Lundi 20 avril 2020

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente de la Délégation aux entreprises -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition de M. Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises du ministère de l'économie et des finances, afin de faire le point sur l'impact de la crise du coronavirus sur les ETI-PME-TPE et la préparation de la sortie de crise

Mme Élisabeth Lamure, Présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises, a présenté le Médiateur des entreprises (www.economie.gouv.fr/mediateur-des-entreprises) en rappelant le service de médiation gratuit et confidentiel qu'il propose aux entreprises en cas de conflit - notamment lié aux délais de paiement, en s'appuyant sur des équipes expérimentées réparties sur l'ensemble du territoire.

Interrogé par la Présidente sur l'évolution du nombre de saisines depuis le début de la crise liée au Covid-19, sur les motifs de ces saisines, sur la photographie des secteurs les plus touchés, et sur les dangers actuellement liés aux crédits interentreprises, M. Pierre Pelouzet a tout d'abord rappelé que la médiation avait été instaurée en 2010, en réponse à la crise de 2008. Depuis son arrivée en 2012, il a constaté un élargissement du champ traité, initialement limité à l'industrie. Aujourd'hui la médiation concerne tous les sujets - délais de paiement, ruptures de contrats, propriété intellectuelle, etc.- et intervient entre acteurs privés mais également entre acteurs privés et publics, lorsqu'il s'agit de conflits constatés dans le cadre de marchés publics.

Le Médiateur s'appuie sur une soixantaine de personnes en région, dont une trentaine travaillant au sein des Directions Régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi (Direccte) et une trentaine de relais nationaux bénévoles, anciens chefs d'entreprise, magistrats, etc. dont le nombre va être appelé à croître prochainement.

Dans 95 % des cas, la médiation est demandée pour une petite entreprise (TPE, PME, artisan) en conflit avec une entreprise beaucoup plus grande. Le contact direct avec les services du médiateur et la confidentialité ont pour objectif d'organiser le plus rapidement possible un dialogue équilibré afin que les parties trouvent un terrain d'entente et puissent continuer à travailler ensemble. Entre les sollicitations et les saisines en médiation, l'activité représente en temps normal une soixantaine de dossiers par semaine, contre une centaine par an en 2010. Depuis quelques semaines ce chiffre a atteint 650 dossiers, dont 50 à 60 % concernent un retard de paiement, les autres demandes étant surtout liées à une difficulté dans une rupture de contrat ou encore l'appréhension de la question de force majeure.

Pour faire face à l'afflux de demandes liées aux délais de paiement, le Médiateur des entreprises et la Médiation du crédit ont mis en place un comité de crise (www.economie.gouv.fr/mediateur-des-entreprises/mise-en-place-comite-crise-delais-paiement). Cette initiative résulte d'une proposition conjointe avec le gouverneur de la Banque de France et a pour but de réunir l'ensemble des acteurs de la direction d'entreprises françaises, avec les organisations socio-professionnelles (AFEP, CPME, MEDEF, U2P) et les chambres consulaires (CCI, CMA), pour les amener à porter le même message sur l'importance cruciale du crédit inter-entreprises. Ce comité fonctionne sur la base de la remontée d'information sur les cas les plus structurants. Deux types d'actions sont prévus. Tout d'abord si des comportements anormaux sont détectés, le comité intervient auprès des directions générales des entreprises concernées, ce qui se traduit par un changement d'attitude et une réaction positive de la part des intéressées. Ensuite, le comité valorise publiquement les entreprises exemplaires ayant mis en place des actions solidaires vis-à-vis de leurs partenaires commerciaux, notamment via le paiement accéléré des fournisseurs. Ainsi une dizaine d'entreprises ont été mises à l'honneur lors d'une publication récente du comité.

Interrogés par plusieurs sénateurs sur des sujets fiscaux (paiement de la taxe à l'essieu), bancaires (prêt garanti par l'État), et sur les problématiques liées aux salariés ne souhaitant pas venir travailler en raison du risque sanitaire, M. Pierre Pelouzet a rappelé la compétence des Direcctes, de la Médiation du crédit et du ministère du travail, tout en proposant de servir d'intermédiaire si aucune réponse n'était apportée par les services concernés en raison d'un trop grand afflux de demandes.

