Mercredi 9 octobre 2019

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Audition de M. Gilles Roussel, président de la Conférence des présidents d'université (CPU)

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous procédons à la traditionnelle audition du président de la Conférence des présidents d'université (CPU), M. Gilles Roussel, à l'occasion de la rentrée universitaire. Cette rentrée a été marquée, comme les précédentes, par l'arrivée de plus de 30 000 nouveaux étudiants dans l'enseignement supérieur. Leur accueil est un défi à relever pour les universités, dans un contexte budgétaire contraint.

Pour sa deuxième année d'existence, le dispositif Parcoursup a mieux fonctionné, mais des lacunes demeurent, auxquelles nous sommes attentifs : un peu plus de 1 000 candidats étaient encore sans affectation à l'issue de la procédure. Pour la prochaine édition, la ministre a annoncé l'entrée de nouvelles formations sur la plateforme, la création d'un dispositif d'accompagnement des candidats en reprise d'études et la mise en place d'une signalétique sur les formations. Nous l'auditionnerons prochainement.

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2020 prévoit la revalorisation des bourses sur critères sociaux et la généralisation du dialogue stratégique et de gestion entre l'État et les universités. L'année 2020 sera aussi celle de la loi de programmation de la recherche. En tant que premier opérateur public de recherche, les universités seront directement concernées. Votre organisation vient de publier des propositions autour de trois thématiques : l'investissement dans l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation, la dynamisation des territoires par la recherche et la formation et la confiance renouvelée aux universités.

Sur tous ces sujets, mes collègues et moi-même sommes très intéressés de vous entendre.

M. Gilles Roussel, président de la Conférence des présidents d'université. - C'est un honneur et un plaisir de venir représenter devant vous les 130 présidents d'établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche, pour vous donner quelques éléments sur la rentrée universitaire.

Je commencerai par saluer le travail de votre commission, qui a considérablement enrichi la législation sur l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation, à travers notamment la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE), la loi pour une École de la confiance, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, et la loi portant réforme de l'apprentissage et de la formation continue. D'autres textes (loi sur la fonction publique, loi sur la santé, loi sur le plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises - Pacte-, loi pour un État au service d'une société de confiance) ont également eu une incidence sur notre secteur. Vous le voyez, ces dernières années, notre communauté et les équipes de la CPU ont été très sollicitées - et elles demeurent très mobilisées.

Le premier fait marquant de cette rentrée est l'augmentation continue, à un rythme dynamique, des effectifs étudiants, avec 32 700 étudiants supplémentaires cette année, qui se sont très majoritairement inscrits dans les universités. L'université française, qui oeuvre à la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur, est donc attractive et représente un vrai choix pour les jeunes et leurs familles.

Cette rentrée 2019 correspond également à la deuxième année de Parcoursup : près de 900 000 candidats se sont inscrits, ce qui correspond à une augmentation de 10 % par rapport aux effectifs de 2018, dont une partie provient de l'élargissement du périmètre des formations proposées - avec notamment les formations d'infirmier. Ils regroupent près de 640 000 bacheliers et 150 000 candidats en réorientation ou scolarisés à l'étranger. De l'avis de la CPU, Parcoursup permet un meilleur accompagnement des candidats. Cette deuxième session a incontestablement fonctionné plus vite et mieux que l'an passé. Les universités se sont davantage inscrites dans un processus d'orientation positive, et la consolidation des liens entre l'enseignement scolaire et l'enseignement supérieur a été progressivement renforcée.

La CPU reste cependant attentive à ses conditions d'amélioration pour les années à venir. Parcoursup doit continuer à faire l'objet d'une évaluation régulière associant établissements et différentes parties prenantes - dont les parlementaires. L'intervention humaine dans la procédure est essentielle : commissions pour l'examen de candidatures aux profils très diversifiés, classement des candidats, mais aussi accompagnement par les professeurs principaux dans les lycées ou, plus tard, par les équipes réunies au niveau des rectorats au sein des commissions d'accès à l'enseignement supérieur, qui ont permis à de nombreux étudiants de trouver des places à la fin de l'été.

La CPU veillera aussi aux moyens nécessaires à la mise en oeuvre globale de cette réforme pour les parcours personnalisés, qu'on appelle les « oui, si ». La plupart des universités investies ont inséré ces différentes modalités de remédiation dans leur projet de nouveaux cursus universitaires financés par le programme d'investissements d'avenir. Parmi les moyens déployés figurent des tests de positionnement à l'entrée, du tutorat, ou des programmes de réorientation renforcés.

C'est toujours avec l'objectif de conduire les étudiants vers la réussite et l'insertion professionnelle que la CPU a soutenu l'arrêté relatif au diplôme national de Licence et celui qui concerne les licences professionnelles, avec la création d'un parcours, spécifique aux IUT, de Bachelor universitaire de technologie. Mais pour réussir ses examens, il faut tirer profit de tout le temps passé à l'université. J'en viens donc à un point essentiel qui est celui de la vie étudiante et de la vie de campus.

La contribution des étudiants, instaurée par la loi ORE, marque un changement radical dans le mode de financement de la vie étudiante comme dans son mode de gouvernance. Cette année, les étudiants payent 91 euros au titre de la contribution à la vie étudiante et de campus (CVEC) et sont associés à toutes les instances qui programment et contrôlent les actions financées grâce à cette taxe. Chaque université devra faire des choix d'utilisation en lien avec sa politique de vie étudiante et en accord avec les étudiants. La CVEC doit être l'occasion d'un changement d'échelle concernant l'ampleur et la durée des projets. C'est une mutation majeure, peu souvent soulignée.

Nous demeurons particulièrement exigeants pour que l'ensemble de ces moyens finance effectivement la vie étudiante. Aussi la CPU salue-t-elle la prise en compte, dans le PLF pour 2020, des montants estimés en termes de collecte sur la CVEC. Nous espérons que le projet de loi de finances rectificative pour 2019 prendra en compte les montants prélevés. Il serait regrettable de demander aux étudiants de participer au remboursement de la dette de l'État : je compte sur votre vigilance !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous y veillerons.

M. Gilles Roussel. - Améliorer la vie étudiante, c'est aussi veiller au bien-être et à la sécurité de nos étudiantes et étudiants. Je souhaite de nouveau condamner très fermement tous les actes à caractère sexiste, dégradant ou humiliant effectués lors de week-ends d'intégration. La CPU et les présidents d'universités sont très vigilants sur ce point.

Cette rentrée universitaire est aussi marquée par l'application du plan « Bienvenue en France ». Le système d'enseignement supérieur dans le monde a profondément évolué ces vingt dernières années. La mobilité internationale des étudiants a fortement progressé et un véritable marché international de la formation s'est mis en place. Cette mobilité est aussi un vrai outil de rayonnement et de promotion de notre langue et de notre culture.

La France était, en 2016, le quatrième pays d'accueil derrière les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Australie, et le premier pour l'accueil des étudiants non anglophones. Quelque 343 400 étudiants étrangers étaient inscrits dans un établissement d'enseignement supérieur, dont 240 000 dans nos universités. Notre pays se situe par ailleurs au troisième rang mondial pour l'accueil des doctorants étrangers, qui représentent 42 % de nos effectifs inscrits en thèse, même si le nombre de doctorants internationaux a diminué de 8 % entre 2012 et 2017 ; nous devrons en reparler lors du débat sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

Mais notre position s'affaiblit. Avec une croissance du nombre d'étudiants inscrits de 4,5 % par an, la France se situe bien en-dessous de la moyenne mondiale, et ce alors que de nouveaux acteurs entrent sur le marché, comme la Chine, l'Arabie saoudite ou la Turquie.

C'est sur ce constat, partagé par tous, que le Gouvernement a présenté en novembre 2018 le plan « Bienvenue en France ». La CPU s'est réjouie de la mise en place d'une stratégie globale dans ce domaine, dont nos établissements peuvent s'inspirer, dans un contexte mondial de très forte concurrence sur les flux internationaux d'étudiants.

Mais la CPU regrette la décision prise par l'État d'augmenter les droits d'inscription des étudiants provenant de pays non-membres de l'Union européenne. Il est encore difficile d'en apprécier tous les effets, mais il serait regrettable que des jeunes méritants et à fort potentiel se voient fermer les portes de l'enseignement supérieur et de la recherche français pour des raisons économiques. Il serait également dommage de donner de la France l'image d'un pays qui se referme sur lui-même - sans oublier l'enjeu de la francophonie.

Le plan « Bienvenue en France » fait actuellement l'objet d'un premier bilan effectué par le ministère de l'enseignement supérieur. Nous attendons avec impatience les chiffres de Campus France prévus pour fin octobre, ainsi que ceux des inscriptions dans nos établissements. Pour l'instant, seule une université sur 73 a appliqué de façon systématique la hausse des droits d'inscription pour les étudiants issus de pays non-membres de l'Union européenne, et six autres ont appliqué les droits de façon différenciée.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Notre commission avait demandé un moratoire sur l'application de ces dispositions.

