Mercredi 18 avril 2018

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 09 h 30.

Audition sur le patrimoine et le rôle des architectes des bâtiments de France

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Dans la perspective de l'examen, sans doute au mois de juin, par le Sénat du projet de loi sur l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dit « ELAN », il m'a semblé utile d'approfondir dès à présent notre réflexion autour de la protection du patrimoine et de la qualité architecturale.

C'est pourquoi j'ai souhaité que nous puissions bénéficier de l'éclairage de l'association nationale des architectes des bâtiments de France (ANABF), du conseil national de l'ordre des architectes (CNOA), de l'association des maires de France (AMF) et de trois personnalités éminentes dans le domaine du patrimoine :

- Yves Dauge, président de l'association des biens français du patrimoine mondial et président d'honneur de Sites et cités remarquables,

- Alain de La Bretesche, président de Patrimoine-environnement,

- et Philippe Toussaint, président de Vieilles maisons françaises.

Présenté en Conseil des ministres il y a tout juste deux semaines, le projet de loi ELAN comporte plusieurs dispositions préoccupantes au regard des enjeux que nous défendons au sein de notre commission.

Son article 15 entend accélérer et faciliter les demandes d'urbanisme en transformant l'avis conforme de l'architecte des bâtiments de France (ABF) en avis consultatif pour les opérations de traitement de l'habitat indigne dans les secteurs protégés au titre du patrimoine et pour les travaux d'installation de pylônes de téléphonie mobile. Il prévoit également de faciliter les recours de la collectivité auprès du préfet contre les avis des ABF en instituant un « silence vaut accord », c'est à dire une acceptation tacite de la demande d'urbanisme en l'absence de réponse à l'issue d'un délai de deux mois. Il s'agit d'une modification que nous avions rejetée il y a deux ans lorsque nous avions examiné la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP).

Ces premières brèches dans l'avis conforme pourraient encourager certains à aller au-delà. À cet égard, je signale que le groupe de travail sénatorial sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs est en passe de rendre ses conclusions. Le 19 avril, la proposition de loi résultant de ses travaux sera officiellement présentée et elle pourrait être prochainement examinée en séance. C'est dire si nous devons être vigilants sur ces propositions.

Les associations de défense du patrimoine sont montées au créneau dès le mois de décembre pour alerter le président de la République sur les conséquences d'une suppression de l'avis conforme de l'ABF en termes de conflits et de dérapages. Ces propositions témoignent d'un climat de défiance à l'égard des ABF qui paraît peu cohérent, à la fois avec la politique de revitalisation des centres anciens en cours d'élaboration et avec le travail en cours au sein du ministère de la culture pour faire évoluer le travail d'ABF vers davantage de conseil en amont des projets patrimoniaux. Peut-être l'ANABF pourra-t-elle nous dire quelques mots sur les propositions qui ressortent du groupe de travail mis en place par Françoise Nyssen composé d'élus et d'ABF, dont les travaux sont tout juste en train de s'achever.

Le deuxième article du projet de loi ELAN qui pose question, cette fois-ci au regard de la qualité architecturale, est l'article 28. Au motif d'accompagner l'évolution du secteur du logement social, il autorise les bailleurs sociaux à déroger à certaines obligations relatives à la maîtrise d'ouvrage publique et à l'obligation de recourir au concours d'architecture. Vous vous souvenez que l'un des objectifs de la LCAP avait été, au contraire, de remettre l'architecture et l'architecte au coeur de la qualité de vie des citoyens. Il nous appartient de veiller à ce que les équilibres ne soient pas remis en cause.

Je laisse la parole sans plus attendre à nos intervenants, afin qu'ils nous donnent leur appréciation sur ce projet de loi et sur le climat actuel.

Mme Saadia Tamelikecht, vice-présidente de l'association nationale des architectes des bâtiments de France. - L'ANABF a la caractéristique de rassembler des fonctionnaires d'État. Cinq de nos confrères ont participé au groupe de travail mis en place par la ministre de la culture et qui a formulé des propositions qui vont dans le sens d'une meilleure collaboration entre élus et architectes des bâtiments de France (ABF) :

- renforcer les conditions d'une vision partagée en matière d'architecture et de patrimoine (avec notamment le développement, dans une perspective de long terme, de l'éducation artistique et culturelle) ;

- développer la planification des enjeux de valorisation de l'architecture et du patrimoine pour assurer la prévisibilité des règles et des prescriptions ;

- renforcer le rôle de conseil et la qualité du dialogue (avec notamment la mise en commun d'outils d'analyse du patrimoine développés par les ABF) ;

- organiser la co-construction et la collégialité des avis pour les projets les plus importants ; en Seine-Saint-Denis, dans le cadre du nouveau programme national de renouvellement urbain, une nouvelle méthode de diagnostic patrimonial a été développée pour améliorer la prise en compte et la valorisation du patrimoine récent (le plus souvent de la seconde moitié du XXe siècle) au stade des étapes pré-opérationnelles des grands projets d'aménagement ;

- favoriser la médiation dans le cadre des recours, en cas de désaccords.

M. Jean-Lucien Guenoun, vice-président de l'association nationale des architectes des bâtiments de France. - S'agissant du passage d'un avis conforme de l'ABF à un avis consultatif simple pour les immeubles insalubres ou en péril (qui sont bien souvent les derniers immeubles patrimoniaux non réhabilités en secteur protégé), je crains que nous ne revenions soixante-dix ans en arrière, avant la loi Malraux qui a pourtant permis de sauver d'innombrables immeubles patrimoniaux, avec le bel exemple du quartier du Marais à Paris. Je pense également qu'il faut préserver la mixité ancien/récent du patrimoine en centre-ville et, comme l'avait fait la loi Malraux en son temps, favoriser les acteurs, notamment privés, qui savent restaurer et réhabiliter avec finesse. Quant aux questions de téléphonie mobile, je crains qu'un avis simple de l'ABF ne laisse désormais les élus très démunis face à l'installation de nouvelles antennes-relais.

S'agissant enfin de la facilitation des recours des collectivités auprès du préfet, je crains l'utilisation très politique qui peut en être faite.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le recours par les élus n'est pas un outil de politique politicienne mais un instrument de défense de leur territoire !

M. Jean-Lucien Guenoun. - Je l'entends bien ainsi. Mais il faudrait à tout le moins prévoir une réunion de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture (CRPA) pour examiner le recours.

Mme Christine Leconte, présidente de l'ordre des architectes d'Ile-de-France. - La LCAP, dans la lignée de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture, a constitué une belle avancée en termes de qualité des paysages et des territoires. La Stratégie nationale pour l'architecture présentée en octobre 2015 a confirmé cette dynamique.

Malheureusement, le projet de loi ELAN renonce à toute ambition en matière de qualité urbaine en mêlant urbanisme (grandes opérations d'urbanisme, dérogations possibles à la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée - dite loi MOP - et disparition des concours d'architecture dans certains cas de figure), logement social (avec une moindre prise en compte des habitants et des élus du territoire alors qu'il nous faut désormais « co-construire » avec eux) et revitalisation des centres-bourgs. Les lotissements et les centres commerciaux ne constituent pas le patrimoine de demain et nous devons protéger les centres-bourgs en privilégiant la réhabilitation à la construction neuve de mauvaise qualité ; pour relever ce défi, les ABF sont pour nous des partenaires, des architectes de proximité qui connaissent leur territoire.

M. Olivier Pavy, maire de Salbris et président de la Communauté de communes de La Sologne-des-Rivières, membre du comité directeur de l'association des maires de France (AMF). - Les collectivités territoriales sont très sensibles aux sujets de préservation du patrimoine et l'ABF est parfois perçu comme « l'empêcheur de tourner en rond ». L'AMF a beaucoup travaillé sur ces questions, notamment Pierre Jarlier, et elle a fait part de ses principaux sujets de préoccupation : qu'il y ait plus de collégialité en amont dans la prise en compte du patrimoine historique de nos centres-bourgs (comme nous le faisons sur les projets de développement économique ou touristique) ; que les ABF soient associés aux procédures le plus en amont possible (tout particulièrement si l'avis conforme devait disparaître) ; que les savoir-faire de nos artisans soient préservés (en privilégiant la réhabilitation sur la reconstruction) ; que les questions de santé publique liées à la multiplication des antennes-relais dans le cadre du passage de la 4G à la 5G soient prises en compte ; que nos centres-villes restent des centres de vie, notamment par l'adaptation intelligente des logements au vieillissement de la population tout en préservant la lisibilité historique des façades.

M. Alain de La Bretesche, président délégué de Patrimoine-Environnement. - Si la LCAP porte, incontestablement, la marque du Sénat, elle est aussi le fruit du travail de nos associations et nous ne souhaitons pas que cette loi, équilibrée et solide, soit détricotée à la faveur du nouveau projet de loi.

Je regrette qu'aucune association de défense du patrimoine n'ait été invitée à la soi-disant conférence de consensus, au sein de laquelle la voix des bailleurs sociaux s'est trouvée rapidement prépondérante.

Nos associations ont adressé une « lettre ouverte aux Français et à leurs élus sur le patrimoine » dans laquelle elles formulent notamment des propositions en matière de gouvernance car plus de trois ministères sont en concurrence sur les questions liées au patrimoine ! Nous comptons aujourd'hui sur le Parlement pour reprendre ces propositions.