Sur les difficultés liées à la sortie du confinement, notamment dans les secteurs touristique et de l'horticulture, évoquées par M. Michel Canevet, M. Pierre Pelouzet a insisté sur l'utilité de la médiation pour favoriser une intelligence collective, notamment entre clients et fournisseurs, qui seule permettra d'éviter à tous les acteurs économiques d'aller « droit dans le mur ». Ainsi l'attitude consistant à décider de pénalités de retard, alors que tout le monde est confronté à des difficultés d'approvisionnement, serait une très mauvaise solution pour toute l'économie. Le dialogue peut aider les partenaires commerciaux à trouver des solutions.

Interrogé par la Présidente sur les inquiétudes liées à l'assurance-crédit ou aux cas où l'État est « mauvais payeur », M. Pierre Pelouzet a tout d'abord rappelé la compétence de la Médiation du crédit sur le premier sujet qui constitue un sujet majeur quotidien de préoccupation ; il a ensuite confirmé son rôle dans le cadre des marchés publics. Si l'État a fait des efforts en matière de paiement, il existe encore des tensions avec des collectivités territoriales, notamment des petites communes qui ont récemment été victimes de la désorganisation liée au télétravail. Les récentes mesures offrant des facilités aux trésoriers payeurs ont permis de progressivement faire face à ces situations.

Aux questions suivantes de la Présidente sur les secteurs les plus touchés et sur la question du paiement des loyers commerciaux, M. Pierre Pelouzet a indiqué que si tous les secteurs sont concernés par la crise, certains le sont de façon plus ample comme le commerce, le BTP et l'hôtellerie-restauration. Concernant les baux commerciaux, une alerte a été transmise au ministre et, compte tenu de la montée en puissance de ce sujet, un médiateur va être prochainement désigné pour le traiter, avec la perspective d'un dialogue avec les plus grandes structures afin d'établir des bonnes pratiques. La médiation concerne évidemment également les petits bailleurs, dont les loyers représentent souvent une grande partie de leurs revenus.

Interrogé par M. Michel Canevet sur la gestion des stocks dans le secteur événementiel, notamment culturel, il a ensuite confirmé que la question du paiement est essentielle en cas de report des événements car elle peut concerner le fournisseur comme l'organisateur de l'événement. Une aide au cas par cas peut être apportée par la médiation car « aucune partie n'a intérêt à ce que tout s'écroule ».

En réponse à une question de M. Guy-Dominique Kennel relative aux pénalités de retard, le Médiateur a indiqué que ces dernières sont généralement prévues dans les contrats et évaluées en fonction de l'impact du retard sur le produit fini. Si l'État a pu décider de supprimer ces pénalités dans le cadre des marchés publics, il ne peut évidemment pas l'imposer aux acteurs privés. C'est toutefois un sujet traité dans le cadre de la médiation.

Concernant la médiation, l'accord étant celui des parties, il est en général respecté. Il peut en revanche arriver qu'une nouvelle médiation soit organisée pour traiter les sujets non couverts dans un premier temps. Le délai moyen de médiation est de deux ou trois mois au plus. Compte tenu de la dématérialisation des actions de médiation liée au confinement, les délais sont actuellement raccourcis. D'ailleurs les demandes aux Médiateur des entreprises sont centralisées afin de garantir une réponse dans un délai maximal d'une semaine, et ainsi gérer l'afflux exceptionnel de sollicitations dans certains territoires. Certaines médiations non urgentes ont été reportées afin de permettre une rencontre physique.

Interrogé par la Présidente sur l'ambiance ressentie, le Médiateur a évoqué un effet de sidération constaté dans un premier temps par les entreprises, qui ont apprécié les mesures d'aides décidées par l'État pour traiter les sujets de trésorerie (chômage partiel, fiscalité, etc.). Les dirigeants s'approprient au fur et à mesure la nouvelle donne et sont passés du choc à la préparation de la sortie pour reprendre une activité économique optimisée dans les conditions sanitaires requises.

