Mercredi 12 décembre 2018

- Présidence de M. Roger Karoutchi, président -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Vers une tarification à l'usage des mobilités ?

M. Roger Karoutchi, président de la Délégation à la prospective. - Merci à chacune et chacun d'entre vous d'être là. Je voudrais également remercier les sénateurs présents de la Délégation. Avant que nous démarrions nos travaux, je donnerai quelques minutes la parole, avant ses auditions, à notre collègue sénateur Didier Mandelli, rapporteur du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM), texte qui nous intéressera tous en direct dans quelques semaines au Sénat.

M. Didier Mandelli, sénateur. - Merci Monsieur le Président. Il n'était pas prévu que j'intervienne car je dois retourner à mes auditions dont le cycle a débuté il y a une quinzaine de jours, et qui s'élèvent aujourd'hui à plus d'une quarantaine. Pour la plupart d'entre eux, les acteurs que j'interroge ont participé aux Assises de la Mobilité.

Le travail de la Délégation à la prospective arrive à point nommé pour nous permettre d'acquérir une vision élargie. Nous disposons ainsi d'un panel assez large, tant d'un point de vue géographique que de l'usage des mobilités.

Pour la plupart, vous avez été saisis à un moment ou l'autre du sujet, alors que le texte de loi a évolué de l'origine à l'avant-projet, jusqu'à sa version qui sera étudiée au Sénat en première lecture. À la suite des auditions, nous aurons sans doute encore un travail à réaliser. Il s'agit aussi bien d'un sujet d'actualité législative que d'actualité en tant que telle, de sorte que nous essaierons de trouver une rédaction prenant en compte l'ensemble des aspirations de nos concitoyens. Je ne peux pas vous en dire grand-chose pour le moment car les auditions se poursuivent. Je remercie celles et ceux qui ont d'ores et déjà été auditionnés - et tous ceux qui le seront - de nous apporter leur expertise. Je le répète, car c'est important. Sur cette question du financement des mobilités, de même que sur celle de la gouvernance, un certain nombre de choses restent à régler mais nous sommes, je le pense, sur la bonne voie. Nous parviendrons à établir un texte qui réponde à la fois aux souhaits de l'ensemble des acteurs et, ce qui est essentiel, de chacun de nos concitoyens.

Ce propos est très général, mais je ne peux entrer dans le détail des quarante-quatre articles. Sachez, pour ceux qui souhaitent être auditionnés, que nous avons encore quelques créneaux disponibles.

Je vous souhaite de bons travaux et vous remercie de m'avoir laissé la parole.

M. Roger Karoutchi, président. - Didier Mandelli étant assez modeste, il omet de dire que c'est le Sénat qui est saisi en premier lieu en première lecture sur ce texte, ce qui est assez rare de la part du gouvernement.

Chers collègues, je salue tous les sénateurs présents et saluerai ensuite spécifiquement les rapporteurs de la Délégation à la prospective. Je vous remercie toutes et tous d'être là. Comme toujours, c'est pour moi un plaisir d'être avec des « experts », même si je n'apprécie pas beaucoup ce terme quelque peu dévoyé. Je me réjouis de me trouver en compagnie des représentants des professions, des usagers et de l'ensemble de ceux qui font les choses dans tous les domaines sur lesquels la Délégation travaille. Sur ce sujet particulier, la Délégation à la prospective a déjà produit son rapport, consacré aux mobilités du futur, avec cinq rapporteurs dont quatre sont présents aujourd'hui à mes côtés : Françoise Cartron, sénatrice de Gironde, Olivier Jacquin, sénateur de Meurthe et Moselle, Didier Rambaud, sénateur de l'Isère et Michèle Vullien, sénatrice du Rhône.

Ce rapport a été examiné et adopté par la Délégation le 8 novembre dernier, et fera l'objet d'un débat en séance plénière du Sénat au début de l'année 2019. La synthèse vous en a été distribuée. Olivier Jacquin étant persévérant et tenace, il a tenu à ce que nous préparions les débats sur la LOM de façon plus complète que le rapport déjà transmis. C'est l'objectif du colloque de ce jour. Le texte LOM arrivera au Sénat en commission à la fin du mois de janvier, et en séance plénière au début mois de février. Concrètement, cela signifie que nous allons avoir des débats très intenses tout au long du mois de janvier, tant en commission qu'en séance, entre les travaux de la Délégation à la prospective et la LOM elle-même. D'ici là, ainsi que le suggérait le sénateur Mandelli, tous les experts souhaitant être entendus sont invités à se manifester.

Nous avons travaillé et réfléchi aux nouvelles mobilités urbaines et en particulier pour les élus franciliens, au sujet clé de la tarification à l'usage. Un grand nombre de propositions ont été mises en avant, notamment la question des péages urbains, la tarification liée à l'acte même de transport plus qu'à la forfaitisation. Il conviendra en outre de réfléchir aux innovations mises en oeuvre dans un certain nombre de territoires.

Je présente les excuses de Fabienne Keller, qui aurait souhaité être là, notamment sur le sujet des péages urbains, mais qui en sa qualité d'élue de Strasbourg, se trouve aujourd'hui sur le terrain en ces circonstances dramatiques.

Je remercie infiniment Madame Elodie Trauchessec et de manière générale, l'ADEME, qui a beaucoup contribué à nos travaux à l'occasion d'un précédent colloque déjà.

M. Olivier Jacquin, sénateur. - Merci beaucoup Monsieur le Président. Merci à toutes et à tous d'être là. Merci à Didier Mandelli de nous avoir dit un mot. Nous avons une pensée émue pour Fabienne Keller, qui aurait bien évidemment aimé être avec nous plutôt qu'à Strasbourg en ces circonstances particulières.

Notre rapport sur les nouvelles mobilités, qui est un travail collectif des cinq rapporteurs de la Délégation à la prospective, ne visait pas à établir un catalogue des dernières innovations techniques et scientifiques en matière de mobilités, mais a tenté de comprendre les dynamiques en cours, et le moyen d'y apporter les régulations nécessaires pour que l'intérêt général et le bien commun soient parfaitement respectés. Je m'associe aux remerciements à l'ADEME, à Jérémie Almosni ici présent, chef du service transport et mobilité, ainsi qu'à Elodie Trauchessec qui avait parfaitement animé le premier colloque consacré aux engins de déplacement personnel, sujet ayant attiré un public nombreux.

Aujourd'hui, nous allons évoquer l'innovation et la tarification, et souhaitons inscrire la prospective dans l'actualité, à partir de nos réflexions de fond sur le financement des transports. Dans le contexte tout à fait sensible que nous connaissons, la question sociale réapparaît autour de l'automobile et de la liberté de circuler, considérées comme de véritables acquis sociaux. D'ailleurs, la première partie de notre rapport est intitulée « Les Français inégaux devant les mobilités. »

En matière de services publics, le curseur est simple : le payeur est soit l'usager, soit le contribuable, ce ratio étant modulable. J'effectuerai un parallèle étonnant. En tant que président d'une communauté de communes, je me suis beaucoup intéressé à la question des déchets. Les fondamentaux sont les mêmes, avec la nécessité d'une ingénierie extrêmement pointue. Dans ma communauté de communes rurales, nous avons été les pionniers de l'utilisation du signal prix pour tenter de réguler les déchets et récompenser, tout en faisant prendre conscience de la problématique.

C'est en ayant constaté l'efficacité de l'utilisation de ce signal prix, qu'en matière de transports nous avons réfléchi au problème de la congestion. Nous pouvons espérer posséder les moyens d'aller vers une décarbonation en étant plus sobres et en utilisant mieux les mobilités douces. Le signal prix peut par conséquent représenter un élément particulièrement intéressant pour gérer la situation dans un futur proche. Lorsqu'on nous objecte que ce serait la sélection par l'argent, je fais remarquer que le paiement des parkings de voitures en France, organisé par un décret de 1928, était le premier signal prix. Nous espérons que les nouvelles technologies permettront les modulations tarifaires adéquates pour proposer des tarifications solidaires. Il s'agit en effet d'une nécessité.

Je ne serai pas plus long et laisse la parole à Elodie Trauchessec.

Mme Élodie Trauchessec, animatrice mobilité à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise des énergies (ADEME). - Merci Monsieur le Sénateur, merci Monsieur le Président. Bonjour à tous C'est un grand plaisir pour l'ADEME d'animer à nouveau ces débats, au titre de nos activités de précurseur sur le sujet des mobilités, en tant qu'accompagnateur et à terme, en tant que massificateur des meilleures pratiques. L'un de nos coeurs de métier est la politique publique au niveau local et national, dont l'un des instruments les plus audacieux et intéressants sur la mobilité est la tarification.

Pour discuter de la tarification à l'usage dans les mobilités, nous avons réuni un panel extrêmement diversifié d'élus nationaux qui sont aussi élus locaux, de représentants d'Autorités Organisatrices de Transports (AOT) et d'Autorités Organisatrices de la Mobilité (AOM), d'acteurs académiques. Nous accueillons même une actrice internationale qui viendra partager l'expérience de son pays, en espérant que tous ces éléments permettront d'alimenter le meilleur débat.

Nous allons commencer l'après-midi par un dialogue introductif à deux voix, après lequel nous entamerons la première table ronde. Nous aurons ensuite un échange avec la salle avant de lancer la seconde table ronde, suivie d'un second échange puis de la conclusion.

Dialogue introductif

Mme Élodie Trauchessec. - L'expérience multi-facettes de Jean Coldefy est très intéressante. Après plus de vingt ans dans le secteur privé autour de la mobilité sur des projets d'infrastructures, vous avez eu une activité de responsable dans une AOM, sur des sujets de gestion du trafic et de tarification. Plus récemment, vous exercez la fonction de directeur du programme Mobilité 3.0 à l'ATEC-ITS France et avez participé aux Assises de la Mobilité.

Gilles Dansart, vous êtes journaliste spécialisé en transports et rédacteur en chef de Mobilettre. Messieurs, je vous donne la parole pour un premier temps d'échanges destiné à poser le contexte et les défis actuels. Nous reviendrons ensuite vers vous dans un deuxième temps pour aborder les solutions et les mises en garde.

M. Jean Coldefy, directeur du programme Mobilité 3.0 à l'association ATEC-ITS France. - Je vais procéder à une présentation assez courte sur les enjeux de mobilité. Avant de parler de « tarification à l'usage », il faut en effet comprendre le contenu de cette tarification et les raisons.

Ce diagnostic réalisé il y a plus de deux ans, apparaît aujourd'hui assez parlant au vu de l'actualité. Nos territoires sont très diversifiés.

La voiture à la campagne n'est pas un problème mais une solution. Nous avons en effet trop tendance en France et particulièrement à Paris, à oublier que la capitale possède le réseau de transports urbains le plus dense au monde, et que les Parisiens ne sont que 20 % à prendre leur voiture pour aller travailler dans la mesure où ils disposent d'un grand nombre de solutions alternatives. Ce n'est pas le cas de la périphérie et des ruraux. En première couronne de Paris, 50 % des personnes utilisent leur véhicule pour se rendre à leur travail, et le taux monte à 80 % en deuxième couronne. Le problème tient à la sous offre actuelle, reliant les périphéries aux agglomérations. Les gens ne prennent pas la voiture parce qu'ils sont « dépendants », mais parce qu'ils n'ont pas le choix. À titre d'exemple, dans la périphérie de Lyon, pour une communauté d'agglomération de 105 000 habitants, seuls deux trains de 700 places chacun permettent d'arriver avant neuf heures dans le plus gros centre d'emplois de Lyon. De ce fait, 50 000 personnes empruntent l'autoroute au quotidien. Par conséquent, donner à ces personnes des leçons d'écologie n'est pas pertinent. Cette situation, qui dure depuis plus de vingt ans, n'est pas de la responsabilité de l'État mais des collectivités, dont je fais partie. Il existe un important travail d'articulation entre la région et les agglomérations à mener.

Dans certaines zones de détresse économique, la valeur foncière des biens s'est effondrée. Les habitants concernés sont contraints d'aller travailler dans des centres urbains très éloignés, dans lesquels le prix du logement a été multiplié par trois depuis vingt ans. De ce fait, en l'absence de possibilité de se relocaliser, ils sont absolument tenus d'emprunter leur véhicule.

