Weil-Curiel, avocate qui, la première au monde, a obtenu la criminalisation de ces pratiques. Notre pays est devenu pionnier dans ce domaine. Les médecins lui ont emboîté le pas dans la lutte contre ces pratiques. Nous avons ainsi découvert la technique de réparation de l'excision.

Il est très important que, à Women safe, nous formions une équipe. Si nous limitions notre intervention à celle que nous pratiquons au bloc opératoire, nous ne fournirions qu'une petite partie de la réponse. Les femmes mutilées sexuellement sont quasiment toujours victimes d'autres types de violences. C'est donc à un ensemble traumatique que nous devons faire face. La réponse n'est pas seulement chirurgicale.

Mme Frédérique Martz, co-fondatrice et directrice générale de Women Safe - Institut en Santé Génésique de Saint-Germain-en-Laye. - La problématique de l'excision est en effet très large. Il faut aussi prendre en compte l'aspect psychologique et post-traumatique. Certaines femmes qui arrivent en France et qui nous sont adressées ne savent pas qu'elles ont été excisées. La problématique émerge via les violences conjugales, par exemple.

Mme Laure Darcos, présidente. - Existe-t-il un profil type des patientes mutilées ? Par exemple, toutes les jeunes filles sont-elles mutilées au même âge, par tradition ?

Mme Frédérique Martz. - Même si les mutilations interviennent à des âges très précis dans certains pays, il arrive également que des femmes soient excisées alors qu'elles ont plus de vingt ans, comme cette jeune femme que j'ai reçue récemment : elle a refusé un mariage forcé et a été excisée à 22 ans. Il semble donc peu pertinent de parler de profil type.

Docteur Pierre Foldès. - L'Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la violence comme une « menace ou utilisation intentionnelle de la force physique ou du pouvoir contre soi-même, contre autrui ou contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fortement d'entraîner un traumatisme, un décès, des dommages psychologiques, un mal-développement ou des privations ». C'est exactement le cas des mutilations sexuelles.

On considère que 160 millions de femmes sont mutilées dans le monde, réparties dans 85 pays, et que 3 millions de fillettes encourent un risque chaque année. En France, un peu plus de 60 000 femmes sont concernées.

Ces mutilations sont pratiquées autour de la ceinture péri-sahélienne, mais elles apparaissent dans d'autres pays, notamment en Asie, en Indonésie, en Inde, aux Philippines, sur les Hauts Plateaux du Vietnam, en Colombie, au Venezuela et dans tous les pays d'immigration, comme les États-Unis, l'Australie et l'Europe, dont la France.

En Afrique, on distingue deux zones : l'Afrique de l'Ouest, où l'on rencontre des types particuliers de mutilations, et l'Afrique de l'Est, où se pratique l'infibulation. Les réponses, qu'elles soient médicales ou politiques, dépendent du type de mutilation. Le monde anglo-saxon réagit de façon un peu différente, car il n'a pas du tout le même type d'immigration que la France, et donc pas le même type de mutilations.

Les raisons pour lesquelles l'excision est pratiquée sont extrêmement variables. C'est un crime d'homme, né de la peur primale qu'ont les hommes de la sexualité féminine : ils ont voulu la contrôler et ont inventé cette arme terrifiante qu'est la mutilation du clitoris.

L'excision existe depuis vingt-sept siècles. Elle n'est pas un rituel de passage à l'âge adulte. Elle n'est pas du tout d'origine religieuse, même si elle est un peu plus fréquente dans certains pays musulmans, pour des raisons de domination de la femme. Elle ne figure pas dans le Coran. Dans les pays des religions du Livre, la mutilation existait bien avant. Cette pratique ne dépend pas non plus du niveau d'instruction. Au Nigéria, les femmes des couches les plus éduquées sont plus mutilées que les autres.

Dans un certain nombre des pays d'où proviennent les immigrants en France, comme le Mali et le Sénégal, l'excision est un peu plus d'origine rurale. En Afrique centrale, notamment au Nigéria, les petites filles des villes sont plus souvent mutilées.

Mutiler les organes génitaux d'une petite fille est un acte violent, à la fois physique, psychique et sexuel. C'est une atteinte aux droits de l'enfant. Les aspects juridiques se mêlent aux problèmes de santé. Il est très important de considérer une victime dans sa globalité et de prendre en compte toutes les atteintes qu'elle a subies. Ces mutilations sont également un acte de discrimination envers le genre féminin, un acte contraire à la loi, et pas seulement à la nôtre. La totalité des pays où se pratique ce crime - en France, on parle de crime - ont signé le protocole de Maputo1(*), qui les engage formellement à mettre fin à ces mutilations. Ces pays sont donc en contradiction avec leur propre loi. Les mutilations génitales sont des actes ayant de graves conséquences sur la santé et sont donc un problème de santé publique.

Lorsque nous avons essayé de réparer le clitoris il y a un peu plus de vingt-cinq ans, nous nous sommes aperçus que nous étions en fait, en quelque sorte, les premiers « exciseurs ». Le clitoris n'existait absolument pas dans la littérature médicale ! En tant qu'urologue, j'avais cent techniques pour réparer une verge, mais il n'existait rien pour le clitoris, sauf éventuellement pour l'enlever, comme cela s'est fait à l'égard de femmes qualifiées d'hystériques aux États-Unis. Or quand on veut réparer un organe, il faut d'abord savoir comment il est fait et comment il fonctionne.