Le Sénat a beaucoup oeuvré pour les ABF, leur créant un corps de fonctionnaires d'État et sauvant même cette profession un temps menacée. Mais il faudrait aller plus loin et compléter leur statut en prenant en compte leur formation, leur carrière et la question de leurs collaborateurs. La LCAP a remis l'État dans le jeu : il faut donner aux ABF les moyens d'assurer leur mission.

Il y a eu, indubitablement, des difficultés entre ABF et élus. Mais est-ce encore une réalité aujourd'hui ?

M. Olivier Paccaud. - Oui !

Mme Maryvonne Blondin. - Non !

M. Alain de La Bretesche. - D'indéniables progrès ont été accomplis. Considérons les faits : les décisions d'urbanisme font globalement l'objet d'un taux de recours de 1 à 1,6 % et les avis des ABF, d'un taux encore plus faible (0,6 %). Comme pour les températures hivernales, il y a le ressenti - l'impression que les difficultés entre élus et ABF sont immenses - et la réalité - un très faible taux de recours...

Une difficulté particulière apparaît avec la volonté d'installer des pylônes de téléphonie mobile dans les clochers des églises. Outre le nombre des antennes, il y a aussi les armoires techniques qui peuvent fragiliser ces clochers, sans même évoquer les aspects esthétiques. Les associations de défense du patrimoine ne sont pas opposées par nature à ces équipements mais elles souhaitent que lorsqu'il existe d'autres possibilités, celles-ci soient également envisagées.

L'ABF constitue un conseil gratuit pour le maire.

La deuxième question concerne les démolitions. C'est un sujet très technique et la rédaction du projet de loi ne nous paraît pas très solide d'un point de vue juridique puisque les immeubles insalubres visés (soit parce qu'ils font l'objet d'un arrêté de péril, soit parce qu'ils sont tellement insalubres qu'il n'y a aucune possibilité d'amélioration) sont de toute façon voués à la démolition. Il nous semblerait souhaitable de préciser que ces modifications législatives ne s'appliqueront pas aux immeubles situés sur le périmètre d'un espace protégé ou identifiés pour leur valeur patrimoniale dans le plan local d'urbanisme (PLU).

Il convient d'indiquer que les ABF sont aujourd'hui dans l'impossibilité de traiter l'ensemble des dossiers qui leur sont adressés. Cela nous amène à proposer la création d'une « réserve » comme cela peut exister au ministère de la défense et de l'intérieur afin de permettre à des retraités ou à tout autre volontaire de venir épauler les ABF dans le suivi des dossiers.

Par ailleurs, les ABF qui sortent aujourd'hui de l'école n'ont pas fait « acte de bâtir ». C'est pourquoi, sur le modèle des obligations faites à certains corps de la fonction publique, une obligation de mobilité de deux ans pourrait leur être imposée, afin de les inciter, par exemple, à travailler dans des cabinets d'architecte à un moment de leur carrière.

M. Philippe Toussaint, président de l'association « Vieilles maisons françaises ». - J'interviens au nom d'une association qui compte 18 000 adhérents, mais j'ai aussi le regard de l'élu local du fait de mon mandat de maire.

Avec les ABF, nous partageons la conviction que le patrimoine est aussi une affaire d'éducation et qu'il convient de réconcilier l'enseignement de l'histoire avec le patrimoine.

Dans notre pays, seul l'État peut imposer des règles de protection du patrimoine afin de limiter le rôle du code de l'urbanisme qui donne la main aux maires pour construire. Nous sommes très vigilants et nous regrettons de ne jamais être consultés malgré nos courriers adressés au président de la République. Le projet de loi tel qu'il est rédigé aujourd'hui semble considérer que toute maison insalubre a vocation à être supprimée. Ainsi, certains petits bourgs en Normandie qui comprennent de nombreuses maisons abandonnées qui ne sont pas rénovées dans l'attente de pouvoir les détruire. J'ai sollicité les services départementaux afin qu'une réhabilitation soit conduite pour sauver ces centres-bourgs. Un dialogue doit s'instaurer et, dans ce cadre, l'avis de l'ABF constitue un soutien. Notre pays gagnerait à s'inspirer de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne où le petit patrimoine est mieux reconnu. En Allemagne, par exemple, 1,3 million de bâtiments font l'objet d'une identification. En France, le petit patrimoine est ignoré, méconnu et laissé à l'abandon. Nous sommes révoltés par ce projet de loi qui constitue le contraire de ce qu'il faudrait faire.

M. Yves Dauge, président de l'association nationale des biens français du patrimoine mondial. - Le Sénat va se retrouver à nouveau en première ligne, avec la possibilité de faire bouger les choses. Au moment de la discussion de la LCAP, nous avions néanmoins des alliés à l'Assemblée nationale, notamment en la personne du président Bloche. Force est de constater que nos partenaires actuels n'ont pas cette culture et défendent l'idée qu'il faut construire plus vite, moins cher, pour un meilleur résultat. Cette doctrine est contraire à la réalité car il faut du temps pour avoir de la qualité. La loi Malraux, il y a 50 ans, a permis de sauver les centres historiques. Mais les autres territoires sont laissés à l'abandon, ce qui a amené le développement d'une insalubrité. Dans de nombreux territoires nous savons que tout est à vendre. Je regrette que les organismes HLM soient aujourd'hui les alliés de l'État pour détricoter les mécanismes de protection et participer à la destruction du patrimoine. Le risque est grand que se poursuivent les constructions médiocres et non durables comme les grands ensembles et certaines zones pavillonnaires périphériques. Les grands groupes de BTP poussent dans ce sens et le Gouvernement ne nous aide pas. Il y a un problème de gouvernance, car les architectes ne sont pas assez présents au sein des services de l'Etat et ne peuvent y faire valoir leur expérience.

M. Philippe Nachbar. - Je me garderais bien d'exprimer dès maintenant un avis sur le texte qui mérite d'être expertisé de manière approfondie. J'ai cependant une question technique pour les ABF : quel bilan peut-on faire de la mise en place du périmètre intelligent des abords par la LCAP ?

M. Jean-Pierre Leleux. - Je dois dire que la situation actuelle me rappelle celle des années 60 : il y a ceux qui veulent protéger le patrimoine et ceux qui veulent aller vite dans la construction. L'article 15 du projet de loi porte un risque majeur de destruction des immeubles insalubres : si on avait mis en oeuvre de telles dispositions dans les années 60, il n'y aurait plus de centres-villes ! Il faut donc être pragmatique. Les contentieux entre l'ABF et les collectivités territoriales sont en réalité très rares et ils ont évolué. Il existait dans le passé un pouvoir « exorbitant » des ABF mais la possibilité de recours a changé les relations qu'ils entretiennent avec les élus. D'une posture d'autorité, les ABF sont devenus un appui à l'autorité locale pour préserver le patrimoine.

Même si l'article 15 est inutile et dangereux, le supprimer serait voué à l'échec. Il faut « limiter les dégâts » en amendant le texte pour éviter que la réponse à l'insalubrité soit systématiquement la démolition. Je recommande à nos invités de faire connaître plus largement leur position qui est partagée par notre commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Un travail considérable a, en effet, été effectué lors de l'examen de la LCAP pour faire valoir les préoccupations patrimoniales.

Mme Sonia de la Provôté. - Il faut effectivement être vigilant à la proposition de loi sur les centres-villes et les centres-bourgs qui sera présentée demain. Le débat peut caricaturalement se résumer par : tout casser ou tout conserver. On oppose ainsi des intérêts publics, revitaliser les centres-villes et centres-bourgs d'un côté, préserver le paysage urbain, la qualité de vie et l'histoire commune de l'autre. La LCAP avait amené des éléments positifs en créant un cadre favorable à la conciliation des intérêts. Il est cependant difficile de les hiérarchiser et je dois dire que la possibilité de recours a permis une meilleure concertation en amont. L'avis d'un ABF est un secours pour le maire qui peut s'appuyer sur lui pour protéger son patrimoine. Il faudrait plus s'appuyer sur des outils comme les sites patrimoniaux remarquables (SPR) qui encouragent le dialogue entre les différentes parties prenantes. N'oublions pas que d'autres intérêts sont en jeu, à commencer par les questions environnementales et de mise aux normes énergétiques. Il faut faire avancer l'idée que construire vite constitue une « vulgarisation » de nos territoires. Il faut utiliser les compétences en architecture sur le territoire. Cela suppose que les métiers évoluent pour mieux prendre en compte la qualité du paysage urbain alors que la focalisation se fait aujourd'hui sur le projet, au risque d'oublier son insertion dans son environnement. En résumé, la LCAP avait amené de bons éléments, il faut en maintenir les grandes orientations.

Mme Marie-Pierre Monier. - La création des ABF, en 1946, a permis de faire de la France un territoire reconnu dans le monde entier pour la protection de son patrimoine. Un avis conforme de l'ABF est donc nécessaire. J'en veux pour preuve le passage à l'avis simple pour les sites inscrits, qui s'est traduit par une dégradation irréversible de ces espaces. Je m'interroge donc sur l'article 15, en particulier sur le silence de l'ABF qui vaudrait accord. Qu'en pensez-vous ? Le souci du texte est d'accélérer la procédure d'urbanisme. Or, je note qu'il y a finalement très peu de recours et que le meilleur moyen de réduire les délais, c'est aussi de travailler davantage en amont des projets. Je m'associe à la question de notre collègue Philippe Nachbar sur le bilan des nouvelles règles en matière de délimitation des abords.