Une carte que je présente détaille l'allongement des distances, pour toutes les personnes qui manifestent actuellement, et qui se trouvent dans une situation économique difficile. La tarification de la mobilité s'inscrit donc dans le cadre des liaisons entre les périphéries et les agglomérations.

M. Gilles Dansart, journaliste spécialisé en transports, rédacteur en chef de Mobilettre. - La question de la voiture, qui est en effet prégnante car elle concerne 80 % des déplacements, a tout de suite été évoquée. Je vais néanmoins être d'abord archaïque. Tout se passe comme si la crise du transport public obligeait à une innovation des offres, et comme si la crise des financements contraignait à une innovation des financements et des tarifications.

Certes les crises peuvent susciter des réactions salutaires, mais il faut s'interroger sur les raisons de cette crise des transports et des financements. Sur ce sujet, deux questions nécessitent d'être posées avant de recourir à la tarification à l'usage. En premier lieu, faut-il renoncer aussi vite à certains principes de la mobilité à la française ? La forfaitisation, le droit aux transports, la solidarité et l'égalité entre les citoyens ne doivent pas être omis.

La deuxième question peut paraître archaïque : faut-il renoncer au report modal et à une politique générale de l'État et des collectivités en faveur d'une politique plus écologique ? Je pense qu'il faut aborder ce préalable pour rappeler un certain nombre de points forts. Très nettement, la notion de péréquation découpe la mobilité en tranches, certaines rentables et d'autres moins. Toute notion même de réseau est basée sur la coexistence du rentable et du non rentable. C'est comme si l'on disait à un agriculteur dont la maison se situe à vingt kilomètres de toute autre habitation, que l'électricité ne lui sera pas fournie en raison de l'absence de rentabilité. Bien évidemment, la solidarité est nécessaire.

Avant d'aborder les solutions, il convient de revenir sur les responsabilités respectives de l'État et des collectivités locales. Ces dernières ont des responsabilités propres, de même que l'État est responsable de ne pas avoir accordé à certaines collectivités locales les financements et moyens nécessaires. Tel est le coeur du débat sur la LOM : est-il sérieux d'ouvrir certains champs d'innovation dans le domaine des mobilités sans attribuer aux collectivités les ressources adéquates ? Il est indispensable de s'interroger sur ce point pour éviter de mettre en place des modèles économiques déséquilibrés. En conséquence, cette question des financements, qui se situe au centre du problème, a trait à l'équilibre entre centralisation et décentralisation. L'État ne doit pas hésiter à se remettre en question sur certaines de ses méthodes.

Je pense aussi qu'avant d'aller vers cette tarification à l'usage, qui a le grand mérite de poser la question de la qualité de service et de la performance des opérateurs publics, il faut aussi mettre l'accent sur le respect d'un certain nombre de fondamentaux des transports publics. L'ensemble de la réflexion doit être menée en parallèle de la recherche de nouveaux modes de déplacement, mais il ne faut pas renoncer à garantir le respect des grands principes du transport public, afin d'éviter sa désagrégation.

M. Jean Coldefy. - Je développerai quelques points pour situer les aspects financiers. S'agissant du ratio recettes sur dépenses d'exploitation (c'est-à-dire la couverture par l'usager des coûts des frais d'exploitation des réseaux de transports), il est frappant de constater qu'en 1975 en France, 70 % des coûts des transports étaient financés alors que le taux est aujourd'hui descendu à 25 %. La seule exception notable est celle du réseau de Lyon, dont le ratio recettes sur dépenses atteint 60 %. En Allemagne, le ratio avoisine 70 % sur l'ensemble du territoire. Concrètement, les gens ont l'impression de payer cher le transport en commun, alors qu'en réalité c'est l'inverse. La plupart des clients des transports en commun étant des clients réguliers, la solution du forfait a été imaginée dans un esprit de facilitation. Or cette disposition a rendu le coût marginal du transport en commun nul, ce qui a totalement ruiné l'économie de ce service public. Pour y remédier, la France a créé le versement transport (VT), un impôt unique au monde qui a coûté sept points de marge aux entreprises. C'est ce qui sépare la France de la moyenne européenne : la France est le pays de l'Union européenne où le taux de marge est le plus faible. Si l'on veut que les entreprises investissent et innovent, il faut leur laisser un peu de marge.

Par ailleurs, si l'on ramène le litre d'essence à l'heure de SMIC, il faut rappeler que le coût a été divisé par cinq en cinquante ans, de même que le coût d'achat de la voiture. L'hybride rechargeable en urbain, qui arrivera d'ici 2020, diminuera le coût de la voiture par deux, de sorte que l'usage de la voiture aura tendance à augmenter. Par conséquent, il est important de prendre en compte cette baisse structurelle du coût de l'essence.

L'autre point sur lequel j'insisterai, concerne les « simplistes urbains ». Les trottinettes électriques sont un sous-phénomène concernant uniquement les Parisiens et peut-être, les Lyonnais. Le vrai sujet est la périphérie, dans laquelle la part modale de la voiture atteint 80 %. Il s'agit d'un réel problème car le recours massif à la voiture génère de la congestion et de la pollution. Comment relier les agglomérations avec leur aire urbaine ?

Il faudrait réfléchir, entre agglomérations et régions, sur le service rendu aux personnes par rapport aux prélèvements effectués. De ce point de vue, les dispositions supprimées dans le projet LOM devraient être réintroduites pour réconcilier les agglomérations avec leur grande périphérie (à 60 kilomètres).

Il convient d'agir simultanément sur quatre leviers.

Le premier axe est celui de l'infrastructure, avec la nécessité de mettre en place des parcs relais en multipliant l'offre par cinquante, ainsi que des voies réservées et des échangeurs. Dans les centres urbains, il convient de déployer des pistes cyclables et de prendre en charge la gestion du trafic.

Par ailleurs, le déploiement de cars express en masse est un impératif : entre 7 heures 30 et 8 heures 30, un car toutes les trois minutes s'impose. L'ensemble de ces mesures ont un coût.

En troisième lieu, un accès simplifié aux offres de mobilité doit être mis en place : c'est l'axe du numérique. Le savoir-faire existe, à la condition qu'un financement l'accompagne.

Enfin même si dans la période actuelle, il semble important de ne pas agiter de « chiffon rouge », le péage urbain apparaît comme une solution. J'ai procédé aux chiffrages à Lyon, et cela fonctionnerait très bien. Un euro par passage uniquement pendant les jours ouvrés et hors vacances permettrait un financement sans difficulté.

Faire croire que nous financerons la transition écologique en s'endettant et en reportant le problème sur les générations futures serait contre-productif. En revanche, il convient de trouver des solutions alternatives cohérentes, tout en les finançant par le péage urbain ou le contribuable.

Néanmoins, il faut d'abord parler du projet avant d'évoquer le sujet du financement.

M. Gilles Dansart. - Pourquoi à Lyon existe-t-il une grande acceptabilité du tarif ? Tout simplement parce que la qualité de service et les perspectives de développement continu sont présentes.

M. Jean Coldefy. - Les tarifs à Lyon ne sont en outre pas plus élevés qu'ailleurs.

M. Gilles Dansart. - Pourquoi n'y a-t-il pas de contestation des tarifs des vélos en libre-service ? Pour la même raison de qualité de service.

La qualité de service représente donc le point clé, le point de départ de toute acceptation des politiques de mobilité. Les tarifications à l'usage permettront d'aboutir à des offres bien calibrées et exécutées, avec une grande qualité de service.

Par ailleurs, il convient de mettre en place davantage de régulation de qualité, ainsi que des investissements bien conçus. Pendant longtemps, les acteurs publics se sont contentés de proposer des offres de transports. Philippe Duron ici présent a, depuis de nombreuses années, rappelé qu'il fallait mettre l'accent sur les hubs et les lieux d'intermodalité, dans lesquels se déclenchent l'ensemble des modes de transport. Si la tarification à l'usage de développe sur les décombres d'une mobilité défaillante, les défaillances se répercuteront en cascade.

Finalement dans le monde moderne, le citoyen sera de plus en plus décisionnaire du mode de transport qu'il empruntera. La consommation actuelle de mobilité est laissée à son appréciation dans un certain nombre de cas. Dans d'autres, la mobilité est encore contrainte, comme le RER A à Paris. Néanmoins de plus en plus fréquemment, l'offre multiple permet au citoyen de choisir. Cela ne signifie pas pour autant que dans de très nombreux cas, le citoyen n'aura pas d'autre choix que celui de prendre la voiture. Les enquêtes montrent que les choix de logement sont de plus en plus dictés par la présence de moyens de transports. À Bayonne, le prix du mètre carré a grimpé à 5 600 euros le long du Trambus.

Enfin, il ne faut pas oublier les impératifs de simplicité et de lisibilité, sans lesquels toute innovation en matière tarifaire et de mobilité serait condamnée à l'échec. De ce point de vue, un grand défi est posé aux collectivités locales en matière de billettique, d'information et de tarification.

Mme Élodie Trauchessec. - Un grand merci à tous deux pour ce dialogue introductif. J'en retiens quelques grands axes, au premier rang desquels le focus sur le périurbain. Il y a une offre à créer et améliorer en termes d'infrastructures. De plus, le numérique sera un facilitateur. Enfin, la qualité devra être financée. L'amélioration ne pourra reposer que sur une compréhension fine du besoin des territoires périurbains, en insistant sur la simplicité, avec un effort sur la gouvernance.

L'innovation dans les territoires

Mme Élodie Trauchessec. - Je propose de donner la parole aux territoires. Le premier intervenant est Michel Neugnot, Président de la Commission Transports et Mobilité de Régions de France.

M. Michel Neugnot, président de la Commission Transports et Mobilité de Régions de France. - Je suis aussi premier vice-président de la région Bourgogne-Franche Comté, en charge des mobilités et du transport. J'ai beaucoup apprécié la mise en bouche de Gilles Dansart et de Jean Coldefy, qui a posé la problématique et le travail restant à accomplir à l'occasion de la loi LOM. La grande transformation à réussir est celle du passage de la LOTI (loi d'orientation des transports intérieurs) à la LOM, avec pour fil conducteur de se mettre à la place du voyageur. Un grand nombre de gens n'ont pas d'autre solution que celle de la voiture. Les montrer du doigt comme des pollueurs ne pensant pas à l'avenir de la planète, ou plutôt de l'humanité, n'est pas approprié. Nous devons enclencher un nouveau mouvement, par opposition à la conception selon laquelle ce serait toujours à l'autre de changer ses habitudes sans se remettre en cause soi-même.

Passer d'un système à un autre, doit se faire progressivement. Encore faut-il que l'objectif final soit partagé par tous. Plutôt que les territoires, je préfère évoquer leurs habitants, qui se trouvent dans des situations diverses. Les solutions qui leur sont données sont parfois disproportionnées en qualité. Le vrai problème est de les porter à la connaissance de tous. Dans une métropole, les systèmes d'information sont ceux que procurent les nouvelles technologies. La première commune à l'extérieur, qui se trouve quatre à cinq kilomètres plus loin, n'en bénéficie pas. La troisième couronne est mal identifiée. Sur les territoires, l'utilisation de la voiture est beaucoup plus onéreuse que celle des transports en commun dont bénéficient les métropoles. Il convient donc de se préoccuper de ces territoires. Pour l'heure, le partage de la voiture est la première réponse dont nous disposons, susceptible d'être efficace et de comporter des effets immédiats.

En tout état de cause, parler « des » territoires ne résout rien. En premier lieu, il existe une nécessité d'informer en temps réel sur toutes les solutions de mobilité existantes sur les territoires, aussi bien la mobilité douce (marche à pied) que le covoiturage et l'autopartage, et les mobilités organisées.

Le deuxième point est d'acquérir une grande facilité d'usage. Ensuite, vient la qualité de service. Même en milieu rural, le temps compte de plus en plus. Sans qualité de service, les gens préfèreront revenir au véhicule individuel.

Les technologies nouvelles, qui peuvent être autant de facteurs d'exclusion, représentent aussi des solutions d'inclusion. Néanmoins à chaque mise en place d'un dispositif, il ne faut pas espérer couvrir tous les champs de solutions. C'est l'addition de solutions qui fonctionnera. Il faut accepter qu'une solution ne couvre que 20 % des besoins, sans qu'aucune ne soit imposée. Le travail sera construit avec les élus et les associations, localement. C'est cela que nous souhaitons dans la LOM.

