Mercredi 8 janvier 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons ce matin une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France. À cette occasion, nous allons mettre en oeuvre, pour la seconde fois, la procédure de législation en commission (LEC), qui figure aux articles 47 ter à 47 quinquies de notre Règlement. En vertu de la réforme du Règlement du Sénat adoptée le 14 décembre 2017, la Conférence des Présidents peut mettre en oeuvre la procédure de LEC sur tout ou partie d'un projet de loi ou d'une proposition de loi ou de résolution. Le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement sur les articles concernés s'exerce alors uniquement en commission, tandis que la séance plénière est centrée sur les explications de vote et le vote lui-même. Nous accueillons ce matin M. Jean-Raymond Hugonet, élu d'Île-de-France, auquel je donnerai bien volontiers la parole même s'il n'a pas déposé d'amendement.

Proposition de loi visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France - Procédure de législation en commission (article 47 ter à 47 quinquies du Règlement) - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Sophie Primas, rapporteur. - La proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France, a pour but de pérenniser une expérimentation lancée le 28 février 2017. Le Sénat avait proposé cette initiative au cours de la discussion du projet devenu loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain. Prévu pour une durée de trois ans, le dispositif expérimental a démontré son utilité sur le terrain mais il arrive bientôt à son terme, et il risque de s'éteindre si le législateur n'intervient pas pour le pérenniser.

C'est l'objet du texte. Il s'agit de protéger la forêt francilienne, poumon vert de la région la plus densément peuplée de l'hexagone, particulièrement exposée au phénomène de mitage forestier. Concrètement, des parcelles de petite taille sont vendues, pour un prix élevé, à des particuliers, et font ensuite l'objet d'un usage non conforme à leur vocation naturelle ou à leur classement dans les documents d'urbanisme. Il en résulte un processus de « cabanisation ».

Le mécanisme retenu pour contrecarrer cette évolution a été de créer un droit de préemption de petites parcelles forestières - moins de trois hectares - situées dans des zones bien délimitées, au profit de la seule Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) d'Île-de-France.

Pour satisfaire les exigences constitutionnelles, le législateur a choisi en 2017 d'adopter un dispositif expérimental, conformément à la méthode définie par l'article 37-1 de la Constitution et aux conditions posées par la jurisprudence. Notre droit admet ainsi certaines dérogations au principe d'égalité sous réserve de leur caractère explicite, de leur limitation dans le temps et de la réalisation d'un bilan de l'expérimentation. Le délai butoir de ce dispositif est la fin du mois de février prochain.

Les députés ont examiné ce texte en commission des affaires économiques puis l'ont adopté le 28 novembre en procédure simplifiée. La perspective d'un élargissement du périmètre du dispositif ou d'un assouplissement de ses critères d'application a été écartée. À l'initiative de la rapporteure Aude Luquet, un texte identique au droit en vigueur a été adopté par les députés - en supprimant, bien entendu, le délai d'expérimentation de trois ans - ce qui permet d'écarter le risque de non-conformité à la Constitution.

Le succès de l'expérimentation est le critère fondamental pour nous permettre d'évaluer le bien-fondé d'une pérennisation. C'est également une condition de validité essentielle selon le juge constitutionnel : celui-ci vérifie, en effet, que la pérennisation ou la généralisation d'un dispositif dérogatoire repose bien sur une évaluation solide et convaincante de sa mise en oeuvre. Or le bilan de la mise en oeuvre du nouveau droit de préemption démontre bien la nécessité de pérenniser le dispositif. En effet, cette mesure législative a été activée environ 200 fois au cours des trois dernières années. Dans une centaine de cas, elle a permis à elle seule d'éviter des cessions de parcelles qui risquaient d'aggraver le mitage de la forêt francilienne, conformément à la volonté du législateur. La mise en oeuvre de ce droit a concerné des parcelles de très petite surface, ce qui minimise d'éventuelles atteintes aux droits des propriétaires forestiers et permet de lutter contre le morcellement excessif de la forêt francilienne. Enfin, notre droit ne comporte pas d'outils alternatifs d'une efficacité préventive comparable car, lorsqu'une parcelle est vendue, illégalement défrichée et artificialisée, il est particulièrement difficile, et souvent trop tard, pour intervenir en préservant l'intégrité des espaces boisés franciliens.

