Jeudi 13 décembre 2018

- Présidence de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, et de M. Vincent Éblé, président de la commission des finances -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Économie, finances et fiscalité - Audition de M. Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Je souhaite en notre nom à tous la bienvenue à M. Pierre Moscovici. Les sujets d'actualité intéressant vos attributions ne manquent pas, monsieur le commissaire.

La situation budgétaire de plusieurs États membres retient notre attention. Nous attendons l'analyse globale que vous pourrez en faire, mais le projet de budget italien a en particulier suscité de fortes interrogations au regard du respect des engagements européens de ce pays. La Commission européenne a réagi négativement à ce projet ; on peut le comprendre. Pouvez-vous nous en dire où l'on en est du dialogue mené avec ce pays ?

Nous souhaitons également connaître votre analyse de la situation budgétaire de la France et du projet de loi de finances dont la discussion vient de s'achever au Sénat. Dans le contexte social que nous connaissons, de quelles marges dispose le Gouvernement pour apporter des réponses à la crise sans mettre en cause les engagements de notre pays pour le redressement des comptes publics ?

L'Eurogroupe vient par ailleurs de rendre publics les résultats de ses travaux sur la réforme de la zone euro ; ils seront présentés aux chefs d'État et de gouvernement lors du sommet de la zone euro. Quelle analyse faites-vous de ces avancées qui peuvent apparaître modestes ? Au-delà, quelle est votre appréciation des propositions franco-allemandes d'approfondissement de l'Union économique et monétaire ?

Enfin, quel est l'état d'avancement des propositions présentées par la Commission en décembre 2017 ? Nous aimerions également entendre vos analyses de l'évolution de la situation en Grèce.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. - Nous sommes heureux de recevoir M. Moscovici ce matin, dans un moment d'actualité européenne particulièrement dense et juste avant l'ouverture d'un Conseil européen très attendu.

Ce Conseil européen se tiendra dans un climat assez confus, notamment en ce qui concerne le Brexit. Après 18 mois de négociations, les 27 États membres ont validé l'accord de retrait, le 25 novembre dernier, mais les difficultés de politique intérieure du Royaume-Uni repoussent à nouveau la perspective d'un retrait avec accord. Dans ce cadre incertain, nous pouvons toutefois saluer le travail conduit par le négociateur en chef de l'Union européenne, Michel Barnier, pour maintenir l'unité de l'Union européenne dans ces négociations.

Ce Conseil européen sera aussi l'occasion de revenir sur les travaux de l'Eurogroupe relatifs à l'approfondissement de l'Union économique et monétaire. Mardi dernier, un débat s'est tenu à ce sujet au Parlement européen ; il a permis d'exprimer une certaine déception des eurodéputés, notamment sur la mise en oeuvre d'une capacité budgétaire de la zone euro. Vous nous direz, Monsieur le commissaire, quelle appréciation vous portez sur ce sujet.

Par ailleurs, cette audition nous permet d'aborder avec vous plusieurs enjeux budgétaires et fiscaux, alors même que le Sénat vient de terminer l'examen en première lecture du projet de loi de finances pour 2019. Je souhaite que votre audition puisse nous éclairer sur au moins deux sujets essentiels pour notre commission des finances.

Le premier sujet est le regard que porte la Commission européenne sur les finances publiques françaises, compte tenu des toutes récentes annonces du Président de la République et du risque, pour notre pays, d'atteindre 3 %, voire 3,5 % de déficit public l'an prochain. J'ai été surpris des propos qui vous sont attribués dans la presse à ce sujet : vous auriez indiqué que dépasser la limite des 3 % pourrait être envisageable si c'était exceptionnel. Pourtant, c'est plutôt le respect de cette limite qui semble exceptionnel ! La Commission européenne fera-t-elle preuve de souplesse ? Si tel est le cas, sur quels critères objectifs le fera-t-elle, au regard notamment de la situation et des efforts des autres pays européens ?

Le second sujet est l'avancée des dossiers d'harmonisation fiscale et la mise en place d'une taxe sur le chiffre d'affaires des acteurs de l'économie numérique. Comment voyez-vous évoluer ce dossier ? Ne faudra-t-il pas, à un moment, sortir des règles de l'unanimité en matière fiscale ?

M. Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes. - Merci pour votre invitation : c'est pour moi un devoir, mais aussi un plaisir, que de venir, au moins deux fois l'an, devant vos commissions. La représentation nationale doit pouvoir mener un débat informé sur les questions européennes ; c'est, pour le commissaire français que je suis, une obligation morale et politique que de le permettre.

Je souhaite avoir une pensée pour les victimes de la fusillade de Strasbourg, où je me trouvais lundi avec les autres membres de la Commission. Je tiens à exprimer au Sénat et à la France le soutien et l'émotion de toute la Commission dans ces moments difficiles.

La Commission a présenté ses prévisions économiques pour l'Union européenne et a adopté ses opinions sur les projets de loi de finances des États de la zone euro. Les ministres des finances de cette zone se sont réunis la semaine dernière pour préparer le Conseil européen qui débute aujourd'hui. En matière fiscale, les propositions de taxation des acteurs du numérique sont au coeur des discussions ; je ne renonce pas à les faire aboutir.

La situation économique de l'Union européenne, malgré un léger ralentissement, reste favorablement orientée. La croissance devrait atteindre 2,1 % en 2018, 1,9 % en 2019 ; le niveau d'emploi atteindrait un niveau historique et le chômage continue de diminuer. Presque tous les États membres poursuivent avec sérieux leurs efforts d'assainissement des comptes publics. Le déficit de la zone euro restera nettement en dessous de 1 % pour les deux prochaines années ; la dette publique continuera à diminuer presque partout.

En revanche, l'environnement international est moins porteur et les risques grandissent. Il faut donc être prudent. Je pense en particulier aux tensions commerciales, à la hausse discontinue des prix du pétrole et à la situation fragile des pays émergents. En Europe, la situation de l'Italie, le Brexit et les événements de France peuvent constituer des risques. Tous ces facteurs pèsent à la baisse sur nos prévisions de croissance. Cela doit colorer notre jugement sur la période. Je ne suis pas du camp des alarmistes, mais il faut se préparer à la prochaine crise.

L'opinion initiale de la Commission confirme que la France continue son travail d'assainissement de ses finances publiques. Sans le ressaut statistique ponctuel de 0,9 % correspondant à la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en baisse de charges sociales, le déficit public, tel que proposé initialement, serait de 1,9 % du PIB en 2019 et de 1,7 % en 2020, ce qui est dans le cadre des exigences budgétaires européennes. Les efforts structurels doivent néanmoins être accentués. Nous évaluons ces efforts à 0,2 % du PIB ; ils restent insuffisants et posent un risque de non-conformité avec les exigences du pacte de stabilité et de croissance. La dette publique française frôle les 100 % du PIB ; le projet de loi de finances, dans sa version actuelle, la voyait diminuer très légèrement, mais il faut poursuivre cette évolution. La dette publique est l'ennemie absolue de l'économie : une économie qui s'endette est une économie qui s'appauvrit ; le fardeau de la dette pèse sur tous les contribuables et, notamment, sur les plus modestes.

La situation a évolué du fait de l'annonce de nouvelles mesures par le Gouvernement et le Président de la République. Cela modifiera probablement nos prévisions. M. Darmanin vous a expliqué que le financement de ces mesures s'élèverait à 10 milliards d'euros environ, ce qui aurait nécessairement pour effet d'augmenter le niveau du déficit public. Il est encore difficile d'évaluer précisément les effets de ces mesures sur la trajectoire budgétaire de la France ; nous attendons les arbitrages sur leur financement, qui doivent être rendus le 20 décembre. Il est donc trop tôt pour spéculer sur le niveau final du déficit.

Toutefois, puisque M. Éblé semble m'accuser de laxisme, je veux lui répondre. Nous savons tous qu'il n'est pas impossible que le déficit français soit supérieur à 3 % l'an prochain. Il n'est pas interdit par nos règles de connaître un dépassement temporaire, limité et exceptionnel. Un tel dépassement peut être conçu sur un an, à condition qu'il demeure inférieur à 3,5 % ; au-delà, ou s'il dure plus d'un an, une procédure pour déficit excessif doit être envisagée. Or le déficit demeurerait, semble-t-il, en dessous de 3,5 %, et le dépassement ne devrait pas durer plus d'un an. C'est pourquoi j'ai déclaré que c'était envisageable. Est-ce pour autant souhaitable ? Il faudrait que ce dépassement soit le plus limité possible. Le Gouvernement français travaille sur un paquet de mesures de maîtrise de la dépense et semble également envisager des efforts de recettes.

La Commission européenne comprend la nécessité de mesures en faveur du pouvoir d'achat ; j'y suis aussi très sensible du fait de mon parcours. Il faut simplement essayer de les accommoder avec le cadre budgétaire existant. Au printemps, la Commission jugera de l'impact de ces mesures sur le niveau du déficit public et en tirera les éventuelles conséquences procédurales imposées par les règles européennes. D'ici là, je maintiens un dialogue étroit et régulier avec les autorités françaises ; il revient au Gouvernement de proposer des financements solides permettant, dans la durée, de poursuivre la réduction de la dette publique.

Par ailleurs, les États membres ont, dans leur grande majorité, poursuivi leurs efforts de redressement des comptes publics. Les plans de 13 États membres ont été jugés conformes aux exigences européennes, même si le niveau de la dette reste parfois élevé et que les efforts structurels ont été jugés insuffisants dans certains États. Il faut donc rester vigilant.

Quant à l'Italie, l'analyse de la Commission a confirmé un risque de non-conformité particulièrement sérieux. On relève une croissance très forte du déficit nominal annoncé. Le déficit structurel devrait se dégrader de 0,8 point, quand celui de la France s'améliore de 0,2 point. La dette publique italienne atteint 131 % du PIB, niveau beaucoup trop élevé. Nous avons demandé au gouvernement italien de soumettre une nouvelle copie puis prononcé une opinion sur le risque de non-conformité. Depuis l'adoption de notre opinion, nous avons engagé un dialogue particulièrement intensif et constructif avec les autorités italiennes. Nous allons travailler d'arrache-pied pour trouver une solution. Le président du Conseil italien, M. Conte, a exprimé sa volonté de coopérer pour la réduction de la dette publique et a notamment annoncé que le déficit soumis serait, non plus de 2,4 %, mais de 2,04 %. Il reste encore des pas à faire, peut-être de part et d'autre. Nous ne pouvons pas transiger avec les règles. Nous cherchons les moyens de rendre compatibles des choix politiques légitimes et les règles communes. Il n'y aura pas un traitement privilégié pour les uns, sévère pour les autres ; les règles sont certes subtiles et complexes, mais elles sont les mêmes pour tous. Nous préparons donc également les prochaines étapes juridiques à la suite de l'opinion du Conseil, qui a suivi la nôtre.

Concernant la Grèce, on oublie parfois les trains qui arrivent à l'heure ! La Grèce fait une entrée tout à fait réussie dans le semestre européen. Son projet de budget pour 2019 prévoit un excédent primaire de 3,5 % du PIB, la croissance atteint 2,3 % cette année, et les créations d'emplois sont de retour. Cela permet d'éviter des coupes dans les retraites qui auraient pu les réduire de 14 % pour 1,4 million de Grecs. Cela ne veut pas dire que la Grèce est totalement tirée d'affaire - aucun relâchement n'est possible -, mais elle est sur la bonne voie.

