Mardi 19 juin 2018

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 5.

Proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations - Audition de M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Permettez-moi tout d'abord de souhaiter la bienvenue au président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) en notre nom à tous et de lui dire notre plaisir à le revoir après plusieurs semaines d'absence qui donnent à cette rencontre une saveur toute particulière.

Nous organiserons prochainement l'audition sur le bilan annuel du CSA mais, aujourd'hui, nous allons parler d'un texte législatif qui devrait être examiné en juillet par le Sénat. La semaine dernière, déjà, nous avons réuni deux tables rondes : l'une avec les directeurs des rédactions des médias audiovisuels et l'autre avec les directeurs de l'information de la presse écrite.

Nous serons heureux de connaître votre avis sur l'ensemble de la proposition de loi mais, bien entendu, ce sont les articles relatifs au CSA sur lesquels nous attendons de votre part une analyse précise.

Quels sont, selon vous, les médias « sous influence étrangère » évoqués dans le titre II, dont vous avez eu à connaître depuis que vous présidez le Conseil ? Lors de la dernière campagne présidentielle, avez-vous constaté que des médias diffusant en France avaient essayé d'influencer l'opinion publique avec des fausses informations et avez-vous examiné les possibilités juridiques de faire cesser ces agissements ? En outre, nous avons un grand débat entre nous sur la définition des « fausses informations ».

La semaine dernière, le représentant de France 24 nous a indiqué que si les autorités françaises interdisaient la diffusion d'un média étranger originaire d'un État autoritaire, celui-ci adopterait immédiatement des mesures similaires en représailles. Comment pourrez-vous prendre en compte ce risque qui relève autant des relations internationales que de la régulation audiovisuelle ?

Sur l'article 9, pensez-vous être bien préparé pour mener une forme de régulation du secteur du numérique, qui est nouveau pour le CSA ? Que pensez-vous plus généralement de l'économie générale de cet article ? Le CSA se retrouverait en position de formuler des « recommandations » qui, en raison du verrou posé par le statut des plateformes au niveau européen, ne seraient suivies d'aucune sanction possible, mais se situerait plutôt dans une pratique du name and shame. Je vous sais très investi au niveau européen sur ces questions et vous êtes à l'origine du groupe de travail qui a travaillé sur le sujet.

M. Olivier Schrameck, président du CSA. - Je suis heureux de me retrouver devant la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, qui est une interlocutrice de première importance pour le suivi des travaux de l'institution que je préside.

Avant de répondre à vos questions, je voudrais vous dire que je me trouve dans une situation un peu particulière. J'ai été absent quelques mois du CSA et cela ne fait qu'un peu plus de deux semaines que je suis revenu. Dans la corbeille du retour, j'ai trouvé ce texte : je n'ai contribué ni à sa rédaction, ni à son suivi, ni aux travaux de réflexion menés par les députés, puisqu'il s'agit d'une proposition de loi de l'Assemblée nationale, mais dont l'exécutif ne s'est pas désintéressé. Or, j'ai l'habitude de me présenter devant vous pour présenter des travaux dont j'assume la responsabilité.

Deuxième particularité : le collège du CSA n'a jamais débattu de ce texte. Je l'ai d'ailleurs dit à votre présidente il y a quelques jours : je ne peux donc en rien me faire le porte-parole d'une opinion du collège que je préside ; je ne vous livrerai que le fruit d'une réflexion personnelle car je n'ai pas non plus eu d'entretiens en tête à tête avec mes collègues.

J'en viens à vos questions.

En ce qui concerne les médias qui pourraient être concernés, j'ai noté les déclarations du chef de l'État, qui datent de quelques mois, et j'ai dit publiquement que nous serions particulièrement attentifs, notamment pour certains organes relevant de la sphère Internet comme le site Sputnik et la chaîne Russia Today (RT), laquelle s'est implantée en Grande-Bretagne assez tôt et plus tardivement en France. Nous observons attentivement cette chaîne ainsi que de son environnement numérique.

Je ne puis aller plus loin sur le sujet car il s'agit d'une proposition de loi en cours d'examen et qui sera soumise dans quelques semaines au collège du CSA. Comme je vous l'ai dit, je n'ai pas le droit de m'exprimer avant lui. En revanche, je vous confirme que le dossier est nourri semaine après semaine par les observations de la direction des programmes. Par ailleurs, il n'a pas encore été examiné par le groupe de travail « Droits et libertés » qui l'instruit avant de le soumettre au collège.

L'article 9, qui traite du numérique, est important et novateur et il répond aux souhaits du CSA. Nous appelions de nos voeux une régulation assouplie et complétée car l'environnement technologique et économique du monde audiovisuel a profondément changé depuis la dernière directive européenne de 2000, qui est d'ailleurs inspirée d'un texte de 1997.

La nouvelle directive vient d'être adoptée en trilogue et elle fera l'objet d'une finalisation littérale en novembre. Cette directive prévoit diverses novations : entreront dans la sphère de la régulation les acteurs numériques, les sites sociaux, les plateformes de vidéos et les plateformes en ligne, c'est-à-dire le streaming. Le champ de la régulation va donc considérablement s'élargir. L'article 9 répond à cette nouvelle conception de la régulation avec des missions d'observation, d'évaluation et de recommandation. Pour l'instant, cette proposition de loi ne prévoit pas de sanctions qui, généralement, sont régies par l'article 42 du fait de la logique du CSA, « gendarme de l'audiovisuel », même si je n'aime pas ce terme. Nous sommes donc dans une logique de co-régulation, qui va bien au-delà de la « police privée de la réglementation » mise en oeuvre par chacun de nos partenaires comme Twitter ou Facebook mais qui diffère d'un site à l'autre. Le CSA leur propose un cadre général auquel ils adhèrent en échange de certaines concessions. On parle alors d'acteurs vertueux. Ces négociations permettent d'obtenir des garanties financières et d'exposition, même si notre pays n'est pas le siège mais la cible de ces entreprises. En échange, les pouvoirs publics accordent divers avantages pour enraciner au mieux dans notre terreau culturel ces firmes étrangères, souvent nord-américaines, qui passent de plus en plus souvent commande à des producteurs français.

Il y a incontestablement des similitudes entre la future directive et l'article 9, puisqu'il y est question de recommandations, de bilans annuels, de rapports. Le législateur devra dire comment seront sanctionnées les éventuelles insuffisances.

J'ai entendu parler de « méta-régulation » ou de régulation au second degré. Un cadre d'ensemble serait fixé puis adapté par convention à chaque protagoniste. Mais il est encore trop tôt pour que j'en dise plus sur le sujet.

En ce qui concerne les mesures de rétorsion qui pourraient nous frapper si nous interdisons certains médias étrangers, je vous renvoie à divers précédents, dont les décisions du 21 février 2014 et du 21 février 2015 qui concernaient des médias d'origines turque et tamoule. Nous avons pris des mesures très restrictives à l'égard de ces chaînes étrangères. Le contexte est certes bien différent aujourd'hui, et c'est sans doute la raison pour laquelle le Parlement n'a pas encore abordé la question.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je me tourne vers M. Frassa, rapporteur de la commission des lois.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur pour avis de la commission des lois. - Les articles 4, 5, 6 et 8 reviennent sur une question qui reste en débat : aurez-vous recours à l'article L. 233-3 du code de commerce pour définir les médias placés sous influence étrangère ? Cette question n'est pas secondaire puisqu'il s'agit soit d'ordonner la suspension de la diffusion, soit de prononcer la sanction de résiliation unilatérale de la convention. La commission des lois a en effet quelques difficultés à définir la notion « d'influence d'un État ».

Ne faudrait-il pas modifier la composition du CSA puisque la proposition de loi va lui confier de nouvelles missions ?

M. Olivier Schrameck. - La question de l'influence extérieure pesant sur une société ayant ou non son siège en France n'est pas nouvelle. Ainsi en fut-il avec Bertelsmann et RTL, avec Altice SFR, avec Numéro 23... Le CSA et le Conseil d'État ont donné leur interprétation de l'article L. 233-3 du code du commerce. Par rapport à divers critères arithmétiques, comme ceux inscrits dans la loi du 30 septembre 1986, la définition du code de commerce correspond mieux à la réalité de la prise de pouvoir et de décision au sein d'une société. Il est difficile de mesurer l'influence de tel ou tel acteur dans la vie d'une société mais plutôt que d'appliquer des critères rigides, une analyse fine permettra d'apprécier la situation.

Votre deuxième question traite du champ de compétence du CSA : nous sommes à la fois contraints par le droit européen et les réalités économiques alors que nous sommes immergés dans un bain - que certains qualifient d'océan - numérique.

S'il m'appartenait de réfléchir à la composition du collège, j'ai indiqué qu'il serait utile de faire appel à des spécialistes de l'informatique. La réduction du nombre de ses membres a coïncidé avec l'entrée de spécialistes de l'économie et du numérique.

Certes, plusieurs autorités de régulation sont conduites à traiter ensemble de problèmes larges : par exemple, la Cnil pour les données, la Hadopi pour le piratage et l'Autorité de régulation de la concurrence pour l'articulation entre régulation horizontale et sectorielle. Il convient donc de réfléchir à une formalisation de leur coopération. J'ai pris à cet égard l'initiative d'une première réunion de préfiguration, à l'automne dernier, et une seconde se tiendra le 9 juillet au siège de l'Autorité de régulation de la concurrence. À la convergence observée dans l'univers médiatique doit répondre celle des autorités de régulation.

M. Claude Malhuret. - Sur les chaînes RT et Sputnik, vous avez répondu sans répondre, au prétexte qu'elles sont sous observation...

M. Olivier Schrameck. - Ce n'est pas un prétexte, c'est une obligation !

M. Claude Malhuret. - Je le comprends. Mais vous avez autorisé RT, dont le président Macron a dit qu'elle était un instrument de propagande aux mains d'un service de renseignement hostile. Le CSA n'autorise pas un média audiovisuel sans un examen préalable, je suppose. Pouvez-vous nous présenter l'instruction que vous avez menée sur cette chaîne et qui vous a conduit à l'autoriser ?

M. Olivier Schrameck. - Il ne s'agit par d'une procédure d'autorisation, mais d'un conventionnement. La demande a été formulée en 2014, après une première installation au Royaume-Uni en 2010, qui n'avait été suivie d'aucun incident. Et, entre 2015 et 2018, l'Ofcom n'a fait que trois mises en demeure, sans prononcer aucune sanction. Dans le contexte général, cette demande nous parut comporter des risques, et nous avons mené pendant presqu'un an une discussion avec la chaîne, dont nous avons obtenu des garanties qui ne figurent pas dans les autres conventions : honnêteté et rigueur de l'information, indépendance économique et constitution d'un comité d'éthique - c'était avant que la loi de 2016 ne la rende automatique. La convention a été signée le 12 septembre 2015, mais RT n'a ouvert qu'en décembre 2017, aussi notre période d'observation se limite-t-elle à un semestre. Nous constatons que d'autres installations sont prévues, en Europe centrale et de l'Est.

M. Jean-Pierre Leleux. - Nous sommes nombreux à nous interroger sur la difficulté qu'il y aura à appliquer ce texte, et à chercher des arguments, le cas échéant, pour l'accompagner. Est-il nécessaire ? Utile ? Opportun ? Ne fera-t-il pas peser un poids néfaste sur la liberté d'expression ? Le CSA et le juge porteront une lourde responsabilité, puisqu'ils décideront où est la vérité et comment la distinguer du mensonge. Dans un univers où le subjectif règne, il leur sera bien difficile de trancher. Nous craignons un contrôle nouveau sur la liberté d'expression. Qu'en pensez-vous ? Comment préconisez-vous de définir la fausse nouvelle ? Peut-on le faire plus objectivement ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Plus précisément, en tout cas...

M. Olivier Schrameck. - Une solution satisfaisante à ce problème est recherchée depuis longtemps par la jurisprudence de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, telle que modifiée par la directive de 2000. Il y a eu un premier débat sur la distinction entre fausses nouvelles et fausses informations. Parmi les critères, il y a une part d'intentionnalité et une part d'approche quantitative. Lors de la table ronde du 13 juin, M. Morel avait insisté sur les critères de systématicité, d'automaticité et de quantité, qui n'épuisent pas le sujet, mais semblent pertinents, car il existe des procédés informatiques pour lancer des nouvelles dans les réseaux. Les critères de notre tradition juridique, depuis le XIXe siècle, peuvent donc être adaptés aux modifications de notre environnement technologique. Je ne nie pas la difficulté de l'exercice, d'autant que l'application de la loi reviendra au CSA, sous le contrôle du juge. La méthode sera celle du faisceau d'indices, pour discerner l'intentionnalité, la finalité, l'existence d'une campagne. C'est celle qu'utilisent déjà Twitter et Facebook.