M. Gilles Roussel. - La CPU aussi. J'ai longuement discuté de cette question avec les membres de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Il en va de la défense de la francophonie !

Toujours sur le plan international, nous avons des éléments très positifs : seize établissements français engagés dans quatorze des dix-sept alliances sélectionnées par la Commission européenne ont été retenus. Ces résultats font de la France le premier bénéficiaire de cette initiative, devant l'Allemagne - et, bien sûr, le Royaume-Uni, marginalisé par le Brexit.

Plusieurs autres réformes vont nous animer en cette rentrée, notamment celle du premier cycle des études en santé qui a pour objectifs le décloisonnement des études de santé grâce à une meilleure articulation entre les différents parcours disciplinaires, et la diversification des profils des étudiants recrutés avec la fin de la sélection par concours. Dès la rentrée 2020, nous mettrons en place le nouveau dispositif. La CPU a toutefois identifié trois points de préoccupation : la mise en oeuvre doit être faite très rapidement, le budget spécifique de 6 millions d'euros est insuffisant, et un nombre important d'étudiants non retenus en études de santé devront être orientés vers des filières dont beaucoup - comme le droit - sont déjà en tension.

Bref, nos objectifs sont nombreux. Pour les atteindre sereinement, il nous faut un accompagnement, un engagement de l'État.

Les contrats de plan État-région (CPER) à venir ont vu leurs modalités fixées par une lettre très récente du Premier ministre. Le montant alloué sera d'1,4 milliard d'euros, dont 24 millions d'euros pour la vie étudiante et 260 millions d'euros pour la recherche, soit un montant à peu près identique à celui des CPER en cours - mais pour une année supplémentaire. Le délai de réponse est particulièrement contraint, puisque nous devons faire remonter les projets avant la fin d'octobre 2019, or ils ne sont pas totalement finalisés. Si la CPU est attachée au principe même des CPER, qui sont des instruments structurant du lien entre universités et régions, associant le cas échéant d'autres collectivités territoriales, l'absence de stratégie patrimoniale et de vision de long terme, alors même que la situation financière des universités est fragile, pose problème. Soyons clairs : les CPER ne permettront pas de rénover les campus à la hauteur des ambitions nationales, notamment d'un point de vue environnemental. Nous regrettons que dans le PLF ne figure aucune mesure pour accompagner véritablement les établissements d'enseignement supérieur et de recherche dans la rénovation énergétique de leur patrimoine, qui représente un tiers de l'immobilier de l'État. Je pense notamment au droit à l'emprunt ou à des fonds d'amorçage.

J'en viens à la réforme du crédit d'impôt sur le mécénat d'entreprise. Le mécénat permet aujourd'hui aux universités, grâce à leurs fondations, de développer des partenariats avec le monde socio-économique et de financer des projets importants : chaires, projets de recherche, formations innovantes, bourses et équipements. Les entreprises représentent 87 % du financement des fondations des universités. Le projet de réforme risque de couper les ailes d'une dynamique naissante - la plupart des fondations ont été créées depuis 2009 - et va à l'encontre des actions en cours visant à diversifier les ressources des universités. La CPU appelle donc à prévoir une exception à cette mesure pour l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation - et nul doute que la culture soit aussi concernée.

Le programme 150 porte la quasi-totalité de la subvention pour charges de service public versée aux établissements d'enseignement supérieur. L'absence de prise en compte, dans le budget, des effectifs supplémentaires d'étudiants, alors même que ceux-ci sont prévus et prévisibles, conduit à fragiliser fortement les universités françaises. Entre 2011 et 2018, si le montant global a augmenté, l'accroissement des effectifs fait que le budget annuel investi par l'État pour chaque étudiant a diminué, passant d'environ 11 106 euros à un peu plus de 10 330 euros par an, soit 800 euros de moins par étudiant. L'État fait ainsi supporter depuis 2011 l'accroissement des effectifs étudiants au budget de fonctionnement des universités. Et la dépense moyenne par étudiant à l'université est plus basse que la moyenne des pays de l'OCDE.

Les moyens supplémentaires dont bénéficieront les établissements en 2020 s'élèvent à 160 millions d'euros. Ils doivent financer le plan étudiant et la loi ORE, la réforme des études de santé ou encore les mesures relatives à la masse salariale, qu'elles correspondent à des mesures nouvelles ou qu'elles soient tendancielles. Les coûts supplémentaires que les universités vont devoir assumer seront supérieurs d'un peu moins de 100 millions d'euros à cette augmentation. En effet, la CPU a évalué à plus de 250 millions d'euros les besoins des universités pour mener à bien leur mission de service public dans des conditions déjà tendues.

En 2020, le Gouvernement prévoit une hausse de 1,17 % du budget des universités sans compter l'inflation. Il attribue 142,5 millions d'euros aux crédits de la mission interministérielle « Recherche et Enseignement supérieur » pour financer spécifiquement le Plan Étudiant, dont 43 millions d'euros pour la réussite étudiante ; 50 millions d'euros pour le dispositif « Parcours professionnels, carrières et rémunération » et la reconnaissance de l'investissement pédagogique des enseignants-chercheurs ; 50 millions d'euros sont aussi prévus pour financer le dialogue stratégique et de gestion. Pour financer la réforme des études de santé, que j'ai évoquée parmi les grands projets de l'année, une enveloppe spécifique de 6 millions d'euros est prévue. Elle devra nécessairement être abondée, d'autant qu'elle est fléchée uniquement vers les universités dotées de facultés de santé.

Contrairement aux années précédentes, et inversement à ce que l'on constate sur les autres programmes, il n'y a aucune décomposition claire des moyens nouveaux alloués dans le PLF pour 2020, ce qui suscite des interrogations. De plus, la CPU aurait souhaité, dès 2020, un abondement significatif des moyens d'intervention de l'Agence nationale de la recherche, dans la perspective du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

Ce texte ambitionne de donner à nos scientifiques, donc à la France, les instruments pour concourir à armes égales dans la compétition mondiale. L'État doit jouer son rôle. L'enseignement supérieur et la recherche ne sont pas des investissements comme les autres. Mais, avec 2,27 % du PIB consacré à la recherche intérieure, la France est en-deçà de l'objectif de 3 % fixé par l'Union européenne. Permettez-moi de tirer la sonnette d'alarme : les groupes de travail ont rendu leurs travaux il y a quelques jours. Ce n'est pas une revendication catégorielle, c'est un enjeu pour la France !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Tout à fait !

M. Gilles Roussel. - Pourtant, nous sommes inaudibles. Même les spécialistes n'ont pas entendu parler de ces rapports.

M. Stéphane Piednoir. - Proposez un grand débat !

M. Gilles Roussel. - J'aimerais en rire avec vous, mais la question est sérieuse et je suis très pessimiste. La recherche touche aussi bien l'intelligence artificielle que la biodiversité ou les fake news...

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Vous voulez dire les infox !

M. Gilles Roussel. - Vous avez raison, défendons la francophonie ! Bien qu'un récent sondage montre que 97 % des Français considèrent la recherche comme très importante, nous en parlons très peu. Les universités sont le premier opérateur public de recherche en France. Elles rassemblent près de 61 000 chercheurs, 3 000 laboratoires et 74 000 doctorants, qui touchent 1 400 euros par mois... La recherche dynamise aussi les territoires, comme l'ont montré maintes études, et permet de répondre à de nombreuses problématiques : ainsi, de l'université de Rouen Normandie après l'incendie récent...

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci de nous faire partager votre passion, monsieur le président. Nous serons mobilisés sur ce prochain projet de loi.

Je vais tout d'abord donner la parole à notre rapporteur sur les crédits de l'enseignement supérieur, M. Stéphane Piednoir, puis à M. Jacques Grosperrin, rapporteur sur les crédits de l'enseignement scolaire, chargé du travail de suivi de la loi ORE, à Mme Laure Darcos, rapporteure sur les crédits de la recherche, et à M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis sur les crédits des études médicales.

M. Stéphane Piednoir. - Merci pour cette présentation synthétique et exhaustive. Le dispositif « oui, si » doit permettre aux étudiants d'entrer dans les cursus qu'ils souhaitent, mais pour lesquels ils ne remplissent pas tous les critères. Même si le niveau de déploiement de ce dispositif diffère selon les universités, peut-on tirer de premières conclusions ?

M. Gilles Roussel. - Le nombre de dispositifs déployés est en augmentation, et les universités s'en emparent grâce aux moyens supplémentaires qui leur sont affectés. Nous n'avons pas encore de bilan consolidé, car les notes ne sont pas toutes saisies avant l'été, et nous n'avons pas de système d'information global. Les retours d'expérience ponctuels montrent déjà une assiduité améliorée. La réussite est-elle meilleure ? Difficile à dire, car le cursus est sur mesure, et nous ne savons mesurer que la réussite de la première année de licence. Pour l'instant, le dispositif monte en puissance.