Nous avons beaucoup oublié que la liberté tarifaire donnée aux régions modifiait totalement leur comportement. Les produits doivent être vendus dans un marché concurrentiel. En Bourgogne Franche-Comté, 800 000 euros ont été consacrés par le budget pour vendre des mobilités. Cela choque tout le monde. Or je pense qu'il peut y avoir un équilibre différent à réussir.

Il faut que tous les systèmes d'information puissent aboutir au même service.

Mme Élodie Trauchessec. - Merci Monsieur Neugnot. Madame Keller devait notamment nous parler d'un rapport qu'elle a rédigé sur les instruments financiers au service de la mobilité, précisément les péages urbains. Monsieur Coldefy a accepté de la remplacer au pied levé.

M. Jean Coldefy. - Je reviens à ma présentation sur le financement. Les péages urbains se voient opposer l'argument d'être injustes et antisociaux. Mesdames et messieurs les parlementaires, la disposition sur les péages urbains retirée in extremis du projet de LOM, en raison du mouvement des gilets jaunes, ce que l'on peut comprendre, précisait bien qu'il s'agissait uniquement d'une possibilité. C'était un outil laissé aux grandes villes pour tarifer l'usage de la voiture. De plus, l'objectif n'était pas de pénaliser la voiture pour le principe, mais de créer des fonds pour financer les mobilités. En d'autres termes, cette taxe était affectée. À Göteborg et à Stockholm, qui viennent de mettre en place les péages urbains, les montants nécessaires pour construire des pistes cyclables et des infrastructures de transport en commun ont été détaillés. Puis il a été expliqué que le financement aurait pu provenir de l'impôt ou de l'usage de la voiture, et que cette seconde solution avait été privilégiée. La présentation de la finalité compte beaucoup dans l'acceptabilité de la mesure.

Dans le projet LOM a été conservée l'obligation, pour les villes touchées par des pics de pollution, de mettre en place des zones à faibles émissions. Concrètement, il s'agit de demander aux citoyens de ne plus emprunter leur voiture pour se rendre au travail, ou alors de changer de véhicule, le tout sans solution alternative. Il est à craindre que cette mesure suscite une nouvelle incompréhension, car elle est totalement antisociale et dressera encore plus les périphéries contre les centres villes. De plus, les subventions mises en place pour changer de voiture profiteront aux plus aisés. Le revenu médian français s'élevant à 1 800 euros, les citoyens concernés n'auront pas les moyens de remplacer leur ancien véhicule, même moyennant l'allocation d'une prime de 5 000 euros. Par conséquent seuls les cadres en profiteront pour changer de voiture avec l'aide de la collectivité, et ce pour la plus grande satisfaction des constructeurs automobiles. Une telle mesure est inefficace et antisociale. Pour passer aux vignettes Crit'Air 3, il faudrait empêcher la moitié des citoyens de travailler.

Les péages urbains sont indispensables pour éviter la congestion et la thrombose des villes. Bordeaux en est un exemple révélateur. Les péages urbains nécessitent des investissements très coûteux. Même une agglomération fonctionnant très bien, comme celle de Lyon, ne saura pas financer un mode de transports en commun lourd sans mettre en place les péages urbains. La baisse des fonds publics est en effet durable en France. Le déficit public de 3 % représente une dette qu'il conviendra un jour de rembourser, sous peine de subir les mêmes difficultés que la Grèce.

Le financement des transports en commun a aujourd'hui atteint sa limite, dans la mesure où il n'est plus possible d'augmenter le VT sans atteindre la compétitivité des entreprises. Le Pass Navigo à Paris a un coût de 75 euros mensuels, alors que le coût de l'abonnement correspondant s'élève à 140 euros à Madrid, 190 euros à Berlin et 400 euros à Londres. Il existe donc une anomalie flagrante.

Par ailleurs, l'usage de la voiture augmentera de façon rapide, grâce à la baisse du coût structurel de cet usage, étant en outre rappelé que tous les constructeurs automobiles travaillent sur les batteries rechargeables. De plus, l'attractivité des agglomérations continue à s'accroître en raison de la concentration des emplois, ce qui va occasionner une hausse des flux de déplacements et des distances.

Dans un tel contexte, l'objectif est d'orienter et réguler le trafic automobile pour assurer l'accessibilité des territoires. Il convient que les agglomérations assument leur statut de moteur économique par rapport à la périphérie. Jusqu'à présent, le choix politique que nous avions collectivement effectué était d'accepter la congestion. À présent que les rapports en ont démontré la nocivité en raison de la pollution occasionnée, nous sommes parvenus à la conclusion qu'il fallait modifier la situation.

Il faut donc tarifer la mobilité à l'usage et étendre à la voiture le principe de cette tarification. Au passage, observons que l'automobile est le seul mode de transport non tarifé à l'usage à l'heure actuelle. Il convient d'instaurer cette mesure de manière équitable, sans pénaliser les zones rurales et les gens pour lesquels la voiture n'est pas un problème. Pour les périphéries, la mesure ne devra entrer en vigueur qu'une fois les alternatives mises en place. De plus, il est possible d'exonérer les plus faibles revenus de la mesure.

La taxation à l'usage met en place des péages de financement accessibles, avec un support pour déployer l'ensemble des mobilités. De plus, la mesure ne se conçoit qu'en fléchant les recettes, dans une forme de contrat entre les agglomérations et les régions. Si nous avions des considérations non politiciennes et le souci des Français, c'est ce que nous ferions. Il faut sortir du schéma pervers actuel de la régulation par la congestion et du financement des mobilités par l'impôt. Ce système très déresponsabilisant nous conduit aujourd'hui dans une impasse financière, écologique et sociétal.

Pour les agglomérations qui l'ont mis en place, le péage urbain a entraîné entre 25 % et 30 % de trafic en moins. Ces agglomérations, à l'instar de Milan, ne sont jamais revenues en arrière. Les systèmes qu'elles ont mis en place sont très différents de celui de Londres, qui est onéreux et élitiste. Il y a donc plusieurs manières de concevoir des péages urbains.

Mme Élodie Trauchessec. - Merci infiniment Monsieur Coldefy pour cette présentation au pied levé sur les péages urbains. Je vous propose un dernier cas pratique consacré à Toulouse. Nous accueillons Jérôme Kravetz, de Tisséo Collectivités, le syndicat mixte des transports de Toulouse, qui gère le réseau de transports enrichi de l'agglomération de Toulouse. La présentation portera sur le système de transports intégré mis en place.

M. Jérôme Kravetz, directeur des mobilités de TISSEO Collectivités. - Merci d'avoir pensé à nous inviter. Au vu des premiers débats, je constate que Toulouse présente la spécificité d'être plus grande qu'une agglomération. TISSEO regroupe à la fois une métropole, deux communautés d'agglomérations et un syndicat mixte intercommunal réunissant lui-même des communes ayant confié leur compétence transports à TISSEO.

Nous avons donc l'avantage d'être présents dans 115 communes. Les débats qui viennent d'avoir lieu représentent notre quotidien. Il faut répondre aux besoins d'hyperdensité de la ville de Toulouse, et en même temps à ceux des zones beaucoup moins denses. Ce contexte spécifique a sous-tendu tout le projet de mobilité de TISSEO pour 2018, qui prévoit 4 milliards d'euros d'investissements, avec un panel de solutions pour les zones denses et économiques, aussi bien que pour les connexions des deuxième et troisième couronnes aux centres économiques.

Dans le cadre de ce plan de déplacements urbains (PDU), il nous a paru important de pouvoir nous diriger vers ce que nous appelons la « mobilité intégrée ». Voici un petit film présentant notre ambition.

Un film sur le projet Mobilités de TISSEO est projeté.

Ce n'est pas encore complètement en place, mais c'est le projet. Le film évoque d'ailleurs une tarification qui reliera les différents services. En ce qui me concerne, je propose d'évoquer la « tarification au service » plutôt qu'à l'usage, pour se référer à une notion de qualité.

Pour parvenir à cela, il existe des facteurs clés de succès, au nombre de quatre. Le premier point est celui de la capacité à identifier les services de transport. C'est à l'autorité organisatrice de connaître les territoires et leurs habitants. Je pense, comme l'a dit Monsieur Neugnot, qu'il ne sera pas possible de mettre en place une même offre sur tous les territoires. Ce premier point de la définition du service ne peut que se baser sur la définition d'un modèle économique efficace. Comme cela l'a été dit en préalable de cette réunion, il y a aujourd'hui des prédateurs sur le marché, qui se présentent comme des opérateurs de mobilité, mais qui viennent en réalité chercher des subventions.

Une fois le modèle économique validé pour la soutenabilité financière des collectivités, il sera ensuite nécessaire de réussir à le contractualiser. Le modèle des délégations de service public (DSP) semble en effet un peu lourd, car le délai de dix-huit mois paraît trop long pour des start-ups.

Les troisième et quatrième facteurs sous-tendent le reste. Les systèmes d'information et la billettique unique ne peuvent s'entendre sans prendre en compte les infrastructures et les systèmes numériques. Aujourd'hui, TISSEO constate que l'échéance de temps est celle de 2022 et 2024 dans la mesure où des investissements colossaux sont à réaliser sur les systèmes billettiques, pour déployer des formats de données compatibles entre elles et sécurisées par les autorités organisatrices, seules garantes de la réassurance des usagers.

Mme Élodie Trauchessec. - Un grand merci à nos trois premiers intervenants.

Échanges avec la salle

Mme Élodie Trauchessec. - Je propose que nous laissions tout de suite la parole aux participants, de façon dynamique et synthétique. Je vous remercie de vous présenter au préalable.

M. Corentin Lemaître, consultant mobilité durable et urbanisme. - Je suis consultant et je travaille beaucoup avec les données de mobilité. Ma question porte sur la transition entre le modèle actuel et le futur modèle de tarification. Les gens, une fois qu'ils ont investi dans une voiture, considèrent qu'ils doivent l'utiliser. Pour changer de pratique, une transition est nécessaire et donc un modèle alternatif en partie financé par le péage urbain. Comment imaginer cette transition, avec le moins de laissés pour compte possible ?

M. Jean Coldefy. - Votre vision est celle d'une société sans voiture, et je la remets en cause car elle n'est pas du tout partagée. Dans la plupart des agglomérations, pour un habitant de la périphérie, deux ou trois habitent les deuxième et troisième couronnes. Il serait totalitaire de vouloir que ces gens n'aient pas de voiture. L'étalement urbain est un fait, et il faut gérer les difficultés qu'il suscite aujourd'hui. Dans les centres urbains, les offres sont déjà pléthoriques. La vraie difficulté est ailleurs. En zone rurale, la voiture n'est pas un problème mais une solution. Il conviendra seulement de prêter attention à ceux qui ne peuvent plus conduire. Dans le domaine du transport à la demande aujourd'hui, le coût varie entre 25 et 40 euros le voyage. Demain, peut-être sera-t-il possible que des AOM mettent en place des services par lesquels des individus ou des associations transporteraient des individus.

M. Corentin Lemaître. - Je ne voulais pas dire que la voiture n'était pas une solution à long terme. Cependant, la contrainte du péage urbain qui permettrait de financer les transports collectifs, ne sera pas mise en place en même temps que l'offre alternative. Le vrai frein ne résiderait-il pas justement dans cette transition ?

M. Jean Coldefy. - J'ai donc mal compris votre question, je vous prie de m'en excuser. Pour l'acceptabilité des péages urbains, je pense qu'il faudra mettre en place les autres solutions de mobilité en même temps.

M. Philippe Segretain, ancien délégataire de service public du transport. - J'ai été très frappé par les premiers propos, qui ont montré que le droit au transport se fracturait contre la dramatique baisse tendancielle du R sur D.

Pour autant dans les solutions proposées, qui montrent bien le rôle de l'autorité organisatrice de mobilité et celui du consommateur, je n'ai pas entendu l'un d'entre vous parler des opérateurs de transport public. Ceux-ci ont-ils encore un rôle comme investisseurs et preneurs de risques, ou la liberté des consommateurs a-t-elle pour conséquence de n'interpréter la relation qu'entre l'autorité organisatrice et le consommateur final ?