À cet égard, j'insiste sur la nécessité de donner au CSA les moyens de régulation économique nécessaires pour mesurer ces phénomènes. Actuellement, les rapports administratifs ne nous sont pas communiqués automatiquement, nous ne conduisons pas d'investigations sur place et sur pièces, et nous pâtissons parfois du retard de certains rapports publics. Ainsi, dans l'affaire Numéro 23, nous avons considéré, sur la base de faits reconnus par les dirigeants eux-mêmes, qu'il y avait eu fraude à la loi et manoeuvre pour acquérir une fréquence hertzienne avant de la revendre très rapidement avec une très forte plus-value. Mais le Conseil d'État a estimé que nous n'avions pas apporté suffisamment de preuves pour emporter sa conviction. C'est qu'il y a loin du CSA à un juge d'instruction !

Mme Sylvie Robert. - Disposez-vous d'outils suffisants pour contrôler les chaînes et contrer les fausses nouvelles ? Qu'en est-il de la coopération entre autorités de régulation sur Internet ? Pourquoi ne pas donner au CSA la possibilité d'intervenir sur les contenus et de collaborer avec l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) sur les réseaux et les algorithmes ?

M. Olivier Schrameck. - Depuis l'adoption de la loi de 1986, le législateur nous a confié 83 compétences supplémentaires. Durant la dernière législature, pas moins de quatorze lois ont augmenté nos attributions et nos compétences. Pendant cette période, le nombre d'emplois au CSA a diminué, ce qui a notamment rendu impossible la territorialisation de notre activité, qui me paraît pourtant primordiale. Notre directeur général mène chaque année la négociation budgétaire, mais nous subissons - comme d'autres - réfactions, gels et surgels. La transformation en autorité administrative indépendante (AAI), que nous souhaitions, a accru nos responsabilités. Si nous devons redéployer sans cesse nos moyens - ce que nous avons fait il y a dix-huit mois par une réforme importante de notre organigramme - et que le périmètre de notre régulation s'étend... J'avais proposé, en 2014, que nous reprenions les compétences et les services de la Hadopi. Nous travaillons désormais davantage, et mieux, avec elle - comme avec d'autres autorités de régulation.

Je n'ai pas cité l'Arcep, car on se focalise depuis cinq ans sur nos rapports avec elle. L'Arcep s'occupe des infrastructures - réseaux et débit - et le CSA, de l'« infostructure », c'est-à-dire des programmes et des contenus, ainsi que de la promotion de l'économie de notre création. Il y a des domaines communs, comme la question de la neutralité d'Internet.

Mme Sylvie Robert. - Voilà.

M. Olivier Schrameck. - Sur ce point, nous n'avons aucune opposition. D'ailleurs, nos deux administrations travaillent quotidiennement ensemble. J'ai proposé à mon homologue une coopération à trois étages : entre présidents, entre deux membres de chaque collège et entre les directions concernées. Je craindrais en effet une trop grande focalisation sur un seul type de coopération, quand une demi-douzaine de régulateurs doivent conjuguer leurs travaux. Fusionner deux organismes qui n'ont pas la même taille, pas les mêmes traditions ni les mêmes textes fondateurs requerrait beaucoup d'efforts, qui seraient plus utilement consacrés à des problèmes plus importants. De plus, l'exemple de nos voisins européens montre qu'après de telles fusions, l'essentiel des moyens est dévolu à l'équivalent de l'Arcep, car nous distribuons des fréquences gratuites, quand l'Arcep vend des licences à des prix très élevés - 2,9 milliards d'euros lors du dernier appel d'offres - ce qui focalise davantage l'intérêt de l'État.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Certes, l'Arcep s'intéresse à un domaine assez large...

Mme Sylvie Robert. - Je ne parlais pas de fusion.

M. Olivier Schrameck. - Une commission mixte serait une piste...

Mme Sylvie Robert. - Par exemple !

M. Olivier Schrameck. - La réduction du collège du CSA de neuf à sept membres s'est faite dans l'idée d'avoir le même nombre de membres que l'Arcep.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Vous avez été à l'initiative de l'Erga (European Regulators Group for Audiovisual Media Services), qui organise la coopération entre autorités de régulation européennes. Que pensez-vous de la loi votée en Allemagne sur les fausses nouvelles ? Où en est la réflexion européenne sur ce sujet ?

M. Olivier Schrameck. - Nos rapports bilatéraux et multilatéraux au sein de l'Erga sont un véritable atout.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Que pensez-vous de la loi allemande ? Sur quels sujets échangez-vous avec vos homologues européens ?

M. Olivier Schrameck. - La loi allemande a été votée fin 2017, et est entrée en vigueur le 1er janvier 2018. Pour l'instant, nous n'avons aucun retour d'expérience de nos homologues allemands, que nous rencontrons une fois par an, au point que nous nous demandons si la loi a déjà été appliquée.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Vous avez répondu à la question sur les fausses nouvelles par une synthèse des débats en cours. Quel est votre point de vue personnel ?

M. Olivier Schrameck. - Ce n'est pas une notion purement objective et l'on doit la dégager à l'aune des critères que sont la fréquence, le nombre, la finalité ou l'origine. Il existe toutefois des situations intermédiaires, où le doute est permis. Mais on a observé qu'à propos des dernières échéances importantes, qui ont affecté notre monde, les dirigeants ont tous dit qu'il y avait eu, à titre onéreux ou non, des transferts d'information ayant pu influer, même marginalement, sur le résultat.

M. Jean-Pierre Leleux. - Cela existe depuis des siècles !

M. Olivier Schrameck. - Pas avec les mêmes moyens.

M. Jean-Pierre Leleux. - La proposition de loi ne s'intéresse pas au niveau local. Pourtant, nous savons tous que lors des élections locales les tracts, libelles et fausses accusations sont monnaie courante. Et le juge classe toujours les dossiers sans suite.

M. Olivier Schrameck. - En effet, le juge pénal, qui est surchargé, n'est saisi que de façon erratique, et n'intervient que peu au regard de l'ampleur du problème. C'est pourquoi il nous faut créer un nouveau type de contrôle, plus rapide et plus interactif. J'ai observé qu'une grande partie du débat, à l'Assemblée nationale, a porté sur la question des délais. De fait, 48 heures, c'est très peu au regard de la procédure contradictoire, et très long pour les technologies actuelles !

La réunion est close à 17 heures.

Mercredi 20 juin 2018

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 10.

Projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - Le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, adopté hier par l'Assemblée nationale, comporte trois titres, portant respectivement sur la formation professionnelle, l'assurance chômage et sur diverses dispositions en matière d'emploi, telles que l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, la lutte contre le travail illégal, etc.

Le titre Ier opère une réforme profonde de l'organisation de la formation professionnelle continue et de l'apprentissage. Si l'apprentissage relève à titre principal de la commission des affaires sociales, au titre de sa compétence en matière de formation professionnelle initiale, dont l'apprentissage est l'une des modalités, notre commission s'est saisie pour avis des dispositions relatives à l'orientation et d'une partie de celles qui concernent l'apprentissage : l'article 8 bis, les articles 10 à 11 bis, les articles 14 bis et 14 ter ainsi que sur certaines dispositions de l'article 17 relatives à la taxe d'apprentissage.

L'apprentissage a connu un développement continu entre le début des années quatre-vingt-dix jusqu'en 2008. Depuis lors, les effectifs d'apprentis stagnent, même si cela masque deux évolutions profondes : le nombre d'apprentis dans l'enseignement supérieur est en augmentation constante, tandis que les effectifs d'apprentis préparant des diplômes de niveau IV et V, correspondant au baccalauréat professionnel et au CAP, diminuent. Cela est d'autant plus regrettable que c'est pour les publics les moins qualifiés que la plus-value de l'apprentissage en matière d'insertion professionnelle est reconnue.

Les freins au développement de l'apprentissage sont divers : recul de l'emploi dans certains secteurs traditionnels de l'apprentissage à l'instar du bâtiment, de l'hôtellerie-restauration, de la coiffure-esthétique ou des métiers de bouche ; diminution de l'âge des candidats, sous l'effet de la baisse du taux de redoublement et du bac pro en trois ans ; image ambivalente au sein du système éducatif et auprès des familles ; organisation et financement complexes, peu lisibles et propices à une concurrence entre les différents acteurs.

Pour y remédier, le projet de loi engage une réforme profonde de l'apprentissage, en faisant le pari de donner le premier rôle aux entreprises, par l'intermédiaire des branches professionnelles. Afin de dynamiser l'offre de formation, le projet de loi prévoit l'allégement des formalités d'ouverture des centres de formation d'apprentis (CFA), en particulier par la suppression du contrôle a priori exercé par les régions. Leur financement se fera selon un mécanisme de « financement au contrat », la prise en charge étant effectuée par les opérateurs de compétence, qui remplaceront les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), selon un barème déterminé avec les branches professionnelles. Le régime du contrat d'apprentissage est simplifié, en particulier s'agissant des règles relatives à sa rupture et au temps de travail de l'apprenti, qui seront plus conformes à la réalité de la vie des entreprises. Les aides en faveur de l'apprentissage sont fusionnées dans une aide unique, tournée vers les PME et TPE pour l'embauche d'apprentis de niveau bac ou pré-bac. Le financement est revu, même si la taxe d'apprentissage subsiste. Enfin, la gouvernance évolue : si elles perdent l'essentiel de leurs compétences en matière de régulation de l'offre de formation et de financement, les régions pourront compléter les financements de droit commun des CFA au regard de la politique régionale en matière d'aménagement du territoire et de développement économique.

S'agissant des dispositions relatives à l'orientation scolaire, l'article 8 bis remplace le dispositif d'initiation aux métiers en alternance (DIMA) et les classes de troisième « prépa-pro » par une classe de troisième dite « prépa-métiers ». Implantées en collège et en lycée professionnel, ces classes auront pour objet de préparer les élèves à l'entrée en apprentissage et dans l'enseignement professionnel, tout en assurant leur maîtrise des fondamentaux et du savoir-être.

Par ailleurs, l'article 10 confie aux régions la responsabilité de l'information sur les formations et les métiers des publics scolaires. Le service public régional de l'orientation (SPRO), créé en 2014, s'arrêtait au seuil des établissements scolaires. Les régions pourront désormais organiser des actions d'information dans les établissements scolaires et universitaires en direction des élèves et de leurs familles et avec le concours des psychologues de l'éducation nationale (PsyEN) et des enseignants. À cet effet, il prévoit le transfert aux régions d'une partie des personnels des délégations régionales de l'ONISEP, et, à titre expérimental, d'agents de l'État des centres d'information et d'orientation (CIO). Enfin, l'article 10 quater prévoit la remise au Parlement d'un rapport sur l'avenir des CIO.

En matière de formation professionnelle initiale en apprentissage, l'article 10 bis confère une reconnaissance législative aux campus des métiers et des qualifications. En outre, l'article 11, qui rénove le régime juridique des CFA, prévoit notamment les modalités de publication des taux de réussite, de poursuite d'études et d'insertion des lycées professionnels et des CFA. Les députés ont rétabli la possibilité, supprimée par inadvertance, qu'ont les lycées professionnels de créer des unités de formation d'apprentis. L'article 11 bis A reconnaît les écoles de production et les rend éligibles au solde de la taxe d'apprentissage qui correspond au « hors quota » actuel. Les articles 11 bis et 14 ter permettent la création, par les établissements publics d'enseignement supérieur, de filiales de droit privé aux fins de développer leur offre de formation continue et en apprentissage, ainsi que pour les formations de courte durée ou ne débouchant pas sur la délivrance d'un diplôme conférant un grade. L'article 17 porte sur les contributions finançant l'apprentissage : les députés ont rétabli un dispositif ressemblant peu ou prou au « hors quota » actuel de la taxe d'apprentissage, qui a pour finalité de financer les formations professionnelles de l'enseignement secondaire et supérieur hors apprentissage. Il s'agit de dépenses libératoires versées par les entreprises aux différents établissements, qui représentent aujourd'hui 23 % du produit de la taxe. Avec la rédaction actuelle, cette fraction est plafonnée à 13 %, ce qui correspond grosso modo à la part effectivement reçue par les établissements du secondaire et du supérieur. Les députés ont toutefois élargi la liste des bénéficiaires de ce qui remplace le « hors quota ». Nous devons être très vigilants, car il s'agit d'une ressource précieuse pour un grand nombre d'établissements, lycées professionnels comme écoles de commerce ou d'ingénieurs, qu'il conviendrait de ne pas déstabiliser.