Mme Françoise Laborde. - Je tiens à rendre hommage à Yves Dauge pour la qualité de son travail et pour sa volonté transpartisane que le patrimoine devienne un vrai outil de revitalisation de nos villes. Je m'interroge sur l'insertion du projet de loi ELAN dans la stratégie pluriannuelle présentée par la ministre de la culture au mois de décembre, tout en notant que les relations entre les élus et les ABF n'ont pas toujours été harmonieuses. Il y aurait une grande différence entre l'avis simple et l'avis conforme. Je suis très attachée à la prise en compte de notre passé dans les opérations d'aménagement urbain.

M. Pierre Ouzoulias. - Je veux faire part de mon expérience de conservateur du patrimoine dans un service d'archéologie. Nous ne disposions pas de l'avis conforme et nous étions donc amenés à travailler en lien étroit avec les ABF. Il me paraît important de souligner que la politique patrimoniale est d'autant mieux prise en compte qu'elle n'est pas découverte tardivement au moment du dépôt. L'affaiblissement des services de l'État sur le terrain, en particulier des directions régionales des affaires culturelles (DRAC), a considérablement dégradé la situation et les possibilités de travail en amont. Les services de l'inventaire ont été confiés aux régions avec des résultats très inégaux.

Mme Sylvie Robert. - Je partage la colère des ABF. Nous voici revenus plus de deux ans en arrière à devoir de nouveau les défendre, ainsi que l'architecture. Le postulat de départ à savoir que l'on va construire plus, mieux et moins cher en se passant des ABF et des architectes me paraît très contestable. Au niveau symbolique, la suppression du concours d'architecture pour construire des logements sociaux est très grave comme le sont les dérogations aux règles résultant du titre II de la loi MOP, et il faudra chercher à amender le texte. Il me paraît tout aussi symbolique d'abandonner l'avis conforme, alors même que l'on connaît tout l'intérêt de nos concitoyens pour la qualité de vie et la préservation du patrimoine. La question des recours est complexe et nous devons chercher à trouver un accord avec l'Assemblée nationale car, en l'état, l'article 15 du projet de loi ne me paraît pas satisfaisant. J'ajoute que la question de l'environnement est également très importante. Nous parlons là de ce que je qualifierais de « nouveau mode d'habiter ». Revenir aux années 60 sera particulièrement préjudiciable pour les quartiers les plus fragiles. Nous serons donc obligés de faire des propositions à partir des enjeux tant symboliques que politiques. Cette responsabilité est d'autant plus celle du Sénat que nous nous étions particulièrement impliqués sur ces sujets lors de l'examen de la LCAP.

M. Olivier Paccaud. - Nous avons tous la volonté de valoriser le patrimoine. Aucun élu local ne souhaite défigurer son centre-ville. Les taux de recours ne sont pas représentatifs de la situation vécue par les élus et leur faible pourcentage ne doit pas nous aveugler : les élus sont confrontés à de véritables difficultés mais ils n'osent pas entreprendre de recours en raison de l'inégalité des rapports de force. Je souhaiterais revenir sur les propos de mon ami Jean-Lucien Guénoun, représentant des ABF, qui fait un travail formidable dans l'Oise depuis des années. Si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est parce que l'article 15 pose de réels problèmes. Je rappellerai que lors de l'assemblée générale de l'Union des maires de l'Oise qui s'est tenue fin 2017, M. Guénoun a été fortement pris à parti, notamment par les élus locaux des petites communes, qui n'ont pas de service d'urbanisme pour monter les dossiers. Il existe donc une réelle incompréhension entre certains maires des petites communes et les ABF. En dépit des efforts de ces derniers pour traiter les dossiers, ils restent submergés. Pour sortir du dilemme avis simple ou avis conforme, il faut développer ce que l'AMF a appelé la « collégialité en amont ». Élus et ABF doivent « coconstruire » les projets. Le savoir-faire des architectes est indispensable, mais les élus se sentent souvent pieds et poings liés à ce qu'ils considèrent comme des oukases de la part des services de l'État. L'article 15 du projet de loi, qui rend consultatif l'avis des architectes des bâtiments de France pour certaines opérations d'urbanisme, n'est pas proposé par hasard. Ne nous voilons donc pas la face. Les citoyens et les élus portent un grand attachement au patrimoine. Mais il y a des blocages qu'il ne faut pas nier.

Mme Annick Billon. - Je souhaiterais moins poser des questions que formuler quelques remarques. D'abord, le temps du politique n'est pas celui de la protection du patrimoine et de l'aménagement du territoire. Le temps donné aux élus pour valoriser le territoire et créer des logements est très court. Il est même désormais difficile de réaliser un projet sur un mandat. Le temps du patrimoine est au contraire un temps long. Il s'agit donc de concilier ces deux temps. Par ailleurs, quelle vision avons-nous aujourd'hui de l'architecture, du patrimoine, de l'environnement ? Nous avons tendance à n'en retenir que les contraintes : contraintes d'accessibilité, de stationnement, de bétonisation, de zonage, de pourcentage d'espaces verts, de gestion des déchets. L'aménagement du territoire et l'urbanisme ne sont pas considérés comme des moyens d'améliorer notre qualité de vie, mais comme des contraintes à surmonter. Il y a donc un réel travail pédagogique à réaliser. Ensuite, je note qu'à l'instar de la mer, l'aménagement du territoire est géré par plusieurs ministères : l'économie, l'environnement, l'agriculture et les contraintes freinent l'avancement des projets. Pour autant, la volonté de faire vite, construire plus et moins cher risque de conduire à des catastrophes en matière d'urbanisme. Dans ce domaine, il me semble également important de simplifier les procédures, dans la mesure où les contraintes imposées n'ont pas abouti au développement d'un meilleur habitat. Enfin, il faut vulgariser l'architecture et le patrimoine, en utilisant des mots plus simples, compréhensibles par tous.

Mme Maryvonne Blondin. - La situation et le ressenti vis-à-vis des ABF varient selon les territoires, d'où l'importance du dialogue. Les recours se font actuellement auprès des préfets de région. Ne faudrait-il pas permettre un recours au niveau des préfets de département, qui ont une connaissance plus grande de la réalité du terrain ? Concernant la construction de pylônes, Orange avait évalué les besoins pour les années à venir. L'État a repris les chiffres tels quels et les a imposés à Orange sous peine d'intérêts de retard. Or, Orange avait l'habitude de se concerter avec les ABF pour arrêter le lieu d'installation des pylônes. Compte tenu de la contrainte de temps imposée par l'État, Orange risque de choisir les emplacements les plus faciles d'accès et les meilleurs marché, sans que les ABF ne puissent s'y opposer puisqu'ils ne disposeraient que d'un simple avis. Il faudrait donc revenir à un avis conforme, d'autant que cela ne concerne qu'une trentaine de pylônes selon les informations dont je dispose. Enfin, je rappelle que Richard Ferrand, lorsqu'il occupait les fonctions de ministre de la cohésion des territoires, s'était engagé à ne pas toucher aux logements. Si l'idée de construire plus vite et moins cher est séduisante en théorie, l'allégement des procédures risque de soulever de nombreuses difficultés.

Mme Dominique Vérien. - Je voudrais aborder trois sujets. D'abord, la question des relations humaines entre les élus et les ABF. La tonalité de la loi laisse penser que son auteur a été confronté à un architecte arrogant et dictatorial. Il en existe, hélas, mais la situation est très variable et dépend de la personnalité de l'architecte.

Ensuite, j'attire votre attention sur le coût de la conservation et de la réhabilitation du patrimoine. Le label « sites patrimoniaux remarquables » permet la défiscalisation des travaux engagés par les particuliers. Il faudrait donc faciliter la reconnaissance de ces sites. Pour autant, cela reste une procédure compliquée. Ainsi la direction des affaires culturelles dont dépend ma commune m'a indiqué ne pas pouvoir entamer les discussions avant 2020, pour éventuellement créer un site patrimonial remarquable en 2026. De tels délais sont préjudiciables alors que cet outil pourrait jouer un rôle utile dans la réhabilitation des centres-bourgs et centres-villes.

Dernier sujet, le coût des concours d'architecture. Il est légitime de rémunérer les architectes qui travaillent sur un appel à projet. Néanmoins, les sommes en jeu peuvent être considérables. Ainsi, un million d'euros a été consacré à ce poste lors de la construction de la salle de spectacles d'Issy-les-Moulineaux.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Il existe une réelle disparité entre le ressenti et la réalité. Certes, on peut insister sur les moyennes, mais elles n'évacuent pas le ressenti. Il est regrettable qu'il n'existe aucune doctrine nationale au sujet des ABF. Par conséquent, en fonction des départements, les élus sont confrontés à des personnalités - parfois très arrogantes - et des avis très différents. Les maires doivent concilier d'une part les exigences de l'État en matière de construction de logements sociaux conformément à l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain et, d'autre part, les contraintes imposées par les ABF. Je ne connais pas un maire ou un citoyen qui ait envie de défigurer sa commune, mais il faut disposer de moyens d'action. C'est en amont que des discussions doivent se nouer pour concilier les intérêts. À cet égard, je sors d'un petit déjeuner organisé à l'Assemblée nationale sur l'aménagement du très haut débit. Le président de l'agence du numérique, M. Antoine Darodes, était présent et a eu des mots très tendres à l'égard des ABF.