M. Michel Neugnot. - Je pense avoir dit exactement l'inverse, de même que Jérôme Kravetz. La relation s'entend entre l'AOM, qui est donneur d'ordre et les opérateurs. Il s'agit toutefois de problématiques entre nous, qui n'apparaissent pas aux yeux du voyageur.

En revanche la construction du projet sur un territoire doit s'effectuer en associant au maximum les voyageurs potentiels et les élus locaux. L'élu de base ne se sent concerné que par ce qui ne fonctionne pas dans les transports. Tout le pari des AO est dans la capacité que nous aurons à partager un projet avec les citoyens et les élus qui les représentent localement. Le débat est biaisé. Il faut que la LOM nous permette d'institutionnaliser ces formes de relations nouvelles, pour nous trouver dans un minimum commun. À cet égard, la nouvelle rédaction de la loi nous pose problème sur cette capacité que nous aurons à entraîner la région chef de file. Encore faut-il que la loi précise clairement le chef de file, sans se contenter de définir les territoires de mobilité. Il faut aussi décrire ce qui se passera au quotidien dans les territoires de mobilité. Devrons-nous laisser la main de manière aléatoire à chacune des collectivités du bloc communal, ou au-delà du rôle de chef de file, y aura-t-il un rôle d'architecte ?

M. Jérôme Kravetz. - Nous avons parlé du modèle économique, qui se discute forcément avec les opérateurs, qui ont donc toute leur place. Nous avons aussi parlé de qualité de service et de relation à l'usager. De ce point de vue, les opérateurs doivent être de bons challengers sur la qualité de service et nous y aider. En revanche, la définition du service associé à un territoire est une compétence que nous possédons, et que nous souhaitons maîtriser. Il existe en effet des liens entre une AO et les territoires.

M. Michel Neugnot. - Pour qu'il n'y ait pas de méprise, je parlais des AOM potentiellement à créer, et non pas de celles existantes, qui sont urbaines.

M. Olivier Jacquin. - Je souhaitais réagir à la question portant sur le rôle de l'opérateur, et la traduire dans un dossier régional très concret. Nous avons un projet autoroutier dans ma région de Lorraine, dans lequel la puissance publique ne parvient pas à sortir des propositions du XXe siècle. Le débat public actuel vise à mobiliser d'autres ouvertures d'esprit pour composer de l'intermodalité et proposer de l'innovation sur les autoroutes, que le cadre règlementaire semble ne pas vouloir accepter.

M. Christophe Boutin, délégué général de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA). - Nous avons porté des propositions dans le cadre de la LOM pour favoriser l'accueil de nouveaux types de services sur nos réseaux, particulièrement dans les dessertes des zones périurbaines où nous pensons avoir un rôle clé à jouer. Je souhaite apporter un témoignage sur le sujet de la tarification, très sensible dans le domaine des autoroutes, pour lequel le ratio R sur D se défend en maintenant un « R » (recettes) de bon niveau.

En France, nous avons parfois du mal à oublier que lorsque les tarifs augmentent moins vite que l'inflation, cela signifie qu'ils baissent. Cette équation est fondamentale dans la culture économique. Je ne connais pas en détail le monde des transports collectifs, mais je crains que ce facteur ne soit politiquement compliqué à défendre. Par conséquent, maintenir les tarifs nécessite un courage politique fort en France. Lorsque nous sursoyons à des hausses, nous sommes dans le cadre contractuel protégé du contrat de concession, qui nous permet d'investir dans le réseau. En l'absence de ce modèle contractuel, la base des revenus de la collectivité fournissant le service s'érode progressivement.

M. Gilles Dansart. - Rien n'est possible sans des autorités organisatrices compétentes et fortes, aussi bien sur votre activité que dans le domaine du ferroviaire et dans celui de l'urbain, avec les collectivités urbaines.

Hormis les régions Franche Comté-Bourgogne et Grand-Est, toutes les régions ont des problèmes de compétences pour être des interlocuteurs valables vis-à-vis des opérateurs. Il ne faut donc pas se voiler la face. On peut même dire que dans le domaine urbain, certaines rencontrent de vraies difficultés à s'imposer dans le domaine de l'urbain, que ce soit à cause de dérives démocratiques ou de non attractivité des emplois qu'elles proposent par rapport au privé.

Quant à l'État, il a aussi quelques lacunes. Vous parliez d'innovation autour des autoroutes. Pourquoi l'État ne fixerait-il pas une norme minimale pour encourager le covoiturage sur autoroute ? Pourquoi l'État est-il lacunaire de ce point de vue ?

Je terminerai par la plus grosse autorité organisatrice de France, Île-de-France Mobilités (IDFM), qui est évidemment confrontée à l'ensemble de ces difficultés. Cette question de la gouvernance de l'AO doit être clairement évoquée.

M. Jean Coldefy. - IDFM, à la grande différence des autres AO, a en face d'elle un opérateur dont le monopole est garanti par la loi à des échéances très lointaines. La capacité de négociation d'IDFM est donc beaucoup plus restreinte que celle d'une AO remettant en concurrence sa délégation de service public tous les six ans sur les transports en commun.

La question est intéressante car elle émane d'un acteur du secteur autoroutier, volontiers vilipendé dans la presse. À Lyon, où coexistent deux autoroutes payantes et deux autoroutes gratuites pour accéder à l'agglomération, le taux de covoiturage sur l'autoroute payante est cinq fois plus important que sur l'autoroute gratuite. Par conséquent lorsque la tarification est instaurée sur l'usage de la voiture, le covoiturage augmente. En Île-de-France, la subvention du covoiturage à hauteur de 2 euros par trajet par IDFM ne représente que 2 500 voyages, toutes plateformes confondues. Il s'agit donc d'un échec total. Par conséquent, la politique doit réunir différents axes : la tarification, les voies réservées, et la qualité de service.

En troisième lieu, j'ai toujours été frappé par le fait que le système public adaptait toujours son niveau de dépenses à son niveau de recettes. Dans le privé c'est l'inverse : le plus facile est de baisser les dépenses. Aujourd'hui, les sociétés d'autoroutes dégagent des recettes pour l'État à hauteur de 3 milliards d'euros répartis entre l'impôt sur les sociétés, la taxe d'aménagement du territoire, la redevance domaniale et la TVA. S'il était mis un terme aux concessions, le déficit serait alors de 3 milliards de revenus par an.

Par conséquent, il faut prendre garde avant de vilipender un système et de le jeter en pâture aux médias. On ne peut pas reprocher à des acteurs d'avoir consenti des investissements il y a quinze ans, et d'optimiser le système en diminuant les dépenses.

M. Jérémie Almosni, chef du service Transport et Mobilité de l'ADEME. - Je vous remercie pour ces éléments de débat très éclairants. Je souhaite communiquer des éléments supplémentaires, issus notamment de l'Observatoire sur les mobilités émergentes que nous venons de lancer, en sondant 4 000 foyers sur leurs pratiques de mobilité. Pour ma part, je soutiens la théorie « totalitaire » de l'érosion de la part du véhicule. Il a en effet été observé en 2016 sur les 4 000 foyers sondés, que 59 % d'entre eux disaient utiliser quotidiennement leur véhicule. En 2018, cette part est passée à 50 %. Il existe donc une légère érosion, attribuée à deux séries de raisons. Le premier levier est plutôt d'ordre personnel, lié à la sensibilité environnementale : 68 % des personnes interrogées déclarent avoir changé au moins une fois leur mode de mobilité dans les deux derniers mois pour des raisons écologiques, à la condition qu'il existe des offres disponibles.

L'autre point est lié à la question du coût. Au-delà du tarif envisagé comme une contrainte, ne pourrait-il pas exister d'incitation en tant que récompense sur le modèle des Pays-Bas, en privilégiant les comportements vertueux au quotidien ?

Enfin, s'agissant des leviers de transformation, la question des données est un élément fondamental sur lequel le numérique sera un accélérateur. Je suis intimement convaincu qu'à l'aide du numérique, le faire-savoir permettra de faire émerger les offres alternatives et ce, indépendamment des catégories socioprofessionnelles. Le numérique peut également être envisagé comme un assistant personnel de la mobilité, pour un choix au quotidien.

Mme Élodie Trauchessec. - Je vois que d'autres mains se lèvent. Je propose cependant de passer à la seconde table ronde, car vos questions resteront pertinentes après celle-ci.

Les financements et la tarification des mobilités

Mme Élodie Trauchessec. - Nous allons commencer par une tarification particulière, à savoir la gratuité. Nous accueillons Jean-François Mayet, sénateur de l'Indre, qui intervient aujourd'hui en sa qualité d'ancien maire de Châteauroux. Il est le premier à avoir mis en place la gratuité totale des transports publics.

M. Jean-François Mayet, sénateur. - Mesdames et Messieurs, chers collègues, merci de me donner l'occasion de parler d'un sujet qui a occupé mon premier mandat en 2001. Châteauroux a le profil moyen de chef-lieu d'un département rural, qui compte 50 000 habitants et avait déjà perdu 20 % de sa population en 2001. Cette population était très vieillissante, puisque 60 % des Castelroussins avaient à cette époque plus de 66 ans. À l'époque, l'opérateur national était mal utilisé et la billetterie ne rapportait que 14 % du coût global des transports. Le service était en outre très incomplet, dans la mesure où le territoire n'était pas entièrement desservi. De plus, les zones industrielles n'étaient pas non plus desservies. J'étais président de la chambre de commerce, et les entreprises attendaient que je prenne une décision en la matière.

Nous avons décidé de la gratuité du jour au lendemain, en supprimant quatre postes de contrôleurs et en continuant de faire de la publicité. Au cours des deux premières années, la gratuité a occasionné un coût nul pour la collectivité. En quelques années, nous sommes passés de quinze à trente bus, puisque le nombre de passages a été porté de 1,4 million à 5 millions. Nous avons triplé les passages en deux ans et demi, ce qui a permis de donner de l'espoir aux personnes âgées isolées. J'ai gardé des dizaines de lettres de personnes âgées, principalement des femmes, me remerciant de les avoir guéries de leur dépression.

Aujourd'hui, le versement transport ne suffit plus. En 2018, il faudra rajouter 900 000 euros, ce qui est supportable pour une communauté d'agglomérations. Nous avons été beaucoup visités, notamment par Dunkerque, Gap et de nombreuses villes étrangères. Dans une ville de 50 000 habitants à population rurale, je pense qu'il faut mettre en place la gratuité.

Nous avons en outre déployé des parkings et créé de l'emploi intra-muros, à quelques mètres de la gare. À Châteauroux, le covoiturage fonctionne également de façon satisfaisante.

Nous avons instauré un système d'amortissement des bus en six ans, et de remplacement à l'issue de cette période.

Telle est mon expérience personnelle. Je ne considère pas que cet exemple soit applicable à toutes les villes, mais il peut à tout le moins l'être dans un grand nombre d'entre elles.

Mme Élodie Trauchessec. - Merci Monsieur le sénateur. Nous poursuivons avec la présentation suivante. Monsieur Michel Savy, professeur émérite à l'université Paris-Est et président du think tank de l'Union Routière de France (URF), va nous apporter un éclairage quelque peu différent, du point de vue du transport de marchandises.

M. Michel Savy, Professeur émérite à l'Université Paris-Est, directeur de l'Observatoire des politiques et des stratégies de transport en Europe. - Avant d'aborder le thème que vous me proposez, j'observerai que dans nos débats, les raisonnements sont conduits comme s'il s'agissait d'abandonner la voiture, dans une sorte de « tout ou rien ». Or l'analyse des mobilités montre qu'il existe une élasticité, une certaine souplesse à aménager les choses. Espérons-le, une évolution à plus long terme se produira lors du remplacement du véhicule.

J'interviendrai aujourd'hui pour faire part d'un travail mené à bien par le conseil scientifique du think tank de l'Union Routière de France sur la prise en compte des externalités. Cette question est complexe à la fois scientifiquement et politiquement. Je pense que nous sommes dans notre rôle d'éclairer le débat et de proposer des définitions et des chiffrages non polémiques, permettant de caler une discussion démocratique.