M. Stéphane Piednoir. - La Cour des comptes avait alerté en mai 2018 sur la situation financière difficile de sept universités. Où en sont-elles ? Au-delà de la dotation de l'État, il y a les fondations, le mécénat... Avez-vous quantifié les effets du projet de réforme concernant les dons supérieurs à 2 millions d'euros ? Le plan « Bienvenue en France » augmentait les droits pour les étudiants étrangers. La plupart des universités ont contourné le dispositif. Est-ce tenable sur plusieurs années ?

M. Gilles Roussel. - En moyenne, la situation financière des universités est stable. Le retour à l'équilibre de celles qui sont en déficit se fait par des mesures souvent drastiques de gel des embauches, ce qui est problématique dans un contexte d'accroissement du nombre d'étudiants - mais cela prouve que les universités savent se gérer. Elles sont investies dans la recherche de nouvelles ressources propres. La loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel aura une incidence forte : la qualité de nos diplômes devrait rendre les universités attractives. Quant au dispositif « Bienvenue en France », il est probable que certaines universités pourront continuer à exonérer 10 % des étudiants, voire la totalité s'il y a peu d'étudiants étrangers.

M. Stéphane Piednoir. - Le PLF 2020 prévoit 6 millions d'euros pour les mineures santé. Selon vous, quel budget serait nécessaire ?

M. Gilles Roussel. - Nous ne disposons pas d'un chiffrage précis, mais nous pensons qu'une vingtaine de millions d'euros seraient nécessaires. L'enjeu est aussi d'irriguer l'ensemble des territoires.

M. Jacques Grosperrin. - Bravo pour l'accueil des quelque 900 000 lycéens passés par la plate-forme !

En janvier dernier, à l'occasion de la réforme du baccalauréat, une charte a été signée par toutes les parties concernées - ministère, CPU, conférence des grandes écoles, conférence des directeurs d'écoles françaises d'ingénieurs, association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles - afin de garantir une approche collective et partagée des enjeux de cette réforme. Quelles ont été les premières applications de cette charte ?

M. Gilles Roussel. - Parcoursup a renforcé le lien entre lycées, universités et rectorats. Les « oui, si » ont été utilisés pour mettre en place des accompagnements pour les étudiants qui auraient choisi des options éloignées de la filière de leur choix. Cela dit, vu le nombre de réformes concomitantes, chaque établissement établit ses priorités. Mais celle qui concerne l'ensemble de nos premières années, c'est la réforme des études de santé. Nous devons mettre en place des mineures dans nos cursus... Tout ne sera pas achevé en 2021 !

M. Jacques Grosperrin. - Quid de l'application de la charte ?

M. Gilles Roussel. - Elle n'a pas encore donné lieu à des applications concrètes.

M. Laurent Lafon. - Un des objectifs de la réforme est la diversification des profils entre majeures et mineures. Un objectif de 60 / 40 avait été énoncé. Y a-t-il une demande des universités de développer les mineures qui, faute de moyens, ne pourrait être réalisée ? Même question sur la formation professionnelle : y a-t-il des offres de formation à l'étude qui pourraient ne pas se réaliser faute de crédits ?

M. Gilles Roussel. - Je crains qu'il ne soit déjà trop tard : nous sommes en train d'ouvrir Parcoursup pour 2020. Nous afficherons les mineures santé dans les mois qui viennent. Là où il n'y a pas de cursus de médecine, il est difficile d'envisager de les mettre en place sans budget spécifique. Et dans deux mois, il sera trop tard, quelles que soient les modalités retenues. Pour la formation professionnelle, nous avons des dispositifs qui fonctionnent, mais nous ne sommes pas certains que leur financement demeurera au sein de l'université, même si la qualité de nos diplômes est reconnue.

Mme Laure Darcos. - J'ai été très intéressée par vos propositions sur le futur projet de loi de programmation. Quand vous demandez une augmentation de crédits de 1 milliard d'euros par an, pour atteindre les 3 % du PIB, ou quand vous plaidez pour une revalorisation des débuts de carrière, afin d'endiguer la fuite des cerveaux, avez-vous eu le sentiment d'avoir une oreille attentive - voire déterminée - chez le Premier ministre et la ministre ? Par ailleurs, il y a sans doute des blocages dans le dialogue de gestion avec les pouvoirs publics. Sur le plateau de Saclay, l'Université de Paris-Sud a un très bon rang dans le classement de Shanghai. C'est en partie parce que les établissements publics viennent recruter ses étudiants et ses chercheurs. Les universités ne devraient-elles pas mieux coordonner ces recrutements ?

M. Gilles Roussel. - Les propositions de la CPU ont été largement reprises par les groupes de travail sur la future loi. Cela prouve que les universités sont acteurs du changement ! Je n'ai aucun doute sur l'engagement de la ministre à nos côtés. L'objectif d'atteindre 3 % du PIB est européen, et nul ne le conteste. Le Premier ministre est aussi très volontaire, et s'engage fortement à titre personnel, ce dont nous nous réjouissons, mais nous n'avons aucun engagement ferme de sa part... Nous comptons donc sur le soutien de la représentation nationale. Oui, les universités sont des acteurs territoriaux, et la politique nationale de recherche doit en tenir compte. Certaines logiques de chapelle ont pu conduire à revoir à la baisse nos propositions en la matière. L'important est que l'on continue à avancer !

M. Pierre Ouzoulias. - Merci pour le bilan très juste que vous avez présenté. Il montre bien le décrochage de la science française par rapport à nos homologues européens, situation qui impose des mesures énergiques. Je souhaite vous interroger sur le doctorat. Le nombre de doctorants inscrits dans nos universités a baissé de 15 % en dix ans - de 35 % en sciences humaines et sociales. Aucun grand pays n'a connu une telle hémorragie. Résultat : nos écoles doctorales fonctionnent largement grâce à des étudiants étrangers, qui représentent parfois 70 %, voire 80 % des effectifs. Le corollaire de ces observations est que le taux d'emploi des doctorants dans la fonction publique territoriale et nationale est inférieur à 1 % - encore une spécificité française. Et l'ENA compte à peine 0,5 % de docteurs. Quant à la rémunération, elle est souvent nulle pour les doctorants en sciences humaines et sociales, et variable pour ceux qui bénéficient d'une convention industrielle de formation par la recherche. Dans les entreprises, le doctorant est assimilé à un ingénieur, ce qui n'est pas exact. Je signale enfin que la moitié des dirigeants des GAFA sont docteurs - contre 1 à 2 % des dirigeants français... Que souhaiteriez-vous inscrire dans la loi pour revaloriser les doctorats ?

Mme Sylvie Robert. - Que pensez-vous du pilotage de la recherche dans notre pays ? Nous avons travaillé sur le dispositif « Bienvenue en France ». Les universités qui ont utilisé leurs 10 % n'auront plus la possibilité de le faire l'an prochain. Et les quelque 14 000 exonérations du corps diplomatique vont les priver d'autant de ressources. Pour l'instant, il est difficile de mesurer l'impact de ce dispositif car les universités ne l'ont guère appliqué. Par ailleurs, le patrimoine des universités est souvent vieillissant, et nécessite une rénovation énergétique, sans parler des problèmes de place posés par l'accroissement du nombre d'étudiants. Y a-t-il un plan d'action en la matière ? Cela concerne tous nos territoires. Il faudrait agir dès le PLF, et dans le prochain CPER.

Mme Françoise Laborde. - On dit que nous n'avons pas de pétrole mais des idées... Mais nous avons trop d'idées, et pas d'euros pour les financer ! Je souhaite revenir sur le harcèlement. En 2013, nous avions formulé des recommandations, qui n'ont pas toutes été adoptées. Nous demandions notamment une enquête statistique spécifique pour concevoir une politique de prévention. Un amendement avait été déposé, sur la réforme des procédures disciplinaires. C'est bien, mais il faut aussi de la prévention. Ce qu'on appelait bizutage se nomme aujourd'hui week-end d'intégration. Quelle différence ? Il faut des actions spécifiques.

Mme Sonia de la Provôté. - Le contenu de la mineure santé a-t-il été défini ? Il y a une grande disparité dans sa mise en oeuvre, dans plusieurs licences différentes de surcroît. Les profils des futurs professionnels de santé ne seront donc pas homogènes. La CVEC est bel et bien une taxe pour les étudiants, y compris dans les écoles privées, alors que celles-ci n'en auront pas l'usage. Or certains étudiants n'ont pas les moyens de la payer. Le grand plan d'investissement 2018-2022 intervient dans le financement de la recherche. Il faut une stratégie commune, notamment avec le secteur privé, ce qui permettrait de multiplier les équipes mixtes.