Le clitoris est composé d'une double arche, le corps du clitoris, ancré sur le bassin. Ses arches se rejoignent à l'avant pour donner le gland, seule partie émergente et visible, que l'on appelle faussement le clitoris. Le clitoris, c'est l'ensemble de cet organe. Il mesure 11 centimètres, il est aussi grand qu'un pénis, mais un peu plus compliqué. Une deuxième arche entoure l'entrée du vagin et contrôle une grande partie de la sexualité féminine.

L'excision consiste à couper de façon tangentielle la partie émergente. Ses conséquences sont plutôt graves, car cette pratique emporte une partie du gland et du genou du clitoris. Il est important d'étudier la physiopathologie, car cela permet de comprendre la gravité des mutilations et des complications qu'elles induisent, mais également pourquoi il est possible de les réparer. Nous avons vu à Women Safe 15 000 femmes mutilées en consultation, nous en avons réparé 6 000. Nous avons étudié les parties blessées, nous nous sommes entretenus avec des exciseuses, nous avons réalisé des autopsies, des dissections anatomiques. Aujourd'hui, l'échographie et les IRM nous permettent de mieux voir ce qui se passe et de montrer aux femmes ce qu'elles ont exactement.

L'OMS distingue trois types de mutilations, plus ou moins graves en fonction de leur profondeur. Il faut absolument oublier cette classification. Certaines mutilations prétendument minimes peuvent avoir des conséquences terribles ; d'autres, très graves, permettent paradoxalement de conserver une sexualité.

On le voit à l'échographie, après mutilation, la majorité du gland du clitoris subsiste, ses vaisseaux sont intacts. C'est pour cela qu'on peut le réparer. Le clitoris, après l'excision, est désinséré de la peau. Un magma cicatriciel se crée, qui le colle à l'os du pubis en arrière. Les nerfs sont toujours là et il est possible de reconstituer le gland, mais en fait les conséquences de la mutilation sont très graves, car le fait d'attacher le clitoris à l'os du pubis, qui est normalement mobile et indépendant, aura de nombreuses conséquences.

Lors des rapports, l'ensemble de la vulve bouge. Après une excision, ces mouvements ne sont plus possibles, ce qui rend les rapports très douloureux, voire impossibles dans certains cas.

Même si les exciseuses d'Afrique de l'Ouest prétendent ne pas infibuler - l'infibulation consiste à fermer la vulve -, dans 80 % des cas environ, elles blessent les petites lèvres qui vont ensuite se coller, fermer la partie supérieure de la vulve et diminuer sa hauteur. En conséquence, lors d'un accouchement, la tête du bébé fait éclater le périnée postérieur. Le « simple » geste de mutilation détruit donc en fait trois étages de la vulve. Ensuite, chaque rapport, chaque accouchement sera source de nouvelles complications. La somme de ces complications successives entraîne un traumatisme beaucoup plus grave qu'on ne l'imaginait.

Aujourd'hui, 25 % des petites filles sont mutilées avant l'âge de trois ans. Dans cette tranche d'âge, le taux de mortalité immédiate à la suite des mutilations est de 10 % à 15 %. La majorité des petites filles sont mutilées entre l'âge de trois et dix ans. Enfin, 15 % des mutilations sont pratiquées au-dessus de dix ans. Ces mutilations sont en croissance. On en voit beaucoup en France. Les femmes originaires du sud du Burkina Faso, de la Côte d'Ivoire, de Guinée sont mutilées de plus en plus tard, parfois à l'âge de vingt-cinq ans, parfois plusieurs fois, avec les conséquences psychologiques que vous pouvez imaginer.

Les complications immédiates des mutilations sont très nombreuses : infections gynécologiques, problèmes urinaires parfois gravissimes, blessures, saignements, transmission du HIV, problèmes psychologiques.

Dans certaines excisions, très graves, les tissus superficiels ne sont pourtant pas touchés. Les prétendus experts considèrent dans ce cas que la vulve est normale. La femme ayant subi ce type de mutilation aura le plus grand mal à la faire reconnaître. Pour juger, établir un certificat, il faut vraiment s'y connaître. Il est donc nécessaire de former les gens sur ces mutilations.

Mme Laure Darcos, présidente. - Est-il désormais possible de réparer toute forme d'excision ?

Docteur Pierre Foldès. - Toute forme de mutilation est parfaitement réparable. Nous disposons d'une famille de techniques reposant sur le même principe. Nous avons publié un article dans la revue The Lancet sur ce sujet, lequel fait désormais référence. Nous obtenons 90 % de résultats anatomiques et près de 80 % de résultats fonctionnels six mois après l'intervention.

Mme Fréderique Martz. - Vous aurez compris que notre travail, à l'Institut, est facilité par le fait que nous sommes sûrs de cette technique chirurgicale, inventée par un chirurgien.

