Mercredi 16 janvier 2019

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Audition de M. Benjamin Smith, directeur général du groupe Air France-KLM

M. Hervé Maurey, président. - Je souhaite tout d'abord la bienvenue à notre collègue Françoise Ramond, qui nous rejoint aujourd'hui. Elle remplace Gérard Cornu qui, comme vous le savez, a quitté le Sénat. Mme Ramond est désormais sénatrice d'Eure-et-Loir et siège, comme Gérard Cornu, au sein de notre commission.

Le premier point à l'ordre du jour appelle l'audition de M. Benjamin Smith, directeur général d'Air France-KLM, et de Mme Anne-Marie Couderc, présidente non exécutive du groupe.

C'est la première fois que M. Benjamin Smith s'exprime devant une commission parlementaire depuis sa prise de fonction. Nous sommes très heureux que ce soit au Sénat. C'est un événement perçu à juste titre comme important.

M. Benjamin Smith a été nommé le 16 août dernier à la tête du groupe Air France-KLM. Il était précédemment numéro deux du groupe Air Canada. Sa nomination est intervenue dans un contexte particulièrement tendu, à la suite de la démission, au mois de mai, de M. Jean-Marc Janaillac, après le rejet du projet de revalorisation salariale présenté à l'approbation des salariés. Le conflit qui a opposé la direction d'Air France aux organisations syndicales l'année dernière a duré plusieurs mois. Il a coûté 335 millions d'euros à la compagnie, ce qui montre bien l'importance et la difficulté du dialogue social dans l'entreprise.

À la suite de cette prise de fonction, de nouvelles négociations ont été engagées. Elles ont permis d'aboutir, le 19 octobre dernier, à un accord salarial qui prévoit une revalorisation de 2 % en 2018 et 2 % en 2019. Ce résultat a conduit certains médias à qualifier M. Benjamin Smith de « magicien ». Toutefois, force est de constater que tout n'est pas pour autant réglé au sein de l'entreprise. Des négociations salariales sont en cours avec certains syndicats, notamment les syndicats de pilotes.

Au-delà des questions purement salariales, le sujet d'inquiétude réside pour nous dans le positionnement d'Air France dans un monde de plus en plus concurrentiel. Les low cost ont une part de marché de plus en plus importante sur les vols court et moyen-courriers, mais aussi sur des vols long-courriers, notamment les liaisons transatlantiques.

Air France est par ailleurs pris en tenaille entre les low cost et les compagnies du Golfe, qui arrivent, grâce à des subventions des États qu'elles représentent, à offrir des tarifs très attractifs pour des prestations incontestablement de qualité. Le nouveau règlement européen en cours de discussion vise d'ailleurs à permettre à la Commission européenne de prendre des sanctions dès lors que seraient constatées des pratiques déloyales.

Nous avons donc hâte, monsieur le directeur général, de vous entendre sur la stratégie d'Air France face à cette concurrence. Peut-être vos précédentes fonctions vous permettent-elles d'avoir déjà un certain nombre de propositions en la matière...

Les Assises du transport aérien, lancées par le Gouvernement au mois de mars de l'année dernière, n'ont pas encore reçu de conclusions publiques. Nous les attendons et nous souhaiterions que vous puissiez évoquer ce que vous en attendez, notamment en termes de charges sociales, de redevances aéroportuaires, ou encore de taxe « Chirac ».

Peut-être pourrez-vous enfin nous dire ce que vous inspire le projet de privatisation du groupe Aéroports de Paris (ADP).

Mme Anne-Marie Couderc, présidente non exécutive du groupe Air France-KLM. - Avant que Benjamin Smith ne prenne la parole, je tiens, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, à vous remercier pour cette audition. Comme le président Maurey vient de le rappeler, nous nous trouvons dans un contexte particulier. Les Assises du transport aérien constituent pour nous un enjeu majeur pour la compétitivité d'Air France, auquel s'ajoute le projet de privatisation d'ADP.

La gouvernance du groupe Air France-KLM est aujourd'hui stabilisée. Le groupe Air France-KLM dispose d'une présidente dont la responsabilité est d'assurer le bon fonctionnement des conseils d'administration, et d'un directeur général, Benjamin Smith, personnalité internationale, spécialiste du transport aérien, acteur majeur du redressement d'Air Canada, capable d'animer le dialogue social et d'instituer une vision partagée entre les personnels et la direction dans le cadre du nécessaire développement du groupe.

Sa priorité a été de rétablir la confiance au sein d'Air France, de réamorcer son développement, et d'assurer une cohérence à l'intérieur du groupe, de manière à développer au maximum les atouts dont nous disposons dans toutes les divisions et toutes les compagnies aériennes du groupe.

C'est ainsi que nous avons pris la décision de nommer une nouvelle directrice générale d'Air France, Anne Rigail. C'est la première fois qu'une femme dirige Air France. Nous en sommes très fiers. Anne Rigail est une personne éminemment compétente, formée chez Air France.

M. Benjamin Smith, directeur général du groupe Air France-KLM. - Des étapes majeures ont été franchies sur le plan social au cours des trois derniers mois, grâce à des échanges de grande qualité avec les partenaires sociaux.

Je citerai tout d'abord la résolution du conflit social dans sa dimension intercatégorielle grâce à la signature d'un accord salarial, le 19 octobre dernier, avec les syndicats représentant plus de 75 % des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles.

Cet accord s'articule autour d'une augmentation de 2 %, avec effet rétroactif au 1er janvier 2018, ainsi qu'une mesure d'augmentation de 2 % au 1er janvier 2019. La signature de cet accord inter-catégoriel a permis d'apaiser le climat social, et a été complétée le 9 janvier 2019 par un accord spécifique aux personnels au sol.

À la suite de la conclusion de cet accord, plusieurs chantiers de négociation ont pu être ouverts.

Une négociation catégorielle concernant les pilotes a débuté le 5 novembre dernier. Elle va se poursuivre ces prochaines semaines.

Une négociation catégorielle touchant les personnels navigants commerciaux (PNC) a permis la signature d'un accord le 10 janvier 2019.

Enfin, un projet d'accord sur les futures instances représentatives du personnel permettant la mise en place des comités sociaux et économiques d'établissement, issus des ordonnances de 2017, a été signé. Air France figurera ainsi parmi les premières grandes entreprises françaises du secteur des transports à mettre en oeuvre un tel accord avec ses partenaires sociaux.