Parmi les conclusions de la réunion du 3 décembre de l'Eurogroupe, je relève trois points positifs et deux points plus préoccupants. De manière positive, nous sommes parvenus en temps voulu à un accord pour le sommet de la zone euro ; des progrès ont été accomplis pour un fonds de résolution unique qui soit appuyé par des données budgétaires, ce qui conforte l'union bancaire ; enfin, nous avons fait des progrès en faveur d'une réforme du mécanisme européen de stabilité.

En revanche, sur plusieurs chantiers clés, les ministres des finances ne sont pas parvenus à surmonter leurs désaccords. Aucun consensus n'a été trouvé pour la mise en place d'un système européen de garantie des dépôts au sein de l'union bancaire, alors qu'une telle garantie est une composante intégrante de notre conception de l'union bancaire.

En outre, si les ministres ont évoqué la création d'un budget de la zone euro, il n'y a pas eu d'accord sur ce sujet, alors que cela est indispensable pour contribuer à réduire les divergences entre nos économies et pour mettre en place un fonds de stabilisation pour prévenir d'éventuels chocs asymétriques. La balle est dans le camp des chefs d'État et de gouvernement. J'espère qu'ils donneront à leurs ministres des directives qui leur permettront d'approfondir leurs travaux.

J'en viens aux initiatives de la Commission en matière fiscale. La première concerne la fiscalité du numérique. Les bénéfices tirés par les géants de ce secteur sont à peine taxés dans l'Union européenne : ils le sont, en moyenne, à 9 %, contre 23 % pour les autres entreprises. J'ai présenté, en mars dernier, deux propositions visant à garantir une fiscalité équitable de l'économie numérique. La première tend à moderniser les règles d'imposition actuelles, en introduisant le concept de « présence numérique », puisque la présence physique de ces groupes est limitée. La seconde consiste en l'instauration d'une taxe temporaire de 3 % sur le chiffre d'affaires généré par les activités numériques dans l'Union européenne.

Malgré l'urgence, les États membres ne se sont pas encore mis d'accord sur une position commune, mais de très grands progrès ont été réalisés grâce à un accord franco-allemand de dernière minute. Nous allons continuer à rechercher, avec énergie, une solution de compromis avant les élections européennes. Une taxe nationale est concevable si aucun accord européen ne peut être trouvé. Ma conception profonde est que les grands acteurs du numérique doivent payer leur juste part et ne sauraient se dérober à cette obligation, qui incombe à tout citoyen et à toute entreprise.

Ce dossier illustre la difficulté à progresser sur les questions fiscales qu'engendre la règle de l'unanimité. Ce sera mon testament : je présenterai bientôt des propositions pour le passage au vote à la majorité qualifiée en matière fiscale. J'attends le soutien des parlements nationaux. Je préconiserai une approche graduelle, par paquet. Il n'est pas tolérable que le veto d'un seul puisse bloquer la volonté de tous les autres. Nous savons, dans le cas de la fiscalité du numérique, quels sont les États réticents : l'Irlande, le Danemark, la Suède et, dans une moindre mesure, la Finlande. Ces États peuvent-ils empêcher d'avancer la très vaste majorité des États membres et de la population européenne ?

Une réforme qui introduirait la majorité qualifiée permettrait d'avancer de manière plus rapide et efficace sur les chantiers prioritaires et représenterait un progrès démocratique. En matière de fiscalité, nous avons fait des avancées énormes, inédites dans l'histoire de l'Union européenne. J'en suis très fier. Mais je sais aussi que, sur les grands dossiers structurants - TVA, assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS), fiscalité du numérique et de l'énergie, taxe sur les transactions financières -, nous n'avons pas pu avancer autant que les citoyens le souhaitent à cause de l'exigence d'unanimité. Nous sommes à cinq mois d'élections cruciales pour le projet européen. Il faut démontrer à nos concitoyens l'intérêt de notre projet commun afin qu'ils fassent un choix clair en faveur de l'Europe.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Le passage à la majorité qualifiée relève du bon sens. Si l'on veut que l'Union avance, il n'y a pas d'autre solution !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Nous sommes toujours dans le brouillard quant au niveau du déficit public français pour 2019. J'ai bien entendu qu'il y aurait une différence de traitement entre la France et l'Italie, mais la France est tout de même l'un des mauvais élèves de l'Europe ; on ne peut pas s'en réjouir.

S'agissant de la fiscalité, je souhaite vous interroger au sujet de la fraude à la TVA sur internet, sujet constant de préoccupation et d'action pour la commission des finances. Dans le cadre de l'examen du projet de loi de lutte contre la fraude, nous avons fait adopter un amendement visant à instaurer un mécanisme instaurant la responsabilité solidaire des plateformes de paiement en ligne. La TVA n'est pas toujours collectée pour les achats en ligne ; des fraudes massives nous ont été confirmées. Un mécanisme similaire est-il envisagé à l'échelle de l'Union européenne ?

Le projet de directive ACCIS semble malheureusement ne plus compter parmi les priorités. Vous avez déclaré le mois dernier, lors de votre audition à l'Assemblée nationale, que ce dossier n'émergeait plus dans les discussions au Conseil. L'initiative franco-allemande vous paraît-elle aller dans le bon sens, ou s'agit-il, de fait, de la reconnaissance d'un échec en la matière ?

Enfin, vous avez ouvert en 2016 le chantier des taux de TVA. Il s'agirait de donner aux États membres plus de liberté pour fixer des taux réduits. Un calendrier de mise en oeuvre de ces mesures est-il prévu ? Pourraient-elles être appliquées avant la fin du mandat de la Commission ?

M. Simon Sutour. - Contrairement à ce qui se dit souvent, la Commission européenne a bien travaillé. Je voudrais soulever une question qui sort quelque peu des attributions de M. Moscovici et qu'on met parfois, par peur, sous le tapis : celle des accords commerciaux. Le Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) n'a toujours pas été soumis au Parlement français pour ratification. D'autres accords sont engagés, ont mûri et seraient presque prêts, notamment celui qui doit lier l'Union avec le Mercosur. Où en est-on ? Il nous faut être de meilleurs avocats pour ces accords avec des pays qui nous sont culturellement, politiquement et économiquement proches.

M. Yvon Collin. - La fraude massive à la TVA sur internet est un problème dont vous êtes conscients. Vous avez jugé cette fraude inacceptable : 50 milliards d'euros finissent dans la poche de fraudeurs, de criminels et même de terroristes. Quelle est la position de la Commission sur ce sujet ?

M. Cyril Pellevat. - Je souhaite voir aborder le cas de l'Espagne, dont le gouvernement a annoncé une hausse de 22 % du salaire minimum, pour atteindre 1 050 euros bruts. Cette mesure devrait coûter 340 millions d'euros, alors que la dette publique espagnole représente 98,8 % du PIB. Quelle est votre position à ce sujet ?

Mme Nathalie Goulet. - En tant que rapporteur spécial du programme 117 « Engagements financiers de l'État », je ne connais que trop le problème de la dette. On parle assez peu des taux d'intérêt. Leur augmentation est attendue, mais on ne sait à quelle date. Cela sera insupportable pour nos finances publiques. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

M. Sébastien Meurant. - Ma question porte sur la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) et notamment sur l'arrêt du rachat de la dette. Les intérêts divergent entre les pays qui ont une maîtrise complète de leur déficit et ceux, comme le nôtre, où l'on observe une divergence par rapport aux taux d'intérêt.

M. Pierre Moscovici. - Je répondrai très brièvement aux deux dernières questions. Je les ai posées à Mario Draghi hier. Il a promis d'y répondre après la réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE qui doit se tenir aujourd'hui. Dans tous les cas, la Commission n'a pas l'habitude de s'exprimer sur ces sujets, qui sont l'apanage de la BCE. J'ai confiance dans sa gouvernance ; sa politique accommodante devrait se poursuivre sous une forme ou une autre. Attendons les décisions qui seront prises aujourd'hui à Francfort.

Concernant la fraude à la TVA, effectivement, la Commission bataille depuis plusieurs années sur cette question. Le système actuel de TVA pour les échanges entre États membres repose sur un système transitoire qui a tout de même 25 ans. Ce système est trop fragmenté et trop vulnérable à la fraude. La fraude à la TVA transfrontalière seule est estimée à 50 milliards d'euros, et nous avons des raisons de penser qu'une partie importante de cette somme va financer des activités criminelles, voire terroristes.

Nous voulons aider les entreprises européennes à développer leurs activités transfrontalières en bénéficiant de conditions de concurrence égales au sein de l'Union. Nous voulons également éliminer cette fraude ; par des mesures simples, mais d'envergure, nous pourrions déjà la réduire de 80 % et récupérer ainsi 40 milliards d'euros, gain non négligeable pour les trésors publics. Nous avons proposé des réformes à plusieurs reprises ; nous estimons que les États membres ne peuvent plus ignorer le problème au vu de son ampleur. La Commission soulignait déjà en 2016 la nécessité de mettre en place un espace unique de TVA à l'échelle de l'Union. Le Parlement européen a également adopté en 2016 une résolution dans ce sens. Il est urgent de rendre les règles beaucoup plus efficaces. De telles mesures rapides ont été proposées par la Commission, en octobre 2017, et adoptées par le Conseil le 4 décembre dernier.

Nous avons donc accompli quelques progrès limités, mais la grande réforme consistant à traiter la TVA transfrontalière comme la TVA domestique, réforme pourtant très simple, n'a pas encore pu être adoptée du fait de la règle de l'unanimité en matière fiscale. Cette proposition a fait l'objet de six réunions du Conseil. Je regrette que cette grande réforme n'ait pas pu être conclue durant ce mandat. Dans ce contexte, vos propositions me semblent avoir un rôle à jouer ; la Commission est prête à travailler sur le mécanisme que vous avez bâti.

Quant au projet ACCIS, cette réforme est elle aussi absolument déterminante. La fiscalité des entreprises en Europe est archaïque ; son architecture est vieille d'un siècle. Elle repose sur la taxation des entreprises en fonction de leur localisation physique dans un État, alors que l'économie d'aujourd'hui est mondialisée et dématérialisée, et que les entreprises ont une présence transnationale. Nous connaissons encore des divergences de fiscalité des entreprises au sein du marché intérieur, ce qui encourage les démarches d'optimisation fiscale. Il faut donc une assiette commune et consolidée. Je suis au regret de constater que cette réforme non plus n'a pas été conclue sous ce mandat, mais je m'efforce de ne pas laisser à mon successeur la situation que j'ai trouvée en arrivant, à savoir une proposition sans chances d'aboutir. Les travaux techniques ont très bien avancé ; nous avons fait 80 % du parcours. S'il y a une volonté politique, un accord est à portée de main. J'encourage donc les parlements nationaux à aiguillonner les gouvernements à ce sujet. Je me réjouis de l'accord franco-allemand sur ce projet, car cette convergence est nécessaire pour progresser.

Nous n'avons pas non plus pu conclure notre démarche sur les taux de TVA réduits. La Commission est critiquée de toute part, car le système actuel ne permet pas aux États membres d'accorder des taux réduits à certains produits ou secteurs, notamment le secteur équestre. Chaque État a ses priorités en matière de TVA. On se demande pourquoi ils ne peuvent pas agir seul, puisque nous avons posé le principe de la taxation dans le pays du consommateur, ce qui met fin au risque de concurrence fiscale.