Que veulent les femmes qui arrivent à l'Institut ? Elles veulent libérer la parole, savoir, comprendre et partager. Qui nous les adresse ? La Cimade, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), l'Aide sociale à l'enfance (ASE), les services d'urgence, les forces de police, le GAMS, le comité de lutte contre l'esclavage moderne... : autant dire des structures très diverses. Elles peuvent aussi être orientées par le Docteur Foldès lui-même, après qu'il a reçu ces femmes. Nous avons accueilli, depuis l'ouverture de l'Institut, 685 femmes excisées et 42 enfants accompagnants. Trois filles mineures nous ont été adressées par l'ASE. Beaucoup de ces femmes connaissent la mutilation dont elles sont victimes et la chirurgie réparatrice, dont le Docteur Foldès les a informées.

Nous sont également adressées des femmes pour des situations de violences conjugales ou des violences subies lors de leur parcours migratoire : elles représentent 60 % des femmes excisées directement reçues par l'Institut.

L'orientation peut également être le fait d'un travailleur social, d'une sage-femme du Centre de Planification ou de la PMI par exemple, qui détectent des problèmes de santé globaux, comme des maladies infectieuses, susceptibles d'être liées à la mutilation sexuelle.

Des femmes nous sont aussi adressées à la suite d'une détection de problèmes d'insertion sociale, qu'ils soient administratifs ou d'hébergement - 65 % des femmes arrivent en cours de régularisation et sont hébergées au 115 ; 15 % vivent déjà sur le territoire depuis deux ans en moyenne, mais ne sont pas déclarées auprès des services sociaux. Elles sont souvent hébergées de manière très précaire et nous arrivent dans l'urgence, parce que leur hébergeur veut qu'elles partent ou qu'elles se prostituent. Certaines femmes cumulent plusieurs de ces difficultés - problèmes d'hébergement, violences, maladie.

Ces femmes sont demandeuses de soins, elles veulent protéger leurs enfants et ceux à venir. Nous avons reçu, à ce jour, 21 filles mineures en risque d'excision, accompagnées de leurs parents, voire orientées par la PMI, et 10 enfants co-victimes, témoins de violences conjugales et potentiellement en risque d'excision. De nombreuses femmes excisées nous arrivent d'Italie, au terme d'un parcours migratoire qui les amène en France principalement parce que la langue française leur est plus proche que l'italien.

Nous les prenons en charge à trois niveaux. Le premier est sanitaire, pour le dépistage de traumatismes et sévices subis dans le parcours migratoire, mais aussi de pathologies générales ; pour la prise en charge de syndromes post-opératoires et plus généralement traumatique, somatique, gynécologique. Parmi ces femmes, 49 % n'étaient couvertes que par l'aide médicale d'État (AME), ce qui n'est pas sans poser de difficultés. La chirurgie réparatrice n'est pas forcément leur demande, puisqu'elles peuvent nous arriver sans être au courant qu'elles sont excisées. Nous les amenons à réfléchir sur les violences qu'elles subissent et, si leur pays d'origine peut laisser soupçonner une excision, nous les orientons vers le Docteur Foldès, pour vérification.

Le deuxième niveau de prise en charge est juridique. Vous savez que c'est la Justice, en France, qui a amorcé ce combat et criminalisé la pratique. Cependant, moins de 2 % de ces femmes souhaitent déposer une plainte. Les filles ne veulent pas déposer plainte contre leurs parents, et il est rare qu'en cas de violences subies durant le parcours migratoire, souvent des viols, ces femmes souhaitent judiciariser leur situation.

Elles ne sont pas non plus en demande, bien souvent, d'écoute psychologique, ce qui peut paraître surprenant. Elles ont d'autres références. « Je ne suis pas folle », disent-elles, et elles ont raison de le dire, mais nous n'en prenons pas moins en charge le post-trauma quand elles recourent à une intervention chirurgicale de réparation.

Le troisième niveau de prise en charge est social, même si ce n'est pas notre mission de départ. Nous nous soucions de l'hébergement, de la prise en charge des enfants, en les orientant vers les PMI, l'aide sociale, vestimentaire, alimentaire.

Lorsque ces femmes prennent conscience qu'elles sont excisées et qu'il existe des solutions, ce qui peut demander du temps (entre six mois et un an), trois femmes sur cinq demandent à bénéficier d'une chirurgie réparatrice. Même si ces femmes ne sont pas en demande, tant il est vrai que les impacts psychiques de l'excision sont difficiles à maîtriser, nous contrôlons l'aspect médical de leur situation - fuites urinaires, règles douloureuses et autres symptômes qui les mettent en difficulté sociale sans qu'elles les lient nécessairement à l'excision - afin de vérifier le bien-fondé d'une chirurgie réparatrice.

Dans l'expression de leur ressenti, on retrouve l'idée d'une insensibilité, d'un plaisir sexuel dont elles ne savent pas ce qu'il est, et la manifestation d'un désir d'être « entières », car comme dans toute amputation, le membre fantôme se manifeste très fortement.

La chirurgie réparatrice est une réponse possible. Longtemps, elle a été remise en question, au motif que la possibilité de réparer ferait perdurer la tradition ! La technique chirurgicale a trouvé sa voie par une expertise pointue, qui seule permet d'engager la pratique, car un échec se traduit par une double peine pour la femme - le Docteur Foldès, qui a été amené à opérer pour des réparations mal faites, peut en témoigner.

