Mercredi 19 décembre 2018

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et de M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Programmation pluriannuelle de l'énergie - Audition de M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Mes chers collègues, nous accueillons M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, pour faire le point sur la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui doit décliner les objectifs de notre politique énergétique en décisions très opérationnelles, à mettre en oeuvre sur la période 2019-2028.

Comme pour la première PPE, la genèse de ce document a été difficile et n'est toujours pas achevée ; il est vrai que les sujets ne sont pas simples et que le contexte des dernières semaines n'a pas aidé... Une présentation avait d'abord été promise pour la fin octobre, puis repoussée à plusieurs reprises. Après l'annonce des grandes lignes par le Président de la République le 27 novembre dernier, nous ne disposons toujours que d'un simple dossier de presse.

Il est aussi question d'une prochaine loi, dont la discussion viendrait au printemps prochain et dont nous comprenons que l'objet principal serait d'acter le report à 2035 de l'objectif des 50 % de nucléaire dans la production d'électricité. Mais, là aussi, nous manquons de précisions, à la fois sur le calendrier et sur le contenu du texte : certains parlent d'une « petite loi », mais nous avons l'habitude de ces petites lois qui deviennent vite très grandes...

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser à la fois le calendrier de présentation, de consultation et d'adoption de la PPE, ainsi que le calendrier et le contenu de cette future loi ?

La révision de la PPE a été percutée de plein fouet par la crise des gilets jaunes, qui a confirmé, si l'on en doutait encore, l'importance du poste « énergie » dans le budget des ménages et des entreprises. À court terme, la crise a conduit à l'annulation des hausses de taxes, notamment celle de la taxe carbone. Mais à moyen et long termes, comment comptez-vous à la fois, comme vous le souhaitez, continuer à taxer davantage la pollution, mobiliser encore plus de ressources publiques pour soutenir les énergies renouvelables, tout en réduisant globalement le niveau des prélèvements sur les Français ?

Cette crise ne révèle-t-elle pas, au fond, le fait qu'on a voulu faire croire aux Français que la transition énergétique n'aurait pas de coût, par toute une série de techniques plus ou moins savantes ? Je pense au fait d'augmenter chaque année une petite ligne sur la facture d'électricité, la contribution au service public de l'électricité (CSPE), jusqu'à ce qu'elle atteigne un montant tel qu'il faille imaginer un autre circuit de financement. Je pense aux certificats d'économie d'énergie (CEE), qui suivent la même évolution et dont nos concitoyens comprendront bientôt que ce sont eux qui les paient, à la pompe, dans leurs courses ou sur leurs factures. Je pense encore au fait d'avoir profité des prix bas du pétrole pour accélérer une trajectoire carbone déjà très dynamique, avec les conséquences que l'on sait.

En d'autres termes, ne paie-t-on pas aujourd'hui le fait d'avoir voulu faire la transition énergétique sans les Français ? L'annonce d'un grand débat national sur ces questions est sans doute une forme d'aveu. Mais, avant d'inventer de nouvelles concertations, pourquoi ne discute-t-on pas de la PPE au Parlement, avec un vote à la fin ? Je rappelle que la PPE engage des sommes considérables et que, sauf erreur, c'est le rôle premier du Parlement que de consentir à l'impôt et de contrôler le bon usage des deniers publics.

Monsieur le ministre, vous vous êtes dit favorable « à titre personnel » à une loi de programmation. Le Gouvernement va-t-il évoluer sur ce point ?

Concernant le nucléaire, je ne résiste pas à l'envie de rappeler que le Sénat avait vu juste en disant que la diversification du mix électrique ne pouvait se faire à marche forcée, pour le simple plaisir de respecter un totem électoral, la date de 2025. En parlant d'« une décroissance du parc dans des conditions réalistes, pilotées, économiquement et socialement viables », votre dossier de presse reprend presque mot pour mot nos arguments !

On connaît désormais le nombre des fermetures et le calendrier : quatorze réacteurs d'ici à 2035, dont quatre à six d'ici à 2028, y compris les deux de Fessenheim qui fermeront au printemps 2020. En revanche, la question de l'investissement dans le nouveau nucléaire est renvoyée à plus tard, après une analyse des différentes options prévue pour la mi-2021, ce qui interpelle à plus d'un titre. D'abord, on sait que plus on attend, plus on fragilise la filière, y compris à l'export, et plus on perd en capacité industrielle. Mais surtout, en laissant en suspens la décision de lancer « ou non » - je cite encore le dossier de presse - un nouveau programme électronucléaire, ne remet-on pas en cause le consensus de la loi de 2015, qui a certes prévu la réduction à 50 % du nucléaire, mais pas d'aller en deçà, ce qui supposera inévitablement la construction de nouveaux réacteurs ?

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie a été annoncé par le Président de la République dans un contexte particulier, qui a atténué l'écho de ses annonces. Il fixe des objectifs ambitieux de transition énergétique : une baisse de la consommation finale d'énergie de 14 % en 2028 par rapport à 2012, une baisse de 35 % de la consommation des produits pétroliers, ou encore un doublement des capacités installées de production d'électricité renouvelable.

Mais se doter d'objectifs ambitieux n'est pas un exercice difficile. Ce qui est plus compliqué, en revanche, c'est de les atteindre. Sophie Primas vient de rappeler que les objectifs en matière de réduction du parc nucléaire vont être revus à la baisse, dans le sens que le Sénat avait indiqué. Nous observons que la France ne tient pas ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre - celles-ci ont même augmenté l'année dernière au lieu de baisser ! - pas plus qu'elle ne tient ses objectifs de développement des énergies renouvelables.

La véritable question, c'est de savoir si les politiques mises en place pour accompagner la transition énergétique sont à la hauteur des ambitions affichées. Sur ce point, nous avons quelques inquiétudes...

Le premier volet de la PPE concerne la réduction de la consommation énergétique. Il s'agit là d'un point essentiel, étant donné que les ressources en énergies décarbonées ne pourront pas se substituer à toutes les énergies fossiles que nous consommons. Selon la formule consacrée, l'énergie la plus propre est celle que l'on ne consomme pas !

Les deux secteurs qui consomment le plus d'énergies fossiles sont le secteur résidentiel et les transports. C'est donc là que les efforts doivent porter en priorité.

Or, sur le résidentiel, les deux actions mentionnées dans la PPE - la rénovation des bâtiments et le développement de la chaleur renouvelable - ne sont aujourd'hui pas développées à un rythme suffisant.

S'agissant de la rénovation énergétique des logements, les dispositifs d'aide existants, qu'il s'agisse du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) - il a diminué l'année dernière -, des aides de l'Agence nationale de l'habitat ou des CEE - des rapports ont montré que leur fonctionnement est peu satisfaisant -, ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Une étude récente de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a ainsi montré que, sur 5 millions d'euros de travaux réalisés dans les maisons individuelles en 2017, seulement 5 % ont permis de réaliser des économies d'énergie importantes, au travers du saut de deux classes énergétiques ou plus. On voit mal comment les mesures citées dans la PPE, comme la transformation du CITE en prime directe pour les ménages modestes ou l'élargissement de l'éco-prêt à taux zéro, pourraient durablement inverser cette tendance.

S'agissant du développement de la chaleur renouvelable, les moyens mis en oeuvre à travers le fonds chaleur, qui s'élèveront à 315 millions d'euros en 2019, paraissent bien faibles par rapport à l'ambition d'augmenter de 40 à 60 % la production de chaleur renouvelable d'ici à 2028, en particulier si on les met en regard avec les 5 milliards d'euros investis chaque année dans le soutien à la production d'électricité renouvelable.

Enfin, parmi les mesures transversales affichées dans les projets de PPE et de stratégie nationale bas carbone figure l'objectif de « mettre en oeuvre et poursuivre la trajectoire prévue concernant le prix du carbone [...] suivant des objectifs à construire au-delà de 2023 ». Les événements récents conduisent à s'interroger sur la réalité de cet objectif.

Je pourrais multiplier les interrogations, notamment sur les objectifs en matière de transports propres ou de développement du biogaz, dont la part dans la consommation de gaz, qui est aujourd'hui de 0,1 %, doit atteindre 10 % en 2030, ce qui paraît peu réaliste.

Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, nous aimerions savoir comment vous comptez agir et amplifier l'action du Gouvernement afin que, dans cinq ans, nous ne nous retrouvions pas à constater une nouvelle fois que les objectifs de la PPE n'ont pas été atteints.

M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. - Je vous remercie d'être venus nombreux pour cet échange sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, pour laquelle - j'en ai l'impression - le jugement a déjà été prononcé avant même que la parole ait été donnée à la défense !

Je commencerai par évoquer la méthode. La question n'est pas de savoir s'il faut un débat et un vote sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, mais de s'inscrire dans le cadre qui est le nôtre aujourd'hui. À titre personnel, je ne suis pas opposé à ce que ce cadre évolue, mais pour cela il faut réformer la Constitution, une question qui est à l'ordre du jour des mois à venir. Vous pourrez donc faire prospérer cette idée dans ce cadre ; je sais que des députés de différentes tendances veulent aussi aller en ce sens. Il ne faut pas laisser croire que le Gouvernement ne veut pas soumettre la PPE au Parlement : celle-ci doit faire l'objet d'un acte réglementaire dans le cadre de l'application de la loi relative à la transition énergétique adoptée durant l'été 2015. J'étais parlementaire à l'époque, et j'ai voté cette loi. Il est tout à fait envisageable que nous décidions un jour d'avoir, comme pour les lois de programmation militaire, une loi de programmation de l'énergie tous les cinq ans.

Madame la présidente, vous avez dit que les petites lois avaient tendance à grossir, mais le chemin inverse existe également ! Parfois de grandes lois s'appauvrissent au fil des débats... En l'occurrence, je veux préciser que cette loi, qui ne comprendra que quelques articles, sera présentée sans doute en Conseil des ministres en février prochain. Elle aura pour but de clarifier les choses : en effet, et mon prédécesseur l'avait déjà dit, nous considérons que, dans le cadre de ce qui s'apparente à une opération-vérité, il faut repousser l'échéance du rééquilibrage de la production électrique entre le nucléaire et les énergies renouvelables à 2035. Pour cela, il faut modifier la loi, sinon l'acte réglementaire relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie serait contraire à la loi de 2015. Ce sera aussi l'occasion de fixer un cadre législatif au Haut Conseil pour le climat.

