Mardi 19 novembre 2019

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Proposition de loi tendant à instituer une carte Vitale biométrique - Examen des amendements

M. Alain Milon, président. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi, présentée par Philippe Mouiller, visant à instituer une carte Vitale biométrique.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Les quatre amendements que nous allons examiner ont été déposés par Nathalie Goulet.

Article 1er

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - L'amendement n°  1 concerne les prestations de retraite et non pas les prestations d'assurance maladie. Je vous propose de le déclarer irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

La commission déclare l'amendement n° 1 irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Articles additionnels après l'article 1er

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - L'amendement n°  2 vise à supprimer la photographie de la carte Vitale. Même s'il est plus coûteux d'éditer une carte avec une photographie et que celle-ci n'est pas toujours contrôlée, il me paraît difficile de la supprimer au moment même où l'on veut renforcer les contrôles. Mon avis est défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - L'amendement n°  4 prévoit l'attribution de la carte non plus tout au long de la vie, mais durant la durée des droits. Mon avis est favorable car cette mesure est de bon sens.

Mme Michelle Gréaume. - Je m'abstiens.

Mme Corinne Imbert. - Qu'est-ce que cela signifie ? Une personne peut ne plus bénéficier de droits auprès de la caisse primaire d'assurance maladie mais en avoir auprès d'une autre caisse. Actuellement, on peut procéder à un changement de caisse avec une simple mise à jour de la carte Vitale. N'est-ce donc pas un frein à cette facilité ?

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Cela signifierait que la carte Vitale n'est plus valable uniquement en cas d'extinction des droits, en cas de départ à l'étranger, par exemple. Les migrations inter-régimes ne seraient pas concernées.

Mme Michelle Gréaume. - N'est-ce pas un frein pour tous les retraités qui partent dans d'autres pays européens ?

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - La carte Vitale ne concerne que les prestations d'assurance maladie. Par ailleurs, la règle est de justifier d'une résidence régulière en France.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 4.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - L'amendement n°  3 vise à demander un rapport sur les cartes surnuméraires, un sujet évoqué par Nathalie Goulet et Carole Grandjean dans leur rapport. Même s'il est compliqué de prévoir un rapport sur les causes et les coûts pour les finances publiques des cartes Vitale surnuméraires, surtout dans un délai de trois mois suivant la promulgation de la loi, il s'agit là d'un véritable sujet, d'autant que l'on parle de 2 à 5 millions de cartes en surnombre. Mais nous ne sommes pas très favorables aux demandes de rapport. Aussi, j'exprime un avis défavorable.

Mme Michelle Gréaume. - Je rejoins la rapporteure d'autant que les mesures contenues dans cette proposition de loi risquent d'entraîner des coûts supplémentaires.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.

TABLEAU DES AVIS

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 1er
Instauration d'une carte Vitale biométrique

Mme Nathalie GOULET

1

Bénéficiaires d'une pension de retraite servie par un organisme de sécurité sociale français et résidant hors de France.

Irrecevable art. 45

Article additionnel après l'article 1er

Mme Nathalie GOULET

2

Suppression de la photographie de la carte Vitale

Défavorable

Mme Nathalie GOULET

4

Durée d'attribution de la carte Vitale.

Favorable

Mme Nathalie GOULET

3

Demande de rapport sur les cartes surnuméraires.

Défavorable

La réunion est close à 14 h 10.

Mercredi 20 novembre 2019

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Questions diverses

M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, avant de laisser la parole à Bruno Gilles, rapporteur pour avis sur la mission anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation pour la présentation du premier des quatre rapports de la matinée, je voudrais évoquer la nouvelle lecture du PLFSS pour 2020.

Comme vous le savez, nous examinerons le texte le samedi 30 novembre et le dimanche 1er décembre, avant une lecture définitive à l'Assemblée nationale le lundi 2 décembre, le délai constitutionnel prévu pour l'examen du texte par le Parlement expirant le 3 décembre.

Je rappelle que le Sénat ayant rejeté l'ensemble du texte, tous les articles sont en discussion. Nous ne pourrons cependant pas y consacrer le même temps qu'en première lecture puisque nous aurons, à nouveau la semaine prochaine, quatre avis budgétaires à examiner en commission.

Je vous propose, par conséquent, que le rapporteur général nous expose uniquement les éléments nouveaux par rapport à la première lecture sans que nous ouvrions un débat sur des amendements déjà adoptés une première fois.

De la même manière, pour l'examen des amendements de séance, je propose qu'il nous indique les amendements pour lesquels il propose un avis favorable à la commission, sans qu'il soit besoin de passer de nouveau en revue l'ensemble des amendements. Je vous rappelle que nous avons passé huit heures en commission lors de la première lecture. Dans ces deux cas, des tableaux récapitulatifs seraient mis à disposition sur Demeter. Si vous en êtes d'accord, cela nous permettrait de ne maintenir que les réunions prévues le 27 novembre en début d'après-midi pour l'examen du rapport et le vendredi 29 novembre à la suspension pour l'examen des amendements de séance.

Je vous rappelle qu'il s'agit d'une nouvelle lecture et qu'aucun amendement tendant à insérer un article additionnel sans lien direct avec les dispositions restant en discussion ne pourra être accepté. Pour l'instant, nous attendons de savoir ce que va faire le Gouvernement.

Y a-t-il des oppositions ?

Mme Laurence Cohen. - Je comprends que nous n'aurons pas le temps en commission d'examiner les amendements ; de ce fait, l'avis qui sera donné en séance publique sur ces amendements sera-t-il exclusivement celui du rapporteur général ou celui de la commission ?

M. Alain Milon, président. - Le rapporteur général ne prendra pas les amendements un par un, car il y en aura près de 400, mais il vous présentera un tableau où seront présentés les avis favorables et les avis défavorables. Nous voterons en bloc les avis défavorables et en bloc les avis favorables. Ce sera donc l'avis de la commission.

Il en est ainsi décidé.

M. Alain Milon, président. - Nous passons à l'examen de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » - Examen du rapport pour avis

M. Bruno Gilles, rapporteur pour avis sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». - Les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » visent principalement à financer les prestations de réparation, c'est-à-dire notamment les pensions militaires d'invalidité, les prestations de reconnaissance, notamment la retraite du combattant, l'indemnisation des victimes de persécutions antisémites et d'actes de barbarie, de manière plus marginale, un certain nombre d'actions mémorielles et de commémorations et les actions concourant à renforcer les liens entre la Nation et son armée.

Le temps faisant son effet, le nombre de bénéficiaires des dispositifs financés par cette mission décroît chaque année, entraînant une baisse mécanique des dépenses.

Les crédits demandés pour 2020 s'élèvent ainsi à un peu plus de 2 milliards d'euros, ce qui représente une baisse de 6 % par rapport aux crédits que nous avions votés l'année dernière.

Les marges de manoeuvre ainsi dégagées permettent au Gouvernement de donner satisfaction à certaines revendications du monde combattant. Cela a été le cas l'année dernière avec l'attribution de la carte du combattant aux militaires ayant servi en Algérie entre 1962 et 1964, demande qui avait été relayée par le Sénat. Le Gouvernement prévoyait que 35 000 demandes seraient formulées à ce titre en 2019, et il semble que cette prévision sera dépassée, en raison de la forte mobilisation des associations et de la réactivité des services instructeurs que nous pouvons saluer.

Cette année, un geste est fait en faveur des conjoints survivants de grands invalides de guerre, qui verraient leur pension revalorisée d'environ 1 300 euros par an en moyenne. Cette mesure ne concernerait toutefois que 461 personnes, pour un coût limité à 600 000 euros.

L'année 2020 devrait enfin voir la constitution d'une commission tripartite réunissant associations d'anciens combattants, parlementaires et représentants du Gouvernement afin d'envisager une revalorisation du point d'indice des pensions militaires d'invalidité, qui a évolué moins vite que l'inflation sur la période récente. Une telle revalorisation aurait un effet pour tous les bénéficiaires d'une pension militaire d'invalidité ou de la retraite du combattant. Nous suivrons donc avec intérêt les travaux de cette commission.

La baisse du nombre d'anciens combattants a par ailleurs un impact sur l'activité de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). Comme nombre d'entre vous, je suis très attaché au maintien du maillage territorial permis par le réseau des offices départementaux. Si des inquiétudes ont pu naître à ce sujet, je dois dire que j'ai été rassuré par le discours de la nouvelle directrice générale de l'ONACVG, Mme Peaucelle-Delelis, qui a fait du maintien de la proximité l'un des axes de son projet, et il me semble que le Gouvernement, ou du moins Mme Darrieussecq, est sur la même ligne. Un nouveau contrat d'objectifs et de performance doit être conclu en 2020, qui traduira, je l'espère, cette orientation.

L'ONACVG verrait les crédits budgétaires qui lui sont attribués par l'État baisser de plus de 23 millions d'euros et cette baisse appelle des explications. Elle correspond à des efforts de rationalisation des dépenses et à une baisse des effectifs, des efforts cohérents avec ce qui est demandé à l'ensemble des opérateurs de l'État.

Par ailleurs, la baisse des dotations de l'État serait compensée par un prélèvement sur la trésorerie de l'opérateur, à hauteur de 17,5 millions d'euros. Cette mesure peut paraître acceptable en 2020, mais suscite des inquiétudes pour les années suivantes.

En effet, l'excédent de trésorerie de l'ONACVG s'élèvera en 2019 à 36 millions d'euros, soit environ 35 % de ses dépenses annuelles. Il ne m'apparaît donc pas déraisonnable que cet excédent soit apuré. Toutefois, cette mesure de gestion ne pourra pas être rééditée chaque année. Il faudra donc l'année prochaine et les années suivantes que la secrétaire d'État se batte pour obtenir à nouveau les crédits dont elle se prive cette année.

J'évoquerai à présent la politique de mémoire. Chacun sait combien cette politique est nécessaire, aujourd'hui plus que jamais, et la disparition progressive des témoins des grands événements de notre histoire ne doit surtout pas conduire à un oubli collectif. Les crédits qui lui sont consacrés baissent de 5 millions d'euros, soit plus de 30 %, mais cette baisse doit être nuancée, car elle s'explique en grande partie par des facteurs conjoncturels.

L'année 2019 a en effet été marquée par les célébrations du 75e anniversaire des Débarquements et de la Libération, par l'achèvement attendu depuis longtemps du monument aux morts en Opex et par la dissolution du groupement d'intérêt public (GIP) « Mission du centenaire ».

Par ailleurs, une partie du prélèvement sur la trésorerie de l'ONACVG, soit 4,5 millions d'euros, sera consacrée à la rénovation, à l'entretien et à la valorisation des sépultures de guerre et des hauts lieux de mémoire. Si la baisse des crédits dédiés au soutien aux projets mémoriels et pédagogiques me paraît regrettable, elle ne représente en fait que quelques centaines de milliers d'euros.

La transmission de la mémoire passe également par la journée défense et citoyenneté (JDC), qui continue à être organisée chaque année pour plus de 760 000 jeunes avant d'être peut-être un jour intégrée dans le service national universel (SNU). J'approuve la mesure annoncée par le Gouvernement tendant à majorer l'indemnité de transport versée aux jeunes qui se rendent à leur JDC : celle-ci passerait de 8 euros à 10 ou 20 euros en fonction de la distance séparant le lieu du stage du domicile.

Il n'y a qu'un seul article rattaché à la mission sur laquelle nous nous penchons aujourd'hui. Il s'agit de l'article 73 E, issu d'un amendement du Gouvernement, qui vise à maintenir la réduction dont bénéficient les pensionnés du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre sur les tarifs des transports ferroviaires. En effet, les dispositions actuelles, qui ont vocation à être abrogées à la fin de l'année, mentionnent la SNCF, qui perdra bientôt son monopole pour le transport ferroviaire de voyageurs. Cet amendement n'a pas de conséquence budgétaire dans la mesure où les crédits nécessaires étaient déjà inscrits dans le projet de loi de finances.

Je souhaiterais enfin vous signaler un article non rattaché à la mission, qui a été inséré par l'Assemblée nationale, sur proposition de son rapporteur. L'article 58 quinquies tend à accorder la demi-part fiscale dont bénéficient les anciens combattants âgés d'au moins 74 ans aux veuves du même âge dont le défunt conjoint bénéficiait de la retraite du combattant. Cette mesure entrera en vigueur en 2021 et coûterait tout de même 30 millions d'euros par an. Je note que, si certaines associations d'anciens combattants réclamaient une mesure en ce sens, ce n'était pas l'une des plus importantes. Par ailleurs, cette mesure ne fait que déplacer la borne d'âge qui était critiquée par le monde combattant, et nous serons peut-être saisis dans quelques années de demandes de veuves dont le conjoint est mort à 64 ans, juste avant de bénéficier de la retraite du combattant.

En conclusion, malgré mon regret relatif à l'insuffisance des crédits de la politique de mémoire et ma vigilance quant aux crédits alloués à l'ONACVG, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

Mme Sabine Van Heghe. - Ce rapport appelle plusieurs remarques de notre part notamment sur la baisse des crédits de 142 millions d'euros.

Le programme 167 consacré au financement de la journée défense et citoyenneté et aux actions de mémoire enregistre un repli de 12,8 %. Sur la politique de mémoire, on revient à l'étiage une fois les commémorations de la Grande Guerre terminées. Nous ne pouvons admettre que les crédits de la politique de mémoire soient aussi dépendantes des commémorations exceptionnelles.

Le programme 158 relatif aux indemnités accordées aux victimes d'actes de barbarie et de persécutions commis pendant l'occupation voit ses crédits baisser de 11,7 %. Cela pose un problème. L'an dernier, le Sénat avait voté l'extension de l'indemnisation des orphelins victimes d'actes de barbarie. Le projet de budget pour 2020 ne le permet pas.

Le programme 169 regroupe la plupart des crédits de la mission avec 2 milliards d'euros et enregistre une baisse de 5,8 %. En conséquence, les ressources prévues pour financer les pensions militaires d'invalidité et la retraite du combattant notamment sont réduites.

En outre, il n'y a pas de revalorisation des pensions militaires d'invalidité. Du fait des évolutions démographiques, la mission dégage des économies importantes. Cette sous-indexation des allocations des anciens combattants nous semble donc mesquine et injuste.

Les moyens de l'ONACVG, rattachés au programme 169, diminuent. On enregistrera 42 emplois supprimés en 2020, dont 25 dans les services départementaux. Il est pourtant impératif de conserver le maillage territorial de l'ONACVG afin de maintenir proximité et qualité de service. La dématérialisation ne doit pas servir de prétexte pour faire des économies au détriment de l'accompagnement du monde combattant.

L'argument de la baisse du nombre de ressortissants pour comprimer le budget de l'ONACVG n'est pas le bon. Entre 2012 et 2017, la majorité de gauche a augmenté chaque année de 1 million d'euros le budget de l'action sociale de l'ONACVG, pour le porter à 26 millions d'euros.

Enfin, la prise en charge psychologique et financière des victimes de terrorisme est l'une des nouvelles missions de l'ONACVG, et elle va malheureusement monter en charge. Cela nécessite d'augmenter le budget et non d'effectuer toutes ces coupes.

Mme Brigitte Micouleau. - Après avoir rencontré M. Serge Amorich, délégué de la Fédération nationale des rapatriés basé sur mon département, je souhaite revenir sur la légitime indemnisation des supplétifs civils de droit commun durant la guerre d'Algérie, car elle n'a toujours pas été acceptée par le Gouvernement : ce geste demandé est une aide unique et exceptionnelle de 4 106 euros par personne. À ce jour, ils ne sont plus que 25 et la somme totale nécessaire s'élèverait à 106 834 euros. M. Gireaud, rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale a déposé un amendement, qui a été adopté en commission, puis retiré après les promesses de la secrétaire d'État. Or, les arguments de Mme Darrieussecq ne sont pas convaincants et il faut apporter une reconnaissance aux anciens supplétifs civils de droit commun.

M. Philippe Mouiller. -Nous déplorons la baisse des crédits consacrés à l'ONACVG. Le Gouvernement va puiser dans les réserves qui sont limitées.

Derrière la départementalisation se pose la question du désengagement de l'État, qui pourrait conduire à un transfert vers les conseils départementaux. J'aimerais avoir votre sentiment sur ce sujet.

Concernant la commission tripartite sur l'évolution du point d'indice PMI, avez-vous des informations relatives au calendrier ?

Nous sommes également inquiets au sujet du devoir de mémoire. Certains événements justifient les baisses de crédits, mais, dans cette période où il est important de se souvenir du passé, il aurait été intéressant de consentir un effort.

Enfin, lorsque l'on évoque les budgets consacrés aux indemnités ou aux allocations des conjoints survivants, il est important de ne pas oublier les interventions en opérations extérieures (OPEX).

M. Jean-Marie Morisset. - Vous nous avez rassurés, monsieur le rapporteur, sur le maintien des offices départementaux des anciens combattants (ODAC) dans nos départements, mais je vois se dessiner une transformation en service de l'État dans les préfectures. Il faut être vigilant.

Tous les ans, nous constatons une diminution des effectifs, mais il faudra que Bercy accepte, au moins une fois, de conserver un petit reliquat pour augmenter la retraite du combattant.

Mme Darrieussecq, lorsqu'elle a pris ses fonctions, nous avait rassurés, mais elle doit toutefois nous communiquer des informations plus précises sur la commission tripartite.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Le projet de budget pour l'an prochain perd 142 millions d'euros. Il s'établit à 2,16 milliards d'euros et seule une modique revalorisation de 600 000 euros est envisagée pour les anciens combattants. Elle permettra de revaloriser les pensions de 641 conjoints survivants de grands invalides. Ainsi, 125 millions d'euros seront économisés cette année sur le programme « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant ». Les associations d'anciens combattants et notamment la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc, Tunisie de Paris (FNACA) nous ont interpellés sur le droit à réparation des anciens combattants et notamment sur la question de la demi-part des veuves d'anciens combattants.

Mme Pascale Gruny. - Nous devons être vigilants, car, chaque année, le budget baisse, et on nous dit que cela est lié à la diminution du nombre de ressortissants. Les commémorations de l'an dernier ont permis d'attirer beaucoup de jeunes autour des monuments et de transmettre cette mémoire. Il conviendrait de maintenir ce budget notamment pour les commémorations de la Seconde Guerre mondiale.

La directrice de l'ONACVG nous a rassurés. Elle souhaite conserver le maillage territorial. Nous n'ignorons toutefois pas que ce n'est pas elle qui décidera.

La retraite du combattant devrait aussi pouvoir être augmentée, car il s'agit d'un montant très faible.