Nous militons pour une prise en charge globale, car ces femmes souffrent de douleurs psychologiques et physiques. Aucune chirurgie ne peut être entreprise sans un engagement de la femme, qui doit clairement avoir conscience qu'il s'agit d'un parcours, avec son trauma post-opératoire, et qu'elle ne sortira pas immédiatement du bloc comme une femme neuve. D'autant qu'il faut aussi tenir compte des grossesses et des accouchements qui ont pu provoquer des problèmes physiologiques, des déchirures, etc.

Mme Laure Darcos, présidente. - Parlez-vous de la possibilité de la césarienne à celles qui sont en âge d'avoir un enfant ?

Docteur Pierre Foldès. - Je ne le recommande pas. Les femmes africaines ont souvent beaucoup de grossesses. Une femme césarisée risque de repartir avec un utérus cicatriciel. Au fin fond du Burkina Faso, où l'on ne trouve pas de service d'obstétrique, cela peut la tuer. En revanche, une chirurgie réparatrice sur une vulve fermée est toujours possible en cours de grossesse, pour permettre un accouchement normal.

Mme Frédérique Martz. - Le problème se pose différemment avec les femmes excisées en Afrique et qui vivent en France. Celles qui ont des références africaines fortes refusent plus fréquemment le suivi psychologique, alors que les femmes excisées en France sont plus volontiers en demande de chirurgie réparatrice.

Notre souci est d'avoir égard à l'éthique, de respecter l'autonomie de ces femmes, leur demande de liberté, de ne pas nuire à leur volonté d'être enfin libres, de vivre leur intégrité, de respecter leurs droits fondamentaux, bafoués lorsqu'elles étaient enfant. Une femme nous a dit un jour que plus que son excision, c'est son mariage forcé qui l'a traumatisée. Bien des femmes ne se souviennent plus de leur excision, mais leur mariage forcé est en revanche très présent. À une gynécologue qui essayait d'évoquer avec elle son adolescence, l'une de ces femmes a aussitôt répondu qu'elle n'avait eu ni enfance ni adolescence, ayant été mariée et mère très jeune. Quand ces femmes ont été excisées, leur sexualité a été arrêtée, et elles ne parviennent pas à avoir un regard sur leur corps et leur évolution en tant que femmes. Nous nous efforçons de les amener à faire peu à peu un retour en arrière.

Ces femmes veulent parler et pérenniser la parole. Même si elles ne veulent pas entrer dans une prise en charge psychologique, elles ont besoin de parler, et tant mieux. L'Institut est le lieu où elles libèrent pour la première fois la parole sur leur sexualité. Dans les groupes de parole mixte que nous organisons, avec des femmes victimes de toutes formes de violences et des femmes qui ne sont pas excisées, celles qui le sont parlent énormément de leur sexualité. Leur volonté est de se mettre à distance de l'origine rituelle et de leur propre souffrance, de surmonter leur perte d'estime de soi, de mieux connaître la sexualité. Les consultations gynécologiques permettent de débloquer certaines situations de refus ou d'appréhension du premier rapport sexuel après une chirurgie. Même si ces femmes ont parfois déjà des enfants, elles ne sont pas pour autant libérées dans leurs relations sexuelles, qui restent très subies. Elles cherchent à connaître un plaisir qu'elles n'ont jamais eu et nous demandent ce qu'est un orgasme.

L'éducation thérapeutique que nous mettons en oeuvre vient s'inscrire dans une approche singulière et collective, incluant l'entourage et le conjoint, que nous faisons entrer dans un dialogue sur la sexualité du couple dès lors que la femme a choisi d'être réparée d'une mutilation. Car certains hommes acceptent la réparation, mais n'en savent pas le pourquoi et ne se rendent pas compte que la sexualité est douloureuse pour leur femme. Nous les amenons à réfléchir à une sexualité plus harmonieuse.

Notre indicateur de réussite est dans le processus de réparation et le retour à la parole publique, sans tabou sur leur mutilation.

Comment lutter contre l'excision ? nous demande-t-on souvent. Je crois que 100 % des femmes qui ont vécu un avant et un après de la réparation sont en capacité de protéger, bec et ongles, leurs petites filles et de convaincre leur conjoint.

Nous protégeons beaucoup d'enfants en danger potentiel en cas de retour au pays ; nous faisons énormément de certificats médicaux.

Beaucoup de femmes, récemment entrées sur le territoire français après avoir fui des violences au pays, se retrouvent très rapidement enceintes, et nous arrivent. C'est que ces femmes ne peuvent s'imaginer sans un homme, sans des enfants. Elles ne prennent pas de recul dans cette relation et s'imposent des rapports et des grossesses malgré toutes les violences qu'elles ont subies.

Mme Laure Darcos, présidente. - Je vous remercie de vos propos, même s'ils sont très durs à entendre. Ils nous montrent que notre délégation a bien fait de prendre le sujet à bras le corps.

Mme Maryvonne Blondin, co-rapporteure. - Je vous remercie de nous avoir expliqué ce que nous avions pressenti lors de notre visite de votre institut, le 5 février. Vous avez mis l'accent sur la libération de la parole, dont nous mesurons tout le prix pour avoir entendu le silence poignant de certaines femmes qui n'en sont pas encore à ce stade.