Nous avons proposé en janvier dernier de redonner aux États membres la liberté de fixer les taux de TVA comme ils l'entendent, le taux standard ne pouvant être inférieur à 15 %. Quelques garde-fous seraient inclus : la liste de produits pouvant faire l'objet de taux réduits serait remplacée par une liste négative de produits ne pouvant en bénéficier, tels que les armes, les munitions, les jeux de hasard, ou encore le tabac. Le nombre et le niveau des taux réduits autorisés seront limités à deux taux fixés entre 5 % et le taux normal, un taux fixé entre 0 % et 5 % et un taux de 0 %.

Une fois cette réforme adoptée, chaque État devra définir sa propre politique en la matière. Cette proposition est forte ; hélas, le Conseil n'en a discuté qu'une seule fois, sous forme d'un échange général d'opinions sans que les questions techniques aient été abordées. La Commission propose, mais ce sont toujours les États membres qui disposent.

L'approche protectionniste, en matière de commerce, n'est pas pertinente. Je comprends que l'on veuille réguler le libre-échange. Tous les accords que la Commission européenne négocie incluent ainsi désormais des clauses sur la protection de l'agriculture, de l'environnement, des normes sanitaires, etc. Vous évoquez le CETA. Mais si l'on n'est pas capable de commercer avec le Canada, pays qui partage les mêmes valeurs que nous, avec qui pourrons-nous signer un accord commercial ? Un premier bilan du CETA a été fait : ce traité est très favorable à la partie européenne. Les craintes des agriculteurs sur l'importation massive de viande bovine ou ovine ne se sont pas matérialisées. Au contraire l'accord incite les canadiens à mettre en place une filière de qualité. Quant à l'accord avec le Mercosur, les négociations sont dans la dernière ligne droite. La Commission est parvenue à un accord avec le Mexique, qui modernise l'accord signé en 2000. La Commission qui négocie au nom des États à la volonté d'aboutir, ensuite il appartiendra aux États de se prononcer, sous le contrôle de leurs parlements nationaux.

L'Espagne a mené un spectaculaire effort d'ajustement pendant la crise qui a permis de réduire fortement le déficit. La situation de l'emploi s'est améliorée. En 2012-2013, on avait frôlé la mise en place d'un programme d'ajustement pour l'Espagne et l'on a finalement mis en oeuvre un programme spécifique pour les banques espagnoles. Le rôle de la Commission n'est pas de juger les politiques nationales, qu'elles soient italienne, française ou espagnole, ni de mettre la main dans le moteur à la place des gouvernements. Il lui appartient seulement de vérifier si les annonces sont compatibles avec les objectifs d'équilibre budgétaire des traités. Nous attendons que l'Espagne transmette un projet de budget ; cela ne nous empêche pas toutefois de faire des remarques sur la politique économique suivie, par le biais des recommandations spécifiques par pays. L'augmentation des salaires doit s'apprécier en fonction de la productivité.

M. Benoît Huré. - Vous avez fait référence aux dangers du protectionnisme et à l'intérêt de disposer d'une Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais on sait aussi combien est préjudiciable la non-prise en compte dans les accords internationaux des problématiques environnementales comme sociales. Est-il envisageable de mieux intégrer ces enjeux dans les futures accords internationaux ?

M. Pierre Moscovici, commissaire européen. - Les tensions commerciales constituent le principal risque pour l'économie mondiale. L'attitude de l'administration américaine, très agressive sur ces questions, a provoqué une série de réactions en chaîne sur la place des institutions multilatérales et le rôle des accords commerciaux. Je me réjouis que les discussions commerciales lors du G20 de Buenos Aires entre les présidents chinois et américains aient permis quelques avancées. Au-delà, pour lever les hypothèques sur la croissance mondiale, il faut faire retomber les tensions commerciales et réformer la gouvernance du commerce international. À mon avis, la position des Européens doit être la défense du multilatéralisme, le refus du protectionnisme, l'attachement à un libre-échange régulé et modernisé face à la tentation du repli sur soi. Le nationalisme n'est pas une solution. La guerre commerciale est une guerre perdante. La Commission européenne a la conviction que si une réforme de l'OMC s'impose, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Il ne faut pas tuer cette institution mais lui redonner toute sa vigueur. Son directeur général, Roberto Azevêdo, travaille en ce sens et a tout notre soutien. Outre-Atlantique, on a tendance à considérer que l'OMC a fait son temps. Ce n'est pas notre conception.

La Commission dans tous les accords qu'elle négocie, dans le CETA, qui est le meilleur accord qu'elle ait négocié jusqu'à présent, comme dans l'accord avec le Mercosur ou dans celui avec le Japon, qui a été approuvé par le Parlement européen à une très large majorité il y a deux jours, inclut les problématiques sociales, environnementales ou sanitaires. Un accord commercial ne doit pas affecter notre diversité culturelle, nos normes sociales ou sanitaires ou notre agriculture. Telle est la feuille de route que nous nous sommes fixés. Aux parlements nationaux ensuite d'apprécier si les accords sont satisfaisants.

Une précision par rapport à ma déclaration précédente sur les arbitrages du Gouvernement sur le financement des nouvelles mesures présentées par le Président de la République et le Gouvernement français, le 20 décembre, c'est l'Agence française du Trésor qui présentera son programme de financement, ce qui signifie que les arbitrages auront été rendus avant, à une date que je ne connais pas.

M. Philippe Dominati. - Aux élections européennes, les eurosceptiques risquent de l'emporter en France. Que peut-on dire aux Français ? Qu'est-ce que l'Europe apporte aux Français en termes de liberté ? L'harmonisation fiscale en Europe rimera-t-elle avec une baisse d'impôts et de prélèvements ? L'harmonisation fiscale est-elle en discussion à Bruxelles ? Certains pays européens sont très compétitifs en matière de fiscalité.

M. Pierre Moscovici, commissaire européen. - Je ne m'étendrai pas sur ce que l'Europe apporte à la France, ni sur ce la France apporte à l'Europe. La France est un des pays fondateurs de l'Europe depuis l'origine et en est, à beaucoup d'égards, l'un des principaux bénéficiaires. Si l'on peut craindre une poussée des eurosceptiques aux élections européennes, je ne peux pas croire qu'ils l'emporteront. Les forces pro-européennes, dans leur diversité, doivent s'organiser. L'Europe est aujourd'hui confrontée à des mouvements europhobes qui veulent la détruire. D'autres veulent la conforter. Ce sera un des enjeux des futures élections de savoir si l'on veut poursuivre la construction européenne ou la détruire. Il est indispensable que ce combat pour les valeurs européennes, l'État de droit, l'indépendance de la presse, la justice, l'égalité entre les sexes, le refus de la peine de mort ou la lutte contre le réchauffement climatique soit porté. Ensuite, une fois que l'on se sera mis d'accord pour poursuivre l'aventure européenne, il conviendra de choisir l'Europe que l'on veut et que les programmes politique conservateurs, socio-démocrates ou écologistes puissent s'exprimer.

Il faut donner des preuves d'Europe à nos concitoyens. Jean-Claude Juncker disait que cette Commission européenne était la Commission de la dernière chance. Il parlait de la situation économique. De fait, la situation économique a bien changé en quatre ans. Les créations d'emploi atteignent un niveau record en Europe. Le chômage a baissé. Récemment, l'Europe a eu à subir l'impact du Brexit et de la crise migratoire, mais son histoire est faite d'une succession de crises. La crise économique a débouché sur une crise politique à cause des laissés-pour-compte et de la croissance des inégalités. C'est un phénomène dont on doit s'occuper dans la durée. Sur la fiscalité, je souhaite qu'une taxe sur le numérique soit adoptée avant les élections. Ce serait un signal magnifique envoyé à nos concitoyens. Les taxes nationales aboutiraient à fractionner le marché intérieur. L'Europe serait le premier continent à le faire. Je souhaite aussi que l'on lance le débat sur le vote à la majorité qualifiée. En effet, on ne pourra avancer sur l'harmonisation fiscale ou sociale sans démocratie, c'est-à-dire sans loi de la majorité.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Merci. Il m'appartient maintenant de vous transmettre l'avis politique que notre commission des Affaires européennes a adopté mercredi dernier, le 5 décembre 2018, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC). La réponse de la Commission européenne à notre avis politique du 12 avril 2018 est en opposition avec les préconisations des deux résolutions du Sénat du 8 septembre 2017 et du 6 juin 2018. Il s'agit moins d'un désaccord sur la ligne budgétaire que sur les modalités de mise en application de la PAC. Nous craignons que la PAC finisse par se résumer à l'addition des 27 politiques nationales. Or la PAC a été un des fondements de la construction européenne.

Je suis en phase avec votre position sur les accords commerciaux internationaux, le CETA ou l'accord avec Mercosur. Je salue la position du Président Juncker sur les accords de deuxième et troisième génération. J'ai vu le positionnement de l'Union européenne à Genève au sein de l'Union interparlementaire, où nous avons entendu les contributions de l'Union européenne et du Canada. Nous attendons la position des États-Unis sur l'OMC et l'organe de règlement des différends. L'Union européenne joue un rôle moteur. Dans la mesure où le multilatéralisme est en crise, momentanément, passons par le plurilatéralisme. L'idéal serait évidemment de rester dans le cadre du multilatéralisme.

Je souhaite aussi appeler votre attention sur les mesures conservatoires en cas de contentieux avec un autre pays à l'OMC. Ainsi un contentieux est en cours sur l'importation de biodiesel argentin. Il serait pertinent en attendant le jugement que la Commission puisse prendre des mesures conservatoires. L'attente peut durer parfois des années et mettre en difficulté les entreprises concernées.

La réunion est close à 10 h 50.

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

Économie, finances et fiscalité - Projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) : observations de M. Jean-François Rapin

M. Jean Bizet, président. - Nous allons maintenant examiner les observations préparées par Jean-François Rapin sur le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte). Je vous rappelle que, ce faisant, nous répondons à une demande de la Conférence des présidents dans le cadre de la mission qu'elle a confiée, à titre expérimental, à la commission des affaires européennes sur la transposition du droit européen en droit national. Nous devons à ce titre bien identifier les objectifs à atteindre en vertu du texte européen et informer le Sénat sur d'éventuelles sur-transpositions. Nous avons déjà effectué ce travail à trois reprises : sur le secret des affaires, sur les services de paiement dans le marché intérieur et sur la protection des données personnelles.

Cette mission s'articule par ailleurs avec les travaux que notre commission a conduits avec la délégation aux entreprises sur les sur-transpositions à partir d'une consultation en ligne des acteurs économiques. Ils ont donné lieu à un rapport très complet de notre collègue René Danesi. À la demande de la commission des affaires européennes et de la délégation aux entreprises, un débat de contrôle s'est tenu en séance le 31 octobre. En outre, le Sénat a examiné début novembre un projet de loi supprimant des sur-transpositions. René Danesi préside la commission spéciale constituée à cette fin.

