Mardi 23 juin 2020

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La téléconférence est ouverte à 15 heures.

Table ronde de chercheurs et scientifiques (en téléconférence)

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par une table ronde de chercheurs et scientifiques, autour de :

- M. Frédéric Ogé, ancien chercheur au centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste de la pollution des sols ;

- M. Thierry Lebeau, directeur de l'observatoire des sciences de l'univers de Nantes-Atlantique de l'université de Nantes ;

- Mme Béatrice Béchet, directrice de l'institut de recherche sur les sciences et techniques de la ville du CNRS.

Cette table ronde est l'occasion de recueillir votre vision de la problématique de la pollution des sols en France et notamment sur les connaissances scientifiques disponibles sur les substances polluantes et leurs effets sur la santé. À cet égard, il serait intéressant que vous partagiez votre sentiment sur le système actuel d'évaluation des risques sanitaires fondé sur les valeurs de toxicité de référence. Ces valeurs toxicologiques permettent-elles, selon vous, d'assurer une vigilance suffisante pour garantir la protection de la santé des populations ? Faut-il envisager une approche plus prudente fondée sur une application plus systématique du principe de précaution lorsque les effets sur la santé d'un polluant sont encore méconnus ?

En matière de dépollution, quelle évaluation faites-vous de la recherche en France sur la mise au point de techniques de dépollution efficaces, aux coûts maîtrisés et plus respectueuses de l'environnement ?

Enfin, en matière de réhabilitation, quel est votre sentiment sur les projets de reconversion des friches industrielles ? Pensez-vous que les garanties soient réunies pour que ces projets s'inscrivent dans une vraie démarche d'aménagement durable des territoires ?

Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de cinq minutes chacun, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Vous êtes, chacun, appelé à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dire : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Frédéric Ogé et Thierry Lebeau et Mme Béatrice Béchet prêtent serment.

Mme Béatrice Béchet, directrice de l'institut de recherche sur les sciences et techniques de la ville du CNRS. - Notre propos liminaire s'effectuera en deux temps. Nous contextualiserons et présenterons les activités de recherche que nous menons avec Thierry Lebeau sur la pollution des sols. Nous avons constitué un consortium de recherche d'une cinquantaine de personnes basées dans l'Ouest de la France pour travailler sur les pollutions diffuses avec un focus sur les sols urbains.

L'équipe de recherche à laquelle j'appartiens au sein de l'université Gustave Eiffel réalise des travaux sur la gestion des eaux pluviales. Nous interrogeons, au travers de ces travaux, le risque de contamination des eaux de surface et des eaux souterraines car les préconisations habituelles en matière de gestion des eaux fluviales visent à développer des techniques alternatives basées sur l'infiltration de l'eau contaminée dans les sols. Certains travaux concernent la réutilisation des déchets de sous-produits de l'industrie en génie civil. De même, nous évaluons le risque de transfert des contaminants vers les sols.

Ces travaux que je mène au sein de l'institut Gustave Eiffel ont été complétés par des travaux réalisés dans l'institut de recherche en sciences et techniques de la ville. J'ai notamment développé un axe spécifique sur les sols urbains. Avec mes collègues du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et de l'université de Nantes, nous travaillons sur des applications de pollution dans le cadre de l'agriculture urbaine et du stockage de déchets municipaux. En complément du suivi réglementaire assuré par Nantes Métropole sur une ancienne décharge, nous examinons les substances émergentes qui en émanent.

Sur le plan disciplinaire, je suis géologue spécialisée en hydrogéochimie environnementale. J'étudie en particulier le transfert des polluants métalliques en interaction avec les phases minérales à l'échelle du laboratoire et du site. Je suis également impliquée dans les travaux sur la qualité des sols urbains dans le cadre du développement de solutions basées sur la nature, par exemple au travers de jardins associatifs.

M. Thierry Lebeau, directeur de l'observatoire des sciences de l'univers de Nantes-Atlantique de l'université de Nantes. - Mon activité de recherche porte sur les pollutions diffuses à l'origine de risques chroniques parfois insidieux. Je m'attache principalement aux éléments traces (métaux, métabolites) mais j'ai travaillé également sur les pesticides et les polychlorobiphényles (PCB). Je m'intéresse particulièrement aux cancers liés aux contaminants du sol et des plantes à usage alimentaire. J'examine également le rôle des composantes vivantes des sols (micro-organismes) dans le transfert des dépôts dans l'environnement ainsi que l'impact environnemental des contaminations.

Je travaille depuis une vingtaine d'années sur le développement de méthodes de gestion de la pollution par bioremédiation, via l'utilisation de micro-organismes et de plantes, dans des situations de pollution diffuse. Je ne travaille pas directement sur les friches avec un passif industriel lourd mais plutôt sur des friches urbaines. Je me penche également sur la problématique des jardins potagers urbains. Il existe une demande sociétale importante d'ouverture de ces jardins sur des sols qui ne sont nécessairement destinés à ces types d'usage. Enfin, je travaille sur la contamination des sols viticoles et maraîchers.

M. Frédéric Ogé, ancien chercheur au CNRS et spécialiste de la pollution des sols. - J'ai suivi, en parallèle, une formation d'histoire-géographie, de droit et de sciences politiques. Par la suite, j'ai eu la chance d'être recruté par le CNRS qui m'a proposé de mettre au point une méthode d'inventaire des points noirs. Quand j'ai commencé ma mission, il existait 100 points noirs en France. Dès 1992, j'ai annoncé que le nombre de sites potentiellement pollués atteindrait 300 000. J'ai travaillé sur des dossiers qui concernaient l'ensemble du territoire. Les dossiers pour l'Île-de-France impliquaient des enjeux financiers importants, comme pour le Stade de France, ou portaient sur la santé des enfants dans certaines écoles. Ce travail a été conduit de manière confidentielle durant la majeure partie de ma carrière.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Nous constatons parfois une différence d'approche générationnelle de l'impact de la pollution industrielle ou minière des sols, entre des générations qui ont conservé une mémoire et une fierté territoriales de ces activités et des générations plus jeunes beaucoup plus préoccupées des risques sanitaires et écologiques associés à ces pollutions. Observez-vous un degré variable dans l'acceptation sociale de la pollution des sols, selon les générations ou les territoires ?

Pourriez-vous revenir sur les raisons qui peuvent justifier, en cas de pollution avérée des sols, que les autorités sanitaires n'engagent pas de suivi sanitaire ou épidémiologique systématique des populations riveraines ? Pensez-vous que les facteurs relatifs aux modalités de transfert ou de migration des polluants dans les milieux de vie, ou des teneurs en polluants dans les sols inférieurs aux valeurs de toxicité de référence peuvent suffire à ne pas engager un suivi sanitaire ?

Par ailleurs, a été évoquée pendant nos auditions, s'agissant des techniques de dépollution, la problématique du statut des terres excavées. Dès leur sortie du sol, les terres excavées sont en effet considérées par la réglementation comme des déchets, ce qui permet de garantir leur traçabilité et le bon suivi des responsabilités. Un arrêté ministériel prévoyant de modifier les critères de sortie du statut de déchet pour les terres excavées a été soumis à consultation en 2019. Faut-il, selon vous, assouplir les critères de sortie du statut de déchet pour permettre une meilleure valorisation des terres excavées dans le cadre de projets de réaménagement ? Ne risque-t-on pas de perdre, avec la nouvelle réglementation, en traçabilité et en maîtrise du risque sanitaire pour ces terres, jusqu'ici assurées par la police spéciale des déchets ?

M. Frédéric Ogé. - Il y a trente ans, on ne s'intéressait pas à la qualité des sols. Lors de mes premières enquêtes, je me suis rapidement aperçu qu'il ne fallait pas parler de pollution ou de déchets lorsqu'on interrogeait les populations sur place. Il était préférable de leur faire raconter l'histoire d'une usine ou d'une mine dont elles étaient fières. Très progressivement, les populations ont commencé à s'interroger sur le rapport au sol et à la pollution des sols. À l'heure actuelle, certaines personnes sont encore très fières du travail accompli car c'était leur gagne-pain. Cependant, dans certains cas, ils savaient qu'ils étaient dans des situations délicates pour leur santé et celle de leurs proches.

En 2020, nous avons conscience que le sol est une ressource finie. Il faut donc absolument tenir compte de cette ressource au même niveau voire plus que l'air et l'eau. Je me réjouis, par conséquent, de la mise en place de cette commission.

M. Thierry Lebeau. - Nous avons été confrontés à ce questionnement pour les pollutions diffuses dans les sols potagers urbains. Il existe une différence d'appréciation du terme « pollution » selon le public. Les jeunes sont plus attentifs à un certain nombre de pollutions. Les médias ont également contribué à acculturer la population à la problématique des sols.

Mme Béatrice Béchet. - La pollution des sols n'est pas visible contrairement à une pollution de l'eau ou de l'air. La contamination de la région lilloise avec des charrées de chrome dans les années 1970 n'a été identifiée que vingt ans plus tard. Ce temps différé de mise en évidence d'une contamination a retardé la prise de conscience de la pollution des sols et de son importance.

M. Thierry Lebeau. - Dans le cas des sols potagers urbains, la perception de la pollution est moins anxiogène chez les jardiniers lorsqu'on leur présente la situation. La ville de Nantes a décidé d'être totalement transparente sur la présentation des résultats des analyses de sols. D'autres villes ont préféré ne pas ouvrir des jardins potagers sachant que les sols sous-jacents étaient pollués ou susceptibles de l'être. Des associations de jardiniers ont cependant demandé des comptes ou lancé des recherches.

Mme Béatrice Béchet. - La transparence est le mode de fonctionnement pertinent. L'anticipation post-découverte par un éclairage scientifique permet d'accompagner le citoyen dans son appréhension de la contamination et des risques encourus. Notre expérience démontre que les preuves et la pédagogie permettent aux citoyens de comprendre et d'évaluer la situation.

M. Frédéric Ogé. - Il est impératif d'informer la population sur l'ensemble des problèmes. Si nous prenons le cas des pollutions diffuses comme celles des 80 000 stations-service fermées en France, nous avons constaté, dans le cadre d'études statistiques conduites sur le département des Vosges et quelques autres départements, que nous ne disposions que d'1 % de procès-verbaux (PV) de fermeture. Lorsqu'un PV était disponible, on observait que cette fermeture avait été réalisée de façon intelligente, à horizon de trois mois et en remplissant les réservoirs avec de l'eau, ou inintelligente, à horizon de cinquante ans parce que, dans ce cas, l'eau allait oxyder la tôle et rejoindre les aquifères. Nous savons traiter ces aquifères. Néanmoins, le traitement des métaux lourds et des différents produits présents dans les carburants des années 1950, 1960 et 1970 est répercuté dans le prix de l'eau. La dépollution d'une station-service représente en moyenne un coût de 150 000 euros, ce qui permet de mesurer l'impact financier de la fermeture de quelque 80 000 stations.

Cependant, il est préférable de dire aux Français que nous avons un passé industriel dont nous pouvons être fiers mais que celui-ci comporte également des aspects négatifs que nous devons assumer.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je souhaiterais que vous développiez deux points évoqués, notamment la connexion avec le volet sanitaire. Les pollutions, indépendamment de leur nature, peuvent avoir un effet sur les populations notamment dans la période actuelle marquée par le risque climatique qui vient réveiller certaines pollutions. Il est donc important d'être réactif afin de se prémunir du risque sanitaire. Vous avez mentionné le statut des pollutions. La définition de la pollution et du sol pollué manque peut-être de lisibilité. Que peut-on attendre du législateur pour gagner en clarté ? Par ailleurs, certaines enquêtes sanitaires et épidémiologiques sur des pollutions ont été bloquées et d'autres n'ont jamais commencé. Pourriez-vous faire part de votre ressenti sur le sujet et sur les valeurs de toxicité de référence ?

M. Frédéric Ogé. - Concernant l'aspect législatif, nous n'avons pas une grande loi sur l'eau. Par ailleurs, la directive « Sols » au niveau européen est freinée depuis des années sous l'impulsion de la France qui travaille main dans la main avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne en raison d'enjeux de maîtrise technologique et financière.

S'agissant de la définition de seuils ou valeurs de toxicité, je n'ai pas de compétence importante en éco-toxicologie même si je suis membre de l'association Toxicologie Chimie. Pour l'arsenic, le seuil est passé de 50 à 10 car on pouvait intervenir pour nettoyer l'eau afin d'abaisser le seuil. À présent, ce seuil a été abaissé à 5. Concernant le plomb et le mercure, il n'y a pas de seuil à rechercher. Ces substances ne doivent pas être présentes dans le sol. Enfin, le problème de la poly-exposition - au travers d'un effet cocktail avec l'association du sélénium, du bismuth, de l'arsenic et du plomb si ces substances sont ingérées par les voies respiratoires ou via les légumes - qui nécessite d'importantes recherches m'inquiète fortement. Nous devons donc nous référer au principe de précaution.

M. Thierry Lebeau. - S'agissant de l'évaluation du risque sanitaire, il n'existe pas en France de seuil de pollution. C'est peut-être mieux ainsi car les formules chimiques des polluants évoluent dans l'espace et dans le temps. Le risque évolue donc en conséquence.