Sur le plan économique et financier, la première partie de l'année 2018 s'est révélée difficile pour le groupe Air France-KLM. La démission de Jean-Marc Janaillac a fait suite à la situation de blocage créée par quinze jours de grève entre le 22 février et le 8 mai, dont le coût global a été de l'ordre de 350 millions d'euros.

La gouvernance de transition qui a été mise en place le 15 mai 2018 a bien fonctionné, puisqu'elle a permis à la fois d'assurer un fonctionnement du groupe durant l'été, avec des résultats économiques satisfaisants. Le groupe Air France-KLM a réalisé un résultat d'exploitation solide à la fin de l'été 2018, avec un résultat cumulé de près de 1,3 milliard d'euros sur les neuf premiers mois de l'année.

Les résultats sont cependant décevants par rapport à ceux de l'année 2017, en raison en particulier de l'effet des grèves du premier trimestre chez Air France, mais également d'un renchérissement du coût du kérosène au cours des neuf premiers mois de l'année.

Le niveau de marge opérationnelle d'Air France reste ainsi décalé par rapport à celui de KLM, ainsi que de ses principaux concurrents, qui affichent dans leur majorité des marges supérieures à 10 %, alors que celle d'Air France est significativement inférieure. Il s'agit d'une problématique importante et la réduction de cet écart est prioritaire pour 2019 et les années suivantes.

En matière d'environnement économique, la concurrence va continuer de se développer en 2019, en particulier dans le secteur du long-courrier low cost, par exemple sur les liaisons transatlantiques avec la compagnie Norwegian. La concurrence des compagnies du Golfe, et notamment celle de Emirates, Etihad, Qatar Airways et Turkish Airlines, ne faiblit pas, ces compagnies présentant même une croissance de l'offre au départ de l'Europe de l'ordre de 15 %, bien supérieure à la croissance moyenne du marché.

Enfin les compagnies comme Ryanair, EasyJet ou Vueling poursuivent leur développement en particulier sur les liaisons domestiques ou internationales à partir de la France, et devraient mettre en service une dizaine d'avions supplémentaires en France au cours de l'été 2019.

Comme je l'ai annoncé, au-delà de la sécurité des vols, ma priorité est qu'Air France-KLM devienne le groupe aérien le plus fort d'Europe et un des plus puissants dans le monde. Je suis plus qu'enthousiaste face à cette nouvelle mission.

Air France et KLM sont deux très grandes compagnies aériennes, reconnues dans le monde entier pour le professionnalisme et le très fort engagement de leurs salariés.

J'ai consacré toute ma vie professionnelle à cette industrie. J'ai une conviction forte : la satisfaction des clients se joue sur tous les vols, tous les jours.

Le développement de nos offres doit mieux positionner Air France sur le voyage « haute contribution ». La France est leader mondial dans de nombreux domaines. La marque « Air France », plus que celles de la plupart de nos concurrents, a un très fort potentiel pour attirer encore plus de passagers plus exigeants sur de nombreuses destinations.

Nos clients « premium » doivent ainsi avoir la garantie d'une expérience de voyage la plus claire et la plus constante possible. En conséquence, nous avons d'ores et déjà prévu des évolutions qui vont être mises en oeuvre dès cet été. Elles nous permettront de gagner des parts de marché et de saisir de nouvelles opportunités.

La première est d'ordre commercial et vise à apporter d'avantage de cohérence, de simplicité et de lisibilité à notre programme et notre offre long-courrier. La seconde concerne l'optimisation de la maintenance et le doublement du nombre d'avions de réserve, afin d'assurer une meilleure robustesse de notre exploitation.

Nous devons également mieux capitaliser sur la marque Air France. La multiplicité des marques a créé de la complexité et a sans doute affaibli la puissance de la marque Air France. La simplification du portefeuille de marques sera un atout indéniable pour nos clients, nos salariés et tous nos partenaires.

C'est une des raisons pour lesquelles - après de nombreux échanges avec les salariés et les clients, et des discussions avec les syndicats -, j'ai décidé de lancer un projet portant sur l'avenir de la marque Joon et l'intégration des salariés de Joon au sein d'Air France. Cette intégration se ferait dans des conditions permettant le maintien des équilibres économiques nécessaires au développement d'Air France. L'intégration de Joon au sein d'Air France devrait par ailleurs apporter de nombreux avantages, notamment l'harmonisation de la flotte et des produits.

Enfin, nous allons poursuivre sans relâche nos travaux avec les différentes autorités et partenaires pour améliorer à la fois le service offert à nos clients à Paris - police aux frontières (PAF), sûreté - et notre compétitivité, fortement liée aux niveaux de taxes et de cotisations sociales.

Le développement du groupe Air France-KLM, et plus particulièrement d'Air France, afin d'en faire un des acteurs du transport aérien les plus puissants au monde, ne peut se faire sans un alignement sans faille entre les autorités publiques et les différents acteurs de la chaîne du transport aérien, au premier rang desquels figurent les aéroports.

Le groupe Air France-KLM a fait et poursuivra d'importants efforts d'adaptation. Air France a ainsi supprimé 10 000 emplois ces dix dernières années dans le cadre de ses programmes de transformation successifs.

Dans ce contexte, je me suis félicité de l'initiative prise par le Gouvernement français d'organiser des Assises du transport aérien devant contribuer à améliorer la compétitivité du secteur. La moitié du chiffre d'affaires d'Air France est généré à l'extérieur de la France, tandis que la quasi-totalité de nos salariés sont basés en France. Notre compétitivité dépend en conséquence de l'environnement réglementaire et des conditions économiques et sociales français.

Les Assises du transport aérien doivent avoir pour objectif de permettre aux compagnies françaises d'évoluer dans un environnement économique de même niveau que celui de des principaux voisins européens de la France.

Trois types de mesures peuvent schématiquement assurer aux compagnies aériennes françaises une meilleure compétitivité.

Il s'agit, tout d'abord, de faire évoluer le niveau des taxes et des cotisations sociales en France. La taxe de solidarité fait peser une charge injuste sur un secteur particulièrement exposé à la concurrence internationale. Le niveau des cotisations sociales en France et son absence de plafonnement constituent un handicap majeur en termes de compétitivité, avec un écart annuel de 500 millions d'euros avec l'Allemagne et de 700 millions d'euros avec les Pays-Bas et l'Allemagne.

La sûreté est enfin aujourd'hui entièrement à la charge des passagers, et donc des compagnies aériennes, par le biais de la taxe d'aéroport, dont par ailleurs les passagers en correspondance ne sont que partiellement exonérés.