Merci à notre délégation d'avoir relancé ce sujet essentiel pour l'égalité entre les hommes et les femmes. L'excision est la marque par excellence d'une domination de l'homme sur la femme, le déni de tout désir sexuel. J'ai été impressionnée, Docteur Foldès, par votre rappel du poids des siècles. Vous avez dit, Madame Martz, que ces femmes ne conçoivent pas d'être seules, malgré les souffrances endurées. On se trouve face à des situations si complexes qu'il faut inlassablement informer, former, y compris en se tournant vers les conjoints : on a besoin d'impliquer les hommes aussi.

Dans une lettre d'information de février 2016 de l'Observatoire national des violences faites aux femmes, vous dites avoir constaté, Docteur Foldès, malgré la criminalisation de ces violences, l'apparition de nouvelles formes de mutilations, soulignant « une inventivité terrifiante dans les crimes contre les femmes ». Dans une interview parue dans Le Monde en juillet 2017, vous estimez qu'avec les printemps arabes, on a vu resurgir des mutilations disparues. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Docteur Pierre Foldès. - Nous sommes face à des phénomènes géopolitiques terrifiants. L'Islam n'a jamais revendiqué la mutilation, mais après les printemps arabes, de nouvelles formes de domination des femmes ont été recréées dans certains pays dotés de nouvelles charia. Des imams isolés ont pu revendiquer la mutilation des femmes. On l'a ainsi vu réapparaître dans des pays où elle n'avait pas cours, comme la Tunisie, avec le même sens symbolique. On voit aussi aujourd'hui l'excision pratiquée sur les femmes, non pas par des exciseurs, mais par des criminels armés de baïonnettes, coupables de mutilations plus graves encore. C'est une réalité qu'il ne faut pas méconnaître. Les rapports de l'Unicef soulignent que malgré le travail des ONG, les chiffres ne baissent pas, et que l'on voit apparaître de nouvelles formes d'excisions dans de nouveaux pays, comme l'Inde.

Plus grave encore, on assiste à une médicalisation de ces pratiques. Dans certains pays, des professionnels de santé en viennent à pratiquer l'excision au prétexte que s'ils ne le font pas, c'est l'exciseuse de village qui s'en chargera, tandis que leur intervention sera mieux faite et entraînera moins de complications. Pour avoir réparé 200 à 300 femmes ainsi excisées, je puis vous dire que paradoxalement, ces excisions peuvent prendre des formes plus graves, car un chirurgien maîtrisant mieux le saignement peut couper plus profondément. Et cela rapporte de l'argent ! Chez les Guinéennes que l'on reçoit en consultation en France, on voit ainsi apparaître de nouvelles formes de mutilation préoccupantes. Cette utilisation de la médecine dans des pratiques criminelles pose un problème éthique terrifiant.

Mme Marta de Cidrac, co-rapporteure. - Je joins mes remerciements à la délégation. J'ai beau connaître Women Safe depuis longtemps, chaque fois que je vous écoute, je suis bouleversée. Cela fait peur de découvrir ce qui se passe à côté de chez nous, au sens propre et figuré, au XXIe siècle. On ne peut pas rester indifférent. Je vous remercie du travail que vous menez avec vos équipes.

Vous dites, Docteur Foldès, que des médecins participent aux mutilations. On le voit y compris en Grande-Bretagne ou aux États-Unis : des médecins pratiquent l'excision sur des femmes venues de pays où c'est la tradition, au motif que leur intervention serait moins risquée. Si dans certains pays, comme l'Égypte, ces actes sont légaux, ils sont totalement prohibés dans les pays comme le nôtre. Le législateur que nous sommes doit s'en préoccuper. En tant que médecin, que pensez-vous de ces confrères ?

Autre question : peu de sages-femmes, de médecins, d'infirmiers sont formés sur ces sujets et véritablement au fait des possibilités de réparation. Comment y remédier ?

Mme Frédérique Martz. - Lorsque des femmes nous parviennent sans que leur gynécologue leur ait appris qu'elles étaient excisées ni orientées vers une prise en charge réparatrice, elles nous arrivent blessées. Comme si le sachant lui-même se pliait à un tabou. De fait, ce sont souvent les sages-femmes qui nous alertent, à la suite d'un accouchement qui n'a pu se dérouler normalement. Peu de ces femmes sont sous contraception, pour des raisons culturelles. De nombreuses femmes viennent à l'Institut parce qu'elles sont enceintes ou prévoient une grossesse. Pourquoi leur gynécologue ne leur a-t-il pas signalé leur excision ? Cela reste pour nous une interrogation.

Docteur Pierre Foldès. - Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, le clitoris, dans l'histoire de la gynécologie, n'existe pas. Les praticiens n'ont donc pas été formés. Chaque fois que je constate qu'un gynécologue n'a rien dit à une femme mutilée, cela me rappelle à ce devoir de formation. Nous mettons en place un plan de formation à l'Institut et comptons beaucoup sur des partenariats pour nous y aider, et essaimer.

J'en viens au problème éthique que soulève la médicalisation de l'excision. Un médecin est fait pour soigner. La bataille est perdue dès lors qu'il envisage seulement de franchir la ligne rouge en pratiquant l'excision. Le problème n'est pas simple, car est également en jeu une question financière : il y a énormément d'argent à gagner...