Enfin, l'article 10 ter demande un rapport sur les politiques régionales de lutte contre l'illettrisme et l'article 14 bis prévoit la délivrance de certificats de compétences aux élèves handicapés n'ayant pas obtenu leur diplôme du fait de leur handicap - cela est d'ores et déjà pratiqué et relève d'ailleurs d'une circulaire en vigueur.

Afin d'améliorer les dispositions du texte, je vous proposerai un série d'amendements suivant quatre lignes directrices : favoriser l'accès de tous à une information et à un accompagnement de qualité en vue de leur orientation ; approfondir les liens entre l'éducation nationale et le monde économique et professionnel ; mieux préparer les jeunes à l'apprentissage et sécuriser leurs parcours et, enfin, préserver la dynamique de développement de l'apprentissage dans l'enseignement scolaire et supérieur.

Vous aurez reconnu, mes chers collègues, certaines des lignes de force du rapport de la mission d'information sur l'orientation scolaire, publié il y a deux ans, et dont un certain nombre d'entre vous ici étaient membres. À cet égard, je souhaite féliciter son rapporteur, notre collègue Guy-Dominique Kennel, pour la qualité de son travail. J'ai essayé de traduire certaines de ses recommandations en actes, considérant qu'il était temps de récolter les fruits de sa réflexion.

Dans son rapport, notre collègue dressait le constat d'un « paysage touffu et complexe » s'agissant du grand nombre d'intervenants différents en matière d'orientation. Il demandait, relayé en cela par la Cour des comptes, l'unification de ces réseaux, notamment par le transfert aux régions des CIO et du réseau information jeunesse. Je regrette que ce choix n'ait pas été retenu, même si je n'ignore pas les réticences existant de part et d'autre. En la matière, le texte ne constitue en somme qu'une demi-mesure : le transfert des délégations régionales de l'ONISEP (DRONISEP) et d'une partie de leurs personnels n'est qu'une réponse très partielle, essentiellement symbolique, à ce problème, qui demeurera. Si les règles de l'irrecevabilité financière nous empêchent de procéder nous-mêmes à ces transferts, certains des amendements que je vous propose visent néanmoins à accroître les prérogatives des régions en la matière.

Afin de favoriser l'accès de tous les élèves à une information de qualité et à la découverte des métiers, je vous proposerai, à l'article 10, de poser le principe de l'exercice en établissement des psychologues de l'éducation nationale, les ex-conseillers d'orientation-psychologues, afin de les positionner comme conseillers des chefs d'établissement et des équipes pédagogiques dans la mise en oeuvre de la politique d'orientation de l'établissement et d'accroître leur disponibilité pour les élèves. Je proposerai également d'étendre à la classe de quatrième la possibilité d'organiser des enseignements complémentaires de découverte du monde économique et professionnel et d'effectuer des périodes d'observation en milieu professionnel. Cela existe déjà dans l'enseignement agricole et je suggère d'y associer les CFA. À l'article 11, je vous proposerai un amendement visant à garantir que l'ensemble des formations professionnelles initiales publieront leurs résultats en termes de réussite, de parcours et d'insertion, quel que soit leur effectif.

En vue d'approfondir les liens entre l'école et l'entreprise, des liens essentiels pour assurer la pertinence et la qualité de la formation professionnelle, les amendements que je vous propose d'adopter tendent à permettre aux régions d'organiser des actions de formation sur les métiers et les formations en direction des enseignants, dans le cadre de leur formation continue, et à intégrer la connaissance des filières de formation, des métiers et du monde économique et professionnel dans la formation continue des enseignants, en permettant, dans ce cadre, une expérience de l'entreprise. Un amendement prévoit que la présidence du conseil d'administration des lycées professionnels et des lycées polyvalents sera exercée par un représentant du monde économique et professionnel.

Mieux préparer les jeunes à l'apprentissage est essentiel en vue de réduire le grand nombre de contrats rompus avant leur terme - un quart environ. Cette situation est souvent liée à l'absence de maîtrise par le jeune des savoir-être nécessaires à la vie professionnelle. C'est dans cet esprit que l'article 8 bis crée les classes de troisième dites « prépa-métiers ». L'amendement que je vous propose, s'agissant des enseignements complémentaires de découverte du monde économique et professionnel, va également dans ce sens. Je souhaite mettre l'accent sur l'importance que revêt la mixité des parcours, même si cette question ne relève pas de la loi, car cela permet de faciliter les transitions entre formation professionnelle sous statut scolaire et en apprentissage. La réforme du lycée professionnel, qui prévoit la préparation du baccalauréat professionnel selon un schéma « 1+2 », c'est-à-dire comportant une année de seconde sous statut scolaire et les classes de première et de terminale sous statut d'apprenti, va, me semble-t-il, dans le bon sens.

À mon sens, l'avenir de l'apprentissage doit être non pas traité à part, mais, au contraire, pleinement intégré dans les cursus de l'enseignement secondaire et supérieur. Ce serait d'ailleurs une erreur de penser que l'apprentissage n'a lieu qu'en CFA : les lycées professionnels accueillent près de 10 % des effectifs d'apprentis - soit 20 % environ des apprentis des formations pré-baccalauréat -, tandis que le nombre d'apprentis dans les établissements d'enseignement supérieur augmente d'année en année. Il faut se garder d'une vision concurrentielle, somme toute assez malthusienne et peu ambitieuse. Nous pouvons d'ailleurs nous réjouir que les réformes annoncées, en particulier celle du lycée professionnel, intègrent davantage l'apprentissage dans les parcours de formation. Certaines dispositions du projet de loi ont pu laisser penser le contraire.

Ainsi, dans sa rédaction initiale, l'article 11, qui rénove le régime juridique des CFA, supprimait la faculté des lycées professionnels de créer des unités de formation d'apprentissage. Cet oubli a été heureusement corrigé par les députés. De la même manière, l'article 17, qui avait été entièrement réécrit en commission par les députés, prévoyait l'extension aux formations en apprentissage de l'éligibilité au « hors quota », alors qu'elles bénéficient des 87 % restants du produit de la taxe d'apprentissage. Là encore, cela a été corrigé en séance publique, sur l'initiative du Gouvernement. Je vous proposerai néanmoins un amendement lié au plafonnement des montants pouvant être versés aux organismes agissant pour la promotion des formations professionnelles.

L'idée maîtresse est que si, comme l'a annoncé le Président de la République, l'argent de l'apprentissage doit aller à l'apprentissage, il ne s'agit pas de le faire en déstabilisant les établissements d'enseignement secondaire ou supérieur ; pour certains, le « hors quota » représente parfois jusqu'à 20 % de leurs recettes. Au contraire, l'apprentissage a besoin d'un environnement favorable, afin qu'il s'intègre dans l'ensemble des voies de la formation professionnelle, pour laquelle il a démontré toute sa pertinence.

Sous réserve de l'adoption des dix-sept amendements que je vous présenterai, je vous proposerai de donner un avis favorable à l'adoption des dispositions de ce projet de loi qui intéressent notre commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci beaucoup pour votre exposé, monsieur le rapporteur pour avis. Vous avez à juste titre salué le travail réalisé par notre collègue Guy-Dominique Kennel ; permettez-moi d'y associer l'ensemble des sénateurs qui avaient participé à cette mission d'information, dont son président Jacques-Bernard Magner.

M. Bruno Retailleau. - Je remercie le rapporteur pour avis pour le travail réalisé. Je reconnais un certain nombre de préconisations que notre collègue Guy-Dominique Kennel avait effectivement formulées dans son rapport d'information ainsi que certaines convictions portées par les uns et les autres, quelles que soient les formations politiques. Il reviendra à la commission saisie au fond de déterminer les orientations.

Nous soutenons farouchement les écoles de production, qui doivent avoir enfin un statut. Elles s'occupent d'un public laissé pour compte. Faire pour apprendre, comme c'est leur devise, est important.

Concernant l'apprentissage, nous considérons que ce projet de loi apporte une très mauvaise réponse. Pour la première fois depuis les lois Defferre, on retire une compétence aux régions. Je connais le discours du Gouvernement : rapprocher l'apprentissage de l'entreprise, mais c'est confondre les branches professionnelles et les entreprises, notamment les PME. Certes, des régions, de droite comme de gauche, consacrent moins de crédits à l'apprentissage qu'elles n'en perçoivent au travers de la taxe d'apprentissage : c'est inadmissible. Mais ce n'est pas parce qu'il existe quelques dysfonctionnements qu'il faut jeter l'apprentissage avec l'eau du bain, si je puis dire.

La grande réforme doit imprégner et unifier l'ensemble de la filière professionnelle. Avec cette privatisation, il est évident que l'on éloignera un peu plus l'apprentissage de l'éducation nationale. Par ailleurs, le mécanisme de financement du contrat favorisera les CFA les plus importants, au détriment non seulement de l'apprentissage lui-même, mais aussi des publics les moins mobiles ou très fragilisés. Cette réforme, qui comporte un certain de mesures positives, va structurellement dans le mauvais sens. Le flou qui l'entoure ne permettra pas un bon pilotage de l'ensemble du système. Sur les 400 ou 500 branches professionnelles, seule une dizaine d'entre elles sont capables d'organiser l'apprentissage ; c'est l'UIMM qui a dicté sa loi ! Les métiers transversaux seront totalement laissés pour compte. Par conséquent, notre groupe n'est absolument pas prêt à voter la réforme telle qu'elle nous est présentée, même amendée.

Le Gouvernement nous présente l'orientation comme un lot de consolation : la réforme proposée est pire que tout !

M. Jacques-Bernard Magner. - Très bien !

M. Bruno Retailleau. - On est entre les deux, dans le fameux « en même temps » de ce que l'on connaît de plus mou. Elle ne permettra pas de donner aux familles les plus fragiles les instruments susceptibles de permettre aux élèves de réussir. Une étude de l'OCDE a montré qu'il faut, en France, six générations pour que les enfants de familles modestes puissent s'élever dans la société à un niveau moyen. Notre système est en train de produire de profondes inégalités. Pardonnez la passion qui est la mienne...

M. Claude Kern. - Je félicite le rapporteur pour avis pour son excellent travail. Je relève que ce projet de loi intègre une grande partie des propositions formulées dans l'excellent rapport d'information de notre collègue Kennel. Je note également que l'Assemblée nationale a puisé dans le rapport d'information sur la gouvernance du football que j'ai coproduit avec Jean-Jacques Lozach, en intégrant notamment le passage à cinq ans du premier contrat professionnel pour les jeunes footballeurs.

Les pouvoirs publics se préoccupent enfin de la reconnaissance et de la promotion de la formation professionnelle. Nous ne pouvons que saluer cette volonté : il devient urgent de réhabiliter l'apprentissage, trop souvent considéré comme une voie de garage. Ce projet de loi offre la possibilité d'apprendre un métier et de poursuivre le cursus jusqu'à l'obtention d'un diplôme universitaire. En cela, l'apprentissage devient une voie d'excellence. Cependant, il faut promouvoir une pédagogie innovante. Il ne faut surtout pas réduire à 150 heures la présence des jeunes dans les centres de formation. Il importe aussi de les accompagner dans leur vie professionnelle et sociale, au travers d'une imprégnation à la culture, à la littérature et à l'histoire. Il convient de rapprocher les CFA et l'éducation nationale. Ne creusons pas le fossé. Notre groupe suivra notre rapporteur pour avis, tout en restant très vigilant sur le reste du projet de loi.

M. Jacques-Bernard Magner. - Je félicite le rapporteur pour avis du travail qu'il a réalisé dans un laps de temps trop court. Je déplore que notre commission n'ait pas été saisie au fond de ce projet de loi : il est dommage que l'avenir des jeunes, leur formation et leur orientation ne relèvent pas directement de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

À de multiples reprises, les dispositions prévues ressemblent beaucoup à des cavaliers législatifs. Certains articles remettent en question la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École de la République, adoptée en juillet 2013, qui insistait sur le socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Avec le DIMA, les jeunes de moins de quinze ans ne pouvaient pas sortir du système scolaire général pour suivre une formation professionnelle. La troisième « prépa-métiers » est donc une régression.