Avec le projet de loi Pacte, nous sommes face à un texte très dense et disparate. Les enjeux de transposition ne manquent pas. C'est pourquoi il est intéressant que notre commission puisse faire part de ses observations d'abord à la commission spéciale présidée par Catherine Fournier, puis au Sénat. Les rapporteurs de la commission spéciale sont Michel Canevet, Jean-François Husson et Elisabeth Lamure.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Nous avons tenté de synthétiser les enjeux de ce texte dense et vaste, en nous concentrant sur les sur-transpositions du droit européen et en illustrant notre propos de plusieurs exemples.

Le projet de loi Pacte intervient dans le domaine économique et financier, qui est particulièrement marqué par le droit européen, dans le cadre fortement harmonisé du marché intérieur.

Il renvoie très largement à des ordonnances pour la transposition de directives récentes, au motif de la technicité des dispositions à transposer et des coordinations à mettre en oeuvre. Sa taille - 73 articles initialement, plus de 200 après examen par l'Assemblée nationale - et la grande diversité des mesures proposées exigent une attention particulière pour identifier les mesures susceptibles de constituer des sur-transpositions du droit européen en droit interne.

Cette identification est d'autant plus malaisée que, le plus souvent, le projet de loi, y compris dans l'étude d'impact, ne fournit pas d'indications précises sur les options ouvertes par le texte européen qui seront retenues ou écartées - et l'étude d'impact ne donne pas d'éléments sur les options retenues ou écartées dans les ordonnances de transposition dont la ratification est proposée.

Le projet de loi poursuit par ailleurs, avec mesure, la démarche de suppression de sur-transpositions annoncée par le Premier ministre fin 2017.

Enfin, il comporte des mesures purement nationales de soutien aux entreprises et à l'activité économique, dans le respect des principes européens en matière d'aides d'État, de libre circulation des capitaux, de liberté d'établissement ou de concurrence. Plus précisément : les options retenues ou écartées sont souvent assorties de contraintes purement nationales.

Certains choix sont ainsi favorables aux entreprises. C'est le cas de suppression de sur-transpositions alourdissant les charges qui pèsent sur elles. On peut citer celle qui a fait fortement réagir les commissaires aux comptes : l'harmonisation et le relèvement des seuils de contrôle légal des comptes au niveau du plafond européen. Il n'est toutefois pas prévu de retenir les seuils les plus élevés de définition des petites entreprises, comme l'a fait l'Allemagne, ce qui permettrait de soustraire un plus grand nombre d'entre elles à cette obligation. C'est aussi le cas de l'exercice d'options pour renforcer l'attractivité de la place financière de Paris. Le projet de loi facilite ainsi les sorties de la cote en abaissant à 90 % du capital et des droits de vote le seuil du retrait obligatoire, soit le seuil le moins élevé prévu par la directive OPA de 2004. L'obligation nationale d'une expertise indépendante des conditions financières de l'offre de retrait, qui fait l'objet d'une attestation d'équité motivée, est toutefois maintenue, alors même que le rachat est effectué au prix de l'offre de retrait. L'exploitation d'une option favorable aux entreprises, prévue par le texte européen, s'accompagne en effet souvent d'une obligation purement nationale. Le Gouvernement fait ainsi le choix du seuil le plus élevé de dispense de prospectus en cas d'offre au public de titres mais un document d'information des investisseurs, non prévu par le règlement Prospectus, doit alors être établi.

La mise en avant de priorités nationales conduit à exploiter des options plus contraignantes et à écarter les allégements autorisés par le texte européen. C'est le cas en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. L'ordonnance de transposition de la directive blanchiment n'a pas fait usage de facultés ouvertes par celle-ci, en particulier la définition d'obligations de vigilance simplifiée à l'égard de la clientèle pour la monnaie électronique et les instruments de paiement répondant à des conditions d'atténuation du risque, ou dans des domaines présentant un risque moins élevé. Le décret d'application a en outre fixé le plafond de paiement en espèces à 1 000 euros, très en-deçà de celui de la directive - sauf pour les dépenses personnelles des non-résidents, limitées à 15 000 euros, tourisme oblige !

À l'inverse, l'ordonnance a retenu la possibilité, prévue par la directive, d'assujettir aux obligations de vigilance des professions ou catégories d'entreprises autres que celles visées par la directive : les sociétés d'assurance et de réassurance, les agents sportifs, les antiquaires et les galeries d'art ou encore les syndics de copropriété. Le projet de loi portant suppression de sur-transpositions retire toutefois ces derniers du champ d'application de ces obligations au motif qu'ils ne manient pas de fonds significatifs, ce qui est de bon sens.

Une autre priorité est la protection du consommateur. L'ordonnance qui transpose la directive relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées renforce la responsabilité de plein droit des détaillants dans l'exécution des voyages à forfait, comme l'y autorise une option ouverte par la directive - et conformément à la résolution européenne du Sénat du 4 mars 2014.

Les indications sur les options qui seront retenues lors de la transposition sont toutefois plus ou moins précises. Par exemple, à propos de la transposition du paquet marques, l'étude d'impact indique que « les objectifs poursuivis par la transposition (...) correspondent aux objectifs visés par celui-ci. » On peut en déduire que l'ordonnance devrait aligner la procédure française sur le droit européen, en particulier pour le système de dépôt monoclasse, qui s'accompagne du paiement forfaitaire d'une redevance par classe. Toutefois, la visibilité est moindre quant à l'utilisation des options ouvertes en matière de refus d'enregistrement ou de nullité de l'enregistrement. Pour la facturation électronique, l'habilitation ne précise pas s'il sera fait usage de la faculté de reporter d'un an l'application des obligations d'interopérabilité des systèmes aux collectivités territoriales et aux établissements publics locaux pour lesquels la mise en conformité pourrait être lourde et coûteuse.

L'Assemblée nationale a ajouté, ou rétabli, quelques sur-transpositions. Ainsi l'obligation de faire figurer dans le rapport annuel sur la gouvernance des sociétés cotées la rémunération de chaque dirigeant, filiales comprises, au regard de la rémunération moyenne et de la rémunération médiane des autres salariés, et le rétablissement du droit des actionnaires à la communication des opérations courantes intra-groupes conclues à des conditions normales, supprimé par le Sénat en 2011 en raison de sa lourdeur administrative et non prévu par le droit européen.

Je ne suis pas membre de la commission spéciale, mais je dois être entendu par sa présidente et ses rapporteurs mardi prochain. Je pourrai ainsi relayer les observations de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président. - C'est un sujet complexe et touffu, sur lequel notre commission doit jouer le rôle de vigilance vis-à-vis de la sur-transposition qui lui a été confié par notre conférence des présidents.

M. René Danesi. - Merci pour ce travail, d'autant plus méritoire qu'il ne porte pas sur un sujet captivant pour le grand public : aucun journal n'y consacrera le moindre entrefilet...

Vous relevez à juste titre la généralisation des transpositions par voie d'ordonnance, sans contrôle véritable par le Parlement. L'article 38 de notre Constitution précise en effet que, lorsque le Gouvernement a reçu délégation de pouvoir législatif, il n'a qu'à déposer le projet de loi de ratification de l'ordonnance sur le bureau de l'une des deux chambres - et il le fait régulièrement sur le bureau du Sénat, qui est permanent. C'est ainsi que le Parlement reçoit chaque année une trentaine de textes de ce type, qui ne sont jamais inscrits à l'ordre du jour. Si l'on pense que le Parlement vote, chaque année, une cinquantaine de lois, on voit qu'on risque un jour de voir le nombre des ordonnances, non contrôlées par le Parlement, dépasser celui des lois. Aussi proposerai-je au Président du Sénat, si la révision constitutionnelle doit se faire, de modifier cet article 38 pour faire en sorte que les ordonnances soient effectivement discutées. Certes, les plus importantes sur le plan politique le sont. Mais celles qui sont techniques ne le sont pas, or ce sont souvent celles qui empoisonnent la vie des entreprises et des communes. D'ailleurs, au cours des semaines de contrôle, nous ne débattons jamais des ordonnances. Paradoxal. C'est comme si, à la fin de la construction d'une maison, on se contentait de vérifier la couleur des fenêtres !

Vous avez aussi relevé à juste titre que le Gouvernement n'a pas su résister à la tentation de faire un peu de sur-transposition, ou des transpositions a minima. On ne se débarrasse pas si vite de mauvaises habitudes, surtout lorsqu'elles sont vieilles de plusieurs dizaines d'années - sans compter qu'il y a des intérêts économiques qui font les couloirs des ministères. Allez-vous déposer des amendements ? Je les signerais les yeux fermés.

M. Pascal Allizard. - Merci pour ce rapport sur un sujet complexe, auquel je me suis attelé il y a quelque temps à la demande de notre président. Je partage les remarques qui viennent d'être faites.

Si la problématique de l'alignement des seuils de contrôle légal des comptes sur l'Allemagne pour les petites entreprises ne doit pas être négligée, celle des flux intra-groupe est extrêmement importante. Certains groupes ont mis en place des business models autour de management fees permettant de sortir des profits dans des entités de gestion situées dans des pays moins fiscalisés. Même si je suis contre la sur-transposition, il y a des intérêts stratégiques sur lesquels il faut être vigilant.

Le ministère de l'économie veille sur les activités stratégiques dans les domaines militaire et spatial. Mais la fiscalité européenne intégrée pour les sociétés n'existe pas et n'est pas prêt d'exister. Nous ne devons donc pas nous tirer une balle dans le pied : ce serait mauvais pour le budget du pays et ce ne serait pas compris par la population.

M. Cyril Pellevat. - En 2010, une mission parlementaire avait été menée sur la politique transfrontalière par Marie Thérèse Sanchez Schmid, députée européenne, Etienne Blanc, député français et notre collègue Fabienne Keller. Le rapport, intitulé « Les frontières, territoires de fractures, territoires de coutures... » donnait des chiffres : 3 000 kilomètres de frontières, 16 régions et 28 départements impactés. En Haute-Savoie, nous avions été très intéressés car nous avons 100 000 frontaliers, soit 25 % de la population active. Résultat : coût de la vie en hausse, difficulté de recrutement pour les entreprises, etc. Ce rapport avait formulé des préconisations, comme de créer des zones au statut différent, un peu comme les zones franches, où la fiscalité d'entreprise se rapprocherait de celle de la Suisse. Cela équilibrerait les flux. Notre commission pourrait-elle reprendre ces propositions à l'occasion de la loi Pacte ? Près de 10 millions de personnes habitent à proximité d'une frontière.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Le projet de loi prévoit la ratification de plus de vingt ordonnances, dont dix sont liées à la transposition.

M. Jean Bizet, président. - Une ordonnance non ratifiée a valeur réglementaire, certes, mais peut être contestée devant la juridiction administrative. Il vaut donc mieux pour le Gouvernement que ses ordonnances fassent l'objet d'une ratification.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - En effet, certaines stratégies économiques de grands groupes ne sont pas toujours lisibles. Il faudra une vigilance renforcée sur ce sujet. Le projet de loi met en place un audit groupe qui s'impose dès lors que les effectifs, chiffres d'affaires et total de bilan consolidés excèdent les seuils d'audit.

Les questions liées aux transfrontaliers sont multiples et nécessitent une réflexion beaucoup plus profonde, sur la fiscalité des bâtiments industriels par exemple, car celle-ci pénalise les ateliers installés de notre côté de la frontière.

Enfin, je rappelle que la commission des affaires européennes n'a pas à déposer d'amendements sur ce texte, mais à formuler des observations à l'intention de la commission spéciale.