M. Bruno Gilles, rapporteur pour avis. - Sur le programme 158, la baisse est cohérente avec la disparition du nombre de victimes. C'est la même chose pour le programme 169.

La revalorisation du point d'indice, et donc de toutes les prestations servies aux anciens combattants, sera l'objet de la commission tripartite dont nous espérons la mise en place dès 2020. Les parlementaires y siégeront et ce sera à nous de fixer des règles de revalorisation satisfaisantes. Il faudra tenter d'obtenir en séance la date de sa mise en place.

Sur les supplétifs civils de droit commun, la réponse de la ministre clôt le débat, car les cas ont été traités de manière personnalisée.

La nouvelle directrice générale de l'ONACVG nous a tous rassurés et affirmé son souhait de maintenir le maillage départemental des ODAC.

La revalorisation de la pension des veuves de grands invalides ne représentera en 2020 que 600 000 euros, mais l'Assemblée nationale a adopté un amendement concernant la demi-part des veuves qui coûterait 30 millions d'euros à partir de 2021.

Les crédits dédiés à la politique de mémoire s'élèveraient à un peu moins de 11 millions d'euros en 2020, soit une baisse de 5 millions par rapport à 2019. Elle s'explique par plusieurs facteurs conjoncturels. L'année 2019 a été marquée par le 75anniversaire des débarquements et de la libération du territoire national. Les commémorations prévues en 2020 seraient nettement moins coûteuses. Un demi-million d'euros avait été versé au GIP « mission du centenaire », désormais dissout : cette subvention n'est naturellement pas renouvelée en 2020. Enfin, en 2019, le monument aux morts en OPEX a été achevé.

L'ONACVG participera à hauteur de 4,4 millions d'euros au financement de la politique de mémoire au titre de la rénovation, de l'entretien et de la valorisation des sépultures de guerre et des hauts lieux de la mémoire nationale.

Ainsi, les crédits dédiés à la politique de la mémoire seraient en hausse. Il demeure cependant vrai que la diminution des crédits dédiés au soutien de projets mémoriels de toute nature est regrettable, mais cette baisse serait de l'ordre de 500 000 euros, qu'il convient de comparer aux 2,16 milliards de crédits de la mission.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » et de l'article 73 E rattaché.

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Direction de l'action du Gouvernement - Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) » - Examen du rapport pour avis

Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour avis de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives ». - Il me revient de vous présenter les crédits de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la Mildeca. Placée auprès du Premier ministre, cette structure anime et coordonne les initiatives de l'État en matière de lutte contre les addictions, avec ou sans substances.

Un mot, d'abord, sur la situation des addictions dans notre pays. D'abord, la consommation de tabac poursuit sa diminution. D'après l'édition 2019 du baromètre annuel de Santé publique France, le nombre de fumeurs a baissé de 1,6 million, soit 12 %, en deux ans. Ces bons résultats sont sans nul doute le fait des politiques conduites depuis des années : hausse du prix du tabac, paquet neutre, opération « Mois sans tabac », etc. Les enquêtes qualitatives montrent en outre que la perception du tabac a été efficacement dégradée : 54 % des personnes interrogées estiment que l'on est moins bien accepté quand on est fumeur.

La situation de l'alcool est plus ambigüe, en raison de l'image qu'il garde dans l'esprit des Français. La part de l'usage régulier est en recul et celle de l'usage quotidien s'est stabilisée autour de 10 %, alors qu'elle atteignait 22 % en 2000.

Mais pour 56 % de nos concitoyens, offrir ou boire de l'alcool fait partie des règles de savoir-vivre, et près d'un sur deux estime qu'il est acceptable de boire son premier verre d'alcool avant 18 ans. En conséquence, la consommation d'alcool reste une pratique courante, près de 90 % des personnes déclarant une consommation au moins une fois dans l'année. Surtout, près de 10,6 millions de personnes dépassent les seuils de consommation à moindre risque fixés par les pouvoirs publics sur recommandation des experts sanitaires : pas plus de 10 verres par semaine et 2 par jour ; respecter des jours sans consommation.

Plus globalement, il faut rappeler que tabac et alcool continuent à faire des ravages dans notre pays : le tabac tue chaque année 75 000 personnes et l'alcool 41 000.

S'agissant des autres psychotropes, le tableau est également contrasté : le cannabis recule chez les jeunes mais semble s'installer chez les adultes, et les stimulants et euphorisants de toutes sortes rencontrent un succès certain, quoique dans des publics très choisis.

La prévalence de la consommation de cannabis est toujours la plus élevée d'Europe, chez les jeunes comme chez les adultes. L'expérimentation concerne 45 % des adultes de 18 à 64 ans, et l'usage régulier, qui a diminué de deux points en trois ans chez les jeunes de 17 ans, a été multiplié par deux chez les adultes depuis 2000 pour atteindre 11 % ! Un quart des usagers présentent un risque élevé d'usage problématique ou de dépendance, progression en hausse de quatre points depuis 2014 : plus d'un million de personnes sont concernées.

L'usage déclaré de la cocaïne au cours de l'année écoulé a été multiplié par 8 entre 2000 et 2017, mais ne concerne que 1,6 % de la population. Les consommateurs de crack, forme basée de la cocaïne, sont de plus en plus nombreux, et les saisies sont les plus élevées depuis 2000. Le marché progresse en Ile-de-France et dans le nord de la France.

La part des expérimentateurs d'héroïne est stable, à 1,3 % des 18-64 ans. Les opioïdes restent les produits les plus impliqués dans les décès directement liés aux drogues, mais leur consommation est orientée à la baisse et la surveillance des pouvoirs publics a pour l'heure contenu la survenance d'une crise comme celle qui sévit aux États-Unis.

Les espaces festifs restent propices à l'expérimentation de préparations chimiques euphorisantes, solvants, ou nouveaux produits de synthèse. Leur consommation est donc limitée à des publics restreints, mais ils peuvent avoir des conséquences sanitaires sérieuses. Le poppers est ainsi l'un des produits psychoactifs les plus expérimentés par les jeunes de 17 ans après l'alcool, le tabac et le cannabis, et l'usage détourné du protoxyde d'azote, peu cher et accessible légalement, connaît un certain succès chez les plus jeunes. Depuis la rentrée, c'est le Buddha Blue, un cannabinoïde de synthèse, qui inquiète les autorités sanitaires, en Normandie notamment.

Cette année, j'ai en outre souhaité m'intéresser plus particulièrement à la dépendance chez les jeunes, en auditionnant notamment le docteur Olivier Phan, chercheur à l'Inserm. L'addiction aux jeux vidéo est encore mal connue. Elle se développe sur un terrain psychologique fragile, souvent de type phobique ou propice à l'isolement, fragilités sur lesquelles la prévention a peu d'effets. Il faut donc encourager le repérage précoce de ces comportements à risques, parfois plus dangereux pour l'adolescent que le cannabis, au sein de l'éducation nationale, et agir plus transversalement en limitant l'exposition des jeunes aux écrans.

L'année 2019 a été marquée par le lancement du nouveau plan d'action gouvernemental, baptisé cette fois « plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 ». Plusieurs fois annoncé et reporté, il a finalement été validé par le cabinet du Premier ministre en décembre 2018. Derrière le changement sémantique se cache, en première analyse, une arborescence touffue d'axes, de priorités et d'objectifs, hérissée de plus de 200 mesures.

Ces 130 pages, aussi avenantes que les meilleurs documents budgétaires, font d'abord craindre, sous couvert d'efficacité technocratique, une certaine dispersion de l'action publique et un regrettable saupoudrage des moyens.

Le risque de dispersion a été encore accru par la création, à l'article 38 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, d'un fonds de lutte contre les addictions au sein de la Caisse nationale d'assurance maladie. Sa gouvernance a été mise en place par le décret du 21 juin 2019, et sa capacité atteint les 120 millions d'euros. L'idée est intéressante, mais le Fonds d'intervention régional, le programme 204 de la mission « Santé » ou la Mildeca elle-même financent déjà des actions analogues, ce qui peut conduire à s'interroger sur la juxtaposition des structures de financement.

Il faut sans doute déplorer l'absence de mesure emblématique en matière de lutte contre l'addiction à l'alcool, la priorité étant mise sur le respect de l'interdiction de vente aux mineurs, ou de plan national de prévention des dangers du cannabis.

Notons toutefois quelques éléments de satisfaction : le plan tient compte de quelques préconisations de notre commission sur les plans antérieurs, s'agissant notamment de l'équivalence des soins en prison, de la prise en compte des addictions outre-mer, ou de l'attention accordée aux addictions sans substance.

De plus, un arrêté du 15 juillet 2019 a réduit de 3 à 1 an la durée minimale de fonctionnement des salles de consommation à moindre risque et ouvert leurs portes aux consommateurs autres qu'injecteurs - aux inhalateurs, par exemple - ainsi que je l'avais suggéré l'an dernier. L'ouverture d'un nouveau centre est cependant, hélas, retardée par la perspective des prochaines municipales.

Pour relever ces défis, la Mildeca dispose de moyens assez réduits, et dont la baisse se poursuit en 2020 : 17,1 millions d'euros, soit une diminution de 2,3 % par rapport à 2019. Il faut en outre se rappeler que son budget avait déjà diminué de 25 % depuis 2012.

La Mildeca bénéficie cependant aussi d'un dixième du montant du fonds de concours « drogues », alimenté par le produit de la vente des biens saisis et confisqués aux trafiquants de drogues. Leur montant devrait retrouver à la fin de l'année les niveaux enregistrés il y a dix ans, soit près d'une vingtaine de millions d'euros. La Mildeca consacre cette somme à des actions de prévention. Bonne nouvelle en apparence pour la Mildeca, cette somme témoigne aussi de l'efficacité de forces de police sans doute, mais aussi de la vigueur des trafics...

Les deux opérateurs de la Mildeca, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et le Centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad), voient leur subvention pour charges de services publics très légèrement diminuer.

La baisse de la dotation de l'OFDT tient en réalité compte du déménagement de l'organisme dans des locaux domaniaux, ce qui lui économise des charges de loyers non négligeables. L'OFDT dispose d'un programme d'études chargé pour l'an prochain, qui devrait mieux tenir compte des addictions sans substances, et son organisation interne devrait être refondue pour plus d'efficacité.

Le Cifad, quant à lui, est chargé de renforcer la coopération internationale dans la lutte contre les drogues avec les États de la Caraïbe et d'Amérique latine. Il est basé depuis sa création, en 1992, à Fort-de-France. La forte baisse du nombre d'actions menées par le Cifad en 2018 a conduit la Mildeca à proposer qu'il fasse l'objet d'une mission de l'inspection générale de l'administration (IGA). Celle-ci a préconisé en juin dernier de modifier substantiellement ses missions, son organisation et son mode de pilotage. Sa transformation devrait être conduite l'an prochain.

Sur ces considérations, je vous propose, mes chers collègues, d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2020.

M. Alain Milon, président. - Dans la mesure où les crédits de la Mildeca diminuent, et où ceux que l'Assurance maladie consacre aux mêmes actions augmentent, ne risque-t-on pas de voir la Mildeca disparaître ?

M. Michel Amiel. - Dispose-t-on d'une évaluation des salles de consommation à moindre risque ?

Le plan de mobilisation contre les addictions 2018-2022 contient-il des mesures relatives à l'addiction aux jeux ? C'est probablement l'une des plus dures, qui provoque d'assez nombreux suicides chaque année. Alors que la Française des jeux est en voie de privatisation, j'ai l'impression que ce problème est passé sous silence.

Mme Laurence Cohen. - Je remercie Mme Deseyne pour son rapport, toujours très riche.

Ma question rejoint la vôtre, monsieur le président : doit-on s'inquiéter de la disparition prochaine de la Mildeca ?

Le plan de mobilisation contre les addictions 2018-2022 a été validé par le Premier ministre en décembre 2018, donc après le vote du budget pour 2019. A-t-on des éléments précis sur les premières actions menées dans ce cadre ?

Le bleu budgétaire indique que les risques liés à la consommation de produits psychoactifs sont encore assez méconnus par la population. Le Gouvernement propose d'y remédier par une sorte de débat public. Qu'en sait-on, plus précisément, à ce stade ? Plus généralement, on ne peut qu'être préoccupé par la baisse des crédits prévus pour mener de telles actions à bien.

Enfin, je veux dire mon étonnement devant les réactions que suscitent chaque année dans l'hémicycle, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les mesures de santé publique que notre commission défend. Cette année encore, nous avons passé un temps disproportionné à examiner des amendements de défense des alcooliers, et certains de nos collègues quittaient même les débats une fois ceux-ci passés. Nous avons encore du travail d'éducation à faire, et pas seulement à l'égard de la population générale...

Mme Nadine Grelet-Certenais. - L'addiction aux écrans est devenue, en quelques années, un vrai sujet. J'ai longtemps cru que placer son tout-petit devant un écran pour lui faire manger sa purée était un phénomène marginal, mais de très nombreux jeunes parents se disent désemparés à ce point - je le constate dans mon entourage ! Il faut absolument que le message « 3-6-9-12 », qui vise notamment à proscrire les écrans avant trois ans, soit passé au plus grand nombre.

M. Guillaume Arnell. - Je m'interrogeais également sur la nécessité de réfléchir plus en profondeur sur l'addiction aux jeux, des très jeunes enfants notamment, ainsi que sur les retours d'expérience sur les salles de consommation à moindre risque.

Que sait-on précisément de la baisse d'activité du Cifad, et de la reconfiguration annoncée de ses missions ?

M. Bernard Jomier. - Les chiffres affichent en effet une disproportion entre les crédits de la Mildeca et ceux portés par le fonds de lutte contre les addictions : 17 millions d'un côté, 120 de l'autre. Ce n'est toutefois pas forcément inquiétant, sous réserve que l'organe chargé de coordonner la politique en la matière a les prérogatives qui lui permettent de le faire. Pour ma part, je ne mènerai pas une guerre de religion sur les financements de la Mildeca. Le problème, c'est que les plans nationaux contiennent de plus en plus de mesures, qu'aucune ligne politique n'apparaît et que les moyens pour les mettre en oeuvre ne suivent pas. Ces plans à plusieurs centaines de mesures ont été écrits par de très bons techniciens mais ils révèlent l'absence d'intérêt et de vision politique du sujet.

Sur le tabagisme, nous avons certes une bonne politique et, d'ailleurs, la consommation de tabac recule. Sur l'alcool, les choses sont plus compliquées, notamment car le chef de l'État a estimé qu'il ne fallait pas envoyer de signaux négatifs à l'industrie - du vin, en particulier. Il vient d'ailleurs de décider que n'aurait pas lieu l'initiative « Janvier sobre » : on peut certes discuter de sa pertinence, mais est-ce vraiment au chef de l'État de se mêler de telles affaires, de si bas niveau dans la hiérarchie des initiatives publiques, et pour tout dire si peu jupitériennes ? Il y a manifestement une difficulté à aborder ces questions sous l'angle de la santé publique de manière cohérente ; 20 % de personnes ne respectant pas les normes de consommation à moindre risque, c'est une proportion bien trop élevée, et qui pose d'autres problèmes de société - les violences faites aux femmes, par exemple.

S'agissant du cannabis, on continue à se mettre la tête dans le sable. Notre politique ne marche pas ! Le cannabis est une substance dangereuse pour la santé, elle est massivement consommée, et notre politique de guerre à tout prix est un échec ! Toutes les pistes peuvent être mises sur la table mais, au moins, changeons quelque chose.

Deux grands principes manquent à cette politique : intégration et déconcentration. Il faut plus d'intégration, c'est-à-dire une autorité qui la pilote vraiment, afin d'éviter la dispersion des moyens, et plus de déconcentration, car les enjeux varient selon les territoires. À Paris, nous avions mis en place une mission métropolitaine de prévention des conduites à risque, pour analyser les enjeux de dépendance, parmi lesquels figuraient les jeux vidéo. Les salles de consommation à moindre risque ne règleront pas du tout le problème des addictions, car elles s'adressent à un public désocialisé. Elles correspondent néanmoins à un besoin, à Strasbourg comme à Paris, et je crois néanmoins que d'autres ouvriront, une fois les municipales passées.

Mme Florence Lassarade. - Je voudrais revenir sur les addictions sans substance. Je suis frappée, quand je rencontre les maires des petites communes, par l'intérêt qu'ils portent aux tableaux numériques en maternelle. Or ces enfants ont déjà chez eux, dès le petit déjeuner, non plus les dessins animés de la télévision mais la tablette sous les yeux ! Je suis assez révoltée contre l'installation systématique de tels outils en maternelle, dans lesquels les parents voient une autorisation à ce que les écrans pénètrent tous les aspects de la vie quotidienne. L'éducation nationale devrait jouer un rôle plus important, dès la petite enfance, pour prévenir l'exposition précoce.

Mme Patricia Schillinger. - Le législateur ayant beaucoup fait contre les addictions depuis des années, les progrès sont plutôt à attendre du côté de l'application de la loi. Souvenez-vous des publicités rappelant que « celui qui conduit, c'est celui qui ne boit pas » : autrement dit, le passager, lui, peut boire comme un trou ! Je sais telle jeune femme qui a dû subir une greffe de foie à 24 ans, après des années d'alcoolisation excessive en soirée. Les publicités peuvent être très nocives. Ce n'est pas que le fait de prendre le volant qui est nocif, c'est l'alcool lui-même !

Et je ne dis rien de certains comportements, comme l'engouement phénoménal pour l'« apéro » ! À Paris, les terrasses sont remplies de jeunes qui boivent pendant des heures, phénomène n'existait pas il y a quelques temps. Cela conduit à se poser des questions.

D'aucuns considèrent que fumer quelques joints n'est pas grave ; or les médecins ont apporté la preuve du contraire. Fumer plusieurs joints par jour, c'est grave, et c'est une addiction. Que sait-on, d'ailleurs, des résultats des tests de dépistage de cannabis que font passer les gendarmes sur les routes ? Une vraie campagne de prévention serait utile.

Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour avis. - La disparition de la Mildeca est en effet une vraie question. Je rejoins M. Jomier : peu importe qui se voit attribuer les crédits, l'essentiel étant que la politique menée soit lisible. Or il y a pour l'heure un certain brouillage.

Les écrans deviennent en effet dans de nombreuses familles, plus qu'un moyen de faire avaler la purée, un véritable mode de garde. Il faut rappeler combien ils peuvent être nocifs. Nous avons auditionné à ce sujet le docteur Olivier Phan, qui a publié de nombreuses études sur les addictions sans substances, aux jeux notamment. La Mildeca participe aux travaux de rédaction du projet d'ordonnance réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard, défendant la réaffirmation de l'interdit de vente de jeux aux mineurs, l'encadrement du taux de retour au joueur, la limitation de l'implantation de nouveaux points de vente ou encore l'encadrement de la publicité. En outre, c'est l'OFDT qui a repris les missions de l'Observatoire des jeux.