Les modèles de l'évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS) présentent des zones d'incertitude. Plusieurs difficultés ont été identifiées concernant ces modèles : la qualité de la donnée d'entrée, l'absence de prise en compte des interactions entre polluants ou encore la relation dose-réponse pour laquelle il n'existe pas de modèle linéaire : une faible concentration de mélange de contaminants peut avoir un effet toxique, une dose intermédiaire peut n'avoir aucun effet et une concentration forte peut produire, à nouveau, des effets.

M. Frédéric Ogé. - Il est nécessaire d'informer complètement la population sur ce problème. Les citoyens pourront ainsi s'interroger et prendre conscience du problème a minima.

M. Thierry Lebeau. - Il est préférable de dire que la connaissance a ses limites plutôt que de nier les problèmes. Les zones avec des clusters de cancers, de niveaux 2 ou 3, n'entraînent pas nécessairement des études approfondies. On communiquera donc sur le fait que ces études n'ont pas révélé de problème particulier. Cependant, pour les familles concernées, cette situation est réellement problématique. Il serait donc plus correct de reconnaître l'existence d'un problème en indiquant que la science ne permet pas encore d'expliquer un lien entre la qualité de l'environnement et l'effet sur la santé.

Mme Béatrice Béchet. - Il existe toute une série de transferts d'éléments toxiques depuis le sol jusqu'à l'organisme dont certains ne sont pas caractérisés. En outre, ces transferts dépendent de paramètres physiologiques. La complexité de ces transferts doit donc être prise en compte. Des tests ont été développés il y a quelques années afin d'avancer sur le sujet.

M. Frédéric Ogé. - Les réactions seront également différentes en fonction de l'origine ethnique des populations. En Australie, les populations d'origine écossaise et irlandaise ont une réaction au soleil très différente de celle des populations aborigènes. Les populations nordiques et méditerranéennes ont des réactions divergentes à l'arsenic. Les personnes d'origine méditerranéenne réagissent beaucoup moins. On ignore la raison d'une telle différence. C'est un constat que j'ai fait dans plusieurs sites. L'État doit prendre ses responsabilités en la matière. Sinon, les populations s'en chargeront. Cela s'est produit à Saint-Félix-de-Pallières il y a quelques années lorsque des analyses ont été conduites par la population. Ce type de situation décrédibilise les pouvoirs publics, ce qui est très grave.

M. Laurent Lafon, président. - Percevez-vous une évolution concernant la reconnaissance des problèmes au cours des dernières années ? Si tel est le cas, celle-ci était-elle généralisée ou variable d'une agence régionale de santé (ARS) à l'autre ?

M. Frédéric Ogé. - J'estime que les ARS ont pour objectif de réaliser des économies. Elles ont donc tendance à avoir le pied sur le frein. S'agissant des autres administrations, les évolutions dépendant des générations. Il y a trente ans, la vision des responsables de ces administrations était plutôt laxiste. Les jeunes générations ont conscience des interfaces avec l'air, le sous-sol et l'eau. Il faut donc apprendre à gérer de façon précautionneuse ces ressources.

Mme Béatrice Béchet. - Cette notion d'interface est très importante. L'approche de systèmes intégrés permet de tenir compte de l'eau qui est vectrice entre les différents compartiments de l'environnement. Il contribuera donc au transfert de polluants. M. Ogé a également soulevé la question de la formation aux questions environnementales des personnes ayant un pouvoir décisionnel. Notre position sur l'ARS est plus modérée. Concernant les jardins associatifs, il y a une véritable complémentarité entre l'ARS et la ville de Nantes pour faire face à la question de la contamination des sols. Je travaille également avec l'ARS sur la question santé et urbanisme. Je constate une très grande proactivité de l'ARS pour informer les services de l'État des risques et faire le pont entre recherche et opérationnalité.

M. Thierry Lebeau. - Les relations avec les ARS ont été très constructives. Cependant, les personnels croulent sous les dossiers extrêmement complexes qui nécessiteraient un temps long d'expertise. Ils sont donc contraints de traiter rapidement certains dossiers. Par ailleurs, la problématique des sols est assez récente. Cette formation est très peu valorisée à l'université. Il s'agit du parent pauvre de la géologie. En biologie, le sol est le support du développement des plantes. La partie noble pour un biologiste sera donc la plante et non le sol. Je confirme que les jeunes sont très friands de formations intégratives. Le sol est parfaitement adapté à cette approche intégrative des écosystèmes superficiels.

M. Frédéric Ogé. - Il y a trente ans, on qualifiait le sol d'inconnu maltraité. Actuellement, le sol n'est plus un inconnu et nous allons commencer à le traiter correctement. Toutes les interrogations de Mme Jourda portent sur la mise en place du lien de causalité. Certaines questions non exprimées portent sur la recherche de responsabilités au civil et au pénal. Il sera difficile de prouver ce lien de causalité qui impliquerait des poursuites pénales. On a évoqué, à une époque, la possibilité de déposer une plainte pour crime d'empoisonnement ou de délit d'atteinte à l'environnement. Ce questionnement explique probablement le silence relatif sur ce problème pendant une vingtaine d'années.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Il n'existe pas de loi sur la pollution des sols. Il faudrait donc mieux encadrer ce secteur. Les inondations meurtrières dans notre département ont ravivé certaines pollutions des sols. Ne pourrait-on pas imaginer un plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) à l'échelle départementale pour réagir plus rapidement et éviter que la problématique ne soit portée par les populations et les associations. Il existe un vide en matière d'accompagnement de l'État. L'échelle régionale est pertinente mais en cas de danger imminent, la réactivité n'est pas au rendez-vous. La commission d'enquête sur l'incendie de Lubrizol a rendu ses conclusions récemment. Concernant l'incendie de Notre-Dame de Paris, le système de prévention de la contamination au plomb en milieu scolaire a été mis en place à la suite des pressions exercées. On n'assiste donc pas les populations et les maires qui sont confrontés à des difficultés.

M. Frédéric Ogé. - Nous avons réfléchi à ces problèmes avec le professeur Guermond de l'Université de Rouen dès 1995. Nous avons développé un système d'information géographique qui couvrait Grand-Quevilly, Petit-Quevilly et la Rive Gauche de la Seine. Nous avons déjà proposé l'utilisation de ce système. Cependant, des systèmes d'information géographique (SIG) n'ont été mis en place que vingt plus tard. Il y a 25 ans, nous avons publié des études qui faisaient le lien avec les plans d'occupation des sols (POS) devenus plans locaux d'urbanismes (PLU) et tiraient la sonnette d'alarme auprès des écoles d'ingénieurs. Par ailleurs, la résurgence des pollutions avec le changement climatique concerne également le Nord-Pas-de-Calais car les aquifères sont des nappes relativement proches. En période de sécheresse, des problèmes surviennent. Des pompages devront donc être effectués. Cependant, ce type de problème doit être résolu par le législateur.

M. Alain Duran. - La convention citoyenne pour le climat a proposé de soumettre au référendum la création du crime d'écocide en cas d'atteinte grave et irréversible à l'environnement. Compte tenu des liens complexes entre toxicité et santé et des interrogations qui demeurent en la matière, pourriez-vous nous faire de votre ressenti sur le sujet ?

M. Frédéric Ogé. - Une thèse soutenue en 2017 à Paris-13 pose le problème du rapport à la justice environnementale. Elle montre que la majeure partie des populations concernées n'a pas les moyens d'accéder à cette justice environnementale. Il est possible de réfléchir à cette notion d'écocide pour les sols en utilisant le référentiel géochimique antérieur comme base de négociation afin d'aller le plus loin possible tout en tenant compte des impératifs économiques. Nous devons, en effet, penser aux générations futures. La problématique des sols implique donc une réflexion sur notre société.

M. Thierry Lebeau. - Je souscris entièrement à cette position. Lorsqu'on réalise un diagnostic de sol, on tente toujours de trouver le point « référence » qui n'aurait pas été sujet à l'impact de l'activité humaine. C'est un objet de discussion important. Certains rapports de bureaux d'étude à Lille s'appuient ainsi sur les fonds pédogéochimiques à 200 mètres pour le plomb, ce qui conduirait à considérer que tous les sols sont pollués. Cette approche différente pose question sur l'équité environnementale des citoyens en fonction de leur région. À Nantes, le fonds pédogéochimique en plomb est à 60 mètres. À Lille, il serait inférieur à 200 mètres pour des terres agricoles peu exposées aux impacts de l'activité industrielle.

La définition de l'écocide doit être plus large concernant les sols. En quoi une activité humaine modifie, de façon irréversible, les fonctions du sol ? Les fonctions écosystémiques qui sont très anthropocentrées (fertilité du sol pour les besoins alimentaires) sont-elles les seules concernées ? Nous avons des connaissances très avancées sur l'évaluation des fonctions d'un sol (réserve de biodiversité, usage alimentaire...).

M. Frédéric Ogé. - Il y a une vingtaine d'années, 60 000 à 70 000 hectares de terres par an devenaient des parkings ou des routes alors qu'elles pouvaient être cultivées ou affectées à d'autres usages. On ne peut plus continuer ainsi à long terme. Il faut donc réoccuper de façon intelligente ces terrains définis comme des friches industrielles, commerciales ou des zones minières. La notion d'écocide ne peut être employée. En revanche, une réflexion importante peut être lancée sur la notion d'atteinte au sol en la reliant à l'atteinte à l'environnement. L'espèce humaine doit également être au centre de cette réflexion. Une réflexion est à conduire pour définir des seuils qui évolueront en fonction des avancées scientifiques et de la pression sociale. Certaines régions subissent une déshérence industrielle. Elles souhaiteraient donc voir à nouveau s'implanter des sites industriels. Des compensations pourraient également être envisagées pour les populations qui subissent des effets parfois terribles. Je reprends les travaux de Christelle Gramaglia sur l'effet du cadmium à Decazeville, Viviez et Aubin. À présent, ce cadmium a atteint l'île de Ré. Il faut donc intégrer un effet « espace » dans la réflexion.

Ce problème est donc compliqué mais cela ne signifie pas pour autant que le législateur ne doit pas s'en emparer.

M. Thierry Lebeau. - Il est important de tenir compte de la notion de temporalité. La société actuelle repose sur l'instantanéité. Dans certains cas, le sol peut être dépollué sur des temps très longs. Nos territoires sont fortement imprégnés par notre activité. Cependant, une réversibilité plus ou moins importante est possible mais sur plusieurs générations. Or la société n'est peut-être pas prête à accepter cette situation. Il faut donc adapter les usages en fonction de l'évolution de la pollution de ces sites.

La question des terres excavées soulevée par la rapportrice est extrêmement intéressante au regard du bilan carbone désastreux des camions qui transportent des terres faiblement contaminées vers des lieux de stockage. L'initiative de Nantes pour la gestion des terres excavées est donc une piste à creuser. À titre personnel, je suis favorable à ce type d'expérimentation sous réserve de la mise en place d'un contrôle rigoureux. Des aménagements intelligents de quartiers incluant le réemploi des terres excavées peuvent donc être envisagés après vérification de l'absence d'impact sanitaire. Le sol est une ressource qui se raréfie. Nous n'en avons pas conscience en France car nous possédons de nombreux sols agricoles. Cependant, nous pourrons être confrontés un jour à une pénurie de sols.

M. Frédéric Ogé. - L'excavation est une solution intelligente à court terme mais dangereuse à long terme car l'on ne fait que déplacer des centaines de milliers de tonnes d'un endroit à un autre. Or ces terres pourraient parfaitement être traitées même si ces solutions sont plus onéreuses. Ce n'est pas en déplaçant des terres excavées dans des carrières ou des gravières et en les transformant en merlons de protection phonique sur les autoroutes que l'on résout le problème. On le reporte ainsi sur les générations futures. L'État se doit donc d'intervenir.

Mme Maryse Carrère. - Quel regard portez-vous sur le traitement des dossiers de fin d'exploitation des sites pollués par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) ? Ces dernières ont avoué qu'elles traitaient les dossiers en prenant en considération les limites financières des entreprises. Pensez-vous que tous les facteurs de dépollution sont suffisamment pris en compte notamment sur le long terme ? Percevez-vous une évolution positive dans l'analyse de ces dossiers et les exigences de réparation de ces sols pollués par les entreprises pour la protection des citoyens et des collectivités ?

M. Frédéric Ogé. - Les Dreal sont les filles des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire). Le « I » d'industrie devance le « E » d'environnement.

Mme Maryse Carrère. - Ils ont été fusionnés avec les anciennes directions régionales de l'environnement (Diren). On peut supposer qu'une révolution culturelle a eu lieu dans l'appréhension de ces dossiers.

M. Frédéric Ogé. - Bien sûr. Cependant, il faudra vingt ans pour que cette révolution prenne effet. Il est donc trop tard pour un certain nombre de cas car les effets négatifs seront trop importants. D'autre part, les personnels ne sont pas en nombre suffisant pour appréhender ces dossiers de façon pertinente et approfondie. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé que les fiches concernant ces sites soient informatisées. Un modèle avait été réalisé de ces fiches consultables par activité, entreprise et commune. Cependant, rien n'a été fait et j'ignore pourquoi.