Ces médecins prétendent pratiquer les opérations a minima, mais quand nous voyons les femmes vingt, trente ou quarante ans après, leur cicatrice a évolué et leur clitoris s'est détaché. De plus, elles auront commencé leur vie sexuelle par un acte criminel traumatique commis avec la complicité de leur famille. Nous sommes donc en opposition frontale avec des corporations de médecins qui gagnent beaucoup d'argent ainsi, en particulier aux États-Unis.

En France, la réparation est prise en charge, depuis 2004, par l'assurance maladie. Je puis vous dire qu'à Bamako, on voit la France comme un pays dont les citoyens sont prêts à payer pour la réparation, et cela donne une grande légitimité à sa parole.

Mme Maryvonne Blondin, co-rapporteure. - Vous évoquez 60 000 femmes concernées en France. Un réseau international de centres de prise en charge des femmes victimes de violences est en cours de construction, c'est essentiel. Quels sont les liens juridiques entre votre association et les nouvelles structures qui se mettent en place ?

Ce problème est mondial, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) a produit un rapport sur l'excision qui contient des recommandations aux quarante-sept pays membres. Ce n'est pas le monde entier, mais c'est beaucoup.

En 2014, le Défenseur des Droits avait sensibilisé la police de l'air et des frontières ainsi que les centres de vaccinations sur les risques encourus par les adolescentes rentrant au pays pour les vacances et qui, parfois, s'y faisaient exciser. Des propositions concernaient le retour en France et la reprise de la scolarité, mais certaines d'entre elles ne reviennent pas, alors même que leur établissement n'a pas délivré d'exeat. Ces établissements devraient obligatoirement signaler ces absences. Comment faire pour utiliser ces données afin qu'une alerte soit lancée ?

Mme Frédérique Martz. - La formation des chefs d'établissement est importante pour qu'ils ne ferment pas la porte. Certains sont déjà sensibilisés, de même que certains enseignants, mais ces personnels ne sont pas forcément habilités à s'occuper des questions de santé. L'alerte doit passer également par les infirmières scolaires, voire les assistantes sociales.

L'Éducation nationale a un rôle, mais elle n'est pas seule. Avec l'excision, on doit parler à la fois d'ici et de là-bas. Les chiffres en France sont importants, mais il est toujours difficile de situer le débat, s'agissant de personnes migrantes. C'est un point important, car c'est ainsi que l'on détermine où il faut agir.

L'objectif que nous poursuivons est d'ouvrir des centres de prise en charge là-bas. Lors de notre dernière mission en Guinée, nous avons pu rencontrer des agents du ministère des Affaires sociales à Conakry, nous leur avons conseillé de garder les femmes dans le pays et de les y protéger. En France, l'ancrage de ces femmes mutilées qui fuient leur pays est faible et durant leur parcours migratoire, elles sont souvent violées.

Leur propre pays doit prendre conscience du problème et appliquer le protocole de Maputo. Ces pays ne parviennent pas à être efficaces et nous devons nous garder des annonces qui célèbrent, ici ou là, la fin de l'excision, d'autant que les pratiques varient au niveau des ethnies, et pas seulement des États. En outre, il faut protéger les femmes qui ont été excisées et qui ont bénéficié d'une réparation, afin qu'elles ne soient pas excisées à nouveau, de retour dans leur pays.

Docteur Pierre Foldès. - Nous sommes en lien avec des initiatives internationales et européennes, et nous vous demandons que l'opérationnel, sur le terrain, et le politique travaillent ensemble, afin que les deux niveaux d'intervention soient plus efficaces.

Mme Laure Darcos, présidente. - C'est notre volonté, vous pouvez compter sur nous.

M. Marc Laménie. - J'ignorais l'ampleur de ces crimes, vos témoignages sont bouleversants et votre dévouement est admirable. Comment fonctionnez-vous financièrement et quels sont vos moyens humains ?

Mme Françoise Laborde. - Merci de votre engagement. Les découvertes que nous faisons en travaillant sur ce sujet donnent la chair de poule.

Le problème concerne des populations diverses, des petites filles nées en France ou des adultes en migration. La question du retour au pays est différente selon qu'il a lieu à la suite du rejet d'une demande d'asile ou qu'il concerne des petites filles qui, rentrant pour des congés, se font exciser.

Il me semble terrible que les « sachants » puissent ne rien dire, mais il est vrai que le clitoris n'est apparu que très tardivement dans les livres et dans les enseignements.

Vous avez dit une chose terrible : « si c'est réparable, ça va continuer », pensent certains. On ose espérer que des gens se diront qu'il faut arrêter les mutilations, mais on voit que même des professionnels de santé peuvent pratiquer de tels actes...

Comment assurez-vous la diffusion de votre savoir ? Il existe des « maisons des femmes » en France, mais votre institut, lui, n'est présent qu'à Saint-Germain-en-Laye. Comment envisagez-vous de former vos pairs et vos successeurs ?

Nous diffuserons notre rapport dans les écoles et les PMI. Il est vrai que, par manque de formation, les médecins de PMI et les infirmières de collège ne voient pas toujours les filles qui reviennent excisées. Nous serons vos messagers sur ce point.

Mme Laurence Cohen. - Je suis également bouleversée. La visite de votre centre et le témoignage, comme le silence, des femmes que nous y avons rencontrées nous ont beaucoup marquées en tant qu'êtres humains et que femmes politiques.