S'agissant de la conformité juridique de ce texte, qui ne s'applique que sur une portion du territoire hexagonal, on peut d'abord citer, comme précédent, la décision du Conseil constitutionnel qui a validé la création d'une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux en Île-de-France. Le juge a pris en considération les « difficultés spécifiques » qui se manifestent sur ce territoire « avec une acuité particulière ». D'autre part, un récent arrêt Conseil d'État indique que la pérennisation locale d'une expérimentation n'est pas incompatible avec le droit en vigueur si elle est justifiée par une différence de situation.

Pour justifier la nécessité d'un dispositif spécifique à la forêt francilienne, il convient de rappeler que celle-ci est trois fois plus morcelée que dans l'ensemble de l'hexagone, avec des parcelles d'une superficie moyenne d'un hectare, ce qui affaiblit son potentiel de gestion et de protection. Sa superficie de 261 000 hectares correspond à un taux de boisement de 21 % pour l'Île-de-France, contre 31 % en moyenne ailleurs en France, mais cet espace forestier doit être d'autant plus préservé qu'il bénéficie à 12 millions d'habitants, dans la région la plus densément peuplée de l'hexagone.

Je préconise donc l'adoption conforme de la proposition de loi pour pérenniser ce texte opérationnel et utile. Je souligne que toute modification, y compris de l'intitulé, impliquerait de repartir en « navette », au risque de voir s'enliser la procédure. Afin de garantir aux acteurs de terrain la lisibilité et la stabilité juridique dont ils ont besoin, je préconise une adoption conforme de ce texte.

M. Didier Guillaume, ministre. - J'approuve l'usage de la procédure de LEC pour des textes consensuels comme celui-ci et le Gouvernement approuve votre rapport. Cette proposition de loi a été présentée le 20 novembre à l'Assemblée nationale. Cette expérimentation de trois ans s'achevant, il fallait la pérenniser. C'est l'objet de ce texte, avec un seul objectif : celui de la protection et de la mise en valeur de la forêt francilienne, en tenant compte de sa spécificité. L'expérimentation avait été lancée à la demande d'élus d'Île-de-France qui souhaitaient depuis longtemps que la Safer soit autorisée à étendre sa protection des espaces boisés, ces derniers étant concernés par un phénomène de mitage beaucoup plus fort qu'ailleurs. Les résultats de l'expérimentation, depuis février 2017, sont très positifs. La Safer d'Île-de-France a exercé son droit de préemption à 510 reprises. Dans 198 cas - soit 39 %, les préemptions ont été motivées par l'objectif, nouvellement créé, de protection et de mise en valeur de la forêt. La surface moyenne d'intervention est de 5 289 mètres carrés par vente - ce qui montre que les parcelles sont de très petite taille. Aussi, 180 préemptions demandées par des collectivités locales ont été réalisées par la Safer d'Île-de-France dans un but de protection des espaces boisés. Les interventions à la demande de propriétaires forestiers ont été peu nombreuses - 18 cas seulement. Bref, l'utilité de ce dispositif expérimental est largement reconnue. Il a évité des défrichements illégaux et des artificialisations. Le Gouvernement est donc favorable à ce texte, tout comme le Centre national de la propriété forestière, d'ailleurs.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Ce sujet fait en effet l'unanimité. C'est un problème d'aménagement que soulèvent la « cabanisation » et le mitage de l'espace forestier. Il ne s'agit pas d'une stratégie portant sur des unités de gestion économique, ou d'une démarche sylvicole, mais de la réponse à un problème très localisé de mitage et de « cabanisation » : la filière bois n'est pas impliquée dans ce débat. Je souhaite que nous trouvions rapidement une unanimité pour avancer sur ces sujets.

M. Laurent Duplomb. - Je soutiens ce texte : il est important de faire attention aux espaces boisés, surtout en milieu quasi urbain ou périurbain. J'insiste sur le fait que, pour autant, il ne s'agit pas d'une mise « sous cloche » de la forêt concernée. Ce texte n'a pas vocation à devenir une loi pseudo-démago-environnementale ! On doit pouvoir continuer à exploiter la forêt, en retirer les fruits et en couper des arbres afin qu'elle se régénère. Lorsque les collectivités territoriales demandent l'application du droit de préemption, cela ne doit pas se traduire par une mise sous cloche. Nous avons besoin de ces hectares pour développer la filière bois.

Par ailleurs, il subsiste une problématique française de la petite parcelle. Il faudra trouver des solutions pour aménager notre forêt, monsieur le ministre, afin qu'on puisse l'exploiter correctement. Dans mon département, la surface de la forêt représente 40 % de la surface totale mais certains propriétaires ne savent même pas qu'ils possèdent une parcelle forestière. Nous devons moderniser l'exploitation forestière.