Mme Béatrice Béchet. - La question des résultats des traitements appliqués aux sols est importante. Lors des conférences où elles exposent leurs résultats, les sociétés de dépollution s'engagent à réduire les teneurs en polluants de 90 %. Cependant, elles s'interrogent sur la concentration résiduelle et ses éventuels impacts. En outre, cette concentration résiduelle peut contenir des métabolites du contaminant dont on connaît très peu les effets. Sur le plan scientifique, la question de l'évaluation des résultats de la dépollution reste donc ouverte.

M. Thierry Lebeau. - Dans chaque chantier, des négociations ont lieu sur le niveau de dépollution à atteindre en fonction des budgets. Pour deux situations identiques, on peut donc observer des objectifs de taux de dépollution différents. Ceux-ci ne sont pas liés au risque sanitaire ou environnemental mais à des aspects économiques.

Mme Maryse Carrère. - Lorsque les industriels quittent les sols pollués, les collectivités doivent souvent assumer la dépollution que celle-ci soit résiduelle ou non. C'est mon expérience en tant qu'élue.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Au travers des différentes auditions, j'ai pu constater une différence d'approche entre les pollutions récentes qui font l'objet d'un suivi précis et les pollutions historiques réactivées. Or une équité de traitement doit prévaloir.

Concernant les ARS, vous avez souligné les différences entre régions. Or le service rendu doit être le plus en adéquation possible avec les problématiques posées dans l'ensemble du territoire.

Comment peut-on parvenir à une définition des pollutions car on se heurte toujours à cette notion d'inventaire ou de cartographie qui sont imparfaits ? Dans le souci d'informer, on devrait néanmoins envisager une cartographie révisable car les pollutions peuvent évoluer à la hausse ou à la baisse. En outre, sur un même secteur pollué dans une commune, certains sols peuvent ne pas être pollués.

Vous avez également mentionné la possibilité d'interaction entre les polluants, ce qui m'alerte. Face à cette information, il convient d'être clair et précis car certains spécialistes ne s'appuient que sur un seul traceur.

M. Frédéric Ogé. - Nous pouvons parfaitement traiter au niveau de la parcelle cadastrale. Par ailleurs, nous savons travailler dans la verticalité. Nous pouvons réfléchir par rapport au sous-sol. Nous connaissons également les aquifères proches de la surface : nappe phréatique, couches inférieures (permien et cambrien).

Les interactions entre polluants sont une source d'inquiétude depuis très longtemps. Nous sommes confrontés au refus de réfléchir à ces interactions alors que nous en avons la possibilité. Je me suis également heurté au problème de remontées gazeuses, lié à l'évolution des nappes souterraines en raison des inondations. Je citerai à titre d'exemple la pollution au CCl4 de Benfeld en Alsace avec seulement 4 000 litres. Un camion rate un virage. Le captage AEP sera touché trente ans plus tard. Or l'accident du camion a été complètement oublié. Si ce camion avait été traité rapidement à l'époque, nous aurions évité ce problème notamment au regard de l'importance de l'eau en Alsace. L'eau est également importante dans les vallées ariégeoises. Je songe au crassier de Tarascon que M. Duran a dû connaître. Il est urgent de réfléchir à ce problème au niveau de l'État sachant que vous devrez intervenir dans un horizon de 20 à 50 ans.

Mme Béatrice Béchet. - Concernant la cartographie, vous soulevez Mme la rapportrice un point qui nous interpelle fortement et sur lequel nous travaillons. Dans les milieux urbanisés, nous n'avons pas de cartographie des sols. Plusieurs équipes, au niveau national, sont mobilisées sur ce sujet avec le soutien de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), de l'institut national de la recherche agronomique (INRA) et d'autres organismes. Cette cartographie est primordiale car le foncier dans les milieux urbanisés est très coûteux. Nous avons besoin de cette cartographie pour définir les zones où les sols peuvent être protégés. Nous intégrons les aspects positifs et négatifs (contamination) des sols. Nous tentons actuellement de produire des indicateurs pour aider les collectivités à améliorer leur gestion des sols et à concilier qualité des sols et impacts anthropiques. Au travers de la cartographie, nous espérons mettre en place rapidement des outils qui permettront aux collectivités de préciser, dans leurs plans d'urbanisme, les zones où les sols doivent être protégés afin de mieux adapter la qualité du sol aux usages en milieu urbain.

S'agissant de l'effet cocktail des polluants, peu d'équipes se lancent dans cette investigation compte tenu des difficultés qu'elle pose. En effet, plusieurs compétences sont nécessaires (pollutions métalliques, organiques...). Il y a quelques années, l'Ademe a lancé un appel à projets sur ce sujet. Cependant, peu d'équipes ont répondu compte tenu des moyens et compétences qui doivent être mobilisés pour répondre à ces questions primordiales.

M. Frédéric Ogé. - Il doit exister une volonté forte pour mobiliser ces scientifiques. Pour ce faire, l'État doit investir massivement (bourses de doctorat, moyens alloués aux chercheurs...). Nous l'avons déjà fait par le passé sur d'autres thèmes. S'agissant de la cartographie, je me suis occupé d'un travail qui concernait la rive droite de la Loire à Tours. L'histoire industrielle depuis le début du XIXème siècle jusqu'à la fin des années 1990 devait être retracée. Ces paramètres peuvent être intégrés y compris en milieu urbain. Cependant, se dessinent en filigrane, le rapport à la valeur du foncier et le rapport à l'histoire culturelle et patrimoniale. Celle-ci ne doit pas être négligée. Pourquoi ne pas être fier d'avoir eu une usine qui réalisait des pellicules photo ou des films en noir et blanc ? Nous pouvons appréhender la question sous différents angles mais je doute que nous ayons la volonté de le faire.

Mme Béatrice Béchet. - Je remercie M. Ogé d'avoir souligné la nécessité d'une volonté forte sur le sujet. Les financements proposés par l'Ademe étaient relativement réduits. Si les appels à projets prévoient des moyens conséquents, les équipes de recherche seront davantage motivées et mobilisées.

M. Laurent Lafon, président. - Combien de jeunes doctorants préparent une thèse sur des problèmes de pollution des sols ?

M. Frédéric Ogé. - En droit, six thèses portaient sur ce sujet. Je peux notamment citer les thèses de Sylvie Durousseau, Léonore Moléon, Vanessa Terade. Des travaux sont également conduits sous l'égide du professeur Philippe Villet. Au niveau des recherches géographiques, une soixantaine de mémoires de maîtrise ciblées sur des régions ont produit des résultats pertinents. Ceux-ci sont offerts aux Drire et aux Dreal. Un grand nombre de jeunes chercheurs souhaitent travailler sur ces sujets. Cependant, la question des moyens se pose.

M. Thierry Lebeau. - En sciences dures, environ trente doctorants soutiennent une thèse sur ces problématiques de pollution.

Mme Béatrice Béchet. - J'ajouterai une dizaine de thèses Cifre (convention industrielle de formation par la recherche) car les entreprises de dépollution sont actives dans ce domaine.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie pour vos réponses très précises et la clarté de vos explications.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La téléconférence est close à 16 h 35.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La téléconférence est ouverte à 16 h 45.

Audition de MM. Antoine Londiche, président, et Philippe Monier, directeur technique, de la société Retia, filiale du groupe Total (en téléconférence)

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par une audition de représentants de la filiale Retia du groupe Total, avec MM. Antoine Londiche, président et Philippe Monier, directeur technique.

Cette audition nous donne l'opportunité de prendre la mesure des risques de pollution des sols associés, non seulement, à l'exploitation des hydrocarbures, mais également au fonctionnement des stations-service. Il nous serait utile que vous reveniez sur la gestion par votre société de certains accidents d'exploitation ayant entraîné des pollutions des sols et des eaux de surface et souterraines. Je pense au déversement dans la période récente de 900 mètres cubes d'hydrocarbures dans des champs et ruisseaux des Yvelines, en raison d'une faille dans le pipeline reliant la Normandie à la Seine-et-Marne.

Quel est le protocole mis en place pour interrompre la pollution, mais également prévenir et gérer les risques sanitaires et écologiques ? Quelle a été votre collaboration avec la préfecture, la Dreal et l'ARS pour gérer ces risques et les corriger ? Dans quel délai avez-vous engagé votre programme de dépollution des zones polluées ? Dans quelles conditions ce dernier a-t-il été validé par les autorités de l'État ? Dans quelle mesure vos travaux de dépollution s'inscrivent-ils dans une démarche respectueuse de l'environnement ?

À cet égard, il nous serait utile que vous nous décriviez les efforts que vous déployez en faveur de la dépollution et de la réhabilitation.

Pendant nos auditions, la problématique de la pollution des sols résultant de l'activité des stations-service a été évoquée à plusieurs reprises. Nombre de ces stations ont été exploitées par Total et sont désormais recensées dans la base Basol. Il semble que les stations-service soient soumises à déclaration avec des obligations réglementaires moins importantes que les autres types d'installations classées, avec un contrôle périodique tous les cinq ans. Pourtant, le risque de pollution des sols par déversement d'hydrocarbures et de solvants est réel. Ne pensez-vous pas qu'il faille envisager un renforcement des obligations réglementaires applicables à ce type d'installations ? Quelles seraient vos propositions pour améliorer la prévention et la gestion du risque de pollution des stations-service ?

Avant de vous laisser la parole, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Je vous invite, chacun à votre tour, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Antoine Londiche et Philippe Monier prêtent serment.

M. Antoine Londiche, président de la société Retia, filiale du groupe Total. - Je commencerai en vous présentant rapidement la société Retia, filiale du Groupe Total. Vous avez évoqué le déversement du pipeline d'Île-de-France (PLIF) ; le dossier ayant été suivi de près par Philippe Monier, je le laisserai répondre sur ce point.

L'acronyme Retia signifie « Réhabilitation environnementale de terrains industriels anciens ». La société a été créée par le groupe Total en 2005 pour prendre en charge les passifs environnementaux et les friches industrielles qui résultaient de l'activité chimique du groupe. Les friches et les provisions permettant d'en assurer le démantèlement et la réhabilitation ont été apportées à Retia.

Par la suite, la société s'est occupée d'autres friches industrielles, pour le groupe et plusieurs de ses filiales. Elle est aussi intervenue sur des sites actifs, lorsqu'une partie des installations seulement était arrêtée. Elle intervient également lors d'incidents industriels et de déversements accidentels - comme cela a notamment été le cas lors du déversement du PLIF.

Retia est une société par actions simplifiée, filiale à 100 % du groupe Total. Nous n'exerçons aucune activité commerciale en dehors du groupe.

Notre mission première est de mettre à disposition de toutes les entités du groupe, en France et dans les 130 pays d'implantation dans le monde, une expertise particulière relative au traitement des sols et des eaux souterraines. Philippe Monier dirige ce pôle d'expertise, qui regroupe des expertises diverses.

En dehors de cela, et conformément à notre mission initiale, nous gérons des projets de remédiation. Nous prenons des sites sur lesquels la mise en sécurité a été faite et les produits résiduels évacués. Nous les accompagnons dès l'arrêt réglementaire de l'installation, puis dans le démantèlement, la réhabilitation ainsi que dans la revalorisation des friches en aval.

Sur demande, nous apportons une assistance technique aux entités opérationnelles, qu'il s'agisse de dépôts, de distribution, d'usines chimiques, pétrochimiques ou raffineries.

Enfin, nous intervenons sur les situations d'urgence conduisant, par exemple, à des déversements de produits. Nous n'intervenons pas en offshore, sur les plateformes pétrolières ou en mer, mais uniquement sur le terrain, pour traiter les sols contaminés et les eaux de surface pouvant être affectées.

Nombre de vos questions portent sur les stations-service. Je signale dès à présent qu'il revient à notre branche Marketing et services d'intervenir dans ces lieux. Bien sûr, nous connaissons la réglementation en la matière et les pratiques, mais nous ne sommes pas directement opérateurs de la remédiation des stations-service.

Je précise également que nous n'intervenons pas aux États-Unis. La zone est couverte par Retia US, une autre entité juridique.

Beaucoup de nos collaborateurs disposent d'une longue expérience au sein du groupe Total. Les parcours de carrière sont variés ; ils se sont déroulés dans diverses filiales. Nous observons parmi nos effectifs une dominante « projet ». Nos salariés sont devenus des spécialistes des projets de réhabilitation, différents des projets de construction que nous connaissons par ailleurs. Nous comptons également des experts recrutés à l'extérieur du groupe, présentant une forte expérience dans les bureaux d'études ou dans des domaines propres à la dépollution et à la remédiation.

Nous bénéficions des entités support du groupe, qu'il s'agisse du juridique
- relativement important sur les sujets qui nous concernent - ou de la communication, par exemple.

Initialement, nous intervenions sur les treize friches de la chimie ayant conduit à la création de Retia. Nous couvrons désormais les sites arrêtés pour le compte de différentes branches du groupe, dont l'exploration/production. En la matière, l'usine de Lacq et les infrastructures de production gaz et huiles qui se trouvaient autour constituent un site important. Nous travaillons également pour la branche Gas-Renewable-Power. L'activité reste toutefois marginale. Une large partie de nos interventions se déroule sur les actifs industriels de la branche raffinage/chimie, qui constituent l'essentiel de notre activité. Auprès du marketing et des services, nous nous positionnons principalement sur les dépôts. En revanche, les stations-service ne sont pas dans notre périmètre d'activité aujourd'hui. Il s'agit d'un métier particulier.