Je suis frappée par le fait que les femmes qui ont bénéficié d'une chirurgie réparatrice doivent ensuite être suivies en psychologie, parce que la chirurgie ne remet pas tout en place comme par magie.

Nous sommes au paroxysme de la violence : il s'agit de faire en sorte que les femmes n'aient pas de désir, qu'elles soient seulement des objets. Vous remplissez une mission de service public, mais plus le temps passe, plus on retire leurs moyens aux associations. Comment pouvons-nous agir pour généraliser vos bonnes pratiques ?

S'agissant de la formation, faudrait-il inclure un module obligatoire dans les études de médecine ? Après tout, c'est une question de santé publique !

Un des axes de lutte à l'école - c'est-à-dire de la crèche au supérieur - c'est le manque d'éducation à l'égalité et d'éducation sexuelle, en dehors des aspects strictement biologiques. Comment pourrait-on développer cet enseignement ?

Enfin, le bénévolat, c'est bien, mais il faudrait consacrer des moyens financiers au travail colossal que vous menez !

Mme Maryvonne Blondin, co-rapporteure. - Il me semble important que nous recourions de préférence, dans notre rapport, aux termes « mutilations sexuelles féminines » plutôt que « mutilations génitales féminines », notamment dans le titre.

Mme Laure Darcos, présidente. - Les médecins sont-ils formés à l'établissement des certificats médicaux ? N'importe quel médecin peut-il s'en charger ou est-il nécessaire de suivre une formation particulière ? Certains médecins refusent-ils de le faire ?

Docteur Pierre Foldès. - Nous n'avons pas souhaité être un acteur associatif de plus. Nous apportons une réponse qui s'apparente à un service public, mais notre organisation trouve son origine dans le constat des manques en matière de réponse aux violences faites aux femmes, en particulier dans le domaine de la santé. Nous avons choisi de ne pas être dans le plaidoyer. Nous sommes plutôt un organe de recherche qui vise à comprendre les dysfonctionnements et à trouver des solutions. Voilà pourquoi notre rapport au politique est essentiel.

Nous avons une grande activité de formation, dans toutes les directions. Nous avons formé la plupart des centres existants, notamment les intervenants de La Maison des femmes, il y a quatre ans.

Notre situation financière est un peu paradoxale, car nous ne recevons aucun financement des conseils départementaux, alors que tous les centres départementaux nous envoient des enfants de l'ASE. Nous travaillons avec quelques dons et une équipe de vingt-cinq personnes bénévoles. Chez nous, tout est gratuit, les avocats et les médecins sont bénévoles, mais nous rémunérons les psychologues en vacation. C'est évidemment une situation anormale.

Nous avançons, cependant, avec l'Agence régionale de santé (ARS) pour référencer les centres importants.

Mme Frédérique Martz. - Notre institut est situé à Saint-Germain-en-Laye, mais les femmes victimes ne se limitent pas à leur département de résidence pour chercher des solutions, même si l'ancrage social et juridique est une donnée importante. Aujourd'hui, 40 % des femmes que nous suivons viennent des Yvelines, les autres du reste de la France, voire de l'étranger, puisque le Docteur Foldès est l'inventeur de la technique.

Je n'ai pas voulu dire que le fait que l'excision soit réparable risquait d'en prolonger la pratique, j'ai seulement rapporté des propos qui nous avaient été opposés par ceux qui voulaient marginaliser notre expérience.

Durant votre visite, vous avez assisté à un cercle de parole, dans lequel vous avez été marquée par le silence particulier d'une femme, qui avait bénéficié de la chirurgie. Celle-ci entraîne un changement manifeste dans la vie des personnes concernées, mais, dans ce cas particulier, cette femme se trouve dans une situation de précarité sociale si dramatique qu'elle constitue un obstacle à sa réparation globale.

Vous dites qu'il s'agit d'un paroxysme, de la pire des violences, mais la violence psychologique peut être aussi douloureuse. Nous devons rester mobilisés sur tous les fronts.

Beaucoup de femmes nous disent qu'elles ont appris leur excision par une sage-femme, ou par un cours à l'école. Ceci pour dire que l'Éducation nationale joue bien un rôle, même si l'anatomie n'est pas suffisamment enseignée.

Cela dit, j'ai à l'esprit l'exemple d'une jeune fille de seize ans qu'un travailleur social nous avait envoyée à cause d'un problème hépatique. Il n'était pas certain qu'elle était excisée, mais elle était porteuse de plusieurs pathologies sexuellement transmissibles. Comment se fait-il que l'Éducation nationale ne prenne pas plus de précautions pour identifier des jeunes filles porteuses de telles maladies ? Dans ce cas précis, c'est le travailleur social qui en a informé l'Éducation nationale, à notre demande.

Docteur Pierre Foldès. - Nous avons introduit un module de formation dans certains cycles médicaux, en lien avec la MIPROF. Nous y consacrons un temps énorme, avec les forces de l'ordre, avec les sages-femmes, etc.

En effet, il est bon de remplacer « génitales » par « sexuelles » dans le titre de votre rapport, car c'est bien le sexe féminin lui-même qui est concerné.