M. Jean Bizet, président. - Vos remarques lui seront transmises, et le débat aura lieu en séance fin janvier.

À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information et adopte les observations dans la rédaction suivante :


Observations

(1) Vu le titre XV de la Constitution,

(2) Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en particulier les articles 26, 45, 49 à 55, 53, 56, 58, 63 à 66, 101 à 106 et 107 à 109,

(3) Vu le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale (procédure accélérée),

(4) La commission des affaires européennes fait les observations suivantes :

(5) Sur la méthodologie retenue pour la transposition en droit français de directives en matière économique et financière, l'introduction des mesures d'application imposées par des règlements et des mesures de coordination nécessaires

(6) Relève que le projet de loi comporte quelques mesures ciblées de transposition de directives mais renvoie très généralement à des ordonnances le soin de modifier le droit français ; qu'en outre il propose la ratification de plusieurs ordonnances de transposition publiées au cours des dernières années et dont le projet de loi de ratification n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour du Parlement ;

(7) Observe que le Gouvernement justifie le recours généralisé à des ordonnances par la technicité des dispositions à transposer et des coordinations à mettre en oeuvre ;

(8) Regrette toutefois que l'information du Parlement soit insuffisante dès lors que, le plus souvent, les habilitations ne mentionnent pas les options proposées par la directive qui seront retenues par le Gouvernement, ni pour quelles raisons d'autres options, favorables à la compétitivité des entreprises françaises, seront écartées, ni encore quelles dispositions existantes qui se surajoutent au droit européen seront abrogées ;

(9) Sur la transposition partielle de la directive 2017/828/UE modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l'engagement à long terme des actionnaires

(10) Observe tout d'abord que le projet de loi (art. 66) maintient les obligations des sociétés de gestion en matière de transparence de leur politique de vote prévues à l'article L. 533-22 du code monétaire et financier, dont les modalités sont détaillées par le règlement général de l'AMF et qui vont au-delà de ce qu'impose la directive ;

(11) Relève ensuite que l'Assemblée nationale a considéré que le rapport sur le gouvernement d'entreprise devait comprendre un rapport d'équité présentant des informations sur le niveau de la rémunération de chaque mandataire social au regard de la rémunération moyenne et de la rémunération médiane des autres salariés, alors que la directive prévoit une information sur l'évolution annuelle de la rémunération des dirigeants et de la rémunération moyenne des autres salariés, présentée d'une manière qui en permette la comparaison ;

(12) Rappelle que la directive prévoit une information sur les transactions avec les parties liées et que l'assemblée générale vote sur les transactions importantes qui ont été approuvées par l'organe d'administration ou de surveillance de la société ;

(13) Observe que le projet de loi ne prévoit pas d'attestation d'équité en la matière alors que la directive ouvre aux États membres la faculté d'en imposer l'établissement ;

(14) Rappelle que la directive comporte un ensemble de dispositions pour permettre aux émetteurs qui le souhaitent d'identifier leurs actionnaires ;

(15) Observe que le droit français est très proche de la directive, en particulier s'agissant du seuil de 0,25 % du capital à partir duquel l'identification des actionnaires peut être décidée par l'émetteur, soit un seuil inférieur au plafond de 0,5 % fixé par la directive ;

(16) Relève en revanche que le projet de loi n'exploite pas une faculté ouverte par la directive pour permettre à l'émetteur de demander à un intermédiaire ou à un prestataire de services d'investissements de recueillir pour son compte les informations concernant l'identité des actionnaires ;

(17) Constate enfin que l'Assemblée nationale a rétabli le droit des actionnaires à la communication des opérations courantes intra-groupes conclues à des conditions normales, supprimé en 2011 par le Sénat en raison de sa lourdeur administrative, et qui n'est pas prévu par le droit européen ;

(18) Sur les mesures d'application du règlement 2017/1129 « Prospectus 3 » concernant le prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l'admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé

(19) Observe qu'une modification du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF), homologuée par arrêté du 11 juillet 2018, a fait usage de l'option de dispense de publication d'un prospectus pour les offres au public de valeurs mobilières dont le montant total est inférieur à 8 millions d'euros, soit le seuil maximal fixé par le règlement Prospectus 3 ;

(20) Relève que l'article 22 du projet de loi assortit toutefois cette dérogation, justifiée par l'objectif de compétitivité du droit financier français, de l'obligation de publier un document d'information destiné aux souscripteurs qui n'est pas prévu par le règlement européen, déposé auprès de l'AMF et dont le régime et le contenu seront précisés par le règlement général de l'AMF.

(21) Sur l'habilitation à transposer la directive 2014/55/UE relative à la facturation électronique dans le cadre des marchés publics

(22) Observe que l'habilitation prévue à l'article 63 du projet de loi ne précise pas s'il sera fait usage de la faculté prévue à l'article 11-2 de la directive qui permet de reporter jusqu'au 17 avril 2020, l'application des obligations d'interopérabilité par les collectivités territoriales et les établissements publics locaux pour lesquelles la mise en conformité pourrait être lourde et coûteuse ;

(23) Sur l'habilitation à transposer la directive 2014/50/UE relative aux prescriptions minimales visant à accroître la mobilité des travailleurs entre les États membres en améliorant l'acquisition et la préservation des droits à pension complémentaire

(24) Relève que l'exposé des motifs du projet de loi précise que le délai minimal d'acquisition des droits à retraite supplémentaire serait fixé à 3 ans par l'ordonnance, soit la durée maximale autorisée par la directive ;

(25) Sur l'habilitation à transposer la directive 2016/2341/UE « IORP 2 » concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle

(26) Constate que l'habilitation ne donne aucune indication quant à l'utilisation des options ouvertes par l'article 31 de la directive, par exemple en matière d'externalisation totale ou partielle de l'activité des institutions de retraites professionnelles, y compris des fonctions clés et de leur gestion, auprès de prestataires de services opérant pour le compte de celles-ci ;

(27) Sur l'habilitation à transposer le « paquet marques »

(28) Observe que l'étude d'impact indique que « les objectifs poursuivis par la transposition de la directive 2015/2436 dans le droit français correspondent aux objectifs visés par le « Paquet Marques » ;

(29) Considère qu'il en résulte que, même lorsque la directive laisse aux États membres la liberté de maintenir leur dispositif national, l'ordonnance devrait aligner la procédure française sur le droit européen ;

(30) Relève en particulier que tel sera le cas du système de dépôt monoclasse mis en place au niveau européen, qui s'accompagne du paiement forfaitaire d'une redevance par classe, dont le Gouvernement a annoncé qu'il sera repris en droit français afin de mieux répondre aux besoins des propriétaires de marques ;

(31) Regrette que sur d'autres points, la visibilité offerte au législateur soit moindre, qu'il s'agisse des options ouvertes en matière de refus d'enregistrement ou de nullité de l'enregistrement ou de refus d'enregistrement de marques de garantie ou de certification ;

(32) Estime que la transposition de la directive doit être précédée d'un examen attentif des facultés ouvertes en matière d'enregistrement de marques collectives qui sont particulièrement utiles pour le développement économique des territoires ;

(33) Sur l'habilitation à transposer la future directive « Insolvabilité » relative aux cadres de restructuration préventifs, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l'efficience des procédures de restructuration, d'insolvabilité et d'apurement

(34) Constate que le projet de loi anticipe pour partie la directive en introduisant dans les dispositions sur le rétablissement professionnel, qui permet l'effacement des dettes et la poursuite de l'activité, un délai de réhabilitation de trois ans en cohérence avec l'objectif de « seconde chance » de l'entrepreneur défaillant de bonne foi affiché par la proposition de directive ;

(35) Observe que la transposition de la directive par voie d'ordonnance devrait emporter des modifications assez substantielles des procédures préventives françaises existantes (mandat ad hoc, conciliation et sauvegarde), motif pour lequel le projet de loi autorise le Gouvernement à mettre en cohérence le redressement judiciaire avec les modifications imposées par la directive, modifications dont il définit le périmètre de manière détaillée mais non limitative ;

(36) Sur la transposition partielle de la directive « MiFID 2 » 2014/65/UE par l'ordonnance n° 2016-827 du 23 juin 2016 relative aux marchés d'instruments financiers apportant également les adaptations nécessaires au droit interne pour le rendre compatible avec le règlement « MiFIR » (UE) 600/2014 relatif aux marchés d'instruments financiers

(37) Observe que l'ordonnance prévoit notamment la faculté, pour une entreprise d'investissement, de recourir aux agents liés et précise, en fonction des prescriptions de la directive, les conditions d'exercice de cette fonction ainsi que les critères à respecter pour y recourir mais qu'elle n'autorise pas les agents liés immatriculés sur le territoire français à détenir des fonds et/ou des instruments financiers de clients pour le compte de et sous l'entière responsabilité de l'entreprise d'investissement pour le compte de laquelle ils agissent, faculté ouverte par la directive ;

(38) Constate que l'ordonnance exploite en revanche une autre faculté prévue par la directive en confiant à l'entreprise d'investissement le soin de vérifier l'honorabilité et les compétences de l'agent lié ;

(39) Observe que l'ordonnance autorise par ailleurs les entreprises d'investissement de pays tiers bénéficiant d'une décision d'équivalence de la Commission européenne à fournir des investissements aux clients professionnels établis en France mais qu'elle les oblige à établir une succursale en France lorsqu'elles entendent fournir des services d'investissement à des clients non-professionnels, ainsi que l'autorise la directive ;

(40) Relève que l'ordonnance n'exploite pas certaines des options ouvertes par la directive, notamment la reconnaissance comme contreparties éligibles des entités de pays tiers équivalentes à celles des États membres mais que le projet de loi propose par ailleurs de mettre en oeuvre cette faculté (art. 23) ;

(41) Sur la transposition de la directive 2015/849/UE relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme par l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme

(42) Constate que l'ordonnance n° 2016-1635 n'a pas fait usage de facultés prévues par la directive, en particulier la définition d'obligations de vigilance simplifiée à l'égard de la clientèle pour la monnaie électronique et les instruments de paiement répondant à des conditions d'atténuation du risque ou dans des domaines présentant un risque moins élevé et qu'elle n'a pas non plus exempté des obligations définies par la directive les prestataires de certains services de jeux d'argent ;

(43) Observe que l'ordonnance a en revanche retenu la possibilité, prévue par la directive, d'assujettir aux obligations de vigilance des professions ou catégories d'entreprises autres que celles visées par la directive, en particulier les sociétés d'assurance et de réassurance, les agents sportifs, les antiquaires et les galeries d'art ou encore les syndics de copropriété ;

(44) Observe par ailleurs que l'ordonnance étend les prérogatives et les obligations de Tracfin au-delà de ce qu'impose la directive, qui est d'harmonisation minimale sur ce point ;

(45) Relève enfin que le décret d'application de l'ordonnance a fixé à 1 000 euros le plafond des paiements en espèces, soit très en deçà du plafond de 10 000 euros prévu par la directive, ce plafond étant toutefois relevé à 15 000 euros si le domicile fiscal du débiteur est à l'étranger, soit le plafond maximum autorisé en pareil cas par la directive ;

(46) Sur l'articulation de l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale avec la directive 2011/92 du 13 décembre 2011 relative à l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement

(47) Constate que l'ordonnance n° 2017-80 prévoit un dispositif d'autorisation environnementale destiné à simplifier les procédures pour la réalisation de certains travaux et aménagement ;

(48) Observe que ce dispositif n'est pas contraire au cadre européen, mais va au-delà de ses exigences, en particulier de celles qui résultent de la directive 2011/92 relative à l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement ;

(49) Sur la transposition de la directive 2015/2302/UE relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées par l'ordonnance n° 2017-1717 du 20 décembre 2017

(50) Relève que l'ordonnance n° 2017-1717 renforce la responsabilité de plein droit des détaillants dans l'exécution des voyages à forfait, comme l'y autorise une option ouverte par la directive et conformément à la résolution européenne du Sénat du 4 mars 2014 sur la proposition de directive qui avait estimé « indispensable, compte-tenu des caractéristiques fortement nationales du marché du voyage, de maintenir la règle actuelle d'une responsabilité du détaillant ou de l'organisateur », ce qui les oblige à souscrire une assurance de responsabilité professionnelle ;

(51) Sur la mise en conformité de dispositions du droit national contraires au droit européen

(52) Constate que le projet de loi procède à la mise en conformité de dispositions du droit national contraires au droit européen, en particulier en supprimant les OPCVM de cantonnement dans lesquels sont placés les actifs illiquides en contradiction avec la directive « OPCVM » 2009/65/CE qui prohibe la transformation d'OPCVM conformes à la directive en organismes non conformes, ou encore en prévoyant la récupération des bonus versés aux preneurs de risques conformément aux directives CRD IV (2013/36/UE), OPCVM (2009/65/CE) et AIFM (2011/61/UE) ;

(53) Sur la suppression de sur-transpositions

(54) Salue la poursuite, par le projet de loi, de la démarche engagée par le Gouvernement en matière de suppression de sur-transpositions portant atteinte à la compétitivité des entreprises ;

(55) Relève en particulier l'harmonisation et le relèvement des seuils de contrôle légal des comptes par l'article 9 du projet de loi qui allègera les charges des petites entreprises ;

(56) Observe toutefois qu'il n'est pas prévu de retenir les seuils les plus élevés de définition des petites entreprises, ce qui permettrait, comme l'a fait l'Allemagne, de soustraire un plus grand nombre d'entre elles à l'obligation de contrôle légal des comptes ;

(57) Signale qu'un audit groupe est mis en place pour les ensembles dont le volume d'activité global et d'emploi salarié est supérieur aux seuils d'audit ;

(58) Salue par ailleurs l'exercice d'options ouvertes par plusieurs directives pour renforcer l'attractivité de la Place financière de Paris ;

(59) Relève en particulier le relèvement du seuil de dispense de prospectus en cas d'offre au public de titres au niveau le plus élevé autorisé par le règlement 2017/1129/UE dit « Prospectus  3 », s'accompagnera d'un obligation, prévue à l'article 22-I, de publier un document simplifié de présentation au public qui n'est pas prévu par le règlement ;

(60) Relève que, pour faciliter les sorties de la cote de la Place de Paris, l'article 22 abaisse à 90 % du capital et des droits de vote le seuil de retrait obligatoire, soit le seuil le moins élevé prévu par la directive « OPA » de 2004 ;

(61) Rappelle toutefois que le droit national reste plus exigeant que le droit européen, le règlement général de l'AMF imposant une expertise indépendante des conditions financières de l'offre de retrait, qui fait l'objet d'une attestation d'équité motivée, obligation que la directive n'impose pas dès lors que le prix est celui de l'offre de retrait ;

(62) Constate également que l'article 23 du projet de loi autorise, conformément à une faculté ouverte par la directive MiFID 2, les succursales d'entreprises d'investissement de pays tiers établies en France à fournir des services d'investissement à une clientèle professionnelle ou des contreparties éligibles françaises même si le pays tiers de leur siège ne bénéficie pas d'une décision d'équivalence de la Commission européenne ;

(63) Relève que, pour assurer la sécurité juridique des paiements pour les opérations qui transitent par le système notifié par la Banque d'Angleterre après le Brexit, l'article 25 du projet de loi prévoit la reconnaissance des systèmes de pays tiers pour le règlement définitif des opérations sur titres, en transposant le considérant 7 de la directive « finalité » 98/26 du 19 mai 1998 ;

(64) Constate en outre que l'ordonnance n° 2017-84 du 6 avril 2017, que l'article 71-IX du projet de loi soumet à ratification, exploite une faculté prévue par la directive 2003/41/CE concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle (IORP, pour autoriser la création de mutuelles et unions de retraite professionnelle supplémentaire et d'institutions de retraite professionnelle supplémentaire, permettant ainsi aux entreprises d'assurances de proposer des fonds de retraite professionnelle supplémentaire ;

(65) Relève que ces organismes dédiés seront soumis à un régime prudentiel moins contraignant que celui des sociétés d'assurance et défini en conformité avec le cadre prévu par la directive 2003/41/CE du 3 juin 2003, qui reprend les exigences de gouvernance de la directive « Solvabilité II » applicables aux sociétés d'assurance (Piliers 2 et 3) mais pas les règles quantitatives du Pilier 1 ;

(66) Sur la conformité au droit européen des dispositifs destinés à appuyer la modernisation des activités économiques en France

(67) Relève que la conformité aux principes fondamentaux du marché intérieur des différents dispositifs prévus par le projet de loi pour appuyer la modernisation des activités économiques en France, a fait l'objet d'analyses précises et concluantes, au regard de la prohibition des aides d'État, des atteintes à la libre circulation des capitaux, à la liberté d'établissement, à la libre circulation des travailleurs ou encore à la concurrence ;

(68) Observe plus particulièrement que le renforcement des pouvoirs de police et de sanction du ministre chargé de l'économie en matière de contrôle des investissements étrangers n'est pas contraire au principe de libre circulation des capitaux, ni incompatible avec la proposition de règlement du 13 septembre 2017 sur le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union européenne susceptibles de faire peser un risque sur la sécurité ou l'ordre public dans les États membres ;

(69) Rappelle enfin que, pour la mise en oeuvre de l'action spécifique dans les sociétés à participation d'État que le projet de loi propose de réformer, les mesures que l'État peut prendre doivent respecter les principes fixés par la Cour de justice de l'Union européenne, en particulier répondre à un intérêt général, être nécessaires et proportionnées au but poursuivi et ne pas être discriminatoires.

Politique de voisinage - Le partenariat oriental et le Caucase du Sud : rapport d'information de M. René Danesi et Mme Gisèle Jourda

M. Jean Bizet, président. - Nos collègues René Danesi et Gisèle Jourda ont effectué un déplacement en Géorgie. Le Partenariat oriental concerne six pays : l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine. Pour suivre son évolution, nous avons constitué un groupe de travail, animé par René Danesi, et composé en outre de Gisèle Jourda, Pierre Médevielle et André Reichardt. Simon Sutour est pour sa part chargé de suivre le partenariat avec les pays de la rive Sud de la Méditerranée. Nos rapporteurs vont nous dire quelle appréciation l'on peut porter sur l'évolution de la Géorgie, qui doit balancer entre son attraction vers l'Europe et son voisinage avec la Russie.

M. René Danesi, rapporteur. - La Géorgie est un pays de 3,7 millions d'habitants, auquel on ajoute les 51 000 personnes d'Ossétie du Sud et les 451 000 de l'Abkhazie. Ces deux régions sont comptées à part parce que ce sont des Républiques indépendantes autoproclamées depuis 2008, mais qui ne sont reconnues que par la Russie. Située au bord de la mer Noire, la Géorgie compte quatre voisins : la Russie, l'Azerbaïdjan, l'Arménie et la Turquie.

Au lendemain de son indépendance retrouvée, en 1991, la Géorgie entre dans une décennie de crise économique, politique et sociale. C'est grave, car la Géorgie représente le coeur stratégique du Caucase et se trouve entourée de pays dont l'histoire récente ou présente reste agitée. En 2003, la Révolution des Roses renverse le Président Chevardnadze, héritier de l'ère soviétique, et évoque une nouvelle indépendance, comme si le cordon ombilical était cette fois parfaitement coupé avec Moscou. Avec l'arrivée au pouvoir du Président Saakachvili et pendant ses deux mandats, la Géorgie est emportée dans une nouvelle vague de démocratisation et de modernisation à marche forcée. La Géorgie affiche alors un regain d'intérêt pour l'Occident et en particulier pour l'intégration euro-atlantique.

La Révolution des Roses marque ipso facto une rupture avec le modèle post-soviétique et avec la Russie. Le président Saakachvili confirme cette rupture par des propos enthousiastes qui semblent promouvoir une idéologie libérale, promettre l'éradication de la corruption et de la criminalité gouvernementales, et annoncer une transformation sociale et économique du pays. Très vite, il est clair que l'aspiration à une rapide intégration euro-atlantique gagne du terrain, suscitant une méfiance toujours plus grande chez le voisin russe. La guerre d'août 2008 est le point culminant de la tension entre les deux pays. Le président Saakachvili finit par être évincé en 2013. À partir de 2012, avec la victoire aux élections de la coalition du rêve géorgien menée par l'oligarque Bidzina Ivanichvili, la Géorgie par nécessité regarde à nouveau et jusqu'à aujourd'hui vers Moscou, malgré l'occupation militaire de l'Ossétie du sud et de l'Abkhazie depuis 2008, et malgré la signature d'un accord avec l'Union européenne le 17 juin 2014. En même temps, la Géorgie apparaît comme un des meilleurs élèves du Partenariat oriental de l'Union européenne. C'est ce paradoxe que nous avons essayé de comprendre en nous rendant en mission en Géorgie du 25 au 29 septembre derniers.

La Géorgie est le bon élève du Partenariat oriental. Ce partenariat est le premier pilier de la politique européenne de voisinage, l'autre étant l'Union pour la Méditerranée. Le but du Partenariat oriental est d'offrir aux six pays des marches de l'Europe une association avec l'Union européenne qui repose sur la démocratie parlementaire, l'État de droit, la libre entreprise et les droits de l'Homme. Cela s'adresse à la Biélorussie, à l'Ukraine, à la Moldavie, à la Géorgie, à l'Arménie et à l'Azerbaïdjan.

La Géorgie, bénéficiaire du Partenariat oriental, a développé sa coopération avec l'Union européenne grâce à un accord d'association et de libre-échange signé le 27 juin 2014 et entré en vigueur le 1er juillet 2016, ce qui nous laisse peu de recul pour l'instant, il faut l'avouer.

Très prometteur, le Partenariat a souffert de deux obstacles majeurs dès sa création : un obstacle interne à l'Union, qui est la dissension au sein des 28 membres sur la finalité du Partenariat, vu par certains comme une étape préalable à l'adhésion et par d'autres comme une simple aide au développement, et un obstacle externe qu'est la Russie. Pour reprendre une formule du président Bizet, l'Union européenne avait oublié que nos voisins avaient un autre voisin !

La Russie, pourtant sollicitée pour y participer, a tout de suite pris ombrage du Partenariat oriental d'autant que la Pologne et la Suède en étaient les promoteurs, et elle continue à soupçonner l'Union de mettre en place une politique et des accords en vue de diminuer son influence sur ses anciens satellites. Aussi n'est-elle pas restée inactive : elle a lancé le projet de l'Union économique eurasienne - dont l'Arménie est membre tout en ayant signé il y a quelques mois un accord avec l'Union européenne - et, surtout, elle entretient les conflits dits gelés : Ossétie du Sud et Abkhazie en Géorgie, Transnistrie en Moldavie, Haut Karabagh en Azerbaïdjan, et maintenant en Ukraine.