Dans le fret, le système de transport n'est pas tout à fait le même. L'auto-transport existe en fret, mais la majorité des trafics intervient pour le compte d'autrui. Dans ce système, le transporteur n'est pas le chargeur, propriétaire des marchandises. Par ailleurs, le fournisseur d'infrastructures peut être un capital public fourni gratuitement ou en concession confiée à des entreprises ayant perçu deux milliards d'euros de dividendes cette année.

L'analyse du fret et de la tarification qu'il subit n'est pas transposable.

Pour ce qui est des externalités, je n'apprendrai rien en disant qu'il y en a des positives et des négatives. Il faut les internaliser, c'est-à-dire faire en sorte qu'elles soient prises en compte dans les décisions des acteurs des transports. Pour un économiste, le terme « externalité » signifie « extérieur au marché ». Le marché n'est pas fait spontanément pour prendre en compte ce qui lui est extérieur.

Les économistes ont été très fertiles, et les termes d'explication sont nombreux. Il y a les externalités pécuniaires et non pécuniaires (externalités technologiques), les coûts privés et les coûts du temps pendant le voyage, les coûts collectifs, les coûts non marchands et non monétaires... Nous nous efforçons donc de réaliser un catalogue de toutes ces notions qui toutes, se regroupent entre le coût moyen et le coût marginal. Il existe par ailleurs des problèmes d'ordre philosophique, qu'il faut accepter d'affronter. Quelles valeurs de référence donnons-nous à ces externalités négatives ? Quelle est la valeur du bruit ? Quelle est la valeur de la vie humaine, qui n'a pas de prix mais une valeur tutélaire permettant à l'État de rationaliser ses dépenses ? Ainsi, nous valons chacun trois millions d'euros.

Les éléments d'internalisation sont divers, et il convient de les détailler. Parmi ceux-ci, figurent la subvention, la taxation et la règlementation.

Nous nous sommes efforcés de fournir des chiffres, en nous inspirant des dernières données du Commissariat général au développement durable du ministère des transports (CGEDD), y compris en incluant les coûts de congestion.

J'en viens à quelques résultats. Le total des coûts externes et des recettes de la route en 2015 démontre que la route est sous-tarifée. Elle couvre les coûts monétaires et non marchands, donc toutes les dépenses d'infrastructures consenties par l'État et les collectivités remboursées par les différentes fiscalités. Le « lobby routier » peut donc à bon droit dire que la route est la vache à lait puisque nous payons 32 milliards d'euros par an pour un coût collectif de 15 milliards d'euros, soit 17 milliards d'euros de recettes fiscales ainsi abondées. Cependant, l'analyse des coûts externes non monétaires démontre que la couverture, pour l'ensemble, tombe à environ 50 % pour le fret et 56 % pour les voitures particulières.

Si l'on compare les modes de transports, le rail comporte un coût social trois fois moindre que celui de la route. Mais ce coût ramené à l'unité des transports démontre que le rail transporte dix fois moins que la route. Il est donc trois fois plus cher par unité de transport.

Pour le fret, l'analyse distingue entre les poids lourds et les véhicules utilitaires légers (camionnettes), qui sont dix fois plus nombreux que les poids lourds. Le nombre des VUL dépasse les six millions, de sorte qu'il existe ici un vrai enjeu d'environnement.

Je pense donc qu'il faut réfléchir à la place particulière que le fret occupe dans notre système de mobilité. La situation est très sensible en ville, puisque le fret urbain représente 20 % de la circulation et 50 % des émissions polluantes. Le financement des externalités pose des difficultés indéniables, comme le démontrent l'écotaxe et la vignette poids lourds, récemment abandonnée alors qu'elle aurait dû être plus importante et mieux expliquée.

J'observe enfin qu'hormis une allusion, le mot « logistique » n'apparaît pas dans l'exposé des motifs de vingt-sept pages du projet de loi LOM. Il y a là par conséquent une lacune, même si tout ne passe pas par la loi. Il s'agit à tout le moins d'une inquiétude si l'on veut améliorer cette loi pour être une loi d'orientation. Il est en effet impossible d'ignorer la composante fret et logistique dans une loi qui entend couvrir le long terme de la mobilité. J'avais prévu de parler de l'exemple suisse, qui constitue un cas passionnant de prise en compte de la répartition de la collecte et d'acceptabilité de la fiscalité. Je m'arrête ici, pour dire que le report modal est nécessaire, mais qu'il ne s'agit pas de l'alpha et de l'oméga des solutions. Le Président de la République a annoncé un large débat public. Nous devrons y participer.

Mme Élodie Trauchessec. - Merci Monsieur Savy pour la transition parfaite avec l'intervenante suivante. Nous allons donner la parole à Marie de Martignac, de l'Office Fédéral des transports suisse, qui expliquera la mise en place de la tarification du transfert de la route vers le rail.

Mme Marie de Martignac, Office fédéral des transports (OFT) suisse. -Comparée à la France, la Suisse est un petit pays comptant 8 millions d'habitants (6 % de la surface de la France), composé de montagnes et de plaines. Ces régions montagneuses ont une grande valeur aux yeux du peuple suisse. En 1994 a été votée l'Initiative des Alpes, c'est-à-dire l'introduction d'un article dans la Constitution fédérale, visant à protéger les régions alpines des effets nuisibles du transit de marchandises. Ce texte a servi de base à une politique du transit de marchandises de la route vers le rail. La mesure a été introduite par le peuple à la suite d'une initiative populaire, acceptée par votation. Depuis lors, il s'agit d'un véritable mandat sur une très longue durée.

Trois principaux piliers sont prévus pour mettre en place la politique de transfert de la route vers le rail : l'infrastructure ferroviaire (NLFA), la réforme des chemins de fer et la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP).

En 2008, une loi a été votée à l'Assemblée donnant un objectif concret au report modal pour atteindre un niveau maximum de 650 000 courses de trafic au travers des Alpes, sachant que la situation de départ avoisinait 1,4 million de passages.

En 1992, une nouvelle votation du peuple a accepté le principe des Nouvelles Lignes Ferroviaires à travers les Alpes (NLFA) afin de construire trois tunnels ferroviaires de base : le tunnel du Lötschberg (2007), le tunnel du Gothard (2016) et le tunnel du Cenneri, en cours d'achèvement.

Le deuxième pilier porte sur la réforme des chemins de fer négociée en 1999, qui a permis l'ouverture du marché ferroviaire de transport de marchandises, qui est en outre intervenue dans le cadre d'un accord bilatéral entre la Suisse et l'Union européenne. Ce marché a pu proposer une alternative intéressante au trafic routier. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la planification des sillons.

Le troisième pilier est la politique de transfert RPLP, approuvée par le peuple en 1998 à l'issue d'une votation et inscrite dans la Constitution pour être appliquée en 2001. La tarification est non-discriminatoire, conformément aux principes de l'Union européenne. Des études scientifiques ont attribué une valeur aux coûts externes, par exemple à ceux des accidents, à l'impact de la pollution sur les bâtiments et la santé, pour fixer la taxe. La redevance est incitative, notamment dans l'optique que les transporteurs routiers soient plus performants et moins polluants. Enfin, les recettes sont affectées.

Par ailleurs, la tarification de la RPLP est liée aux kilomètres parcourus en Suisse sur l'ensemble du réseau. Elle s'applique autant aux véhicules suisses qu'étrangers. La tarification prend en compte le poids total admissible, et instaure un tarif dégressif selon les normes d'émissions. Un plafond de tarification a été fixé par l'accord sur les transports terrestres entre la Suisse et l'UE.

En termes de perception de la RPLP, le système le plus simple possible a été réalisé, en confiant la réalisation à l'administration des douanes suisse. Les véhicules suisses sont équipés d'un appareil de saisie couplé avec un tachygraphe, ce qui permet de visualiser les kilomètres parcourus en Suisse. Dès lors qu'un camion quitte la Suisse, le compteur s'arrête. Les véhicules étrangers sont équipés de façon volontaire, ou se voient attribuer une carte fonctionnant avec les radiobalises aux frontières.

En 2017, la taxe a permis de récolter 1,751 milliard de francs suisses, pour des coûts de perception de 87 millions de francs suisses. L'affectation revient pour un tiers aux cantons, et pour deux tiers au Fonds d'infrastructure ferroviaire.

S'agissant de la fiscalité des carburants, la taxe fixe représente environ 50 % du prix des carburants. Le montant en est redistribué à 50 % au budget de l'État et à 50 % aux routes nationales. En revanche, la surtaxe est redistribuée au bénéfice des seules routes nationales.

Enfin en termes de financement des transports, les moyens issus de la redevance poids-lourds alimentent directement le Fonds d'infrastructure ferroviaire (4,3 milliards de francs suisses en 2017), qui permet de financer en priorité le maintien de l'infrastructure et son aménagement.

Mme Élodie Trauchessec. - Pourriez-vous préciser le kilomètre linéaire de voies ferrées en Suisse ?

Mme Marie de Martignac. - 5 000 kilomètres environ.

Mme Élodie Trauchessec. - Quel est le tarif au kilomètre pour le fret ?

Mme Marie de Martignac. - Je n'ai pas le chiffre en tête.

M. Philippe Duron, Président du Conseil d'orientation des infrastructures (COI). - La France, pour sa part, compte 30 000 kilomètres de voies ferrées. Le budget doit avoisiner entre 3,5 et 4 milliards d'euros pour la régénération.

Mme Marie de Martignac. - Comme la France, la Suisse a une très grande tradition ferroviaire, mais le fonds d'infrastructure n'a été voté qu'en 2014. Il perçoit environ 4 milliards de francs suisses par an.

M. Philippe Duron. - Quelle est la contrepartie donnée aux Suisses en termes de cadencement du ferroviaire ?

Mme Marie de Martignac. - En ce qui concerne l'exploitation, le financement est partagé entre la Confédération, qui investit un milliard d'euros, et les cantons à concurrence de leurs budgets respectifs. Il est vrai qu'en Suisse, la qualité de service est très élevée.

Cela étant, en Suisse, nous avons un « Monsieur Prix », qui contrôle les prix et dispose d'un droit de recommandation sur les prix. À chaque hausse des prix de transports, qui sont augmentés de manière nationale, un débat s'instaure. Il est en général difficile d'augmenter les prix sans arguments valables. Les deux dernières augmentations réalisées étaient clairement occasionnées par la hausse du prix des sillons, prévue pour financer les infrastructures votées en 2014.

Mme Élodie Trauchessec. - Merci d'avoir fait le déplacement, Madame de Martignac. Nous observons une différence culturelle et politique assez importante entre la Suisse et la France, tant entre les usagers qu'en termes de système politique. Je trouve la votation publique très intéressante, de même que la compréhension des enjeux pour sanctuariser les décisions mises en place.

Il nous reste à entendre l'intervention de Bertrand Fleurose, Président de Cityscoot, dont il nous présentera le modèle économique. Vous évoquerez également le poids du numérique dans la tarification, ainsi que son mode d'intégration dans le système de mobilité globale.

M. Bertrand Fleurose, Président-fondateur de Cityscoot. - Je remercie Monsieur Jacquin de m'avoir sollicité une nouvelle fois aujourd'hui. J'ai l'impression d'être l'extra-terrestre de ce colloque, car je suis le seul opérateur, seul entrepreneur privé. Ma start-up est en effet privée, mais compte à son capital deux entreprises publiques : la Caisse des Dépôts, qui a participé à notre premier tour de table, ainsi que RATP Dev qui a participé à notre second tour. Avec ce dernier, nous échangeons en outre sur un grand nombre de sujets.

Nous sommes un opérateur privé qui parle de façon large aux villes. Cityscoot croit à la cohabitation du public et du privé, entre les entreprises innovantes et les acteurs des territoires. Nous avons l'habitude de dialoguer avec les collectivités pour nous informer des règles applicables sur le territoire. Nos scooters de 50 centimètres cubes sont peu polluants, mais se heurtent parfois aux craintes des villes en matière de stationnement sur les trottoirs. Nous devons donc nous entendre avec les municipalités.

Cityscoot a ouvert en juin 2016 à Paris, avec 50 scooters couvrant une petite zone. Le périmètre s'étend aujourd'hui sur l'intégralité de Paris ainsi que sur sept villes limitrophes, bientôt dix pour couvrir l'intégralité d'entre elles.