Sur les salles de consommation à moindre risque, il faudra attendre la fin des expérimentations en cours pour en avoir une vue complète. À Paris, la file active est composée de pas moins de 1 100 personnes. J'ai visité le site l'an dernier : la situation est satisfaisante. Le quartier de Lariboisière est plutôt apaisé, il n'y a pas d'injecteurs aux abords de la salle. Il a de plus été ouvert à d'autres usagers, tels les inhalateurs. On peut toutefois regretter que les projets d'ouverture de nouvelles salles, à Bordeaux ou à Marseille, aient été suspendus en raison de l'approche des élections municipales.

Monsieur Jomier, les trois quarts des dépenses d'intervention de la Mildeca servent déjà à décliner le plan national au niveau local, grâce aux chefs de projet, qui sont souvent les directeurs de cabinet des préfets.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2020.

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Santé » - Examen du rapport pour avis

Mme Corinne Imbert, rapporteur pour avis de la mission « Santé ». - Les crédits de la mission « Santé » s'établiront, en 2020, à un peu plus d'un milliard d'euros, en diminution de 19,5 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2019.

Le programme 204, relatif à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l'offre de soins, est en effet concerné par d'importantes modifications de périmètre qui le conduisent à enregistrer une baisse de ses crédits de 58 %. Les dotations de l'ANSM et de Santé publique France sont ainsi transférées à l'assurance maladie dans le cadre du PLFSS pour 2020.

La mission « Santé » se trouve désormais confrontée à une véritable crise existentielle. Le basculement vers l'assurance maladie du financement de la plupart des agences responsables de notre politique sanitaire pose la question de la pertinence d'un programme 204 qui ne comprend plus, comme opérateur à part entière, que l'INCa. Or ce dernier a lui-même vocation à voir ses moyens reportés à terme sur le budget de l'assurance maladie.

Dans ces conditions, le programme 204 ne devrait plus comprendre que des crédits épars dont la cohérence reste discutable et qui pourraient eux-mêmes faire l'objet de transferts vers d'autres programmes du budget de l'État ou vers différentes branches de la sécurité sociale. Je pense notamment aux crédits en faveur d'associations oeuvrant à la prévention des addictions qui pourraient être transférés à la Mildeca ou au fonds de lutte contre les addictions liées aux substances psychoactives géré par la Cnam.

Je souhaiterais m'attarder un instant sur la situation financière des comités de protection des personnes (CPP). Conformément aux engagements pris par la ministre des solidarités et de la santé à l'automne dernier, devant l'Assemblée nationale, lors de l'examen de la proposition de loi relative à la désignation aléatoire des CPP, les moyens des CPP s'établiront, dans le PLF pour 2020, à quatre millions d'euros, soit 700 000 euros supplémentaires en rebasage par rapport à 2019.

Cette augmentation pérenne bienvenue des moyens des CPP ne permettra toutefois pas de porter à 1,5 le nombre d'ETP dans les secrétariats des CPP. Ils permettront en effet le financement de 14 ETP supplémentaires alors que les CPP sont au nombre de 39. Or certains CPP continuent de ne pas pouvoir fonctionner en été en raison des congés de leur secrétariat.

Par ailleurs, plus d'un an après le vote l'automne dernier d'une PPL en ce sens, je regrette que la modulation du tirage au sort des CPP, selon leur disponibilité et leur expertise, ne soit toujours pas opérationnelle. Le portail devant permettre cette modulation ne sera en effet pas déployé avant la fin 2019. En attendant, notre pays perd du terrain en matière d'attractivité pour la réalisation d'essais cliniques.

J'en viens aux crédits du programme 183 « Protection maladie ». Pour 2020, il est prévu de consacrer un peu plus de 934 millions d'euros au financement de l'AME, un montant inchangé par rapport à 2019.

Sur le plan de la sincérité budgétaire, reconnaissons que la dépense d'AME est de mieux en mieux maîtrisée. Les projections du Gouvernement se fondent sur une hypothèse globale de stabilisation du nombre de bénéficiaires en 2019 et 2020. Compte tenu du renforcement de la lutte contre l'immigration illégale, l'hypothèse d'un reflux du nombre de bénéficiaires à moyen terme n'est d'ailleurs pas à exclure.

Les trois CPAM centralisant l'examen des demandes d'AME, à Paris, Bobigny et Marseille, organisation qui sera enfin effective à la fin de l'année, auront en effet prochainement accès à l'outil « Visabio » qui leur permettra, en complément de leurs échanges avec les consulats, de mieux identifier les demandes frauduleuses formulées par des personnes disposant d'un visa touristique.

Nous pouvons également nous féliciter du déploiement d'un programme ambitieux de contrôle, défini en concertation avec l'assurance maladie, qui ciblera non seulement les multi-hébergeurs de personnes en situation irrégulière mais également le phénomène de « méga-consommation » de médicaments. À cet égard, tant les prescripteurs qui s'écartent de la moyenne des prescriptions, notamment de produits détournés comme stupéfiants, que les « méga-consommants », feront l'objet d'actions coordonnées en vue de leur meilleure identification. Le ciblage des « méga-consommants » a fait ses preuves dans d'autres pays pour le démantèlement de filières de revente d'opiacés.

La question de la refonte du dispositif de l'AME a cristallisé le débat engagé cet automne par le Gouvernement sur la réforme de la politique migratoire. La commission des finances du Sénat n'a pas manqué de saisir cette occasion pour redéposer des amendements tendant à restreindre sensiblement les conditions d'accès à l'AME, en allant même plus loin : elle souhaite d'abord réinstaurer, à compter du 1er janvier 2021, un droit de timbre annuel pour l'accès à l'AME.

Elle entend ensuite remplacer l'AME par une aide médicale d'urgence (AMU) et limiter le panier de soins pris en charge par cette aide, au traitement des maladies graves et des douleurs aiguës, aux soins liés à la grossesse et ses suites, aux vaccinations réglementaires et aux examens de médecine préventive. Elle compte en outre soumettre la prise en charge des soins non urgents ou non vitaux à l'accord préalable de l'une des trois CPAM assurant l'instruction des dossiers d'AME. Enfin, elle souhaite minorer les crédits du programme 183 de 300 millions d'euros.

Je ne vous surprendrai pas par mon opposition à l'ensemble de ces amendements, sur un sujet aussi grave que l'état de santé de personnes particulièrement vulnérables. Le droit de timbre a déjà été expérimenté et a montré son inefficacité. Faute d'accès aux soins de prévention, les personnes en situation irrégulière se présentent en effet aux urgences avec une prise en charge dont le coût sera aggravé par leur état de santé dégradé et pèsera en définitive sur les finances des hôpitaux.

Nous ne pouvons que déplorer les affirmations entendues dans la période récente selon lesquelles l'AME serait détournée pour la prise en charge de soins de confort.

Dans son rapport d'octobre 2019, une mission des corps d'inspection mandatée par le Gouvernement a indiqué qu'il s'agissait « du milliard le plus scruté du budget de l'État ». Elle a rappelé que le panier de soins couvert par l'AME est « réduit par rapport à celui des assurés sociaux » et exclut les médicaments à faible service médical rendu, les médicaments princeps pour lesquels un générique existe, la procréation médicalement assistée et les cures thermales.

Cette même mission exclut une réduction du panier de soins de l'AME, la jugeant peu pertinente tant d'un point de vue de santé publique qu'au regard de l'objectif de maîtrise de la dépense. Le retrait de certains médicaments pourrait « constituer un risque de santé publique et aboutir à la prescription de médicaments plus chers ou à l'aggravation de l'état de santé des personnes concernées ».

Afin d'endiguer le phénomène du tourisme médical, la mission propose toutefois de conditionner la dispensation de certains soins programmés non essentiels à une durée de séjour supérieure à un an, soit au moins neuf mois après l'ouverture des droits à l'AME. Les soins concernés pourraient inclure la chirurgie orthopédique non traumatique, la chirurgie du cristallin et la chirurgie bariatrique. Le Gouvernement semble vouloir aller dans ce sens, ce qui peut soulever, à mon sens, quelques inquiétudes légitimes.

Nous devons en effet rester très prudents sur le conditionnement de l'accès à certains soins pour les bénéficiaires de l'AME. Il me semble indispensable de préserver la marge d'appréciation des soignants dans l'évaluation des besoins de chaque patient. Seule l'équipe soignante est en capacité de pouvoir définir le parcours de soins le plus pertinent pour un patient. Par exemple, si la plupart des opérations de la cataracte n'engagent pas le pronostic vital du patient, certaines situations peuvent malgré tout justifier une intervention dans des délais plus brefs.

Par conséquent, si le Gouvernement décide d'instituer un délai d'ancienneté dans le dispositif de l'AME pour bénéficier de certains soins, il me semble capital que des mécanismes d'entente préalable soient mis en place entre l'assurance maladie et l'équipe médicale afin que l'accès aux soins puisse toujours être ouvert, lorsque l'examen clinique le justifie, même si la condition d'ancienneté n'est pas remplie.

Telles sont les principales observations que je souhaitais formuler sur la mission « Santé » du PLF pour 2020 et qui me conduisent à proposer un avis favorable aux crédits de la mission.

M. Alain Milon, président. - Je partage l'analyse de notre rapporteure sur cette mission, en particulier s'agissant de la sécurisation du dispositif de l'AME.

Mme Véronique Guillotin. - Merci pour ce rapport, qui ouvre des perspectives. Quel serait l'intérêt de vider cette mission de son contenu en le transférant à la sécurité sociale ?

J'abonde dans le sens de la rapporteure s'agissant des CPP. Je veux d'ailleurs rendre hommage à Catherine Deroche pour la proposition de loi résultant de notre rapport d'information sur l'accès aux médicaments innovants. Restons attentifs à ce sujet majeur.

Sur l'AME, je partage également sa position. Ne revenons pas sur l'équilibre qui a été trouvé, qui protège les bénéficiaires de l'AME, leur entourage, et en définitive la santé publique, tout en épargnant à l'hôpital une importante charge de travail. Plus prosaïquement, ce n'est pas aux services d'urgences de vérifier si les gens bénéficient ou non de l'AME.

Mme Laurence Cohen. - Merci pour ce rapport très détaillé. Les rapporteurs qui se sont succédé ce matin ont manifesté un esprit très critique mais leur conclusion est toujours décevante, car leurs propos plaideraient plutôt chaque fois pour un vote défavorable !

La baisse de 20 %, soit environ 25 millions, est liée au transfert du financement de l'Agence nationale de santé publique (ANSP) vers la sécurité sociale. Cela concerne aussi l'AME, inscrite au programme 183, et les actions de prévention du programme 204. Je m'inquiète des effets du délai de carence de trois mois imposé aux demandeurs d'asile pour bénéficier d'une protection maladie : cela risque d'avoir des conséquences sur la santé publique, alors que les coûts réels de cette prise en charge sont tout à fait modiques. Bref, c'est une aberration médicale, autant qu'économique et sociale.

Ce transfert ne risque-t-il pas d'avoir aussi une incidence sur la politique menée en matière de prévention ?

Ne contribue-t-il pas, en outre, à baisser artificiellement les charges sur le budget de l'État, puisqu'elles reposeront sur celui de la sécurité sociale ? Nous avons observé un phénomène analogue en examinant le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Michel Amiel. - Je rejoins également la rapporteure sur le programme 183 : son objectif est de soigner les gens en grande détresse sanitaire et dont la dégradation de l'état de santé pourrait générer des dégâts importants en termes de santé publique. Les dépenses de ce programme sont passées, grosso modo, de 500 à près de 900 millions d'euros. Les abus existent, mais ils sont marginaux. D'ailleurs, le fait de les combattre, en identifiant les filières et les cas de tourisme médical, revient à protéger le dispositif en rappelant ce pour quoi il est fait.

M. Bernard Jomier. - Sur le programme 204, je souscris aux propos tenus par la rapporteure. Je ne trouverais pas bon que le budget de l'État en matière de santé finisse par se résumer à l'AME. Ce serait un contre-signal politique total.

Le transfert du financement de l'ANSP vers l'assurance maladie suscite, partout où j'en ai entendu parler, une incompréhension si grande que je me demande comment l'Assemblée nationale a pu le voter.

Sur le programme 183, je voudrais dénoncer la mise en scène à laquelle nous avons assisté, qui a commencé par la dénonciation de la fraude. Le secrétaire général du parti présidentiel nous a tout de même expliqué que des femmes se faisaient poser des prothèses mammaires aux frais de l'AME, avant de se rétracter. De vraies fausses nouvelles ont ainsi été versées au débat public dans un objectif politique. La mise en scène a continué avec le rapport de l'IGAS et de l'IGF sur la réalité de la fraude : nous allions voir ce que nous allions voir ! Et nous avons vu... Il faut être sérieux : le rapport montre que la fraude à l'AME existe, mais qu'elle est trois fois inférieure à la fraude à l'assurance maladie. La fraude est marginale, et se limite à quelques filières organisées. Si l'on me demande d'enrayer la fraude et de lutter contre les filières organisées, je signe sans réserve. Mais instrumentaliser la fraude pour empêcher d'honnêtes personnes d'accéder à un dispositif auquel ils ont droit, ça, c'est inacceptable.

Sur le délai de carence, distinguons le droit formel du droit réel. Le droit formel proposé consiste en un délai de trois mois de carence pour bénéficier de l'AME. Dans la réalité, c'est beaucoup plus long, ceux qui ont rempli un dossier d'AME - ils sont concentrés à Paris, Bobigny et dans les Bouches-du-Rhône - le savent : il faut six à neuf mois pour faire ouvrir les droits ! Pendant ce temps, les malades vont se faire soigner à l'hôpital ou en ville. Un bénéficiaire de l'AME qui suit un traitement chronique subit en outre des ruptures de prise en charge. Si j'ai bien compris, le Gouvernement justifie les trois mois de carence par la symétrie avec nos compatriotes revenant de l'étranger. Espérons que ce sera le droit réel ; nous en reparlerons dans deux ans. Mais, de fait, l'ingéniosité administrative empêche le droit de s'appliquer.

Je défends pour ma part la position de l'Académie de médecine et du Défenseur des droits : pour appliquer le droit commun, exercer les contrôles nécessaires et faire en sorte que les personnes soient soignées, il faut fondre ce régime dans celui de l'Assurance maladie. Pour le coup, ce serait un bon transfert.

Mme Élisabeth Doineau. - Je remercie la rapporteure pour ce rapport. Je la rejoins sur l'AME : il faut absolument préserver la population. Je regrette également que les crédits partent du côté de l'assurance maladie : c'est un mauvais signal donné à la population.

Je défendrai un amendement sur la maladie de Lyme - vous savez que le sujet me tient à coeur. La prévention et la recherche nécessitent des crédits supplémentaires et la mobilisation des professeurs et des médecins. Les malade sont en errance et continuent de souffrir, privés de solution.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Le périmètre de ce programme 204, qui ne contient plus guère que l'AME, me préoccupe également. Faut-il intégrer l'AME au PLFSS ? C'est une question qui mérite d'être posée.

Je partage les propos des orateurs précédents, notamment ceux de Michel Amiel et Bernard Jomier, et je remercie la rapporteure et le président de mettre un terme à ce faux débat, porté quasiment tous les ans par certains de nos collègues, notamment de la commission des finances, sous de faux prétextes d'économies chaque année démentis par les faits ! Heureusement que les médecins ont une déontologie qui passe avant les considérations budgétaires, et qui est l'honneur de notre pays. Le vrai problème est de savoir comment nous traiterons les personnes atteintes de maladies chroniques, qui repartent et reviennent avec des visas touristiques... Ce dernier est parfois difficile à obtenir, car on sait pourquoi ils viennent. On ne peut cependant pas les laisser tomber ! J'ai déjà réussi à obtenir plusieurs fois du préfet une certaine mansuétude pour que des personnes ne pouvant être soignées dans leur pays d'origine continuent à l'être dans le nôtre. Ce n'est pas du tourisme, mais tout simplement un devoir de solidarité et d'humanité ! Aussi suis-je heureux que la commission prenne cette position.

Mme Corinne Imbert. - Madame Guillotin, le Gouvernement prétend que l'effort de prévention sera rendu plus lisible par le transfert à l'assurance maladie de certaines agences. Je crains l'effet inverse, comme nombre d'entre vous apparemment. D'autant que le Gouvernement a des objectifs ambitieux en matière d'éradication de certaines pathologies : l'hépatite C en 2025, le Sida en 2030... Il y faut un effort d'investissement lisible pour y parvenir.

La proposition de loi que vous avez déposée vise à désengorger les CPP. Le tirage au sort conduit en effet à un flux constant de dossiers, les secrétariats sont engorgés, et ne peuvent tenir les délais, ce qui pénalise l'action médicale et la recherche. Il est regrettable que les crédits nécessaires pour tenir les délais n'aient pas été alloués aux CPP.

Madame Cohen, les annonces du Gouvernement ne se traduisent pas dans les crédits du programme 183, qui affiche toujours, comme en 2019, 934 millions d'euros. Elles ne font que lancer une polémique détestable. Il est prévu que le nombre de bénéficiaires augmente légèrement, comme celui des contrôles. Il y a quelques années, les crédits étaient plus faibles et nous étions quelques-uns à les trouver insuffisants : ils sont désormais à la hauteur de la dépense nécessaire.

Si transfert il devait y avoir, mieux vaudrait, selon moi, que ce soit sur la mission « Solidarité » plutôt qu'à l'assurance maladie, car les bénéficiaires de l'AME n'ont pas cotisé à l'assurance maladie : la politique qui leur est destinée est bel et bien d'ordre humanitaire.

Monsieur Amiel, les personnes qui entrent avec un visa touristique sont en situation régulière, mais il ne faudrait pas que les détournements de procédure portent atteinte à l'objectif même de l'AME. Les CPAM vont encourager les contrôles ; faisons également confiance aux soignants. Lorsque les droits à l'AME ne sont pas ouverts, les soins d'urgence peuvent toujours être pris en charge. Depuis 2010, 40 millions d'euros de participation de l'État aux soins urgents sont prévus à cet effet. La dépense est toutefois supérieure, et l'État ne l'assume en réalité qu'à hauteur de 50 % environ - un peu plus ou un peu moins selon les années.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2020.