La proposition de loi relative aux écoles de production de notre collègue Jean-Claude Carle avait été rejetée par le Sénat. Je continuerai à combattre ces écoles, qui ne sont pas adaptées aux jeunes de moins de seize ans. La production matérielle de leur travail est vendue pour faire tomber de l'argent dans les caisses de ces écoles, ce qui est tout à fait scandaleux.

Il est regrettable de retirer la tutelle des CFA aux régions. On sait l'importance de la proximité. Les partenaires privés agiront selon les orientations professionnelles qui leur conviennent : leurs choix n'auront rien de pédagogique.

L'attribution de l'orientation aux régions paraît être un sujet assez sensible. Il est nécessaire que l'orientation soit la plus large possible, avec un tronc commun, afin d'offrir la possibilité de suivre des formations générales. Il ne faut pas la cloisonner dans des problématiques économiques locales. Quid des transferts de personnels ? Quid des transferts de moyens ? L'État ne cesse de réduire les moyens qu'il consacre aux régions.

Pour toutes ces raisons, les membres du groupe socialiste et républicain ne participeront pas au vote lors de l'examen des articles dont notre commission s'est saisie pour avis.

Mme Colette Mélot. - Je félicite moi aussi le rapporteur pour avis. On peut reconnaître à ce projet de loi le mérite d'avoir mis ce sujet important sous les projecteurs. On parle de cette réforme depuis très longtemps ; les choses se sont aggravées au fil du temps. Il convient de mieux préparer les jeunes en amont, au collège pour favoriser les rencontres avec le milieu professionnel. À cet égard, je salue la troisième « prépa-métiers ». N'oublions pas les passerelles : il importe de pouvoir changer d'orientation - cette question n'a pas été évoquée - en cours de parcours.

De nombreuses dispositions vont dans le bon sens. Notre groupe approuvera les orientations de notre rapporteur pour avis, tout en restant vigilant sur les autres dispositions du projet de loi.

M. Pierre Ouzoulias. - Je partage les propos de M. Retailleau. Je formulerai une observation : d'autres commissions accueillent des apprentis au niveau du master. Il est essentiel de comprendre que l'apprentissage ne concerne pas uniquement la voie professionnelle ; il peut toucher l'ensemble des formations, y compris les formations universitaires. Il est nécessaire de ne pas disjoindre l'apprentissage de l'éducation nationale et de l'enseignement universitaire.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Tout à fait !

M. Pierre Ouzoulias. -Notre groupe ne prendra pas part au vote ce matin. Nous serons extrêmement attentifs lors de l'examen du texte en séance publique pour faire respecter les équilibres définis ici.

M. Antoine Karam. - Mon groupe ne participera pas non plus au vote, même si nous reconnaissons l'excellent travail de notre rapporteur. J'ai été président de région pendant dix-huit ans. En 1992, le CFA était mort en Guyane. Si, demain, les régions perdent leur compétence en la matière, les problèmes s'aggraveront au fil du temps. Il existe des disparités selon les régions. Sur les 96 départements de l'Hexagone, je suis prêt à parier que, dans 75 % des cas, les entreprises ne pourront pas financer, seules, les CFA. Il est essentiel que les régions restent au coeur de l'apprentissage, quand même bien il convient de rééquilibrer les choses, d'autant que celles-ci proposent parfois, en fonction des spécificités du territoire, des formations innovantes intéressantes.

Mme Françoise Laborde. - Je félicite également notre rapporteur pour avis pour son travail. Nous réitérons notre méfiance à l'égard de ce projet de loi, qui est assez contradictoire. Mme Mélot dit que ce texte a le mérite d'exister, mais cela ne suffit pas. Le plaidoyer passionné de notre collègue Bruno Retailleau est parfait. Les CFA des zones défavorisées, oubliées, trop rurales, seront obligés de fermer à cause du financement au contrat. Ne sommes-nous pas en train d'ouvrir une autoroute au MEDEF ? Les passerelles entre l'éducation nationale, l'enseignement supérieur et l'apprentissage sont inexistantes. Je ne reviendrai pas sur les écoles de production dans la mesure où, en tant que rapporteur de la proposition de loi de Jean-Claude Carle, j'avais aidé à faire en sorte qu'elle ne soit pas adoptée. Nous aurions aimé approuver les orientations de notre rapporteur pour avis, mais nous ne pouvons pas nous engager dès à présent sur les amendements. Aussi, nous ne participerons pas au vote.

Mme Marie-Pierre Monier. - Par la régionalisation, le texte supprime les CIO. Lorsque nous avions débattu du cursus post-bac, nous avions pointé la nécessité d'une orientation mieux préparée, en accompagnant les élèves dans leurs choix d'orientation. Il a même été décidé de prévoir deux professeurs principaux en classe de terminale, aidés par les conseillers d'orientation, très peu présents dans les établissements - une journée pour 800 à 1 000 élèves. Les CIO sont à la disposition des jeunes scolarisés et des adultes en reconversion professionnelle ou aux élèves en situation de décrochage scolaire. Les mesures prévues sont gravissimes pour un public fragile ou nos jeunes. Il est crucial de maintenir ces services publics de proximité, sous la tutelle de l'éducation nationale, pour une information fiable, neutre et gratuite.

M. Max Brisson. - Je suis en phase avec les propos du rapporteur et au moins aussi enthousiaste que Françoise Laborde et Pierre Ouzoulias quant à l'intervention de Bruno Retailleau.

M. Pierre Ouzoulias. - L'Union sacrée !

M. Max Brisson. - J'estime que ce projet de loi est anxiogène : les régions, les CFA, les chambres de métiers et de l'artisanat, les chambres d'agriculture, les chambres de commerce et d'industrie, les CFA protestent. Les lycées professionnels sont inquiets, au moment où le Gouvernement envisage la rénovation de la voie professionnelle. Les CIO sont aussi dans l'angoisse. Ce projet de loi cloisonne là où il faudrait décloisonner. Où est la transversalité ? Qui plus est, il déstabilise au lieu de conforter. Je ne suis pas opposé à ce que les branches professionnelles jouent un rôle plus important - même si je sens un deal avec le patronat -, mais on ne pourra construire une véritable politique de l'apprentissage qu'en créant des passerelles entre les CFA et les lycées professionnels.

Mme Maryvonne Blondin. - Je souscris aux propos de mon collègue. Je tiens à souligner que les situations diffèrent en fonction des régions : certaines accordent une importance plus grande à l'apprentissage que d'autres. Madame Mélot, des choses ont été faites auparavant. En 2014, le président Hollande a engagé un plan de relance de l'apprentissage : il a lancé une campagne de communication pour en renforcer l'attractivité. Les parents perçoivent toujours l'apprentissage comme une forme d'échec ou de dévalorisation. Il faut reconnaître que des jeunes bac+5 se reconvertissent professionnellement et rejoignent l'apprentissage. J'insiste sur la nécessaire collaboration des professeurs de l'enseignement « normal », qui doivent réaliser une évaluation de l'acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Or, la plupart du temps, les livrets de compétences que le jeune doit apporter au CFA ne sont pas remplis.

M. Stéphane Piednoir. - Je félicite le rapporteur pour avis de sa clarté et de sa concision. J'observe qu'un consensus se dégage sur la plupart des mesures à destination des apprentis eux-mêmes ; je pense par exemple au financement du permis de conduire ou encore à la possibilité de contractualiser plus tard dans l'année scolaire. Pour le reste, quelle affreuse réforme ! Comme Max Brisson l'a souligné, ce texte est anxiogène. On enlève une compétence aux régions pour la transférer à des branches professionnelles qui ne sont pas organisées pour l'exercer. De plus, certains métiers ne sont pas reliés à une branche. Cela va créer un déséquilibre dans les territoires. L'accès à l'orientation ne sera pas égal sur le territoire ; on observera sans doute aussi des dysfonctionnements dans les régions. On le voit bien, il y a une quasi-unanimité contre ce texte. Je suggère que nous nous inspirions des exemples qui fonctionnent : dans les Pays de la Loire, on est passé, en deux ans, de 24 000 à 30 000 apprentis. Pourquoi punir l'ensemble du territoire au prétexte que certaines régions ne jouent pas le jeu ?

M. Guy-Dominique Kennel. - Merci au rapporteur d'avoir cité notre rapport sur l'orientation : il n'a d'excellence que par les membres qui ont composé notre équipe et ce fut un travail collectif ! J'ai été directeur d'un centre de formation d'apprentis public et inspecteur de l'éducation nationale, chargé de l'apprentissage en Alsace, là où l'on compte le plus grand nombre de CFA publics, car ce mode de formation est une tradition chez nous.

Je ne suis pas certain que nos propositions de rédaction seront retenues à l'Assemblée nationale. C'est bien dommage, car ce texte est une catastrophe, il consacre une victoire de l'UIMM et du MEDEF, une défaite pour les apprentis et leur formation. À titre personnel, jamais je ne le voterai, et je conseille à tous de faire de même !

M. Jean-Claude Carle. - Je veux compléter le propos de M. Retailleau, que j'approuve. Je félicite le rapporteur qui a travaillé dans des délais fort contraints. M. Magner a raison, il y a un problème de périmètre. Et tant que l'apprentissage restera rattaché au ministère du travail ou de l'emploi, il demeurera une formation de seconde zone, alors qu'il relève à part entière de la formation initiale.

Voici un texte de plus, après ceux de 2005 et de 2009, et encore une fois, ce sont des demi-mesures. Retirer la compétence aux régions pour la donner aux branches professionnelles me semble un paradoxe, puisque le Président de la République a donné la primauté aux accords d'entreprise sur les accords de branche. C'est dans les TPE, les PME, que l'on signe des contrats d'apprentissage, pas à l'UIMM ! L'apprentissage relève entièrement de la compétence des régions, seules à même de prendre en compte la diversité économique, sociale, géographique...

Il y a tout de même deux points intéressants dans ce texte. Et je vous invite, cher collègue Magner, à visiter des écoles de production. Vous changerez d'avis car elles accueillent les jeunes les plus « cabossés de la vie », qui jamais n'obtiendraient un contrat dans une entreprise ! Demandez à Gérard Collomb ce qu'il en pense : il avait à l'époque soutenu le texte que j'avais déposé sur le sujet.

Confier la présidence des conseils d'administration des lycées professionnels, comme c'est déjà le cas dans les lycées agricoles, à une personnalité extérieure est une excellente chose. Je l'avais fait inscrire à titre expérimental en 2005 dans la loi Fillon, mais l'accueil avait été frileux. Or c'est une clé du succès.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je partage votre déception, à constater que notre commission est en retrait sur ce grand débat. Elle n'est pas saisie d'articles au fond, elle ne donne son avis que sur onze des quatre-vingt-dix articles. J'ai demandé au président de la commission des affaires sociales que nous soyons saisis au fond, cela n'a pas été possible. Quatre rapporteurs ont été désignés par nos collègues, nous en avons un seul. Il y a un déséquilibre, d'autant plus regrettable que ce texte s'inscrivait dans le continuum de notre travail sur la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants.

Je souscris totalement à ce qui a été dit sur le retrait de la compétence apprentissage aux régions : c'est un contresens historique ! En Normandie, nous avons tant misé sur l'accompagnement des jeunes et la formation...

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - J'ai la tâche ingrate de gérer les frustrations partagées... Je m'associe au regret que nous soyons saisis, pour avis seulement, d'un petit nombre d'articles. C'est une bonne chose d'associer davantage le monde des entreprises, mais pas au détriment des régions ! Le partenariat qui existe entre les deux fonctionne pourtant bien, il n'y a aucune raison valable de les opposer.

Le succès de l'apprentissage sera concrétisé quand celui-ci aura imprégné toutes les voies de formation ; alors une loi spécifique ne sera plus nécessaire. Aujourd'hui, l'apprentissage suscite toujours des réticences.

Les conclusions du rapport Kennel - collectif mais rédigé par lui - sont insuffisamment prises en compte dans le projet de loi : nous présenterons des amendements pour mieux exploiter ce travail ambitieux, par exemple en facilitant les passerelles, absentes du texte.