Du fait de l'histoire du groupe, la majorité de nos projets de réhabilitation se situe en France - plus de 70 % de nos sites d'intervention s'y trouvent.

Le projet de Lacq illustre nos différents domaines de compétences. Les installations appartiennent à la branche exploration/production. Elles comprennent l'usine de Lacq - un site industriel actif de 255 hectares -, d'une zone en bordure d'eau de 80 hectares, présentant des caractéristiques particulières en termes de biodiversité et d'écologie ainsi que des concessions minières couvrant une large zone géographique. Le réseau de canalisations permettait de faire converger les productions vers l'usine de Lacq.

Ce projet englobe des domaines variés et met en oeuvre des techniques différentes. Il est engagé depuis plusieurs années. Il a notamment permis de revitaliser économiquement une partie du site grâce à l'implantation d'une activité de fibre de carbones portée par la société Toray. Sur les concessions, des fermes solaires sont en cours de développement. Plusieurs appels d'offres ont été acceptés par la commission de régulation de l'énergie. Deux projets de cinq mégawatts sont ainsi en cours de déploiement.

J'en ai fini de ce panorama rapide de l'activité de Retia. Je vous propose de passer la parole à Philippe Monier pour évoquer le déversement de PLIF. Nous sommes intervenus sur ce dossier dès les premières heures, en assistance à la cellule de crise.

M. Philippe Monier, directeur technique de la société Retia, filiale du groupe Total. - Les interventions d'urgence réalisées au sein de cellules de crise lors d'accidents sont tout à fait particulières. Ces opérations arrivent de manière imprévue et demandent une réactivité immédiate. Comme tous les autres, le pipeline de l'Île-de-France, qui relie Le Havre au dépôt de Gargenville puis à la raffinerie de Grandpuits est équipé de détecteurs de pression vérifiant à tout instant la pression dans le tube. En cas d'accident, divers dispositifs se mettent en place pour sectionner le tube, l'isoler et identifier le lieu de la fuite. Nos équipes interviennent immédiatement. Une intervention dès les premières heures ou les premiers jours est primordiale pour confiner la pollution et éviter qu'elle ne se propage. Pardonnez-moi cette comparaison primaire, mais prenons l'exemple d'une tâche sur un vêtement. Plus la tâche s'installe, plus elle imbibe le vêtement et plus elle sera difficile à nettoyer. En réagissant rapidement, nous pouvons limiter les dégâts. Les procédés mis en oeuvre dès les premières minutes sont très importants pour empêcher à la pollution de migrer et d'avoir des impact sur d'autres milieux.

Ces actions sont conduites en collaboration étroite avec les services du service département d'incendie et de secours (SDIS), mobilisés par les services préfectoraux et, souvent, par les maires des communes concernées. Leur mission est avant tout de protéger les personnes, afin qu'elles ne soient pas touchées par les émanations gazeuses ou les risques d'incendie et d'explosion. En complément, notre rôle est de protéger les différents milieux pouvant être touchés. Sur le lieu de la fuite, nous cherchons à éviter que la pollution se propage via les systèmes naturels tels que les eaux superficielles. Dès que la pollution arrive dans ces eaux, elle se propage extrêmement rapidement du fait du mouvement de la rivière. Dans ces cas, nous mettons en place des barrages flottants pour limiter la propagation des produits. Les hydrocarbures ont la particularité d'être moins denses que l'eau, et donc de flotter dans les rivières. Nous installons des barrages dits « siphoïdes » pour prendre l'eau en fond de rivière afin de permettre un écoulement tout en bloquant ceux intervenant en superficie. Dans le même temps, nous déployons des dispositifs de protection des écosystèmes naturels, de la faune et de la flore. Nous délimitons des couloirs de passage, qui seront protégés par des films plastiques au sol pour protéger la végétation et éviter que les oiseaux et batraciens viennent sur les zones exposées.

Nos efforts portent également sur les eaux souterraines, souvent captées pour l'alimentation en eau potable. Ces eaux ne se voient pas, mais les transferts de pollution peuvent y être importants. L'enjeu est de vérifier à tout instant si ces milieux sont exposés à des risques et, au besoin, de mettre en place des barrières de protection en sous-sol.

Toutes ces opérations s'effectuent en étroites collaborations avec le SDIS, mais aussi avec les services de l'État, dont la Dreal et la direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie (Driee). La fuite est immédiatement déclarée à leurs services. Ils garantissent que les actions menées répondent aux exigences de la réglementation. Nous travaillons également avec les ARS, qui s'assurent de l'absence d'impact sur les populations. Les vérifications se font à partir de prélèvement dans l'air ambiant. Au besoin, les personnes touchées sont provisoirement relogées. Toutes ces opérations sont validées par la Dreal.

Après une phase de confinement, nous commençons à évacuer les impacts. Souvent, les végétaux sont les premiers touchés. Ils absorbent du polluant qu'ils peuvent relâcher à l'occasion d'un orage ou de fortes pluies. Nous cherchons à éliminer le produit pur se trouvant en surface des réseaux d'eaux superficielles ainsi que les végétaux concernés et les terres imbibées par la fuite de produit. Nous mettons en place des tranchées pour éviter les transferts au sein des terres.

Les opérations de réhabilitation interviennent ensuite sur les réseaux d'eaux superficielles, sur les réseaux d'eaux souterraines et sur les terres concernées.

Le PLIF impliquait du pétrole brut. Il s'agit de produits « légers », contenant des chaînes d'hydrocarbures relativement courtes. Ces produits sont facilement biodégradables par des bactéries. Aussi avons-nous choisi d'évacuer ces terres du site pour les envoyer vers des installations de biotraitement. Elles sont décompactées pour favoriser la circulation de l'air. Les bactéries sont ainsi mieux oxygénées, survivront plus facilement et biodégraderont les hydrocarbures. Ici, nous avons choisi de ne pas ramener les terres biodégradées afin de garantir aux agriculteurs que des cultures pourraient être remises sans difficulté. À l'issue du biotraitement, les terres sont utilisées pour des usages « moins nobles » tels que la couverture de sites industriels ou d'installations de stockage.

Dans les opérations de ce type, la phase de crise dure quelques heures ou quelques jours. La phase d'urgence s'étend de quelques jours à quelques semaines. Enfin, la réhabilitation dure de quelques mois à plusieurs années. Le PLIF est survenu à la fin du mois de février 2019. Nous menons toujours des opérations de réhabilitation. Les terres concernées ont été décompactées. Nous procédons actuellement à leur remplacement par des terres saines, qui permettront aux agriculteurs de retrouver la pleine jouissance de leurs terres.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Pourriez-vous revenir sur les mesures de gestion du risque sanitaire que vous mettez en oeuvre en concertation avec la préfecture et l'ARS lorsque survient un accident d'exploitation de vos infrastructures acheminant des hydrocarbures ? Quelles sont les mesures de surveillance de la migration des polluants dans les sols et les eaux souterraines ?

Les polluants en cause étant volatils, certains observateurs estiment qu'avec une bonne ventilation des milieux touchés, le risque sanitaire peut être faible : partagez-vous cette analyse ? Des prélèvements sont-ils régulièrement effectués dans ces zones pour s'assurer que la migration de la pollution est maîtrisée ? Ces prélèvements sont-ils assurés par Total directement, par des bureaux d'études ou par l'institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) ?

Il semblerait par ailleurs que des agriculteurs aient vu leurs exploitations abîmées par des accidents survenus sur des pipelines d'hydrocarbures : quelles sont les mesures de dépollution et de compensation envisagées pour dédommager ces agriculteurs et leur permettre de reprendre leur activité dans des conditions optimales ?

D'une façon générale, en cas de pollution des sols provoquée par votre activité, quels sont les mécanismes de réparation du préjudice écologique qui peuvent être activés ?

Enfin, pourriez-vous revenir sur quelques exemples de reconversion réussie d'anciens sites que vous exploitiez, notamment des anciennes raffineries ou des anciens gisements gaziers ? Dans quelle mesure vos projets de reconversion se sont-ils inscrits dans une logique de développement durable, par exemple pour le développement de plateformes d'énergies renouvelables ou de l'économie circulaire ?

Je note que les stations-service n'entrent pas dans votre périmètre direct. Néanmoins, nous aimerions avoir votre sentiment sur la gestion de ces lieux. Pouvez-vous nous fournir des données statistiques quant au nombre de stations polluées en France ? Avez-vous connaissance du nombre de stations en cours de dépollution ?

Pendant l'exploitation de vos sites relevant des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), faites-vous mener des diagnostics de la qualité des sols ? Si oui, conduisez-vous des opérations de dépollution dès que vous avez connaissance d'un fait ? Informez-vous l'inspecteur ICPE dont dépend le site des démarches que vous engagez afin qu'il puisse juger de votre réactivité et de la qualité de la dépollution envisagée ou mise en oeuvre ?

M. Philippe Monier. - Le risque sanitaire s'apprécie en deux temps. Les premières mesures de surveillance portent sur les risques aigus. En cas de fuite, le produit est émis dans les eaux superficielles, sur les terrains, voire dans l'atmosphère si le produit est volatil. Il est essentiel de savoir, d'une part, si les personnes qui vivent à proximité peuvent être incommodées, et d'autre part, quelles sont les mesures qui devront être prises par les personnes qui doivent intervenir. Doivent-elles porter un masque à gaz ? Existe-t-il un risque d'incendie ou d'explosion ? Nos services prennent immédiatement cette mesure. Nous travaillons en collaboration étroite avec le SDIS et sa cellule « Risque chimique » afin de définir les risques et, éventuellement, permettre aux habitants d'être éloignés le temps des vérifications.

Il y a quelques années, nous avons connu une fuite de pipeline à proximité de la raffinerie de Donges. La fuite a rapidement traversé un hameau, qui a été immédiatement évacué. Les habitants ont été progressivement autorisés à revenir chez eux, sur la base de nos propositions, validées par l'ARS.

Dans un second temps, nous nous interrogeons sur les risques à long terme. Des concentrations résiduelles laissées dans les sols seraient-elles susceptibles d'avoir un impact pour les personnes vivant à proximité ou les produits cultivés sur les sols ? Des évaluations de risques sanitaires sont conduites selon les méthodologies préconisées par le ministère de l'environnement et l'Ineris, notamment. Toutes ces mesures sont mises en oeuvre avec l'ARS. Les résultats doivent être validés par l'ARS, à qui il revient d'accepter le maintien ou le retour des populations dans leur logement.

Bien entendu, ces opérations s'accompagnent de mesures de surveillance de tous les milieux qui ont subi un impact. En cas de fuite, l'administration s'enquiert immédiatement du périmètre concerné et du périmètre surveillé. Le préfet, via la Dreal ou la Driee, peut demander un suivi des sols, des eaux superficielles, des eaux souterraines et de la qualité de l'air. Dans le cas du PLIF, nous avons procédé à des prélèvements quotidiens d'eaux superficielles pendant plus de quatre mois, week-ends et jours fériés compris. Toutes ces données étaient remontées à l'ARS pour information ainsi qu'à la Driee afin de les tenir informés de la qualité des milieux et de la bonne marche des opérations de réhabilitation. Des actions similaires ont été conduites sur des captages d'alimentation en eau potable installés à proximité. Nos études hydrogéologiques avaient démontré qu'il n'y avait pas de risque d'impact. Néanmoins, nous avons effectué des mesures journalières pendant trois mois pour vérifier la qualité des captages et permettre leur réouverture et la distribution dans les réseaux.

Vous évoquiez la ventilation des zones ayant subi un impact. Nous ne préconisons pas ces démarches, qui consistent à transférer la pollution d'un milieu à un autre. En ventilant un milieu fortement impacté par une pollution atmosphérique, vous ne faites que la disperser. Nous préférons mettre en place un système de captation des vapeurs au niveau des sols. Ces vapeurs sont ensuite traitées afin de rejeter dans l'atmosphère un air épuré de toutes les particules d'hydrocarbures qu'il contenait.

Les prélèvements sont généralement réalisés par des bureaux d'études que nous missionnons. Nous procédons aussi à divers prélèvements. L'ensemble est audité par l'administration. Dans le cas du PLIF, cette dernière a demandé une contre-expertise. La Driee a ainsi missionné un bureau d'études en établissant son propre protocole et en identifiant ses propres points de prélèvements. L'objectif était de vérifier que les valeurs que nous leur communiquions avaient été obtenues grâce à une méthodologie conforme. L'Ineris n'est pas intervenue dans ce dossier. Nous travaillions avec la Driee, l'ARS et divers organismes spécialisés dans la gestion de crise.

Nous disposons d'assurance pour couvrir les déversements. Tous les préjudices occasionnés aux agriculteurs, qu'il s'agisse de perte d'exploitation ou de dégradation de leur propriété sont pris en compte par les assurances. Les compensations sont calculées à partir des barèmes établis par les chambres d'agriculture.

M. Antoine Londiche. - Au périmètre du groupe Total, nous comptions environ 40 000 stations-service en France en 1980, contre 10 000 aujourd'hui. De nombreuses fermetures sont intervenues au cours des quarante dernières années. De fait, beaucoup d'anciens sites doivent être dépollués.