Mme Maryvonne Blondin. - L'Union européenne a aussi sélectionné des universités moyennes, comme celle de Rennes-I. Quel est le devenir des centres de formation continue au sein des universités ? L'un d'entre eux, en Bretagne, accueille quelque 7 000 stagiaires. La première année, le service d'orientation des universités est très actif. Les 91 euros de contribution à la vie étudiante financent-ils aussi la prévention de santé ? On voit revenir des maladies qu'on croyait éradiquées, et nous accueillons des étudiants étrangers...

M. Gilles Roussel. - Outre le doctorat, c'est tout le début de carrière qu'il faudrait revaloriser ! Mais si l'on augmente la rémunération des doctorants, il atteindra celui des attachés temporaires d'enseignement et de recherche, qui font 192 heures de cours. Si l'on augmente ces derniers, il faudra revaloriser le traitement des maîtres de conférences, et ainsi de suite. Et il y a des absurdités : alors que les doctorants font 64 heures de cours et les attachés temporaires d'enseignement et de recherche, 192 heures, les nouveaux maîtres de conférences bénéficient d'une décharge de 50 heures pour se former à l'enseignement ! Il faut revoir tout le début de carrière. Nous avons fait des propositions à la mission Thiriez pour une meilleure reconnaissance du doctorat dans la fonction publique. Déjà, un troisième concours pour les doctorants se met en place à l'ENA. Les entreprises, aussi, reconnaissent peu le doctorat. Nous devons mieux identifier les compétences qu'il confère : capacité à documenter, à synthétiser, à travailler sur des sujets ouverts et sans réponse évidente...

Nous plaidons pour un pilotage territorial de la recherche, couplé aux stratégies de chaque établissement. Pour autant, nous avons besoin d'une stratégie nationale : l'État doit donner de grandes orientations. Par exemple, on s'est aperçu lors de la crise en Ukraine que nous n'avions plus de spécialistes de ce pays !

Les 10 % d'exonération seront vite atteints. La CPU réfléchit aux critères d'exonération. L'université de Rennes-I, par exemple, les organise de manière à favoriser la francophonie. D'autres universités privilégient le master... Chacune doit structurer les exonérations en fonction de sa stratégie, et de ses partenariats avec des universités étrangères. D'ailleurs, il faut penser plus globalement l'accueil des étudiants étrangers. Certains arrivent avec deux mois de retard, le temps d'obtenir leur visa - et on s'étonne qu'ils réussissent moins bien ! Le plan « Bienvenue en France » met l'accent sur la nécessité d'une stratégie globale en la matière, différenciée pour chaque établissement, et cohérente avec ses autres orientations.

Nous demandons à pouvoir emprunter plus facilement auprès de prêteurs publics pour financer des projets de rénovation énergétique. Le plan « Pic 2030 » prévoit de financer les travaux par les économies réalisées, mais il faut un fonds d'amorçage - ou une capacité d'emprunt. Un bâtiment rénové récemment dans le cadre d'un partenariat public-privé dégage 80 % d'économies sur les flux énergétiques. Le coût de l'énergie ne pouvant qu'augmenter, de tels investissements sont judicieux.

Le dernier cas de harcèlement concernait Rennes-II. Pourtant, l'université avait instauré des procédures et prévenu les organisateurs du week-end d'intégration. Cela n'a pas suffi. Les universités se sont emparées du sujet, en tous cas, et prennent des mesures de prévention. Le nombre de procédures disciplinaires augmente, ce qui reflète davantage une libération de la parole qu'une hausse du nombre de cas.

Les écoles privées bénéficient d'un financement des Crous, notamment dans le cadre des politiques de site. Mais seules les universités semblent se soucier de la CVEC : les écoles privées ne participent guère aux réunions. Il est vrai qu'elles gèrent la vie étudiante séparément. Quant aux 91 euros, ils se substituent aux quelque 200 euros de sécurité sociale, que les étudiants ne paient plus. Et la CVEC finance aussi de la prévention en matière de santé.

Les centres de formation continue rapprochent de plus en plus celle-ci de la formation initiale. Il y a une vraie demande.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci. Bonne rentrée à vous ! Sachez que nous sommes très mobilisés sur tous ces dossiers.

M. Gilles Roussel. - J'en profite pour vous renouveler notre invitation à venir visiter nos universités. Vous êtes les bienvenus !

Mission d'information sur les nouveaux territoires de l'éducation - Présentation du rapport d'information

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, nous allons maintenant examiner le rapport sur les nouveaux territoires de l'éducation, sujet extrêmement important et qui me tient particulièrement à coeur. En effet, depuis trois ans au sein de notre commission, nous avons constaté à travers plusieurs travaux que les lois modifiant les périmètres de nos territoires - je pense à la loi sur les communes nouvelles de 2010, mais aussi à la fusion des intercommunalités ou encore à la création des grandes régions - bouleversent la géographie territoriale. De ce fait, elles ont un impact non négligeable sur le devenir de l'école primaire rurale.

Les questions que nous posent nos collègues dans nos départements, leurs appréhensions vis-à-vis d'une école qui pourrait disparaître, leurs craintes d'une perte d'attractivité de leur territoire et de la qualité de vie, en sont le reflet.

Pas plus que ne l'avait fait à l'époque la loi de programmation et d'orientation pour la refondation de l'école, la récente loi pour une école de la confiance n'aborde cette question - si ce n'est par le prisme d'un amendement, l'article 6 quater, déposé à la va-vite et sans réflexion en amont.

Au moment où j'avais proposé à notre commission de travailler sur ce thème, il y avait eu une certaine réticence en raison du rapport confié à Ariane Azéma et Pierre Mathiot sur un sujet très proche. Mais ce rapport n'a toujours pas été rendu aujourd'hui. Dès lors, notre rapport est très important : il sera utile à nos territoires car il constitue un bon outil pour poursuivre la réflexion. En outre, il témoigne à nos collègues élus de la continuité des travaux de notre commission, notre volonté d'approfondir le sujet. Nous demeurons ainsi à l'écoute de leurs préoccupations et celles des enseignants. Cette mission arrive à point nommé.

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Notre mission d'information s'est intéressée à la déclinaison territoriale d'une grande politique nationale qu'est l'enseignement scolaire.

Nous nous sommes demandé si l'éducation nationale prenait en compte les spécificités et les besoins des territoires.

Nous avons procédé à une trentaine d'auditions à laquelle plusieurs d'entre vous ont participé. Nous avons rencontré Pierre Mathiot et Ariane Azéma, qui ont été chargés, comme l'a rappelé la présidente, par M. Jean-Michel Blanquer d'une mission sur la territorialisation des politiques éducatives.

Par ailleurs, nous avons procédé à une consultation, via le site internet du Sénat. Cela nous a permis de recueillir plus de 1 700 contributions, essentiellement des élus communaux.

Enfin, nous nous sommes rendus à Grigny où existe depuis deux ans une expérimentation associant l'ensemble des acteurs locaux de l'éducation, au sens large afin de construire un écosystème favorable aux jeunes. Cette expérimentation a servi de modèle au projet des cités éducatives.

Il ressort de ces travaux trois axes majeurs, sur lesquels nous allons rapidement revenir : mieux connaître les spécificités des territoires, mettre en place une politique de priorisation éducative au niveau académique et enfin associer pleinement les élus locaux.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Afin de pouvoir proposer une organisation adaptée aux besoins des territoires, il est nécessaire de connaître leurs spécificités au sein du système scolaire. Or, au fur et à mesure des auditions, nous avons pu constater que le critère territorial est très peu pris en compte dans la définition des politiques de territorialisation de l'éducation nationale. A titre d'exemple, la définition des REP repose essentiellement sur deux critères : l'échec scolaire et les difficultés socio-économiques des parents d'élèves. Nous ne remettons pas en cause ces critères, car ils sont légitimes. Mais nous constatons que les gouvernements successifs assument la non-prise en compte des contraintes territoriales dans la définition de cette politique.

En outre, la donnée « ruralité » est absente des statistiques de l'éducation nationale. D'ailleurs, l'inspection générale de l'éducation nationale et l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche ont mené une mission sur la ruralité en 2018. Les éléments statistiques qu'elles ont recueillis n'avaient jamais été collectés auparavant et ont été établis à la demande de la mission. Cela ne signifie pas que les difficultés nées de la ruralité comme la fermeture de classe, la rotation rapide chez le personnel enseignant en raison par exemple de la difficulté pour le conjoint de trouver un emploi, les problèmes de mobilité des élèves ne sont pas identifiées.

Mais, en l'absence de données, la ruralité est l'objet d'une politique scolaire par défaut. Elle est peu harmonisée et en devient peu visible nationalement. Cet état de fait est à comparer avec la mobilisation nationale propre dont bénéficie la politique de la ville.