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » - Examen du rapport pour avis

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». - Les crédits de paiement de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » s'élèveront en 2020 à 25,5 milliards d'euros. Par rapport aux crédits ouverts par la loi de finances initiale pour 2019, ils traduisent une augmentation de 6,7 %, que l'on doit toutefois ramener à 3,3 %, compte tenu de l'ouverture de crédits supplémentaires de 839 millions d'euros figurant au projet de loi de finances rectificative pour 2019. Pour rappel, ces crédits avaient bondi de 21,6 % entre 2018 et 2019, en raison, notamment, de la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité décidée à la suite de la crise des « gilets jaunes ».

Près de 80 % des crédits de la mission servent à financer deux dispositifs : l'allocation aux adultes handicapés (AAH), à hauteur de 10,5 milliards d'euros, et la prime d'activité, à hauteur de 9,5 milliards d'euros. La mission « Solidarité » se distingue ainsi des autres missions du budget puisque le fait générateur de la dépense, étroitement lié au nombre de bénéficiaires potentiels des deux principales allocations de solidarité financées par l'État et à leur taux de recours, présente un caractère en grande partie non maîtrisable.

Le dynamisme budgétaire des crédits de solidarité se justifie par leur vocation à « redonner du pouvoir d'achat aux Français » et à « valoriser le travail », deux objectifs louables, mais qui n'ont jamais été cadrés par un pilotage précis. Il s'inscrit aussi dans un contexte d'augmentation de la pauvreté et des inégalités : le taux de pauvreté s'est établi à 14,7 % de la population française en 2018, en augmentation de 0,6 point, selon les estimations provisoires publiées par l'Insee, des estimations à nuancer, car elles ne tiennent pas compte de la baisse des loyers dans le parc social. En 2018, quelque 9,3 millions de personnes, contre 8,8 millions en 2017, vivaient ainsi en France sous le seuil de pauvreté. Dans le même temps, les inégalités, mesurées par l'indice de Gini, auraient augmenté.

Alors que le Gouvernement a engagé, dans le cadre de sa stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, une concertation en vue d'une réforme de l'ensemble du système de minima sociaux, il m'a semblé important d'examiner l'évolution et la pertinence des différentes allocations et aides financées par la mission.

Au sein du programme 157 relatif au handicap et à la dépendance, dont les crédits s'élèveront à 12,2 milliards d'euros en 2020, l'AAH a fait l'objet de revalorisations exceptionnelles en 2018 et 2019, tempérées par une modification de son mode de calcul défavorable à certains allocataires. En effet, le montant maximum de l'AAH a été revalorisé en deux temps : de 819 euros en mai 2018, il a été porté à 900 euros à compter du 1er novembre 2019. Cet effort, qu'il faut saluer, est sans précédent depuis le plan de revalorisation pluriannuel 2008-2012. Mais, parallèlement, les règles de prise en compte de la situation familiale des bénéficiaires de l'AAH ont été durcies : le pourcentage de majoration pour calculer le plafond de ressources pour un allocataire en couple, égal à 100 % jusqu'au 31 octobre 2018, a été réduit à 81 % au 1er novembre 2019. Couplée avec la revalorisation de l'allocation, cette mesure a entraîné une diminution de 9 euros du plafond de ressources pour un allocataire en couple. Il en résulte que, si 90 % des allocataires ont bénéficié à plein de la revalorisation, une frange des bénéficiaires de l'AAH n'en a effectivement tiré aucun bénéfice.

Bien qu'attaché à la prise en compte des revenus du conjoint dans la détermination du droit à cette allocation de nature solidariste, conformément à la position adoptée par la commission en octobre 2018, je considère que la baisse du plafond pour les allocataires en couple a été trop brutale, même si celui-ci reste élevé par rapport à celui qui est applicable à d'autres minima sociaux. La suppression du complément de ressources pour les nouveaux allocataires à compter du 1er décembre 2019 contribue également à la perception mitigée de leur situation par les personnes concernées par l'AAH.

Je vous aurais proposé de revenir par amendement sur ces modifications des modalités d'attribution si celles-ci n'étaient pas de niveau réglementaire, ou soumises à l'article 40 de la Constitution.

Pour 2020, le projet de loi de finances prévoit une « augmentation maîtrisée » de l'AAH de 0,3 % au 1er avril qui, avec une prévision d'inflation de 1 %, doit permettre de réaliser une économie de 100 millions d'euros. L'AAH a aujourd'hui rejoint un niveau inédit depuis plus de trente ans par rapport au seuil de pauvreté. Il convient de veiller à ce que cette sous-revalorisation proposée pour 2020 ne devienne pas la règle, amorçant un nouveau décrochage du pouvoir d'achat des allocataires dans le temps.

Par ailleurs, dans l'éventualité d'une intégration de l'AAH au sein du futur revenu universel d'activité, je tiens à souligner les spécificités d'une allocation qui ne saurait être réduite à un minimum social de droit commun. Il s'agit notamment des règles de prise en compte des revenus professionnels, s'agissant de personnes confrontées par construction aux plus grandes difficultés, voire à l'impossibilité de s'insérer ou de se maintenir dans l'emploi.

Je suis donc très réservé à l'égard d'une absorption de l'AAH dans une prestation universelle et, plus généralement, de la convergence vers le droit commun de prestations qui ont initialement été conçues pour répondre aux besoins de publics spécifiques. Toutefois, l'intégration de l'AAH dans la refonte des minima sociaux pourrait permettre de corriger certains défauts de l'allocation, qui n'apporte pas à ses bénéficiaires une aide suffisamment individualisée. En effet, le fait que le niveau du soutien additionnel apporté aux personnes de conditions de vie modestes lorsqu'elles sont en situation de handicap dépend largement de la situation familiale des intéressés, comme tendent à le montrer les calculs de France Stratégie, ne répond à aucune logique évidente. Il est par ailleurs possible de montrer que, sous l'effet des règles de cumul entre l'AAH et la prime d'activité, une personne handicapée bénéficiaire de l'AAH est très peu rétribuée lorsque sa quotité de travail s'approche d'un temps complet, à un niveau proche du Smic.

En outre, compte tenu des recoupements entre le handicap et l'invalidité, il semble pertinent d'envisager dans ce cadre une unification de l'AAH et de l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI). Cette dernière allocation fait l'objet d'une réforme initialement prévue par le Gouvernement dans le cadre du PLFSS : il s'agit, d'une part, d'aligner le niveau de ressources garanti par l'ASI avec le plafond de ressources pour bénéficier de l'allocation ; et, d'autre part, de supprimer le mécanisme de recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l'ASI. Le Gouvernement annonce simultanément une revalorisation exceptionnelle de l'ASI pour porter par décret le plafond d'éligibilité à 750 euros à compter des allocations versées en avril 2020. L'impact financier de ces mesures est évalué par le Gouvernement à 14 millions d'euros à la charge de l'État en 2020.

Ces évolutions sont souhaitables et cohérentes avec la récente revalorisation de l'AAH. Il serait toutefois intéressant de permettre également, à des fins de simplification pour les allocataires, un accès direct à l'AAH aux bénéficiaires d'une pension d'invalidité en modifiant les règles de subsidiarité entre ces deux allocations.

Concernant la prime d'activité, je me suis, cette année encore, livré à un exercice d'évaluation de l'efficacité de la prestation au regard des deux objectifs de lutte contre la pauvreté et d'incitation financière à l'exercice d'une activité professionnelle.

Le calcul de la prime d'activité est complexe, car il emprunte aux deux logiques d'attribution des prestations sociales, la logique familiale et la logique individuelle.

La revalorisation exceptionnelle de 90 euros, à compter du 1er janvier 2019, du montant maximal du « bonus » individuel, passé de 70,49 euros à 160,49 euros, a permis au Président de la République de tenir, en partie, son engagement d'augmenter le revenu net mensuel des travailleurs rémunérés au niveau du Smic. Initialement prévus à 6 milliards d'euros dans le PLF pour 2019, les crédits alloués à la prime d'activité ont donc été portés à 8,8 milliards d'euros en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale afin de permettre cette revalorisation. Le montant de 9,5 milliards d'euros prévu pour 2020 représente ainsi une hausse de 70 % par rapport aux dépenses de 2018. C'est d'ailleurs plus du double des dépenses constatées en 2016, année du lancement de la prestation. En outre, une ouverture de crédits supplémentaires de 758 millions d'euros est demandée dans le projet de loi de finances rectificative pour 2019, ce qui porterait le total ouvert pour cette année à 9,6 milliards d'euros soit un montant supérieur à celui qui a été anticipé dans le présent PLF. Il faut donc s'attendre à des dépenses encore nettement plus élevées en 2020.

La prime d'activité est ainsi devenue une dépense majeure de soutien du pouvoir d'achat des travailleurs les plus modestes. Par rapport aux premières années de fonctionnement de la prestation, la forte revalorisation du bonus semble avoir eu pour effet d'améliorer la compatibilité entre les deux objectifs de lutte contre la pauvreté et d'incitation à l'activité professionnelle, même si son effet réel sur l'emploi reste difficile à quantifier.

Toutefois, certaines conclusions que j'ai esquissées les années précédentes demeurent, notamment l'effet plus incitatif de la prime pour les familles monoparentales et les couples avec enfants sous le triple effet multiplicateur de l'augmentation de la base de ressources, du quotient familial et de la majoration du montant forfaitaire. S'agissant des couples, il faut souligner l'importance de la répartition des revenus au sein du foyer, compte tenu du poids croissant de la bonification individuelle.

Il reste ainsi une interrogation quant à l'incitation de la prime à la biactivité, bien que la situation se soit améliorée en 2019. Selon l'évaluation par le Gouvernement de la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité, les couples biactifs percevaient un montant moyen de prime d'activité de 164 euros en mars 2019, alors que le montant moyen versé à l'ensemble des foyers bénéficiaires était de 186 euros.

Ce rapport remis au Parlement le mois dernier fait état d'un recours amélioré à la prime d'activité, y compris pour des montants réduits. Cela a pour effet de modifier le profil des bénéficiaires de la prime d'activité. Entre mars 2018 et mars 2019, la part de foyers bénéficiaires dont les revenus sont compris entre 1 250 et 2 000 euros par mois a augmenté de 39 % à 55 %. Les couples sont également plus représentés parmi les nouveaux « recourants » nouvellement éligibles.

La poursuite de l'amélioration du taux de recours, même si elle ne suffit pas à conclure sur son efficacité au regard de ses différents objectifs, permettra à la fois de mieux anticiper son impact financier et d'en mesurer plus exactement les effets.

S'agissant des crédits dédiés à la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté dans le strict cadre de la mission « Solidarité », une enveloppe de 171 millions d'euros sera consacrée en 2020 à la deuxième année de la contractualisation avec les collectivités territoriales chefs de file (départements et certaines métropoles), dans le cadre rénové proposé par le Gouvernement. Par ailleurs, des mesures d'investissement social - petits-déjeuners gratuits à l'école, tarification sociale pour l'accès à la cantine, etc. - continuent à être financées en dehors du cadre contractuel à hauteur de 44 millions d'euros. Au total, 215 millions d'euros seront ainsi consacrés à cette action en 2020, après 151 millions d'euros en 2019.

L'accent mis sur l'enfance doit être salué, car il marque l'ambition de cette stratégie de prendre le problème de la pauvreté à la racine. Le caractère épars de ces mesures peut toutefois susciter des doutes quant à leur impact réel. En outre, cette action comportant peu de mesures monétaires, mais principalement des mesures structurelles de long terme, elle n'a pas d'incidence directe sur le taux de pauvreté.

Il convient également de souligner l'effort considérable qui reste à la charge des départements, l'Assemblée des départements de France (ADF) avançant un montant total de 11 milliards d'euros pour 2019.

Telles sont mes principales conclusions sur les deux prestations les plus importantes de la mission, ainsi que sur la « stratégie pauvreté ».

J'en viens maintenant à trois autres sujets retracés par la mission « Solidarité » qui me semblent appeler une attention particulière.

Bien que le revenu de solidarité active (RSA) relève des conseils départementaux, le programme 304 participe à son financement. En effet depuis sa création au 1er septembre 2010, le RSA jeune actif est entièrement financé par l'État ; par ailleurs, le financement du RSA a été « recentralisé » pour les départements de la Guyane et de Mayotte en 2019, et sa recentralisation à La Réunion est proposée au 1er janvier 2020.

Les conditions pour bénéficier du RSA jeune actif sont très restrictives. De ce fait, le nombre de bénéficiaires n'a cessé de diminuer depuis sa création et particulièrement depuis 2016. Compte tenu de sa faible audience et de sa concurrence avec d'autres instruments - prime d'activité, Garantie jeunes -, il est permis de s'interroger sur la pertinence de ce dispositif.

L'ouverture aux jeunes des minima sociaux est un exercice complexe, qui suppose de parvenir à cibler les jeunes aux conditions de vie modestes. De ce fait, les modalités de l'ouverture aux jeunes de moins de 25 ans du futur revenu universel d'activité représentent un enjeu important, qui suscite des attentes particulières de la part des acteurs de la solidarité.

Par ailleurs, les crédits du programme 137 relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes sont une nouvelle fois reconduits en 2020 à l'identique, à l'euro près, de ceux de 2019, soit un peu moins de 30 millions d'euros, en dépit des ambitions affichées par le Gouvernement en la matière.

On peut cependant relever, au sein de ce programme, une baisse de 40 % de l'enveloppe dédiée à l'aide financière à l'insertion sociale et professionnelle (AFIS) des personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution, qui chute de près de 2 millions d'euros en 2019 à 1,2 million d'euros en 2020. J'estime que l'effort en faveur de cette politique mérite d'être soutenu et doit faire l'objet d'un soutien politique plus marqué ; à cet égard, la forte réduction de l'enveloppe qui lui est consacrée constitue un mauvais signal.

C'est pourquoi je vous propose un amendement tendant à transférer 800 000 euros dédiés au RSA jeune actif du programme 304, afin de rétablir à un niveau légèrement supérieur à celui de 2019 les crédits de l'AFIS, prévus dans le programme 137.

Enfin, les mineurs non accompagnés (MNA) font, depuis plusieurs années, l'objet d'une attention politique et médiatique soutenue, dont le Gouvernement a tenu compte dans les crédits qu'il leur consacre pour 2020. Les crédits consacrés à l'accueil des MNA sont ainsi passés de 15,7 millions en 2017 à 132 millions en 2018, 141 millions en 2019 puis 162 millions pour 2020.

Une fois encore, ce chiffre ne révèle aucun transfert définitif de charges ni aucune modification des principes de prise en charge : il ne fait qu'apporter une aide ponctuelle, et encore loin d'être suffisante, aux conseils départementaux. Le défi budgétaire du flux en constante augmentation des MNA reste à relever ; le nombre d'évaluations se serait élevé à 60 000 en 2018 selon l'ADF.

Je me félicitais donc que l'Assemblée nationale ait adopté un amendement créant un programme budgétaire distinct au sein de la mission « Solidarité », exclusivement dédié à l'accueil des MNA. Elle est toutefois revenue sur ce vote, à l'initiative du Gouvernement, dans le cadre d'une seconde délibération. Je rappelle que notre commission avait proposé, l'an passé, un amendement allant dans ce même sens. Je vous proposerai d'adopter le même amendement afin d'inscrire dans la loi de finances la nécessaire coresponsabilité de l'État dans la prise en charge de ce phénomène.

À l'issue de cet examen, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission.

Mme Laurence Cohen. - Nous constatons des hausses, mais elles sont à relativiser. Je pense à la suppression de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) et de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), car ce dernier couvre les violences faites aux femmes. Les baisses des subventions aux associations sont regrettables.

La prime d'activité ne déresponsabiliserait-elle pas les entreprises sur leur politique salariale ? Je pense notamment aux allégements de cotisations sociales sur les bas salaires.

Cette mission comprend également plusieurs mesures d'urgences sociales et économiques qui pèsent sur le budget du PLFSS. Pouvez-vous nous donner des précisions sur le revenu universel d'activité ? Comment se fait son accès ? Quelles modulations sont prévues ?

L'an dernier, nous avions été unanimes au sein de la commission pour dénoncer la baisse de l'AFIS, et je salue, monsieur le rapporteur, votre soutien en faveur de la sortie de la prostitution. Avez-vous eu des précisions sur la baisse de ces crédits ?

M. Jean-Marie Morisset. - Le plan Pauvreté sert à envoyer de l'argent vers l'hébergement d'urgence ou d'autres secteurs. Il faudrait faire le point. L'année dernière, 10 millions ont été pris dans le plan Pauvreté et transférés dans le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ». Dans ce programme qui traite des actions d'urgence, on enlève 10 millions aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et on voit apparaître les 10 millions du plan Pauvreté.

Il faut être volontariste sur les mineurs non accompagnés. C'est un dossier que nous évoquons tous les ans, mais nous ne répondons pas aux besoins des départements.

M. René-Paul Savary. - Dans le PLFSS, une mesure affectait les départements : le départ en retraite modifié pour les bénéficiaires du RSA. S'agissant des MNA, il faudrait répartir les charges entre l'État et les départements sans tenir compte de l'âge.

M. Jean-Louis Tourenne. - Le titre de la mission est alléchant, mais, en réalité, aucune proposition n'est faite. Des mesures plus importantes doivent être proposées, car le plan Pauvreté est insuffisant.

Sous la pression des « gilets jaunes », la prime d'activité a été augmentée non pas de 100 euros - c'est une présentation trompeuse -, mais de 90 euros, car l'augmentation du Smic y a été intégrée. Cette prime n'est pas un moyen de lutter contre la pauvreté, car les plus modestes y échappent. En effet, seuls ceux qui ont un salaire la perçoivent. Les autres ne touchent rien du tout.

Les crédits dédiés à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants avaient été divisés par cinq l'année dernière. On ne peut pas imaginer dire à ceux qui sont déboutés du droit d'asile de rentrer chez eux sans mettre en place les moyens pour leur donner envie de s'y intégrer et d'y rester.

Sur la stratégie interministérielle de lutte contre la pauvreté, le discours est lénifiant. Il y a eu un plan Pauvreté et de grandes déclarations : l'an dernier, 150 millions d'euros avaient été accordés, mais le taux de pauvreté a augmenté et nous sommes à 14,7 %. Comment imaginer lutter contre la pauvreté avec 215 millions d'euros cette année ? C'est se moquer du monde ! Il y a une volonté de contractualisation avec les départements sur les épaules desquels on va mettre des charges supplémentaires. Ils seront déclarés coupables s'ils ne parviennent pas à remplir ces nouvelles obligations. En matière de supercheries, on atteint des sommets !