M. Alain Schmitz. - Je tiens à souligner les sous-effectifs dont souffrent les services de l'État, notamment en raison du manque d'attractivité financière des carrières. Dans les Yvelines, 30 % des postes ne sont pas pourvus, ce qui explique l'incapacité à traiter les 11 000 dossiers en suspens. Sinon, voici rapidement un retour d'expérience. Lorsque j'étais à la tête d'une agence départementale d'ingénierie, j'ai souhaité - avec 170 communes de mon département - réunir les maires de communes rurales et l'unité départementale de l'architecture et du patrimoine. Cette réunion a permis d'apaiser les relations entre les élus locaux et les ABF et d'aplanir nombre de problèmes.

M. Jacques Grosperrin. - J'ai conscience de la nécessité de redynamiser les centres-villes à la fois à travers le développement de commerces et d'habitations. Néanmoins, je m'interroge sur le rôle des ABF à travers l'exemple suivant : à Besançon, ville dans laquelle les fortifications sont classées au patrimoine mondial de l'UNESCO, la simple construction d'un abri de jardin peut soulever des problèmes s'il est situé aux abords d'un monument historique. Les services de l'État ne devraient-ils pas se concentrer sur des problématiques plus importantes ? Il faut avancer sur la délimitation du périmètre des abords. En effet, le risque est fort que la seule réponse apportée in fine soit le principe selon lequel le silence de l'administration vaut refus tacite, ce qui n'est pas acceptable pour nos concitoyens.

M. Yves Dauge. - Certains aspects très importants ne sont pas du domaine de la loi. La question de l'insalubrité est loin d'être anodine. On n'a pas vu que des centres-bourgs entiers étaient abandonnés. Il faut remettre du paysage, de l'architecture et du patrimoine dans la loi, qui ont disparu sous la pression des organismes d'habitations à loyer modéré. On ne peut pas se contenter de construire plus et à moindre coût. Le Sénat a donc un véritable rôle à jouer pour réhabiliter et protéger l'urbanisme et les paysages.

Outre le nombre de postes vacants, il y a également le scandale des architectes contractuels, qui sont payés au SMIC et dont le contrat est renouvelé tous les trois mois.

Une autre difficulté réside dans l'absence de coopération entre les deux services concernés par les problématiques d'aménagement du territoire, qui dépendent de deux ministères différents : le service du patrimoine d'une part, qui relève du ministère de la culture et le service en charge de l'urbanisme d'autre part, qui relève du ministère de la cohésion des territoires, sans compter le ministère de la transition écologique et solidaire. Mais c'est un secteur qui n'intéresse pas Nicolas Hulot. En outre, les relations entre les services départementaux de l'architecture et du patrimoine et les régions ne sont pas bonnes. Par conséquent, les ABF sont laissés à leur propre sort, alors qu'ils auraient besoin d'instructions claires. L'État n'a défini aucune stratégie, n'a arrêté aucune priorité, n'a aucune vision.

M. Olivier Pavy. - La situation a beaucoup évolué avec le rôle croissant joué en matière d'urbanisme par les établissements publics de coopération intercommunale, qui n'ont pas encore forcément une culture solide d'appréhension du patrimoine. Je trouverais intéressant que les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) comportent un volet relatif au patrimoine, compte tenu de l'importance de cet enjeu. Il me paraît également nécessaire de rétablir la compatibilité et la cohérence entre les différents documents d'urbanisme : le projet de loi ELAN peut en donner l'occasion, puisqu'il mentionne l'ensemble de ces documents.

S'agissant de l'avis conforme, je ne crois pas que les maires de petites communes y soient opposés en tant que tel, mais il est important que la position de l'ABF soit comprise et coordonnée avec le reste de la politique d'aménagement, ce qui plaide pour un renforcement de la collaboration le plus en amont des projets.

Mme Christine Leconte. - Le CNOA a identifié huit articles du projet de loi qui appellent des modifications pour porter une ambition en matière de qualité du cadre de vie. Ce qui est regrettable, c'est qu'il n'y a non seulement aucun dialogue entre le ministère de la culture et le ministère de la cohésion des territoires, mais qu'aucun des deux ne discute davantage avec nous. Comment alors exposer une position d'intérêt public ? Gardons à l'esprit que la réhabilitation peut être un formidable levier pour l'emploi local. Je pense à la filière du chanvre, compte tenu de l'usage qui peut être fait de ce matériau dans la construction. Pourquoi ne pas formuler des propositions sur le développement des filières courtes ? Pourquoi aussi ne pas s'appuyer davantage sur tous les formidables outils dont nous disposons pour venir en aide aux élus : les architectes-conseils de l'État, les commissions régionales du patrimoine et de l'architecture (CRPA), les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ou encore les unités départementales de l'architecture et du patrimoine ? Tout le service public de l'architecture a été laissé en déshérence et la situation s'aggrave sans cesse, en l'absence d'instruction ou de vision claire de l'État.

C'est une idée reçue de penser qu'un concours d'architecture coûte cher. Son coût s'établit généralement entre 0,35 % et 0,45 % du montant de l'opération, rémunération du candidat incluse ! Cela dit, seulement 4 % des opérations de construction de logements sociaux sont concernés par les concours. D'où l'inquiétude suscitée par ce projet de loi qui, non seulement dispense les bailleurs sociaux de l'obligation de recourir à ces concours, mais leur permet aussi de déroger aux obligations résultant du titre II de la loi MOP parmi lesquelles figurent le plan type ou le suivi de chantier par un architecte. La qualité architecturale va en pâtir à coup sûr, et très rapidement.

Nous disposons, depuis 2015, d'une stratégie nationale pour l'architecture, qui pose un certain nombre de principes en matière de sensibilisation des acteurs publics et privés de la construction, de formation, de rôle des services publics de l'État, d'expérimentation : servons-nous en !

M. Jean-Lucien Guenoun. - Nous sommes confrontés à des problèmes d'effectifs, particulièrement forts depuis la réorganisation des services déconcentrés en 2010. Il est indispensable que des moyens supplémentaires nous soient alloués pour que nous puissions nous engager dans le dialogue et la concertation. Il faudrait aussi veiller à ce qu'un traitement égal soit accordé aux différentes UDAP sur l'ensemble du territoire.

En matière d'immeubles insalubres, une solution pourrait être d'étendre le bénéfice du dispositif « Malraux » aux opérations de restauration portant sur des immeubles situés dans les centres-bourgs qui ne sont pas classés comme SPR, dès lors qu'une procédure permettrait au préalable à l'ABF de confirmer l'intérêt patrimonial de l'immeuble. Cela permettrait d'attirer des investisseurs privés qui auraient, à la différence des organismes HLM, de réelles compétences pour restaurer le bâti ancien.

La mise en place d'un mécanisme permettant d'associer ou d'alerter l'ABF à l'adoption d'un arrêté d'insalubrité serait également utile. Aujourd'hui, nous découvrons qu'un immeuble va être détruit au moment où le permis de démolir est affiché. Il est alors trop tard pour proposer des solutions alternatives à la démolition lorsque l'immeuble présente un intérêt patrimonial manifeste. En étant prévenu en amont, nous pourrions travailler avec le maire et aurions la possibilité de lui soumettre des propositions.

Mme Saadia Tamelikecht. - Deux arguments me paraissent plaider contre la remise en cause de l'avis conforme. D'une part, le coût que représenterait pour l'État le fait de payer des cadres supérieurs de la fonction publique à dispenser des conseils qui ne seront pas suivis d'effet me paraîtrait assez déraisonnable. D'autre part, la généralisation de l'avis simple réduirait grandement la possibilité d'un dialogue en amont. Pourquoi un maire voudrait-il dialoguer en amont avec nous d'un projet s'il sait qu'il ne sera pas lié, en tout état de cause, par l'avis que nous donnerons sur ledit projet ? C'est parce qu'il y a un avis conforme qu'il y a un intérêt à ce que nous soyons consultés au préalable. Or, cette phase de dialogue préalable est fondamentale en ce qu'elle garantit que tous les enjeux, y compris patrimoniaux, soient pris en compte dans la conception du projet et que la solution retenue permette de tous les concilier. Nous sommes conscients que les promoteurs immobiliers ont des impératifs financiers qui doivent être respectés. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui explique que les exigences en matière de qualité architecturale fassent généralement plus peur encore aux promoteurs que celles en matière de patrimoine, car ils craignent qu'elles ne conduisent à une explosion des coûts.

Le périmètre délimité des abords (PDA) est l'un des documents de protection à l'élaboration duquel nous travaillons en étroite collaboration avec les élus. Au titre de ces documents figurent également les SPR couverts par un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) - sans doute le document le plus exigeant puisqu'il comporte également des prescriptions relatives aux intérieurs des immeubles -  et ceux couverts par un plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine (PVAP). Le PDA délimite les espaces qui sont co-sensibles avec un monument historique afin de garantir que la cohérence de l'ensemble sera préservée. Les espaces compris dans le PDA font l'objet d'une protection : ainsi, élus et citoyens savent à l'avance à quoi s'attendre. C'est bien plus clair dans leur esprit que le périmètre automatique des abords, qui s'applique aux seuls immeubles situés dans un rayon de 500 mètres autour du monument historique et en co-visibilité avec lui, et qui varie nécessairement selon le degré de dénivelé de l'espace, etc. En revanche, j'ignore exactement combien ont été créés depuis l'entrée en vigueur de la LCAP.

M. Alain de la Bretesche. - Les questions de qualité architecturale soulevées par ce texte nous préoccupent au même titre que celles relatives aux ABF car il est dans la mission de notre association de faire en sorte que le patrimoine de demain revête un intérêt équivalent au patrimoine d'hier - Jean Giraudoux et Paul Claudel, qui comptent parmi nos fondateurs, ont laissé des textes en ce sens. Or, rien n'a véritablement avancé en matière d'architecture depuis la loi de 1977. Pourquoi les personnes les plus fragiles financièrement n'auraient-elles pas droit à une architecture de qualité ? Pensons que le patrimoine vernaculaire que nous valorisons aujourd'hui comprend bon nombre d'habitations qui étaient celles de ces personnes, telles les maisons en pisé.