La présentation de la PPE a été faite le 27 novembre dernier, alors que l'actualité était polarisée sur le mouvement des gilets jaunes, qui trouve son origine dans la question du prix des carburants. Entretemps, le prix des carburants a baissé, et le mouvement s'est poursuivi, preuve qu'il ne portait pas exclusivement sur ce sujet. D'ailleurs, les premières annonces concernant la taxe carbone, le rattrapage essence-diesel ou la taxe sur le gazole non routier n'ont pas suffi à apaiser ce mouvement, qui porte maintenant sur des mesures beaucoup plus larges relatives au pouvoir d'achat, et au niveau de revenu et d'imposition.

J'en reviens à la PPE, dont nous avons souhaité qu'elle soit précise et complète, alors que la précédente était floue sur les objectifs comme sur les moyens.

Nous souhaitons répondre à l'attente que vous avez exprimée, monsieur le président, qui est de ne pas nous en tenir à de grands objectifs, mais de les décliner en termes de modes de production et de cibles, en matière tant d'économies d'énergie que de développement des énergies renouvelables. Donner la priorité à ces deux piliers de la stratégie française pour l'énergie - les économies d'énergie et le développement des énergies renouvelables - permettra de réduire les gaz à effet de serre, de respecter la logique de notre politique climat, c'est-à-dire la stratégie nationale bas carbone, et de maîtriser les coûts de production de l'énergie.

Je ne sais pas qui a dit que la transition énergétique n'avait pas de coût - ce n'est pas moi, car ce serait complètement irresponsable -, mais la politique au fil de l'eau en a un aussi. On peut débattre pour savoir laquelle de ces deux solutions - politique volontariste de réduction de la consommation d'énergie et de développement des énergies renouvelables ou politique au fil de l'eau - est la plus coûteuse. Ne rien faire, c'est laisser faire. Or, l'immobilisme et le statu quo ont un coût, car cela nous expose beaucoup plus - la crise des gilets jaunes l'a montré - à la fluctuation à la hausse des prix des énergies fossiles, dont nous sommes extrêmement dépendants aujourd'hui : 100 % des énergies fossiles que nous consommons sont importées, ce qui représente 100 % de déficit commercial pour notre pays. La hausse des prix coûte très cher aux Français : nous n'en parlons plus aujourd'hui, car les prix baissent, mais ils augmenteront de nouveau un jour. Nous voulons protéger les Français contre ces augmentations en limitant la consommation. En 2008, le prix du pétrole est monté à 147 dollars le baril, avant de retomber assez rapidement, ce qui nous a permis de continuer comme avant, sans prendre de mesures volontaristes.

Regardez ce qui se passe chez nos voisins belges, un pays frère à bien des égards, qui a la même particularité que nous : un parc nucléaire important et vieillissant. Cinq de leurs sept réacteurs sont arrêtés pour des raisons de sécurité. La Belgique est obligée de faire le tour de ses voisins, y compris la France, pour demander secours et assistance en matière d'alimentation électrique. Je ne veux pas que notre pays se retrouve dans cette situation parce que nous laisserions les choses filer sans être volontaristes. Nous devons protéger les Français contre ce risque en diversifiant et en anticipant, y compris la fermeture d'un certain nombre de vieux réacteurs. Vous me répondrez que la Belgique ne fonctionne pas comme la France. Peut-être - même s'il se trouve que ce sont des opérateurs français qui gèrent les centrales belges -, mais le taux de disponibilité de nos réacteurs nucléaires est au maximum de 60 à 70 % en hiver.

Voilà la réalité ! Dire aux Français que cela ne coûte rien de continuer ainsi serait un mensonge. De même, on a menti depuis plusieurs décennies sur le coût réel de l'électricité : aujourd'hui, l'endettement d'EDF est là pour nous rappeler que, de fait, les prix appliqués ne couvrent pas les coûts d'investissement, reportés à plus tard. Le mode de calcul instauré de nombreuses années et appliqué par la Commission de régulation de l'énergie est fondé sur la couverture des coûts : cela conduit à une augmentation de 6 à 8 % l'année prochaine. On a vu l'émoi que ce type d'augmentation pouvait susciter... Ça, ce n'est pas le coût de la transition énergétique, c'est le coût de la situation actuelle. Mon rôle n'est pas facile : face aux propositions, je dois toujours demander combien elles coûteront et qui payera.

En matière d'économies d'énergie, l'objectif est une baisse de 40 % de la consommation d'énergies fossiles d'ici à 2030, alors que celui de la précédente PPE était de 30 %. C'est la traduction concrète de notre objectif de neutralité carbone en 2050 pour que nos émissions de CO2 en France correspondent à nos engagements internationaux sur le climat. Nous voulons nous donner les moyens concrets de respecter notre objectif, ce qui suscite naturellement des débats. L'objectif est de sortir des chaudières au fioul en dix ans. Cela ne signifie pas qu'elles sont interdites, mais qu'un plan volontariste est nécessaire pour prendre des mesures concrètes en matière de chauffage.

Dans le domaine du logement, je souhaite que nous ayons de nouveaux modes opérationnels afin de réduire fortement les consommations d'énergie. Pour cela, il faut changer d'échelle. Aujourd'hui, de nombreux modes d'intervention ne sont pas à la mesure des enjeux et ne produisent pas les résultats que nous souhaitons atteindre. C'est la raison pour laquelle j'ai ouvert une négociation avec les professionnels du bâtiment, du logement, de l'énergie, et avec les organismes bancaires et financiers afin de se mettre d'accord sur un mode opérationnel plus efficace permettant de financer les travaux. Ce ne sont pas des milliards d'euros de dépenses publiques qui permettront de régler le problème, mais des dispositifs permettant à ceux qui font les investissements de les amortir. Le cas échéant, des garanties publiques sur les emprunts de longue durée pourront permettre de financer ces travaux.

Dans le domaine des transports, et notamment de la voiture individuelle, la négociation du trilogue européen, entre la Commission, les ministres et le Parlement européen, vient d'aboutir : les émissions de CO2 des voitures neuves vendues en 2030 en Europe baisseront de 37,5 %. Nous avons mené la bataille, puisque nous avons fait partie des pays qui voulaient aller le plus loin. C'est un effort très important qui est demandé aux constructeurs automobiles.

Comme sur d'autres sujets, la question du rythme posera toujours débat. Ce n'est pas la peine d'aller faire la leçon à d'autres pays dans le monde, si nous ne faisons rien dans l'Union européenne et en France. Les associations environnementales trouvent que nous n'allons pas assez vite, tandis que les acteurs industriels ont tendance à penser l'inverse.

Sur la question des énergies renouvelables, nous avons également défini des objectifs concrets : 32 % d'énergies renouvelables dans la consommation globale d'énergie, en faisant respecter l'ensemble des objectifs sectoriels qui avaient été fixés par la loi de 2015, alors que certains plaidaient pour qu'on en reste à un objectif global. Cela aura un coût, puisqu'un soutien public sera apporté aux énergies renouvelables. Aujourd'hui, ce soutien est de 5,5 milliards d'euros, c'est le coût des engagements passés. Le prix de gros, sur le marché, a plutôt augmenté, pour se situer aux environs de 60 euros le mégawattheure, ce qui permet de réduire la subvention. Nous proposons d'augmenter le soutien public au maximum à 8 milliards d'euros dans les années qui viennent. Si vous regardez attentivement le budget pour 2019, vous verrez que nous dépensons en réalité déjà 7,3 milliards d'euros, puisqu'aux 5,5 milliards de soutien annuel, il faut ajouter la dette que l'on rembourse à EDF faute de lui avoir payé, par le passé, la totalité du coût des tarifs d'achat.

Nous investissons dans les énergies renouvelables les plus fiables et les plus compétitives : le solaire photovoltaïque, plutôt sur de grandes surfaces, l'éolien terrestre et offshore, dont les coûts de production baissent. Le prix du solaire photovoltaïque a été divisé par dix en dix ans ! Entre 50 et 60 euros le mégawattheure, nous sommes dans les prix de marché. Pour l'éolien offshore, nous avons renégocié les projets attribués et nous fixons sept cibles pour les projets à venir. Sur d'autres énergies renouvelables, notre obsession est toujours de faire baisser les coûts de production pour arriver à des prix qui soient au plus proche du marché. Sinon, c'est le contribuable qui paye la différence, par les impôts - et on sait ce que nos compatriotes pensent du niveau des impôts - ou par une hausse du prix de l'énergie.

Il faut dire la vérité aux Français, comme je l'ai dite aux gilets jaunes que j'ai rencontrés, et qui me demandaient pourquoi nous ne développions pas plus les agrocarburants : ceux-ci coûtent plus cher à produire que les carburants issus du pétrole raffiné ! Si l'on parvient à les vendre moins cher, c'est grâce au soutien public à la filière car ces carburants sont beaucoup moins taxés que le pétrole. Et soyons aussi conscients d'un système global de contraintes : vous avez-vous-même eu le débat sur l'huile de palme et sur les huiles importées...

Nous visons 10 % de gaz renouvelable en 2030, mais en demandant un effort sur les coûts de production. Il faudra bien avoir un débat sur la taille des méthaniseurs ou sur ce qu'on met dedans. Nous visons également 10 % d'hydrogène renouvelable en 2023 et 20 % à 40 % en 2028 s'il y a des progrès technologiques. Il y a deux cibles : l'hydrogène industriel et l'hydrogène pour les transports lourds. Le coût des voitures à hydrogène est totalement en dehors de la compétitivité économique. Il faut être sérieux et se concentrer sur ce qui est le plus efficace.

Nous visons 38 % de chaleur renouvelable d'ici la fin de la programmation pluriannuelle. C'est un effort important, mais sur un gisement dont on parle peu dans les débats médiatiques autour d'énergie, alors que c'est un levier très important pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, limiter notre dépendance aux importations de pétrole et maîtriser la facture de chauffage de nos compatriotes. Il faut développer de façon volontariste les réseaux de chaleur, avec bien sûr une alimentation renouvelable, ce qui est possible en valorisant nos ressources françaises et notamment la biomasse. Le fonds chaleur passe à 315 millions d'euros dès 2019 et nous visons ensuite 350 millions d'euros.