À partir du 1er décembre, le complément de ressources d'un montant de 170 euros par personne sera supprimé. La garantie de ressources pour les personnes handicapées est en même temps supprimée, ce qui leur permettait d'avoir au minimum 930 euros environ par mois. Ce sont 67 500 allocataires de l'AAH qui vont voir leurs ressources diminuer en 2020. C'est inacceptable. Je refuse également la diminution du plafond de ressources. L'AAH est versée à des personnes qui n'ont pas la possibilité de travailler et d'avoir un revenu autonome.

Enfin, sur l'égalité hommes-femmes, je rappelle que tout budget qui n'augmente pas se traduit par sa diminution. Pour une grande cause nationale, c'est étonnant.

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons pas accepter les propositions et nous voterons contre.

Mme Michelle Meunier. - Nous souscrivons à la sortie de la prostitution et nous demandons aussi une étude sur l'évaluation de cette loi de 2016. Là où les commissions départementales se réunissent, il y a des résultats. Mais se réunissent-elles partout ?

M. Michel Forissier. - Concernant la lutte contre la pauvreté, je suis surpris par les mécaniques qui se mettent en place. On a d'abord segmenté les catégories sans tenir compte du fait que la pauvreté sort des périmètres des quartiers prioritaires. Je pense aux retraités propriétaires d'une maison qui se retrouvent en état de pauvreté. Avec mes collègues Frédérique Puissat et Catherine Fournier, nous avons entrepris un travail sur les travailleurs des plateformes. Nous nous rendons compte que nous fabriquons des salariés pauvres, qui vont devenir des retraités pauvres. C'est l'échec de notre système professionnel avec des jeunes sans diplômes qui génère de la pauvreté. Nous avons entre 2 et 3 millions de jeunes entre 15 et 25 ans qui n'ont aucune solution. Aujourd'hui, les crédits sont tellement dispersés que je ne suis pas certain qu'ils arrivent au bon endroit. Je souhaiterais moins d'affichage et plus d'efficacité.

M. Guillaume Arnell. - La modification des conditions d'attribution de l'AAH durcit les critères d'éligibilité en fonction de la situation familiale. Serait-il possible de trouver des solutions et de discuter cette question en plénière ? Nous ne pouvons pas laisser cela ! C'est une mesure injuste.

Était-il impossible de financer l'AFIS autrement ? Il est difficilement compréhensible de prendre des crédits chez les jeunes actifs pour les mettre sur l'AFIS.

Concernant la reprise intégrale du RSA dans certains territoires ultramarins, puis de son extension en 2020 pour La Réunion, je rappelle que cette question concerne l'ensemble des territoires ultramarins. Comme il n'est pas fait mention d'une extension progressive, je m'interroge sur les bénéfices pour les autres territoires.

Mme Chantal Deseyne. - Les conditions d'attributions de l'AAH prennent en compte les ressources du conjoint. Cela est pénalisant pour les femmes handicapées en couple et victimes de violences.

M. Daniel Chasseing. - Je me réjouis de l'augmentation de la prime d'activité, qui est un soutien majeur au pouvoir d'achat des plus modestes. Nous sommes passés de 3 milliards en 2016 à 10 milliards d'euros cette année.

Concernant les règles de cumul de l'AAH avec la prime d'activité, avez-vous, monsieur le rapporteur, vu beaucoup de bénéficiaires de l'AAH travailler à temps plein ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. - Concernant la suppression de l'ONPES, le Gouvernement veut recréer un outil autour du Conseil national des politiques de lutte contre l'exclusion (CNLE), mais je n'ai pas plus d'indications sur cette fusion.

Concrètement, aujourd'hui, l'AFIS ne fonctionne pas, car il n'existe pas de volonté politique. Seules 135 personnes bénéficient de cette aide. Il nous semblait fondamental de réaligner les crédits et, en parallèle, de développer cet outil sur l'ensemble du territoire national.

Les équilibres budgétaires sont limités et nous n'avons pas eu le choix : nous avons pris sur le chapitre RSA pour doter l'AFIS. Je rappelle que le RSA jeune actif est sous-utilisé, et que d'autres outils, comme la Garantie jeunes, sont mieux mobilisés.

Le revenu universel d'activité est un grand chantier, mais nous n'y voyons pas clair malgré les grands discours et les concertations. Nous ne connaissons ni le périmètre ni le calendrier et nous ignorons si l'AAH et l'APL sont concernées. Une grande communication et une consultation ont été lancées. Sur le site Internet de la délégation interministérielle, vous pouvez donner votre avis. Le vrai débat est toutefois celui des moyens à engager. Quand on espère toucher un plus grand nombre d'ayants droit, on ne peut rester à budget constant. Il faut alors envisager des moyens supplémentaires, mais jusqu'où ? Je crois que l'arbitrage se situe à ce niveau-là.

Nous observons que de nombreuses politiques adoptent une démarche où les crédits sont diminués avant d'être réaffectés sur d'autres missions. Avec une même somme, on remplit trois cases ! Ce n'est pas spécifique au Gouvernement, mais cela rend difficile notre mission.

La mission mobilise 25 milliards d'euros, monsieur Tourenne, vous ne pouvez donc pas dire qu'il n'y a rien, mais notre rôle est de pointer les effets bénéfiques ainsi que les manquements et les injustices. Concernant la pauvreté, les outils développés permettent aux personnes pauvres de sortir de la tête de l'eau, mais les plus démunis n'ont pas de solution.

Le programme d'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants a été amendé à l'Assemblée nationale et ses crédits, en augmentation, ont été abondés de 100 000 euros.

Je partage, monsieur Savary, vos remarques relatives aux MNA : le vrai débat est celui de l'âge.

L'égalité hommes-femmes bénéficie de nombreuses annonces de la part de la secrétaire d'État et nous avons retenu le chiffre de 1 milliard d'euros - j'ai eu du mal à le retrouver, car il est réparti au sein de plusieurs missions. Il faut être prudent lorsque l'on annonce des chiffres ! Toutefois, j'ai rencontré les acteurs de la cause et il y a une réelle volonté politique d'avancer sur ces sujets ; beaucoup d'opérateurs réorientent leurs missions autour de ces enjeux.

Le RSA recentralisé pourrait être développé sur l'ensemble des territoires ultramarins. Il n'y a toutefois pas d'automaticité, mais le Gouvernement procède en opportunité.

Dans les cas de situation difficile pour les conjoints en période de séparation ou en situation de maltraitance, des procédures peuvent permettre la séparation du calcul et la révision de l'AAH.

Le travail à temps complet des personnes handicapées en milieu ordinaire est marginal, mais on peut en trouver qui travaillent à domicile. C'est incompréhensible, mais lorsqu'ils ont la possibilité de se rapprocher d'un temps complet, ce qui représente une victoire pour eux, ils peuvent être pénalisés financièrement.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 38

ÉTAT B

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. - Le premier amendement a pour objectif de matérialiser un programme budgétaire exclusivement dédié au suivi des MNA. L'idée est d'affirmer le principe de la coresponsabilité de l'État et des départements dans la prise en charge de cette politique. Nous avions adopté un amendement similaire l'année dernière.

Cet amendement est adopté.

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. - Le deuxième amendement prévoit de réaffecter 800 000 euros du RSA jeune actif à l'AFIS.

Cet amendement est adopté.

Article 78 novodecies

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. - Cet amendement de coordination précise le calcul de l'allocation supplémentaire d'invalidité.

L'amendement est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », ainsi qu'aux articles rattachés, sous réserve de l'adoption de ses amendements.

La réunion est close à 11 h 50.

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Projet de loi de finances pour 2020 - Audition de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail

M. Alain Milon, président. - Je suis heureux d'accueillir cet après-midi Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, pour la présentation des crédits de la mission « Travail et emploi » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020. Je rappelle que ces crédits seront examinés par notre commission sur le rapport pour avis de notre collègue Michel Forissier et qu'ils seront examinés en séance publique dans l'après-midi du lundi 2 décembre.

Les crédits de la mission « Travail et emploi » représentent 12,6 milliards d'euros et traduisent, après la réforme du marché du travail et de la formation professionnelle conduite par le Gouvernement, les orientations données à la politique de l'emploi : baisse des contrats aidés, diminution des exonérations ciblées, investissement dans les compétences, mais maintien de dispositifs d'aides directes comme les « territoires zéro chômeur » ou les emplois francs. Cette audition nous donnera l'occasion de faire le point sur les politiques de l'emploi, mais aussi sur la réforme de l'assurance chômage que notre commission suit avec attention.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. - Je suis ravie de vous retrouver pour répondre à vos questions sur la mission « Travail et emploi ». Je rappellerai tout d'abord en quelques mots la philosophie générale de notre action que porte ce budget.

Comme vous le savez, au cours des deux dernières années, nous avons posé les fondations d'une nouvelle politique de l'emploi fondée sur les compétences et la liberté donnée aux acteurs, au travers notamment des ordonnances révisant le code du travail, la réforme de l'apprentissage et de la formation, le plan d'investissement dans les compétences (PIC) et la réforme de l'assurance chômage.

La clé de voûte de notre politique est l'émancipation par le travail et la formation. L'année 2020 sera l'année de l'approfondissement de la mise en oeuvre opérationnelle de la transformation de la politique de l'emploi et de la montée en charge des dispositifs issus de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

C'est dans cet esprit de transformation, en multipliant les déplacements sur le terrain et en favorisant le dialogue avec les acteurs, que j'ai construit le budget de l'emploi et de la formation professionnelle. En 2020, le budget global de la mission « Travail et emploi » s'élève à 13,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 13 milliards d'euros en crédit de paiement (CP). Il progresse par rapport à 2019, avec une stabilisation des AE et une progression de 210 millions d'euros des CP, marquant la volonté du Gouvernement de poursuivre les efforts de transformation et de les voir s'inscrire de façon concrète dans la vie de nos concitoyens.

Nous donnons la priorité à l'inclusion dans l'emploi. L'insertion par l'activité économique (IAE) constitue le premier volet de cette politique. Au moment où la croissance repart et que le chômage recule, il est primordial que les personnes les plus vulnérables soient replacées au coeur des politiques d'inclusion en cohérence avec l'objectif d'émancipation porté par la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Cette stratégie trouve son aboutissement dans le Pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique. Il est le fruit d'une concertation de plus de six mois avec les représentants du secteur et a été présenté au Président de la République le 10 septembre dernier, à Bonneuil-sur-Marne. Ainsi, le budget pour 2020 prévoit une augmentation historique du financement des aides au poste dans les structures de l'insertion par l'activité économique : 83 000 équivalents temps plein (ETP) seront financés dans le cadre du Fonds d'inclusion dans l'emploi, soit environ 7 000 ETP de plus que dans la loi de finances initiale pour 2019. Notre objectif est que 15 000 à 20 000 personnes de plus puissent accéder à l'insertion par l'activité économique dès 2020, car elle donne de très bons résultats avec un taux d'insertion de plus de 60 %. Pour cela, le budget est augmenté de 120 millions d'euros, dépassant pour la première fois la barre symbolique du milliard d'euros. À l'horizon de 2022, nous espérons que 100 000 personnes auront bénéficié de ce dispositif.

Le deuxième volet repose sur le développement des entreprises adaptées. En cette semaine pour l'emploi des personnes handicapées, permettez-moi de rappeler l'engagement fort du Gouvernement en faveur de l'inclusion dans l'emploi des personnes handicapées. J'ai d'ailleurs installé lundi, avec mes collègues Sophie Cluzel et Olivier Dussopt, le comité de suivi et d'évaluation de la réforme de la politique d'emploi des personnes handicapées. Le projet de loi de finances réaffirme l'engagement du Gouvernement en faveur des entreprises adaptées qui jouent un rôle essentiel pour l'insertion des personnes handicapées les plus éloignées de l'emploi, comme j'ai pu le constater à plusieurs reprises, sur le terrain, à l'invitation du président de l'Union nationale des entreprises adaptées (UNEA), Cyril Gayssot, tant, le 26 avril, dans l'Entreprise FMS, à Saint-Geours-de-Maremne dans les Landes, que le 10 octobre dernier, lors du lancement à Pau, de l'Inclusive tour. J'ai aussi pu mesurer à nouveau, à ces occasions, la nécessité d'une transformation et les attentes du secteur. C'est précisément le sens de l'engagement national « Cap vers l'entreprise inclusive 2018-2022 », que nous avions signé avec Sophie Cluzel, le 12 juillet 2018, avec l'UNEA, l'APF France Handicap et l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei). Son ambition, sans précédent, est de changer d'échelle et de doubler, d'ici à 2022, le nombre de personnes en situation de handicap en emploi grâce aux entreprises adaptées, soit de passer de 40 000 à 80 000 personnes.

L'appui financier de l'État à la transformation des entreprises adaptées se poursuit donc, en 2020, avec un budget de 403 millions d'euros, en augmentation de 7 millions par rapport à 2019. Au total, nous voulons, grâce à ce budget et à la contribution de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (l'Agefiph), que 6 000 à 10 000 personnes supplémentaires accèdent aux entreprises adaptées dès 2020. Parallèlement, le PIC crée un système d'incitation à la formation des travailleurs handicapés - 8 % des formations leur sont réservées - pendant la durée de leur CDD tremplin ou contrat de mission.

Ces efforts sont complétés par 100 000 nouveaux parcours emploi compétences (PEC), qui remplacent les contrats aidés. Dès l'été 2017, le Gouvernement a décidé, en effet, de recentrer les contrats aidés afin d'en faire de véritables outils d'insertion durable dans l'emploi, avec un accent mis sur la qualité de la formation plutôt que sur la quantité. Les premiers résultats sont là : le taux d'insertion dans l'emploi durable à l'issue d'un contrat aidé a progressé de cinq points entre fin 2017 et fin 2018. L'effort de transformation de ces contrats s'est poursuivi, avec le déploiement des PEC qui renforcent davantage encore les engagements des employeurs, ainsi que la formation et l'accompagnement des salariés pendant la durée des contrats.

L'expérimentation des emplois francs, lancée le 1er avril 2018, se poursuit et sera généralisée, début 2020, à l'ensemble des quartiers relevant de la politique de la ville (QPV). L'enjeu est de lutter contre les discriminations à l'embauche dont sont victimes les habitants de ces quartiers. Le budget prévoit une enveloppe de 233,6 millions d'euros en AE et 80 millions d'euros en CP pour financer ce dispositif. Nous visons 40 000 personnes en contrat fin 2020.

L'expérimentation « Territoire zéro chômeur de longue durée » bénéficiera d'un budget de 28,5 millions d'euros, en progression de 6 millions par rapport à l'an dernier. J'ai rencontré Laurent Grandguillaume, président de l'association « Territoires zéro chômeur de longue durée », Michel de Virville et Louis Gallois. Nous avons eu un échange très constructif. Nous partageons la conviction qu'il s'agit d'un dispositif innovant, qu'il faut soutenir et développer. Lundi prochain, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), d'une part, et le comité scientifique d'autre part, nous remettront chacun un rapport d'évaluation à mi-parcours sur la base desquels nous engagerons une discussion avec les acteurs pour améliorer l'expérimentation, la prolonger et la développer. Cette évaluation, qui, d'après la loi, n'aurait dû être réalisée que l'année prochaine, a été anticipée à la demande des acteurs.

J'en viens aux acteurs de l'accompagnement. Opérateurs essentiels de l'accompagnement et de l'insertion des jeunes, les missions locales bénéficieront d'une inscription de crédits à hauteur de 371,94 millions d'euros en 2020, soit une hausse de 21 millions d'euros par rapport à l'an dernier. Ces financements assurent la mise en oeuvre de la stratégie pluriannuelle de performance des missions locales. Ils sont désormais globalisés en gestion et couvrent à la fois la convention pluriannuelle d'objectifs et l'accompagnement des jeunes qui bénéficient de la Garantie jeunes. Cette globalisation des crédits introduit plus de souplesse et favorise une approche décloisonnée des dispositifs. Le montant prévu en 2020 intègre aussi le financement de la mise en oeuvre de l'obligation de formation, instaurée par la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Je rencontrerai d'ailleurs vendredi prochain, à Metz, les responsables de la mission locale, qui m'est chère, et les jeunes bénéficiaires des actions de la mission.

S'agissant de la subvention pour charges de service public versée à Pôle emploi, le budget prévoit un montant de 1 235,9 millions d'euros, soit une baisse de 136,8 millions d'euros par rapport à l'an dernier. Cependant, cette baisse est plus que compensée par l'augmentation de la contribution de l'Unédic, qui progresse sous l'effet conjugué du dynamisme de la masse salariale et du passage de 10 % à 11 % des contributions d'assurance chômage qui lui sont affectées. Pôle emploi disposera de 622 millions d'euros de ressources supplémentaires en 2020. Celles-ci lui permettront de mettre en oeuvre les évolutions issues de la loi du 5 septembre 2018 et surtout de transformer ses modalités d'accompagnement, conformément à la convention tripartite entre l'État, l'Unédic et Pôle emploi, signée à l'issue d'une large concertation avec les partenaires sociaux.

S'agissant des maisons de l'emploi, nous avons échangé avec le réseau Alliance Villes Emploi, présidé par Nathalie Delattre, sur la nécessité de poursuivre l'effort de transformation du réseau. Aussi, comme je l'avais indiqué dès mon audition par la commission des affaires sociales à l'Assemblée nationale, j'ai donné un avis favorable à un amendement autorisant un financement à hauteur de 5 millions d'euros pour 2020, soit au même niveau qu'en 2019. Il permettra d'accompagner l'évolution des maisons de l'emploi, en leur donnant une meilleure visibilité et une capacité accrue pour candidater à des appels à projets dans le cadre du PIC pour développer des projets innovants.

Nous poursuivrons aussi la montée en puissance du PIC, avec un nouvel engagement de près de 3 milliards d'euros, financé, à parts égales, par des crédits budgétaires et par la contribution des entreprises, via France compétences. L'année 2020 doit ainsi constituer l'année du plein déploiement des actions.

Les crédits seront mobilisés dans quatre directions. Tout d'abord pour mettre en oeuvre des parcours de formation qui seront déployés dans le cadre des pactes régionaux sur la période 2019-2022, 1,7 milliard d'euros sont ainsi provisionnés pour la seule année 2020.

Il s'agit aussi de consolider les mesures d'accompagnement des jeunes du Parcours contractualisé d'accompagnement vers l'autonomie et l'emploi (Pacea) et d'atteindre l'objectif de 100 000 jeunes bénéficiant de la Garantie jeunes. Ces mesures représenteront environ 575 millions d'euros en 2020. Le PIC permettra également de renforcer les capacités d'accueil dans les écoles de la deuxième chance (E2C) et les établissements pour l'insertion dans l'emploi (Epide).