Je voudrais reconnaître à Jacques Mézard le mérite d'avoir confié, à son arrivée au ministère, à Christine Maugüé, conseillère d'État, une mission d'évaluation des dispositions existantes pour lutter contre les recours abusifs dans le champ de l'urbanisme. Le rapport qu'elle lui a remis en janvier souligne le nombre limité des contentieux et conclut à la nécessité de ne pas restreindre l'accès au juge ou de ne pas limiter l'intérêt à agir des associations. L'une de ses propositions pour améliorer la procédure de référé en matière d'autorisation d'urbanisme me paraît très intéressante : il s'agirait d'inscrire dans la loi une présomption d'urgence en matière d'autorisation d'urbanisme, dès l'octroi de l'autorisation, pour que celle-ci n'ait plus à être démontrée et que l'on en vienne immédiatement à l'examen de droit de la légalité de l'autorisation contestée.

Je formulerai deux propositions : mettre en place un système de médiation en matière administrative, à l'instar de ce qui se pratique depuis longtemps dans les juridictions civiles et faire vraiment fonctionner le recours préalable, en ce sens qu'il doit donner lieu à un véritable échange avec le préfet ou le maire.

Je suis plus réservé sur la cristallisation des moyens car j'ai le sentiment qu'au final le juge fait ce qu'il veut.

Enfin, il faut laisser les commissions nationale et régionales du patrimoine et de l'architecture jouer leur rôle éminemment démocratique et conciliateur. Nous tenons beaucoup à leur bon fonctionnement et au fait qu'elles soient présidées par des élus. La mise en oeuvre de l'accord tacite prévu à l'article 15 du projet de loi ELAN remettrait en cause toute la construction élaborée dans le cadre de la loi LCAP. Il faut supprimer cette disposition !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je précise que dans le cadre du toilettage qui est envisagé concernant la participation des parlementaires au sein des organismes extra-parlementaires, nos collègues de l'Assemblée nationale avaient proposé d'exclure les parlementaires de la commission nationale du patrimoine et de l'architecture. Je m'y suis bien évidemment opposée.

M. Philippe Toussaint. - J'ai sous les yeux le courrier que le président de la République a adressé à notre association en réponse aux préoccupations que nous lui avons exprimées. Je suis heureux de constater à l'écoute de nos débats de ce matin que vous ne partagez pas la vision du président de la République. Pour celui-ci, c'est un point de détail qui ne doit pas inquiéter. En réalité, c'est bien le dispositif d'ensemble de la protection du patrimoine qui est mis en jeu par l'article 15 du projet de loi et je suis inquiet de la passivité du ministère de la culture en la matière.

Les maires ne sont pas opposés à la préservation du patrimoine, loin de là. Ils sont simplement désemparés devant la situation des centres-bourgs et beaucoup ne voient pas une maison en déshérence comme un bien à préserver. Une prise de conscience est nécessaire. C'est pourquoi les protections globales comme les SPR sont fondamentales. L'idée évoquée ce matin d'un dispositif de protection globale qui ne s'appliquerait pas à un monument, mais bien à un espace, et dont le fonctionnement serait moins lourd qu'un SPR me semble par ailleurs importante.

Enfin, il faut nous efforcer de lier la préservation du patrimoine au développement économique. Car sur le terrain, les maires ont le souci d'empêcher la fermeture de leurs écoles, de faire venir des jeunes, de développer le tourisme... La protection du patrimoine peut recouvrir par conséquent des enjeux plus vastes.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci à l'ensemble des participants. Nous allons rester mobilisés car nous avons à coeur de défendre les acquis de la loi LCAP, d'autant que les effets commencent tout juste à se faire sentir, puisque les décrets d'application ont été publiés en 2017.

Organismes extraparlementaires - Désignation

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Il nous faut procéder, en application de l'article 9 du Règlement du Sénat, à la proposition de candidats à la nomination du Sénat pour siéger au sein d'organismes extraparlementaires.

La commission propose à la nomination du Sénat :

- Mme Marie-Pierre Monier, comme candidate titulaire, à la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages ;

- Mme Vivette Lopez, comme candidate titulaire, et M. Max Brisson, comme candidat suppléant, au conseil d'administration du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.

La réunion est close à 12 h 25.

Jeudi 19 avril 2018

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture et de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes -

«  L'action du CSA sur les droits des femmes - bilan et perspectives » - Audition de Mme Sylvie Pierre-Brossolette, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - C'est la première fois depuis cette nouvelle mandature que la commission de la culture et la délégation aux droits des femmes se réunissent ensemble, pour entendre Mme Sylvie Pierre-Brossolette. Membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), elle travaille activement sur la place des femmes dans les médias et l'audiovisuel et a récemment rendu un rapport sur La représentation des femmes à la télévision et à la radio.

La commission de la culture est tenue de contrôler l'action des autorités administratives indépendantes, qui nous font part de leurs travaux notamment lorsqu'ils sont réalisés en application de la loi. L'article 1er de la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteure, oblige, à la suite d'une demande du Sénat, les chaînes de l'audiovisuel public à représenter la diversité française. Cela suppose une représentation juste et équilibrée des femmes et des hommes. Nous sommes dans notre rôle en vous entendant sur votre action.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. - C'est avec grand plaisir que nous organisons une audition conjointe avec la commission de la culture, pour évoquer l'action du CSA sur les droits des femmes. La délégation et la commission ont déjà eu l'occasion de s'associer pour organiser la projection de l'excellent documentaire de Frédérique Bedos, Des femmes et des hommes, à l'occasion du 8 mars 2016, sur la proposition de Catherine Morin-Desailly, et alors que Chantal Jouanno présidait notre délégation. Plusieurs de nos membres - à commencer par moi - ont la double appartenance à la délégation et à la commission ; cela facilite les rapprochements !

Notre délégation est toujours heureuse de s'associer aux commissions permanentes ou aux autres délégations pour travailler sur des sujets d'intérêt commun. Ainsi, nous avons récemment organisé une audition conjointe avec la délégation sénatoriale à l'outre-mer, qui a été un grand succès, avec une forte participation.

Le sujet qui nous concerne aujourd'hui tient particulièrement à coeur à la délégation. Plusieurs de nos membres, de la majorité comme de l'opposition, ont souhaité, dès notre renouvellement, mettre à notre agenda une audition du CSA.

Je salue à mon tour et remercie de sa présence Mme Sylvie Pierre-Brossolette, membre du CSA, que j'ai rencontrée au Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE).

Les médias, qu'il s'agisse de la télévision ou de la radio, ont un rôle de sensibilisation à l'égalité qui est précieux vis-à-vis de tous les publics, plus particulièrement les jeunes. Le CSA a une mission importante de promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes. Il est primordial d'agir en amont pour faire reculer les représentations sexistes des femmes que les médias peuvent véhiculer, sans oublier le rôle de la publicité. À cet égard, nous écouterons avec intérêt les constats des rapports du CSA relatifs à la représentation des femmes à la télévision et à la radio, et dans les publicités télévisées.

Comment le CSA s'est-il emparé de ses missions au titre des droits des femmes ? Quelle stratégie et quels moyens d'action met-il en oeuvre pour traiter les inégalités à la source ? Pourriez-vous nous donner des éléments d'information sur les réclamations des téléspectateurs contre des programmes ou émissions jugées sexistes ?

Lors de son discours du 25 novembre 2017, le président de la République a annoncé que les pouvoirs du CSA seraient étendus, dès cette année, pour qu'il régule les contenus sexistes sur Internet et dans les jeux vidéo. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce chantier ? Comment envisagez-vous de vous approprier cette nouvelle compétence ?

J'ajoute, mes chers collègues, que cette réunion fait l'objet d'une captation vidéo.

Mme Sylvie Pierre-Brossolette, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). - C'est un honneur et un grand plaisir pour moi d'être là. Il est normal d'échanger avec les parlementaires sur ce que fait le CSA. Je travaille énergiquement depuis cinq ans et vous présenterai les origines, les progrès et les limites de mon action : la loi peut beaucoup de choses - le CSA aussi - mais ne peut pas tout.

L'amorce d'une réflexion sur ce sujet date effectivement de 2009. Les chaînes ont ensuite tenté de s'engager volontairement pour faire progresser les choses, à l'instigation notamment des rapports de Brigitte Grésy...

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - ... ou de Michèle Reiser.

Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - ...et de plusieurs collègues du CSA. Il y a eu de nombreux contacts.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - Une commission avait également été mise en place à l'initiative de notre collègue Valérie Létard, alors secrétaire d'État aux droits des femmes. C'est important de le rappeler.

Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - Mais même avec toute la bonne volonté du monde, des chartes d'engagement, les choses évoluaient peu. J'ai intégré le CSA en 2013, ce qui correspond au débat sur la loi relative à l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, promulguée symboliquement le 4 août 2014. Dès ma première année au CSA, j'ai demandé à l'Institut national de l'audiovisuel (Ina) de dresser un état des lieux des inégalités et de la représentation quantitative des femmes à l'antenne. Le résultat était accablant : elles ne représentaient que 13 à 17 % des experts ! J'ai aussi demandé aux services du CSA trois études sur les stéréotypes dans la fiction, la télé-réalité et les dessins animés. Évidemment, il en restait beaucoup.