Nous voulons atteindre 40 % d'électricité renouvelable. C'est un objectif extrêmement ambitieux, qui requiert la multiplication par cinq de la puissance installée en solaire photovoltaïque, pour atteindre 40 gigawatts, et par 2,5 de la puissance installée de l'éolien terrestre et en mer. Pour l'éolien en mer, nous avons renégocié les six premiers champs, pour une économie de près de 16 milliards d'euros sur les vingt ans des contrats d'achat - c'est du concret ! - et nous programmons sept nouveaux champs dans les dix ans de cette PPE, dont trois champs flottants, en Bretagne et en Méditerranée. Pour l'éolien offshore flottant, si les filières industrielles françaises réussissent à faire baisser les coûts, nous ferons plus que prévu, évidemment.

La fermeture des centrales à charbon, c'est aussi du concret pour réduire les émissions de CO2 mais ça ne se fait pas comme poster une lettre à la poste ! Nous fermons quatre centrales, à Cordemais en Loire-Atlantique, Saint-Avold en Moselle, Gardanne dans les Bouches-du-Rhône et au Havre en Seine-Maritime. La semaine dernière, en pleine COP 24, le principal syndicat de l'énergie en France a appelé à une manifestation devant mon ministère pour demander un moratoire sur la fermeture des centrales à charbon. Je peux parfaitement comprendre ce que ressentent les salariés de ces sites, mais c'est notre responsabilité politique que de conduire un certain nombre de changements.

Sur le nucléaire enfin, nous avons dit les choses de la façon la plus précise et transparente qui soit. À court terme, nous fermerons deux réacteurs à Fessenheim d'ici 2020. Cette fermeture a été longtemps promise mais jamais réalisée sous le précédent quinquennat. Elle le sera au cours de ce quinquennat. Fermer une centrale nucléaire et quatre centrales à charbon, c'est du jamais vu dans un quinquennat ! Il va sans dire que nous veillons ce faisant à respecter les conditions de sécurité d'approvisionnement d'électricité en France, en toute transparence et avec RTE, qui y veille attentivement.

À partir de 2022, vous l'avez rappelé madame la présidente, nous entamons une trajectoire comportant la fermeture de quatorze réacteurs d'ici 2035, pour atteindre l'objectif des 50 %, dont six réacteurs en dix ans sur la période de la PPE : les deux de Fessenheim, puis un chaque année entre 2025 et 2028. Nous avons tenu à annoncer quels sont les sites qui pourraient être concernés - Tricastin, Bugey, Gravelines Dampierre, Le Blayais, Cruas, Chinon et Saint-Laurent - et nous demandons à l'opérateur EDF de dire lesquels il priorise, tout ceci non pas pour agiter les peurs et les craintes mais pour qu'on puisse anticiper et se préparer, tant pour l'opérateur que pour les sites concernés. Nous avons poussé la précision jusqu'à dire que ce sont des réacteurs que nous fermons et non pas des sites, contrairement à ce qui se passe à Fessenheim. Cela laisse la possibilité d'accueillir d'autres réacteurs si un jour la France décide d'en commander.

L'acceptabilité des énergies renouvelables est certes loin d'être acquise : partout où il y a des projets d'éoliennes, il y a des contestations. On a cru qu'il suffirait de les envoyer en mer, mais on constate aussi des contestations sur les projets en mer. C'est la même chose pour le biogaz autour des méthaniseurs, ou pour le photovoltaïque dès qu'il est question de grandes surfaces, avec en particulier des conflits sur l'usage des sols. Même sur la chaleur renouvelable il y a de la contestation. M. Dantec le sait bien : à Nantes Métropole, c'est dans le quartier où il y avait eu le plus de votes pour le parti prônant le développement de la chaleur renouvelable qu'il y a eu le plus d'opposition lorsque la chaufferie a été installée.

Il en va de même pour le nucléaire : si on veut installer une centrale nucléaire nouvelle en France, on n'envisage pas de le faire ailleurs que là où il y en a déjà ! C'est ce qui s'est passé pour Flamanville et c'est ce qui se passerait à l'avenir.

Madame la présidente, vous dites que l'on fragilise la filière nucléaire mais la filière est déjà fragile, il faut dire les choses telles qu'elles sont. C'est un ministre de l'économie, aujourd'hui président de la République, qui a sauvé Areva de la faillite. Il a fallu renationaliser cette entreprise en grande partie, l'adosser à EDF, qui a pris à sa charge une partie de l'endettement et recapitaliser EDF, ce qui est une aide publique comme une autre. Par ailleurs, nous avons constitué Orano, centrée sur le cycle du combustible et nous avons veillé, dans nos réflexions, à assurer l'avenir d'Orano, qui est extrêmement fragile.

La mise en service de l'EPR de Flamanville n'est pas une décision politique. C'est l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN] qui demande à EDF de remplir un certain nombre de conditions qui ne le sont pas à l'heure actuelle. À vrai dire, cela nous faciliterait la tâche si Flamanville était déjà en service. Mais j'imagine que personne dans cette salle propose de ne plus suivre les avis de l'ASN... D'ailleurs, l'EPR de Finlande est soumis au même problème que celui de Flamanville. En revanche, celui de Taishan en Chine a été mis en service ces dernières semaines. Par ailleurs, EDF a passé un contrat avec la Grande-Bretagne pour la construction de deux EPR à Hinkley Point, qui nous donne une bonne indication sur le coût : il est question d'un coût d'environ 100 euros le mégawattheure, quand le prix de marché est aujourd'hui autour de 60 euros. C'est pourquoi nous avons demandé à EDF de nous assurer de la fiabilité technologique et de l'efficacité économique de l'EPR.

Ce sont ces deux critères que nous appliquons à tous les modes d'énergie pour décider de leur développement, hormis celles qui émettent du CO2. Pour ces dernières, on ne construira pas de nouvelles centrales thermiques, à part le projet de centrale à gaz à Landivisiau, qui était lancé et dont on pense qu'il est nécessaire pour la sécurité d'approvisionnement en Bretagne. Si on voulait faire de l'électricité à prix très modéré, pourtant, on la ferait avec du gaz, car c'est ce qu'il y a de moins de cher. Nous avons fait un autre choix mais sur toutes les autres filières, nous recherchons le coût maîtrisé. La filière nous dit qu'elle peut ramener le coût en sortie d'EPR à 70 euros ; nous lui demandons d'en faire la démonstration. Pour l'EPR, en 2021, les conditions seront réunies pour faire un choix ; c'est d'ailleurs ce que disait le rapport d'Escatha, qui préconisait de prendre les décisions entre 2021 et 2023. Or, entre 2021 et 2023, il n'aura échappé à personne qu'il y a un rendez-vous électoral majeur que sont les élections présidentielles et législatives. Nous réunissons les conditions pour que le débat soit éclairé et que la décision soit prise après les échéances électorales de 2022. Du reste, les PPE sont calées sur les rythmes démocratiques des PPE, même si nous avons pris un peu de retard.

M. Daniel Gremillet. - Notre présidente a évoqué tout à l'heure l'absence de décision sur le lancement d'un nouveau programme électronucléaire. Nous sommes tous d'accord pour s'assurer de la compétitivité du nouveau nucléaire afin de donner de la visibilité à la filière. Et surtout, il faut comparer ce qui est comparable !

Certains comparent le coût du nouveau nucléaire, qu'ils estiment à environ 100 euros du mégawattheure en se basant sur le prix garanti pour les deux EPR anglais, à celui des énergies renouvelables, tel qu'il ressort des derniers appels d'offres, qui tourne autour de 50 à 60 euros le mégawattheure ; selon eux, cet écart justifierait à la fois la fermeture du parc existant et son non renouvellement. En disant cela, on ment deux fois : on fait d'abord semblant d'oublier que le nucléaire existant est déjà amorti et que son coût n'excède pas 42 euros du mégawattheure, sauf à admettre que l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) ne couvre pas les coûts d'EDF ; même avec les investissements du grand carénage, il reste donc extrêmement compétitif. Quant au nouveau nucléaire, nos exploitants sont confiants dans le fait de pouvoir optimiser l'EPR pour viser les 70 euros.

Mais surtout, le nucléaire ne rend pas le même service que les énergies renouvelables intermittentes, c'est un point essentiel ! Pour comparer honnêtement les choses, il faut comparer les coûts complets, avec le coût du stockage et du back-up, que l'on veut aussi décarboner, ainsi que les coûts de réseaux pour acheminer cette énergie décentralisée. En ajoutant ces postes, on est aujourd'hui plus proche de 150 à 200 euros que des 60 !

Monsieur le ministre, lorsque vous décidez de soutenir telle ou telle filière, intégrez-vous bien tous ces coûts ?

J'ajoute un point essentiel : aujourd'hui, environ 10 % de la valeur d'une installation d'énergie renouvelable est produite en France - prenons l'exemple du photovoltaïque. D'où la nécessité de faire un éco-bilan, de la production jusqu'au recyclage, entre ce que l'on produit chez nous et ce que l'on produit ailleurs.

Le Président de la République a évoqué la nécessité de revoir la régulation du nucléaire existant et de réfléchir à une évolution de la structure d'EDF, tout en disant que l'entreprise resterait un groupe intégré. Pouvez-vous nous en dire plus, à la fois en termes de calendrier et sur l'état de vos réflexions ? La révision de l'Arenh portera-t-elle à la fois sur le niveau du plafond et sur le prix payé à EDF, qui n'a pas été revu depuis 2012 ?

Enfin, je voudrais revenir sur deux sujets qui ont fait l'actualité des dernières heures. D'abord, la réintroduction des fenêtres dans le CITE, dont je rappelle que l'Assemblée n'a fait que la confirmer, puisque c'est le Sénat qui l'avait décidée en première lecture ; je suis heureux que le Gouvernement se rallie à notre position dix jours après s'y être opposé... En fait, le Gouvernement a du mal à accepter le travail du Sénat, pourtant si proche des préoccupations de nos concitoyens. Quel gâchis ! En revanche, vous en avez profité pour, dans le même temps, limiter le CITE aux chaudières à très haute performance, et non plus à haute performance, et les soumettre à un plafond de dépenses ; encore une fois, on prend d'une main ce que l'on donne de l'autre, ce n'est pas sérieux !

Et que dire de l'autre sujet, l'annonce puis la contre-annonce d'une annulation partielle des mesures décidées fin novembre ? Ma question sera simple : comment le Gouvernement a-t-il pu imaginer un instant, dans le contexte actuel, pouvoir revenir sur ces mesures ?