Les crédits permettront également de repérer les invisibles, les jeunes sans emploi ni formation, qui ne sont pas suivis par le service public de l'emploi, pour mieux les accompagner et les former : près de 60 millions d'euros seront investis en 2020 pour financer la mise en place d'actions de repérage de ces jeunes décrocheurs dans le cadre d'un appel à projets « Repérage ».

Enfin, il s'agit de promouvoir les expérimentations portant des approches innovantes sur des problématiques ciblées, telles que la remobilisation et le retour à l'emploi dans les QPV par l'appel à projets « 100 % inclusion » ou la préparation à l'apprentissage. L'expérimentation du parcours intégré d'insertion « hébergement, orientation et parcours vers l'emploi » (HOPE) se poursuivra au profit de 1 500 réfugiés bénéficiaires d'une protection internationale, avec un taux d'embauche de 90 %.

La mise en oeuvre de la réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage se poursuivra en 2020. L'année 2019 aura été une année de profonde transition, avec la mise en place de France Compétences ou encore la création de onze nouveaux opérateurs de compétences (OPCO), à la place des 20 organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) préexistants, avec des missions recentrées sur le développement de l'apprentissage et l'appui aux TPE. L'année dernière a aussi vu le déploiement du nouveau compte personnel de formation, « Mon Compte Formation », qui trouvera son aboutissement demain, avec le lancement d'une application mobile dédiée. Cette application sera un élément clé du mouvement de transformation de la formation professionnelle que nous avons initié, donnant accès à 26 millions d'actifs à leurs droits et au choix de leur formation.

Les crédits du programme 111 augmentent sensiblement pour pouvoir financer l'organisation des élections syndicales visant à déterminer l'audience syndicale dans les petites entreprises.

Au-delà, mon ministère poursuit ses efforts dans le cadre de l'objectif gouvernemental global de réduction des effectifs. En 2020, la baisse sera de 226 emplois soit un taux d'effort de 2,6 %, identique à celui de 2019.

Cet effort s'inscrit plus largement dans le cadre de la réorganisation des services territoriaux de l'État initiée cette année par le Premier ministre. Un nouveau service public de l'insertion, sous l'autorité des préfets, regroupera l'ensemble des compétences contribuant à l'accompagnement, de l'hébergement d'urgence à l'insertion par l'activité économique jusqu'à l'emploi.

Enfin, le ministère relèvera le défi du numérique par le biais de la modernisation des systèmes d'information du ministère et surtout le lancement du code du travail numérique au 1er janvier 2020.

Un mot pour conclure sur les articles rattachés. La réforme de l'aide à la création ou à la reprise d'une entreprise (Acre) s'inscrit dans la même volonté de recentrer les crédits vers les personnes les plus éloignées de l'emploi. L'Acre est une exonération totale de cotisations de sécurité sociale, hors CSG et CRDS, pour la première année d'activité. Initialement réservée aux demandeurs d'emploi qui créent leur activité, elle bénéficie, depuis le 1er janvier dernier, à tous les créateurs d'entreprise, quelle que soit leur situation, y compris pour la création d'une micro-entreprise. Le projet de loi de finances prévoit un ajustement du dispositif pour réduire les effets d'aubaine identifiés, et ainsi maîtriser le montant de l'exonération de début d'activité, recentrer le mécanisme sur le public initialement visé, c'est-à-dire les créateurs et repreneurs d'entreprise donnant lieu à une activité économique nouvelle, et enfin rétablir l'équité entre les travailleurs indépendants, en alignant le niveau d'exonération pour les micro-entrepreneurs sur celui des travailleurs indépendants. L'exonération sera également limitée à un an pour tout le monde. Ces deux mesures sont prévues par un décret qui entrera en vigueur au 1er janvier 2020. Le PLF réserve par ailleurs l'exonération pour les micro-entrepreneurs aux chômeurs créateurs d'entreprises à compter de 2020 afin de cibler l'aide sur les publics les plus éloignés de l'emploi. Les crédits prévus pour financer cette mesure s'élèvent à 743 millions d'euros, soit une progression conséquente de 216 millions d'euros par rapport à l'an passé, malgré la réforme.

Ensuite, comme vous le savez, nous avons décidé de stabiliser les exonérations de charges pour les services à la personne pour les personnes de 70 ans et plus, quel que soit leur niveau de revenu, que ces personnes soient dépendantes ou non. Pour financer cette stabilisation, nous avons recherché des économies de l'ordre de 120 millions d'euros. En effet, la suppression envisagée de ces exonérations entraînait un coût pour la sécurité sociale à hauteur du report sur les allègements généraux de charges sociales estimé à 125 millions d'euros, ramenant l'économie à 198 millions d'euros. Après prise en compte du crédit d'impôt, qui aurait été plus élevé puisque les bénéficiaires de l'exonération auraient payé plus cher la prestation après suppression de l'exonération et auraient donc bénéficié d'un crédit d'impôt supérieur, l'économie pour l'ensemble des administrations publiques était estimée à 101 millions d'euros au titre de 2020. À compter de 2021, l'économie nette totale toutes administrations publiques confondues et après prise en compte de l'effet sur le crédit d'impôt, était estimée à environ 120 millions d'euros par an.

Ce sont ainsi 120 millions d'euros d'économies qui ont été recherchées sur le budget de la mission « Travail emploi », et que nous pouvons intégrer sur le PIC, en raison de son caractère pluriannuel. Le léger retard pris sur certains projets permet de décaler le lancement de certaines formations du dernier trimestre 2020 au premier trimestre 2021, permettant ainsi de réaliser les économies, sans pénaliser les demandeurs d'emploi. C'est le sens des amendements déposés par le Gouvernement et votés par l'Assemblée nationale le 6 novembre dernier.

En conclusion, ce budget porte deux grandes ambitions : intensifier l'effort d'inclusion et d'émancipation par l'emploi, d'une part, et stimuler la création d'emplois, grâce à la réforme de l'alternance et de la formation professionnelle, d'autre part.

- Présidence de M. René-Paul Savary, vice-président.-

M. René-Paul Savary, président. - Vous l'aurez compris, nous sommes très attentifs à la question des exonérations à cause de ses effets sur le projet de loi de finances de sécurité sociale, de même qu'aux mesures visant les cotisations retraite des micro-entrepreneurs.

M. Michel Forissier, rapporteur pour avis. - Le budget de la mission « Travail et emploi » avait connu une baisse très importante l'an dernier, mais cette baisse résultait largement d'effets de périmètre et de mesures décidées au cours des exercices précédents. En 2020, le budget serait stable, et progresserait même légèrement, dans un contexte où le chômage reste élevé. Je note d'ailleurs que les derniers chiffres de l'Insee font apparaître une légère hausse du taux de chômage.

J'approuve globalement la philosophie qui vous a conduit à resserrer le recours aux contrats aidés et à promouvoir les structures d'insertion par l'activité économique et la formation des demandeurs d'emploi. Je m'interroge toutefois sur votre insistance, qui pourrait passer pour de l'obstination, à essayer de faire décoller les emplois francs. Vous ne cessez d'élargir le dispositif pour tenter d'atteindre les cibles que vous vous fixez, au risque de créer des effets d'aubaine. Or, il me semble que les décisions d'embauche des entreprises dépendent essentiellement de leurs besoins et des compétences qu'elles trouvent, et non d'une aide temporaire de quelques milliers d'euros. N'est-il donc pas temps d'arrêter les frais, et d'admettre que les emplois francs, même s'ils sont une idée du président de la République, sont un échec ?

L'année dernière, vous avez largement ouvert les vannes de l'Acre. Vous constatez cette année que son coût explose. N'était-ce pas prévisible ? Vous souhaitez resserrer le dispositif, mais cela vous conduit à retirer le bénéfice de cette aide au-delà de la première année à des entrepreneurs qui comptaient dessus. N'est-ce pas contraire au principe d'espérance légitime ?

Comme l'année dernière, le projet de loi de finances ne prévoyait pas de crédit en faveur des maisons de l'emploi. Comme l'année dernière, l'Assemblée nationale a prévu une enveloppe de 5 millions d'euros. Il me semble que cette enveloppe est insuffisante. Seriez-vous disposée à accepter un amendement qui la porterait à 10 millions d'euros ?

Ma dernière question porte sur un article qui n'est pas rattaché à la mission, mais qui intéresse la commission des affaires sociales. L'article 51 met en oeuvre la taxation des CDD d'usage annoncée dans le cadre de la réforme de l'assurance chômage. L'Assemblée nationale a adopté un amendement aux termes duquel seuls les secteurs qui n'ont pas conclu un accord visant à lutter contre les contrats courts seront concernés. Avez-vous étudié les conséquences financières de cet amendement ? Un nombre important de secteurs font valoir que les contrats à durée déterminée d'usage (CDDU), sont nécessaires en raison de la nature de leur activité. Êtes-vous prête à épargner certains secteurs de cette taxation, comme c'est d'ailleurs le cas pour le système de bonus-malus ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Je tiens à rappeler, tout d'abord, que le taux de chômage a baissé de 0,5 % et 150 000 demandeurs d'emploi ont retrouvé un travail depuis un an, qui s'ajoutent aux 300 000 personnes qui en avaient déjà retrouvé un depuis le début du quinquennat.

Les emplois francs ont mis du temps à décoller, mais durant le précédent quinquennat, seuls 300 contrats ont été signés au total, même si le dispositif était un peu différent. Le dispositif est maintenant bien lancé : entre 15 000 et 18 000 contrats devraient avoir été signés avant la fin de l'année. Le décollage a été lent, car l'expérimentation était initialement limitée à certains quartiers et nous avons eu du mal à faire connaître le dispositif, tant aux entreprises qu'aux personnes visées. L'élargissement à des départements entiers lui a donné un nouveau souffle. Dans un monde idéal, un tel mécanisme ne devrait pas exister, je vous l'accorde, car on ne devrait recruter qu'en se fondant sur la compétence, mais la réalité est qu'à qualification ou expérience égales, les personnes des quartiers prioritaires de la ville ont 2,5 fois moins de chances d'être embauchées. Il est un peu étrange de devoir intéresser financièrement les entreprises, mais si cela permet de casser des stéréotypes et de faciliter l'accès à l'emploi, pourquoi pas ! D'ailleurs, les retours sur les premières cohortes montrent un taux de 80 % de CDI ; une fois passée la barrière de l'embauche, la carrière se poursuit avec succès. J'espère qu'un jour les discriminations auront cessé et qu'un tel dispositif n'aura plus de raisons d'être.

En ce qui concerne l'Acre, nous avions expérimenté le passage à trois ans : on a constaté des effets d'aubaine et des effets de distorsion importants, relevés par les artisans, car des salariés devenaient micro-entrepreneurs pour baisser le coût du travail. Donc nous avons réduit l'aide à la première année d'installation, où les coûts sont les plus importants, pour soutenir vraiment le démarrage, et on a aligné les régimes des micro-entrepreneurs et des indépendants pour supprimer les formes de concurrence déloyale, comme celles observées dans le bâtiment.

Les maisons de l'emploi doivent évoluer, elles avaient été créées à une époque où le service public de l'emploi et Pôle emploi n'existaient pas. Elles offrent une palette de services différents d'un lieu à l'autre, ce qui est très bien, car elles répondent à des initiatives locales. Leur diversité constitue leur richesse et je ne crois pas qu'il faille faire un jardin à la française en la matière. Mais le réseau reconnaît que des évolutions sont nécessaires pour mieux s'insérer dans tous les dispositifs. Le montant de 5 millions d'euros paraît adapté à cet égard. De plus, nouveauté, des maisons de l'emploi ont remporté des appels d'offres dans le cadre du PIC, ce qui leur fournira des ressources supplémentaires.

Les CDD d'usage ont été créés pour des secteurs où l'activité est très fluctuante, difficile à prévoir, mais il y a eu une dérive. Alors que le décret ne vise que treize secteurs, ils sont plus du double à y recourir. De plus, ces CDD sont devenus une solution de facilité pour certaines entreprises qui se dispensent de mener une vraie gestion de ressources humaines, si vous me permettez de rappeler un épisode de ma vie professionnelle, préférant recruter des personnes dans le cadre de CDD d'usage, sans prime de précarité ni priorité à l'embauche et sans délai de carence. Certaines entreprises embauchent pendant 100 jours, voire davantage, la même personne en CDD d'une journée ou de plusieurs demi-journées ! Il y a des abus manifestes. C'est pour cela que nous avons décidé d'instaurer une taxe de 10 euros par contrat. Cela n'aura guère d'incidence pour un contrat de six mois, mais cela sera dissuasif pour ceux qui embauchent la même personne en multipliant les contrats à la journée. Il est vrai que cette mesure peut soulever des difficultés dans certains secteurs, comme le transport. C'est pourquoi l'amendement adopté à l'Assemblée nationale prévoit que les secteurs qui auront négocié un accord paritaire, comme l'ont fait les déménageurs, pour éviter les abus, en garantissant un minimum d'heures ou en prévoyant une proposition de CDI si la durée de travail s'allonge, seront exonérés de la taxe. C'est donc un encouragement à la négociation collective, en alliant sécurité et flexibilité.

M. Philippe Mouiller. - Je veux tout d'abord saluer l'effort en faveur des entreprises adaptées. Mais certaines rencontrent des difficultés de trésorerie à cause du décalage dans le temps du versement des aides. Je voulais aussi vous faire part d'une difficulté dans l'application de la réforme de l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés (OETH), notamment concernant les personnes lourdement handicapées. Un certain nombre d'entreprises ont mis en place des contrats de travail prévoyant le télétravail à domicile pour profiter de la bonification en cas d'embauche d'une personne handicapée. La suppression de la bonification met en péril de nombreux emplois, car les entreprises préfèrent travailler différemment. Il s'agit de publics déjà très défavorisés qui avaient pu bénéficier parfois de 5 heures ou 10 heures de travail par semaine et qui risquent de perdre leur emploi.

En ce qui concerne la réforme de l'assurance chômage, avez-vous pu évaluer le nombre des personnes qui, n'ayant plus droit à indemnité, quitteront le champ de l'assurance chômage et glisseront vers les dispositifs relevant de la solidarité nationale ? L'impact de cette réforme n'est pas chiffré dans la mission « Solidarité, insertion et égalité ».

Le budget consacré à la prime d'activité augmente. Comment appréciez-vous l'efficacité de ce dispositif ?

Je suis membre du conseil d'administration du Fonds d'expérimentation contre le chômage de longue durée présidé par Louis Gallois. Nous attendons avec impatience votre analyse, après lecture des rapports d'évaluation de l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Le Président de la République avait annoncé une extension de l'expérimentation à 40 nouveaux territoires. Avez-vous anticipé cette extension sur le plan budgétaire ?

Mme Frédérique Puissat. - Lorsque nous avons commencé l'examen du projet de loi de finances la convention tripartite entre l'État, l'Unédic et Pôle emploi n'avait pas encore été signée. Pourriez-vous nous donner des précisions sur son contenu et les indicateurs retenus ? Vous annoncez une progression de 1 000 emplois, sur trois ans, à Pôle emploi, mais la loi de finances initiale pour 2019 prévoyait une suppression de 400 emplois. Quel sera donc le nombre d'emplois créés ? Ces emplois auront un coût et ce n'est pas la subvention pour charges de service public, qui baisse de 136 millions d'euros, qui permettra de l'assurer... L'Unédic sera donc mise à contribution. Cette dépendance accrue à l'égard des ressources de l'assurance chômage ne risque-t-elle pas de fragiliser Pôle emploi : en cas de retournement de conjoncture, l'organisme devra accompagner plus de demandeurs d'emploi tandis que ces moyens diminueront du fait de la chute des ressources de l'Unédic. Je crains un effet ciseaux.

J'en viens à la gouvernance des organisations syndicales. L'année 2020 sera marquée par la préparation du nouveau cycle de mesures concernant la représentation des organisations syndicales et patronales. Nous avons été saisis de demandes visant à modifier les règles de la représentation patronale. Envisagez-vous des évolutions à cet égard ?

Chacun a constaté les dérives auxquelles donnait lieu le CDD d'usage. Ne faudrait-il pas remettre à plat ce dispositif ? La taxe de 10 euros peut sembler anecdotique pour certains contrats. Vous avez accepté un amendement à l'Assemblée nationale. Certains syndicats trouvent qu'il manque de précision. Accepteriez-vous qu'on le retravaille au Sénat, notamment pour éviter le risque d'applications très différentes d'un territoire à l'autre ?

Mme Nadine Grelet-Certenais. - Votre priorité est l'inclusion dans l'emploi et l'insertion par l'activité économique. Les statistiques du chômage sont à prendre avec beaucoup de précautions à cause de la hausse des emplois précaires, liée aux politiques de flexibilisation de l'emploi. Je rappelle, par exemple, que la part des CDD de moins d'un mois s'est établie, en 2017, à 83 %.

Parallèlement, on note une baisse constante des effectifs du ministère du travail et une baisse des moyens alloués à l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), qui avait su pourtant combiner quantité et qualité en matière de formations, avec un taux d'entrée en emploi supérieur à la moyenne des organismes de formation.

Je suis attachée à l'expérimentation « Territoire zéro chômeur », qui a suscité énormément d'espoirs dans nos territoires et notamment les territoires ruraux. Les acteurs que j'ai rencontrés, lors d'un déplacement dans la Nièvre, par exemple, ou ailleurs, m'ont témoigné que l'expérience avait un effet positif sur les territoires et aboutissait à la création d'emplois locaux. Le projet de loi de finances prévoit une enveloppe de 6 millions, c'est sans doute insuffisant au regard des attentes. Ces crédits sont fléchés principalement vers l'association gestionnaire du fonds d'expérimentation. Le taux de prise en charge par l'État a baissé, ce qui compromet l'équilibre fragile de certaines expérimentations en cours. Le nombre d'expérimentations devait être multiplié par dix. Le Gouvernement entend-il étendre l'expérimentation à d'autres territoires ? Que puis-je répondre à tous ceux qui, dans la Sarthe notamment, attendent avec fébrilité vos annonces ?