La loi de 2014 est une formidable avancée mais son application est prévue « en concertation avec les chaînes ». Je ne peux donc rien imposer. Il a fallu dix-huit réunions pour leur arracher la délibération que nous avions adoptée en février 2015, à la demande du Parlement, pour que les chaînes remettent un rapport tant qualitatif que quantitatif sur la présence des femmes. Il s'agit donc d'autodéclaration et d'autoévaluation, réalisées à partir de questionnaires élaborés en commun. Dans un souci de pragmatisme, j'ai demandé qu'on dénombre les programmes mettant en valeur des femmes pour valoriser ceux qui n'étaient pas empreints de stéréotypes. À cela s'ajoutent des chiffres comme le nombre de présentatrices, d'animatrices, et d'expertes invitées.

La première année de suivi de ce questionnaire a été difficile. Mais dès la deuxième année, en 2017, nous avons obtenu un vrai décompte, avec des tableaux détaillés remis à temps. Nous observons de vrais progrès : le nombre d'expertes est passé d'environ 15 % en 2014 à 35 % en 2017. Nous ne sommes pas encore au bout du chemin, mais à force d'obliger les chaînes à déclarer et à comptabiliser, j'étais devenue leur mauvaise conscience ; les expertes sont symboliquement des « sachantes ». Le chiffre d'animatrices ou de présentatrices frôle désormais les 50 %. Il faut s'attacher non seulement au quantitatif, mais aussi au qualitatif : quelles sont les expertes qui interviennent, sur quel sujet, à quelle heure, et pendant combien de temps ?

En tant que journaliste, j'avais pris l'habitude avec le temps de comportements aussi mal élevés que ceux des hommes pour réussir à parler... Il faut être conscient que la prise de parole à l'antenne n'est pas toujours facile pour les femmes. On ne coupe pas la parole, on laisse parler les autres... L'année prochaine, après mon départ, il faudra davantage préciser ces études.

Certaines animatrices sont soucieuses de faire venir des femmes, y compris où on les attend le moins, comme les sujets régaliens. Ainsi, Caroline Roux a fait venir, sur le thème de la Syrie, trois expertes sur quatre présents. Elle a hérité de l'émission d'Yves Calvi où il n'y avait jamais de femmes, et ce changement a fonctionné : elle fait de meilleures audiences. Grâce au service public, qui compte 41 % d'expertes - contre 25 % sur les chaînes privées - la situation a progressé. Le service public a pris des engagements : France Télévisions s'est engagée, dans son contrat d'objectifs et de moyens, à atteindre le seuil de 50 % d'expertes d'ici la fin du mandat de Delphine Ernotte, en 2020. France Info s'engage à une progression de 0,5 % par an sur son propre chiffre - ils partaient de loin - tandis que France Médias Monde a inscrit dans son contrat d'objectifs et de moyens le chiffre de 33 % d'expertes d'ici 2020, et de 40 % de femmes en général. Il a fallu se battre à chaque instant.

Néanmoins, je vous invite à vous emparer d'un sujet : le nombre de femmes politiques présentes à l'antenne et à la radio s'est effondré en 2016-2017, année électorale, alors que l'Assemblée nationale compte plus de 38 % de députées. Vous n'êtes plus que 27 % de femmes politiques invitées en 2017. C'est un scandale ! Aidez-moi et interpellez la ministre de la culture et de la communication et la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Le CSA peut prendre des sanctions en cas de dégradation des résultats. Je ne l'ai pas fait pour cette première année où nous avons reçu des rapports détaillés, mais nous pourrions en prendre l'année prochaine. Nous avons besoin de l'aide de tous.

Grâce à vous, qui avez accordé une nouvelle compétence au CSA en 2017 en matière de publicité - sans toutefois lui transférer le pouvoir réglementaire, resté au ministère de la culture - j'ai demandé une étude, dont le constat est largement partagé par les annonceurs et les agences. Ses résultats sont catastrophiques : dans les publicités, 80 % des experts sont des hommes. Cela ne coûterait pas plus de choisir des femmes ! Il y a une sexualisation des rôles par produit : 90 % des publicités sur l'automobile sont présentées par des hommes au volant.

Mme Laure Darcos. - ...ou bien des femmes très sexy !

Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - Les femmes sont sur le capot et à moitié nues ! La publicité des montres Breitling en dit long : un homme, ravi, conduit un avion, sur le capot duquel est allongée langoureusement une femme. C'est récurrent et l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) laisse passer : ils craignent que cela bride la liberté de création. Lors des dix-huit réunions avec les chaînes, Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), et Thomas Anargyros, président de l'Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA), m'ont soutenue, car les auteurs avaient peur qu'on limite leur créativité. J'ai organisé des séances chez eux.

Dans le secteur publicitaire, Jean-Luc Chétrit, directeur général de l'Union des annonceurs (UDA), m'a beaucoup aidée, allant à l'encontre de ses annonceurs. Une fois le constat partagé, j'ai réussi à leur arracher un accord en décembre 2017 pour réaliser une charte partagée d'auto-engagement. J'ai le pouvoir de sanctionner au coup par coup une publicité sexiste ou dégradante mais ne peux faire de travail de long terme sur des publicités présentant toujours des femmes faisant leurs courses... Cette charte, dévoilée le 8 mars, engage les professionnels à réduire le nombre de publicités sexistes ou enfermant les femmes dans des stéréotypes. Ils s'obligent à montrer les femmes autrement que dans un rôle domestique et à rééquilibrer le nombre d'experts femmes et hommes. Nous avons réalisé tout ce travail en un an.

Le président de la République envisage de confier au CSA des compétences supplémentaires dans le numérique, secteur où l'on peut voir les pires horreurs - pornographie, vulgarité, sexisme, violences - alors que demeure une certaine retenue à la télévision, même si certaines émissions de divertissement commencent à diffuser des séquences de vidéo Internet - il faut bien rire... J'envisage de prendre des sanctions. J'ai besoin de votre aide car on nous accuse de n'avoir aucun humour et d'être les gendarmes des bonnes moeurs et du bon goût. J'ai besoin de la représentation nationale, car j'applique la loi : il y a des limites à l'humour. Le collège me soutient, ainsi que beaucoup de journalistes, alors que certains animateurs se sont plaints.

Grâce à la loi, nous avons pu sanctionner. Je l'ai fait très progressivement, en écrivant plusieurs fois des avertissements, en adressant une mise en demeure, pour laisser possible une autorégulation... À la deuxième mise en demeure intervient le rapporteur indépendant, qui propose une sanction. Nous avons mené dix-neuf interventions en quatre ans, quatre en 2017 dont deux avec des sanctions financières, pour une émission de Cauet sur une radio privée et pour une émission de Cyril Hanouna sur une télévision privée. Depuis, ces animateurs n'ont plus dérapé. Merci de nous avoir donné ce pouvoir, nous l'utilisons jusqu'au bout. Nous devons continuer, pour montrer que la loi et le CSA servent à quelque chose.

Nous devons faire le même constat dans le numérique, mais cela demande des moyens importants, pour embaucher quatre personnes. J'ai demandé la mise à disposition de personnel du ministère de la culture et, plus particulièrement, du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), sans succès. Nous essaierons de réaliser l'étude avec nos petits moyens, pour ensuite rencontrer la profession.

J'ai commencé une étude sur le pluralisme et les fake news - le CSA pourrait avoir une nouvelle compétence sur les fake news et les sites qui les propagent - et j'ai rencontré trois des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), qui sont prêts à collaborer. Ils s'engageront d'autant plus lorsqu'on leur présentera le constat de la situation. Je souhaite réaliser une étude sur les vidéoclips qu'on trouve sur Internet pour rendre la loi plus contraignante.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - Merci pour cette présentation sur un thème qui nous passionne. Réguler le numérique n'est pas si simple dans le contexte de la mondialisation. Nous y réfléchissons dans le cadre de l'examen de la loi sur les fake news.

M. Jean-Pierre Leleux. - Merci de votre travail pour atteindre un équilibre raisonnable de la présence des hommes et des femmes. Mais vous avez oublié un point de fierté, l'équilibre hommes-femmes dans les présidences des chaînes publiques audiovisuelles.

Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - Vous avez remarqué ce progrès ! Bientôt, vous réclamerez un droit pour les hommes...

M. Jean-Pierre Leleux. - Ce n'est pas improbable !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - Je me réjouis que Marie-Christine Saragosse ait été reconduite à la tête de France Médias Monde.

Mme Maryvonne Blondin. - Merci de votre persévérance et de votre ténacité pour que la place des femmes soit reconnue dans ce milieu relativement machiste - même si cela s'améliore. Je partage un statut privilégié avec Françoise Laborde et Annick Billon puisque je suis membre à la fois de la commission de la culture et de la délégation aux droits des femmes .

Permettez-moi de rappeler les travaux que nous avons réalisés dans un domaine qui concerne cette réunion. En 2006, Reine Prat a publié un rapport, resté sur un coin de table pendant plusieurs années, et qui a été repris par notre délégation lorsque Brigitte Gonthier-Maurin a réalisé son rapport La place des femmes dans l'art et la culture : le temps est venu de passer aux actes, en juin 2013. En septembre de la même année, j'ai été rapporteure pour avis, au nom de la commission de la culture, de la loi du 4 août 2014. Nous avions rappelé l'urgence de nouvelles mesures. Nous demandions notamment aux acteurs culturels une charte pour l'égalité pour plus de vigilance sur les stéréotypes. Il reste du travail à faire ! Soit les femmes sont présentées au foyer, soit elles sont victimes ou prostituées.