De même, les réformes nationales uniformément mises en place ont montré leurs limites. On peut penser à la réforme des rythmes scolaires, dont notre commission a montré qu'elle a été appliquée de manière trop rigide et laissant trop peu de place à l'expérimentation.

La prise en compte des spécificités des territoires, et de leurs contraintes nous amène à prôner le maintien d'une offre scolaire de proximité, partout sur le territoire. Ce choix politique doit primer sur les considérations gestionnaires et budgétaires. Ainsi, on ne peut pas appliquer aux territoires ruraux, en raison de leur isolement, les mêmes critères que les autres territoires. Je pense notamment aux indicateurs d'encadrement.

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Afin d'être pleinement efficace, la politique éducative doit se décliner au niveau des territoires. Nous nous sommes penchés sur la politique d'éducation prioritaire. Si elle est nécessaire, elle fait l'objet de nombreuses critiques. Nous avons constaté qu'elle crée une dichotomie, avec d'un côté les établissements en REP (réseau d'éducation prioritaire)/REP+ et de l'autre ceux hors éducation prioritaire. Toute modification de la carte des établissements en REP ou REP+ est source de tensions avec le personnel enseignant, les parents d'élèves et les acteurs locaux. Or, on sait que la politique actuelle d'éducation prioritaire ne porte pas suffisamment ses fruits. La politique d'éducation prioritaire concerne trop d'enfants - 20% des enfants sont scolarisés en REP ou REP+ et malgré les moyens investis, l'objectif de réduction des écarts de résultats scolaires à 10% entre REP et hors REP n'est toujours pas atteint.

Mais, de manière plus problématique, 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP ou REP+ et ne bénéficient donc pas de moyens supplémentaires. Je pense aux écoles orphelines, actuellement les grandes perdantes de la politique d'éducation prioritaire. En effet, elles accueillent un public confronté à un taux de réussite scolaire faible et de difficultés socio-économiques élevées, mais elles ne bénéficient pas de la politique d'éducation prioritaire car le collège dont elle dépend est jugé socialement « suffisamment mixte ». Or, on le sait, pour garantir l'égalité des chances à chaque élève, les années de primaire sont essentielles.

Je pense également aux écoles qui ne sont ni rurales, ni rattachées à la politique de la ville et l'éducation prioritaire. Ces écoles de « l'entre-deux », si vous me permettez cette expression, rencontrent des difficultés sur le terrain, mais sont absentes de toute politique.

C'est la raison pour laquelle nous prônons une politique plus progressive et adaptée à la réalité des territoires.

Concrètement, la définition des territoires devant bénéficier de moyens supplémentaires, doit se faire au plus près des territoires, au niveau académique et départemental, en concertation avec les élus locaux.

Dans cette perspective, il nous semble important de donner plus de moyens aux responsables académiques. Ces marges de manoeuvre renforcées doivent concerner à la fois le personnel enseignant, mais aussi le personnel de direction et de gestion. En effet, au cours des auditions, on nous a indiqué qu'il y avait également des problèmes de recrutement pour ceux-ci. A titre d'exemple, dans l'académie de Reims, 14 postes de personnel de direction ne sont pas pourvus.

Les spécificités des territoires aux besoins éducatifs particuliers doivent être prises en compte lors de la formation initiale des futurs enseignants. Dans certains territoires ruraux a été mis en place un accompagnement renforcé et une formation spécifique des jeunes enseignants affectés en zone rurale ou dans une classe multiniveaux. Cette pratique doit être généralisée et intégrée à la formation initiale. Nous dressons un constat similaire pour les REP et REP+. Les spécificités de l'enseignement dans ces établissements ne sont pas enseignées lors de la formation initiale. Ainsi, la formation et l'accompagnement pédagogique en REP ou REP+ n'interviennent qu'une fois le personnel affecté.

En outre, il nous paraît intéressant d'associer l'enseignement privé sous contrat à une politique en faveur du développement de la mixité sociale et scolaire.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Le troisième axe vise à associer pleinement les élus à la définition de la politique éducative.

Actuellement, les relations entre les élus et l'éducation nationale sont marquées par des tensions récurrentes. Si les élus font état d'excellentes relations avec les directeurs d'école, celles avec les inspecteurs de l'éducation nationale ou les DASEN (directeurs académiques des services de l'éducation nationale) sont souvent décrites comme plus distantes et conflictuelles. La relation avec l'éducation nationale est vécue comme trop unilatérale et descendante. Or, pour rappel, les collectivités locales financent à hauteur d'un tiers les dépenses éducatives du premier degré.

Aujourd'hui, les instances de concertation sont purement formelles. La multiplicité des interlocuteurs de l'État, aux périmètres de compétence et aux responsabilités divers, est perçue comme source de difficulté pour les élus locaux.

Nous avons également constaté que l'organisation infradépartementale de l'éducation nationale ne prend pas en compte la réalité des territoires : les bassins de vie, l'organisation locale,...

Enfin, nous nous sommes penchés sur les conventions de ruralité. Cet outil est aujourd'hui mal connu par les maires. Toutefois, nous les jugeons utiles car elles permettent de construire un cadre de dialogue avec les élus et d'inscrire leur action et celle de l'État dans une programmation pluriannuelle. En effet, l'une des critiques récurrentes des maires face à l'éducation nationale est le sentiment d'être informés trop tardivement des décisions prises par cette dernière.

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Sur la base de ces constats, nous formulons 11 préconisations.

Utiliser un indice d'éloignement géographique pour une allocation plus juste des moyens : aujourd'hui, le critère territorial n'est que très peu pris en compte, notamment parce que l'éducation nationale ne dispose d'aucune donnée. Or, l'éloignement géographique a des impacts sur les élèves : offre périscolaire plus faible, résultats scolaires plus faibles pour certains d'entre eux, question de la mobilité et choix des études en fonction de l'offre existant à proximité.

Adapter l'école rurale afin de préserver une offre de proximité et la qualité de l'enseignement : face à la baisse de la démographie scolaire et aux contraintes budgétaires, le maintien d'une offre de proximité nécessite d'adapter ses modalités. Des initiatives sont prises par les communes, sous la forme de regroupements pédagogiques intercommunaux, ou d'autres expérimentations. Dans tous les cas, l'éducation nationale ne doit pas chercher à influencer l'une ou l'autre des solutions.

Poursuivre la réflexion sur l'évolution des structures et valoriser les expérimentations : en tout état de cause, toute expérimentation doit se faire avec le consentement explicite de toutes les parties, et en premier lieu les élus locaux.

Inscrire les établissements ruraux dans une logique d'animation et de développement du territoire : l'école rurale doit devenir un facteur d'attractivité et d'aménagement des territoires. Elle peut permettre le développement de services culturels et sportifs bénéficiant à l'ensemble du territoire, à l'image de l'enseignement agricole, dont l'animation des territoires est une des missions qui lui est confiée.

Avoir une approche plus différenciée des moyens en faveur de l'éducation prioritaire, tout en sanctuarisant ceux alloués au REP+ : en raison des difficultés importantes que connaissent les enfants scolarisés en REP+, il est important de sanctuariser les moyens qui leur sont alloués. En revanche, et dans le but de mettre fin aux effets de seuils créés par la politique d'éducation prioritaire, et la dichotomie entre établissements en REP et hors REP, la mission propose une priorisation territoriale, afin de créer une politique plus progressive.

Donner aux recteurs et aux DASEN des marges de manoeuvre renforcées afin de valoriser les postes les moins attractifs, dans le cadre des politiques de priorisation définies à l'échelon local : les marges de manoeuvre des recteurs et DASEN sont aujourd'hui trop faibles. Cette absence de prérogatives en matière indemnitaire est d'autant plus surprenante que le décret du 29 août 2016, qui constitue le nouveau cadre de gestion des enseignants contractuels, leur donne la possibilité de majorer la rémunération de ces derniers en fonction notamment de la spécificité du besoin à couvrir. Les postes peu attractifs, notamment en raison de leur éloignement ou isolement, doivent bénéficier d'une compensation. Cette proposition concerne à la fois le personnel enseignant, mais aussi le personnel de direction et de gestion. Je laisse mon collègue vous présenter la suite de nos propositions.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Nous préconisons également de mettre en place des « contrats de mission » pour l'affectation d'enseignants sur les postes peu attractifs : cette proposition s'inscrit dans la continuité des travaux de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat. Cette modalité d'affectation permettrait de lever l'un des principaux freins à la mobilité vers les territoires les moins attractifs, à savoir la crainte de ne pas pouvoir en sortir.

Tenir compte des spécificités de l'enseignement en milieu rural et en réseau d'éducation prioritaire dans la formation initiale et mettre en place un parcours « spécialisé » rural comprenant une certification spécifique : l'un des arguments fréquemment invoqués pour justifier les regroupements d'école dans les territoires ruraux est l'impréparation des jeunes enseignants à exercer dans des classes multiniveaux voire dans des écoles à classe unique. Ce besoin de formation avant la prise de poste s'applique également aux enseignants affectés en REP ou REP+ : en effet, s'ils bénéficient d'un accompagnement pédagogique renforcé, celui-ci n'intervient qu'une fois en poste. 