Les stations-service s'adaptent pour permettre aux usagers de bénéficier de nouveaux modes de propulsion. Nos stations sont visées par un programme de distribution aux véhicules électriques. En outre, les stations sont conçues sur des normes bien plus exigeantes qu'il y a cinquante ans. La prévention et les standards de construction permettent d'éviter les déversements d'hydrocarbures.

Une centaine de stations-service est en cours de réhabilitation sur le territoire national. Nous en comptons également à l'étranger.

La politique appliquée par l'entité en charge des stations-service est identique à celle que nous mettons en oeuvre sur les friches. La maîtrise de l'impact environnemental est traitée par nos soins, et non pas sous-traitée. Nous assurons le contrôle des opérations.

Les propos de Philippe Monier sur le traitement des sites industriels s'appliquent aux stations-service, à la différence près que ces dernières sont souvent de plus petits objets, situés dans les zones urbaines ou périurbaines. Les attentes en matière de réaménagement ne sont pas de même nature que pour les sites industriels, implantés dans des zones moins attractives.

J'en reviens aux sites industriels. Vous évoquiez le renouvelable et l'économie circulaire. En matière de réhabilitation d'anciennes friches industrielles, le groupe Total cherche, autant que possible, à conserver le contrôle de l'usage pour ne pas transférer de responsabilités environnementales. Cette politique conduit à privilégier le redéveloppement d'activités économiques internes au groupe ou le développement d'énergies renouvelables. De nombreux sites sur lesquels nous intervenons font l'objet de projets d'installation de fermes photovoltaïques. Les deux sites traités dans la zone de Lacq s'inscrivent dans cette logique. Sur l'ancien site de la raffinerie de Valenciennes, un beau projet en ce sens a été accepté par la commission de régulation de l'énergie lors de sa précédente réunion. Un second projet a été accepté près de Grenoble. Un projet passera prochainement en construction à Villers-Saint-Paul, dans l'Oise. Le développement d'énergies renouvelables - essentiellement le photovoltaïque - est un axe que nous privilégions pour la reconversion des friches industrielles.

Certaines friches situées dans des zones plus attractives en termes d'aménagement. Parmi les réussites, je citerai l'ancienne usine de Grande Paroisse à Bordeaux. Le site, implanté en bords de Garonne, a été réhabilité en liaison avec les collectivités locales et territoriales. Le projet d'aménagement était porté par la mairie de Bordeaux. Le terrain a été réhabilité au regard de l'usage souhaité et a été cédé à la ville.

Nous comptons d'autres réussites de ce type, à Rouen et dans la périphérie de Nantes, par exemple. Ces développements sont portés en concertation avec des acteurs locaux.

M. Laurent Lafon, président. - L'excavation des terres fait actuellement l'objet de débats : est-il préférable d'excaver les terres pour les retraiter sur un autre lieu ou de les retraiter in situ ? Quelle est votre position sur ce sujet ? Généralisez-vous l'exemple des Yvelines ou était-il spécifique dans son contexte et dans la relation avec les agriculteurs ?

Vous mentionniez les bureaux d'études avec lesquels vous travaillez. Faites-vous toujours appel aux mêmes partenaires ou changez-vous systématiquement d'interlocuteurs ?

M. Philippe Monier. - Malheureusement, il n'existe pas de position dogmatique quant au traitement des terres. La solution dépend des polluants. Certaines pollutions sont biotraitables - les hydrocarbures ou encore quelques solvants chlorés en sont des exemples. D'autres produits, y compris organiques, ne sont absolument pas biodégradables. Je pense notamment aux composés perfluorés et aux polychlorobiphényles (PCB), que nous ne pouvons pas traiter. En matière de pollution métallique, il est possible de changer l'assemblage minéralogique du métal, mais pas de le « casser ».

Chaque type de pollution présente des caractéristiques physico-chimiques qui détermineront s'il s'agit d'une pollution volatile, biodégradable, de persistants ou qui pourra se dissoudre dans les eaux souterraines. En fonction de ces typologies, nous mettrons en oeuvre deux techniques de dépollution différentes. J'évoquais précédemment le biotraitement. Il est également possible de « jouer » sur les caractéristiques. Par exemple, le benzène est un produit très volatil. En mettant le sol en dépression, nous favorisons le passage du benzène d'un état liquide à un état gazeux. Nous pouvons ensuite récupérer ce gaz et le traiter pour rejeter dans l'atmosphère un air pur. Certains produits ne sont pas volatils, mais lixiviables
- elles passent dans les eaux souterraines. Les opérations de lavage des terres permettront de les réhabiliter. Nous traitons alors des masses d'eau, ce qui est plus simple que de traiter des sols.

Dans d'autres cas, du fait de pollutions mécaniques ou aux PCB, le traitement des terres est impossible. Dès lors, l'une des solutions est de confiner sur place. Nous créons une enveloppe étanche pour bloquer toute migration du polluant ou nous envoyons les terres dans des installations de stockage de déchets présentant déjà ce type de protection - ce que nous appelions pudiquement des décharges. Dans ce second cas de figure, des barrières empêchent les produits de quitter les alvéoles dans lesquelles elles sont placées.

Nous privilégions toujours une solution permettant de nettoyer les sols. Prendre la pollution d'un point A pour l'apporter dans un point B - une décharge - revient à la transférer ; la pollution n'est pas supprimée. Lorsque nous en avons la possibilité, nous préférons dégrader la pollution et nettoyer les terres afin que ces dernières puissent être réutilisées, soit en tant que sous-couche, soit pour être rendue à des usages plus nobles. Nous adoptons systématiquement les techniques mises en oeuvre au polluant en présence.

Chez Total, nous avons fait le choix de travailler avec beaucoup de partenaires. Nous ne mettons pas tous nos oeufs dans le même panier. Cette stratégie permet de faire travailler plusieurs bureaux d'études et d'éviter ainsi toute problématique déontologique ou de « main mise » sur la structure. Nous mettons les bureaux d'études en concurrence. Nous challengeons leur expertise en fonction de nos besoins - certains sont meilleurs en géotechnique, d'autres en hydrogéologie ou en technique de réhabilitation. Outre les aspects techniques, les éléments financiers entrent aussi en compte. Nous ne prenons pas le moins-disant financièrement, mais le bureau d'études qui mettra en oeuvre les meilleures solutions de gestion des risques et qui proposera la technicité répondant le mieux à nos attentes.

M. Antoine Londiche. - Plus généralement, qu'il s'agisse des bureaux d'études ou des autres corps de métiers intervenant dans les opérations, nous appliquons les directives d'achat du groupe Total. Nous passons systématiquement par des appels d'offres, sur la base d'un cahier des charges. Après avoir validé les éléments de sécurité et la capacité des différents acteurs à répondre à la demande, nous rencontrons les sociétés répondantes pour clarifier avec elles les solutions techniques apportées. Les règles appliquées en la matière sont identiques pour tous les types d'activités du groupe.

M. Laurent Lafon, président. - Comment envisagez-vous les travaux de dépollution du site de Lacq ? Est-il question d'une dépollution totale ou adaptée au devenir du site ?

M. Antoine Londiche. - Notre politique consiste à réhabiliter pour un usage déterminé. Le site de Lacq est une plateforme industrielle en exploitation. Pour nous, l'enjeu est de permettre à de nouveaux acteurs de venir s'y implanter. Les conditions au sein de la plateforme devront être compatibles avec un usage industriel. Nous nous attachons aussi à traiter les effets extérieurs au périmètre du site, en tenant compte du contexte local. De ce point de vue, le site de Lacq est tout à fait intéressant. Outre la plateforme industrielle, la zone comprend un espace important pour la biodiversité et l'écologie ainsi que des villages.

Je laisse Philippe Monier préciser l'approche technique.

M. Philippe Monier. - Lorsque nous dimensionnons une opération de réhabilitation, nous apprécions l'usage futur. Le sujet a fait l'objet d'une concertation préalable avec les autorités en charge de l'urbanisme au sein de la commune. Le processus de cessation de l'activité est décrit par le code l'environnement, qui prévoit que l'usage futur soit discuté avec les autorités locales - le maire, la communauté d'agglomération ou la communauté de communes.

D'autre part, nous devons tenir compte de la migration dans les eaux souterraines. La pollution peut être entraînée et sortir du site pour impacter des cibles extérieures. L'administration nous challenge en fixant des valeurs très précises en limite de site pour garantir que les populations et les écosystèmes à l'extérieur du site ne seront pas impactés. L'approche est double : elle comprend la maîtrise des risques au regard de l'usage futur et d'un éventuel transfert via les eaux souterraines.

Les opérations de dépollution sont onéreuses. Plus les niveaux de concentration doivent être réduits, plus l'effort financier sera conséquent. La relation n'est pas linéaire. Prenons l'exemple d'une pollution initiale de 10 000 milligrammes par kilo. Un abaissement à 1 000 milligrammes par kilo coûtera deux ou trois fois plus cher qu'un abaissement à 5 000 milligrammes. Ensuite, passer de 1 000 à 500 milligrammes multipliera le coût par dix. La courbe est exponentielle : plus vous descendez, plus les coûts sont élevés. Un équilibre doit être trouvé entre maîtrise des risques, maîtrise financière, qualité de l'environnement au regard des usages futurs et maîtrise des transferts par les eaux souterraines.

Cette péréquation se décide avec la Dreal. Nous proposons des objectifs de réhabilitation, validés par l'Administration et par un arrêté préfectoral après examen en conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst). Les élus locaux, les associations locales et l'ARS participent à ce conseil. Ce consensus global permettra l'édition de l'arrêté préfectoral qui entérine les valeurs de réhabilitation. Par la suite, nous devons démontrer que les objectifs ont été atteints. Nous présentons nos résultats à l'administration, qui peut vérifier leur exactitude en procédant à leurs propres prélèvements, avec un autre bureau d'études. Toutes nos opérations sont conduites en transparence avec la Dreal, qui peut venir à tout moment inspecter nos chantiers - ce qu'elle fait régulièrement. Nous devons présenter tous les justificatifs d'élimination des déchets. Les installations de chantier qui ne peuvent plus être utilisées doivent aussi être tracées.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Les Dreal ont vu leurs effectifs se réduire. Dans le cadre de précédentes auditions, il nous est apparu que la réactivité de ces directions régionales n'était pas nécessairement en adéquation avec les attentes sur le terrain. Pour votre part, vous semblez dire que les Dreal fonctionnent correctement.

M. Philippe Monier. - Nous travaillons en lien permanent avec l'administration. Nous sommes un de ses « gros clients ». Des rencontres s'organisent tous les trois mois afin de présenter l'avancement de nos projets. Les délais doivent être maîtrisés. À Pau, nous avons pu mettre en place une relation privilégiée avec l'administration, car il est question d'un projet d'envergure. Nous ne bénéficions pas de la même réactivité sur tous les sites. Il nous arrive d'attendre pendant plusieurs mois un retour sur l'une de nos propositions. Ces délais se répercutent nécessairement sur la mise en oeuvre des travaux. Nous proposons une feuille et une technique de réhabilitation, en attendant une réponse sous forme d'arrêté préfectoral. Sans l'accord de l'administration, nous ne pouvons pas engager les travaux.

M. Antoine Londiche. - Nous sommes attachés à l'implication de l'administration, tant pour la réalisation des travaux - au travers des arrêtés préfectoraux - que pour le récolement. Certes, les choses sont parfois difficiles. Néanmoins, le rôle de la Dreal dans ces opérations nous semble essentiel.

M. Philippe Monier. - Les arrêtés préfectoraux sont discutés dans les Coderst. Ce processus garantit la transparence des décisions et le consensus sur le choix de réhabilitation. Les associations de protection de l'environnement, la Dreal, l'ARS, le préfet sont présents. Ce consensus est majeur à nos yeux. La relation avec l'administration est très importante. Nous souhaitons que ces échanges perdurent. Il s'agit d'un élément essentiel pour garantir que nous intervenons dans le respect de la loi et en transparence avec les différentes parties prenantes.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Vos propos sont empreints de bon sens et de raison. Le rôle de cette commission d'enquête est aussi de regarder les éléments de nature à entraîner des retards. Les relations avec les Dreal sont peut-être bonnes. Toutefois, le manque de moyens humains et matériels pour traiter les dossiers en temps et en heure peut déboucher sur des dysfonctionnements sur les territoires. En l'absence de réponse, le préfet ne peut pas prendre l'arrêté autorisant les travaux. Cela peut avoir des incidences. Dans un village de mon territoire, la population a été évacuée à sept reprises à la suite d'une catastrophe naturelle. Cette situation n'est due ni à une mauvaise volonté ni à un problème relationnel, mais à une paralysie. Nous devons de voir comment ajuster les moyens pour gagner en réactivité. Vous nous avez donné des exemples de bon fonctionnement : pouvez-vous nous présenter des situations de blocage ?