Mme Sylvie Pierre-Brossolette. - C'est la maman ou la putain !

Mme Maryvonne Blondin. - Tout à fait. Veillons à une responsabilisation équilibrée dans les organigrammes entre les hommes et les femmes. Reine Prat établissait un seuil de 33 % à partir duquel un groupe minoritaire n'est plus perçu comme tel. Les résultats sont encourageants à partir de 30 %. Or, selon le rapport de la SACD pour 2012-2017, les directions de structures ou de centres nationaux comptent souvent moins de 25 % de femmes... Aucun orchestre national n'atteint le seuil de 30 %. L'Opéra de Lille est le seul à atteindre ce seuil. Mais il y a eu une avancée dans les postes de direction et de commission, grâce à votre travail et aux lois votées. Les réalisatrices de films sortis en 2012-2015 n'atteignent pas atteint le seuil de 30 %. Je me réjouis que, cette année, le jury du festival de Cannes soit très féminin, plus que paritaire ! Il reste à mettre en place des objectifs chiffrés dans les politiques, notamment celui d'augmentation de 5 % de femmes, et rendre obligatoire la parité dans les jurys et comités d'experts dépendant du ministère de la culture. Nous l'avions déjà écrit en 2013 : où sont les femmes ? Attendons le prochain bilan pour voir si les chiffres s'améliorent. Il a fallu attendre longtemps pour atteindre ces quelques progrès

M. Olivier Paccaud. - Plus d'expertes, moins de femmes objets... Ne tombons pas dans la caricature ! Je vous rassure, je n'ai pas de Breitling, ni même de montre. La femme en décolleté qui astique la voiture appartient au passé, et les publicités automobiles mettent en avant la dimension familiale. La société a progressé. Veillons à ne pas imposer trop de contraintes. Je suis très sensible aux « fesses cascadantes » de Rimbaud et aux Demoiselles d'Avignon de Picasso. Manet aurait-il encore le droit de peindre le Déjeuner sur l'herbe, dans notre société ? La publicité porte un aspect créatif. À trop vouloir contraindre, on risque de graves désillusions...

Mme Françoise Laborde. - Je vous remercie pour le travail que vous menez. Vous savez lancer une dynamique et vous êtes très pédagogue. Vous avez rendu visite à des étudiants de Master 2, à Toulouse, à l'occasion d'une journée sur la place des femmes dans les médias, je vous en remercie Vous vous êtes aussi rendue à l'ONU. Partout, vous défendez l'égalité entre les hommes et les femmes.

Le récent mouvement de dénonciation du harcèlement sexuel au cinéma a brisé un tabou. En a-t-il été de même dans l'audiovisuel ? Dans la publicité, l'image de la femme oscille entre la pornographie, le chic, le vulgaire ou la nunuche. L'application des lois existantes suffit-elle pour changer la situation ? Ou faudra-t-il consolider les mesures dans la future loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ?

Mme Marta de Cidrac. - Dès qu'il s'agit d'égalité entre les hommes et les femmes, les études et les constats sont très importants. C'est de là qu'on part. Pourtant, sans même disposer des chiffres, nous sommes tous d'accord sur le fait que le numérique véhicule une image des femmes pour le moins inquiétante. Pourquoi faudrait-il une étude chiffrée pour constater ce qui est évident pour tout le monde ? Ras-le-bol des études ! L'inégalité est réelle. Ne pensez-vous pas que cette démarche cache une certaine hypocrisie ?

La cause n'avance pas assez vite. Quand les jeunes femmes seront-elles enfin considérées au même niveau que les hommes dans les médias ? La classe politique s'est féminisée, et pourtant, comme vous le disiez, les femmes politiques sont encore peu invitées sur les plateaux de télévision.

Le collectif Jamais sans elles organise le boycott de toutes les réunions d'expertise où les femmes ne sont pas invitées. Que pensez-vous de ce genre d'initiative ?

Mme Laurence Rossignol. - Ce que vous faites représente la parfaite rencontre entre la loi - celle de 2014 et celle de 2017 - et la personne qui la porte. Vous êtes pour ainsi dire « the right person at the right place ». Votre personnalité n'est pas étrangère aux résultats que vous obtenez. Quels seraient les besoins législatifs pour encore mieux défendre la cause que vous portez ?

À Marta de Cidrac, j'objecterais que les études sont indispensables, même si notre ressenti est clair. Il n'est qu'à voir la place réservée aux femmes dans les milieux d'expertise pour mesurer combien la tâche reste grande. Lorsqu'on traite par exemple dans les médias d'un sujet comme les inondations, on voit les hommes agir ; les femmes ne font que témoigner ou écoper en arrière-plan. Les études objectivent le ressenti. Nous n'en aurons jamais assez, car à chaque fois qu'on soulève un pan du voile de la misogynie, on en trouve un autre.

À Olivier Paccaud, je répondrais que la loi enclenche des dynamiques, et n'est en rien un obstacle à la créativité. Des mouvements inédits ont vu le jour dans le monde des communicants professionnels, avec par exemple la création du prix « No more cliché », récompensant les meilleures publicités non sexistes. Les mentalités évoluent aussi, puisque les communicants ont constaté que les publicités non sexistes n'étaient pas moins vendeuses que les publicités sexistes. Il y a des gisements de créativité, soyons-en conscients, dans ces nouvelles exigences non sexistes.

Nous devons rester mobilisés et vigilants.

Mme Sonia de la Provôté. - Pour défaire « l'image partiale et partielle » de la femme, la question qualitative est fondamentale. Les diagnostics restent trop superficiels. Les médias ont construit la réalité sociale en modelant l'inconscient collectif. Il faudra du temps pour la faire évoluer. Qu'elles soient expertes ou élues, la représentation des femmes dans les médias reste la même. Il faut aussi rappeler que les adolescentes ont un rapport au corps particulier. Il devient de plus en plus problématique au fur et à mesure que les réseaux sociaux se développent. Certaines publicités mettent en scène des femmes dont le corps n'a pas été retouché : il faut défendre cette tendance ! La femme n'a pas besoin de passer par le bistouri, qu'il soit réel ou virtuel.

On nous donne en exemple les pays du Nord, en particulier l'Islande. Y développe-t-on des méthodes particulières dont nous devrions nous inspirer ?

Enfin, Monsieur Paccaud, je ne suis pas certaine que la femme en short et stilettos soit un modèle de créativité.

Mme Dominique Vérien. - Les femmes sont ultra-majoritaires dans certains domaines professionnels. Il n'y aura bientôt plus de juges hommes et les médecins sont surtout des femmes, sans parler des infirmières. Ces métiers ont tendance à se sexualiser. Comment encourager une réelle parité professionnelle ? C'est à partir de là qu'on pourra renouveler l'image des femmes dans les médias.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Merci pour votre engagement et votre réactivité. La France a un devoir d'exemplarité, car la femme française est très suivie à l'étranger. J'ai travaillé, dans le cadre de la délégation aux droits des femmes, sur un rapport visant à renforcer la place des femmes dans les conseils d'administration. L'idée, extraordinaire, venait de Norvège. Pourtant, la seule référence de poids pour toutes les femmes étrangères que nous avions auditionnées, c'était ce que l'on faisait en France.

À la suite des attentats de 2015, j'ai écrit au CSA au sujet de l'image des terroristes qui était diffusée dans la presse : on voyait des jeunes hommes souriants et musclés, sur une plage. Ce genre d'image peut avoir un pouvoir d'influence très grave sur une jeunesse fragile, notamment les jeunes filles. Ce point n'est pas au coeur du thème de cette réunion, mais j'aimerais avoir votre sentiment sur cette question.

M. Maurice Antiste. - Je regrette de n'avoir pu entendre que la moitié de votre exposé. J'ai eu un problème de taxi. Le chauffeur était une femme. Bien évidemment, ce n'est pas elle qui m'a mis en retard !

Votre passion pour le sujet que vous défendez dépasse l'hexagone, puisque vous avez été vice-présidente d'un groupe de travail sur l'outre-mer en 2013 et d'un autre en 2015. Quelle photographie avez-vous faite de la situation des territoires ultra-marins ?

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Les messages publicitaires sont martelés et répétés pour créer un besoin chez les consommateurs. Si les publicités non sexistes ne sont pas moins vendeuses que les autres, pourquoi trouve-t-on encore autant de publicités sexistes ?

Il faut multiplier les études qui portent sur le numérique et l'Internet. Mère de deux adolescents, je suis tombée sur des morceaux de rap dont les textes étaient pleins d'insultes, de stéréotypes, de propos sexistes et pornographiques. Des millions de jeunes écoutent ces morceaux et regardent les clips sur YouTube. Il ne s'agit pas de censurer les artistes. Cependant, il faudrait mener une étude sur le sujet. Je suis particulièrement motivée sur cette question.

Mme Laure Darcos, présidente. - Nous sommes quand même un peu responsables : à trop victimiser les femmes, on contribue à véhiculer cette image dans les médias. Mieux vaut mettre en valeur la femme conquérante qui réussit. Les publicitaires ont un esprit poreux, sensible à l'air du temps. S'il faut bien sûr parler du harcèlement et des violences faites aux femmes, nous devons aussi valoriser l'autre versant.