Il convient ensuite de maîtriser le coût d'utilisation des infrastructures et d'améliorer ses performances. Les redevances aéroportuaires à Paris sont parmi les plus élevées d'Europe. Une éventuelle privatisation d'ADP ne saurait se faire au détriment de la compétitivité de son principal client et le cadre de régulation doit être renforcé, afin de le confier à une autorité de supervision indépendante.

En matière d'utilisation des aéroports parisiens, le service proposé à nos clients, tant lors de leur entrée sur le territoire français qu'en matière d'accès routier et ferroviaire aux aéroports, doit être considérablement amélioré.

Dans le domaine de la navigation aérienne, le montant des redevances doit être raisonnable et des dispositions prises pour que les passagers puissent être traités dans les meilleures conditions en cas de grève du contrôle aérien.

Il faut enfin instaurer une concurrence plus équitable avec les compagnies du Golfe bénéficiant de subventions considérables de la part de leurs États et certains transporteurs low-cost qui pratiquent du dumping social et bénéficient d'aides illégales de la part des collectivités locales.

Les Assises du transport aérien devraient se clôturer dans quelques semaines. Il est indispensable que le Gouvernement adopte des mesures ambitieuses qui généreront à leur tour, au travers de la croissance du transport aérien français, des retombées économiques positives tant en terme économique que d'emplois.

J'en profite pour vous remercier - notamment à l'initiative de M. le sénateur Vincent Capo-Canellas - d'avoir proposé des amendements dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, dont un a été retenu par l'Assemblée nationale et permet de baisser le niveau de la taxe d'aéroport pour les passagers en correspondance.

Je ne pouvais clôturer mon intervention sans mentionner la question de l'environnement. Air France-KLM mène depuis plusieurs années des actions concrètes en vue de réduire son empreinte environnementale. Il est à ce titre reconnu depuis treize ans comme le groupe aérien le plus responsable au monde en matière de développement durable par le Dow Jones Sustainability Index (DJSI).

Air France-KLM s'est fixé pour objectif de réduire de 20 % ses émissions de CO2 par passager par kilomètre d'ici 2020 par rapport à 2011, par la modernisation de sa flotte avec des appareils plus efficaces énergétiquement, l'amélioration de son efficacité opérationnelle, le développement de procédures d'éco-pilotage, l'optimisation de la masse embarquée et la compensation des émissions.

Ces mesures ont permis d'économiser 20 000 tonnes de carburant en 2017, représentant environ une économie de 60 000 tonnes de CO2.

Air France-KLM est également très actif dans la recherche de carburants alternatifs et a réalisé de premiers vols tests utilisant du biocarburant.

Dans le contexte d'une croissance continue du secteur, le transport aérien participe déjà pour ses vols européens au système communautaire d'échange de quotas d'émissions et s'est par ailleurs fixé un objectif de croissance neutre en carbone à compter de 2020 dans le cadre de l'accord « Corsia » signé en octobre 2016.

Air France-KLM a largement soutenu et contribué à cet accord historique. Le secteur aérien est ainsi le premier secteur économique à se doter d'un accord mondial pour limiter ses émissions de CO2 et agir concrètement en matière de changement climatique.

Alors que le prix du pétrole élevé et que les Assises du transport aérien visent à restaurer la compétitivité de ce secteur, une décision de taxation du kérosène pour les seuls vols domestiques porterait directement atteinte à cet objectif.

Je vous remercie de votre attention. Nous sommes à votre disposition pour répondre à l'ensemble de vos questions.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure pour avis pour les transports aériens. - La première question que j'aimerais vous poser concerne le positionnement stratégique d'Air France et de ses filiales. Cela a été rappelé, Air France subit depuis plusieurs années une concurrence très forte de la part des compagnies low cost qui grignotent peu à peu ses parts de marché, tant sur les vols domestiques qu'internationaux, l'obligeant à réduire ses coûts unitaires. Dans ce contexte, Air France a créé en 2017 une nouvelle filiale appelée Joon, dont les coûts de fonctionnement sont nettement inférieurs à ceux d'Air France, afin d'opérer des vols moyen-courriers et long-courriers.

Cependant, le positionnement de cette filiale entre compagnie low cost et compagnie classique pose question. Il y a quelques semaines, la presse s'est fait l'écho de rumeurs sur la fin de l'activité de Joon. Bien que ces rumeurs aient été démenties, il semble que le positionnement de Joon soit à l'étude. Vous avez vous-même évoqué cette question dans votre propos introductif.

Cette question appelle plus largement celle du positionnement d'Air France et de ses filiales dans le paysage actuel. Une revue stratégique des marques du groupe Air France a été récemment lancée. Quels sont les grands axes de la stratégie que vous entendez conduire ? Air France a-t-elle par exemple vocation à se recentrer sur des vols premium et à abandonner la desserte de certaines destinations au profit de ses filiales à bas coût, Transavia et Joon ?

Ma deuxième question porte sur la lutte contre le réchauffement climatique : la révolte des gilets jaunes, qui s'est au départ cristallisée sur la hausse des prix du carburant, a très vite pointé du doigt l'absence de taxation du kérosène, la considérant comme un problème à la fois environnemental et de justice sociale. Le Gouvernement a indiqué qu'il était favorable à l'instauration d'une telle taxe à l'échelle européenne. Comment appréhendez-vous pour votre part cette question - même si vous l'avez également évoquée dans votre propos liminaire ? Plus généralement, comment entendez-vous agir à la tête du groupe Air France pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre ?

Ma troisième et dernière question porte sur la privatisation d'ADP. Les compagnies aériennes, dont Air France, nous ont indiqué leurs inquiétudes quant aux conséquences de cette privatisation sur l'évolution des redevances aéroportuaires et leur opposition à la disposition du projet de loi PACTE qui prévoit de consacrer le principe de la « double caisse ». Compte tenu de l'expérience qui est la vôtre, quel regard portez-vous sur cette privatisation et sur le modèle de régulation des aéroports parisiens qui est proposé ?

M. Benjamin Smith. - La priorité absolue d'Air France-KLM, ainsi que Mme Couderc l'a mentionné, est de créer un environnement social pérenne et durable. Des efforts considérables ont été accomplis en ce sens.

La seconde priorité est de créer une structure de gouvernance qui nous permettra de définir et constituer un modèle pour aller de l'avant. Rien de tout cela n'est possible sans la confiance et le respect des employés d'Air France.