Cette tension régionale constante nuit naturellement au progrès démocratique et économique de la zone, même si cela reste variable d'un pays à l'autre et même si la Géorgie fait preuve d'une habileté certaine. Cependant, l'Union a compris que le Partenariat oriental doit montrer clairement qu'il ne vise ni à contenir ni à concurrencer la Russie, mais qu'il recherche des relations apaisées et une collaboration plus confiante entre l'Union et son grand voisin. Pour Moscou cependant, le Partenariat oriental apparaît comme une machine de guerre politique pour renverser les alliances au profit de l'Occident.

Pour l'Union européenne, très regardante sur le sujet, la Géorgie est une démocratie inachevée. Pour être réellement démocratique, il lui manque une solide classe moyenne et de véritables élites. Elle en a été privée par l'émigration constante des forces vives, autrefois pour échapper à la répression soviétique, aujourd'hui pour s'assurer ailleurs un succès plus certain.

Assurément, la Géorgie, qui semble - aux yeux d'un Occidental - contrainte, étouffée et menacée par ses deux voisins que sont la Russie et la Turquie, est en réalité, dans le Caucase, le creuset de la plus grande vitalité. C'est un paradoxe qui porte au relativisme et à la circonspection.

Ce qui semble le plus manquer à la Géorgie est une élite autochtone de qualité. Comme le dit la nouvelle Présidente de Géorgie, Salomé Zourabichvili - que nous avons rencontrée avant son élection - la démocratie ne peut être défendue que par une élite éclairée, sinon les masses ont tôt fait de se rendre à la dictature, qu'elle soit communiste ou populiste. Salomé Zourabichvili parle en outre de déclassification, c'est-à-dire l'absence en Géorgie d'une structure de classes.

De plus, l'émergence d'une classe moyenne robuste est gênée par le fait que la Géorgie, imprégnée du système clanique traditionnel, n'a connu depuis 1991 qu'une démocratie en proie à la lutte des clans.

Ainsi le Rêve géorgien d'un côté et les partisans du Président Sakaashvili de l'autre ne pratiquent pas des politiques fondamentalement différentes quand ils sont au pouvoir. Mais ils s'opposent farouchement et de manière stérile, si bien qu'il nous a semblé qu'il s'agissait essentiellement de querelles de personnes. En outre, ni les uns ni les autres ne sont exempts du grief de corruption.

La Géorgie doit encore franchir des obstacles qui gênent son intégration européenne, à savoir la corruption des élites, la lenteur de la réforme de la justice, l'imperfection de l'État de droit et le fait que sa vie économique soit sous le contrôle du pouvoir. Je laisse ma collègue entrer plus en détail sur ces questions.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Effectivement, la mise en oeuvre de l'accord d'association et de l'accord de libre-échange approfondi et complet reste délicate. Cet accord constitue la base de la politique européenne d'intégration économique de la Géorgie, laquelle offre pas moins de 100 à 130 millions d'euros d'aide à la Géorgie chaque année.

L'objet de l'accord est un rapprochement graduel de la Géorgie et de l'Union européenne sur la base de valeurs communes : essentiellement l'État de droit et l'économie de marché, mais aussi le respect des droits de l'Homme. Il débouche sur un dialogue politique serré et des politiques sectorielles ambitieuses.

Ce dialogue doit conduire aussi à un rapprochement dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité. L'État de droit doit être renforcé et la pratique démocratique, affermie.

Enfin, la coopération est prioritaire dans pas moins de 28 domaines dont l'énergie, les transports, la protection et la mise en valeur de l'environnement, la politique industrielle, l'agriculture, la politique sociale, la justice, la société civile, la réforme de l'administration publique et l'éducation. Pour l'heure, certains des projets que j'avais vu lancer lors d'une précédente visite, il y a deux ans, n'ont pas été encore achevés.

La libéralisation des visas était une excellente porte d'entrée comme le libre-échange : deux principes qui ne pouvaient que séduire les Géorgiens dont la tradition commerçante n'est plus à démontrer.

Dans la mesure où l'Union européenne considère que la politique commerciale est une composante de sa politique étrangère et constitue toujours un des éléments majeurs de ce qu'il est convenu d'appeler le soft power, l'accord de libre-échange avec la Géorgie revêt une importance toute particulière. L'intégration accrue de la Géorgie dans l'Union européenne grâce au libre-échange devrait stimuler la croissance et favoriser la modernisation du pays, nous a-t-on beaucoup répété. Nous avons aussi retiré de nos entretiens l'impression que la Géorgie regarde résolument vers l'Europe. Elle a d'ailleurs érigé en principe constitutionnel l'objectif d'intégrer le maximum de principes européens et de se conformer au cahier des charges.

Nos interlocuteurs estiment que l'offre russe n'est pas attractive. Ils préfèrent celle de l'Union européenne. La Géorgie se dit reconnaissante à l'Union européenne qui, à ses yeux, a un certain mérite à pratiquer une politique d'offre et de coopération à l'égard d'un pays occupé en partie par une puissance étrangère.

On peut dire que la Géorgie affiche une certaine stabilité et qu'elle a accompli de grands pas dans la bonne direction. En contrepartie, elle attend beaucoup de l'Union européenne - peut être trop. Or, l'accord d'association n'est qu'une amorce. Le vrai travail doit durer au moins dix ans. Au Sénat, nous avions tous été très clairs lors de la discussion de l'accord d'association pour dire qu'il n'était pas une promesse d'intégration rapide à l'Union européenne.

Les bonnes relations de la Géorgie avec l'Union européenne ont créé un climat favorable aux affaires. Ces relations ont été qualifiées de très satisfaisantes à plusieurs reprises par les deux parties. Elles se sont notablement renforcées et elles participent à la stabilisation du pays, même si la Commission européenne souligne dans son dernier rapport que la poursuite de la mise en oeuvre de l'accord à travers le rapprochement des règlementations et le renforcement des capacités institutionnelles nécessitera des efforts soutenus de la part des autorités géorgiennes ainsi que du côté européen pour aider la Géorgie dans ce processus.

Lors de sa dernière réunion, le 5 février 2018, le Conseil d'orientation créé par l'Accord d'association pour superviser sa mise en oeuvre et débattre de questions d'intérêt commun s'est réjoui de ce que les élections municipales de novembre 2017 se soient déroulées en respectant la pluralité et les libertés fondamentales. Lors de mon précédent déplacement, avant les élections, les autorités géorgiennes craignaient de voir un processus semblable à celui qui s'est développé en Ukraine, avec des partis pro-russes. Ce ne fut pas le cas et le résultat des élections a infirmé ces inquiétudes.

Le Conseil d'association s'est félicité de l'adoption de la réforme constitutionnelle réduisant les pouvoirs du Président de la République et saluée par la Commission de Venise comme l'achèvement de l'évolution de la Géorgie vers un système classique de démocratie parlementaire. Les progrès de la Géorgie ont été présentés comme un signe encourageant de son engagement constant en faveur d'une association politique et d'une intégration économique toujours plus étroites avec l'Union européenne.

Si l'Union européenne a pris bonne note des aspirations européennes de la Géorgie, de son choix européen et de l'objectif commun de poursuivre l'édification d'un pays démocratique, stable et prospère, aucune promesse d'adhésion n'a été offerte à ce pays.

L'Union européenne fournit à la Géorgie entre 100 et 130 millions d'euros d'aide annuelle. Elle est un partenaire économique important pour la Géorgie, représentant 27 % des échanges. Depuis 2009, 37 000 entreprises géorgiennes ont reçu un prêt européen pour un total d'environ 882 millions d'euros, et 10 312 emplois ont été créés. Dans le secteur agricole, l'Union européenne a permis la création de 1 600 coopératives - dont 200 seulement fonctionnent car les agriculteurs tiennent à leur indépendance après des années de collectivisme.

M. Jean Bizet, président. - Il faut leur envoyer Pierre Cuypers !

M. Pascal Allizard. - Pas sûr que les initiales de son nom les enthousiasment...

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - L'accord et le programme d'association pour 2017 2020 qui en découle ont engagé la Géorgie à suivre un programme de réforme ambitieux afin de parvenir à une association politique et à une intégration économique avec l'Union européenne. Le 28 mars 2017, la Géorgie a obtenu l'accès à l'espace Schengen sans visa pour de courts séjours ; mais elle doit maîtriser sa politique migratoire. En juillet 2017, elle a adhéré au traité instituant la Communauté de l'énergie en tant que partie contractante à part entière.

Depuis 2014, la Géorgie a réussi à renforcer son statut de partenaire stratégique de l'Union européenne et son aspiration à parvenir à une association politique et son intégration économique avec l'Union européenne est soutenue par la majorité de la société géorgienne.

Le programme d'actions pour 2018 se décline en trois actions visant à renforcer la bonne gouvernance et l'État de droit, à renforcer la gouvernance économique et la responsabilité démocratique et à approfondir les relations politiques, économiques et commerciales entre l'Union européenne et la Géorgie.

Toutes les actions doivent être conformes au cadre prédéfini pour 2017-2020 et aux « 20 objectifs pour 2020 » du partenariat oriental déterminés lors du sommet de Bruxelles en 2017. Elles couvrent les quatre domaines prioritaires : développement économique et débouchés commerciaux ; renforcement des institutions et de la bonne gouvernance ; connectivité, efficacité énergétique, environnement et changement climatique ; liberté et contacts interpersonnels et appui à la communication stratégique. Elles doivent aussi être conformes aux priorités politiques et aux priorités en matière de développement de la Géorgie, ainsi qu'à celles fixées dans l'Accord d'association. C'est pourquoi les domaines d'intervention reflètent le souhait de la Géorgie d'améliorer sa coopération avec l'Union sur les questions de sécurité, ce qui concorde également avec la stratégie globale de l'Union et la révision de la politique européenne de voisinage ainsi qu'avec le cadre stratégique européen visant à soutenir la réforme du secteur de la sécurité adopté par le Conseil en novembre 2016.

Les domaines d'intervention de l'Union sont également conformes au plan en quatre points du gouvernement géorgien, qui met l'accent sur la réforme de la gouvernance publique ainsi que sur l'éducation, afin d'assurer une croissance solide et d'améliorer le niveau de vie de la population géorgienne. Ce plan vise à réformer l'économie, l'éducation - qui mérite des efforts spéciaux dans les régions concernées par les conflits gelés - l'aménagement du territoire et la gouvernance publique.

Enfin, les domaines d'intervention du plan d'action annuel répondent à la nécessité d'établir une communication stratégique telle qu'elle a été définie dans le plan en quatre points du gouvernement géorgien afin de conserver le soutien de la population pour le programme de politique étrangère de la Géorgie. Ce soutien avoisine pour l'instant les 75 %.

La Géorgie est un voisin idéologique de l'Union européenne mais appartient à l'étranger proche de la Russie. Le voisinage géographique pèse de tout son poids. Aujourd'hui, le modèle européen est en tout point plus attractif que le modèle russe pour la Géorgie. Nous devons espérer que l'Union européenne fera en sorte qu'il le reste pour sécuriser ce pays très angoissé par l'occupation partielle de son territoire.