M. Jean-François Longeot. - En effet, la situation de ces trois derniers jours nous a laissés perplexes. Pourrez-vous nous préciser la décision finale retenue pour accompagner la transition écologique ? Qu'en sera-t-il de l'affectation aux politiques énergétiques territoriales d'une part des recettes de la fiscalité carbone de 2019 ? Le chef de l'État a annoncé fin novembre une grande concertation, sur le terrain, sur la transition écologique et sociale. Cette concertation aura pour mission de construire un nouveau modèle économique, un nouveau modèle social, un nouveau modèle territorial dont nous avons vraiment besoin, mais également de clarifier la manière dont doit être financée cette transition. Je veux ici rappeler le rôle important des communes, et notamment des communes rurales, qui agissent au quotidien avec des solutions innovantes pour mettre en oeuvre la transition écologique. Les syndicats départementaux d'énergie constituent aussi un outil de premier ordre pour mettre en oeuvre des actions concrètes d'économies d'énergie, de développement d'énergies renouvelables et d'accompagnement des nouvelles mobilités électriques. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous expliquer comment sera conduite cette concertation et nous confirmer que le bloc communal, à travers les syndicats intercommunaux, sera bien partie prenante de celle-ci ?

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Pouvez-vous aussi nous expliquer pourquoi, il y a un an, il était absurde d'appliquer le CITE aux fenêtres et qu'à présent, cela devient souhaitable ?

M. François de Rugy, ministre d'État. - Monsieur Gremillet, on peut toujours essayer de tirer les calculs dans le sens qu'on pense le plus favorable à ses idées. Je souhaite qu'on sorte de la guerre de religion autour du nucléaire. Pour ma part, je n'ai pas la religion du nucléaire, mais je n'ai pas non plus celle des énergies renouvelables. Il faut tout simplement examiner la fiabilité technologique.

Le réseau, de toute façon, est en transformation, puisqu'il avait été conçu comme un réseau très descendant, partant de quelques grands centres de production et allant vers la consommation finale. Au fil de son existence, il a d'ailleurs changé. Ce n'est que petit à petit que les gros centres de production se sont imposés, d'abord avec du thermique, puis avec le nucléaire, et on a adapté le réseau.

De même, les interconnexions européennes requièrent des investissements. Je suis favorable au développement de la construction européenne et, très concrètement, les interconnexions nous permettent de profiter de nos productions mutuelles. Nous avons un projet important avec l'Espagne et le Portugal, et un autre, complémentaire, avec l'Allemagne - avec laquelle la Belgique n'a pas d'interconnexion, ce qui la contraint, pour bénéficier de la production allemande d'électricité, à transiter par les Pays-Bas ! Nous avons également un projet - dont j'ignore encore s'il se fera, en raison de son coût - avec l'Irlande, qui ne veut plus autant dépendre de la Grande-Bretagne dans le cadre du Brexit.

De même, à l'échelle nationale, nous continuons de déployer le compteur communicant Linky. Le but de ces investissements est non seulement d'améliorer la production pour satisfaire la demande, mais aussi de piloter la consommation. Tous les intérêts convergent : on parle toujours de la variabilité de la production, notamment pour les énergies renouvelables, mais jamais de celle de la consommation. Il s'agit pourtant d'un problème majeur pour tout réseau électrique. L'augmentation du nombre de voitures électriques, par exemple, peut à la fois poser problème et constituer une opportunité, les batteries pouvant servir de tampon. Mais tout cela ne peut se faire qu'à la condition de pouvoir piloter le réseau. Les gros consommateurs acceptent déjà, avec plus ou moins de réticence, de laisser piloter leur consommation pour écrêter la pointe. Demain, nous aurons la possibilité de le faire aussi pour les plus petits consommateurs, grâce au compteur Linky.

Il faut donc consentir des investissements importants qui nous permettront, dans un deuxième temps, de faire des économies globales sur le fonctionnement du réseau.

Nous parlons bien du prix de gros, non du prix à l'instant t, qui peut parfois être négatif. Il peut en effet arriver que des producteurs soient prêts à payer pour écouler leur électricité lorsque la production dépasse les besoins. Quand EDF dit qu'il est nécessaire de renégocier les tarifs, c'est à la hausse, pas à la baisse. C'est la raison pour laquelle je m'étonnais de vous entendre dire, monsieur Gremillet, que le nucléaire existant est déjà amorti : lorsqu'on arrête une centrale comme celle de Fessenheim, EDF demande une indemnité, considérant qu'elle aurait pu encore produire. Le nucléaire n'est donc pas amorti. De plus, si l'Arenh n'est pas suffisamment élevé - il est aujourd'hui à 42 euros, et EDF souhaiterait le porter entre 46 et 50 euros -, c'est qu'il ne couvre pas les coûts de production du nucléaire existant.

En ce qui concerne les énergies renouvelables, je ne suis pas de ceux qui disent que tout est à 50 euros. Sur l'éolien offshore, par exemple, on est plutôt aux alentours de 120 ou 130 euros pour les projets déjà attribués qu'on a renégociés. Sur le projet de Dunkerque, on pense pouvoir arriver à un prix compris entre 50 et 55 euros, donc autour du prix de marché, mais ce sont les producteurs qui nous le diront. Il en va de même du solaire photovoltaïque : nous devons attendre les appels d'offres, avec de plus grandes surfaces, de plus grandes puissances installées et des coûts fixes en baisse.

Plus de 70 % des investissements réalisés dans la filière éolienne française vont à l'économie française. Je parle de la machine.

M. Daniel Gremillet. - Je parlais du photovoltaïque, monsieur le ministre.

M. François de Rugy, ministre d'État. - Sur le photovoltaïque, monsieur Gremillet, on n'est pas à 10 %, à moins que vous ne parliez que du panneau et non de son installation et de tout le travail réalisé en France.

M. Daniel Gremillet. - Je parlais de la création de richesse.

M. François de Rugy, ministre d'État. - Mais la création de richesse se fait aussi sur l'installation du panneau. Souvenez-vous du moratoire de 2010 sur le solaire qui a entraîné la disparition de 13 000 emplois en France.

Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord pour que l'Europe développe des filières spécifiques sur les batteries ou sur les agrocarburants, par exemple. Mais il faudra aussi se poser la question de la protection de notre marché par rapport à d'autres pays qui ne s'imposent pas les mêmes règles : les voitures électriques vendues en Chine doivent avoir une batterie made in China ! En l'espèce, il s'agit d'un choix politique européen qui va au-delà du choix de politique énergétique.

Le CITE est-il efficace ? En 2017, 1 million de ménages français a bénéficié du CITE pour réaliser des travaux, à hauteur de 2 000 euros en moyenne. Ces travaux auraient-ils été réalisés de toute façon ? C'est un autre sujet... Les travaux concernés permettent-ils de réaliser de vraies économies d'énergie ? C'est de cette question qu'a surgi le débat sur les fenêtres qu'a évoqué le président Maurey.

J'ai pris mes fonctions voilà trois mois et demi, j'ai tout de suite réalisé qu'il y avait un problème sur cette question. J'ai rencontré les professionnels, l'Ademe et d'autres... Certains m'ont dit que subventionner les fenêtres était inefficace. Or un rapport de l'Ademe et du centre scientifique et technique du bâtiment, le CSTB, montre que le remplacement d'une fenêtre à simple vitrage en double vitrage, sous certaines conditions, est efficace. Nous essayons de corriger cette erreur.

De même, sur les chaudières à gaz, nous visons à rendre les aides plus efficaces. Le sujet n'est pas épuisé. Comme je l'ai déjà souligné, nous devons vraiment changer d'échelle.

En ce qui concerne la fiscalité écologique, on nous a reproché pendant des semaines, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, de prendre des mesures d'accompagnement, alors que le plus simple était de ne pas augmenter la taxe carbone.

Nous avons finalement décidé de suspendre - j'ignore pour combien de temps - la trajectoire de la taxe carbone. Il ne s'agit pas d'un retour en arrière, comme certains gilets jaunes le souhaitent. La France est tout de même le troisième pays européen, derrière la Suède et la Finlande, en termes de montant de la taxe carbone.

Nous suspendons la hausse, mais nous n'avons pas pour autant suspendu les aides. Je me bats pour maintenir les mesures d'accompagnement. Il ne s'agit pas tant d'accompagner la hausse de cette taxe, mais de permettre aux Français de se libérer du pétrole et de se protéger des futures hausses du prix du pétrole. Les gens ont compris que les fluctuations du marché étaient bien plus violentes que celles des taxes : l'essence est redescendue en dessous d'1,40 euro, alors que la taxe n'a pas baissé...

Je vous renvoie la balle sur la fiscalité carbone 2019 pour les collectivités locales : pas de hausse de fiscalité carbone, pas de dotation supplémentaire. Pour le coup, nous avons écouté le Sénat !

Comme j'ai pu le constater en Vendée, je pense que les syndicats d'électrification peuvent tout à fait devenir des acteurs de la transition énergétique, notamment pour le déploiement des bornes. Certains d'entre eux font même de la production. C'est une bonne façon de se repositionner par rapport à leur rôle historique.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Il s'agit d'une bonne nouvelle, monsieur le ministre, dans la mesure où j'ai cru comprendre que telle n'était pas la position de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

M. Roland Courteau. - Dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et la précarité énergétique, la rénovation thermique des logements tarde à atteindre ses objectifs, tant le reste à charge est particulièrement important pour nos concitoyens - et ce d'autant plus que le CITE est en baisse. Pouvez-vous être plus précis, monsieur le ministre, sur les solutions à apporter ?

En ce qui concerne les énergies renouvelables, permettez-moi de donner quelques chiffres : il faut huit ans pour faire aboutir un projet éolien en France, parfois même dix, contre trois ou quatre ans en Allemagne. Il ne s'agit donc pas que d'un problème financier, mais aussi d'un problème d'administration départementale. Là encore, quelles solutions proposez-vous ?

Je note enfin un manque d'ambition pour l'éolien flottant, qui jouit pourtant d'une réelle acceptabilité, notamment en Méditerranée. Or nous sommes dans la demi-mesure, ce qui est en contradiction non seulement avec l'objectif d'une électricité à 40 % renouvelable d'ici à 2030, mais aussi avec la dynamique et les investissements engagés par l'État, par les régions comme l'Occitanie et par les filières concernées.