Quant à Joon, elle a créé une rupture de confiance entre la direction et nos personnels navigants commerciaux (PNC). Cela a également affecté la confiance de nos clients. Il a dès lors été très difficile d'obtenir des retombées économiques positives. Il était donc nécessaire de regagner la confiance de nos employés et de nos clients.

Maintenant que Joon ne fait plus partie de notre portefeuille de marques, nous allons pouvoir investir tous nos efforts pour nous assurer que nos marques sont comprises et lisibles, et que les forces et faiblesses d'Air France apparaissent plus clairement.

S'agissant de votre question sur la privatisation d'ADP, pour Air France-KLM, le plus important était de maintenir et d'améliorer les règles du jeu de façon à être sur un pied d'égalité par rapport à nos concurrents afin que cette privatisation n'ait pas un impact négatif sur Air France-KLM, un pourcentage très important de notre activité concernant l'international.

Pour ce qui est des gilets jaunes et des carburants, nous avons déjà exprimé publiquement notre position à ce sujet. Nous n'avons donc rien à ajouter.

M. Cyril Pellevat. - J'ai interrogé le Gouvernement par écrit en mai dernier sur le manque de lisibilité des marques. Je n'ai pas obtenu de réponse. Vous annoncez aujourd'hui la fin de la marque Joon. Avez-vous une idée du calendrier ? L'ancienneté des salariés sera-t-elle prise en compte ?

Le succès de la marque Joon était largement dû à ses équipements multimédia. Seront-ils conservés par Air France ? Par ailleurs, quelques avions doivent conserver le logo Joon jusqu'en 2021. Ne peut-il y avoir confusion ? Peut-être pourra-t-on également vous interroger sur la stratégie concernant Hop ! et Transavia, dossiers sur lesquels vous êtes en cours de consultation...

J'aimerais également recueillir votre sentiment à propos de la configuration du prochain terminal 4 de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. ADP a tranché après dix-huit mois de discussions en faveur du projet « Space Invader », qui semble ne satisfaire ni Air France ni ses partenaires de l'alliance SkyTeam à cause du risque de dégradation opérationnelle et du coût élevé du projet. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Benjamin Smith. - Le changement de logo nécessitera un certain nombre de mois. Les uniformes resteront les mêmes. L'intégration des PNC et des employés de Joon sera réalisée dans les six prochains mois. Un accord avec les syndicats représentatifs d'Air France et de Joon a été conclu. Nous pensons que tout sera achevé pour le 1er juillet.

Quant à Hop ! et Transavia, les deux marques fonctionnent très bien. Nous disposons d'une unité Transavia en France et d'une aux Pays-Bas. Nous sommes plutôt contents des performances de ces deux marques, à la fois sur le marché et au sein du groupe.

Pour ce qui est de Hop !, nous avons quelques problèmes opérationnels dans les régions. Nous nous en sommes saisis. Beaucoup d'efforts ont été entrepris, et des améliorations ont déjà eu lieu.

S'agissant de votre question à propos du terminal 4, Air France-KLM soutient bien entendu l'augmentation des capacités. Nous pensons qu'elles sont positives pour l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Cependant, nous voulons que les choses se fassent de manière durable et servent l'aéroport et les compagnies, dont Air France-KLM en premier lieu, en respectant les budgets et le calendrier.

Nous avons eu de longues discussions pour nous assurer que ce hub aéroportuaire puisse concurrencer tous les autres en Europe. C'est essentiel en termes de compétitivité. Nous voulons que cet aéroport se développe et les discussions avec l'équipe de direction d'ADP progressent.

M. Olivier Jacquin. - Vous avez largement fait état des nombreuses contraintes qui pèsent sur votre compagnie. Vous n'avez cependant pas évoqué les marges internes propres au groupe Air France-KLM. Constitue-t-il, selon vous, un véritable groupe intégré, avec une politique d'achat commune des avions, une gestion de trésorerie consolidée ? N'y a-t-il pas des potentialités de ce point de vue ?

Par ailleurs, Nicole Bonnefoy vous a interrogé sur cette étonnante mécanique financière que constitue la double caisse d'ADP. C'est tout de même le flux aérien qui génère la manne financière liée à la rentabilité extrêmement élevée des commerces. Or celle-ci n'est pas reversée dans la gestion aéroportuaire. Votre réponse à ce sujet n'est donc pas satisfaisante, ni au regard de l'état actuel de la double caisse, ni dans la perspective d'une privatisation d'ADP.

Si la privatisation d'ADP se révélait funeste, dans quelle mesure pourriez-vous transférer les activités de long-courriers vers l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol ?

M. Benjamin Smith. - Le groupe Air France-KLM est capable de concurrencer ses principaux compétiteurs. Vous avez parlé de centralisation des achats. J'y travaille pour ce qui est de la flotte, par exemple. Nous pouvons ainsi améliorer notre gestion des calendriers et notre compétitivité. Nous avons des relations avec Delta Air Lines et d'autres partenaires dans SkyTeam. C'est très positif pour le marché transatlantique. Nous avons également un très bon partenariat avec Eastern Air Lines pour ce qui est de l'Asie. Il existe d'autres opportunités pour bénéficier d'une meilleure cohésion.

Pour ce qui est des taxes, la taille des effectifs de la police aux frontières (PAF) ne nous aide guère à gagner en compétitivité. Nous ne pouvons que déplorer les temps d'attente que subissent nos clients et la frustration qu'ils éprouvent. Ils ont du mal à attraper leur correspondance à cause des formalités. C'est un des aspects qu'il faut améliorer. C'est un problème que nous n'avons pas à Schiphol, aéroport certainement le plus efficace d'Europe en termes de correspondance.

Concernant les ressources, notre groupe est basé à Paris. L'entreprise est française et choisit ses investissements, que ce soit en matière de nouveaux avions ou de réduction de sa dette. En tant qu'entreprise publique, nous devons avoir la meilleure stratégie et générer le plus de valeur possible. Cela dépend en partie de l'aéroport Charles-de-Gaulle. Le marché français est très différent du marché néerlandais. Les conditions de correspondance de l'aéroport de Schiphol ne cessent de s'améliorer d'année en année, mais la France est un marché plus large que celui des Pays-Bas. Nous y bénéficions d'atouts essentiels.

Il est important que nous nous assurions une part de ce marché substantiel et que nous améliorions notre rentabilité. Ce serait mieux pour nos employés, nos actionnaires et pour le pays. Nous poussons en ce sens. Il s'agit d'un potentiel énorme.

M. Olivier Jacquin. - Cela fait deux fois qu'on vous pose la question au sujet de la double caisse, et vous l'éludez, monsieur le directeur. Or c'est un élément extrêmement important dans les charges des compagnies aériennes...