Pour des raisons logistiques, nous ne pouvons pas nous occuper des deuxième et troisième couronnes car nous remplaçons les batteries de nos scooters à l'endroit où ils sont stationnés. Néanmoins, même en s'adressant à toutes les zones urbaines et de première couronne, nous nous adressons à 25 % de la population française. À Paris avec nos 120 000 utilisateurs actuels, 8 % de la population en âge de conduire un scooter est concernée par nos services. Nous espérons doubler ce taux avant la fin 2019, pour faire du scooter un mode de transport significatif.

En outre, 30 % de nos clients utilisent notre service pour un usage professionnel, en moyenne dix fois par mois, ce qui signifie un aller-retour par jour du domicile au travail. Aujourd'hui, Cityscoot a déployé 3 400 scooters dans Paris, ainsi que 500 à Nice. Nous ouvrirons à Milan dans cinq jours, puis à Rome dans six mois. Mis à part Nice, Cityscoot s'intéresse plus particulièrement aux grandes villes et aux villes très denses, car notre modèle économique ne nous permet pas de satisfaire les zones peu denses. Le modèle établi nous oblige en effet à déployer au minimum 400 à 500 scooters, dans une ville où la densité devrait être supérieure à au moins 5 000 habitants au kilomètre carré. Par conséquent, peu d'agglomérations sont capables de supporter des quantités de scooters supérieures à 500. Nous nous déploierions volontiers dans des zones moins denses et peuplées si nous bénéficiions de subventions de la part des collectivités.

Cityscoot représente à ce jour 250 collaborateurs en CDI recrutés en un an à Paris, ainsi qu'une trentaine à Nice. Il s'agit en général d'emplois peu qualifiés. L'essentiel de nos ressources humaines sont constituées des personnes changeant les batteries sur place vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, en fourgonnettes 100 % électriques. Cityscoot a développé elle-même sa technologie, qui ne pourrait exister sans le numérique. Les nouvelles technologies nous permettent, comme start-up agile comptant une vingtaine de développeurs à plein temps, de nous adapter en temps réel. Lors des récents samedis noirs des manifestations, nous avons ainsi pu en quelques heures, grâce à la technologie, inciter nos clients à ne prendre que les scooters situés dans certaines zones. Nous avons ainsi sorti environ 1 200 scooters de la zone des manifestations sans faire le moindre effort, et n'avons déploré aucun scooter brûlé et vandalisé lors des deux derniers samedis. Nos véhicules sont immatriculés et nos clients assurés tous risques. La digitalisation nous permet de contrôler les permis de conduire.

En ce qui concerne la tarification, nous n'avons jamais cru à la notion d'abonnement, qui nous paraissait inconcevable s'il s'agissait de payer en plus l'usage comme c'était le cas d'Autolib. Nous voyons d'ailleurs que de plus en plus de services sont tarifés uniquement à l'usage. Notre tarif est de 28 centimes la minute. En achetant des packs de 20 euros à l'avance, le client bénéficie de 30 % de réduction. Dans une ville telle que Paris, cela signifie que sans dépasser 45 km/h, il est possible pour 2,40 euros d'aller du 17e arrondissement à République. Ce moyen de transport nous semble donc accessible à tous. En revanche, s'il est utilisé plusieurs fois par jour tous les jours, le coût peut être plus élevé.

En ce qui concerne la régulation, il est important pour un service tel que le nôtre de bien s'entendre avec la métropole et les responsables des transports. Nous avons des échanges réguliers avec la Mairie de Paris. Les scooters électriques sont immatriculés et verbalisés s'ils se garent sur les trottoirs. Néanmoins dans une ville telle que Paris, où les places de parking sont rares, les 8 % de personnes ayant fait le choix du deux-roues rencontrent des difficultés de stationnement. C'est ici que commencent les discussions pour nous avec la Mairie. Cityscoot n'est pas opposée à acquitter une redevance, à la condition de bénéficier du stationnement gratuit.

En conclusion, je pense que les acteurs privés et les villes peuvent très bien s'entendre sur un système de régulation.

Échanges avec la salle

Mme Élodie Trauchessec. - Nous allons laisser la parole à la salle, en privilégiant le maximum d'interactions possibles.

M. Nicolas Frasie, Directeur Développement et Relations Publiques à Lyon. - J'aurai deux observations. À Lyon, je suis référent Vélo et fais partie de la commission Climat. Alors que les transports représentent 38 % des émissions de CO2, je n'ai pas la sensation que les débats prospectifs de ce jour s'orientent vers la réduction des émissions de CO2. À titre d'exemple à Lyon, où j'habite, le PDU a pour objectif de réduire en 2030 de 44 % à 35 % la part modale de la voiture. La commission Climat considère qu'il conviendrait de la réduire à 22 %. Aujourd'hui, le PDU table que la cible sera atteinte essentiellement grâce aux cyclistes, ce dont je suis ravi.

J'évoquerai ensuite une entreprise d'autopartage en libre-service dénommée Communauto, opérant 2 500 véhicules au Canada et présente également en France. L'autopartage est un exemple intéressant de tarification à l'usage. Généralement, une fois les coûts fixes d'une voiture acquittés, les coûts marginaux sont extrêmement faibles puisque l'essence ne représente qu'une part infime du coût global. L'autopartage donne accès à une voiture lorsque les gens en ont effectivement besoin, en zone urbaine et périurbaine. Finalement l'objectif de la politique publique de mobilité, s'il n'est pas de supprimer la voiture, n'est-il pas à tout le moins de réduire la motorisation des ménages ?

Mme Élodie Trauchessec. - Selon moi, votre remarque n'est valable que pour les monomodaux. Or les études démontrent qu'en France, les intermodaux qui utilisent plusieurs modes de transport selon les jours de la semaine, sont nombreux.

M. Jean Coldefy. - Vous avez énoncé que les coûts marginaux de la voiture étaient assez faibles, mais en réalité ils sont très importants. Le premier véhicule neuf est acheté majoritairement par des personnes de plus de cinquante-cinq ans. Pour la plupart des automobilistes, les achats de véhicules portent sur des diesel d'occasion allant jusqu'à 300 000 kilomètres, et nécessitant de moins en moins d'entretien. Le coût d'une voiture avoisine 200 euros par mois, étant rappelé que 10 000 kilomètres par an sont parcourus en moyenne. Par conséquent, le concurrent le plus redoutable de l'ensemble des moyens de transport est la voiture thermique, ce qui interroge sur sa tarification.

M. Gilles Dansart. - Monsieur Fleurose, vos clients viennent-ils de la voiture individuelle ou cherchent-ils une alternative aux transports collectifs traditionnels?

M. Bertrand Fleurose. - Nous avions réalisé une enquête à la fin 2017 auprès de 55 000 clients (pour 8 000 réponses), démontrant que nos clients venaient majoritairement d'Autolib, des VTC et des taxis, et qu'une partie d'entre eux étaient piétons. Environ 10 % avaient abandonné la voiture individuelle.

Mme Élodie Trauchessec. - Monsieur Mayet ayant dû partir, il propose à ceux d'entre vous qui seraient intéressés par l'expérience de Châteauroux, de les recevoir ou de les mettre en relation avec le nouveau maire de la ville. Monsieur Mayet présente ses excuses d'avoir dû quitter la séance, mais le débat reste ouvert sur la gratuité des transports.

M. Tristan Roussel, Fédération nationale du covoiturage (FEDUCO). - Je destinais en effet mon message au sénateur Mayet, mais c'est une question ouverte. La FEDUCO est la Fédération du covoiturage, qui représente les acteurs les plus représentatifs du secteur. Nous sommes tous dans l'expectative des votes sur le projet de loi de finances 2019 et sur la LOM, au sujet des contributions des employeurs au covoiturage de leurs salariés. Il s'agirait d'un vrai levier pour l'ensemble des acteurs du secteur.

Par ailleurs, nous nous interrogeons sur le constat que 530 000 covoitureurs n'échangent pas d'argent. Ce sont des covoitureurs informels. Il existe par conséquent un problème d'équité entre celui qui va covoiturer sans être indemnisé, et celui qui percevra une compensation. Quelle est votre réaction ?

M. Jean Coldefy. - Le taux d'occupation des véhicules est de 1,3 ou 1,4 personne aux heures de pointe selon les agglomérations. Il existe donc des capacités certaines d'accueil dans les véhicules, qu'il convient de traduire en réalité. Le moyen d'y parvenir importe peu, finalement. Si une indemnisation est mise en place, la mesure sera heureuse pour ceux qui en bénéficieront, mais je ne pense pas que les covoitureurs informels cesseront de covoiturer.

Mme Élodie Trauchessec. - Dans le projet de loi LOM, l'objectif est bien de créer un forfait mobilité, et que le registre de preuve de covoiturage puisse transiter sur une plateforme ouverte aux collectivités et aux employeurs.

M. Jérémie Almosni. - L'accès à l'infrastructure sera facilité pour les personnes qui auront un usage de ce service.

M. Fouad Ben Ahmed, Collectif Plus sans ascenseurs. - Je fais partie d'un collectif qui lutte contre les pannes d'ascenseurs. Nous menons une lutte acharnée contre les ascensoristes et les bailleurs ne faisant pas valoir les droits des locataires. L'ascenseur est le premier moyen de transport en France, mobilité verticale qu'il ne faut pas omettre. Nous sommes intervenus auprès d'une dame dont l'ascenseur était en panne et à laquelle l'ascensoriste avait donné un délai de réparation de huit semaines. Nous avons donc contacté ce dernier en faisant intervenir la presse, ce qui a ramené le délai de réparation à huit jours. Explication donnée, il s'avère que le matériel utilisé était du low cost.

Les pannes d'ascenseur posent des problèmes d'isolement et de jouissance de son logement. Sur les 145 interventions que nous avons effectuées sur les territoires - et pas uniquement sur le parc HLM - 80 % des cas ont été réglés durablement. Nous voulons considérer l'ascenseur comme un moyen de transport, et non comme un outil mécanique. Il est d'ailleurs géré par le ministère des transports. Enfin, nous travaillons à la mise en place d'une expérimentation entre la région et quatre villes de Seine Saint-Denis afin de proposer des solutions pérennes aux personnes en fauteuil roulant. Je remercie Monsieur Jacquin de nous avoir invités à nous exprimer.

M. Olivier Jacquin. - J'ai invité Monsieur Ben Ahmed à intervenir car il pose de vraies questions de service public, en parlant différemment des espaces relégués. Nous allons travailler à l'idée d'une clause sanitaire à insérer dans les cahiers des charges des ascensoristes.

Conclusion

Mme Élodie Trauchessec. - Pour conclure ce débat, je vous propose d'accueillir Philippe Duron, Président du Conseil d'orientation des infrastructures.

M. Philippe Duron. - Je souhaite remercier le Président Karoutchi, Olivier Jacquin et la délégation à la prospective du Sénat pour cette initiative de consacrer un après-midi à évoquer les mobilités.

Je ferai amende honorable car au COI, lorsque nous avons travaillé sur le projet LOM, nous avons totalement oublié les déplacements verticaux. Je vous prie, Monsieur Ben Ahmed, de nous en excuser.

La tarification à l'usage n'est pas nouvelle, comme l'a rappelé Olivier Jacquin. Le premier décret sur le stationnement remonte à 1928. Nous pourrions également évoquer les Livres Vert et Blanc de 1995 et 1998 de l'Union Européenne sur la tarification des mobilités, essentiellement de la route.

Poser le problème de la tarification à l'usage est tout à fait audacieux dans le contexte dans lequel nous nous trouvons depuis quatre semaines. La suppression de l'écotaxe poids lourds et le mouvement des gilets jaunes démontrent à quel point il est difficile de mettre en oeuvre les principes d'utilisateur-payeur et de pollueur-payeur.

« La tarification des transports est une décision politique comportant des risques élevés », concluait une étude déjà ancienne. Le décideur politique doit en effet veiller à l'acceptabilité de toute mesure, qui repose essentiellement sur la notion d'équité. Or l'équité est éminemment subjective. Le refus de la taxe doit donc inciter à la prudence et à la mesure. Est-ce à dire que toute tarification à l'usage soit devenue impossible ? Non, mais à la condition que les taxes et redevances nouvelles soient compensées par des baisses importantes d'autres taxes et prélèvements déjà très importants sur l'automobile, notamment.