La France est en avance sur le flottant, mais si nous avançons à coup de demi-mesure, cette industrie ira se développer en Europe du Nord. Nous avons besoin d'une trajectoire ambitieuse, avec des volumes conséquents. Or, le volume annoncé est insuffisant pour faire baisser les tarifs. Cette technologie peut permettre d'atteindre un prix compétitif, à condition de bénéficier de volumes suffisants dans le cadre d'une progressivité des appels d'offres de 3 à 5 gigawatts. Cette filière est prête à répondre, dès 2019, aux premiers appels d'offres. Pourquoi attendre, monsieur le ministre ? Les sénateurs de l'Hérault, de l'Aude et des Pyrénées orientales vous ont demandé rendez- vous voilà trois semaines, nous attendons toujours votre réponse...

M. Guillaume Chevrollier. - L'une des réponses du Gouvernement au mouvement social consiste en l'organisation d'un grand débat, notamment sur la transition énergétique.

Qu'attendez-vous d'un tel débat, sachant que la Commission nationale du débat public (CNDP) a déjà organisé, en juin dernier, un débat sur la politique énergétique de notre pays, auquel 8 000 personnes ont participé à travers 86 réunions publiques, sur tout le territoire ?

Nous avons reçu un document de synthèse sur les résultats de cette consultation qui souligne l'exigence de stabilité et de cohérence des politiques publiques pour la transition énergétique, une forte attente de territorialisation et une exigence de justice sociale. Quelle sera la valeur ajoutée d'un nouveau débat, le Gouvernement n'ayant déjà pas tenu compte de ces premières contributions ?

Par ailleurs, je m'interroge sur le manque d'engagement du Gouvernement dans la lutte contre la précarité énergétique, notamment en matière d'investissement dans les bâtiments, et plus précisément sur la chaleur renouvelable thermique.

Enfin, comme vous l'avez souligné, énergie et climat sont liés. Alors que la COP 24 vient de prendre fin, comment expliquer le peu d'espace laissé à la filière nucléaire dans cette grande conférence internationale ? Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) salue pourtant cette énergie décarbonée, sûre, pilotable et disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La COP 24 a eu lieu en Pologne, pays producteur historique de charbon qui se tourne aujourd'hui vers le nucléaire. Il me semble que la France et le gouvernement français devraient s'engager pour défendre davantage notre filière nucléaire et promouvoir la recherche pour le nucléaire de demain.

Mme Patricia Morhet-Richaud. - Dans la perspective du doublement de l'énergie renouvelable, je voudrais attirer votre attention sur les difficultés que rencontrent les communes rurales dans la mise en oeuvre de leurs projets, qu'ils soient éoliens, photovoltaïques ou hydrauliques.

Alors que les services de l'État, dans les territoires, se montrent généralement à l'écoute et soucieux d'accompagner au mieux les collectivités locales dans leurs projets de production d'énergie, ce n'est bien souvent pas le cas des directions régionales. L'administration devient alors tatillonne, inquisitrice, et s'oppose souvent aux décisions prises dans les départements. Monsieur le ministre, il serait bon que les services instructeurs soient plus à l'écoute et davantage tournés vers l'accompagnement plutôt que vers une forme de sanction très mal vécue par les élus et les acteurs locaux. À défaut, ne faudrait-il pas envisager une délocalisation de la décision finale ?

Je me permets enfin de vous poser deux questions de la part de Daniel Laurent, qui a dû s'absenter. Il souhaite tout d'abord évoquer un projet éolien en mer, au large de l'île d'Oléron, soutenu par l'ensemble des élus du territoire, qui vise à l'installation de quatre-vingts éoliennes pouvant alimenter 650 000 foyers, soit l'équivalent du département. Des consultations ont eu lieu afin de déterminer un périmètre précis réunissant les conditions de faisabilité et d'acceptabilité dans la perspective d'un nouvel appel d'offres. Lors de l'annonce, par le Premier ministre, du lancement de l'étude environnementale et du débat public, le projet oléronais n'était pas nommé dans les appels d'offres. Pouvez-vous nous apporter des explications ?

Vous avez enfin évoqué l'éolien terrestre. Quel est votre avis sur cette question qui connaît de nombreux contentieux ?

Mme Nelly Tocqueville. - En milieu urbain, le transport est responsable de près de la moitié des émissions polluantes. Si le développement du transport électrique est la solution retenue par la plupart des grandes villes, l'hydrogène pose moins de problèmes de matériaux et de recyclage que les batteries. De nombreux pays et industriels l'ont déjà identifié comme le carburant du futur, l'hydrogène n'émettant à la combustion ni CO2 ni particules.

Dans la perspective d'une neutralité carbone en 2050, nécessaire pour répondre au défi climatique, je souhaite vous interroger sur les financements que nécessite le plan de déploiement hydrogène présenté le 1er juin dernier.

Le CEA a ciblé plusieurs objectifs. J'en citerai deux : le premier concerne le verdissement de la production industrielle de l'hydrogène qui implique un accompagnement financier ; le second se situe autour de démonstrateurs de type véhicules de logistique urbaine dont le déploiement suppose un levier et un financement associés.

Le soutien de l'État et de ses opérateurs, dont l'Ademe, est donc stratégique. Le déploiement du plan hydrogène confié à cette dernière comporte une enveloppe de 100 millions d'euros. Il s'agit d'un premier pas, mais qui ne peut permettre de conduire une action structurante, comme l'a souligné le CEA.

Vous avez précisé, monsieur le ministre, que l'hydrogène avait un coût. Il me semble que la recherche mériterait de s'appuyer sur de véritables leviers financiers. Il en va à la fois de l'avenir et du présent de cette filière, l'Allemagne ayant déjà mis en circulation deux trains à hydrogène.

Mme Denise Saint-Pé. - Je souhaite relayer la vive préoccupation de nombreux élus de nos territoires, en charge de l'organisation de la distribution d'énergie, en ce qui concerne la situation des populations qui rencontreront, au cours de la présente trêve hivernale, des difficultés de paiement de leurs factures d'électricité.

De fait, à la suite de la généralisation du dispositif du chèque énergie en 2018, les bénéficiaires de cette nouvelle forme d'aide sont tenus de se signaler au moyen du renvoi d'une attestation auprès de leur fournisseur d'électricité ou de gaz naturel pour pouvoir bénéficier des dispositifs protecteurs complémentaires s'ils n'ont pas réglé une facture auprès d'eux au moyen d'un chèque énergie.

Or, très peu d'attestations ont été renvoyées aux fournisseurs d'énergie, les privant ainsi de la faculté d'identifier ceux de leurs clients qui pourraient bénéficier de ces mesures, dont l'absence de réduction de puissance en électricité pendant la période de la trêve hivernale.

En outre, la totalité des chèques énergie adressés à un peu plus de 3,6 millions de bénéficiaires n'a pas encore été utilisée.

Par ailleurs, le déploiement des compteurs communicants dont vous avez parlé voilà quelques instants a conduit à la refonte de certaines procédures, dont celle afférente aux interventions pour impayés qui permet désormais à Enedis d'opérer, à la demande du fournisseur, les réductions de puissance à distance sans déplacement préalable.

Dans ce contexte particulier, une amélioration du dispositif du chèque énergie, annoncée à l'automne 2018, est très attendue par les élus locaux. Il ne faudrait pas que le déploiement des nouveaux compteurs et la substitution du chèque énergie aux tarifs sociaux ne se fasse au détriment de nos concitoyens les plus fragiles, au moment où nos territoires sont traversés par un climat de colère sociale sans précédent.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je voudrais tout d'abord souligner la qualité du débat public qui a eu lieu en juin dernier.

Si cette PPE est sans doute perfectible, elle m'apparaît - et c'est un sénateur de l'opposition qui parle - globalement équilibrée. Elle apporte des réponses aux objectifs liés aux enjeux climatiques, à la sûreté des approvisionnements et au prix de l'énergie.

Comment va se traduire cette PPE ? Allez-vous décrire les moyens financiers mobilisés pour les vingt orientations retenues ? Va-t-on définir des objectifs quantifiables que nous pourrons évaluer ? Allez-vous mettre en place une programmation pluriannuelle des investissements ?

M. François de Rugy, ministre d'État. - Monsieur Courteau, nous sommes conscients que la situation actuelle en matière de rénovation énergétique n'est pas satisfaisante et que nos dispositifs ne sont pas efficaces. Ce n'est pas pour autant qu'il faut les abandonner brutalement. Il faut bâtir quelque chose qui tende à une rénovation globale, qu'il s'agisse des logements individuels ou des immeubles en copropriété, et disposer des outils nécessaires, notamment financiers, pour y arriver. Encore une fois, il est nécessaire de mettre en place un amortissement sur un temps suffisamment long pour permettre aux ménages de récupérer leur mise sur la base des économies réalisées.

En ce qui concerne l'éolien flottant et votre demande de rendez-vous, monsieur Courteau, il me semble qu'un mail vous a été envoyé pour vous proposer de nous rencontrer dès lundi prochain. J'entends souvent dire que nous manquons d'ambition sur l'éolien flottant. Mais comment faut-il procéder ? Investir massivement d'entrée de jeu en s'appuyant sur l'effet de masse...

M. Roland Courteau. - C'est ce que nous proposons.

M. François de Rugy, ministre d'État. - ... ou chercher quelque chose de plus progressif, qui permette aux industriels de baisser les coûts au fur et à mesure des progrès réalisés ? Nous avons choisi cette seconde voie.

Je préférerais que l'on soit capable de séparer ce qui relève du développement d'une filière industrielle de ce qui relève des coûts de production. Je ne suis pas le ministre de l'industrie, mais j'ai parfois l'impression de l'être sur ce type de dossiers. Si l'on intègre les coûts de développement aux coûts de l'énergie, il faut accepter de payer son électricité plus chère. Or, c'est justement ce que les gens ne veulent pas !

Certains membres du Gouvernement ne souhaitaient pas aller plus loin sur l'éolien flottant tant que les prix n'ont pas baissé. Nous avons trouvé ce compromis qui nous permet d'avancer.