M. Benjamin Smith. - Jusqu'à présent, la double caisse n'a pas eu d'effet sur notre activité.

Mme Anne-Marie Couderc. - Il est bien évident que cette double caisse nous est imposée. Ce n'est pas notre choix mais, comme le disait Benjamin Smith, cela n'a pas de conséquences pour nous et renforce même, dans l'hypothèse d'une privatisation, la nécessité de créer une instance de régulation indépendante. On voit tout l'intérêt que cela peut présenter, pour nous comme pour le pays. Le développement du hub de Roissy-Charles-de-Gaulle correspond au développement du tourisme et au développement économique.

C'est pourquoi nous insistons sur l'importance des Assises du transport aérien et sur les taxes aéroportuaires, notre compétitivité passant par leur diminution et celle des cotisations sociales, etc. L'environnement nous est aujourd'hui défavorable, indépendamment de la décision qui a été prise.

M. Hervé Maurey, président. - Je salue l'arrivée de notre collègue Vincent Capo-Canellas, qui siège à la commission des finances et suit les questions aériennes. Vous faisiez tout à l'heure référence à l'amendement qu'il a réussi à faire adopter dans le cadre de la loi de finances, qui est fort utile pour votre entreprise.

Je ne veux pas prolonger le débat sur ce sujet, mais on a le sentiment que les rapports sont toujours compliqués - pour ne pas dire tendus - entre Air France et ADP. Ne pouvez-vous pas remettre un peu de de fluidité dans cette relation ? Le Parlement est attaché aux bonnes relations entre ces deux entités.

Mme Anne-Marie Couderc. - Benjamin Smith et moi-même attachons beaucoup d'importance aux discussions avec ADP, nos intérêts étant liés. Une bonne compréhension entre les uns et les autres est donc majeure. Benjamin Smith disait que le développement d'Air France-KLM passe par une meilleure compréhension et une meilleure écoute des intérêts de l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse d'ADP, de l'État français, ou de nous-mêmes.

Certes, nous pouvons avoir des divergences conjoncturelles mais, de manière structurelle, cela ne devrait pas exister, dans la mesure où la bonne santé économique de la compagnie, de l'aéroport, comme celle du pays devrait passer par un alignement sur ces sujets. Nous allons nous y employer.

M. Hervé Maurey, président. - À chaque fois qu'on interroge Air France ou ADP sur le temps d'attente nécessaire pour récupérer ses bagages, qui est parfois insupportable, ou sur le fait qu'on ne puisse descendre d'un avion alors que la passerelle est en place, les deux se renvoient la balle. Si vous pouviez mettre un peu de liant, ce serait formidable.

M. Frédéric Marchand. - Vous avez évoqué dans votre propos liminaire un environnement économique de plus en plus concurrentiel et la nécessité de faire des choix. Air France a choisi de se réinventer, comme d'autres compagnies, en expérimentant la digitalisation, qui constitue un enjeu très important. De nouveaux concepts apparaissent, comme la digital factory, Big Blank ou la blockchain. Pouvez-vous nous détailler les grandes orientations qui sont les vôtres sur ce sujet ?

M. Benjamin Smith. - En matière de digitalisation, il est extrêmement important d'être à la pointe par rapport à nos concurrents. Nous bénéficions ainsi d'un programme de fidélité extrêmement compétitif, Flying Blue, qui permet de proposer des offres mieux conçues, répondant vraiment aux attentes de nos clients. Il faut aussi être plus présent dans le domaine des mobiles et de la voix, dont nous n'avons pas encore totalement exploité le potentiel.

Nous nous sommes bien sûr penchés sur les questions de digital factory, qui constituent une priorité. Les personnels navigants ont maintenant des ordinateurs portables qui leur permettent de gérer les réservations ou les embarquements. Les choses sont bien plus rationalisées et plus fluides désormais grâce à la numérisation. Nous espérons demeurer leaders dans ce domaine.

100 millions de passagers par an empruntent nos avions. Il convient donc de nous assurer que notre offre est pertinente par rapport à leurs attentes. La priorité porte d'abord sur la façon dont nos clients interagissent avec nous. Il faut que notre offre tarifaire soit plus pertinente.

M. Hervé Maurey, président. - Si le wifi existait au moins sur les long-courriers, ce serait formidable monsieur le directeur général !

M. Benjamin Smith. - Il arrive, mais pas assez vite !

M. Ronan Dantec. - Il existe aujourd'hui une injustice sociale inacceptable en France : une famille modeste qui prend sa voiture pour traverser le pays paye sa part de taxation carbone alors qu'une famille plus riche qui achète quatre billets d'avion pour faire le même voyage ne s'en acquitte pas ! Nous connaissions vos arguments contre la taxation du kérosène. Quel serait d'après vous le meilleur système domestique pour répondre à cette situation ? Les Suédois ont opté pour une taxation domestique au décollage qui touche toutes les compagnies. Quelle est votre proposition ?

En second lieu, tous les rapports mondiaux affirment qu'il va devenir impossible d'utiliser de l'huile de palme comme biocarburant pour le transport aérien si l'on veut éviter une déforestation pire que celle que l'on connaît. Prenez-vous l'engagement de ne pas utiliser d'huile de palme dans le cadre du programme Corsia de compensation et de réduction de carbone pour l'aviation internationale ?

M. Benjamin Smith. - S'agissant des biocarburants, nous faisons partie d'une grande alliance de transporteurs. Nous avons des partenaires divers à travers le monde. Beaucoup de clients des compagnes aériennes tiennent compte de ce que font celles-ci en termes d'environnement. L'image d'une compagnie peut influer sur l'achat d'un billet. Les biocarburants sont un domaine dans lequel nous pouvons être actifs. Nous devons y investir, mais nous sommes une compagnie aérienne, et notre métier est de transporter nos clients d'un point à un autre de la manière la plus efficace possible. Le volume de carburant utilisé par les 787 et les A350 s'est déjà considérablement réduit.

M. Ronan Dantec. - Vous ne pouvez pas, en tant que dirigeant international, ne pas avoir de position par rapport à l'utilisation de l'huile de palme dans le transport aérien !

Mme Anne-Marie Couderc. - Nous sommes très impliqués dans la recherche sur les biocarburants et très attentifs à la problématique de l'huile de palme. En 2017, nous avons, avec l'État et quatre partenaires industriels, signé un engagement sur la croissance verte en matière de recherche. Nous n'avons pas encore abouti à un résultat.