Soulignant cette note optimiste, Mme Élisabeth Lamure a rappelé que la Délégation insiste régulièrement sur le dynamisme et le courage des entreprises françaises dont chacun peut être fier, et plus particulièrement en ce moment. C'est la raison pour laquelle tout doit être fait pour les aider aujourd'hui.

M. Martial Bourquin est revenu sur la question des délais de paiement dont les retards de la part des grands donneurs d'ordre représentent en général environ 13 milliards d'euros. Revenant sur les mesures annoncées récemment à l'encontre des entreprises en faute pour juguler ce phénomène, il a souhaité connaître la situation précise constatée actuellement. L'aggravation de la situation liée à la crise sanitaire du Covid 19 a été confirmée par le Médiateur. Les derniers chiffres relevés à la fin du mois de mars montrent que les incidents de paiement ont triplé. C'est précisément le rôle du comité de crise d'intervenir dans ces situations. L'intervention directe auprès des dirigeants des grandes entreprises (entre 20 et 30 depuis la constitution du comité), parfois étonnamment concernées par des difficultés de trésorerie ou organisationnelles, est positive puisqu'un changement immédiat de comportement est en général constaté. La possibilité de publicité des mauvais comportements (name and shame) et le retrait de la garantie de l'État pour les prêts constituent certainement des outils efficaces. Tout demandeur de prêt garanti doit d'ailleurs cocher une case l'engageant à respecter les délais de paiement de ses fournisseurs. Il faut noter une attitude irrationnelle étonnante de la part de certaines moyennes ou grandes entreprises, comparable à celle des consommateurs dévalisant les rayons des supermarchés, qui ont bloqué les paiements avant même de constater un problème.

Mme Martine Berthet est revenue sur le thème des résidences de tourisme, question particulièrement prégnante en Haute-Savoie, et s'est interrogée sur les éventuelles médiations mises en place à leur égard et compte tenu de leurs difficultés à payer leurs loyers. Si le Médiateur n'avait pas de données spécifiques dans ce domaine, il a rappelé le travail ciblé du ministre de l'Économie et des Finances quant aux problématiques relevant du domaine de l'hôtellerie et restauration, domaine qui a souffert en premier et qui souffrira plus longtemps des effets de la crise sanitaire du Covid 19. Il a laissé entendre que les difficultés de ce type d'établissements seraient peut-être davantage résorbées via une aide d'État.

Interrogé sur l'accroissement du nombre de ruptures de contrats, le Médiateur a évoqué de nombreux contrats interrompus très brutalement, notamment dans le domaine de l'évènementiel suite aux annulations générales dans ce domaine, et sans aucun dédommagement pour beaucoup de prestataires. Il a expliqué que les médiations menées avec les acteurs de l'évènementiel cherchaient à mettre en avant la possibilité du paiement d'une partie de la prestation, même si l'événement est reporté, et cela pour permettre la survie de prestataires qui ne seront peut-être plus capables de mener une activité dans quelques mois.

Interrogé sur les modalités de saisine du Médiateur des entreprises, M. Pelouzet a expliqué que le Médiateur relevait d'une saisine exclusive par les chefs d'entreprise. Il a cependant ajouté qu'il était souvent interpelé par des élus, des chambres consulaires ou des experts comptables pour le compte d'entreprises en difficulté et qu'il encourageait ces acteurs à transmettre à ces entreprises les coordonnées du Médiateur. Il convient de ramener de l'intelligence collective ; la discussion et l'écoute réciproque y contribuent.

Enfin, Mme Annick Billon a interrogé le Médiateur sur les secteurs plus particulièrement représentés parmi les 600 à 650 demandes de médiation reçues par semaine, en forte augmentation par rapport à la soixantaine de cas recensés par semaine habituellement. Elle a évoqué l'inquiétude des entreprises quant à la stratégie nationale de sortie du confinement et aux difficultés à venir dans la mise en oeuvre des gestes barrières et des mesures sanitaires exceptionnelles. En réponse,

M. Pelouzet a indiqué que les demandes reçues concernaient tous les secteurs de l'économie, avec trois secteurs représentant plus de 10 % des demandes : le commerce, le BTP et l'hôtellerie- restauration.

La réunion est close à 15 h 30.