M. Philippe Monier. - Les blocages existent lorsque le dossier est parachuté entre les mains de l'administration. Un projet de réhabilitation de site est complexe. Il fait appel à de la géologie, de la chimie, de l'hydrogéologie, à des risques toxicologiques et sanitaires ou encore à des écosystèmes. Si vous montez votre dossier dans l'ombre et envoyez subitement à l'administration un rapport de 300 pages, vous avez toutes les chances de subir d'importants délais. En revanche, lorsque vous accompagnez le projet et organisez des réunions régulières, l'administration ne découvre pas votre rapport final le jour de son envoi. Ce continuum facilite le travail. Souvent, les industriels voient l'administration comme le grand méchant loup avec lequel il est préférable de limiter les contacts. Je milite pour le raisonnement inverse. Il s'agit d'une relation d'homme à homme. Une discussion de chaque instant permet de trouver des solutions conjointes, dans l'intérêt de tous.

Vous l'avez dit : les effectifs des Dreal ne sont pas infinis. Les agents mettent parfois ce point en avant pour expliquer leur impossibilité à traiter les dossiers dans les temps impartis. Des contacts réguliers aident l'administration.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Ne croyez-vous pas qu'à l'avenir, il serait judicieux de prévoir la dépollution au cours de l'activité du site ? Il est nécessairement plus délicat d'intervenir a posteriori.

M. Philippe Monier. - Sur la plupart des sites du groupe, la Dreal ou la Driee demande un suivi de qualité des eaux souterraines. Surveiller un site en activité est très délicat, car les zones qui présentent les plus forts risques de pollution sont celles qui concentrent l'activité. Or il n'est pas évident de creuser au milieu d'une usine. En surveillant les eaux souterraines - un milieu immobile - nous voyons immédiatement si la qualité se dégrade. Ces opérations de surveillance sont menées en lien avec les bureaux de contrôle. Nous devons rendre des rapports de qualité tous les trimestres ou tous les semestres pour rendre compte des analyses réalisées. Toute dérive est immédiatement signalée à l'administration, qui s'enquiert des mesures envisagées pour comprendre la situation et y remédier. La surveillance des sites industriels s'effectue sans attendre la fin de l'activité. Nous cherchons à comprendre ce qu'il se passe sur place tout au long de la vie du lieu. Dès lors que des travaux sont conduits sur un site industriel - démantèlement ou installation d'un bâtiment -, l'administration demande une vérification de la qualité des sols avant de procéder à l'opération.

M. Antoine Londiche. - La plupart des friches industrielles que nous réhabilitons ont connu une activité pendant 100 ans ou plus. Les manières d'opérer ont fortement évolué au cours des dernières décennies. J'ai commencé à travailler en raffinerie dans les années 1980. Je peux attester que ce qui est pratiqué aujourd'hui, en termes de sensibilisation, de prévention, de suivi et de modes opératoires n'a plus rien à voir avec ce qui existait il y a une trentaine d'années. Même si nous traitons des friches parfois très anciennes, le niveau de prévention et de suivi est tel que nous ne sommes plus confrontés aux mêmes situations que par le passé. La plupart de nos sites - et vraisemblablement tous nos sites en France - sont certifiés ISO 14 001. Les suivis et les contrôles réalisés garantissent la qualité des opérations. Si un accident se produit, il est immédiatement traité.

Nos difficultés sont liées à la manière dont nous opérions dans l'industrie il y a des dizaines d'années.

M. Laurent Lafon, président. - Nous vous remercions pour vos réponses et pour le temps que vous avez consacré à notre Commission. Si cela n'est déjà fait, nous vous invitons à nous transmettre rapidement le questionnaire qui vous a été adressé. N'hésitez pas à approfondir les propos tenus à l'oral.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La téléconférence est close à 18 h 05.

Mercredi 24 juin 2020

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La téléconférence est ouverte à 16 h 45.

Audition de MM. Pierre Van de Bruaene, vice-président « Santé et sécurité environnementales », et Quentin Azau, conseiller juridique de la société Umicore (en téléconférence) (ne sera pas publié)

Cette audition s'est déroulée à huis clos. Le compte rendu ne sera pas publié.

La téléconférence est close à 17 h 50.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La téléconférence est ouverte à 18 heures.

Table ronde des agences de l'eau (en téléconférence)

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par une audition conjointe de deux directeurs généraux d'agences de l'eau :

- M. Thierry Vatin, directeur général de l'agence de l'eau Artois Picardie ;

- M. Marc Hoeltzel, directeur général de l'agence de l'eau Rhin-Meuse ;

- Mme Patricia Mauvieux-Thomas, directrice des politiques d'intervention de l'agence de l'eau Rhin-Meuse.

Cette audition est l'occasion de recueillir votre analyse des risques que la pollution industrielle et minière peut faire peser sur nos ressources en eau potable, qu'elles soient souterraines ou de surface.

Il serait utile que vous reveniez sur les difficultés que vous pouvez rencontrer ou avez pu rencontrer pour identifier les ressources en eau potable susceptibles d'être menacées par un transfert de pollution industrielle et minière, notamment dans le cadre de vos schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux. Les informations contenues dans les bases de données Basol et Basias ou encore dans les secteurs d'information sur les sols (SIS) vous sont-elles utiles pour identifier les ressources en eau pour lesquelles nous devons être vigilants ?

Par ailleurs, quelle évaluation faites-vous des obligations règlementaires qui pèsent sur les industriels et les exploitants miniers en matière de surveillance de la qualité des eaux souterraines ? Ces obligations sont-elles suffisantes ? La périodicité des contrôles de la qualité des eaux souterraines à proximité de sites polluants est-elle, selon vous, suffisante et ces contrôles sont-ils conduits dans des conditions optimales ?

Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de cinq minutes chacun, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Vous êtes, chacun, appelé à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Thierry Vatin et Marc Hoeltzel et Mme Patricia Mauvieux-Thomas prêtent serment.

M. Marc Hoeltzel, directeur général de l'agence de l'eau Rhin-Meuse. - Nous menons une première action qui recoupe le travail réalisé pour élaborer nos schémas directeurs d'aménagement et de gestion de l'eau (Sdage), dans le cadre de la directive-cadre sur l'eau. Pour cette action, nous nous intéressons à l'impact des sites et sols pollués sur les ressources en eau potable et sur l'atteinte du bon état des eaux. Pour le deuxième volet, nous n'avons pas d'éléments majeurs de dégradation de la qualité de l'eau liée aux sites et sols pollués dans le cadre de l'application de la directive-cadre sur l'eau.

Nous sommes davantage préoccupés de l'impact sur les ressources en eau potable. Nous ne disposons pas d'une vision exhaustive de l'impact des sites et sols pollués sur la ressource en eau et nous appuyons essentiellement sur la base de données Basol qui présente des niveaux d'informations assez variables, mais donne une vision des sites et sols pollués qui appellent une action des pouvoirs publics. Nous la croissons avec la base de données Basias qui donne une vision historique et industrielle des sites et sols pollués. La combinaison des deux bases de données donne une vision, certes partielle, mais qui nous fournit des éléments pour agir.

Pour aller plus loin, nous avons deux éléments nouveaux. Le premier concerne une étude en cours, sous l'égide de la région, avec le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) comme prestataire. L'objectif est de recenser plus finement la dimension de l'eau potable sur les sites et sols pollués de notre bassin. Nous avons également un enjeu que nous partageons avec l'ARS dans le cadre du plan régional de santé, avec un volet sur les sites et sols pollués et les ressources en eau potable. En termes de politique d'intervention, ce n'est pas une activité centrale pour l'agence, mais nous l'avons tout de même revisitée. Nous portons un appel à projets avec l'agence de l'environnement et de maîtrise de l'énergie (Ademe) et la région pour promouvoir des techniques exemplaires et innovantes de dépollution des sites dans une ambition de reconstruction, dans un contexte d'urbanisme moins consommateur d'espaces naturels. Dans ce cadre, nous pensons que la valorisation des sites et sols pollués constitue un axe intéressant qui peut déboucher sur des initiatives intéressantes en termes de techniques de dépollution. Une échéance est prévue le 10 septembre 2020, date limite de dépôt des dossiers, et l'échéance suivante sera le 26 avril 2021. Le sujet est donc actif, même s'il n'est pas central dans notre politique d'intervention. Nous nous préoccupons bien du volet relatif à l'eau potable, nous raccrochons aux données existantes, développons de nouvelles études à l'échelle du bassin. Avec les partenaires région et Ademe, nous portons des appels à projets pour remonter des cas concrets, afin de forger une politique d'intervention plus étoffée.

M. Thierry Vatin, directeur général de l'agence de l'eau Artois-Picardie. - En Artois-Picardie, le territoire a une image très industrielle, avec une exploitation minière bien connue qui s'est aujourd'hui largement arrêtée. Nous avons effectivement un passé industriel qui a très fortement pesé sur la qualité de l'eau et sur les sols. Nous sommes sans doute la région la plus en retard sur le bon état des masses d'eau. Vous connaissez les objectifs de la directive européenne qui vise 100 % de bon état écologique des masses d'eau à l'horizon 2027 : nous sommes à 22 %, pour une moyenne nationale à 44 %. Notre bassin est celui qui accuse le plus important retard.

J'arrive dans la région, puisque j'ai pris mon poste de directeur général depuis six mois seulement. Malgré ce passé industriel, ce qui pèse le plus aujourd'hui sur le bon état des masses d'eau n'est plus la pression industrielle, mais la pression humaine, ou démographique, puisque nous sommes une des régions les plus denses en termes démographiques. Les deux tiers de la pression relèvent de la présence humaine, en termes de consommation d'eau, mais aussi de rejets. Après la pression humaine vient la pression de l'activité agricole puisque la région a une activité agroalimentaire industrielle très consommatrice de polluants, pesticides et intrants. Nous sommes dans le pays de la pomme de terre, culture extrêmement nocive en termes d'usage des sols et des pesticides.

Le sujet de l'eau, dans le Nord-Pas-de-Calais et dans le bassin Artois-Picardie, ne relève plus tellement de la problématique de l'industrie. Le programme de mesures que nous préparons pour le Sdage 2022-2027 prévoit un investissement de 2,5 milliards d'euros pour les six ans. La part que nous consacrerons à la dépollution et aux aides apportées aux industriels sera très faible. L'effort n'est plus là pour nous aujourd'hui : l'effort a été énorme. Avec les injonctions de la directive-cadre européenne, les industriels ont investi massivement, depuis vingt ans, dans la dépollution industrielle. Ces acteurs ont massivement joué le jeu, contrairement aux agriculteurs qui n'ont pas changé de modèle économique. Les industriels n'ont pas non plus changé leur modèle économique, mais ils se sont équipés et ont investi dans la dépollution. Leurs rejets sont aujourd'hui assez limités, sauf en cas d'accident industriel, comme celui que nous venons de vivre avec l'entreprise Tereos qui a pollué l'Escaut.

La ressource en eau dans le Nord-Pas-de-Calais Artois-Picardie est essentiellement souterraine, puisque 90 % de l'eau potable prélevée pour l'usage habituel provient des eaux souterraines. Nous avons des sols qui ont été fortement marqués par la pollution et nous avons toujours une rémanence de pollutions anciennes, mais plus tellement de nouvelles pollutions.

Notre activité dans la dépollution des sols pollués et industriels est actuellement très faible au sein de l'agence. Entre le septième et le dixième programme, soit entre les années 1997 et 2017, nous avons investi massivement. L'agence de l'eau a apporté une aide dans de nombreuses opérations, pour 20 millions d'euros d'investissement et 8 millions d'euros d'aides de l'agence. Au début des années 2000, d'autres opérateurs, plus légitimes que l'agence de l'eau, se sont progressivement investis dans la récupération et la dépollution des sites pollués, dont l'établissement public foncier (EPF) Nord-Pas-de-Calais qui s'est créé et a repris cette politique de dépollution. L'EPF Nord Pas-de-Calais porte donc aujourd'hui plutôt la dépollution des sites pollués anciens. Depuis une vingtaine d'années, l'Ademe s'est investie dans ce domaine, avec sa politique nationale d'intervention sur les sites pollués. Nous avons progressivement laissé ces deux opérateurs intervenir, sachant qu'ils en font une politique centrale, et nous nous sommes recentrés, dans le onzième programme, sur l'investissement sur les milieux naturels, en plus des questions encore majeures des pollutions urbaines et agricoles.

Nous avons néanmoins lancé quelques appels à projets vers les industriels, par exemple sur le thème de l'économie d'eau, sujet majeur pour notre bassin. D'importants problèmes de ressources d'eau interviendront dans le Nord et nous cherchons à amener les acteurs (agriculteurs, urbains et industriels) à économiser l'eau. Dans le Dunkerquois, un territoire de 100 000 hectares ne compte aucune ressource en eau puisque ce sont des polders, région du Dunkerquois qui se trouve sous le niveau de la mer. Un sujet de gestion quantitative se pose donc.

Dans le prochain Sdage, nous investirons massivement sur la question agricole, sujet majeur pour toutes les agences de l'eau. Nous ne progresserons plus sur le bon état des masses d'eau si cet acteur ne change pas de modèle et ne joue pas le jeu.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Pourriez-vous revenir sur les actions mises en oeuvre par les agences de l'eau pour assurer la protection des ressources souterraines en eau potable potentiellement exposées à un transfert d'une pollution industrielle ou minière des sols ? Dans quelle mesure pouvez-vous accompagner les exploitants pour limiter la migration de polluants vers les ressources en eau ?