M. Ronan Dantec. - Vous admettez qu'il n'existe pas de solution liée à l'huile de palme en matière de biocarburants aériens ?

Mme Anne-Marie Couderc. - Je suis incapable de vous le confirmer. Je vous confirme que nous sommes attentifs à ce sujet et que nous effectuons actuellement des recherches complémentaires.

Nous sommes également très engagés dans l'accord mondial Corsia. Nous y participons activement.

En ce qui concerne le changement climatique, nous y sommes excessivement attentifs. Le conseil d'administration d'Air France-KLM a mis en place un comité spécifique pour pouvoir intégrer cette dimension dans nos préoccupations.

M. Jordi Ginesta. - Air France a souvent souffert des conflits sociaux. Il semblerait que le changement de présidence à la tête du syndicat des pilotes ait apporté un peu d'apaisement. Le départ de M. Evain a d'ailleurs été salué en bourse.

Pensez-vous que la cotation d'Air France, qui est aujourd'hui d'environ 9 euros, soit au bon niveau ? Peut-elle être améliorée, et dans quel délai ?

M. Benjamin Smith. - C'est possible. C'est pourquoi j'ai rejoint ce groupe. Nous y travaillons et cherchons à convaincre le personnel qu'il a toute notre confiance. Sans un bon climat social, nous ne serons pas rentables. Or il est absolument essentiel que nous parvenions à augmenter la valeur d'Air France.

Mme Anne-Marie Couderc. - Redonner de la valeur à l'ensemble du groupe est une priorité qui passe par la stabilité sociale, le dialogue social renouvelé, afin d'envisager les développements nécessaires pour que le groupe Air France-KLM, à travers ses compagnies, puisse devenir leader européen - ce qui n'est pas aujourd'hui - et l'un des plus puissants à travers le monde. C'est un enjeu qui va de pair avec la création de valeur.

M. Benjamin Smith. - Les salariés de France sont extrêmement fiers et très professionnels, mais on ne leur a pas suffisamment fait confiance pour construire une compagnie puissante. C'est cependant possible. Nous avons tout ce qu'il faut pour gagner sur le marché. C'est là-dessus que portent nos premiers efforts.

M. Éric Gold. - Les différentes interventions montrent votre attachement et celui des élus à une desserte de qualité sur l'ensemble des destinations, qu'il s'agisse de long-courriers ou de dessertes régionales, souvent confiées à vos filiales, qui participent à l'aménagement du territoire.

Toutefois, certaines voix s'élèvent aujourd'hui pour dénoncer des subventions publiques excessives au regard des bénéfices attendus en termes de maillage territorial cher à cette commission. J'aimerais connaître votre position concernant le maintien des petits aéroports et savoir quelles sont les orientations de votre groupe à moyen terme concernant les lignes qui peuvent apparaître comme moins fréquentées.

M. Benjamin Smith. - Le marché domestique est pour nous extrêmement important. Le TGV constitue un concurrent très différent de ce que représentent EasyJet et Ryanair, qui sont basées hors de France et bénéficient d'avantages dont nous ne disposons pas. C'est pour nous une difficulté supplémentaire.

Par ailleurs, trois compagnies volent pour nous en province. Certaines liaisons sont peu fréquentées, saisonnières, et donc difficiles à repérer. Notre engagement en faveur des régions est réel, mais difficile à tenir. Les résultats du marché domestique ne sont pas acceptables du point de vue de la compétitivité ni du point de vue financier. Des ajustements vont être effectués afin d'améliorer les choses.

En France, nous avons des défis très spécifiques à relever en termes de compétitivité. Ce ne sont pas les mêmes que ceux auxquels nos compétiteurs européens ont à faire face ailleurs. La France est un marché très important pour nous, mais les outils dont nous disposons sont actuellement insuffisants pour le redresser.

Mme Marta de Cidrac. - La confiance nous semble un objectif important. Quel délai vous accordez-vous pour la reconquérir au sein de vos équipes, voire plus largement ?

Par ailleurs, comment votre compagnie s'inscrit-elle dans la réflexion globale concernant la privatisation éventuelle d'ADP ? Vous avez évoqué la création d'une autorité indépendante. Pouvez-vous nous préciser votre idée ?

Enfin, vous avez souligné le fait que Roissy-Charles-de-Gaulle manque d'attractivité en raison des délais d'attente qu'impose la lutte anti-terrorisme, dissuadant certains voyageurs de passer par Paris. Quelles sont vos propositions en la matière pour permettre ce qui apparaît possible à Schiphol et qui semble plus compliqué en France ?

M. Benjamin Smith. - Nous travaillons tous les jours sur l'environnement social au sein d'Air France. C'est l'une des conditions de notre succès. Nous avons accompli des progrès très rapidement. Il reste beaucoup à faire, mais les choses avancent. Tous les accords que nous espérions signer l'ont été, à l'exception d'un seul, concernant les pilotes. Les échanges avec eux sont toutefois excellents. Les questions sont plus délicates étant donné la spécificité de ce type de travail. Je demeure toutefois confiant.

La question de la privatisation d'ADP est extrêmement importante pour nous, pour ADP, mais aussi pour Paris.

Amsterdam, Singapour, Dubaï ont bénéficié d'un partenariat fort associant les organes gouvernementaux, les aéroports et les compagnies aériennes. Un alignement est nécessaire. Il devrait nous aider à être concurrentiels à l'échelle mondiale. Nous voulons que la privatisation d'ADP améliore la compétitivité de tous les acteurs

Nos nombreux atouts ne peuvent que séduire les marchés d'affaires, mais cela ne peut fonctionner qu'avec une industrie et un secteur aéroportuaire forts. Les bénéfices seront énormes si c'est le cas.

M. Hervé Maurey, président. - La privatisation d'ADP représente-t-elle pour vous une inquiétude ou un espoir ?

M. Benjamin Smith. - Les deux ! C'est une opportunité très importante pour nous, comme pour Paris et pour la France. Une fois ADP privatisé, il sera très difficile de revenir en arrière. J'espère que toutes nos remarques seront prises en compte. C'est une décision qui aura des effets à long terme. Nous ne le prenons pas à la légère, et j'espère que tous les autres acteurs vont prendre la question au sérieux.

Quant au terminal 4, il s'agit d'un autre projet à long terme, extrêmement coûteux. Cela va développer la compétitivité de l'industrie en France pour les vingt ou vingt-cinq années à venir. Il ne faut donc pas commettre d'erreurs.