Instaurer un mécanisme incitatif en faveur des établissements privés sous contrat s'engageant dans une politique de développement de la mixité sociale et scolaire. L'effet est connu : les établissements privés sous contrat font dans certains cas concurrence sur la composition sociale d'établissements publics situés en éducation prioritaire ou à proximité. Cela conduit à aggraver la situation des établissements publics. Ce mécanisme incitatif en faveur des établissements jouant le jeu de la mixité sociale serait ainsi une réponse à cet état de fait.

Faire évoluer l'organisation des services déconcentrés de l'éducation nationale en cohérence avec l'organisation des collectivités territoriales : la carte de services déconcentrés de l'éducation nationale n'a pas suivi les évolutions territoriales, qu'il s'agisse des nouvelles régions, de la fusion des EPCI, ou encore des regroupements scolaires.

Enfin, renforcer les partenariats entre les collectivités locales et le rectorat : les relations entre les collectivités locales et le rectorat sont marquées par des tensions récurrentes, alimentées par les modifications de la carte scolaire. L'association des collectivités territoriales qui financent est une condition sine qua non de la réussite des politiques éducatives. Les conventions ruralités sont un exemple intéressant. Elles gagneraient à être mieux connues des maires et à s'inscrire dans une logique plus globale d'aménagement du territoire.

Mme Colette Mélot. - Ce rapport sur les écoles de nos territoires est nécessaire et pointe des difficultés réelles. Dans de nombreux départements, il existe cette dichotomie entre les écoles rurales et les écoles en milieu urbain. Je connais bien cette situation dans mon département où certains territoires sont très ruraux, tandis que d'autres relèvent de la politique de la ville et de l'éducation prioritaire. Comme vous l'avez proposé, il faut donner des marges de manoeuvre aux DASEN et aux recteurs, aptes à juger des aides à apporter, notamment pour l'animation culturelle et la mobilité.

Vous évoquez la question de la mobilité. Il me semble que celle-ci est moindre pour les élèves de primaire qui habitent souvent proches de leurs écoles. Si tel n'est pas le cas, des transports sont organisés.

Nous avons tous été émus par le drame qui s'est déroulé il y a une dizaine de jours en Seine-Saint-Denis. Nous devons être le relais de vos propositions auprès des recteurs et DASEN avec lesquels nous travaillons régulièrement.

Enfin, je sais que dans mon département, le recteur et la DASEN sont très sensibles au sujet de la ruralité, pour laquelle des moyens supplémentaires ont été trouvés.

M. Christian Manable. - Je souhaite apporter un témoignage, en lien avec la deuxième préconisation du rapport, à savoir « maintenir un service public d'éducation nationale en zone rurale ». Il y a une quinzaine d'années, dans mon département très rural de la Somme, composé de 772 communes dont 750 de moins de 2 000 habitants, les élus se sont emparés de la question de l'école en zone rurale à la suite de fermetures successives d'écoles. Nous avons mis en place deux choses : une mobilité assurée pour tous les élèves du primaire, transportés tous les jours par autocar, voire par véhicule particulier, taxi ou ambulance pour certains ; et la mise en place de RPC (Regroupements Pédagogiques Concentrés), à ne pas confondre avec les RPI (Regroupements Pédagogiques Intercommunaux) où plusieurs villages se regroupent mais chacun conserve son école.

Nous avons construit nos RPC autour d'une école-centre qui proposait en plus tous les services périscolaires : la garderie le matin et le soir, la cantine le midi et la médiathèque. C'est un système particulièrement apprécié dans les zones rurales péri-urbaines parce qu'un village seul ne pourrait pas offrir tous ces services. En outre, il évite que les parents scolarisent leurs enfants à proximité de leur lieu de travail pour plus de commodité.

Ces RPC ont été mis en place grâce à des financements croisés entre l'Etat, la région, les départements et les communes. Un travail avec les différents cantons a permis d'offrir des services basés sur une grille de critères de répartition calculée en fonction du nombre d'habitants des villages et du nombre d'enfants scolarisés, étant entendu que la commune-centre qui accueillait cette école et offrait un avantage aux enfants de sa commune devait apporter le terrain.

Avec le recul, le bilan est très positif puisque les élèves sont restés dans les campagnes et même, pour un de ces RPC, une réouverture de classe a été accordée au bout de trois ans.

Cependant, malgré la satisfaction des habitants et des enseignants, les maires ont été réticents : ils craignaient de perdre des habitants en perdant leur école. Or, le résultat des recensements démontre que même dans les villages sans écoles, la population a augmenté : en effet, ce que les nouveaux habitants demandent avant tout aujourd'hui, c'est moins une école de village qu'une bonne connexion à internet.

Enfin, je reconnais que c'était plus facile il y a vingt ans, du point de vue des finances publiques.

M. Jacques Grosperrin. - A mon avis, il est urgent de mettre fin à ces discours pessimistes sur nos écoles rurales. En effet, à force de les entendre, les parents de nos bourgs vont finir par envoyer leurs enfants dans les écoles des villes.

Le ministre de l'éducation nationale est venu hier dans mon département du Doubs. Nous avons visité ensemble deux écoles : une école à Besançon, en REP+, avec des enfants en grande difficulté. Des moyens importants ont été mis à disposition ; nous avons constaté avec intérêt l'efficacité du dédoublement des classes, même si un niveau résiduel d'enfants avec de très grandes difficultés perdure. Et puis, nous sommes allées dans une petite école rurale où règne une sérénité dans les cours, avec des groupes de niveaux, trois classes avec un seul professeur...

Il ne faut pas trop stigmatiser les écoles rurales parce qu'elles offrent ce qu'il y a de plus important dans la scolarité d'un enfant : un bon point de départ. Et il serait d'ailleurs intéressant de faire une évaluation des résultats de ces élèves lorsqu'ils arrivent en 6e.

Les difficultés apparaissent au collège du fait des déplacements ; il faut donc réfléchir au rôle de l'internat au moment du collège et encore plus au lycée qui met la ruralité à distance.

J'ai deux questions : envisagez-vous un statut de directeur d'école, tel que l'amendement que j'avais proposé le prévoyait, amendement qui a fait craindre à certains qu'on allait supprimer des écoles alors qu'il s'agissait d'une réorganisation administrative et non pas d'un éloignement pédagogique ?

Par ailleurs, vous semblez faire preuve d'une certaine prudence vis-à-vis de l'expérimentation. Quelle en est la raison ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Comme je l'ai indiqué au bureau de la commission la semaine dernière, le statut du directeur d'école fait partie d'un des chantiers que nous devons poursuivre dans le cadre du suivi de la loi école de la confiance. Ce sujet mérite un travail spécifique, surtout compte tenu des événements récents.

M. Jean-Marie Mizzon. - Pouvez-vous revenir sur le chiffre de 70 % d'élèves en difficulté qui ne seraient pas scolarisés en REP et REP+ ? En effet, si tel est le cas, la politique de REP est loin d'atteindre son public cible.

Ma question porte sur l'école en milieu rural et sur les préconisations de ce rapport s'agissant des regroupements pédagogiques, qu'on connaît sous deux formes : les regroupements pédagogiques concentrés et les autres appelés chez nous « éclatés » qui impliquent des temps de transport pour les élèves. Les premiers offrant davantage d'atouts que les seconds. Le rapport propose-t-il de les privilégier ou laisse-t-il la main aux territoires pour qu'ils s'organisent au mieux ?

J'observe que de plus en plus d'élus ont compris que l'école n'était pas juste un équipement de proximité : ainsi, lorsque l'on concentre les moyens, non seulement on offre aux équipes pédagogiques de meilleures conditions de travail mais l'on favorise également la scolarité des enfants, celle-ci l'étant notamment par des temps de transport réduits. Proposez-vous de privilégier telle ou telle forme de regroupement ?

Mme Céline Brulin. - J'adhère complètement au parti pris dans ce rapport qui est clairement la réduction des inégalités territoriales, enjeu majeur. Il en ressort également les difficultés scolaires. Nous sommes tous très surpris par ce chiffre de 70% d'enfants en difficulté scolaire qui échapperaient aux dispositifs existants. Mais il y a peut-être une mauvaise compréhension de ma part. A travers le prisme mis sur la ruralité, une certaine souffrance, avérée ou ressentie, apparaît.

Je suis toutefois plus réservée vis-à-vis de votre préconisation d'un renforcement des marges de manoeuvre allouées aux DASEN. En effet, d'amicales ou de moins amicales pressions s'exercent dans certains endroits.