Monsieur Chevrollier, il est certain que le débat public sur la PPE n'a pas eu la visibilité qu'il méritait. Pour autant, et contrairement à ce que vous dites, ses conclusions ont été suivies. Les participants au débat ont validé la stratégie de rééquilibrage et de diversification. Il ne s'agit pas de sortir du nucléaire ni de s'enfoncer dans le tout nucléaire. Les conclusions du débat ont souligné l'importance du coût de l'électricité et de la mise en place d'une transition écologique et solidaire.

On ne peut, d'un côté, vouloir développer des technologies qui coûtent très cher et, de l'autre, disposer d'une énergie bon marché. À un moment donné, il faut trouver le bon équilibre. Nous avons évoqué le nucléaire, l'éolien et le solaire, mais il en va de même du biogaz : le coût de production du biogaz est aujourd'hui quatre fois supérieur à celui du gaz fossile importé. Dès lors, soit on interdit d'importer du gaz, soit on met en place une taxe carbone qui compense cette différence, aux alentours - je ne dois pas être loin de la vérité - de 200 euros la tonne - nous sommes aujourd'hui à 45 euros la tonne... Si l'on veut un gaz renouvelable compétitif sans augmenter les prix, le seul moyen est donc de baisser les coûts de production. Nous avons fixé des objectifs très ambitieux pour cette filière. Nous devrons faire un premier point d'ici à cinq ans pour savoir si nous nous inscrivons bien dans une trajectoire de baisse des coûts de production.

Se loger, se déplacer, se chauffer sont des enjeux qui seront au coeur du grand débat à venir. Si certaines personnes sont opposées à la transition écologique que nous mettons en place, ce sera le moment de le dire. Il ne s'agit pas de refaire le débat sur la PPE, mais de trouver des solutions au plus près du terrain sur ces trois grands enjeux.

Madame Morhet-Richaud, nous voulons que les collectivités locales jouent un rôle plus important. Mais les décisions nationales permettent de mettre en place une stratégie commune et d'éviter que chacun fasse sa politique énergétique dans son coin. Elles permettent aussi l'existence de tarifs d'achat garantis.

Si certaines collectivités veulent développer des projets autofinancés, je n'y vois aucun inconvénient. Si l'administration peut être parfois tatillonne sur certains sujets environnementaux - j'en suis bien conscient -, je veux bien travailler à lever ces difficultés avec les élus locaux et les filières concernées. Mais sachez qu'il y aura des mécontents. Sébastien Lecornu avait mené un travail sur l'éolien terrestre. Une des premières choses que j'ai faite en arrivant a été de signer un décret de simplification des procédures sur l'éolien : sur les réseaux sociaux ou dans les journaux, on m'a immédiatement cloué au pilori. On m'a accusé de vouloir construire des éoliennes dans le dos des gens en empêchant les recours... À chaque fois, on fait des heureux d'un côté et des mécontents de l'autre. J'assume mes décisions : si je peux permettre de lever des interdictions trop tatillonnes, je le ferai, mais sachez bien qu'il y aura des conséquences.

J'en reparlerai avec M. Laurent, mais le projet éolien offshore de l'île d'Oléron se situe en plein coeur d'un parc naturel. Il n'a pas semblé qu'il s'agissait de l'endroit idéal pour installer des éoliennes, qui plus est pour un coût assez élevé. Sachez que je suis tout à fait favorable au développement de l'éolien offshore, mais encore faut-il que les projets soient acceptables en termes environnementaux et en termes de coût.

Pour l'hydrogène, nous avons fixé les priorités, aussi bien pour l'hydrogène industriel que pour celui utilisé dans les transports lourds. L'hydrogène industriel est de l'hydrogène sale, émetteur de CO2 puisqu'il provient du craquage du méthane. L'objectif fixé à la filière hydrogène est de développer l'hydrogène par électrolyse de l'eau, qui pour l'instant coûte deux fois plus cher. Pour pénaliser les émissions de CO2, il n'y a pas trente-six solutions : on le fait soit par la taxe carbone, soit en instaurant des quotas carbone ou des droits d'émission, soit en fixant des normes, ce qui est une autre façon d'augmenter le coût. Concernant le train à hydrogène, le démonstrateur en Allemagne que vous évoquez est produit par un constructeur français. Nous travaillons à un appel d'offres commun à plusieurs régions pour commander de tels trains, qui pourraient être une alternative à l'électrification des lignes.

Le taux de recours au chèque énergie est de 85 %, ce qui est très élevé pour une prestation sociale. Nous allons encore augmenter le nombre de bénéficiaires et nous travaillons sur les effets pervers dont vous avez parlé : un décret que j'ai signé doit encore être cosigné par un autre ministre.

Nous nous efforçons d'équilibrer investissements privés et subventions publiques, sachant que, souvent, il est difficile de prévoir le niveau nécessaire puisqu'il est lié au prix de marché de l'électricité. Plus ce prix baisse, plus cela coûte à l'État, qui comble la différence.

Soutenir la diversification du mix électrique ne veut pas dire qu'on ne défend pas la filière nucléaire. On entend même souvent que cette PPE poursuit le nucléaire au lieu d'en amorcer la sortie. C'est le propre, sans doute, des politiques équilibrées : certains trouvent qu'on n'en fait pas assez pour le nucléaire, d'autres trouvent qu'on en fait trop.

Je suis allé à la COP 24 de Katowice. Un stand très important y vantait les mérites du charbon, ce qui se comprend au coeur de la Silésie... Ne croyez pas, cela dit, que la Pologne ne fait pas d'efforts pour réduire sa consommation de charbon. Elle a présenté un plan pour développer le nucléaire. Mais, comme en Inde, comme dans d'autres pays du monde qui ont du charbon, la Pologne continue à l'exploiter. Ils ne vont pas jusqu'à parler, comme le président Trump, de charbon propre, qui n'existe pas. En tous les cas, ces pays devront décider si, pour sortir du charbon, ils voudront faire du nucléaire ou plus d'énergie renouvelable.

M. Jean-Claude Tissot. - Je souhaite évoquer les tarifs réglementés de vente, qui permettent aujourd'hui au Gouvernement d'agir sur les prix de l'électricité et du gaz ; le Premier ministre a d'ailleurs annoncé une baisse de 2 % à partir du 1er janvier. On peut s'en réjouir mais, dans la loi Pacte, vous prévoyez de supprimer les tarifs réglementés. Puisque le Premier a fait la démonstration de l'utilité de ces tarifs qui lui ont permis de répondre à une demande, comptez-vous vraiment le faire ?

Quand vous parlez d'agrocarburants, vous parlez de leur prix. J'aurais aimé vous entendre dire aussi qu'ils entrent en concurrence directe avec l'alimentation.

M. Joël Bigot. - Vous fixez des objectif ambitieux, qui impliquent une politique volontariste, dont on mesurera à ses résultats si elle a été poursuivie jusqu'au bout.

Le service public de la performance énergétique de l'habitat, qui s'occupe notamment de l'isolation des bâtiments, a vu ses crédits réduits de moitié cette année. Cela me laisse perplexe quant à la volonté du Gouvernement de continuer la politique de rénovation énergétique des bâtiments. Nous verrons lors des conclusions du débat national, au Conseil national de la transition écologique, ce qu'il restera des mesures que vous avez détaillées.

Comment comptez-vous concilier les attentes sociétales et la transition écologique ? Les mesures doivent être acceptées. Pour cela, l'appui des territoires sera indispensable. Ce sont les collectivités locales qui accompagnent la rénovation des bâtiments et des écoles et les projets d'énergie renouvelable. Certaines intègrent dans le montage financier des fonds participatifs. Ce sont elles qui organisent les mobilités de demain, voire les éco-mobilités. Il y a donc tout intérêt à renforcer la place des territoires. Envisagez-vous une décentralisation des politiques énergétiques ? Par exemple, il serait bon de reverser une part de la fiscalité carbone aux collectivités locales vertueuses.

M. Franck Montaugé. - Les difficultés pour aboutir à cette PPE montrent que les objectifs doivent toujours être mis en rapport avec des plans d'action qui permettent de les atteindre. Vos objectifs sont très ambitieux. Comment comptez-vous mesurer le respect par chaque acteur des stratégies retenues ? Ces objectifs interpellent particulièrement une très grande entreprise du secteur de l'énergie, EDF. Avec la loi Pacte, l'État va encore monter au capital d'EDF. Avec quelles visées ? Cette transition comporte par ailleurs un volet social très important, pour EDF et pour d'autres acteurs, en lien notamment avec le démantèlement de sites existants : comment appréhendez-vous la reconversion du personnel amené à changer de domaine de production énergétique ?

La stratégie nationale bas carbone est ambitieuse. Où en êtes-vous de vos réflexions sur l'évolution des normes comptables des entreprises françaises et européenne ? Il faut intégrer la problématique du carbone au modèle de décision des entreprises.

M. Guillaume Gontard. - Vous avez beaucoup parlé du débat public. Ses conclusions ont fait ressortir un sentiment d'injustice car les efforts étaient inégalement répartis. La France ne respecte pas la trajectoire qu'elle s'est fixée dans les accords de Paris, et les objectifs de la précédente PPE n'ont pas été atteints. Les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté en 2018, et j'ai peur que cela ne continue dans les prochaines années. La part des énergies renouvelables a même baissé entre 2016 et 2017 ! Les objectifs en matière d'économie et de sobriété de cette PPE sont insuffisants. Pouvez-vous nous assurer que les objectifs de cette PPE répondent réellement aux engagements des accords de Paris et notamment aux orientations du GIEC ? Avons-nous abandonné l'objectif de 1,5 degré ?

Vous avez parlé de toutes les énergies renouvelables, sauf de l'hydroélectricité, alors que c'est la première énergie renouvelable en France, représentant 10 % de la production. Contrairement à ce qu'on dit, il y a une évolution possible même si cette filière a été mise à mal par la suppression d'emplois et la revente à la découpe des entreprises et qu'il existe une forte inquiétude sur la mise en concurrence des barrages.

M. Fabien Gay. - La question est de savoir comment on produit l'énergie, avec quelle indépendance énergétique, à quel coût et à quel prix pour l'usager. Cinq millions de ménages sont en précarité énergétique, soit 10 à 11 millions de personnes. Comment lutter efficacement contre cela ? Hier, les négociateurs de l'Union européenne ont réussi à se mettre d'accord pour repousser jusqu'à 2025 la fin des tarifs réglementés. Tant mieux !