M. Charles Revet. - Air France-KLM est présent sur la plupart des aéroports du monde. Quelle y est sa situation ?

En second lieu, des avions supersoniques, type Concorde, qui réduiraient le temps de transport de moitié, peuvent-ils être envisagés sur les long-courriers ?

M. Benjamin Smith. - Le succès technologique du Concorde a marqué tout le monde. Dans les années 1960, il existait un fort partenariat entre la France et le Royaume-Uni. Y a-t-il un avenir pour les avions supersoniques ? La technologie existant, je répondrais oui.

Quant aux autres aéroports, comme je l'ai dit, Amsterdam, dans les années 1960, a créé quelque chose qui n'existait nulle part ailleurs, avec des connexions avec toutes les villes du monde.

Singapour a repris ce modèle en l'améliorant. Ceci leur a permis de devenir un des grands exemples de réussite, mais ce n'est pas viable sans correspondance.

Les compagnies aériennes du Golfe ont repris ce même concept. Emirates est devenue la compagnie de référence de beaucoup d'autres États de la péninsule, comme le Sri Lanka, dont des millions de ressortissants transitent par Dubaï. Cela a permis à cet émirat d'établir des connexions avec le monde entier. Les bénéfices ont été considérables, grâce à l'appui du gouvernement.

En France, il ne serait toutefois pas réaliste de vouloir répliquer cette situation, mais nous pouvons rivaliser si les règles du jeu sont justes. Notre compagnie doit avoir certains avantages à demeurer dans les aéroports parisiens. Pour tirer le meilleur parti de la privatisation d'ADP, il faut être lucide et pragmatique.

Mme Angèle Préville. - Tout le monde le sait, la France est le pays le plus visité au monde et bénéficie d'une très forte attractivité. J'entends avec plaisir que vous avez saisi tout le potentiel de la marque France, charge à vous de trouver les créneaux qui vous permettront de vous distinguer des autres compagnies et d'être vraiment attractifs.

Ma question porte sur les retards et les annulations que l'on déplore sur la ligne Hop !, principalement dus aux avions eux-mêmes. Comment comptez-vous y remédier ? Certains petits aéroports ne sont pas en concurrence avec les TGV. Avez-vous une stratégie à ce sujet ?

M. Benjamin Smith. - Comment améliorer les performances opérationnelles de Hop ! ? Un accord a été passé avec les deux principaux syndicats de pilotes, avec possibilité pour ceux-ci de connaître une transition fluide vers Air France. Beaucoup de pilotes d'Air France viennent de Hop !. De nouveaux pilotes sont formés à un rythme qui constitue un défi pour une marque de cette dimension. Ceci est à l'origine d'une certaine pression. Nous essayons d'en minimiser l'impact.

Nous avons également une flotte très variée comprenant sept types d'appareils. C'est un point qu'il faut simplifier. Il convient de rationaliser la maintenance de la flotte pour maintenir l'équilibre entre les pilotes qui transitent de Hop ! vers Air France, et faire en sorte que les prestations s'améliorent.

Mme Anne-Marie Couderc. - Nous sommes très attentifs aux opérations quotidiennes. Vous nous avez saisis à plusieurs reprises des difficultés en matière de ponctualité et de régularité. Elles sont en voie d'amélioration depuis l'été. Je pense que la stabilité sociale globale y participe

Toutes les équipes sont très mobilisées sur ces sujets, indépendamment des aspects plus fondamentaux auxquels nous sommes confrontés sur notre marché national.

M. Guillaume Chevrollier. - Monsieur Smith, vous êtes un leader reconnu sur le plan international. Quel regard portez-vous sur la situation économique et sociale de la France ?

Par ailleurs, quelle est la nature de votre management ? S'agit-il d'un management canadien ou européen ? Quelle différence cela fait-il ?

Vous avez évoqué l'impact sur votre compagnie des mouvements sociaux qui ont eu lieu en 2018. Quelle répercussion cela a-t-il eu sur l'image de la France et de la compagnie Air France ?

M. Benjamin Smith. - C'est une question intéressante !

La majorité des personnes travaillant chez Air France-KLM, et en particulier chez Air France, sont françaises et vivent en France depuis toujours. Nous sommes cependant un acteur international. Nos clients ne résident pas tous en France. Ce qui m'a surpris, c'est le temps passé à comprendre cet environnement international. Je pense qu'il faut réaliser encore plus d'efforts pour faire d'Air France un leader international

Toutes les compagnies aériennes rencontrent les mêmes défis, mais Air France, avec 85 ans d'ancienneté, a une façon de mener son activité différente des autres compagnies aériennes. Air Canada a également 80 ans. Face à des entreprises plus jeunes, il nous faut démontrer que nous sommes capables de nous moderniser. Cela n'a pas été fait suffisamment en France, et c'est dommage car cela a un impact sur notre compétitivité internationale.

J'espère que les salariés d'Air France comprendront combien il est important de s'aligner sur nos partenaires. Beaucoup d'efforts ont été faits. Les événements qui ont eu lieu n'ont pas donné une bonne image d'Air France, on ne peut prétendre le contraire. La France est toujours la première des destinations touristiques. Toute image négative entame notre attractivité et celle de toute l'industrie du tourisme. On peut essayer de le rectifier, mais on ne peut nier que cela a eu des retombées.

M. Hervé Maurey, président. - Avez-vous évalué la perte que cela représente pour le chiffre d'affaires de l'entreprise ?

M. Benjamin Smith. - Nous en parlerons une fois que nous aurons publié nos résultats.

Mme Anne-Marie Couderc. - Comme pour la plupart des acteurs économiques, cela a eu des conséquences financières. On est en train de les évaluer. On peut craindre un impact de plusieurs millions d'euros en décembre. La clientèle américaine, japonaise et chinoise est très sensible à ce genre d'événement.

M. Jean-Marc Boyer. - Je tiens à remercier Mme Couderc d'avoir reçu une délégation d'une dizaine de parlementaires au sujet des annulations et des retards que nous avons subis à Clermont-Ferrand et sur nos territoires, en particulier s'agissant de Hop !. Nous avons d'ailleurs prévu de nous revoir régulièrement.

Face aux difficultés de mobilité qui sévissent dans le Massif central - 3 heures 30 pour le TGV, 4 heures 30 en voiture - la desserte aérienne en 50 minutes est absolument essentielle pour l'aménagement du territoire et le développement économique, en particulier celui du groupe Michelin.