Mme Catherine Fournier. - Mes questions porteront sur l'enveloppe qui sera affectée aux régions pour l'apprentissage, la formation et l'orientation. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a permis aux régions de contribuer, pour des besoins d'aménagement du territoire, au financement de certains centres de formation des apprentis, à la fois en termes de fonctionnement et d'investissement. Lors du congrès des régions de France, le Premier ministre a confirmé trois enveloppes : la première, destinée à la compensation du transfert de la compétence apprentissage, était de 220 millions d'euros, alors que le Gouvernement avait promis 280 millions initialement ; nous voulons la porter à 230 millions ; une deuxième enveloppe, dotée de 138 millions d'euros, très importante, contribue à financer le passage des coûts préfectoraux aux coûts au contrat ; et, enfin, une enveloppe de 180 millions d'euros pour les investissements. Il n'appartiendrait plus à l'État de répartir les enveloppes, mais à France compétences. Après le rapport de la mission d'inspection, l'engagement avait été pris que le fonctionnement relèverait de contrats de trois ans et l'investissement de contrats de cinq ans. Cet engagement de l'État sera-t-il tenu par France compétences ? Ensuite quand les régions connaîtront-elles leurs compensations financières pour mettre en place leurs nouvelles compétences en matière d'orientation ? La région Hauts-de-France ne connaît pas encore le montant exact des participations, surtout pour l'investissement, et nous sommes en train de préparer le budget ? Quand aurons-nous cette information ? Enfin, avec qui les régions pourront-elles discuter des montants qui leur seront alloués ?

Mme Corinne Féret. - Un amendement adopté à l'Assemblée nationale octroie 5 millions d'euros aux maisons de l'emploi, puisque le texte initial ne prévoyait aucun crédit. Cela reste toutefois insuffisant, au regard du rôle essentiel des maisons de l'emploi en matière de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences. Nous déposerons un amendement pour doubler ce montant.

Vous avez insisté sur le rôle des maisons de l'emploi, essentielles dans nos territoires.

Le plan d'investissement dans les compétences reprend certains dispositifs existants, comme la Garantie jeunes, mais ses crédits sont en forte diminution, à 120 millions d'euros. C'est un mauvais signal. Je pensais que la formation des chômeurs était une des priorités du Gouvernement...

Il y a certes une hausse des effectifs à Pôle emploi. C'est grâce à l'Unédic, dont la contribution augmente d'un point. Il y aura un renforcement de l'accompagnement des entreprises. C'est nécessaire. Encore faut-il que cet accompagnement ne soit pas uniquement centré sur les publics les plus éloignés de l'emploi. Avec la réforme de l'assurance chômage, nombre de personnes seront en grande difficulté, ce qui mériterait un accompagnement renforcé.

Le Calvados est concerné par le dispositif « Territoires zéro chômeur de longue durée ». À Colombelles, l'intérêt de ce dispositif pour les chômeurs éloignés de l'emploi se manifeste chaque jour. Quid pour la centaine de territoires qui sont prêts et attendent de s'inscrire dans ce dispositif ? Le montant envisagé dans le PLF semble insuffisant pour répondre à ces attentes.

Je relaie enfin une demande des organisations syndicales, qui concerne la suppression d'un certain nombre de commissions et d'instances consultatives et délibératives dans l'annexe du PLF. Je pense au Haut Conseil du dialogue social et à la Commission des accords de retraite et de prévoyance (Comarep). Supprimer ces instances de consultation et de délibération ne va pas dans le sens d'un développement du dialogue social avec les organisations syndicales, alors que sont organisées des élections dans les TPE. Il faut revenir sur cette suppression pour permettre aux représentants des salariés d'exercer leur mission.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Plusieurs questions concernent Pôle emploi. La convention tripartite est désormais signée, et nous pouvons vous communiquer les indicateurs qui ont été choisis.

Oui, nous avions prévu une trajectoire de baisse des effectifs de Pôle Emploi, pour contribuer à la baisse générale des effectifs dans le secteur public. Pour 2020, 400 emplois devaient être supprimés et 4 000 sur cinq ans. Nous avons changé d'avis sur ce sujet, car nous sommes convaincus que l'un des leviers de la réforme est un accompagnement renforcé.

Au fond, la réforme de l'assurance chômage repose sur trois piliers.

D'abord, la responsabilisation des employeurs, pour éviter un recours excessif aux contrats courts. C'est le bonus-malus et le CDDU.

Deuxième pilier, il faut rendre l'indemnisation du chômage juste - tout euro gagné doit donner droit à la même indemnisation - et incitative au retour à l'emploi, pour corriger certaines situations.

Enfin, tous les pays qui ont réussi à faire baisser le chômage de façon durable ont un accompagnement beaucoup plus proactif et rapide des demandeurs d'emploi. On le comprend bien : au bout de quatre, six ou huit mois, on se décourage, le CV n'a pas tout à fait la même allure, et le retour à l'emploi est d'autant plus difficile qu'il est tardif. Nous avons donc prévu d'augmenter les effectifs, pour un accompagnement beaucoup plus précoce. Actuellement, il y a en moyenne un rendez-vous de 45 minutes dans les deux premiers mois pour un nouveau demandeur d'emploi. Et encore, on y parle d'indemnisation ! Nous aurons désormais deux demi-journées de véritable coaching individuel et collectif. Donc, au lieu de moins 400, ce sera plus 1 000.

Et nous offrons trois accompagnements de nature nouvelle, qui améliorent et transforment l'offre de Pôle emploi.

Pour tous les nouveaux demandeurs d'emploi, il y aura ces deux demi-journées, dont on m'a dit à Nice, dans l'une des agences pilotes, que cela changeait tout et avait des effets très positifs.

Deuxièmement, toute entreprise qui, au bout de trente jours, n'aura pas eu de réponse à son offre d'emploi, sera contactée par Pôle Emploi, soit pour l'aider à reformuler son offre, parce qu'elle ne correspond pas au marché ou n'est pas attractive, soit pour remobiliser des moyens afin de trouver des ressources qui correspondent aux besoins de l'entreprise.

Troisièmement, une offre particulière sera mise en place pour ceux qui alternent les contrats très courts - intérim ou CDD très courts - et qui, de fait, ne bénéficient guère de l'accompagnement de Pôle emploi, car il faut pour cela être disponible en journée. Nous prévoyons pour ces personnes un accompagnement en soirée et en week-end.

Nous augmentons donc les effectifs, à un moment où l'emploi repart, mais où 300 000 ou 400 000 emplois ne sont pas pourvus, faute de trouver les compétences ou les bonnes personnes.

D'autre part, le financement de Pôle emploi augmente fortement. Grâce à la baisse du chômage et à l'augmentation des cotisations, nous enregistrons une hausse de plus 622 millions d'euros. Nous sommes dans une phase dynamique. S'il y a une crise dans dix ans, il faudra s'adapter. Actuellement, la priorité est l'accompagnement et le désendettement : la réforme de l'assurance-chômage a pour objectifs premiers d'accroître l'emploi et de réduire la précarité, mais n'oublions pas que l'assurance chômage est endettée à hauteur de 35 milliards d'euros... Si l'on ne commence pas à la désendetter quand cela va mieux, nous n'aurions pas de capacité de rebond en cas de crise.

Mme Frédérique Puissat. - Y a-t-il une hausse de 1 000 emplois, ou de 600 ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Il y aura 1 000 personnes physiques de plus à Pôle emploi. La numérisation fait aussi gagner beaucoup d'emplois administratifs. Au lieu de les supprimer, nous les transformons en emplois de conseil des entreprises. La capacité d'action supplémentaire dépasse donc les 1 000 personnes.

On entend tout un discours sur le risque qu'un nombre important de demandeurs d'emploi aillent vers les minima sociaux au lieu de l'assurance chômage. Nous créons pourtant des droits nouveaux pour les démissionnaires, c'est-à-dire les salariés qui ont travaillé cinq ans au moins, et veulent se reconvertir. Deuxièmement, nous créons un nouveau droit pour les indépendants. Actuellement, un agriculteur, un artisan ou un petit commerçant qui fait faillite n'a rien ! Avec la réforme de l'assurance chômage, depuis le 1er novembre, il touche pendant six mois une aide, certes modeste, puisqu'il n'y a pas de cotisation supplémentaire. Pour les demandeurs d'emploi qui gagnaient plus de 4 500 euros brut par mois, nous baissons les indemnités de 30 % au bout de six mois. Ils seront toujours à l'assurance chômage pendant deux ans, à un niveau élevé - l'un des plus hauts d'Europe, et pendant la plus longue durée. Mais le taux de chômage des cadres est aujourd'hui de 2,8 %, il n'y en a plus que chez les seniors, qui sont protégés dans la réforme.

Il faudra de nouveau, comme il y a dix ans, avoir travaillé six mois dans les deux dernières années pour entrer à l'assurance chômage au lieu de quatre mois. Mais les personnes qui ont déjà quatre mois de contrat ne sont pas les plus vulnérables. On revient, en somme, aux règles d'avant la crise, telles que les avaient définies les partenaires sociaux. C'est, aussi, un des systèmes les plus protecteurs d'Europe. Vu l'offre d'emplois actuelle, très peu de personnes seront en difficulté : beaucoup pourront trouver le mois de plus qu'il leur faut. Ce matin, par exemple, il y a 705 963 offres d'emplois disponibles à Pôle emploi. Ce n'est donc pas une précarisation. 

Enfin, en avril seront adoptées des règles pour ceux qui alternent les contrats très courts et l'assurance chômage. Le but sera - et c'est une règle de bon sens - qu'on ne puisse jamais gagner plus à l'assurance chômage que la moyenne de ce qu'on a gagné en étant salarié. Cela ne concerne qu'un demandeur d'emploi sur cinq. Leur capital de droits ne diminue pas, puisqu'ils seront indemnisés plus longtemps.

Il faut donc être précis, car il y a un vrai halo, mais si l'on regarde la réalité de la réforme, on a une vision différente.

Il a été convenu que certains secteurs puissent être exonérés de CDDU, s'il y a un accord conventionnel. Il ne faut pas tout écrire dans la loi, afin de trouver le bon équilibre entre le conventionnel et le législatif sur ce sujet. L'amendement qui a été adopté à l'Assemblée nationale fixe deux critères : une durée minimale du CDDU - un tiers des CDD en France couvrent moins d'une journée - et, au-delà d'une certaine durée, l'employeur sera tenu de proposer un CDI. La durée sera définie conventionnellement. Le but est de responsabiliser les partenaires sociaux. Et il y aura un avantage significatif pour les salariés, tout en correspondant à la réalité du terrain. J'ai tendance à faire confiance aux acteurs de la négociation sociale.

Sur la trésorerie des entreprises adaptées, je n'ai pas été alertée.

Sur l'OETH, nous n'avons pas fini le travail d'explication. La réforme responsabilise davantage les employeurs. Il y a toujours autant de sous-traitance, mais les entreprises sont responsabilisées sur les signatures de contrats à l'intérieur de l'entreprise. Beaucoup de chefs d'entreprises ne savaient pas qu'ils n'embauchaient aucun handicapé et pensaient qu'ils étaient en règle. Lorsque c'est entièrement sous-traité, ce n'est pas la société inclusive. Et entièrement à l'intérieur, quasiment aucune entreprise ne le fait. Il y a un équilibre à trouver, et un travail d'explication à conduire.

La loi d'urgence que vous avez votée le 24 décembre dernier a révélé l'existence de la prime d'activité à beaucoup de gens, ce qui a amélioré le pouvoir d'achat de beaucoup de travailleurs modestes. La forte augmentation de la prime d'activité résulte donc de deux effets : un effet de recours au droit des personnes qui avaient droit et ne le savaient pas, et un effet d'augmentation du pouvoir d'achat des travailleurs les plus modestes. Il faut tenir le coût du travail : on ne peut pas augmenter de 10 % les salaires les plus bas sans mettre en péril l'emploi. Et en même temps, il y a la question du pouvoir d'achat. La France a un système mixte, avec une économie de marché, mais régulée par un accompagnement social. Une prime d'activité, de retour à l'emploi, vaut toujours beaucoup mieux qu'une logique d'assistance, même si cette dernière est toujours nécessaire par défaut, car la prime d'activité relie le social et l'économique.

Sur le programme « Territoires zéro chômeur de longue durée », je suis allée sur le terrain, à Pipriac. La loi de 2016 limite l'expérimentation à cinq ans et à dix sites. Il y a beaucoup de demandes pour de nouveaux sites : il faut changer la loi ! Une loi pour élargir l'expérimentation ne peut se faire que si nous avons un diagnostic partagé sur la réussite du dispositif. L'essentiel du financement de ce programme repose sur le budget de mon ministère - à 90 %. Or nous parlons de 17 000 euros par ETP, auxquels s'ajoutent 5 000 euros pour contribuer à la structure. Un coût de 22 000 euros par ETP représente un investissement social important de la Nation.

Avec l'association, nous voulions d'abord un diagnostic partagé. Nous aurons le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), et celui du comité scientifique indépendant, ainsi que l'auto-évaluation de l'association. Sur ces bases, nous verrons ce qui doit être amélioré, ce qui est précieux, ce qu'il faut amplifier. Le but est de proposer une feuille de route commune. En particulier, l'activation des dépenses passives fonctionne-t-elle ? La mobilisation territoriale, elle, fonctionne très bien, notamment dans les zones rurales. Quel est le taux de réinsertion dans l'emploi ordinaire ? Il y a donc des questions. Il faut aussi être sûr que nous ne faisons pas de concurrence aux artisans et aux TPE. Il n'y a que 811 salariés concernés, en tout. Nous avions prévu un budget pour 1 000 salariés. Je ne suis pas sûr que nous les trouvions. La loi avait prévu d'aller jusqu'à 1 700 ETP. Nous prévoyons 1 750 dès 2020.

Nous ne supprimons rien, madame Féret, nous fusionnons plusieurs instances, qui se recoupaient largement dans leur objet. Le Haut Conseil du dialogue social existait parallèlement à la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle. Souvent, les mêmes personnes y siégeaient - en tout cas, les mêmes organisations. Nous les fusionnons, mais leurs missions seront reprises intégralement.

L'apprentissage est un sujet qui me tient à coeur. Le Premier ministre a annoncé aux régions que trois enveloppes, pour un total de plus de 500 millions d'euros, seraient transférées chaque année aux régions.

D'abord, une enveloppe de 180 millions d'euros, au titre de l'investissement. C'est ce qui existait déjà. Comme les régions ont également la compétence des investissements dans les lycées, il nous a paru important que ce soit le même décideur public qui soit aux commandes.

Une deuxième enveloppe de 138 millions d'euros sera déléguée aux régions. Le coût au contrat, qui est le nouveau système de financement, est plus favorable de 8 % à ce que faisaient les régions. Certains réseaux, qui étaient inquiets de la réforme, ont même demandé qu'on l'anticipe, tant elle est favorable ! Le résultat est une hausse de 8,4 % du nombre d'apprentis au premier semestre. Tous les CFA bénéficient de la réforme et peuvent se développer sans contrainte. Dans certains départements, la hausse atteint 50 %... En zone rurale, il peut y avoir de petits CFA utiles à maintenir parce que le prochain CFA est à 50 ou 100 kilomètres. L'enveloppe de 138 millions d'euros a été conçue à partir d'une analyse complète de tous les comptes d'exploitation de tous les CFA en France.

Enfin, 200 millions d'euros seront versés au titre de la compensation des régions qui n'utilisaient pas toute la taxe d'apprentissage pour l'apprentissage, mais pour un autre objet, comme prévu par la loi de décentralisation. Nous avons proposé que ce soit l'Assemblée des régions de France qui propose une clé de répartition. Nous attendons ses propositions.

Ces enveloppes figureront dans la discussion du budget chaque année. Ce que fait France compétences, c'est uniquement la discussion détaillée de la répartition de l'enveloppe. À son conseil d'administration siègent l'État, les régions et les partenaires sociaux.

Mme Michelle Meunier. - Le 12 novembre dernier, un contrôle policier visant des livreurs à vélo a été effectué à Nantes en coordination avec la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) et la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Des procédures pour travail illégal ont été engagées pour six sous-traitants de comptes, sur les huit livreurs contrôlés.

Qu'est-il prévu dans le PLF pour 2020 comme mesures de sanction et de protection des livreurs compte tenu des engagements de la France contre la traite des êtres humains ?

Par ailleurs, nous célébrons aujourd'hui le trentième anniversaire de la signature par la France de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE). Madame la ministre, je vous avais interpellée en octobre 2018 sur le cas des enfants utilisés dans des vidéos à portée publicitaire sur internet. Vous m'aviez dit que vous demanderiez une expertise à vos services sur ce sujet.

En l'absence de réponse de M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique, je vous sollicite de nouveau sur ce point. Serait-il possible selon vous d'intégrer au code du travail un moyen de régulation du travail numérique pour les enfants ?

M. Yves Daudigny. - Madame la ministre, vous avez souligné l'augmentation du nombre de créations d'emplois, dont nous nous félicitons. Pourriez-vous nous fournir une photographie de la durée moyenne de ces emplois et du niveau de rémunération moyen associé pour le premier semestre de 2019 ?

Faut-il considérer par ailleurs que le Smic, et plus largement le niveau des salaires, ont atteint un plafond qui risquerait s'il était dépassé de mettre en danger la compétitivité de nos entreprises ? En effet, dans le public comme dans le privé, les compléments de pouvoir d'achat se font sous forme de primes. Et le terme de « niveau de salaire » comme le Smic semble avoir disparu du débat public.

Mme Victoire Jasmin. - Madame la ministre, tenez-vous compte dans vos chiffres des besoins des territoires d'outre-mer (TOM) où les filières ne sont pas organisées en branches professionnelles ?

Par ailleurs, plusieurs dispositifs ont été mis en place par les gouvernements successifs en faveur de l'emploi des personnes en situation de handicap. Mais leur niveau d'embauche n'est pas satisfaisant. Il faudrait mobiliser des moyens pour y remédier, en particulier dans les services de l'État.

Enfin, j'ai eu l'agréable surprise d'être invitée récemment à une réunion de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) de Guadeloupe consacrée notamment aux emplois francs. Les chefs d'entreprise présents ont demandé pourquoi la généralisation de ces derniers ne concernerait que les quartiers prioritaires de la politique de la ville, alors que nos territoires sont marqués par un taux de chômage important. Je souhaiterais donc savoir s'il serait possible de revoir les critères de généralisation des emplois francs.

M. Guillaume Arnell. - Les créations d'entreprises innovantes sont de plus en plus nombreuses dans les TOM, les jeunes ultramarins ayant compris qu'ils ne pourraient pas tous être salariés. Les mesures d'exonération prévues au titre de l'Acre s'adressent-elles à l'ensemble des territoires, TOM compris ?

Les jeunes créateurs d'entreprise d'outre-mer sont confrontés à de nombreuses difficultés pour concrétiser leurs projets, notamment les créateurs de start-up. Ainsi, ceux d'entre eux qui sont susceptibles d'être éligibles au réseau Initiative France se voient refuser l'accès à ce réseau localement pour des raisons de domiciliation, et au niveau hexagonal, car leur projet concerne principalement un territoire ultramarin. Or ces aides sont nécessaires pour permettre aux jeunes créateurs d'entreprise de se lancer avant de pouvoir émarger à BpiFrance. Il faudrait donc encourager davantage les créations d'entreprises dans les territoires ultramarins, car les opportunités y sont nombreuses.