Nos interlocuteurs ont rappelé que la tarification à l'usage était déjà effective sur un certain nombre de modes de transports : le vélo, les parkings et également les autoroutes. Notre discussion a essentiellement porté sur les mobilités en milieux urbains et périurbains, où les transports en commun sont plus rares, voire inefficaces. Michel Neugnot a rappelé que la LOM, en prévoyant la mise en place d'AO sur l'ensemble des territoires, permettra de poser les diagnostics et d'offrir des solutions adaptées aux territoires ruraux ou isolés.

Jean Coldefy, pour sa part, a indiqué que l'automobile resterait le mode de transport de la plus grande majorité de nos concitoyens vivant dans les zones rurales et périurbaines, mais pas uniquement ceux-là. Si l'on veut réduire la place de l'automobile et la congestion dans les villes, Jean Coldefy plaide pour la réintroduction de la possibilité de péage urbain, qui a disparu du projet de LOM. Je pense que les parlementaires ne manqueront pas de réintroduire un amendement en ce sens, puisqu'il ne s'agit que d'une possibilité. Cette solution efficace ne sera acceptable que si son financement est raisonnable, et que si les recettes sont affectées à un projet qui simplifie et améliore les mobilités. Cela implique notamment des parkings plus nombreux (il a évoqué un facteur cinquante) et le développement des voies cyclables. Jean Coldefy a également abordé la nécessité de cadencer davantage les bus sur les voies réservées.

Une part importante de la discussion a porté sur le financement. L'affectation des ressources me semble effectivement relever des meilleures recommandations. Avec l'exemple suisse, nous avons vu que l'acceptabilité était grande quand il y avait une transparence et une amélioration du cadencement.

La qualité du service réside bien sûr dans la régularité, l'accessibilité du transport pour tous les usagers et également dans un niveau de confort suffisant.

Enfin, vous avez évoqué chacun la tarification et la gratuité. Il a été rappelé que la tarification était le R sur D des transports en commun, c'est-à-dire autour de 25 % pour les transports urbains. L'exemple lyonnais est plus favorable puisque le R sur D atteint aujourd'hui 60 %. Si l'usager ne paie pas, la charge reposera sur le contribuable.

La question de la gratuité réalisée il y a dix-huit ans à Châteauroux, revient à présent dans le débat public. On en parle également à Dunkerque, Niort, dans certaines villes d'Allemagne et à Luxembourg. Est-elle possible et souhaitable ? Cette question nous mobilisera sans doute lors des prochaines municipales. Néanmoins il faut être prudent car la gratuité ne peut concerner qu'une petite ville, ou une ville qui possède des ressources importantes. A Paris, est-ce possible sans remettre en cause la qualité des transports et sans compromettre les investissements nécessaires pour augmenter la capacité ? L'enjeu est non seulement un enjeu d'efficacité mais également de capacité. Il faut en effet rappeler que pour transférer 10 % du trafic de la route vers les transports en commun, il convient de doubler la capacité de ces derniers.

Nous avons beaucoup parlé des difficultés que nous vivons actuellement en matière de transports, mais pas assez de leurs origines. Ces origines sont liées notamment à l'étalement urbain et au coût du foncier dans les villes. La loi SRU avait été votée pour tenter de réduire l'étalement urbain. Elle n'était cependant pas assez puissante pour inverser la tendance. Il y a enfin une insuffisance d'aménagement du territoire, surtout après la décentralisation. Alors qu'il aurait fallu mettre en place une approche partagée entre l'État et les collectivités territoriales, le développement des métropoles - certes nécessaire - a plutôt été favorisé.

Or il existe des modèles de développement pour les territoires à faible densité. Nous avons évoqué la Finlande, mais je pense aussi au Canada.

Enfin, je m'intéresse à une expérience conduite en Bretagne dénommée Bretagne Mobilité Augmentée, financée par le PIA. Cette expérience incite dans les entreprises, les administrations et les services publics à optimiser les déplacements en évitant ceux qui ne sont pas nécessaires. Face à l'enjeu d'une mobilité décarbonée en 2050, il ne faut négliger aucune solution, et notamment cette optimisation des mobilités.

Mme Élodie Trauchessec. - Merci Monsieur Duron pour cette conclusion. Le projet de loi LOM va arriver au Parlement, mais ne va pas régler toutes les difficultés. Il va néanmoins créer un cadre plus favorable sur les questions de mobilités. Il n'existe pas de solution unique pour l'ensemble des territoires, mais une nécessité d'adaptation. À l'ADEME, nous finançons des expérimentations via des appels à projets. Je vous invite à ce titre participer à l'appel à projets en cours jusqu'au 12 mars, qui permettra de financer des projets de mobilité servicielle portés par les entreprises ou par les territoires.

Nous vous invitons à diffuser cet appel à projets ou à y participer.

En outre, nous avons annoncé un plan Vélo le 14 septembre dernier, qui reposera pour sa partie Infrastructure sur un appel à projets opéré par le ministère d'ici fin décembre. L'objectif est d'allouer 50 millions d'euros prévus sur 2019 pour la réalisation de pistes cyclables et d'infrastructures.

M. Philippe Duron. - J'avais été frappé, à Copenhague lors de la COP 15, de voir qu'il s'agissait du règne du vélo. Pourtant, la vente de voitures avait augmenté. Il existe donc sans doute un désir d'avoir un bouquet de solutions.

M. Olivier Jacquin- Merci à vous tous. J'ai constaté que l'intervention sur la mobilité verticale vous avait étonnés, mais elle était tout à fait sérieuse. Peut-être interroge-t-elle le « s » de mobilités inscrit dans la loi. Parlons-nous réellement de toutes les mobilités ? Il faut une maîtrise publique de l'ingénierie et de l'expérience.

Je rajouterai deux mots sur l'utilisation du signal prix. L'objectif n'est pas de mettre en place une fiscalité punitive ni de mettre en opposition fin du monde et fin du mois. Notre intention politique est très claire par rapport à l'objectif de sauver la planète, en nous dirigeant vers des modes de transports doux et des mobilités optimisées. Merci à la Suisse de nous montrer un exemple intéressant. Il faut de la justice fiscale et sociale pour donner de la cohésion à un pays.

Philippe Duron a bien exposé que l'origine de la problématique en termes de mobilité était celle de l'étalement urbain. Nous sommes ici dans l'arrondissement le plus cher de Paris, soit 14 000 euros le mètre carré, ce qui ne permet pas de se loger quand on gagne le SMIC. J'interroge sur l'absence de volonté de réguler l'offre et la demande du prix du foncier, alors que nous disposons d'une multitude d'outils pour ce faire. Politiquement, nous ne nous en donnons pas les moyens. Le coût pharaonique du Grand Paris Express a été évoqué. Nous pourrions par exemple imaginer de préempter une partie des plus-values immobilières à venir sur les droits de mutation pour financer l'infrastructure de transports.

Je remercie l'ensemble de nos invités, ainsi que l'ADEME qui est un service public efficace.

La réunion est close à 17 h 50.

Jeudi 13 décembre 2018

- Présidence de M. Roger Karoutchi, président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Audition de M. Sébastien Jean, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII)

M. Roger Karoutchi, président. - Monsieur Sébastien Jean, que nous avons le plaisir de recevoir ce matin, est directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), titulaire d'une thèse de doctorat en sciences économiques de l'Université de Paris I et ingénieur de l'École Centrale de Paris. Il a rédigé en juillet dernier une note, publiée par le conseil d'analyse économique, intitulée : « Avis de tempête sur le commerce international : quelle stratégie pour l'Europe ? » et c'est à ce sujet que nous l'entendons aujourd'hui.

M. Sébastien Jean, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII). - La note à laquelle vous faites référence s'appuie sur une hypothèse de départ, selon laquelle les bouleversements récents du commerce international obligent à une remise à plat de la façon dont on considère la question et les réponses à y apporter, en particulier, en ce qui concerne la bonne stratégie pour l'Europe.

Pour résumer à grands traits la note, je dirai que nous - Philippe Martin, André Sapir et moi-même avons tout d'abord tenté d'analyser l'impact de la mondialisation commerciale en terme de bouleversements sociaux et économiques internes.

À cet égard, nous considérons que l'ouverture commerciale depuis une trentaine d'années n'est pas la cause, du moins pas la cause principale, des bouleversements sociaux majeurs et en particulier de la montée des populismes partout en Europe, que nous attribuons plutôt à une incapacité à apporter des bonnes réponses.

Pour autant, nous considérons que les impacts sociaux de l'ouverture commerciale - notamment en termes d'accélération du changement structurel - appellent des réponses de l'État.

Deuxièmement, nous faisons le constat qu'il résulte de l'accélération récente de vives tensions commerciales une forte incertitude, qui agit principalement sur les décisions des entreprises. Ces tensions sont un puissant facteur de déstabilisation, empêchant les entreprises de prendre des mesures de long terme, qui freinent ou différent les investissements.

Pour l'instant, les effets ne s'en sont pas encore fait sentir, mais ceci s'explique en grande partie par les mesures de relance fiscale, puisque les gouvernements américain et chinois ont décidé de contrebalancer l'impact frontal du choc commercial par des politiques internes de relance macroéconomique conjoncturelles.

En Europe, depuis le printemps dernier, les enquêtes de conjoncture montrent que le climat des affaires souffre passablement de ces incertitudes commerciales et ceci surtout en Allemagne, dont l'économie est fortement dépendante des exportations, mais aussi en France.

Face à ce constat, nous prévenons qu'une guerre commerciale généralisée pourrait coûter très cher à l'Europe. Si les petits pays, plus dépendants du commerce extérieur, seraient plus impactés, nos simulations montrent que cet affrontement commercial pourrait coûter aux autres pays entre 3 à 4 points de PIB, c'est-à-dire avoir un impact proche de celui de la crise financière de 2008-2009.

La sortie d'un cadre coopératif pourrait se traduire par une augmentation sensible des droits de douane, qui pourrait aller au-delà de 25 %, niveau estimé comme un seuil, ce que les précédentes crises ont prouvé - notamment celle des années 30, mais aussi plus récemment la crise commerciale entre les États-Unis et la Chine.

La situation de L'Europe est certes spécifique dans l'échiquier mondial, puisque, union commerciale d'États, l'Europe est plus forte commercialement que politiquement et n'a donc aucun intérêt à sortir du principe multilatéral.

À notre sens, la priorité de l'Europe doit être la sauvegarde du système commercial multilatéral, basé sur des règles établies en commun, et formalisé par des traités, actuellement celui de l'OMC, que les États s'attachent à appliquer, même imparfaitement.

Pour autant, tel qu'il existe actuellement, ce système doit faire face à une nouvelle donne liée à la place de la Chine, devenue première puissance industrielle et commerciale mondiale, ce qui n'était pas le cas au moment de son entrée dans l'OMC.

À cette époque-là, l'intégration de la Chine s'était faite avec l'espoir d'une convergence sociale et normative future. Or, aujourd'hui, l'économie chinoise, fortement subventionnée par l'État, ne semble pas en voie d'évolution et représente donc une menace majeure de concurrence déloyale.

Aussi, il ne faudrait pas que ce qui s'est passé dans les années 2000 pour les panneaux voltaïques se reproduisent dans d'autres secteurs : l'automobile, l'aéronautique, la robotique, etc., autant de secteurs encore fortement subventionnés par l'État chinois. C'est le défi majeur pour l'Europe.

Face à cette menace, les États-Unis adoptent une position agressive, qui consiste à vouloir casser le développement de l'économie chinoise, ce qui nous semble ni possible ni surtout souhaitable.

Pour notre part, nous considérons qu'il vaudrait mieux envisager une réforme de l'OMC, visant à faire en sorte que le développement de l'industrie chinoise ne se fasse pas au détriment de la nôtre : l'industrie européenne ne doit pas être la variable d'ajustement des choix de politique industrielle chinois.

Afin de pouvoir envisager le rétablissement de la possibilité d'une concurrence libre et non faussée, nous appelons donc à la renégociation, au sein de l'OMC : des règles entourant le régime des subventions industrielles ; de la réponse au transfert forcé de technologie industrielle.

À ce sujet, nous considérons que l'enjeu réside moins dans la bataille autour des droits de propriété intellectuelle - la Chine ayant bien compris l'intérêt d'évoluer vers une économie de l'innovation - que de faire cesser, d'une part, le cyber espionnage industriel, d'autre part et surtout, la conditionnalité de l'accès au marché chinois.