Quelle est la future politique d'Air France en faveur des lignes intérieures ? J'ai bien compris que vous aviez un objectif de rentabilité, ce qui peut se comprendre, mais ces lignes sont-elles jugées rentables ?

Quel est l'avenir et la pérennité de la desserte de nos territoires en matière de nombre de vols, de temps de trajet, de type d'appareils et de relations avec les aéroports ?

Enfin, quelles améliorations peut-il y avoir en termes de contrôles de sécurité, très contraignants et fastidieux pour des passagers réguliers ?

M. Benjamin Smith. - Pour ce qui est du désagrément que constituent les contrôles de sécurité, beaucoup d'améliorations peuvent être apportées. Votre exemple n'est pas unique. Aux États-Unis, les passagers réguliers peuvent posséder une carte spéciale qui leur évite de devoir enlever leur veste, sortir leur ordinateur, ôter leurs chaussures. L'attente est beaucoup plus courte. Il faut un certain temps pour obtenir cette carte, mais cela représente une véritable amélioration du service. Il serait bon qu'on puisse la mettre en place en France. Le Canada a fait quelque chose de similaire, mais le système américain est sans doute le meilleur.

Pour ce qui est des vols locaux, il faut que nos lignes soient rentables. A-t-on le bon type d'avions ? A-t-on tout fait pour soutenir la rentabilité ? Il y a des opportunités à saisir pour la renforcer. Comme toute entreprise publique, nous avons un devoir de retour sur investissement vis-à-vis de nos actionnaires. Nous avons un lien très fort avec les territoires. Le soutien que nous recevons des collectivités territoriales et du Gouvernement peut nous aider à être présents sur ces marchés, qui constituent toutefois de véritables défis.

M. Vincent Capo-Canellas. - Le dynamisme du groupe Air France-KLM et sa volonté de renouer avec le succès font plaisir à voir. La France est une grande nation aéronautique et est confrontée à un certain nombre de choix.

J'ai plaidé en faveur de l'adoption de différents amendements au projet de loi de finances en faveur de la compétitivité du transport aérien en France. Mes collègues ont bien voulu me suivre. L'un de ces amendements porte sur les passagers en correspondance et représente à peu près 50 millions d'euros d'abaissement du différentiel de compétitivité, qu'on chiffre à presque 700 millions d'euros.

Un autre sujet va arriver au Sénat avec la privatisation d'ADP. Nous aurons le choix de nous y opposer frontalement ou d'essayer de renforcer la régulation aéroportuaire en amendant le texte transmis par l'Assemblée nationale.

J'ai cru comprendre que vous souhaitiez plutôt aménager la privatisation et donner des garanties aux compagnies aériennes sur l'évolution des tarifs. Avez-vous un conseil à nous donner ? Préféreriez-vous rejeter en bloc la privatisation ou installer un régulateur doté de pouvoirs plus forts, comme c'est le cas en matière ferroviaire avec l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières ?

M. Benjamin Smith. - Le plus important pour Air France, c'est que la gestion d'ADP n'ait pas d'impact négatif sur notre compagnie. Il faut demeurer compétitif.

L'un des avantages de Roissy-Charles-de-Gaulle est de posséder quatre terrains d'atterrissage. Heathrow n'en compte que deux. Des efforts colossaux ont été déployés depuis trente ans pour essayer de construire une troisième piste. Il va leur falloir encore dix ans avant que cela ne se réalise. Certes, la capacité des bâtiments n'est pas adéquate, mais il est important que l'on nous assure que la privatisation n'entraînera pas d'impact négatif.

Par ailleurs, on ne parle pas assez de ce que peut apporter une industrie comme la nôtre à l'économie nationale. C'est un investissement qui peut générer des bénéfices extrêmement importants pour la France. Il y a des avantages à long terme à en tirer. La plupart des autres pays ne bénéficient pas des mêmes opportunités. Il faut donc en profiter.

Mme Anne-Marie Couderc. - Ce que vient de dire Benjamin Smith est essentiel : on sous-estime en effet le potentiel économique d'Air France-KLM. Il est vrai que nous avons rencontré beaucoup de difficultés par le passé. L'année 2019 sera encore une année de transition, mais ce que peut apporter un acteur économique comme le groupe Air France-KLM est capital pour le pays. Or nous ne parvenons pas à obtenir ce débat, bien qu'il soit essentiel pour l'avenir.

Peut-être notre groupe ne se présentait-il pas sous des auspices suffisamment dynamiques, offensifs et conquérants, mais c'est néanmoins essentiel. Privatisation ou non, peu importe : l'essentiel, c'est la reconnaissance du rôle que nous pouvons jouer. Il existe en outre une opportunité fantastique à travers ADP et son potentiel de développement.

Je répète qu'un alignement des intérêts est nécessaire. À nous de faire les efforts qu'il faut pour développer un dialogue avec ADP et l'État afin de saisir les opportunités. Le débat sur la privatisation est majeur. Nous demandons à être associés aux réflexions autour du développement d'ADP et de sa privatisation, l'enjeu majeur, dans ce dernier cas, demeurant le régulateur. Nos intérêts sont communs. C'est ce sur quoi il faut insister.

M. Hervé Maurey, président. - Nous sommes extrêmement attachés à Air France, à sa pérennité, et à son développement. Nous éprouvons en même temps quelques inquiétudes. Nos voeux vous accompagnent dans votre mission. Nous espérons que vous nous apporterez d'ici quelques mois de bonnes nouvelles concernant votre compagnie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Désignation de membres du bureau de la commission

M. Hervé Maurey, président. - Nous devons procéder à la nomination d'un vice-président en remplacement de M. Gérard Cornu. J'ai reçu la candidature de Mme Pascale Bories.

Mme Pascale Bories est désignée vice-présidente.

M. Hervé Maurey, président. - Nous devons procéder à la désignation d'un secrétaire en remplacement de Mme Pascale Bories, précédemment secrétaire. J'ai reçu la candidature de Mme Marta de Cidrac.

Mme Marta de Cidrac est désignée secrétaire.

Désignation d'un rapporteur

M. Hervé Maurey, président. - Nous devons procéder à la désignation d'un rapporteur sur la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues, dont le groupe RDSE a demandé l'inscription dans son espace réservé du mercredi 20 février, et que nous examinerons en commission mercredi 13 février. J'ai reçu la candidature de M. Jean-Pierre Corbisez.

La commission désigne M. Jean-Pierre Corbisez rapporteur sur la proposition de loi n° 234 (2018-2019) visant à faciliter le désenclavement des territoires, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues.

La réunion est close à 10 h 5.