De même, je souhaite que soit nuancé le fait d'inciter, voire obliger l'école privée sous contrat à la mixité. Dire que ce type d'école doit prendre sa part à la réduction des inégalités est séduisant mais cela conduit à dire qu'il faut davantage d'enfants dans ce type d'écoles qui peuvent être des écoles à dimension associative avec des méthodes pédagogiques particulières ou avec une dimension religieuse avérée.

En outre, toutes ces préconisations doivent être mises en perspective avec les contraintes budgétaires. Des marges de manoeuvre ou des dispositifs spécifiques (tels que les CP et CE1 en REP et REP+ dédoublés), sont des mesures très appréciables mais dès l'instant qu'il semble que le nombre de poste suffisant n'ait pas été créé, on améliore certains niveaux au détriment d'autres, par un jeu de vases communicants. Ces objectifs ne peuvent pas s'exonérer d'une analyse parallèle des moyens financiers et humains.

Je pense enfin qu'on ne peut pas demander à l'école, toute seule, d'assurer l'attractivité des territoires. Si on veut que l'école rurale demeure, il faut intervenir sur d'autres secteurs : la présence des services publics, des médecins, etc.

Mme Françoise Laborde. - Ce rapport est dans la suite des travaux que j'ai menés avec Max Brisson et ceux de la loi pour une école de la confiance. Nous y avions pointé que la ruralité n'était pas suffisamment prise en compte, d'où cette mission sur les territoires. Je valide pratiquement toutes les propositions, mais partage la remarque de notre collègue Céline Brulin : si vous me permettez cette expression, il ne faut pas que des mesures fortes de soutien aux élèves, comme le dédoublement des classes de CP-CE1, se fasse en « déshabillant Pierre pour habiller Paul ».

Je pense que les conventions de ruralité sont très importantes et il faut que chacun d'entre nous arrive à les faire évoluer au sein de son territoire.

Il me semble également nécessaire de poursuivre la réflexion sur l'évolution des structures et valoriser l'expérimentation. Cette idée a été très mal comprise lors de l'examen de la loi sur l'école de la confiance, parce qu'on avait l'impression d'une évolution des structures obligatoire et systématique. Mais dès lors qu'elle se construit dans le cadre d'une convention, il n'y a plus de problème, surtout si des moyens sont apportés sur les postes les moins attractifs ou que les contrats de mission se développent.

A mon avis, l'une des explications de la scolarisation de 70 % des élèves hors REP ou REP+ réside dans le fait que les collèges peuvent parfois regrouper des écoles très différentes permettant une mixité. En revanche, les difficultés des enfants des écoles élémentaires ne sont pas prises en compte comme il le faudrait.

Mme Vivette Lopez. - Ma question sera brève : avez-vous pris en compte les établissements scolaires en outre-mer ?

M. Jacques-Bernard Magner. - Ce groupe de travail est d'un intérêt majeur car il clarifie les besoins et moyens des écoles rurales et urbaines que l'on a trop souvent tendance à opposer.

Je suis globalement en accord avec les propositions faites, notamment celles concernant la formation des enseignants. Il faut envoyer les futurs enseignants en stage dans les écoles rurales pour qu'ils aient pleinement connaissance de leurs futures fonctions.

Les contrats de mission que vous proposez vont être difficiles à mettre en place car ils s'opposent aux mouvements des enseignants, système co-géré par l'administration et les représentants du personnel. Donner des missions spécifiques aujourd'hui est assez délicat, en termes d'équité entre les choix des uns et des autres compte tenu de l'avancement de leur carrière.

Je suis par contre en désaccord sur l'instauration d'un mécanisme incitatif des établissements privés sous contrat. Ces établissements ont une mission de service public et ils doivent, comme l'école publique, accepter les enfants proposés. A contrario, il faut attirer leur attention sur le fait qu'ils n'ont pas à refuser certains élèves pour ces mêmes raisons de mixité sociale.

J'ai une insatisfaction sur le fait qu'on n'évoque pas du tout la semaine scolaire de 4 jours et 4 jours et demi. Dans le monde rural, cela pose question. On sait qu'aujourd'hui 80% des écoles fonctionnent sous le régime des 4 jours alors que la loi prévoit une organisation scolaire sur 4 jours et demi. Aussi, soit on inscrit dans la loi le principe d'une semaine sur 4 jours et d'une possibilité de dérogation sur 4 jours et demi, soit, et à mon avis ce système est meilleur, on inscrit le principe d'une semaine de 4 jours et demi, pas forcément avec le samedi ou le mercredi, mais en élargissant les plages de travail sur les matinées.

Mme Sonia de la Provôté. - Ce rapport traite de la question des territoires et vos propositions sont adaptées. S'agissant de la souplesse et de l'expérimentation, on constate qu'en fonction des rectorats, des académies, des DASEN et des inspecteurs de circonscriptions, les attitudes sont extrêmement différentes, celles-ci allant d'une parfaite considération des territoires jusqu'à la rigidité extrême. Il faudrait que des consignes claires soient données parce qu'à certains endroits, et encore actuellement, des classes rurales sont fermées à un élève près.

Il faut également revenir sur la question des effectifs : la fin du totem des 24 ou 25 élèves par classe a déjà été évoquée. Or, on constate aujourd'hui que cette règle est toujours appliquée sur le territoire. Est-ce qu'une classe à 20 élèves dans une école rurale est une mauvaise classe et est-ce que l'éducation nationale n'y joue pas bien son rôle ? La question du multi-critères sur l'ouverture ou la fermeture de classes est importante. Or, territorialement, il ne me semble pas qu'elle soit pour l'instant prise en compte, hormis en REP et REP+ - bien que l'on y observe parfois une application rigide. Cela pose la question de l'évaluation scolaire et de la prise en compte des conditions sociales dans chacune des écoles et des classes.

Concernant les collèges et les écoles orphelines, cela fait des années que dans tous les territoires, on se bat pour que ce ne soit pas le collège qui détermine le critère REP ou REP+. Certes il y a un continuum éducatif du primaire au lycée, mais on devrait prendre en considération les spécificités de chacune des étapes. Si l'on veut mettre en oeuvre une différentiation territoriale, il va falloir que l'éducation nationale prenne en compte cette dimension.

M. Olivier Paccaud. - Nous sommes tous d'accord sur les limites et les lacunes de la politique d'éducation prioritaire dans notre pays. Notre collègue Christian Manable a bien mis en évidence que les collectivités territoriales savent prendre leurs responsabilités. Pour ma part, j'ai eu le plaisir en septembre dernier, dans mon département de l'Oise, d'inaugurer pas moins de 3 RPC.

Néanmoins, la problématique vient de l'Etat qui a oublié, consciemment ou pas, la ruralité dans sa politique d'éducation prioritaire depuis trop longtemps. Par exemple, dans mon département, la carte d'éducation prioritaire, avant sa révision en 2014, comportait deux collèges ruraux qui ont disparu, au bénéfice de deux collèges urbains et de périphérie.

Nous sommes confrontés dans la Somme et dans l'Oise à des problématiques importantes liées aux temps de transport, pour les lycées - moins pour les collèges qui disposent d'un bon maillage.

En lien avec le Conseil régional des Hauts-de-France, nous réfléchissons à la construction d'établissements mixtes lycées/collèges, afin de répondre à des situations où les élèves, lorsqu'ils arrivent en seconde voient leur temps de transport passer de 20/25 minutes à plus d'une heure. Or, nous attendons la réponse du rectorat pour la mise en place de cette expérimentation depuis plus d'un an.

Existe-t-il dans d'autres départements de telles structures, des lycées-collèges de taille raisonnable qui permettent aux populations rurales de ne pas avoir des temps de transport trop important ? Avez-vous abordé cette problématique avec les responsables ministériels que vous avez pu rencontrer ?

Mme Laure Darcos. - Ce rapport est primordial dans le cadre des réflexions sur le futur projet de loi « décentralisation et différenciation », que le Gouvernement doit prochainement présenter. Les propositions de ce rapport pourraient être reprises à cette occasion.

Il est intéressant de continuer à travailler sur les problèmes de transport scolaire qui restent irrésolus, chacun se renvoyant la balle. Malgré son éloignement par rapport à la commune de résidence, un collège peut être choisi pour des raisons de confort, d'attractivité et même d'activités extra scolaires. La mobilité doit impérativement être prise en compte dans cette question des nouveaux territoires.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Pourriez-vous nous re-préciser à quoi correspond cette statistique des 70 % d'enfants hors REP en difficulté scolaire ?

Je voulais rappeler également aux collègues que ce rapport n'avait pas vocation à reprendre l'ensemble des sujets déjà abordés. Je vous renvoie à nos précédents travaux sur les enseignants ou encore celui sur les rythmes scolaires de Mireille Jouve et Jean-Claude Carle.