Nous réalisons des certificats médicaux en très grand nombre, mais l'évolution de la politique d'intégration et ses implications sur la santé compliquent considérablement la situation, parce que les règles changent régulièrement. Aujourd'hui, l'importance des constats médicaux grandit, alors qu'ils ne sont pas faciles à opérer, et présentent parfois des pièges. Il est donc nécessaire de former des gens, mais c'est un travail que nous devons mener en commun avec les acteurs qui gèrent les circuits d'intégration, à la Cimade, à l'Ofpra, par exemple.

Mme Laure Darcos, présidente. - Nous pourrions réaliser en commun une partie du travail nécessaire à l'occasion de la discussion prochaine du projet de loi sur l'asile et l'immigration.

Docteur Pierre Foldès. - Nous travaillons à dupliquer notre institut dans certaines villes, et à l'échelle internationale, avec des perspectives intéressantes.

Mme Marta de Cidrac, co-rapporteure. - Avez-vous constaté l'émergence, dans les chiffres que vous nous avez cités sur l'excision, des récents flux de migration ? Vous avez parlé de 15 % de filles tardivement excisées. À propos d'asile, n'y a-t-il pas un risque d'instrumentalisation de l'excision pour l'obtenir ? L'excision devient alors un prétexte au droit d'asile. C'est une autre forme d'utilisation du corps des femmes pour des objectifs inavouables.

Docteur Pierre Foldès. - Cette question est au coeur du débat, mais je voudrais lever une ambiguïté : nous ne nous focalisons pas seulement sur l'excision, car une femme victime de mutilation sexuelle est généralement victime d'autres formes de violences. Une fois qu'une femme est excisée, on peut tout lui imposer. Des formes de violence inconnues arrivent en France, des femmes sont violées durant leur parcours ou prostituées dans des circonstances inédites. Nous devons nous adapter à ce nouveau contexte et vous sensibiliser à ces questions, afin que les réponses apportées soient cohérentes en matière migratoire. C'est votre rôle et nous souhaitons que vous l'exerciez pleinement, afin de nous apporter des solutions, par exemple à propos des trafics de faux certificats médicaux, qui posent un problème médical, éthique, économique et politique.

Mme Frédérique Martz. - Je parlais d'ici et de là-bas parce que nous formons des médecins en Afrique. Cependant, le corps de la femme n'a pas la même valeur ici et là-bas. Nous exigeons là-bas, par exemple, la mise en place d'un suivi post-opératoire strict, mais une fois que nous sommes partis, il disparaît et nous nous retrouvons à échanger des messages ici avec les patientes. Dans ces pays, les femmes, lorsqu'elles sont auscultées en gynécologie, sont traitées sans précaution, de manière très violente. Le médecin est perçu comme le « sachant », les femmes sont malmenées dans leur condition de femme et n'ont rien à dire.

Docteur Pierre Foldès. - Je voudrais insister sur un point : la France est très écoutée sur ces questions, pas seulement à cause de cette chirurgie, mais aussi parce que nous avons un passé qui nous différencie des Anglo-Saxons, qui dominent la plupart des sociétés savantes de gynécologie-obstétrique avec des approches très différentes de la nôtre. Nous envisageons les choses différemment et nous n'avons pas à en rougir.

En outre, le fait qu'ici la réparation soit prise en charge par l'assurance maladie, c'est-à-dire par la collectivité, est un atout important. Nous devons travailler à l'international, parce que nous sommes le pays des droits humains !

Mme Laure Darcos, présidente. - C'est l'un des axes majeurs sur lesquels il faut travailler.

Mme Laurence Rossignol. - L'ASE vous envoie des jeunes filles, dites-vous. Pouvez-vous développer ce point ? Quelle est la connexion entre vous et l'ASE ?

Mme Frédérique Martz. - Nous sommes le centre référent sur l'excision. Nous intervenons donc sur la santé globale des enfants issues des pays où sa prévalence est importante et qui expriment des douleurs gynécologiques, voire urinaires, susceptibles d'attirer l'attention de l'ASE. Nous menons des actions de formation qui permettent d'apprendre aux intervenants de l'ASE à se poser les bonnes questions et à inclure l'excision dans les problématiques de santé générale et gynécologique.

Des comportements faisant soupçonner un état post-traumatique peuvent ainsi être liés à une excision, qui n'aura parfois pas été révélée. Découvrir à seize ans que l'on est excisée et comprendre d'un coup tout un vécu précédent d'angoisse et de phobie, ça compte ! Si l'ASE se pose la bonne question face à une enfant qui est originaire d'un pays où l'excision est pratiquée et qui ne va pas bien, nous menons des investigations.

Mme Laurence Rossignol. - J'ai beaucoup travaillé sur l'ASE, mais je n'avais jamais pensé à cela, je vous remercie.

Mme Maryvonne Blondin, co-rapporteure. -  Nous pourrions agir par le biais de différents véhicules législatif sur les violences faites aux femmes, dont les causes viennent de très loin.

Mme Laure Darcos, présidente. - Merci pour votre engagement exceptionnel. Vous pouvez compter sur notre soutien.


* 1 Le Protocole à la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique est un accord international qui garantit notamment la fin des mutilations génitales féminines. Il a été adopté par l'Union africaine à Maputo, au Mozambique, le 11 juillet 2003, pour une entrée en application au 25 novembre 2005.