Tout repose sur l'éducation, notamment celle des jeunes garçons. Il faut transformer la manière dont ils voient leur mère, leur soeur, leur copine. Le CSA doit faire passer des messages positifs à la jeune génération, en insistant par exemple sur le partage des tâches.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. - L'égalité entre les hommes et les femmes est la grande cause du quinquennat. Les réclamations que les téléspectateurs adressent au CSA ont-elles évolué ?

Je rassure M. Paccaud : nous sommes tous favorables à ce que la création s'exprime. Et nous savons aussi apprécier un beau corps d'homme. Le sujet n'est pas là, mais dans la formation des générations à venir : quelle image de la femme renvoie-t-on aux jeunes filles qui regardent la télévision ? La délégation aux droits des femmes travaille aussi sur l'éducation et la formation pour promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes.

Très peu de jeunes filles s'engagent dans des études scientifiques, alors que ce sont les élèves les plus brillantes jusqu'en terminale. Comment expliquer cela, sinon par les images que renvoient la société ?

La délégation travaille aussi sur la formation et la situation des femmes dans la société. Les inégalités entre les hommes et les femmes ont un coût pour la collectivité, en termes de santé, de justice, etc.

Quant au ressenti, j'ai pu mesurer combien il pouvait parfois ne pas correspondre à la réalité. Hier encore, je participais à une table ronde de la commission de la culture sur le rôle des Architectes des Bâtiments de France (ABF) : sur le nombre des recours contre les avis rendus par les ABF, notre ressenti était de 30 %, alors qu'il n'y en a en réalité qu' 1 % ! Ce qui importe, c'est que les études soient suivies d'actions.

Mme Sylvie Pierre-Brossolette- Les professionnels admettent que l'on a dépassé les bornes dans la publicité. Je suis allée à une réunion qui rassemblait les vingt-cinq marques adhérentes à la charte contre les stéréotypes sexistes dans les publicités : elles étaient toutes représentées par des femmes, mais 90 % des créatifs sont des hommes. C'est cela que nous voulons rééquilibrer. Il ne s'agit ni de contraindre, ni de censurer.

Nous devons absolument pouvoir objectiver le problème si nous voulons tenir une position incontestable. La magistrature est très féminisée, mais le président de la Cour de cassation est un homme, celui du barreau aussi d'ailleurs. Même chose pour la profession médicale : pourtant, l'Académie de médecine reste largement masculine...

La loi est un instrument qui nous aide ; elle ne peut pas tout faire. J'ai dû négocier avec les chaînes, car je n'avais pas le pouvoir de tout leur imposer. Nous sommes parvenus à un compromis, dont certains points ne sont pas complètement satisfaisants.

En matière de stéréotypes, la téléréalité n'a pas bougé d'un pouce, malgré les alertes que j'ai lancées à des chaînes comme W9 et NRJ12. Ces programmes sont diffusés pour les jeunes, entre 17 heures et 20 heures. Pour ces petites chaînes, il est important d'attirer une telle audience... Ces émissions les font vivre. Les images sont épouvantables et consternantes. En revanche, les fictions s'améliorent peu à peu. La série Candice Renoir, diffusée en 2013 sur France 2, était très stéréotypée, avec son héroïne toujours habillée en rose, toujours en retard aux réunions à cause de ses problèmes de couple ou de garde d'enfants. Elle ne résolvait ses enquêtes que grâce à son intuition féminine, pas grâce à ses capacités de déduction ! La série était bourrée de stéréotypes.

Même chose en 2015 pour Nina, avec ses personnages d'infirmière nunuche et de médecin dragueur... En parler avec des réalisateurs et des producteurs les aide à prendre conscience de ces stéréotypes et à les éviter dans leurs oeuvres à venir.

Si le Parlement souhaite un jour imposer la parité, je serais évidemment la dernière à m'en plaindre. Dans l'immédiat, nous devons travailler avec les chaînes de télévision pour lutter contre la diffusion de stéréotypes et nous manquons de moyens pour cela. J'ai fait appel à la bonne volonté des professionnels de la publicité pour mener cette lutte et je ne fais que sanctionner les écarts au coup par coup. Quant au numérique, les études sont très utiles, car elles nous donnent des chiffres à mettre sous le nez des responsables. Avant qu'une étude soit lancée sur le sujet, personne ne se rendait compte que les femmes étaient aussi peu représentées dans les milieux d'experts. Ce qui est certain, c'est que l'étude doit déboucher sur une action.

Mme Marta de Cidrac. - Loin de moi l'idée de déclarer les études inutiles. Je voulais simplement signaler qu'elles étaient déjà très nombreuses. Il faut qu'elles soient suivies d'actions.

Mme Sylvie Pierre-Brossolette- Pour répondre à M. Antiste, en ce qui concerne l'outre-mer, je soulignerai que cela a déjà été une réussite d'avoir obtenu un chiffre global de la part des télévisions. Faire des sous-décomptes par région serait intéressant, mais cela dépasse nos prérogatives.

Madame Laborde, le harcèlement n'est pas de notre ressort. Rompre le tabou sera difficile et prendra du temps.

La législation française est parmi les plus avancées du monde sur notre sujet, même si on ne peut pas en dire autant de la situation réelle. Au Canada et dans les pays du Nord, la question de la place des femmes dans la société et dans les médias se pose tellement peu qu'il n'y a pas besoin de légiférer. En revanche, les pays du Maghreb et même l'Angleterre nous envient notre législation. La Belgique avance beaucoup sur le sujet. À l'ONU, nous étions cinq à parler : la France faisait figure d'oasis par rapport aux autres pays, notamment africains. Cependant, encore une fois, nous ne sommes pas les plus en avance en ce qui concerne la situation réelle.

Une fois le mouvement lancé, les chaînes de télévision sont les premières à se vanter de la place qu'elles font aux femmes.

Les saisines ont beaucoup progressé grâce au numérique (c'est plus simple d'écrire sur une plateforme que d'envoyer une lettre) et à notre réactivité. Les remarques déplacées d'un Candeloro aux Jeux Olympiques, il y a quelques années, ne seraient plus concevables. Les gens qui n'ont pas le temps de regarder la télévision seraient sans doute les plus à même de formuler des saisines, car, par définition, les adolescents qui regardent les émissions de téléréalité ou des vidéo-clips musicaux n'en font jamais. Je vais travailler sur ce secteur.

Il faut effectivement développer une approche qualitative. Les moyens nous manquent, car le budget du CSA diminue chaque année. Il faudrait pouvoir regarder chaque émission, examiner le sujet, les interventions féminines, etc. Cela prend beaucoup de temps.

Pour en revenir à la remarque de Dominique Vérien sur les professions féminisées, je considère que le fait que beaucoup de juges soient des femmes est plutôt un progrès.

Mme Dominique Vérien. - Et quand c'est 100 % ?

Mme Sylvie Pierre-BrossoletteJe préfère qu'on diffuse des images de femmes juges ou médecins plutôt que greffières ou infirmières !

Mme Dominique Vérien. - Toutes les sociétés privées qui ont réussi à introduire de la parité et de la mixité sociale dans leur conseil d'administration ont de meilleurs résultats. L'hyper féminisation de certains métiers est un problème global. Comment l'éducation a-t-elle abouti à cela ?

Mme Sylvie Pierre-Brossolette- Je préfère me battre pour qu'il y ait des femmes ingénieures, pilotes d'avion, généraux cinq étoiles. Une majorité de chirurgiens sont des hommes, et la plupart des professeurs de médecine aussi.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Il faut des femmes compétentes qui exercent aux postes où elles doivent exercer.

M. Roland Courteau. - Récemment, les statistiques de l'académie du Languedoc-Roussillon-Occitanie ont montré que la filière du secrétariat était féminine à 99 %, celle du social à 98 %, la filière sanitaire à 97 % et celle de l'habillement à 95 %. À l'inverse, la filière mécanique est masculine à 99 %, celle de l'électricité à 98 % et on recense 3 % de filles contre 97 % de garçons en bac STI. La tâche est loin d'être achevée.

Mme Sylvie Pierre-BrossoletteNous progresserons en montrant à la télévision que des femmes peuvent être ingénieures.

M. Max Brisson. - L'orientation est un vrai sujet. La répartition des élèves d'une terminale S est à peu près équilibrée entre garçons et filles, ce qui est déjà un progrès. Les classes de préparation aux grandes écoles scientifiques, en revanche, sont essentiellement masculines, alors qu'en khâgne, on ne trouve quasiment que des filles. C'est un défi majeur à relever. L'école ne peut pas tout régler. La société a un rôle à jouer.

Mme Sylvie Pierre-BrossoletteD'où l'importance de montrer des femmes expertes dans tous les domaines à la télévision, pour que les petites filles se disent : « Mais, je peux être cap ! ».

M. Max Brisson. -  Vous m'ôtez ma conclusion !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - Le monde du numérique est exclusivement masculin. Très peu de femmes exercent le métier de développeur. Dans les filières informatiques de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur, il y a encore moins de filles que dans les sciences dures. C'est un sujet sur lequel nous devons travailler.

Nous veillerons à conforter la dynamique engagée depuis quelques années, dans le cadre de la future loi sur l'audiovisuel public. Il y a la législation, mais nous devons aussi travailler sur les mentalités. Merci beaucoup au CSA qui joue parfaitement son rôle.

Mme Annick Billon, présidente. - Je m'associe aux remerciements de Catherine Morin-Desailly. Cette audition est une réussite. L'essentiel n'est pas d'afficher des messages polémiques, mais de donner aux jeunes filles la possibilité de se dire : « Ça, je peux le faire ! ».

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat

La réunion est levée à 10h55.