M. Benoît Huré. - Merci pour la clarté de vos exposés. Les coopérations sont des préalables longs à toute intégration européenne éventuelle, et nous devons privilégier une politique pragmatique des petits pas. Si nous l'avions fait pour la Bulgarie et la Roumanie, par exemple, nous n'aurions pas la crise existentielle actuelle. La situation en Ukraine, les tensions en Pologne montrent bien aussi qu'on ne peut pas travailler sans tenir compte des grands fauves du voisinage ! Il faut avant tout manifester que nous nous affranchissons des préoccupations étroites de l'OTAN. Cela facilitera la compréhension avec la Russie.

Je découvre cette commission avec bonheur, ainsi que l'admirable travail de notre diplomatie parlementaire...

M. Jean Bizet, président. - Merci !

M. Benoît Huré. - La diplomatie parlementaire est utile et indispensable. Ce rapport sera-t-il communiqué aux 27 autres États-membres ? Une telle démarche de communication ne serait pas mal venue à la veille des élections européennes, car on voit que dans des pays voisins, on a soif d'Europe, et on nous envie d'en faire partie !

M. Jean-Yves Leconte. - Grands fauves ? Certes, il faut éviter de construire l'Union européenne comme une alternative géopolitique à d'autres. Mais l'Union n'a pas à négocier la liberté de ses membres ou de ses relations avec ses voisins avec un quelconque fauve voisin. Chacun est libre !

M. Benoît Huré. - Nous sommes d'accord.

M. Jean-Yves Leconte. - C'est cela, sortir de Yalta et d'une organisation du monde régie par deux superpuissances. Depuis le président Saakachvili, qui était peut-être un peu hystérique dans sa relation avec la Russie, l'évolution de la Géorgie est positive. Ce pays est en train de construire une relation correcte avec la Russie, et bonne avec l'Union européenne. Je ne sais pas si cela durera. En tous cas, je ne partage pas l'idée qu'il n'y a pas de classe moyenne et qu'il faudrait aller chercher des responsables de qualité dans la diaspora. Il y a une classe moyenne en Géorgie et c'est d'abord avec les personnes qui vivent dans le pays qu'on pourra le faire évoluer.

C'est l'ancien premier ministre Ivanichvili, qui a fait une partie de sa vie professionnelle en Russie, qui gère la vie politique en Géorgie. Il y a un décalage entre la manière dont la Géorgie s'organise aujourd'hui et les attentes profondes du peuple. La campagne présidentielle l'a bien montré, qui s'est déroulée en dehors des normes démocratiques classiques. Pas sûr que la population l'accepte encore longtemps. La situation est assez confortable pour nous, puisqu'elle nous évite une confrontation avec la Russie, mais pas forcément très stable. La libéralisation des visas a été un symbole important, mais nombre de Géorgiens déposent des demandes d'asile, en particulier en France. Cela montre qu'au sein de la population, beaucoup ne croient pas suffisamment à un avenir prospère sur place.

M. Pascal Allizard. - Je suis allé trois fois en Géorgie. Avant les élections, on se demandait si le système serait capable de vivre une seconde alternance. Je m'y suis rendu comme observateur de l'OSCE. Nous ne sommes pas encore aux standards européens, mais la pratique démocratique progresse. Cela dit, en pratique, des groupes mafieux font pression sur les électeurs, qui leur remettent à la sortie des bureaux de vote leur bulletin authentique - preuve qu'ils ont glissé dans l'urne celui fourni par ces groupes - en échange d'avantages divers.

M. Jean-Yves Leconte. - Financiers notamment...

M. Pascal Allizard. - Il ne suffit donc pas de contrôler ce qui se passe à l'intérieur des bureaux !

Pour autant, le Rêve géorgien a été reconduit, et à l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, la semaine dernière, l'élection présidentielle n'a pas fait l'objet de critiques particulières, alors même que le président est un parlementaire géorgien de l'opposition !

M. Simon Sutour. - La politique de voisinage arrive à son adolescence. Elle fut lancée il y a quatorze ans, à une époque plus facile, par Romano Prodi, qui voulait créer un cercle d'amis. Elle se décline entre le Partenariat oriental, qui reçoit un tiers des crédits, et l'Union pour la Méditerranée, qui en capte les deux tiers. Parmi les grands fauves cités, n'oublions pas que la Turquie est un pays candidat à l'adhésion, ce qui est un statut dont rêveraient les autres pays du Partenariat oriental, y compris l'Ukraine - mais pas les pays de la rive sud de la Méditerranée, qui trouvent que l'accord d'association leur donne tous les avantages de l'Union européenne sans ses inconvénients. Les pays qui se situent à l'Est de l'Europe, en tout état de cause, sont des pays européens - et la Russie aussi.

L'ancien président géorgien, après avoir quitté la Géorgie pour adopter la nationalité ukrainienne et devenir gouverneur d'Odessa, est actuellement réfugié aux Pays-Bas. Avec 3,7 millions d'habitants, la Géorgie est un petit pays. Un peu de realpolitik : c'est la Russie qui est la clé. Je me souviens qu'au siège de l'Union eurasiatique à Moscou, on nous avait expliqué qu'il fallait choisir entre appartenir à l'Union eurasiatique ou être en association avec l'Union européenne. Sur ce point, l'Arménie a ouvert une brèche, et la Géorgie pourrait suivre, qui a un tropisme fort vers l'Europe, même si son Premier ministre actuel ménage de bonnes relations avec la Russie. J'espère que nous arriverons à une déglaciation avec la Russie. Elle a mal pris le Partenariat oriental qui, dans beaucoup de pays, était perçu comme une perspective d'adhésion, quoi qu'en dise l'Union européenne.

Au Sud, nous arrivons aussi, grâce à cette politique, à mieux maîtriser certains flux. Le Maroc, par exemple, aide l'Union européenne à bloquer les vagues de migration, et vient d'accorder un statut à 50 000 migrants, pour qu'ils puissent rester travailler au Maroc, à condition qu'ils ne se trouvent pas à Tanger. C'est le fruit du dialogue avec l'Union européenne permis par la politique européenne de voisinage (PEV).

Celle-ci est plus une politique qu'un investissement financier : les crédits sont dérisoires. L'Égypte considère d'ailleurs qu'en regard des 10 milliards d'euros qui arrivent sans condition de l'Arabie Saoudite, les quelques dizaines de millions d'euros de l'Union européenne sont bien peu, d'autant qu'ils exigent de changer complètement le mode de fonctionnement et de ne pas donner la priorité à la lutte contre le terrorisme, alors que des policiers sont tués tous les jours dans les rues... La Politique de voisinage a donc évolué depuis, y compris dans le Partenariat oriental. Au lieu de proposer un peu d'argent contre des réformes, on essaie de créer un climat de confiance par des projets.

Pourquoi êtes-vous passés par l'Arménie ?

M. René Danesi, rapporteur. - Nous y avons passé quelques heures, le temps de dîner avec l'ambassadeur. La politique du Partenariat oriental évolue dans le bon sens. On l'a bien vu dans la réaction de l'Union européenne à l'incident de Kertch. Progressivement on est passé d'une coopération combattante, comme le souhaitaient la Pologne et la Suède, à une coopération plus ouverte. Le modèle de l'Arménie qui a des accords à la fois avec la Russie et l'Union européenne semble devenir un modèle privilégié. On va dans le sens d'un apaisement des relations et, dans ce cadre, la politique de partenariat oriental peut avoir un bel avenir, en contribuant à éviter des affrontements directs. C'est un fait aussi que la Russie a pris un certain nombre de gages. - c'est ce que l'on appelle les conflits gelés -, qui rendent impossible l'adhésion, à court terme, de la Géorgie à l'Union européenne et à l'OTAN. Difficile, en effet, d'envisager une adhésion avec des bases russes sur le territoire. Tout cela incite à penser, même s'il existe des va-t-en-guerre, notamment en période électorale, que la diplomatie sera amenée à prendre toujours plus de place.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Je veux dire aussi notre attachement au Partenariat oriental qui a failli être abandonné il y a peu encore. Je veux rappeler l'action de notre commission pour le défendre. Lorsque nous nous étions rendus à Bruxelles il y a deux ans, on nous avait indiqué qu'un pays en train de rejoindre le marché euro-asiatique ne pourrait aussi conclure un accord avec l'Europe. Ils n'étaient pas favorables à la double appartenance. Nous avons expliqué au contraire qu'il n'était pas opportun de se couper de ces pays. Le Partenariat oriental permet de se rencontrer et de dialoguer.

J'ai été frappée de constater que les responsables géorgiens n'ont pas la volonté de mettre de l'huile sur le feu dans leur conflit avec la Russie, en dépit de la présence de check points et de lignes de démarcation, qui sont des frontières de fait, avec l'Ossétie où nous sommes allés. Ils veulent laisser la porte ouverte à la concertation et ne veulent pas cristalliser les choses. Ils ont la volonté d'être tournés vers l'Europe sans braquer la Russie. C'est essentiel.

Enfin, pour la Géorgie, comme je l'ai entendu sur place, le dialogue avec l'Europe fonctionne comme une petite lumière. Ne leur enlevons pas cette petite lumière, dans le respect de l'équilibre avec les partenaires qui les entourent.

M. Jean Bizet, président. - Si le Partenariat oriental n'existait pas, il faudrait l'inventer. Notre rapport a aussi vocation de rappeler à nos amis russes que ce partenariat n'est pas une machine de guerre contre la Russie qui serait destinée à renverser les alliances au profit de l'Occident. Notre commission est constante dans ses positions comme en témoigne notre vote sur les sanctions, sur le rapport de MM. Sutour et Pozzo di Borgo. J'espère aussi que les accords de Minsk prendront une nouvelle dimension après les élections, même s'il faudra sans doute les revoir. D'où aussi notre position sur la convention de Montego Bay et le dossier Nord Stream 2. Pascal Lamy disait que partout où le marché avance, le canon recule. C'est l'enjeu. Avec le Partenariat oriental, nous voulons promouvoir les valeurs chères à l'Union européenne et contribuer à la pacification de la région. La Géorgie est dans un équilibre subtil. Je me réjouis de la marche vers la démocratie dans ce pays. Je pense que les États-Unis auraient tort de persévérer dans une approche trop déséquilibrée à l'égard de la Russie. Les valeurs européennes prennent de plus en plus de place. À nous de les mettre en avant.

M. Pascal Allizard. - Selon un Européen qui gère une propriété foncière en Géorgie, il semblerait que la ligne de démarcation soit fluctuante la nuit...

Vous évoquiez les conflits gelés et la guerre de 2008. Je me souviens de la réaction du président géorgien de l'époque qui avait été inappropriée. Le Président Nicolas Sarkozy était intervenu pour éviter l'escalade. J'espère que le président ukrainien ne fera pas la même erreur. L'ambassadeur Pierre Morel partira pour sa 101e rencontre sur les accords de Minsk... Chacun craint une réaction inappropriée de l'Ukraine.

M. Jean Bizet, président. - J'ai aussi rencontré M. Pierre Morel. Espérons que M. Petro Porochenko fera preuve de mesure avant les prochaines élections présidentielles.

À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

La réunion est close à 11 h 50.