Je signale que le texte a été adopté hier à l'Assemblée nationale, et que nous devons examiner nos amendements avant la réunion de la commission des affaires sociales la semaine prochaine : cela nous laissait peu de temps pour travailler. Nous examinerons le projet de loi en séance publique le 10 juillet.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 10

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - L'amendement CULT.1 traduit en droit, sinon en actes, les annonces du ministre sur l'affectation en établissements des psychologues de l'éducation nationale (PsyEN), nouvelle dénomination des conseillers d'orientation-psychologues. Le but est d'accroître leur disponibilité envers les élèves et les équipes éducatives. Ils ont aussi vocation à devenir les conseillers des équipes pédagogiques, pour la mise en oeuvre de la politique de l'établissement en matière d'orientation.

L'amendement abroge aussi certaines dispositions relatives aux centres d'information et d'orientation (CIO), afin de faciliter une évolution éventuelle de la carte de ces centres.

L'amendement CULT.1 est adopté.

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - L'article 10 reconnaît aux régions une compétence d'information sur les formations et les métiers à l'égard des élèves et de leurs familles. L'amendement CULT.2 ouvre, dès lors, aux régions la possibilité d'intervenir dans la formation continue des enseignants. Ainsi, leur expertise et leur savoir-faire en la matière seront pleinement reconnus et elles pourront tisser des liens avec les enseignants chargés de l'orientation.

L'amendement CULT.2 est adopté.

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - L'amendement CULT.3 supprime un rapport annuel demandé par les députés, relatif aux actions des régions en matière d'information sur les formations et les métiers.

L'amendement CULT.3 est adopté.

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - Les enseignements complémentaires de découverte du monde économique et professionnel peuvent comporter des stages de découverte, en classe de troisième et, dans l'enseignement agricole, dès la classe de quatrième. L'amendement CULT.4 aligne ces dispositions sur le régime applicable à l'enseignement agricole : ces enseignements complémentaires pourront intervenir dès la classe de quatrième. Il associe également les CFA, avec les lycées professionnels et agricoles, à leur mise en oeuvre.

L'amendement CULT.5 supprime une disposition introduite par les députés, pour autoriser les élèves de quatrième, de troisième et de lycée à effectuer une journée par an d'observation en entreprise pendant le temps scolaire, sous réserve de l'accord du chef d'établissement. La durée est insuffisante et la mise en oeuvre complexe.

Les amendements CULT.4 et CULT.5 sont successivement adoptés.

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - L'amendement CULT.6 supprime une phrase insérée par les députés pour préciser le rôle des agents transférés aux régions dans le cadre de l'expérimentation prévue au VI de l'article. Or, une fois les agents transférés, leur rôle est du ressort des régions. Nous sommes attachés à l'autonomie...

L'amendement CULT.6 est adopté.

Article 10 ter

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - L'amendement CULT.7 supprime une demande de rapport, sur les politiques régionales de lutte contre l'illettrisme. Même s'il s'agit d'un sujet important, quel est, du reste, le lien entre ce sujet et le présent projet de loi ?

L'amendement CULT.7 est adopté.

Article 10 quater

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - Je vous propose de supprimer une autre demande de rapport, sur l'avenir des CIO. Tel est l'objet de l'amendement CULT.8.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Dans le cadre de leur mission de contrôle de l'action du gouvernement, les parlementaires qui le souhaitent peuvent parfaitement se pencher sur le sujet et rédiger eux-mêmes un rapport.

M. Jacques-Bernard Magner. - Je voudrais préciser un point dans notre discussion sur les articles : tout le monde ici se dit hostile à ce projet de loi, sauf notre rapporteur, qui amende la rédaction.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Il ne dit pas qu'il y est favorable ! Quant à nous, nous nous prononçons sur le rapport et non sur le texte.

M. Jacques-Bernard Magner. - Les amendements portent bien sur le texte...

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Il est légitime de chercher malgré tout à l'améliorer : c'est ainsi que nous procédons depuis toujours, il n'y a rien d'exceptionnel aujourd'hui.

M. Jacques-Bernard Magner. - Ils modifient la rédaction à la marge, ils sont presque anodins.

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - Nous exprimons un avis ; c'est la commission au fond qui décidera de son texte. Mais si nous voulons espérer un dialogue avec elle, il faut formuler des propositions.

L'amendement CULT.8 est adopté.

Article additionnel après l'article 10 quater

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - L'amendement CULT.9 reprend une recommandation de Guy-Dominique Kennel : l'intégration de la connaissance des filières de formation, des métiers et du monde économique dans la formation continue des enseignants - y compris, éventuellement, par une expérience de l'entreprise.

Fallait-il intégrer cette dimension dans la formation initiale dispensée au sein des ÉSPÉ ? Notre collègue estimait que celle-ci était déjà chargée d'impératifs divers ; il préconisait plutôt une intégration obligatoire dans la formation continue. Je suis d'accord, car la scolarité en ÉSPÉ est en effet surchargée.

L'amendement CULT.9 est adopté.

Article 11

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - Mon amendement CULT.10 supprime la condition, introduite par les députés, qu'une formation possède un effectif « suffisant » pour que ses résultats, exprimés en taux d'insertion, d'obtention du diplôme, etc. soient publiés. Ces données n'auraient qu'une valeur statistique très relative. Soit, mais alors, bien peu de CFA et de lycées professionnels publieraient des données ! Or il serait dommageable que les structures ne fournissent pas toutes, quelle que soit leur taille, ces informations qui contribuent à éclairer la décision des jeunes et de leurs familles.

L'amendement CULT.10 est adopté.

L'amendement de coordination CULT.11 est adopté.

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - L'amendement CULT.12 met en oeuvre une des recommandations du rapport Kennel : attribuer la présidence du conseil d'administration des lycées professionnels à un représentant du monde économique et professionnel. Cette pratique est déjà la règle dans l'enseignement agricole où elle fonctionne très bien et renforce les liens entre l'établissement et son environnement.

L'amendement CULT.12 est adopté.

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - L'alinéa 22 donne compétence au proviseur pour accomplir les formalités nécessaires à l'ouverture d'une unité de formation des apprentis (UFA) au sein de son établissement. L'amendement CULT.13 en précise la rédaction.

L'amendement CULT.13 est adopté.

Article 11 bis A

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - Dans un souci de lisibilité et de sécurité juridique, je propose d'insérer les dispositions relatives aux écoles de production dans la partie législative du code de l'éducation relative aux établissements privés hors contrat. Tel est l'objet de l'amendement CULT.14, qui corrige également une erreur de référence.

L'amendement CULT.14 est adopté.

Article 11 bis

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - L'amendement CULT.15 clarifie la rédaction de l'article 11 bis. Il limite à la seule offre de formation continue la faculté, pour les établissements d'enseignement supérieur, de créer une filiale de droit privé. Il supprime la référence à l'apprentissage, une modalité de formation que l'on peut mettre en oeuvre dans la formation initiale et continue. Deux articles sont réunis en un seul.

L'amendement CULT.15 est adopté.

Article 14 ter

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - Par coordination, l'amendement CULT.16 supprime l'article 14 ter.

L'amendement CULT.16 est adopté.

Article 17

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis. - L'article 17 plafonne à 13 % la part du produit de la taxe d'apprentissage versée aux formations professionnalisantes hors apprentissage (lycées professionnels, universités, écoles de commerce et d'ingénieurs), qui remplace le « hors quota » actuel, 23 % du produit de la taxe.

À l'Assemblée nationale, les associations agissant au plan national pour la promotion de la formation technologique et professionnelle initiale et des métiers ont été réintégrées parmi les entités éligibles à ce financement. Afin de ne pas déstabiliser les établissements financés par le hors quota, dont les ressources sont de ce fait plafonnées, le Gouvernement a proposé de limiter à 10 % du montant du hors quota les sommes pouvant être versées aux associations. Ce taux a été porté à 20 % par les députés LREM.

Cela ne me paraît pas judicieux au regard des montants engagés. Je vous propose dans l'amendement CULT.17 de revenir à un plafond de 10 % : c'est une solution équilibrée.

L'amendement CULT.17 est adopté.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous propose d'autoriser notre rapporteur à procéder aux ajustements nécessaires, en commission des affaires sociales la semaine prochaine, sur ces amendements, et à les redéposer en notre nom en séance s'ils n'étaient pas adoptés par la commission des affaires sociales.

Il en est ainsi décidé.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je crois qu'il faudra dénoncer clairement le non-sens historique que serait le retrait de la compétence des régions sur l'apprentissage : c'est le point dur du texte.

Communication de la mission d'information sur l'état du système éducatif en Guyane

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nos collègues Jean-Claude Carle, Antoine Karam et Laurent Lafon se sont rendus une semaine au mois d'avril dernier en Guyane afin de se rendre compte de l'état du système éducatif. Ils soumettent aujourd'hui leur rapport à la commission.

M. Jean-Claude Carle. - Du 15 au 21 avril dernier, à l'initiative de notre présidente, une délégation de notre commission, composée de Laurent Lafon, d'Antoine Karam et de moi-même, s'est rendue en Guyane. Je me remercie notre collègue Antoine Karam de son aide précieuse dans l'organisation de ce déplacement, dont l'objet était de faire un état de la situation du système éducatif guyanais.

Une semaine durant, nous avons sillonné ce grand et beau territoire qu'est la Guyane, par sa superficie la deuxième région de France derrière la Nouvelle-Aquitaine. Sur la côte, dans la région de Cayenne et à Kourou ; dans l'Ouest, à Saint-Laurent-du-Maroni et Mana ; sur le fleuve, à Maripasoula, nos déplacements nous ont donné à voir un panorama complet de l'enseignement scolaire, agricole et supérieur en Guyane. Nous avons ainsi pu visiter une dizaine d'établissements - écoles, lycées dont un lycée agricole, internat d'excellence, maison familiale rurale, IUT, école de commerce et de gestion, université de Guyane - et pu rencontrer élus, enseignants, élèves et responsables académiques ainsi que de la chambre de commerce et d'industrie.

Le constat que nous vous présentons ne brille pas par son originalité ; il avait été amplement relayé à l'occasion du mouvement social qui a agité la Guyane l'année dernière, dont il était sans doute une des causes. Ce constat est que la Guyane connaît une situation préoccupante en matière éducative, comparable seulement à celle de Mayotte.

Trois chiffres ont retenu notre attention, car ils donnent une idée des difficultés auxquelles est confrontée la Guyane.

Premièrement, pour un élève de sixième, l'espérance d'obtenir le baccalauréat n'est que de 54,8 %, soit la plus faible de toutes les académies de France, y compris Mayotte.

Dès lors, un tiers des jeunes guyanais sort sans diplôme du système scolaire, alimentant le grand nombre de jeunes sans emploi (le taux de chômage des 15-24 ans s'élève à 44 %) et sans activité.

Enfin, 48 % des jeunes guyanais convoqués à la journée défense et citoyenneté, donc ayant 17 ou 18 ans, ont échoué aux tests de langue française et sont en grande difficulté de lecture. En outre, gardez à l'esprit qu'il ne s'agit ici que des jeunes de nationalité française, soumis au recensement, non des nombreux jeunes de nationalité étrangère !

L'enjeu majeur, à mon sens, est bien celui de la maîtrise de la langue française, d'autant qu'une part très importante de la population n'est pas francophone ; l'éloignement culturel est parfois important. On estime qu'environ la moitié de la population n'aurait pas le français pour langue maternelle, ce qui est considérable. Dans l'Ouest guyanais, à Maripasoula ou à Saint-Laurent-du-Maroni, nous avons vu des écoles, comptant parfois une vingtaine de classes, où pas un enfant ne parle français à la maison ou au quotidien.

Confrontée à cette réalité, l'école peine à s'adapter et à repenser son organisation, ses programmes et ses méthodes. Il en résulte que nombre de ces enfants, qui y arrivent sans parler français et très éloignés de la culture scolaire, sortent du CP et du CE1 sans savoir lire ni écrire. La poursuite de leur scolarité est marquée par l'incapacité du système scolaire à pallier ces difficultés de départ, alors même que l'écart entre ce qui est attendu d'eux et leur niveau réel s'accroît d'année en année. C'est ainsi que l'on retrouve au lycée, et pas de manière exceptionnelle, des jeunes qui ne savent pas lire.