Je vous rappelle qu'à l'heure actuelle, la Chine continue de conditionner l'accès des produits étrangers à son marché, en imposant par exemple des plafonds de participation dans ses propres entreprise nationales, ou encore en conditionnant la vente directe à la cession des droits de propriété intellectuelle.

Les freins sont donc moins réglementaires que pratiques, dans la mise en oeuvre des ventes, ce qui est plus difficile à faire évoluer.

Je termine sur l'utilité des accords de libre-échange dans ce contexte.

Si le but premier d'un accord de libre-échange est l'efficacité de l'allocation des ressources, et donc la croissance et l'innovation, on ne peut plus attendre aujourd'hui de ces traités le type de gain qu'on pouvait attendre dans les années 1960, années au cours desquelles l'Europe avait besoin de concurrence extérieure.

Aujourd'hui, la réflexion européenne sur l'opportunité de nouer des accords de libre-échange doit envisager toutes les externalités - sociales et environnementales notamment - induites.

D'autre part, elle doit nécessairement s'inscrire dans le contexte d'incertitude que j'ai décrit précédemment. C'est typiquement le cas de l'accord que nous sommes en train de nouer avec le Japon, qui est aussi une garantie d'alliance stratégique notamment face aux États-Unis.

Comment, enfin, rendre contraignantes les clauses non commerciales, sociales ou environnementales, au sein des accords commerciaux ?

Tant que la sanction du non-respect des clauses reste basée sur la preuve de l'existence d'un préjudice, il sera très difficile de faire respecter un engagement social : à titre d'exemple, comment prouver qu'une entrave au droit syndical au Guatemala aura des conséquences concrètes sur l'industrie américaine ?

Si le non-respect d'un engagement social ou environnemental ne se traduit pas par une sanction commerciale, il restera au stade de voeu. C'est cette logique qui a été retenue dans le cadre du partenariat Transpacifique, en liant les droits préférentiels de l'industrie textile vietnamienne pour entrer sur le marché nord-américain à l'évolution de la liberté syndicale dans ce pays.

C'est également l'esprit qui a présidé aux négociations commerciales franco-japonaises sur l'industrie automobile.

Un accord commercial peut donc tout à fait être un instrument de politique étrangère, utilisé à d'autres fins que le développement de la croissance, je pense notamment au cadre des négociations de l'Accord de Paris sur le climat.

M. Roger Karoutchi, président. - Tout cela a l'air très policé, mais, dans la réalité, on a l'impression que ce sont les pays les moins policés qui ont le dernier mot. Regardez le Président américain Donald Trump. Il est unanimement condamné, et malgré cela, il obtient toutes les concessions commerciales qu'il souhaite. Tout se passe comme si seuls les petits pays, parce que cela les protège, avaient un intérêt à respecter les accords commerciaux ; pendant que les « grands » les foulent au pied !

Le rapport de force n'est-il pas devenu un élément-clé dans les négociations commerciales ?

M. Pierre-Yves Collombat. - Vous nous alertez sur l'impact social des tensions commerciales et je partage totalement avec vous cette idée ! Elles vont venir s'ajouter aux tensions que traverse déjà notre société.

Mais cela ne date pas d'hier. Déjà l'émissaire américain du Président Wilson, expliquait aux Européens, au moment du renoncement aux accords de Bretton Woods que « le dollar, c'est notre monnaie, c'est votre problème ».

Alors pourquoi les Américains ont-ils mis fin au système alors qu'ils en étaient les principaux bénéficiaires ?

Cela ne signifie-t-il pas que ce système libéral induit des effets pervers, même chez ceux qui en sont les principaux bénéficiaires ?

Aujourd'hui, les Américains continuent à fabriquer la monnaie qui leur permet d'acheter tout, y compris les entreprises des autres pays, ce qui nécessite de réfléchir au rôle du dollar à l'intérieur de ce système.

Je voudrais également attirer votre attention sur le rôle des multinationales, qui sont devenues les principaux acteurs du commerce international.

Tout se passe aujourd'hui comme si ces multinationales, à travers leurs filiales, étaient devenues maîtres du trafic, jouant des paradis fiscaux et intentant des procès aux États quand ils leur imposent des règles de bonne conduite.

Vous parlez d'effets collatéraux et d'externalités négatives, notamment sociales et environnementales, mais ce système n'est-il pas structurellement pervers ?

Je ne me ferai pas le chantre du protectionnisme, mais je constate qu'à chaque fois que les Européens ont essayé d'imposer la clause de préférence européenne, les Américains ont répondu par un accord de libre-échange, comme si le libre-échange était devenu un sacro-saint intouchable.

Qu'est-ce que cela signifie ? Et pourquoi, selon vous, Donald Trump a-t-il gagné les élections sur cette thématique ?

M. Serge Babary. - Ne trouvez-vous pas qu'il y a un paradoxe à parler d'harmonisation et de rapprochement au niveau mondial, quand, au sein même de la zone européenne, il n'existe pas entre les pays de l'Union d'harmonisation des règles fiscales, sociales, environnementales et même normatives ?

Quand on sait les conséquences dommageables de cette situation pour les producteurs qui échangent sur le marché intra-européen, cette première étape n'est-elle pas un préalable, avant même de parler d'influencer la liberté syndicale dans des pays d'autres zones ou d'apaiser les relations internationales ?

Mme Marie Mercier. - Vous parliez d'incertitude et cela m'a fait penser à cette phrase : « le problème de notre temps, c'est que l'avenir n'est plus ce qu'il a été ». Ce que je veux dire, c'est que l'avenir est par essence incertain et que le passé seul est fixe. Pour revenir à notre sujet, je vois mal les Européens aller voir les Chinois et leur demander poliment de cesser de nous espionner.

M. Yannick Vaugrenard. - Il y a vingt ans, on se demandait «  quand la Chine s'éveillera ? », aujourd'hui on se demande « quand la Chine s'arrêtera ? ».

Le compte-rendu qu'a fait la commission des affaires étrangères de son déplacement en Chine est, à cet égard, saisissant. L'influence de la Chine, en particulier en Afrique, devient extraordinairement importante. La multiplication des échanges commerciaux mondiaux en yuan chinois et la convertibilité récente du yuan en or est en train de bouleverser la donne financière du commerce international.

Face à ce nouveau rapport de force, l'Europe doit se poser les bonnes questions et l'idée d'une Europe évolutive, qui avancerait par cercles concentriques, devient assez incontournable. Nous l'avons fait pour la monnaie. Ne serait-ce pas le moment de le faire aussi pour nos règles fiscales et commerciales ?

Car les Chinois sont en train d'acquérir les ports africains, sous couvert de garantie de prêt. Ce sont les nouvelles routes de la soie !

Il me paraît donc urgent de faire évoluer notre stratégie d'alliances, en faisant entrer la Chine, mais aussi l'Inde parmi nos partenaires, à défaut de quoi nous serons bientôt dépassés !

M. Roger Karoutchi, président. - Pour aller dans votre sens, j'ajoute qu'il y a quelques jours, le Gouvernement chinois a protesté sur le fait que la France possède encore des marchés privilégiés en Afrique, au titre de ses anciens liens coloniaux !

M. Yannick Vaugrenard. - Vous évoquiez, par ailleurs, la nécessité de réformer l'OMC. Comment se fait-il que cette organisation puisse accepter des États qui ne respectent pas les normes sociales minimales ? Vous paraît-il possible de rendre le respect de ces clauses conditionnelles à l'entrée et au bénéfice des garanties de l'OMC ?

Mme Michèle Vullien. - Il me semble que l'avancée de la Chine est d'autant plus inquiétante que les Chinois avancent masqués.

On assiste néanmoins à un réinvestissement sur les produits de qualité. La réindustrialisation de l'Europe ne passe-t-elle pas par la bataille de la qualité ?

M. Sébastien Jean. - Je suis entièrement d'accord avec vos réflexions sur le manque d'harmonisation en Europe. La règle de l'unanimité empêche les avancées sur ce point, et on pourrait en dire tout autant du secteur des services par exemple, ce qui fait qu'on n'a pas d'Amazon européen. C'est un handicap majeur.

Que le commerce soit devenu un élément central du débat politique aux États-Unis, c'est indéniable et cela tient au fait que les Américains cherchent à avoir toujours plus de protection, sans augmenter pour autant la place de l'État dans l'économie.

Or, les États-Unis ont échoué à s'ajuster au système dont ils ont été les architectes, puisqu'ils ont en même temps organisé le choc concurrentiel, en mettant fin au système de Bretton Woods, et démantelé leur système de protection sociale. Le résultat, largement commenté depuis, est la baisse structurelle des salaires depuis presque 35 ans.

Ceci s'ajoute au déficit structurel de la balance commerciale, puisque les États-Unis vivent avec un déficit dont ils n'assument pas les conséquences : le monde entier continue de se procurer du dollar par d'autres moyens. Si ce déficit n'a donc pas de conséquence monétaire, en revanche il pèse sur l'outil de production et entraîne une désindustrialisation dont les conséquences sociales et territoriales sont fortes.

Que les relations commerciales ne soient pas un jeu d'enfants, c'est certain et encore on ne voit que la partie immergée de l'iceberg ! Mais l'OMC a le mérite d'exister et quelle autre règle serait viable sinon ? Il faut être réaliste. En l'absence d'un système de règlement des différends entre États, au niveau international, c'est la canonnière !

Il faut bien être conscient qu'une sortie de ce système pourrait être dommageable pour tous : nous en avons la préfiguration avec la politique de Donald Trump.

Le rapport de force a prévalu lors de l'établissement de l'OMC. Dès le départ, les États-Unis ont imposé ce qui les arrangeait. La véritable question est : à quelle fin les États-Unis utilisent-ils cette puissance ? Ce qui pose problème, c'est que l'administration de Donald Trump reste floue et incohérente. Car empiler des droits de douane n'a jamais permis de réduire un déficit commercial, qui reste un curseur macroéconomique du différentiel entre la consommation et la production intérieure. Aujourd'hui, le déficit commercial américain atteint des sommets, non pas à cause de la politique commerciale, mais à cause des mesures fiscales.

La logique sous-jacente de ces mesures américaines tient dans la concurrence stratégique avec la Chine.

L'appareil politique et industriel américain est arc-bouté contre la Chine, désignée comme le concurrent majeur : on retrouve cette rhétorique de la peur dans les discours des conseillers politiques du président Trump.

Les États-Unis vont-ils arriver à faire réformer la Chine ? C'est l'étalon de la réussite du mandat de Donald Trump.

L'Europe, le Japon et les États-Unis, s'ils s'allient pragmatiquement, ont les moyens d'obtenir des réformes. L'alliance me parait être une méthode beaucoup plus puissante que la menace.

Dans cette bataille, les outils existent : l'examen minutieux des investissements étrangers directs en Europe, et à cet égard, la mise en place d'un comité européen est en cours ; plus de réciprocité dans l'accès aux marchés publics ; les accords de libre-échange, même si leur mise en oeuvre est compliquée ; les instruments de défense commerciale, notamment contre le dumping et les subventions, qui doivent être utilisés de manière plus réactive et plus ciblée.

Il n'existe donc pas de solution miracle, mais nous avons à notre portée des instruments, qu'il faut utiliser.

Vous évoquiez l'influence du yuan, pour l'instant, ce n'est pas flagrant. À mon avis, tant que l'économie chinoise restera surinvestie par la régulation étatique, le yuan ne sera pas un concurrent possible au dollar, qui reste la monnaie reine dans les échanges. Commercer dans une autre monnaie que le dollar, coûte plus cher. Il n'y a donc pas d'autre alternative pour l'instant.

Il n'en reste pas moins que nous sommes à l'orée d'une période nouvelle, dont personne ne pourra prédire ce qu'elle sera, mais dont je pense qu'elle sera pire encore après Trump.

La position de l'appareil de défense et de renseignement américain est encore plus agressive que celle du président Trump, dont les tweets restent acceptables au regard du discours du 4 octobre du vice-président Mike Pence, qui a montré toute la combativité de l'appareil américain.

Raison de plus pour nous, Européens, de trouver une voie négociée.

M. Roger Karoutchi, président. - Je vous remercie.