Il faut vous positionner sur Engie : si l'on veut une électricité et une énergie disponibles pour le plus grand nombre, il faut des entreprises publiques. Le désengagement de l'État dans Engie n'est pas une bonne chose. Depuis sept ans, on a eu 333 % de hausse de taux de distribution pour les actionnaires, soit 27 milliards d'euros - et dans le même temps, une augmentation de 70 % des prix pour les consommateurs. Allez-vous, pour financer la transition énergétique, taxer le kérosène, notamment sur les vols intérieurs, et taxer Total, qui a versé 43 milliards d'euros aux actionnaires en sept ans ? Sur la Montagne d'Or, je vous ai interpellé. Que signifie une mine éco-responsable ?

Hier, dans le budget, le Gouvernement a déposé un amendement non pas pour répondre à la crise sociale, augmenter les salaires, le SMIC ou encore rétablir l'ISF, mais pour instaurer un tarif réduit de l'électricité pour les aérodromes. Alors que vous vous apprêtez à vendre Aéroports de Paris, vous faites encore un cadeau au capital. C'est un véritable scandale !

M. Michel Vaspart. - Le président de la République est venu à Saint Brieuc au mois de juin et il a annoncé à la filière offshore posé le lancement de nouveaux projets. Une filière a besoin de marchés intérieurs avant d'aller à l'export. Avec cette PPE, vous allez lancer entre 1,2 et 1,7 gigawatts de plus. Or, cela ne suffit pas à la filière, qui a beaucoup investi à Brest et à Saint-Nazaire. Et je ne parle pas de l'éolien offshore flottant, qui est la seule solution en Méditerranée. Êtes-vous prêt à relancer d'autres projets ?

Le barrage de la Rance est unique au monde : il produit l'électricité renouvelable et vend son kilowattheure au prix de marché. Il y a une sur-sédimentation car il n'y a pas eu de prise en compte des problèmes écologiques. On avait envisagé de faire en sorte que les kilowattheures soient au prix de l'énergie renouvelable. Ségolène Royal s'était montrée plutôt favorable, Nicolas Hulot ne s'en est pas occupé du tout : j'aimerais bien que vous regardiez le sujet.

M. Henri Cabanel. - Je voudrais revenir sur la question de l'éolien flottant évoquée par mon collègue Roland Courteau. Pouvez-vous faire en sorte que des entreprises françaises soient ambitieuses pour les énergies innovantes ? L'Occitanie l'est, et sa présidente Carole Delga a souhaité qu'en 2050 ce soit un territoire à énergie positive. Une entreprise, Quadran, a investi 10 millions d'euros sur l'éolien flottant ; s'il n'y a pas d'ambition, elle partira ailleurs.

J'étais récemment avec le directeur de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de l'Hérault pour aider des communes rurales à mettre en place leur projet photovoltaïque sur des friches industrielles. Il m'a dit que sa volonté n'était pas de donner des autorisations sur le photovoltaïque au sol. Y a-t-il une nouvelle doctrine ?

- Co-présidence de M. Michel Vaspart, vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable -

M. Ronan Dantec. - J'ai sursauté tout à l'heure quand le ministre a parlé dotations supplémentaires pour les collectivités territoriales, car il me semble qu'il n'y a jamais eu de dotations du tout sur le climat et la transition énergétique !

Si la PPE ne met pas les territoires au coeur, on n'y arrivera pas. Pour cela, il faut une forme d'incitation financière. Et si l'État cherche un peu d'argent en ce moment, l'indexation de la taxe Chirac sur les avions rapporterait très rapidement 200 ou 300 millions d'euros sans changer aucun mécanisme, puisque les compagnies ont l'habitude.

Pour l'éolien offshore, qui est une filière prometteuse, il est clair que les 5 gigawatts annoncés ne suffiront pas au développement de la filière. Êtes-vous prêt à revoir ce point ? Quelle sera la capacité des parlementaires dans les prochaines semaines à amender la PPE ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Les deux piliers de votre stratégie sont les économies d'énergie et le développement des énergies renouvelables. En ma qualité de présidente du groupe d'études sur la forêt au Sénat, je voudrais attirer votre attention sur ce qui pourrait être le troisième pilier : la captation du CO2 et le développement des puits de carbone. La forêt joue un rôle incontournable, puisqu'elle capte plus de 130 millions de tonnes de CO2 par an, soit près de 30 % des émissions nationales. Pour qu'elle puisse jouer ce rôle vertueux, il faut que ce soit une forêt en croissance. Or, dans le cadre du plan national forêt, on la coupe et on ne la renouvelle pas. Seriez-vous favorable à ce qu'on développe une stratégie nationale pour accompagner le développement de ces puits de carbone ? La forêt contribue à atteindre de multiples objectifs en matière énergétique et de climat.

Un certain nombre d'entreprises de transformation du bois auraient la possibilité de développer également de la production d'électricité. Je ne suis pas favorable à ce qu'on coupe du bois pour le brûler mais, quand on est dans une stratégie de transformation et qu'on récupère des déchets connexes, il y aurait intérêt à valoriser ces déchets non seulement dans des séchoirs mais également dans la production d'électricité. Qu'en pensez-vous ?

M. Pierre Cuypers. - Vous avez évoqué l'objectif de 32 % d'énergies renouvelables, toutes énergies renouvelables comprises. À l'occasion de la discussion sur la loi de finances, j'ai déposé des amendements sur les biocarburants ; tout à l'heure, vous avez semblé rejeter d'un revers de main ces biocarburants, considérant qu'ils étaient trop chers, même s'il n'y avait pas de taxes. Vous savez pourtant que toute énergie nouvelle en développement a toujours eu un accompagnement, que ce soit le nucléaire, le photovoltaïque ou l'éolien. J'ai donc du mal à comprendre que vous soyez opposé à tous les amendements que nous avons présentés ou votés pour certains, sachant que les biocarburants permettent de supprimer 80 % des émissions de particules fines et ultrafines et de réduire de 70 % les émissions de gaz à effet de serre. D'un côté, vous souhaitez le développement des énergies renouvelables, et de l'autre vous rejetez celles qui sont favorables au développement économique et à l'emploi... comme s'il valait mieux acheter moins cher ailleurs ce que l'on peut produire en France.

Pouvez-vous confirmer le montant de 350 millions d'euros en 2023 pour l'injection dans le réseau du biométhane, et de 900 millions d'euros en 2028 ? À combien se montera le soutien public à la cogénération pour le biogaz non injecté ?

M. Yves Bouloux. - Parmi les vingt orientations exposées dans le chapitre « industrie » de la PPE, pourriez-vous nous préciser l'objectif de recherche et développement pour réduire les émissions résiduelles des procédés bas carbone de généralisation de l'éco-conception des produits ? Quels moyens ? Quelles incitations financières ou fiscales ?

Daniel Laurent m'a demandé de poser sa question sur les plateformes territoriales de la rénovation énergétique. La voici : au printemps dernier, un plan de rénovation énergétique des bâtiments a été annoncé, avec pour objectif de rénover chaque année 500 000 logements, dont la moitié est occupée par des ménages aux revenus modestes. Cet objectif sera difficile à atteindre, car il faudrait rénover 14 millions de logements d'avant 1975 et 6,8 millions construits entre 1975 et 2000 - on considère que les rénovations des logements construits après 2000 ne sont pas nécessaires. Pour rénover ces 20,8 millions de logements avant 2050, il faudrait en rénover en moyenne 650 000 par an, contre seulement 16 000 environ actuellement. Le fossé à combler est donc très important. Dans ces conditions, on voit tout l'intérêt qu'il y aurait à lever un certain nombre d'obstacles, afin notamment d'encourager les grands syndicats départementaux d'énergie, en partenariat avec les régions, à s'impliquer massivement dans la rénovation énergétique des bâtiments. Or, la rédaction actuelle de l'article L. 232-2 du code de l'énergie vise uniquement les EPCI à fiscalité propre.

M. François de Rugy, ministre d'État. - S'agissant des tarifs réglementés, ceux de l'électricité sont maintenus ; ils ne sont pas remis en cause au niveau européen.

Pour autant, l'existence de tarifs réglementés ne signifie pas que les tarifs n'augmentent pas ou n'augmentent pas plus que l'inflation. Quand on parle de tarifs réglementés, beaucoup de nos concitoyens comprennent qu'il s'agit de tarifs fixés par l'autorité politique dans sa grande sagesse, un peu comme les tarifs de l'eau décidés par la collectivité territoriale qui assure l'alimentation en eau potable ou ceux des transports établis par l'autorité organisatrice compétente. En l'espèce, c'est la CRE qui fixe la formule de calcul et le prix de l'électricité, que le ministre approuve in fine. Si l'on décide autre chose - et l'une de mes prédécesseurs a essayé de le faire -, les recours sont immédiats et ledit ministre est assuré de perdre, avec un rattrapage de la hausse non appliquée. Je suis, pour ma part, convaincu qu'il convient de s'interroger sur le maintien d'un dispositif aberrant qui place le ministre compétent entre le marteau et l'enclume et qui revient à faire une fausse promesse aux Français, celle que les tarifs n'augmenteront jamais. Leur évolution, selon la formule appliquée par la CRE, dépend des coûts de production qui, hélas, ont tendance à croître. C'est d'ailleurs tout l'objet de la formule : s'assurer que les tarifs reflètent l'évolution des coûts, à la hausse comme à la baisse. Si on ne le fait, à un moment donné, ça se paie. Nous avons un devoir de transparence vis-à-vis de nos concitoyens et d'action en faveur d'une diminution des coûts de production de l'électricité. Car c'est la seule façon pour faire en sorte que les prix payés par les consommateurs n'augmentent pas trop.

Quant aux tarifs réglementés du gaz, c'est encore pire puisque le tarif évolue chaque mois, en fonction de l'évolution des marchés sur lesquels la France se fournit pour 99 % de sa consommation. Les offres de marché sont par ailleurs inférieures aux tarifs réglementés. Ceci nous a conduit à proposer la suppression des tarifs réglementés car ne faisons pas la fausse promesse d'un tarif qui serait à l'abri de l'évolution des marchés, même s'il existe des systèmes compliqués de couverture des risques sur les marchés mondiaux pour stabiliser les prix sur plusieurs mois - c'est d'ailleurs ce que nous avons demandé à Engie.