M. Daniel Gremillet. - Je partage totalement ce qui vient d'être dit. Rappelons que si la forêt a autant d'intérêt aujourd'hui pour nos concitoyens, c'est parce qu'il y a eu de la sylviculture, que des arbres ont été coupés, qu'il y a eu des éclaircies, une régénération, et aussi parce que des arbres ont été plantés régulièrement. Nous ne devons pas sortir de son contexte ce qu'est la forêt française. Si elle est belle aujourd'hui, c'est parce qu'on en a tiré beaucoup de substance forestière, et parce que les hommes ont eu la sagesse de replanter, de régénérer et d'entretenir régulièrement les peuplements. Or, y compris dans les massifs très forestiers, on rencontre de plus en plus de difficultés dans l'exploitation forestière. Pourtant, celle-ci apporte des réponses au défi climatique qui est devant nous. Nous ne devons pas l'utiliser dans un sens contraire à l'intérêt de la société et de la forêt elle-même. Il y a vraiment un sujet en France sur la forêt dont il faut que nous nous occupions. On s'inquiète de l'Amazonie, de ce qui se passe en Australie, mais nous avons aussi des problèmes en France !

M. Franck Menonville. - Je soutiens ce texte, qui va dans le bon sens, et concrétise une expérimentation menée depuis plus de deux ans, pour lutter contre des détournements d'usage de la forêt en Île-de-France, mais aussi dans d'autres espaces périurbains. La forêt est un espace de biodiversité, c'est un espace de production, qui doit être géré en évitant les détournements d'usage. Il y a aussi de petites forêts privées qui sont sous-exploitées et il faudrait rationaliser tout cela par des regroupements.

M. Marc Daunis. - Les dérèglements climatiques portent des atteintes à nos forêts. Dans les Alpes-Maritimes, toute une partie de la forêt souffre suite à du stress hydrique et en raison de phénomènes climatiques assez puissants. Une mutation de l'espace forestier est donc nécessaire. Si elle n'est pas anticipée par une intervention forte en partenariat avec le privé, l'exemple australien nous montre que nous risquons des pertes considérables. Nous savons que de telles mutations nécessitent beaucoup de temps. Vu l'accélération des changements liés au dérèglement climatique, nous ne pouvons pas laisser faire la nature toute seule. Les moyens à mobiliser seront importants et toutes les énergies seront nécessaires. Un cadre d'impulsion normatif reste à déterminer.

M. Didier Guillaume, ministre. - Oui, la forêt doit évoluer, il faut savoir couper des arbres. Pour autant, ce texte ne vise qu'à prolonger l'expérimentation en Île-de-France. Je connais la spécificité de la forêt méditerranéenne, qu'il faut absolument entretenir, car elle fournirait une terrible quantité de combustible...

Mme Sophie Primas, rapporteur. - En effet, seule l'Île-de-France est concernée, et seules les parcelles de moins de trois hectares sont visées par le dispositif que nous examinons. D'ailleurs, l'expérimentation nous a montré que c'est plutôt sur des parcelles d'un demi-hectare que portent les préemptions. Il s'agit d'espaces qui, en général, ne sont pas exploités. Bref, rien dans ce texte n'est contraire à l'objectif, qui doit être le nôtre, d'améliorer la gestion de la forêt française, y compris sur la problématique du morcellement et du nombre extrêmement élevé de propriétaires forestiers qui s'ignorent. En Île-de-France, l'Agence des espaces verts est aussi un acteur très important pour la protection de la forêt, avec l'Office national des forêts.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Mme Sophie Primas, présidente. - La proposition de loi sera examinée en séance publique le 14 janvier après-midi.

Communications diverses

Mme Sophie Primas, présidente. - Mardi 14 janvier, nous examinerons les amendements de séance de la proposition de loi modifiant la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous afin de préserver l'activité des entreprises alimentaires françaises (loi Égalim).

Mercredi 15 janvier, nous recevrons M. Jean-Louis Borloo pour débattre de la politique de la ville.

À la suite de l'audition de M. Laurent Castaing, directeur des Chantiers de l'Atlantique, je vous propose la création d'une mission flash sur l'avenir des Chantiers de l'Atlantique, dont je serai le rapporteur en associant nos collègues Martial Bourquin et Alain Chatillon qui travaillent sur les questions industrielles. Cette mission doit aboutir rapidement à un rapport court et incisif que je souhaiterais pouvoir vous présenter début mars au plus tard.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 9h5.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.