Quelle est, par ailleurs, votre approche lorsque les transferts de polluants d'un site vers des ressources en eau sont le résultat de phénomènes naturels ou climatiques tels que des inondations ? Les aléas climatiques de forte intensité ne sont pas réservés à nos collectivités ultramarines, nous les subissons de plus en plus dans l'hexagone. Je pense à des situations comme celle qu'a connue la vallée de l'Orbiel, dans l'Aude, dont les inondations de 2018 ont charrié des polluants depuis d'anciens sites miniers vers des cours d'eau.

Lorsque des contrôles de l'état des eaux souterraines réalisés par des bureaux d'études pour le compte d'exploitants concluent à la présence de polluants, ces résultats vous sont-ils communiqués par l'exploitant, le cas échéant par l'intermédiaire de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) ? Si ce n'est pas le cas, ne faudrait-il pas imposer l'obligation de communiquer aux agences de l'eau de telles informations ?

Enfin, d'une manière générale, quelles seraient vos recommandations pour améliorer la coordination entre la Dreal, l'ARS, l'agence de l'eau et les collectivités territoriales pour favoriser une surveillance accrue des ressources en eau potable face aux risques de pollution des sols d'origine industrielle ou minière ? De même, pour les travaux de dépollution, dans quelle mesure pouvez-vous peser, notamment auprès de la préfecture, sur les choix des techniques de dépollution pour prévenir une aggravation de la dégradation des ressources en eau ?

Notre commission d'enquête a été constituée sur la thématique de la pollution des sols suite à une activité minière ou industrielle. Nous sommes conscients des problématiques actuelles, avec les activités minières ou industrielles en cours, comme l'a montré l'accident de Lubrizol. L'incendie de Notre-Dame de Paris a également montré que des pollutions historiques pouvaient ressurgir.

La conscience environnementale est aujourd'hui plus prégnante dans les populations, qu'elles soient urbaines ou rurales.

M. Marc Hoeltzel. - La première interrogation porte sur nos moyens d'intervention. Nous posons les diagnostics à l'échelle du territoire, soit au niveau de l'ensemble de notre bassin, soit ponctuellement sur des secteurs à enjeu. Nous menons actuellement deux actions avec les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), sachant que nous avons deux SAGE sur le bassin ferrifère et sur le bassin houiller. Nous étudions l'impact des sites et sols pollués sur les ressources en eau : nous ne menons actuellement pas d'action concrète, mais réalisons des études plus fines sur des territoires donnés.

Nous pouvons intervenir directement auprès des industriels, en cas de présomption de pollution : nous pouvons alors financer la mise en place de piézomètres de contrôle. En coordination avec le service des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), nous pouvons ainsi être informés des sites potentiels de pollution et apporter des moyens de contrôle et de surveillance.

Nous pouvons réaliser des études, des pilotes de traitement, sans être bridés par l'encadrement communautaire des aides. Nous avons ouvert ce créneau dans l'appel à projets que nous portons avec la région Grand Est et l'Ademe. Nous sommes favorables aux études assez fines sur les techniques de dépollution possibles, adaptées aux configurations locales de sites et sols pollués, y compris pour expérimenter de nouvelles technologies qui pourraient nous servir de référentiels pour conseiller les services de l'État sur un site donné.

En matière de travaux de dépollution, nous nous trouvons dans une zone grise. Si un industriel est mis en cause, nous ne pouvons plus intervenir financièrement. S'il s'agit de sites orphelins, ils relèvent plutôt de l'Ademe. Notre créneau d'intervention est très restreint et ne concerne que les sites où aucun industriel ne peut être appelé à la cause, sans être orphelins : il peut ainsi s'agir de sites pris en charge par une collectivité pour une urbanisation future pour lesquels nous pouvons apporter un financement pour rendre la valorisation des sites et sols pollués possible, en procédant à l'action de dépollution. Ce créneau est toutefois restreint et nous n'intervenons que rarement en matière de travaux.

Dans le cadre d'appel à projets avec l'Ademe et la région, nous intervenons, avec le contrôle des ICPE. Nous considérons qu'il est possible d'instaurer une meilleure coordination avec la Dreal qui ne peut être présente sur tous les sites, faute de moyens humains. Les méthodes de travail ne sont pas très fluides et l'articulation manque pour ce type de dossiers. Nous n'avons cependant pas de relations continues avec les inspecteurs de la Dreal pour tous les sites et sols pollués du bassin.

Vous avez envisagé une hypothèse de pollution induite par des sites historiques, provoquée ou amplifiée par des phénomènes liés au changement climatique. J'ai un exemple en tête, lié à un site assez complexe, situé sur la Chiers, pour lequel nous suspectons une pollution qui trouverait son origine au Luxembourg. Nous traitons le sujet dans le cadre de la commission internationale dédiée, en parfaite articulation avec les services de la Dreal. Le sujet est compliqué puisque la pollution historique est située en dehors de notre territoire, avec des répercussions potentielles sur le territoire français. La pollution est importée par des phénomènes d'inondation. Nous envisageons une action en termes d'études et de connaissances.

Sur le volet historique, notre bassin a des sites historiques emblématiques en termes de sites et sols pollués et nous avons travaillé sur une dépollution des mines de potasse d'Alsace, en dépolluant tous les terrils qui servaient au stockage des produits salins. Nous avons mené une action pour accompagner les travaux et procéder à la renaturation et à la couverture de ces terrils, mais aussi à la dissolution provoquée par des phénomènes d'aspersion pour traiter complètement cette pollution historique.

Je peux également citer un autre sujet que nous avons souhaité approfondir dans le cadre de notre onzième programme : la pollution historique liée au stockage des munitions de la Première Guerre mondiale. Cette action fait partie des huit défis de notre onzième programme d'intervention. Nous menons une action avec le BRGM et avons identifié un certain nombre de sites potentiels, avec des stockages importants de munitions. Les deux premiers sites se trouvent dans la Meuse, avec peu d'impacts sur la ressource en eau potable. Les investigations ultérieures ont détecté des sites en Alsace qui génèrent des questionnements sur les possibles interactions avec des ressources plus sensibles pour nous. Nous n'oublions pas ces pollutions historiques et considérons que nous avons un devoir de mémoire vis-à-vis des jeunes générations. Quand nous avons connaissance sur ces sites, nous portons un regard sur les conséquences potentielles sur les ressources en eau potable.

Nous ne sommes pas forcément en interaction quotidienne avec les services de l'État sur les sites et sols pollués et devons améliorer notre fonctionnement avec nos collègues de la Dreal. Quand des pollutions importantes existent, nous nous réunissons sous l'égide du corps préfectoral et apportons notre connaissance ainsi que notre capacité de financement en matière d'études. Je pense au site de Molsheim qui a une pollution historique au tétrachloréthylène. Pendant des années, nous avons porté les études, parallèlement à l'action administrative de la Dreal, pour cerner l'origine de la pollution et intervenir auprès de l'industriel.

Mme Patricia Mauvieux-Thomas, directrice des politiques d'intervention de l'agence de l'eau Rhin-Meuse. - Vous évoquiez la question de la transmission des contrôles de l'État réalisés par les bureaux d'étude. Je suppose que vous faites référence aux contrôles périodiques exigés pour les installations soumises à déclaration. Nous ne sommes pas destinataires de ces contrôles et ne sommes pas informés de la teneur de ces contrôles, des dysfonctionnements éventuellement mis en évidence par ces contrôles et donc des actions correctives à mettre en oeuvre.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Pensez-vous qu'il serait utile que les agences de l'eau en soient destinataires ?

Mme Patricia Mauvieux-Thomas. - Je ne mesure pas l'ampleur du nombre de contrôles opérés chaque année et la difficulté à identifier les enseignements tirés de ces contrôles. Je ne sais pas si ces contrôles déterminent des actions à mener pour les ressources en eau et ne peux donc répondre précisément à votre question. Si ces contrôles mettent en évidence des enjeux importants pour les ressources en eau qui requièrent une action, il conviendrait effectivement que nous ayons un échange avec l'administration pour déterminer les suites à donner et la manière dont l'agence de l'eau pourrait accompagner des actions.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Vous avez indiqué que vos relations avec les Dreal ne couvraient pas toujours tous les sujets et j'ai cru comprendre que vous l'assimiliez à un manque de moyens donnés aux administrations Dreal qui ont des responsabilités accrues, sur des territoires régionaux plus importants. Dans le cadre de la décentralisation, des compétences des départements ont été confiées à l'échelon régional. Pensez-vous qu'il faudrait que les Dreal disposent d'une déclinaison plus proche des territoires départementaux pour bénéficier d'une connaissance plus fine et d'une plus grande réactivité ?

M. Thierry Vatin. - 40 % de l'activité des Dreal s'exerce pour les préfets de département. Chaque Dreal dispose d'unités départementales, très proches du terrain, notamment pour les inspecteurs des installations classées.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Il doit exister des disparités entre les régions. Les politiques menées ces dernières années conduisent à augmenter l'éloignement avec le territoire. Le lien avec les préfets est d'ordre institutionnel. Les maires attendent parfois les avis émanant des Dreal, pour que les préfets prennent des décisions, depuis trois, quatre, voire cinq ans. Selon les régions, le lien avec l'ARS et la Dreal diffère, ce qui interroge quant à l'égalité à l'accès aux services sur l'ensemble du territoire national.

M. Thierry Vatin. - J'ai été directeur départemental des territoires, Dreal et directeur de l'eau et de la biodiversité, avant d'être directeur d'une agence de l'eau : je dispose donc d'une bonne vision de l'organisation de l'État. La difficulté concerne l'organisation et le management des échanges. Chaque administration a ses propres dossiers, enjeux et bases de données. Il convient donc de croiser la bonne information et la bonne communication, au moment opportun, sachant qu'il est compliqué de le faire en permanence et en temps réel. Des instances ont toutefois été créées, telles que les missions interservices de l'eau et de l'environnement (Misen). Les Misen regroupent normalement tous les acteurs : Dreal, agence de l'eau, direction départementale des territoires (DDT), ARS, services de la préfecture et office français de la biodiversité (OFB). Ces Misen sont le moteur de la communication interservices. Si elles sont bien pilotées et gérées, les informations circulent bien. Si elles ne le sont pas, la communication fonctionne moins bien et des disparités peuvent alors être observées entre les territoires. Les Misen sont gérées par les services préfectoraux, aidés par les services techniques. Le dispositif permet d'instaurer un bon fonctionnement, à condition d'y consacrer du temps. Les moyens se trouvent cependant de plus en plus en tension alors qu'il convient de consacrer du temps aux Misen pour croiser les stratégies et planifier les contrôles environnementaux. J'assistais, il y a deux jours, au comité de pilotage de l'office français de la biodiversité piloté par Emmanuelle Wargon, en tant que représentant des agences de l'eau. La secrétaire d'État s'interroge actuellement sur la coordination des interventions qui relèvent de la police de l'environnement, entre les services de l'État. Il convient de s'interroger régulièrement sur le « qui fait quoi » puisque l'organisation n'est pas simple. Le problème ne vient pas d'une mauvaise volonté, mais de la qualité du pilotage.

Dans la région Artois-Picardie, le président du conseil d'administration est le préfet, responsable des services de l'État dans la région. Le préfet doit piloter l'ensemble des services et des opérateurs. Est représentée au conseil d'administration de l'agence de l'eau la Dreal et l'agence de l'eau siège au conseil d'administration de l'Ademe. Nous ne manquons pas de liens entre nous et la volonté de communiquer existe, mais il est compliqué d'harmoniser toutes les bases de données. Cela demande un pilotage interministériel extrêmement efficace, ce qui n'est pas toujours le cas.

Je vous cite un exemple. Le préfet de région s'est récemment fâché de l'accident survenu dans l'Escaut. Une sucrerie, Tereos, a rejeté dans la rivière des substances nocives normalement stockées dans de grands bassins de rétention endigués. Une digue a cédé, sans doute à cause d'un mauvais entretien, et plusieurs centaines de milliers de mètres cubes sont partis dans l'Escaut, tuant de nombreux poissons. Cet accident a suscité une vive émotion puisque l'Escaut est un fleuve transfrontalier et que les Belges se sont plaints puisque trois ou quatre jours se sont écoulés avant que nous communiquions sur le sujet. Un problème diplomatique est apparu, ce qui a contrarié le préfet. Nous réalisons actuellement un retour d'expérience sur ce point puisque nous aurions pu mieux communiquer, sachant que la Dreal et la DDT sont en première ligne sur ce sujet. Nous disposons de données sur la qualité de l'eau dans l'Escaut que nous communiquons sans difficulté. Cet incident montre qu'il a fallu trois ou quatre jours pour comprendre l'origine de l'accident et pour communiquer. Le sujet n'est pas simple puisque nos problèmes sont complexes et que l'organisation de l'État est également complexe.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Vous avez parlé de pilotage et d'interactions entre les différents groupes. J'entends vos propos. Quand vous avez cette répartition sur les territoires et que le préfet change tous les deux ans, le pilotage est compliqué. Sur mon territoire, la dépollution concerne toute une vallée et les acteurs attendent depuis 25 ans, alors que la vision des représentants de l'État change au gré des changements d'interlocuteurs. Ceci consterne les populations puisqu'aucun résultat n'est constaté sur le terrain, malgré les nombreuses réunions. La notion de pilotage et de suivi des décisions prises constitue, selon moi, un chaînon manquant dans le schéma que vous avez présenté.