Dire cela n'est pas jeter la pierre aux enseignants. Je souhaite d'ailleurs rendre hommage à leur dévouement, tant les conditions dans lesquelles ils exercent sont difficiles et tant - ils sont les premiers à le dire - la mission qui leur est donnée semble parfois impossible. Et cela parce que la transposition du modèle scolaire de la France métropolitaine en Guyane ne fonctionne pas. Ils sont nombreux à nous avoir confié leur insatisfaction, voire leur détresse, de constater l'écart entre la réalité et les progressions pédagogiques prévues par les programmes.

Pour être juste, il convient de souligner que le système éducatif est en Guyane tributaire de lourdes contraintes, qui ne relèvent pas de lui.

L'immensité du territoire, recouvert à 95 % par la forêt équatoriale, constitue à elle seule une contrainte importante : il est difficile de trouver des enseignants pour exercer dans les lieux les plus reculés, encore davantage de les remplacer ; quant aux élèves, ces derniers se voient souvent infliger dès leur jeune âge de longs trajets en pirogue pour rallier l'école. Couplée à une offre de formation limitée et concentrée sur la région de Cayenne, l'éloignement explique en grande partie le faible taux de poursuites d'études.

La pression démographique, comparable à celle des pays en développement (la population croît de 2,5 % chaque année) den raison d'une natalité élevée et d'une immigration non maîtrisée, est à l'origine d'une forte tension sur les infrastructures scolaires. Les collectivités territoriales ne parviennent tout simplement pas à construire suffisamment d'écoles, de collèges et de lycées à temps. D'autant qu'elles sont soumises à une tension budgétaire considérable : leurs recettes sont particulièrement faibles, compte tenu de l'atonie économique et de la grande pauvreté. Il en résulte une saturation des infrastructures scolaires qui, d'année en année, est de moins en moins tenable. Accueillir tous les élèves en l'âge de l'être est parfois une gageure. Ainsi, à Saint-Laurent-du-Maroni, qui est la commune la plus concernée, l'accueil des élèves de maternelle à la rentrée 2018 était remis en cause, jusqu'à ce qu'un accord avec le rectorat soit trouvé. La commune demande l'expérimentation de la double vacation pour faciliter l'accueil de tous les enfants, ce qui lui a été à ce jour refusé.

La pénurie d'enseignants est le défi principal du système éducatif en Guyane. Les facteurs que j'ai évoqués précédemment participent de la faible attractivité de l'académie, que les majorations salariales pourtant substantielles (un enseignant gagnant 1 700 euros net en métropole en gagnerait 2 600 en Guyane) ne parviennent pas à compenser. La conséquence en est le recours massif aux contractuels, qui concerne particulièrement les territoires les plus éloignés : le collège de Maripasoula compte ainsi 85 % de contractuels parmi son corps d'enseignants, dont 40 % enseignent pour la première fois. Il est plus élevé dans le secondaire, conséquence d'un recrutement des enseignants national et non académique comme dans le premier degré.

On n'améliorera pas les résultats de la Guyane sans les enseignants, et des enseignants formés à la réalité du métier, car enseigner en Guyane n'est pas enseigner en Haute-Savoie. Face à un public non-francophone, issu de cultures particulières, il faut des programmes et des pédagogies différentes, il faut une connaissance des langues et des cultures locales.

Cet effort doit concerner en premier lieu le primaire, où tout se joue. Plus encore qu'en métropole, il est essentiel de donner clairement la priorité au primaire et d'y investir.

M. Laurent Lafon. - Avant de vous présenter nos recommandations, je souhaiterais revenir sur un constat qui nous a particulièrement marqué : il s'agit du décalage entre les priorités du Gouvernement en matière éducative - le dédoublement des classes de CP et de CE1 en REP et en REP+ (qui concerne toute la Guyane puisque l'académie entière est quasiment en classée REP+) et l'abaissement à trois ans de l'obligation d'instruction - et les possibilités de leur réalisation en Guyane, alors qu'il s'agit d'un des territoires qui en a le plus besoin.

Le coeur de notre diagnostic est que la transposition du modèle scolaire de la métropole ne permet pas de répondre aux enjeux du territoire. Ce dernier ne prend pas en compte, ou insuffisamment, les enjeux que sont l'immigration et les mobilités, les langues et les cultures locales, les contraintes liées à la distance, etc.

Ce modèle scolaire, c'est là notre thèse, doit être adapté à ces réalités, sans quoi les efforts consentis seront vains. Il s'agit, pour que l'éducation demeure nationale, de l'adapter davantage aux spécificités de la Guyane. Les recommandations que nous vous présentons sont toutes fortement liées : elles doivent s'inscrire dans une réflexion systémique.

C'est le sens de notre première recommandation, qui vise à remédier à la pénurie d'enseignants et mieux former ces derniers à la réalité du métier d'enseignant en Guyane. Le parti pris est simple : c'est en Guyane et parmi les Guyanais eux-mêmes qu'il faut recruter et former les enseignants qui iront enseigner, de manière pérenne, dans l'arrière-pays et qui auront la connaissance indispensable des langues et des cultures locales.

Beaucoup de nos préconisations vont dans ce sens : intensifier le prérecrutement, fidéliser et, sous condition de formation, titulariser les contractuels et les intervenants en langue maternelle, adapter la formation des enseignants au contexte local. La même idée nous mène à proposer l'expérimentation d'un recrutement académique des enseignants du second degré, en explorant d'autres modalités de service comme la bivalence, ce qui permettrait l'exercice de services complets dans les établissements isolés et de rapprocher les services de ceux des professeurs de lycée de professionnel. Enfin, l'amélioration de la condition enseignante est nécessaire ; plus que sur la rémunération, déjà élevée et dont la majoration alimente la cherté de la vie et nuit à l'économie locale, c'est sur des éléments comme le logement ou la qualité de vie qu'il convient d'agir.

Notre deuxième recommandation porte sur la qualité de la vie scolaire des élèves : beaucoup d'écoles n'ont pas de service de restauration scolaire ni d'activités périscolaires. Alors que l'insécurité n'épargne pas les établissements scolaires, il convient d'accroître le nombre d'assistants d'éducation et de lever les obstacles à leur recrutement.

Dans l'idée d'une adaptation de l'organisation de l'éducation nationale, il conviendrait de renforcer l'autonomie du recteur, tant en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines qu'en matière pédagogique. Il s'agit de permettre l'adaptation des modalités de scolarisation ; par exemple, dans les villages et les hameaux isolés, il est impossible d'imposer aux enfants de trois ans de faire une à deux heures de pirogue pour se rendre à l'école. Une école itinérante, permettant de les initier dans leur village ou leur hameau trois à quatre demi-journées par semaine au français, pourrait être une solution.

La même logique doit gouverner aux programmes scolaires : ces derniers doivent être adaptés à l'environnement local, c'est déjà le cas en histoire mais, de manière surprenante, pas en sciences et vie de la terre. Il conviendrait également d'adapter les progressions pédagogiques et les objectifs de cycle, en mettant l'accent sur la maîtrise des fondamentaux. Il ne s'agit pas d'être moins exigeant pour les élèves mais au contraire de l'être davantage dans la maîtrise réelle des fondamentaux.

Le partenariat avec les collectivités territoriales est fondamental. Comme Jean-Claude Carle l'a rappelé, ces dernières ont le plus grand mal à accompagner la pression démographique. L'aide de l'État est indispensable et nous émettons le voeu que les engagements pris dans le cadre des accords de Guyane - l'attribution d'une aide de 250 millions d'euros sur cinq ans à la collectivité territoriale de Guyane pour la construction de collèges et lycées et de 150 millions sur dix ans aux communes pour la construction d'écoles - soient respectés. Nous souhaitons que ce partenariat soit décliné par convention avec l'ensemble des collectivités territoriales, qui sont concernées au premier chef, notamment en matière de qualité de vie scolaire.

Ce soutien ne doit pas être que financier : les normes en matière de bâti scolaire pourraient faire l'objet d'adaptations. Les écoles en chantier le sont dans le respect des normes ; les chantiers sont donc longs, coûteux et difficiles, surtout lorsque les matériaux doivent être acheminés par le fleuve ; de surcroît, l'environnement tropical entraîne une dégradation rapide des bâtiments. En comparaison, les écoles construites de manière traditionnelle sont, en plus d'être plus rapides à construire et nettement moins coûteuses, bien plus durables et plus saines : l'air y circule plus facilement. Là encore, souplesse et adaptation doivent être les maîtres mots.

L'enrichissement et la diversification de l'offre de formation paraît indispensable. Les formations, en particulier dans la voie professionnelle et l'enseignement supérieur, sont concentrées à Cayenne : trop de jeunes renoncent à poursuivre leurs études en raison de l'éloignement. L'absence de certaines formations, comme les écoles d'ingénieurs, alimente une « fuite des cerveaux » vers la métropole et une perte de talents pour la Guyane. Enfin, au vu des ressources et du potentiel de développement du territoire, on ne peut qu'être surpris par l'absence de d'offre dans certains domaines, notamment minier et halieutique, ou sa sous-calibration, par exemple dans les métiers du bois, de la biodiversité ou en matière sanitaire. Compte tenu de l'immensité du territoire, tout ne pourra pas être proposé partout : c'est pourquoi un effort particulier doit être fait pour faciliter la mobilité des étudiants, notamment par le développement des internats.

Enfin, dans un territoire où le taux de chômage des jeunes s'élève à 44 %, la question de l'entrée dans l'emploi est essentielle. À la maison familiale rurale (MFR) de Mana comme au lycée agricole de Matiti, nous avons pu nous rendre compte de la difficulté qu'éprouvent les jeunes diplômés à s'installer ; l'accès au foncier est en effet extrêmement difficile pour les agriculteurs. Nous proposons que l'État, qui possède 95 % du foncier guyanais, mène une expérimentation, en partenariat avec les collectivités et la chambre d'agriculture, visant à mettre à disposition ou en location des terres aménagées et valorisées au profit des aspirants agriculteurs.

M. Antoine Karam. - Je ne saurais être impartial s'agissant de la Guyane. J'ai donc laissé s'exprimer mes deux collègues, que je remercie profondément de s'être penchés sur la situation si particulière de ce territoire et d'avoir pris le temps nécessaire, une semaine, pour l'étudier à fond. Je remercie également la présidente de notre commission d'avoir permis et encouragé ce déplacement. Vous me permettrez quelques remarques.

Tout d'abord, l'importance que revêt cette « guyanisation », cette adaptation du modèle scolaire à la réalité du territoire. Cette une exigence primordiale pour son efficacité. Si nous ne changeons pas de modèle, nous n'améliorerons en rien les résultats du système éducatif, qui sont - comme notre collègue l'a rappelé - alarmants. Les rallonges budgétaires, les trésors de dévouement des enseignants et des personnels de l'éducation nationale n'y feront rien. Quelques petits pas ont été faits, à l'instar du dispositif des intervenants en langue maternelle (ILM) qui est spécifique à la Guyane. Dans certaines écoles maternelles, ces derniers aident les élèves ayant une autre langue maternelle que le français à mieux maîtriser cette langue et leur culture d'origine, en vue de faciliter l'apprentissage de la langue française. C'est un dispositif intéressant, nous l'avons vu : l'avenir réside cependant à mon sens dans la constitution d'un corps d'enseignants du primaire formés à ces spécificités et connaissant les langues et les traditions locales. S'il faut savoir attirer des enseignants d'ailleurs, ces enseignants ne pourront, pour l'essentiel, ne venir que de Guyane ; c'est pourquoi il faut mener le plus grand nombre possible de jeunes guyanais vers les métiers de l'enseignement.

Vous avez beaucoup entendu le mot « expérimentation ». Du fait de ses spécificités, la Guyane doit être un terrain d'expérimentation et d'innovation. En matière de recrutement des enseignants, par exemple, la Guyane peut être aux avant-postes ; les enseignements qui en seront tirés pourront être transposés dans l'hexagone.

La Guyane possède d'immenses atouts et une jeunesse magnifique. C'est une grande richesse que nous ne pouvons-nous permettre de laisser sur le bord du chemin, sans diplôme, sans travail et sans perspective. Sans quoi ils continueront d'être la proie des trafiquants de drogue, comme l'illustrent les arrestations quotidiennes de « mules » dans les avions en provenance de Guyane.