M. Martin Lévrier. - Madame la ministre, dans le cadre du pacte d'ambition pour l'IAE, vous avez annoncé la création, par le biais d'une start-up d'État, d'un « portail de l'inclusion ». Quels seront les services ou fonctionnalités proposés dans cette plate-forme ? Quand ce portail sera-t-il opérationnel ?

Je souhaiterais également connaître la différence entre le contrat de professionnalisation « inclusion » et le contrat de professionnalisation simple.

Par ailleurs, dans le cadre du PIC, vous avez mentionné le repérage des invisibles. Certains invisibles sont des élèves qui ont quitté le radar de l'Éducation nationale avant seize ans et que personne ne connaît. Envisagez-vous de travailler avec l'Éducation nationale pour créer des fichiers qui permettraient d'anticiper leur repérage ou est-il illusoire de le penser ?

Les CFA interbranches étaient très inquiets de la réforme de l'apprentissage. Comment s'en sont-ils sortis ? De même, les branches qui ne fonctionnaient pas ou très peu ont-elles réussi à se réformer ?

Je relaie enfin une question de Mme Patricia Schillinger : « Madame la ministre, pouvez-vous nous détailler les mesures envisagées au titre du PLF pour 2020 par la mission « Travail et emploi » pour accompagner vers et dans l'emploi les personnes en situation de handicap afin d'amplifier les efforts déjà entrepris sous le Gouvernement avec la réforme de de 2019 de l'OETH et celle des entreprises adaptées ? »

Mme Monique Lubin. - Madame la ministre, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel prévoyait le lancement d'une expérimentation visant à rendre possible la création d'entreprises d'insertion par le travail indépendant.

Quoique militante de l'IAE à titre personnel, je m'interroge sur les conséquences potentielles d'un tel système, à l'heure où de nombreuses personnes, notamment des jeunes, se laissent séduire par le miroir aux alouettes du travail indépendant et par son apparente liberté et subissent presque une forme d'esclavage moderne de la part d'entreprises de livraison ou d'autres sociétés du même type.

Favoriser la création d'entreprises d'insertion par le travail indépendant revient à inciter, par le biais de l'insertion, les personnes les plus démunies à se tourner vers cette forme de travail, ce qui ne me semble pas sans danger. Cette expérimentation a-t-elle démarré et quels en sont les résultats ? Est-il prévu de pérenniser ce système dans la loi ?

Par ailleurs, je me suis laissé dire que les crédits destinés aux associations d'insertion diminuaient. Qu'en est-il en réalité dans le PLF pour 2020 ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Madame la ministre, nous pensons évidemment que le budget n'est pas à la hauteur des besoins. Plusieurs coupes claires ont en effet été réalisées : baisse des crédits de Pôle emploi, abandon de la subvention accordée aux maisons de l'emploi en 2020, réduction drastique des emplois aidés - un coup dur pour les associations -, etc. La réforme de l'assurance chômage entraînera en outre une économie d'environ 4,5 milliards d'euros d'ici à 2022, sur le dos des chômeurs.

Par ailleurs, sont prévues également s'agissant de l'administration du travail la suppression de 256 postes dans les ministères et dans les Direccte en 2019 et la suppression de 734 postes sur trois ans.

Madame la ministre, vous avez annoncé la création de 1 000 postes supplémentaires pour Pôle emploi. En réalité, il s'agit de 950 emplois à temps plein en 2020, après les diminutions successives de 2018 (297 postes) et de 2019 (400 postes). Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur la mise en oeuvre de ce dispositif de recréation d'emplois ? Quelle sera la nature de ces emplois, des CDI ou des CDD ? Quelles missions seront-elles confiées aux agents concernés ?

L'Inspection du travail traverse une crise depuis plusieurs années. Vous annoncez la diminution annuelle de 2,5 % de ses effectifs jusqu'en 2022, alors que 2 000 départs à la retraite sont attendus cette même année. Quels moyens comptez-vous apporter pour répondre aux besoins des contrôleurs et inspecteurs du travail qui se retrouveront en sous-effectif ?

Enfin, vous devez présenter un projet de loi visant à assouplir le recours au travail après 21 heures dans les commerces alimentaires. Il serait désormais possible de travailler jusqu'à minuit sans que les heures effectuées par les salariés soient considérées comme du travail de nuit.

Actuellement, le travail de nuit après 21 heures fait l'objet de règles protectrices dans le code du travail. Cette situation concerne beaucoup de femmes, dont la vie de famille risquerait de se trouver bouleversée si elles devaient travailler jusqu'à minuit. Pensez-vous vraiment qu'il est nécessaire de porter un tel projet ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Le budget pour 2020 ne comporte pas de mesures relatives aux travailleurs de plates-formes. En revanche, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel en comporte certaines.

Plus de 90 % de ces travailleurs veulent conserver un statut de travailleurs indépendants. Mais cela ne signifie pas qu'ils ne veulent pas de protection. Je mets la nuance !

Le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) porté par Mme la ministre de la transition écologique et solidaire comporte une partie relative à l'amélioration de la protection de ces travailleurs. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel contient pour sa part des dispositions relatives au droit à la formation. En effet, de nombreux travailleurs de plates-formes ont eu peu d'autres opportunités professionnelles et sont souvent peu diplômés. De plus, ils ne veulent pas forcément rester travailleurs de plates-formes toute leur vie. Dans le cadre du compte personnel de formation (CPF), directement accessible à l'ensemble des salariés à partir d'un smartphone dès le 22 novembre, ils disposeront de 500 euros par an, comme tous les travailleurs, ainsi que de 500 euros supplémentaires fournis à notre demande par les plates-formes, soit 1 000 euros par an de financement possible pour des formations.

Ces travailleurs bénéficient déjà de l'assurance accident du travail, payée par les plates-formes. En ce qui concerne l'assurance chômage, ils font partie des auto-entrepreneurs ou indépendants dont je disais plus haut qu'ils pourraient bénéficier d'une protection minimale.

Le fait de mettre en place dans la loi des possibilités de chartes définissant des sujets comme le droit à la déconnexion ou le droit de refuser des courses me semble également important. Nous ne sommes pas au bout de ce sujet.

Nous devons aussi le traiter au niveau européen. Nous avons d'ailleurs commencé à le faire. Les plates-formes sont mondiales. Pour peser dans ce dossier, il faut être fort. Or si l'Europe définit des règles, elles auront un impact dans le monde entier. Nous faisons donc notre part du travail en France, mais cela fait partie du projet européen.

Il s'agit d'une nouvelle forme de travail, qui intéresse de nombreuses personnes, notamment des jeunes. Un système de protection adapté, digne, et similaire à celui appliqué aux autres catégories professionnelles doit donc être mis en place en conséquence.

En ce qui concerne les entreprises d'insertion par le travail indépendant, leur création répond à la demande de certains secteurs d'insertion pour les personnes les plus éloignées de l'emploi, qui ne sont pas en mesure d'accepter le salariat, car elles ne peuvent assumer une responsabilité, même pour quelques jours. Je pense notamment à Lulu dans ma rue, qui travaille beaucoup avec des chômeurs de très longue durée et des SDF et qui souhaite pouvoir lancer une entreprise de travail temporaire d'insertion (ETTI) afin de leur proposer des « petits boulots » d'une à deux heures. L'idée est de mener cette démarche dans un but d'insertion, afin de les conduire progressivement, en augmentant petit à petit le nombre d'heures travaillées, vers l'emploi ordinaire et le salariat, par le biais d'une formule sur mesure adaptée à leurs besoins. Jusqu'à présent, de telles démarches étaient tolérées, mais le droit actuel ne permettait pas réellement ce genre d'expérimentation, même sous la forme de contrats courts, compte tenu du risque de licenciement auquel ces personnes s'exposent au moindre refus d'accomplir une tâche. Cette formule est réservée à ce type d'association, sous contrôle de l'État.

Par ailleurs, l'absence d'organisation des branches professionnelles en outre-mer a bien été prise en compte dans le travail mené avec les parlementaires pour l'adaptation de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel aux spécificités des outre-mer. Ainsi, toutes les branches doivent être représentées dans les opérateurs de compétences (OPCO), mais un opérateur peut représenter plusieurs branches.

L'ordonnance du 28 août 2019 portant adaptation des dispositions de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel aux collectivités d'outre-mer régies par l'article 73 de la Constitution et à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon est publique. Le projet de loi de ratification a été adopté en conseil des ministres le 13 novembre et vous sera présenté courant 2020.

Cette adaptation, que nous avons bâtie ensemble, me semble pertinente et réaliste.

S'agissant des emplois francs, tous les territoires d'outre-mer sont éligibles à leur généralisation depuis le 1er avril 2019. De plus, ces emplois sont effectivement destinés aux habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville, qui subissent une discrimination à l'embauche, mais ils ne sont pas censés être situés dans ces mêmes quartiers. Leurs bénéficiaires peuvent donc être embauchés partout, en métropole comme en outre-mer.

M. René-Paul Savary, président. - Cela ne règle peut-être pas le problème de Mme Jasmin !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Nous avons également annoncé le lancement du plan Priorités et rassemblement pour l'emploi local (Petrel) avec le Président de la République à La Réunion le 23 octobre dernier. Cela n'interdit pas d'inventer ou d'adapter des mesures en outre-mer. Mais cela devrait à mon sens bien fonctionner.

Les mesures d'exonération prévues au titre de l'Acre concernent par ailleurs l'intégralité du territoire français, quels que soient le lieu de création de l'entreprise concernée et sa vocation - d'outre-mer vers la métropole ou d'outre-mer vers l'outre-mer.

Les crédits destinés à l'IAE ne diminuent pas quant à eux, mais augmentent. Le PLF pour 2020 prévoit en effet plus d'un milliard d'euros pour ce secteur, qui n'a jamais bénéficié d'un tel budget en France. Cette mesure contribuera à l'augmentation du nombre de bénéficiaires, qui passera de 140 000 à 240 000 d'ici à 2022. Jamais nous n'avons autant cru ni autant investi dans l'IAE. Pour ma part, j'y crois beaucoup.

Le portail de l'inclusion est en cours de développement. Les premiers résultats sont attendus à la fin du premier trimestre de 2020. Ils prendront la forme d'une maquette que nous pourrons tester. Le but est de favoriser la rencontre entre l'offre et la demande, entre l'entreprise et le prescripteur. Nous y croyons beaucoup, car les mises en relation multiplient les capacités d'innovation.

Je le constate particulièrement à travers les clubs d'entreprises que le Président de la République nous a incités à créer dans les départements dans le cadre de l'initiative « La France, une chance. Les entreprises s'engagent ! » En six mois, 90 clubs ont déjà été créés. Et 7 000 entreprises sont prêtes à s'engager - sur le handicap, l'IAE, les réfugiés, les seniors, ou d'autre thématique. Notre tissu de PME est donc prêt à s'engager.

Nous nous efforçons donc par ce biais de favoriser la rencontre entre l'offre et la demande, notamment dans les politiques d'achat. Les entreprises veulent bien faire, mais ne savent pas, souvent, à qui s'adresser. Les clubs pourraient constituer une réponse à ce problème.

En ce qui concerne les invisibles, nous travaillons avec l'Éducation nationale sur les listes des élèves décrocheurs. Le service national universel (SNU) pourra également représenter un levier dans ce domaine. Les premières expérimentations du SNU ont en effet permis de constater que de jeunes décrocheurs y voyaient un moyen de « raccrocher ». Nous travaillons sur ce point avec M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, pour voir comment nous pourrions engager le contact avec eux au cours de leur service.

L'appel à projets « 100 % Inclusion - La fabrique de la remobilisation », du PIC comporte par ailleurs de nombreuses mesures pertinentes - par le sport, la culture, etc. Il faut aller chercher les jeunes invisibles là où ils sont, en zone rurale, au bas des immeubles - au moyen par exemple de bus itinérants - et ne pas attendre qu'ils viennent de leur propre initiative.

Par ailleurs, les CFA interbranches inquiets de la réforme de l'apprentissage ne sont plus très nombreux. En revanche, des inquiétudes ont été exprimées en fin d'année 2018 du fait de la baisse drastique des budgets décidée par de nombreuses régions sous prétexte que le pouvoir de régulation de l'apprentissage leur serait retiré l'année suivante. Nous avons dû venir secourir certains établissements. Je trouve cette absence de continuité de l'action publique assez choquante.

S'agissant de l'emploi des personnes en situation de handicap, nous disposons de quatre leviers. Les premiers sont le développement des entreprises adaptées et la réforme de l'OETH, qui permettra de créer 100 000 emplois supplémentaires dans les entreprises, l'obligation d'emploi de 6 % n'étant plus calculée par établissement mais par entreprise, ce qui aura une incidence importante sur les entreprises en réseau. Je souhaite évoquer également le travail que nous menons avec Mme la secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées en matière d'apprentissage. Dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, nous avons exigé la nomination d'un référent handicap dans chacun des CFA, alors que les apprentis en situation de handicap ne représentent que 1 % des effectifs globaux d'apprentis. Nous visons les 6 %. Par ailleurs, 8 % du public du PIC est composé de personnes en situation de handicap.

Monsieur Daudigny, le Smic continue d'augmenter chaque année, selon la règle d'indexation en vigueur, du fait de l'inflation et de la moyenne de l'augmentation des salaires des ouvriers et des employés. À titre d'exemple, le Smic est passé de 9,88 euros à 10,03 euros de l'heure au 1er janvier 2019. Nous ne connaissons pas encore les chiffres pour 2020.

Nous avons diminué le coût du travail en supprimant une bonne partie des charges patronales, ce qui favorise l'accès à l'emploi. Il faut cependant toujours trouver l'équilibre entre le salaire et l'emploi. Je pense qu'il faut que le Smic continue à évoluer en fonction des indicateurs que j'évoquais plus haut. Et nous devons aller plus loin.

Le salaire minimum est plus élevé en France que dans d'autres pays d'Europe. Nous nous efforçons d'inciter les autres pays à rehausser leurs standards en la matière pour ne pas mettre en péril la compétitivité et l'emploi tout en augmentant les conditions sociales dans toute l'Europe. C'est pourquoi nous avons milité dans la feuille de route européenne en faveur de l'instauration d'un Smic dans chaque pays - à travail égal, salaire égal dans le travail détaché.

Il faut également, surtout, que les branches fassent entièrement leur travail. Certaines l'ont fait, mais d'autres doivent encore le faire. Une fois le Smic augmenté, il convient en effet de relever tous les niveaux supérieurs de rémunération, afin d'éviter un « écrasement » global des salaires au niveau du Smic. Un travail important est à mener sur ce point, notamment dans les conventions collectives des secteurs où de nombreuses femmes sont embauchées.

Ce sujet a occupé une place importante dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Je rappelle que l'index de l'égalité salariale femmes-hommes et l'obligation de résultat sont en oeuvre pour 7 000 entreprises de plus de 250 salariés. Au 1er mars prochain, cet index concernera 40 000 entreprises - toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Cela concerne 4,5 millions de femmes qui verront potentiellement leurs perspectives de carrière et de rémunération augmenter.

La question du Smic contient donc à mon sens la question plus large des bas salaires, qui concerne particulièrement les femmes. L'index permettra d'agir dans ce domaine dans les secteurs les plus touchés.

La question portant sur le travail numérique des enfants est importante. Il existe un régime spécifique d'autorisation et de contrôle du travail des enfants dans le monde du spectacle. Ce régime est très protecteur et très exigeant, mais bien équilibré. La question qui se pose est la suivante : comment caractériser toutefois l'activité numérique ? S'agit-il d'une activité de travail ? Comment caractériser en ce cas la quantité du travail effectué ? Qu'en est-il du respect des obligations ? Et du rôle des parents ? Une autorisation parentale est en effet requise dans le monde du spectacle, ainsi qu'une autorisation spécifique délivrée notamment par la Direccte. Un travail est en cours entre le ministère du travail, le ministère de la justice et le ministère de la culture sur ce sujet.

Mais il est vrai que le droit ne s'est pas encore prononcé sur cette question. Il serait bon d'y remédier pour éviter les dérives.

Mme Michelle Meunier. - Les pratiques existent, mais pas la loi.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. - En effet. Je vous signale aussi que la France vient de prendre la présidence de l'Alliance 8.7, qui correspond à la cible 8.7 des objectifs de développement durable de l'Organisation des Nations unies (ONU) contre le travail des enfants et le travail forcé. J'ai présidé une table ronde le 12 novembre dernier au forum de Paris pour la paix. Il existe 150 millions d'enfants qui travaillent dans le monde. C'est un sujet majeur.

Le travail des enfants n'existe pas nos pays, sauf dans ces zones d'ombre que nous nous devons de vérifier et où nous devrons nous montrer tranchants dans l'exécution de notre position une fois qu'elle aura été clarifiée. Reste à voir comment caractériser le droit dans ce domaine.

Par ailleurs, nous avons également des responsabilités sur ce point au vu des difficultés de contrôle des sous-traitants de sous-traitants de sous-traitants de grandes entreprises internationales. Nous avons pris des engagements avec les grandes entreprises sur ce sujet, qui nous tient tous à coeur.

Enfin, s'agissant des services, je vois beaucoup d'agents Pôle emploi sur le terrain. Je tiens à saluer leur action, leur engagement et leur professionnalisme, d'autant plus impressionnants compte tenu de la difficulté de leur métier.

L'annonce des emplois supplémentaires a été saluée, d'autant que cela n'était pas arrivé depuis longtemps. Les nouvelles offres l'ont été également. Tout ce qui donne du sens au travail est un élément de motivation.

Enfin, tous les services contribuent à la baisse des dépenses de l'État. Concernant l'inspection du travail, cette contribution porte moins sur les effectifs de contrôleurs et d'inspecteurs que sur les emplois administratifs. En effet, nous sommes en train de rationaliser ces emplois, notamment par le regroupement de plusieurs services. Le nombre d'inspecteurs du travail par rapport au nombre de salariés d'entreprises est pour sa part supérieur aux normes de l'Organisation internationale du travail (OIT) et doit le rester.

Nos quatre priorités sont la lutte contre le travail illégal, la lutte contre la fraude au travail détaché, les sujets relatifs à la santé au travail - accidents du travail, chutes de hauteur, etc. - et l'index sur l'égalité hommes-femmes.

M. René-Paul Savary, président. -Merci beaucoup.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 25.