Pour ce qui concerne le service public de la performance énergétique évoqué par Joël Bigot, la difficulté réside dans le souhait exprimé par les régions, à l'occasion de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, de disposer de la compétence. Or, dès lors qu'il s'agit de l'exercer, on s'aperçoit que ça a un coûté et qu'il faut trouver des financements. J'ai rencontré l'Assemblée des régions de France, nous y travaillons avec l'Ademe, notamment au travers des CEE. Je suis, pour ma part, favorable à la mobilisation des collectivités territoriales, qui déjà prennent de nombreuses initiatives.

Monsieur Montaugé a évoqué la mesure et le suivi des objectifs. Je crains à cet égard la dictature de l'immédiateté, alors que les sujets ressortent davantage de trajectoires à moyen et long terme. Les parlementaires pourraient jouer un rôle en matière de suivi avec plus de recul que les habituelles polémiques médiatiques.

S'agissant de la restructuration d'EDF, plutôt que de décider seuls, nous avons demandé à l'entreprise de nous transmettre des propositions. À titre personnel, plusieurs options paraissent envisageables : le statu quo, malgré le taux d'endettement élevé et le questionnement sur le fait de placer le nucléaire dans une société cotée ; la création, massivement rejetée par les syndicats et sans doute par le management, de sociétés spécialisées, des sociétés soeurs en quelque sorte avec une holding de tête ; et une sorte de solution intermédiaire, avec une société mère et une société fille. Mais il n'y a pas de solution miracle : aucune, en particulier, n'effacerait l'endettement de l'entreprise ni ne coûterait rien, d'autant que la Commission européenne veillera évidemment à ce que nous ne lui versions pas d'aides d'État déguisées. En tous les cas, rien n'est décidé à ce stade.

Monsieur Gontard, sur l'enjeu climatique, qui sous-tend la PPE, il existe en France un consensus pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais dès qu'il est question des solutions à apporter, les avis divergent et c'est plutôt la levée de bouclier contre toute mesure proposée. On nous a expliqué ces dernières semaines que la taxe carbone n'était pas la bonne solution, une de mes prédécesseurs a même fait toute une campagne médiatique pour dire qu'il s'agissait d'écologie punitive, l'expression s'est désormais bien imposée mais je rappelle quelques chiffres, car derrière les symboles - même si ça compte - il y a la réalité : la hausse de la taxe carbone, en 2019, c'était trois centimes d'euros sur le litre d'essence, presque sept centimes sur le diesel en 2019 si l'on ajoutait le rattrapage et un prix stable pour le gaz contre une baisse de 2 % sans cette hausse, pour une recette de deux milliards d'euros que nous peinerons à remplacer... Je ne serai pas de ceux qui prôneraient de le récupérer sur l'impôt sur le revenu ou sur un autre impôt. J'entends ceux qui évoquent le rétablissement de l'ISF, soit 3,5 milliards, mais ces 3,5 milliards ne serviront pas dix fois !

M. Roland Courteau. - Qu'il serve au moins une fois !

M. François de Rugy, ministre d'État. - Quelle autre solution ? Les quotas carbone suscitent l'opposition de ceux qui sont contre les mécanismes de marché ; les CEE, tout le monde y adhère sur le principe car on pense que c'est indolore mais c'est en réalité une forme de taxation pour les vendeurs d'énergie, notamment fossiles ; dernière solution, la norme, par exemple en matière de véhicules, mais cette norme engendre aussi des surcoûts, au moins dans un premier temps, et peut paraître socialement injuste, d'où les appels à aller moins vite sur ces sujets. Le Gouvernement, aux responsabilités, tranchera et assumera ses choix, mais toute idée opérationnelle demeure la bienvenue. Je dis bien opérationnelle car quand j'entends une ancienne ministre - devenue depuis directrice d'une organisation non gouvernementale - parler de « taxe carbone juste », qu'elle nous donne le mode opératoire !

Je suis bien entendu favorable au développement de l'hydroélectricité en améliorant la productivité des barrages et leur capacité à servir de tampon pour répondre à la pointe. Mais cela n'a pas de lien avec la remise en concurrence des concessions, qui relève d'un choix politique. D'aucuns souhaiteraient prolonger les concessions existantes, ce que la Commission européenne nous interdit. Nous allons donc sortir cette question du statu quo mais je ne laisserai pas dire qu'il s'agit d'une privatisation des barrages, car c'est faux : on ne vend pas le barrage, on met en concurrence son exploitation, avec des investissements et une redevance. Nous travaillerons avec les élus locaux, dont beaucoup sont demandeurs et regrettent qu'on ne fasse plus rien sur les barrages, pour rédiger les cahiers des charges des concessions d'exploitation.

Vous avez également évoqué, monsieur Gontard, le rôle du Parlement. Je prendrai l'exemple de l'EPR : ce sujet fera-t-il l'objet d'une loi en 2022 ? Je vous rappelle que le programme électronucléaire français a été lancé sans la moindre loi ni le moindre débat au Parlement. Nous avons désormais une loi de transition énergétique, une PPE et l'on prévoit que si de nouveaux EPR devaient être commandés, cela se fera dans un cadre transparent, avec toutes les données à disposition et avant une échéance électorale dans laquelle chacun pourra se positionner.

Monsieur Gay, le désengagement de l'État du capital d'Engie représente un choix politique que j'assume : ce n'est pas en conservant des participations minoritaires dans l'entreprise que l'État dispose des meilleurs outils de politique énergétique. Vous souhaitez que nous taxions le kérosène : alors, soyez certains que si nous taxons uniquement en France, les compagnies aériennes iront se fournir hors de nos frontières, comme le font déjà les camions étrangers, qui représentent 35 % du trafic mais ne participent qu'à hauteur de 8 % aux recettes sur les carburants, grâce à Mme Royal qui a supprimé la taxe poids lourds et préféré imposer les carburants plutôt que l'usage des routes.

Le dossier de la Montagne d'Or sera traité dans les prochaines semaines. J'ai, à cet effet, rencontré les associations, les élus locaux et le préfet de Guyane. S'agissant de l'éolien posé ou offshore, si les industriels démontrent qu'ils sont en mesure de réduire le coût de production - il s'affiche actuellement entre 120 et 130 euros par mégawattheure, soit le double du prix de marché - nous fixerons un objectif supérieur. De la même façon, si, dans cinq ans, une solution moins coûteuse était trouvée pour le stockage de l'énergie, la PPE pourrait être révisée car l'utilisation des énergies renouvelables en serait facilitée d'autant.

Je défends, pour ma part, l'éolien flottant dans la perspective de faire émerger une filière française en permettant à nos entreprises, dont trois comptent parmi les cinq entreprises mondiales à la pointe sur le sujet, de déployer ce savoir-faire en France. Les coûts de production, pour autant, doivent demeurer raisonnables. J'entends bien vos inquiétudes : plusieurs projets existent, en Bretagne, en Occitanie et en Provence et chaque région voudrait que son projet se concrétise. J'en profite pour inviter la région Occitanie à développer l'éolien terrestre...

La doctrine, qui n'interdit la production que sur les terres agricoles et les espaces naturels, ne me semble nullement défavorable au développement du photovoltaïque au sol. Les blocages venant localement de l'administration doivent être remontés au ministère, même s'il apparait que l'application de règles multiples constitue un frein évident. Imaginez que nous ayons dû respecter autant de normes lors de la construction des centrales thermiques et nucléaires ! En revanche, je réfute les propos tenus sur l'absence d'intérêt, pour les collectivités territoriales, qu'il y aurait à développer les énergies renouvelables. D'aucuns estiment d'ailleurs que les élus locaux seraient achetés par les promoteurs. Les retombées fiscales existent localement - même s'il y a toujours un débat sur le partage de ces recettes entre niveaux de collectivités - et cela me semble normal, notamment au bénéfice des territoires ruraux qui, par nature, sont davantage susceptibles d'accueillir les installations de production. Vous m'avez interrogé sur l'affectation d'une part de la taxe carbone aux collectivités, mais les surplus de recettes seront nuls en 2019, voire au-delà.

Madame Loisier a évoqué la captation du dioxyde de carbone par la forêt. S'il n'est pas prévu de produire à grande échelle de l'électricité en brûlant du bois, compte tenu du coût élevé de l'opération et de son faible rendement - et l'on voit les difficultés que l'on connaît à Gardanne -, en revanche, le bois est intéressant pour la production de chaleur.

Monsieur Cuypers, veillez à ne pas déformer mes propos sur les biocarburants. Nous allons augmenter leur part dans la consommation de carburants. Pourtant, d'aucuns critiquent leur bilan carbone, compte tenu de l'importation d'huiles diverses et de la déforestation que leur production entraine. Vous avez eu à en débattre ici au Sénat et cette nuit encore, l'Assemblée nationale a adopté un amendement sur l'huile de palme qui ne va pas faciliter les choses pour l'usine de la Mède. Avec le ministre de l'agriculture, j'ai même pris une mesure favorisant la filière betterave pour la production de l'éthanol. Mais, s'il faut sauver l'usine Total de La Mède, il convient d'accepter que 50 % de la production soit issue de l'huile de palme.

Soyons, par ailleurs, réalistes et honnêtes vis-à-vis de nos concitoyens : si s'appliquaient aux biocarburants les mêmes règles en matière de taxation qu'aux carburants d'origine fossile, ils seraient bien plus coûteux. Le raisonnement est identique s'agissant du biogaz, dont les industriels doivent s'efforcer de réduire le coût de production pour le rapprocher du prix de marché, même si l'on n'arrivera pas au prix du gaz importé. Je suis favorable au développement de nos ressources afin de limiter les importations, mais les coûts doivent en demeurer acceptables, sauf à peser sur l'État au travers d'une subvention publique ou sur les Français via les tarifs d'achat. Et encore une fois, sur les biocarburants, nous maintenons le taux d'incorporation.

Concernant enfin la recherche et le développement dans l'industrie, l'émergence de filières industrielles doit pouvoir bénéficier d'un soutien public raisonnable, notamment pour compenser un différentiel de coût entre le coût de production et le prix de marché. Par ailleurs, des programmes de recherche, dont je souhaite qu'ils aboutissent, sont financés par le programme d'investissements d'avenir (PIA). Bruno Le Maire a négocié un accord franco-allemand sur les batteries. Les industriels de la filière automobile vont désormais discuter pour développer une filière européenne, offrant des retombées à l'économie française et européenne.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Nous vous remercions, monsieur le ministre, pour la précision de vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 55.