J'ai aussi une remarque qui s'inscrit dans la droite ligne de mes collègues : ce qui me frappe c'est que vous avez établi le fait, de manière scientifique, que la ruralité ne faisait pas l'objet d'une politique particulière pour l'éducation nationale ; elle n'existe ainsi que par défaut ; on s'en aperçoit lorsque le Président de la République annonce au lendemain du grand débat avec les maires, que l'effectif maximal des grandes sections de maternelle, des CP et des CE1 sera de 24 élèves. Cette mesure est inapplicable, faute de personnel enseignant suffisant. Les problèmes rencontrés en ruralité n'existent finalement que parce qu'ils ne sont pas traités.

Cela corrobore les échanges que nous avions eus avec Nathalie Mons, présidente du conseil national d'évaluation du système scolaire. Je lui avais demandé s'il existait des études qui établissent une corrélation entre milieu rural et moindre réussite scolaire. En effet, nous constatons souvent sur nos territoires, que bon nombre de préfets cherchent à faire fermer des écoles rurales sous prétexte de leur trop grand nombre, d'un taux d'illettrisme et de décrochage supérieurs qu'ailleurs. Or, il n'y a aucune étude scientifique en ce sens. Cela corrobore l'idée selon laquelle, il n'y a pas de suivi de la politique éducative en milieu rural. Peut-être pourrait-on ajouter une proposition supplémentaire concernant l'instauration d'un suivi statistique et de données, d'un observatoire des questions de la politique éducative rurale ?

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Concernant le chiffre des 70 % que nous avons évoqué dans la présentation du rapport, il s'agit des élèves socialement défavorisés, pas scolairement défavorisés. Il est issu d'un rapport de la cour des comptes de 2018 sur l'éducation prioritaire et est basé sur les catégories socioprofessionnelles des parents.

Nous nous sommes placés dans la continuité des réflexions de notre commission et des rapports déjà réalisés, notamment celui de nos collègues Max Brisson et Françoise Laborde. Ce que l'on propose est une méthode, un état d'esprit. La notion de territoire, on le voit ne serait-ce qu'à travers l'outil statistique, n'existe pas. Un changement profond est nécessaire.

Notre rapport identifie deux interlocuteurs privilégiés. Le premier est naturellement l'éducation nationale. Or, les reports successifs de l'annonce des résultats du rapport Mathiot-Azéma prouvent bien, à mon avis, qu'il comporte un certain nombre d'éléments qui posent problème à celui qui l'a commandé - le ministre de l'éducation nationale.

Le deuxième interlocuteur est bien sûr les collectivités qui ont compris depuis longtemps les enjeux. Comme en témoigne notre collègue Christian Manable, il existe sur les territoires un foisonnement d'idées et de nombreux projets. Nous nous sommes interdits de faire une liste des outils possibles, ni même de les hiérarchiser. Il faut que les projets remontent des collectivités.

Or, on constate qu'entre les collectivités et l'administration centrale se trouve un échelon en tension : celui des recteurs et des DASEN. Ces derniers sont au coeur de notre dispositif et doivent être les principaux bénéficiaires des éléments de souplesse que nous préconisons.

Il ressort des auditions que certains rectorats, peut-être parce qu'ils étaient plus confrontés que d'autres à la problématique de la ruralité, ont déjà intégré dans la répartition des moyens leur réflexion territoriale. Mais, en l'absence de directives nationales, alors que certains avancent, d'autres attendent.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - On s'est aperçus en effet que suivant les territoires ruraux, les recteurs ont des problèmes pour affecter des chefs d'établissement lorsque les écoles ou collèges sont très petits. Une des préconisations est donc de donner aux recteurs des moyens plus importants pour renforcer l'attractivité de ces territoires ruraux. Nous préconisons également de leur donner plus de souplesse et d'initiatives en matière d'affectation au niveau des postes car c'est eux qui connaissent le mieux leur académie.

Le deuxième point concerne les lycées mixtes et les cités scolaires, qu'il faudra suivre, en lien avec le plan internat que le Gouvernement doit mettre en place. La question du temps de transport est particulièrement importante, notamment lorsque vous vivez en zone de montagne, comme c'est le cas de nombreux enfants dans mon département. Dans cette perspective, il me semble également important de faire avancer les conventions de ruralité qui permettent sur une durée de trois ans, d'anticiper l'avenir et de dynamiser et conserver les collèges et ainsi, limiter les temps de transport.

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Notre rapport se résume à trois axes : la prise en compte d'une vision territoriale au niveau de l'Etat, plus de souplesse au niveau des recteurs ou des DASEN, et la contractualisation avec les collectivités locales qu'il faut ré-introduire, notamment sur la question des internats ou des cités scolaires.

Mme Marie-Pierre Monier. - Je voudrais évoquer le sujet de la corrélation entre le décrochage scolaire et le milieu rural. Nous avions auditionné au sein de notre commission Nathalie Mons et Patrice Caro. Ils avaient souligné le fait que paradoxalement, en Bretagne, les réformes scolaires étaient appliquées plus tardivement qu'ailleurs. Néanmoins, cela n'avait aucun impact sur l'excellence des résultats, malgré une importante ruralité.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je souhaite souligner le déficit des méthodes des conventions de ruralité - je crois que dans ma région elles s'appellent conventions-écoles ou conventions-cadres. Cela procède toujours du même défaut : la non-énonciation d'une politique territoriale d'éducation en faveur de la ruralité. On confie à un collègue sénateur ce travail. Il est venu dans le mien où j'ai pu constater l'existence d'une rivalité avec la DASEN de l'époque. Je crois que cette question des conventions de ruralité aurait dû remonter au niveau national et que le ministre s'en empare et les mette en place sur tous les territoires concernés. En effet, on constate aujourd'hui, que certains maires n'en connaissent pas l'existence.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Les maires sont en effet peu informés en amont et le ministère devrait donner l'impulsion d'une réflexion partagée à ce sujet.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Avez-vous établi un état des lieux de la prise de compétences scolaires par les EPCI, compétence facultative. Les réflexions que peuvent avoir les EPCI sur ces questions complètent-elles celles des maires ?

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Nous ne sommes pas rentrés dans le débat communes/intercommunalités sur cette question, car il n'existe pas de chiffres à ce sujet.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Une dernière question sur le patrimoine des communes en matière scolaire : comment impacte-t-il la décision du regroupement, sur quels critères (lieu, restauration scolaire, rénovation récente d'une école, ...) ? Cet indicateur est important dans l'évolution de l'organisation de l'école au niveau d'un bassin de vie.

M. Olivier Paccaud. - J'ai en effet des exemples de bâtis scolaires qui ont pu être reconvertis pour accueillir des crèches.

Mme Françoise Laborde. - A mon avis, il n'y a pas assez de recul sur le transfert facultatif de la compétence scolaire aux EPCI, pour pouvoir procéder à une évaluation. Il est certain en tout cas qu'à la suite de la mise en place des très grandes intercommunalités, certaines communes, qui avaient transmis par le passé la compétence scolaire à l'intercommunalité de proximité, ont dû reprendre ses compétences - la nouvelle intercommunalité n'étant pas en mesure, ou ne souhaitant pas la gérer - mais sans récupérer les financements correspondants.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Je pense qu'il faut laisser aux élus la liberté de décider.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je m'interroge sur votre proposition de mécanismes incitatifs pour les écoles privées sous contrat. Celles-ci ont finalement les mêmes missions, les mêmes programmes pédagogiques et le même réseau d'inspecteurs que l'école publique.

Cela pourrait dédouaner l'enseignement public de remplir sa mission. A contrario, est-ce que l'enseignement privé sous contrat a forcément besoin d'un mécanisme pour remplir sa mission ? J'ai noté que de nombreux enfants qui ne trouvent pas de solutions répondant à leurs besoins dans le public sont scolarisés dans des établissements privés sous contrat, notamment catholiques.

M. Christian Manable. - Je partage aussi votre réticence sur ce point.

Je voudrais revenir sur les RPC que j'ai présentés tout à l'heure. L'opposition, voire la réticence, de certains maires à créer un RPC au motif que le village allait dépérir, correspond à une vision passéiste. Aujourd'hui la population est mobile. J'ajoute qu'une condition avait été imposée : les temps de transport ne devaient pas excéder une demi-heure le matin et une demi-heure l'après-midi et, autant que faire se peut, sans traverser des axes très fréquentés et accidentogènes.

M. Laurent Lafon, rapporteur. - Sur la question des établissements privés sous contrat, nous vous proposons d'enlever le terme « incitatif », qui laisse penser qu'une aide financière serait proposée. Cette proposition, également formulée par la Cour des comptes, part d'un constat connu : lorsqu'il y a une école privée à proximité des REP ou REP+, elle a tendance à aspirer les meilleurs élèves. L'incitation formulée porte sur l'engagement que doivent avoir ces établissements par rapport à leur participation à la mixité sociale.

Mme Colette Mélot. - Il ne faut pas oublier que certaines écoles privées sous contrat accueillaient des enfants en situation de handicap, ce que ne faisait pas l'école publique.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

La réunion est close à 12 h 20.