Par notre travail et nos recommandations, nous espérons indiquer le chemin d'un nouveau modèle éducatif pour la Guyane, plus proche de ses besoins et plus efficace. Dans l'éducation comme dans les autres politiques publiques, l'adaptation aux besoins des territoires doit primer. S'adressant à la population guyanaise le 30 avril 1960, Charles de Gaulle ne disait-il pas « qu'il est conforme à la nature des choses qu'un pays qui a son caractère aussi particulier que le vôtre et qui est, en somme, éloigné, ait une autonomie proportionnée aux conditions dans lesquelles il doit vivre » ? Cinquante-huit ans après, nous ne pouvons que constater que la centralisation et le jacobinisme demeurent ancrés.

Mme Claudine Lepage. - Vous avez évoqué des affectations d'enseignants en Guyane davantage subies que souhaitées. J'ai moi-même rencontré dans des établissements français de l'étranger des enseignants dont la Guyane était l'académie d'origine et qui étaient prêts à se mettre en disponibilité, voire à démissionner, plutôt que d'y retourner. Cela illustre à quel point il est nécessaire de réfléchir aux mesures susceptibles d'en améliorer l'attractivité.

M. Jacques Grosperrin. - « Repenser le modèle scolaire et l'adapter aux réalités locales » - je partage pleinement votre conclusion et je suis prêt à appliquer votre raisonnement à l'ensemble des territoires de métropole. Un défi particulier à la Guyane est celui de la présence à l'école, qui est lié aux migrations et à l'éloignement culturel. Le Gouvernement avait promis des financements dans le cadre des accords de Guyane : les promesses ont-elles été suivies d'effet ?

M. Abdallah Hassani. - Le travail qu'ont fait les rapporteurs peut être transposé sans difficulté à Mayotte, avec pour seule différence des distances moins grandes. Mais Mayotte est confrontée aux mêmes problèmes : immigration illégale, illettrisme, etc. Dans le lycée professionnel où j'enseignais, sur une classe de trente élèves, 80 % étaient étrangers et, pour beaucoup, parlaient très difficilement le français, sans savoir ni le lire ni l'écrire.

M. Maurice Antiste. - Certes, la Guyane connaît de graves difficultés mais elle a aussi de nombreux atouts. Les problèmes liés à l'éducation ont-ils été soulevés à l'occasion du conflit social de 2017 ? Quelles seront les suites de ce rapport ? Il faut faire bouger les lignes.

M. Max Brisson. - Avec Françoise Laborde, nous travaillons sur le métier d'enseignant et nous retrouvons dans votre rapport un certain nombre de nos analyses. La question clef est celle de l'adaptation du système scolaire à partir des besoins particuliers de chaque territoire, auxquels les jeunes enseignants doivent être préparés. Je demeure attaché, comme beaucoup ici, au caractère national de l'école de la République. Mais si cette dernière ne prend pas en compte la diversité des territoires et de leurs contraintes, nous continuerons de voir l'attractivité de la profession d'enseignant se dégrader.

Mme Françoise Laborde. - Claudine Lepage évoquait les stratégies de contournement des règles d'affectation et d'évitement de certains territoires. Elles invitent à repenser ces règles d'affectation, à plus forte raison lorsqu'on constate qu'un grand nombre d'enseignants sont des contractuels et souhaitent le demeurer pour rester dans leur ville ou leur département d'origine.

M. Pierre Ouzoulias. - Je ne peux qu'être très perturbé par la description que nos rapporteur nous ont faite, qui est très inquiétante tant pour les populations concernées que pour la cohésion de notre République.

Vous mentionnez l'obstacle de la langue. Il ne s'agit pas d'une situation récente et la République a franchi cet obstacle dans nos campagnes, même si cela s'est fait par l'interdiction des patois et la négation des cultures locales. Ce modèle n'est plus opérant aujourd'hui. En conséquence, je m'interroge sur l'adéquation à trouver entre le maintien d'un système éducatif national et la prise en compte des spécificités locales. Mon opinion n'est pas encore faite.

Mme Vivette Lopez. - On voit bien que les décisions prises à Paris se font sur des représentations très éloignées des réalités locales. La question du transport scolaire en Guyane avait été évoquée à l'occasion du projet de loi relatif à l'égalité réelle outre-mer, où l'on n'avait rien trouvé de mieux que d'imposer la scolarisation, et donc de longs trajets en pirogue, à des enfants de trois ans. La Guyane constitue également un terrain favorable à un développement de l'offre de formation professionnelle afin de répondre aux besoins de l'économie locale.

M. Jean-Claude Carle. - L'attractivité est un chantier difficile. On voit que les majorations salariales, déjà conséquentes, ne sont pas suffisantes. La gestion de carrière y participe : il faut donner des perspectives aux enseignants, particulièrement ceux affectés dans des zones isolées ou difficiles.

Le partenariat entre l'État et les collectivités territoriales est essentiel, de même qu'une culture de l'expérimentation. Ils permettraient de résoudre facilement certains problèmes, à l'instar de celui de l'installation des jeunes agriculteurs.

Je partage l'avis de mes collègues Jacques Grosperrin et Max Brisson : répondre à la diversité des situations est un impératif qui vaut sur l'ensemble du territoire. La Guyane permettrait ainsi d'expérimenter certaines mesures en ce sens. J'illustre cette difficulté d'adaptation : lors de mon précédent séjour en Guyane, en 1998, un des soucis du recteur était de pouvoir payer son piroguier, qui ne correspondait à aucune des nomenclatures d'emploi du ministère. J'espère qu'une solution a été trouvée depuis !

M. Laurent Lafon. - La situation de la Guyane fait naturellement écho à des situations que nous connaissons ailleurs en France, ne différant peut-être que par son intensité.

Le rapport a été présenté au ministre qui, ayant été recteur de Guyane il y a quelques années, connaît très bien la situation et a conservé un grand intérêt pour ces questions. Il n'a émis aucune réserve ou objection et nous a semblé très ouvert à nos recommandations. Reste à voir ce qu'il en ressortira ! Un déplacement prévu dans un avenir proche pourrait être l'occasion d'annonces à cet effet.

Le respect des accords de Guyane est nécessaire pour préserver une relation de confiance avec les collectivités territoriales et la population ; nous espérons qu'ils seront pleinement mis en oeuvre.

M. Antoine Karam. - Je répondrai à mon collègue Jacques Grosperrin que les promesses n'engagent que ceux qui les entendent. S'ils n'ont pas été conclus par le Gouvernement actuel, les accords de Guyane doivent être respectés.

Quarante après Les Confettis de l'Empire de Jean-Claude Guillebaud, son constat d'une infantilisation demeure d'actualité. Nous, les ultramarins, ne voulons plus êtres des faire-valoir. Nous donnons à la France sa dimension mondiale ! Lorsque la fusée part, c'est l'image de la France qui est élevée. La France s'honorerait de mieux prendre en compte les besoins de ses territoires d'outre-mer !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je remercie nos collègues de la qualité de leur rapport et je demande à la commission si elle autorise sa publication.

Audition de M. Denis Rapone, président de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi)

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je voudrais tout d'abord rappeler le contexte qui a présidé à la création de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) en 2009. À l'époque, il n'existait pas d'offre légale et le piratage constituait la source unique de contenus sur Internet. Il a fallu trois lois pour créer la Hadopi et commencer à encadrer ce système. Cette audition est pour nous l'occasion de faire un premier bilan et de tracer des perspectives. Il y a quelques semaines, la ministre a annoncé sa volonté de renforcer la lutte contre le piratage. Notre commission avait depuis longtemps identifié cette problématique, je pense en particulier au rapport « La Hadopi : totem et tabou » de Loïc Hervé et Corinne Bouchoux qui, paru en 2015, conserve toute son actualité et devrait servir de base aux futures réformes.

M. Denis Rapone, président de la Hadopi. - Je tiens à souligner que le Sénat a toujours été, avec la Hadopi, dans une forme d'impartialité et d'objectivité qui nous a constamment été précieuse, en particulier face aux critiques dont l'institution a été l'objet.

Dans le cadre de sa mission d'observation, la Hadopi dispose d'une expertise reconnue en France et à l'étranger. Elle peut participer, de manière objective, au débat public.

Je voudrais rappeler les grands principes de la réponse graduée qui vise à responsabiliser l'internaute. Elle n'intervient que pour les échanges dits « de pair à pair ». Les internautes reçoivent un courrier si leur adresse Internet Protocol (IP) trahit un manquement aux règles. Cette procédure est répétée trois fois, ce qui montre bien le caractère avant tout pédagogique de la celle-ci. Si, après trois avertissements, l'internaute persiste à télécharger de manière illégale, la Hadopi transmet le dossier au Parquet qui apprécie l'opportunité d'engager des poursuites. Si la procédure est souvent critiquée par les ayants droit, c'est principalement en raison de la partie judiciaire du processus qui ne donne souvent pas suite au signalement, ou de manière marginale.

Le problème du piratage reste préoccupant en raison de l'avancée des techniques. On estime que deux milliards d'actes de contrefaçon sont commis par an en France, ce qui est non seulement une atteinte à la création mais également un risque pour les internautes, notamment les plus jeunes, qui se trouvent confrontés à des contenus indésirables et s'exposent à des problèmes de sécurité informatique. Ce phénomène créé également une distorsion de concurrence avec les offres légales et une perte de recettes pour l'État.

La contrefaçon a pris une telle proportion qu'elle constitue désormais non seulement un trouble à l'ordre public, ordre public économique, social, mais également ordre public général, compte tenu des infractions en cause et des risques en matière de santé, d'honneur et de dignité. Ne pas s'y attaquer de manière frontale remettrait en cause la crédibilité de l'action publique.

Les difficultés rencontrées à l'origine par la Hadopi étaient liées au scepticisme et à la raillerie sur l'opportunité des missions qui lui avaient été confiées. Les dangers du piratage étaient sous-estimés dans un contexte de « diktat » du libertarisme de l'Internet au détriment de la protection des droits d'auteur. Toutefois, les mentalités ont évolué, notamment avec le développement de nouveaux contenus problématiques - cyberpornographie, cybersécurité, incitation à la haine raciale - qui ont renforcé la nécessité d'une régulation. La question se pose désormais de savoir ce qui peut être entrepris.

Tout d'abord, et au risque de décevoir certains, il n'existe pas de solution unique ni de solution miracle. Toutefois, plusieurs actions publiques et privées peuvent être menées, en collaboration avec les ayants droit et en coordination avec les initiatives prises aux niveaux européen - révision de la directive sur le droit d'auteur - et international.

Quatre axes doivent être privilégiés.

D'abord, la sensibilisation des usagers doit être renforcée. En effet, de nombreuses pratiques illicites sont liées à une méconnaissance des règles liées à la protection du droit d'auteur, notamment de la part des jeunes. L'éducation nationale a donc un rôle important à jouer afin d'éduquer et de sensibiliser les élèves sur ces questions.

Ensuite, il faut mener une action auprès des sites Internet qui diffusent des produits culturels et qui bénéficient d'une responsabilité limitée en matière de protection de droit d'auteur. Je veux parler des plateformes Internet comme YouTube, Twitter ou encore Facebook.

Par ailleurs, il faut s'allier avec les intermédiaires qui assurent le paiement en ligne, la publicité en ligne ou encore se chargent de l'hébergement des sites et qui sont indispensables au fonctionnement des sites pirates. Il faut arriver à les convaincre de rompre toute relation contractuelle avec lesdits sites afin de les « assécher » économiquement.

Enfin, nos actions doivent viser les sites illégaux. À cet égard, il nous faut d'urgence développer de nouveaux instruments juridiques pour lutter contre ces sources de production de contenus illicites dans la mesure où la réponse graduée est inopérante pour des raisons à la fois technique et juridique face aux nouvelles techniques de piratage telles que le téléchargement direct et le streaming.

En ce qui concerne le travail de pédagogie en direction des élèves, la Hadopi mène depuis plusieurs années et sans le soutien de l'État, des actions de formation à un usage responsable d'Internet à travers l'organisation d'ateliers en collaboration avec des enseignants volontaires. Plutôt que de tenir aux jeunes un discours anxiogène, nous les plaçons en situation de créateurs (films, bandes dessinées) puis organisons la diffusion de leur oeuvre au sein d'une classe ou d'un établissement. À cette occasion, nous les sensibilisons sur les effets négatifs de la captation de leur oeuvre par un tiers et de sa large diffusion sans accord préalable.