M. Joël Bigot. - M. Vatin, vous avez indiqué dans votre diagnostic que la pression humaine influait beaucoup sur la qualité de l'eau, sur le plan industriel et sur le plan des habitations (consommation et rejet). Vous avez également évoqué l'agriculture. L'agriculture consomme beaucoup d'intrants dans votre région, pour la culture de la pomme de terre, comme dans d'autres régions, et a besoin de beaucoup de ressources. Dans ma région, dans la vallée de la Loire, le modèle économique consiste à cultiver du maïs ou des cultures qui consomment beaucoup d'eau. Ce modèle est actuellement remis en cause, mais les arrosages continuent à 16 heures. Le dialogue avec les organisations professionnelles est compliqué puisqu'elles s'érigent parfois plus en lobby qu'en acteurs du développement économique. La qualité de l'eau s'en ressent, ainsi que la ressource. Vous nous avez indiqué qu'il était difficile de remplir les nappes phréatiques dans votre région.

Pouvez-vous nous présenter les réparations possibles en matière de biodiversité ? Quels programmes avez-vous expérimentés en matière de prévention ? Pouvez-vous citer des actions conduites avec des organisations professionnelles agricoles, pour contrôler l'utilisation de la ressource en eau et les intrants ? Ce sujet est important dans les régions où l'agriculture représente l'essentiel de l'activité, avec des cultures parfois très diversifiées, mais aussi très consommatrices en eau et très polluantes.

M. Thierry Vatin. - J'étais encore, il y a six ou sept mois, le directeur de l'eau et de la biodiversité et gérais le programme Ecophyto auprès des ministres. Cette politique date de 2008 et visait à réduire de 25 % les pesticides à horizon 2020. Nous avons dressé un constat il y a quelques mois avec les ministres : nous ne sommes pas à une réduction de 25 %, mais à une augmentation de 25 %. Sur mon territoire, les industriels ont fait leur travail : ils traitent leurs pollutions puisqu'ils sont raccordés ou ont leur propre station. D'importants efforts ont été consentis sur la question. Pour les urbains, il existe la directive-cadre européenne pour les eaux résiduelles urbaines : la France n'a pas à rougir des actions menées au cours des 20 ou 25 dernières années. Nous n'avons plus de contentieux européen et il nous reste 200 ou 300 stations problématiques, parmi les milliers de stations d'épuration qui existent. Un effort majeur a été accompli au cours des vingt dernières années : les villes se sont équipées et traitent les effluents. Reste le problème des réseaux unitaires : quand des phénomènes d'orage sont observés, toute la pollution lessivée par les pluies va dans les stations ou dans les rivières.

Notre problème concerne aujourd'hui les agriculteurs. Si je dois dire quelque chose en mon âme et conscience, je trouve que nous avons un problème fondamental avec le monde agricole qui refuse fondamentalement de changer de modèle. Il y a eu la politique des 3 000 fermes Dephy. Nous avions ensuite décidé d'un objectif de 30 000 fermes agrobios, mais nous en sommes loin. Nous avons bien 3 000 fermes Dephy : ces fermes ont démontré leur capacité à réduire de 30 à 40 % les pesticides. Nous savons que l'objectif peut être atteint, mais ce modèle reste un modèle de militant. Nous avons eu une audition à l'Élysée avant mon départ et je l'ai dit à Alexis Kohler qui me demandait quels étaient les résultats de la politique Ecophyto. Nous en sommes loin et n'atteindrons pas l'objectif du Plan biodiversité de réduire les pesticides de 25 % en 2020 et de 50 % en 2025. Nous n'atteindrons pas cet objectif : la France compte 400 000 exploitations. Si seulement 3 000 exploitations jouent le jeu, voire 30 000 exploitations dans quatre ou cinq ans, seules 10 % des exploitations auront réduit de 40 % leurs pesticides. Le problème de révolution industrielle de l'agriculture doit être pris en compte dans la future politique agricole de l'Union européenne. Pour l'instant, les agriculteurs subissent la pression citoyenne et politique, mais résistent encore aux changements. Sur les zones de non-traitement, bandes qui doivent protéger les habitations, il avait été proposé de ne pas traiter les 20 mètres situés à proximité des habitations, mais les grandes fédérations se sont insurgées contre cette mesure. Le ministère de l'agriculture a alors décidé de traiter la question au niveau des départements, avec des chartes départementales qui n'ont pas abouti à des résultats.

Je considère que les pressions industrielles relèvent du passé, même si une rémanence existe dans les milieux et doit être traitée. Les masses d'eaux souterraines sont complexes, puisqu'elles communiquent entre elles, et il est compliqué de savoir ce qui se passe. Nous avons engagé des études avec le BRGM. Nous devons traiter le passé, pour les industriels, et continuer à travailler avec eux pour réduire leur pollution et leur consommation d'eau, mais ces acteurs ont accompli un important effort.

Vous parliez du maïs. En 2050, dans le bassin de la Garonne, il y aura deux fois moins d'eau. Au lieu d'avoir 2,4 milliards de mètres cubes, il n'y aura plus que 1,2 milliard de mètres cubes. Devons-nous maintenir les pratiques qui consistent à arroser le maïs en plein midi, sur des rampes de 500 mètres de long ? Je pense qu'un sujet existe sur ce point. J'ai envie, dans la région Nord-Pas-de-Calais, de m'attaquer à cette question.

M. Laurent Lafon, président. - La commission d'enquête se penche sur la pollution des sols d'origine industrielle et minière. Vous indiquez que les industriels ont joué le jeu. Vous parlez des sites industriels actuels, qui disposent de processus qui sécurisent davantage l'activité. Reste tout de même le problème des pollutions antérieures liées à une activité industrielle passée : la pollution demeure et les autorités sont confrontées à l'absence de responsables. Identifiez-vous des actions sur ce type de pollutions d'origine industrielle ou minière ?

M. Marc Hoeltzel. - Comme je l'indiquais, le sujet continue à nous préoccuper, même s'il n'est pas central. Nous n'avons pas beaucoup de dossiers de ce type, mensuellement ou semestriellement. Nous avons cependant initié volontairement une action concertée avec la région et l'Ademe, ce qui montre que nous nous préoccupons de l'héritage historique. Les industriels sont maintenant dotés d'ouvrages épuratoires, mais nous avons sur notre bassin des sites industriels historiques qui ne sont pas uniquement des sites et sols pollués, sur lesquels il est encore nécessaire d'investir pour les dépolluer. Je pense par exemple à la plateforme de Carling pour laquelle nous avons un enjeu important pour restaurer la qualité de l'eau. L'industriel développe des procédés et technologies innovantes, mais a hérité d'un site industriel qui n'était pas aux normes en matière de dépollution. Nous avons à coeur de traiter ces problématiques avec les industriels en place aujourd'hui et nous sommes vigilants sur le point. Nous avons identifié cet enjeu dans le cadre du Sdage. Nous travaillons avec les services de la Dreal pour trouver les meilleures articulations possibles.

Au niveau de l'agence de l'eau, les agents en charge de la politique industrielle sont en nombre limité. Nous avons un référent sur la partie substances et sites et sols pollués et un autre référent pour la partie artisanat et industries classiques, ainsi que trois chargés d'intervention qui couvrent le terrain. Nous recherchons un nombre limité de moments où nous sommes en interaction avec la Dreal, ce qui explique l'absence de flux continus entre nous. Nous sommes limités de part et d'autre. Nous nous sommes réunis il y a quelques mois avec le chef de service de la Dreal pour trouver une meilleure articulation, puisque le besoin est partagé. Nous partageons le souhait de rester vigilants sur les sites historiques : des pollutions historiques dures persistent, lorsqu'elles n'ont pas été traitées, avec des désordres rémanents que nous abordons au fur et à mesure sur le bassin qui compte encore un certain nombre de sites et sols pollués. Le Grand Est et les Hauts-de-France sont effectivement les deux régions les plus concernées par cette problématique de sites et sols pollués.

Nous sommes également soucieux des problématiques agricoles. Je rejoins les propos de M. Vatin puisqu'un enjeu est émergent sur le sujet. Nous constatons des expériences positives, mais nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir avec la profession agricole.

M. Thierry Vatin. - L'établissement public foncier a pris en charge la problématique des sites pollués anciens et s'attaque à toutes les friches minières du bassin minier. Depuis deux ou trois ans, de nouveaux procédés sont expérimentés pour dépolluer et restaurer les sols. Un projet vise à traiter les usines qui ont successivement occupé les sites avec un charbon végétal, le biochar de Miscanthus, qui permet de restaurer la fonctionnalité des sols urbains.

M. Marc Hoeltzel. - Nous disposons également d'un partenariat avec l'EPF de Lorraine, acteur actif en termes de dépollution des sols. Cet outil est à la disposition des collectivités et cet acteur peut mobiliser des financements. Nous pensons qu'une source d'innovation existe, pour le traitement des sites et sols pollués. L'EPF n'est pas encore déployé sur tout le bassin. À Strasbourg ou Nancy, des sites et sols pollués sont imbriqués dans le tissu urbain et l'économie n'est pas la même si une opération immobilière peut valoriser le site puisque la plus-value permet d'absorber la dépollution des sols. Ce point rejoint en outre l'objectif de l'agence qui visait à éviter l'imperméabilisation des surfaces et à promouvoir les techniques pour infiltrer davantage d'eaux pluviales et à désimperméabiliser les surfaces urbaines. Dans ce contexte, les sites et sols pollués peuvent être valorisés, dans le domaine urbain, puisque les coûts sont plus facilement absorbés.

Pour la renaturation de friches polluées, la situation diffère. Nous sommes volontaires, si une collectivité recherchait des financements pour traiter des sites et sols pollués et les valoriser en termes de renaturation.

M. Thierry Vatin. - Le sujet dépend du portage foncier : des sites orphelins existent (terrils, sites miniers, mais aussi grands bâtiments industriels laissés à l'abandon). L'établissement public foncier peut alors réaliser le portage foncier et procéder à la dépollution de sites miniers, avec des techniques innovantes, et au recyclage urbain des bâtiments industriels porteurs de pollution. Nous contribuons au financement, en cas de besoin. Ceci rejoint la question de l'artificialisation des sols.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je reviens à la directive-cadre sur l'eau qui a mis en place les comités de bassin. Ces comités de bassin regroupent toutes les parties prenantes (collectivités, industriels et associations). Ces comités doivent améliorer la qualité de l'eau. En matière de pollution des sols, est-il possible de mettre en place ce type de modes opératoires pour gagner en efficacité ? Ce modèle est-il transposable ?

M. Thierry Vatin. - Cette question rejoint celle de la gouvernance : sur les sujets de l'eau, la gouvernance doit concerner l'ensemble des partenaires publics, voire des associations et des représentants de fédération. Nous avons récemment souhaité, dans le cadre des assises de l'eau, renforcer cette gouvernance à l'échelle des sous-bassins. Depuis de nombreuses années, le modèle français prévoit la gestion par sous-bassin, dans le cadre des SAGE. La gouvernance pourrait contribuer à renforcer le dialogue entre tous les partenaires, à l'échelle du sous-bassin qui est plus opérationnelle. Un effort devrait être fourni, pour couvrir le territoire dans chaque bassin par la mise en place de ces SAGE. En Artois-Picardie, tout le territoire est couvert par des SAGE, ce qui n'est pas le cas partout. Ce niveau permet de couvrir tous les sujets de l'eau (inondations, qualité de l'eau, renaturation, partage de l'eau et gestion quantitative). Je pense qu'il faudrait renforcer les SAGE qui abordent des sujets très concrets et opérationnels.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Pensez-vous que ce modèle soit transposable ? Nous nous rendons compte que le suivi des dépollutions pose problème lorsqu'il existe un manque de coordination et de perspectives alliant les acteurs, avec une gouvernance, des projets et des réalisations.

M. Thierry Vatin. - Le futur Sdage 2022-2027 devrait se décliner dans les territoires : le Sdage définira de grandes orientations, mais il faudra aller dans les sous-bassins pour voir, masse d'eau par masse d'eau, d'où viennent les pressions et quelles actions et programmes de mesure doivent être initiés.

M. Marc Hoeltzel. - En matière de gouvernance, au-delà des SAGE qui couvrent tout de même des périmètres assez larges, nous croyons aux contractualisations pour mener des actions territoriales et avoir une approche à 360 degrés qui revisite l'ensemble des enjeux en matière d'eau (agriculture, industrie, sites et sols pollués, aménagement urbain, eau potable, assainissement). Nous les portons dans des contrats de territoire « Eau et climat » qui permettent à nos équipes de porter un autre regard qui embrasse un territoire, avec tous les enjeux qu'il porte. Nous pensons que les collectivités doivent être au centre de ces gouvernances, notamment en matière agricole. Nous souhaitons mettre les collectivités au centre des enjeux agricoles et des enjeux des sites et sols pollués, pour les accompagner dans la prise en charge de ces dossiers, en lien avec les services de l'État.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie tous de vos réponses précises et des éclairages que vous avez pu nous apporter. Je vous invite à nous retourner le questionnaire écrit que nous vous avons adressé.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La téléconférence est close à 19 h 15.