Je tiens à faire remarquer que nous avons négocié depuis plusieurs mois avec le ministère de l'éducation nationale une convention afin de renforcer les actions de sensibilisation de la Hadopi en milieu scolaire pour l'utilisation maîtrisée et responsable des outils et ressources numériques. Pourtant, cette convention peine à être signée par le ministère de l'éducation nationale. Sans cet engagement fort de l'État et une vraie volonté politique, les actions de la Hadopi resteront au stage du « bricolage ».

À l'heure actuelle, la nécessité d'informer les élèves des risques de téléchargement illégal figure dans le code de l'éducation mais elle est limitée au cadre de l'enseignement artistique. Dans le rapport d'information fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat par Loïc Hervé et Corinne Bouchoux, il était proposé de généraliser cette sensibilisation à tous les programmes scolaires. Cela me paraît indispensable.

Dans le cadre de la réponse graduée, la Hadopi mène également une stratégie de sensibilisation pédagogique des internautes avec des résultats très positifs : deux tiers des abonnés avertis par la Hadopi ne font plus l'objet de signalement de la part des ayants droit auprès de l'autorité, ce qui confirme la vertu de l'approche pédagogique. Par ailleurs, je rappelle que nous traitons 70 000 signalements par jour, ce qui justifie les sommes consacrées à la réponse graduée.

En réalité, l'approche pédagogique fonctionne bien. C'est la phase ultérieure - la transmission de l'infraction à l'institution judiciaire - qui comporte des limites. D'abord, la caractérisation de l'infraction est complexe dans la mesure où il ne s'agit pas d'un délit de contrefaçon, mais d'une négligence caractérisée du titulaire de l'abonnement qui n'a pas sécurisé l'accès à Internet. Pour justifier d'une infraction, l'internaute doit avoir fait l'objet de plusieurs avertissements. La Hadopi s'efforce de sensibiliser les parquets sur les préjudices causés par le piratage, notamment à travers l'organisation de tournées dans les juridictions. Pour autant, l'indépendance de la justice et le principe d'opportunité des poursuites aboutissent souvent à des solutions peu satisfaisantes pour les ayants droit, comme le classement des poursuites ou le rappel à la loi alors même que la Hadopi a déjà adressé trois avertissements à l'internaute.

M. Denis Rapone. - Nous avons fait réaliser une étude juridique afin d'examiner les différentes possibilités pour faire évoluer le régime des sanctions, ce qui a permis d'identifier trois pistes : l'amende pénale forfaitaire, l'amende administrative - c'est la voie préconisée par le rapport de Loïc Hervé et Corinne Bouchoux - et la transaction pénale. Cette étude a permis d'établir qu'il n'y avait pas d'obstacle d'ordre constitutionnel au renforcement des sanctions même si dans ce domaine le risque zéro n'existe pas. Ces propositions sont aujourd'hui sur la table et à la disposition des pouvoirs publics.

Le deuxième élément concerne les plateformes qui sont, à l'image de YouTube, devenues le mode principal d'accès aux contenus culturels en ligne, notamment musicaux. Ces intermédiaires ont le statut de simple « hébergeur », leurs seules obligations consistent donc à devoir retirer promptement l'oeuvre protégée après signalement de la part des ayants droit. Il s'agit d'une pratique aléatoire car les ayants droit ne peuvent identifier l'ensemble des oeuvres protégées qui seraient illégalement mises en ligne. Certaines plateformes ont mis en place des systèmes de reconnaissance automatique des contenus. La plateforme doit se retourner ensuite vers les ayants droit pour savoir si ces derniers souhaitent retirer l'oeuvre identifiée ou s'ils souhaitent bénéficier d'un partage de la monétisation. La relation est toutefois déséquilibrée entre la plateforme et les ayants droit car la monétisation ne fait pas l'objet d'une véritable négociation et il s'agit davantage d'une offre « à prendre ou à laisser ». Cette situation rend nécessaire l'intervention d'une autorité publique pour vérifier la qualité du système de reconnaissance automatique et permettre, par ailleurs, un équilibre dans la relation contractuelle entre plateformes et ayants droit.

Il existe d'autres intermédiaires qui permettent au piratage d'exister comme les acteurs de la publicité en ligne, des moyens de paiement et des noms de domaine. Des chartes de bonnes pratiques ont été développées avec ces acteurs.

Il n'y a pas de recours possible aujourd'hui à la disposition des ayants droit. L'Hadopi pourrait ainsi être chargée de caractériser les sites contrevenants de manière plus efficace tout en garantissant une phase contradictoire. Le site concerné pourrait faire part de ses observations et aurait la possibilité de contester la décision devant l'autorité judiciaire.

Il faut acquérir de nouveaux moyens pour s'attaquer à ces sites. L'Hadopi bénéficie d'une compétence qui est importante et non utilisée jusqu'alors, afin de caractériser ces sites. Elle pourrait également jouer un rôle d'expert auprès des juges. L'article L 336-2 du code de la propriété intellectuelle permet au juge d'ordonner à la demande des titulaires de droits et de leurs ayants droit, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. Cette procédure est toutefois coûteuse et complexe à mettre en oeuvre, notamment auprès des fournisseurs d'accès à Internet au regard du régime de la preuve. L'Hadopi propose d'alléger ce régime afin de permettre une action plus rapide et plus directe pour déréférencer les sites concernés. L'Hadopi pourrait également agir à l'encontre des sites « miroirs » et « répliques » dans le cadre d'une capacité de suivi ne nécessitant qu'une intervention réduite du juge.

Mme Françoise Laborde, rapporteure. - Votre présentation très complète a répondu par anticipation à plusieurs des questions que je souhaitais vous poser, notamment sur les sites miroirs, la réponse graduée, etc. Lors du déplacement d'une délégation de notre commission au Festival de Cannes en mai dernier, nous avons pu constater à quel point la question du piratage constitue un sujet majeur, qui conditionne notamment les avancées sur la chronologie des médias. Je suis heureuse de constater que votre autorité continue à avoir un véritable rôle à jouer, en dépit des critiques entendues lors de l'examen parlementaire de la loi Hadopi, auquel j'avais eu la chance de participer en tant que nouvelle sénatrice, en 2009. Que pensez-vous d'un éventuel rapprochement entre la Hadopi et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ?

Mme Annick Billon. - Je crains que l'inscription d'une obligation d'éducation au numérique dans le code de l'éducation ne constitue malheureusement pas une garantie d'effectivité, comme nous l'avons vu en matière d'éducation sexuelle. Je souhaiterais vous poser trois questions : Faut-il associer les auteurs au financement de la Hadopi ? Les sanctions sont-elles à la hauteur des infractions commises ? Les moyens dont vous disposez sont-ils suffisants au regard de l'évolution technologique ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Permettez-moi de rappeler que j'ai personnellement contribué à l'inscription de l'éducation aux risques d'Internet dans le code de l'éducation en 2011 et que cela a été confirmé par la loi de refondation de l'école de 2013.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Le rôle du législateur est majeur et je m'en félicite. Comment réussissez-vous à traiter, matériellement, 70 000 signalements par jour ? Ne pensez-vous pas que YouTube constitue un cheval de Troie du régime des « royalties » pour venir à bout de notre régime de droits d'auteur ?

M. Claude Kern. - Je suis particulièrement inquiet du piratage des retransmissions d'épreuves sportives, ce qui pénalise gravement les chaînes qui ont payé les droits de retransmission.

Mme Dominique Vérien. - Quelles sont les solutions apportées par les autres pays européens ? Existe-t-il ailleurs en Europe des agences homologues avec lesquelles vous pourriez collaborer ?

M. Jean-Pierre Leleux. - Je tiens à rappeler que le Sénat a toujours été un grand défenseur de la Hadopi. Je souhaiterais vous poser trois questions : combien de saisines transmettez-vous au parquet et combien débouchent sur une condamnation ? La directive « droits d'auteur » est actuellement en cours de révision : des moyens de développement d'une offre légale seront-ils prévus ? Quelles modifications législatives appelez-vous de vos voeux ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Permettez-moi de rappeler que le développement de l'offre légale est une des préconisations du Sénat.

Mme Sonia de la Provôté. - On peut le regretter mais il faut reconnaître que nous assistons à la banalisation des actes délictueux, notamment par la jeune génération et que la massification est désormais un risque totalement assumé par les jeunes. Ne faudrait-il pas faire évoluer la loi sur la propriété intellectuelle pour prendre en compte ces évolutions de l'usage d'Internet par les nouvelles générations ? Et si aucune modification n'était adoptée, considérez-vous que vous disposez de moyens suffisants pour remplir votre mission ?

M. Laurent Lafon. - De plus en plus d'internautes réussissent désormais à masquer leur adresse IP : comment contournez-vous cet obstacle ? Quel est votre point de vue personnel sur l'intérêt de sanctions administratives telles que préconisées dans le rapport de nos collègues Loïc Hervé et Corinne Bouchoux ?

M. Denis Rapone. - En ce qui concerne la perspective d'un rapprochement entre la Hadopi et le CSA, mes expériences passées dans différentes autorités administratives indépendantes m'incitent à penser qu'il faut éviter tout corporatisme et dogmatisme et s'interroger sur le système présentant le meilleur intérêt pour tous. Chaque autorité a un champ de compétences et une expertise dans son secteur qui peuvent, parfois, l'empêcher d'avoir le recul nécessaire. En cette matière, donc, je préconise de s'interroger sur les objectifs et de ne pas hésiter à être créatif.

Mme Pauline Blassel, secrétaire générale, par intérim, de la Hadopi. - Le traitement des 70 000 signalements annuels est largement automatisé mais occupe 23 personnes pour en assurer le suivi. Environ 1 000 dossiers par an sont transmis au parquet qui va proposer entre 500 et 600 alternatives aux poursuites et environ une centaine de condamnations. La vocation initiale de la réponse graduée était de désengorger les parquets, ce qui est un succès mais il faudrait certainement aller vers plus de sanctions. C'est là le sens du rapport remis le 14 décembre dernier par deux conseillers d'État qui proposent plusieurs pistes.

En ce qui concerne les réseaux privés virtuels (VPN), qui permettent de dissimuler son adresse IP, leur utilisation reste marginale et réservée à des spécialistes ce qui n'exclut pas des difficultés d'identification de l'adresse IP pour certains utilisateurs sans qu'ils en soient responsables.

En ce qui concerne l'offre légale, la labellisation des sites initialement conçus pour favoriser son développement n'a pas rencontré le succès escompté et la Hadopi a travaillé sur d'autres pistes pour accompagner les internautes.

Mme Anna Butnel, directrice des affaires générales de la Hadopi. - Il existe en Europe une collaboration entre les régulateurs mais pas d'entités qui permettent de chapeauter l'ensemble. Il nous paraît essentiel de travailler dans cette direction, notamment vis-à-vis des GAFAM.

La Hadopi participe aux discussions avec la Commission européenne qui est très claire dans sa volonté de lutter contre le piratage et, pour répondre à une autre question, offre toutes les facilités juridiques pour permettre la fermeture rapide des sites « miroirs ». La Commission européenne est également très attentive à la formation des juges sur ce secteur si particulier.

Nous attendons de grandes avancées de la révision de la directive sur les droits d'auteur, en particulier de son article 13. Un accord doit être trouvé avec les ayants droit et une régulation sera nécessaire.

Les droits sportifs relèvent du code du sport et non du code de la propriété intellectuelle, ce qui rend leur défense plus complexe et devrait nous inciter à réfléchir à un cadre unifié de lutte contre le piratage.

Il convient enfin de simplifier les standards juridiques et de fluidifier la relation entre l'autorité judiciaire et le régulateur pour s'assurer de la bonne exécution des décisions de justice.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je partage votre sentiment sur l'engagement insuffisant de l'éducation nationale en matière de formation au numérique, comme j'aurai l'occasion de le développer à l'occasion de la présentation de mon rapport sur ce sujet le 27 juin prochain. Je note que la vision de l'Internet a beaucoup évolué ces dernières années. Il apparaît maintenant clairement que « l'angélisme » des débuts n'est plus de mise et qu'un réel besoin de régulation se fait aujourd'hui sentir. Dans ce contexte, la Hadopi et les autres autorités de régulation, CSA, ARCEP et CNIL devraient travailler de concert, notamment sur la question de la responsabilité des plateformes.

La réunion est close à 12 h 40.