Mercredi 15 juillet 2020

- Présidence de M. Éric Jeansannetas, président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Audition de M. Alexis Kohler, directeur du cabinet de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

M. Éric Jeansannetas, président. - Nous poursuivons nos auditions sur les concessions autoroutières en entendant M. Alexis Kohler, qui fut l'un des protagonistes de la négociation du protocole signé en 2015 entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes, dans le cadre du plan de relance autoroutier.

M. Kohler a en effet conduit les négociations avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA), alors qu'il était directeur de cabinet du ministre de l'économie, M. Emmanuel Macron, aux côtés de Mme Élisabeth Borne, alors directrice de cabinet de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle est également ouverte à la presse et fera l'objet d'un compte rendu publié.

Monsieur le secrétaire général, je vous remercie de vous être rendu à notre convocation. Après vous avoir rappelé qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alexis Kohler prête serment.

M. Éric Jeansannetas, président. - Avant passer la parole à notre rapporteur, Vincent Delahaye et aux membres de la commission d'enquête, je vous propose de nous présenter, à titre liminaire, le contexte et le mandat de votre intervention en 2014-2015.

M. Alexis Kohler, directeur du cabinet de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016. - Comme vous le savez, le principe de séparation des pouvoirs ne me permet pas de répondre aux questions qui porteraient sur l'exercice, auprès du chef de l'État, de mon mandat actuel de secrétaire général de la présidence de la République. Mais, bien évidemment, je suis à votre entière disposition pour répondre aux questions relatives à mes fonctions antérieures de directeur de cabinet du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique dans la période comprise entre la fin du mois d'août 2014 et la fin du mois d'août 2016.

Votre commission d'enquête a eu l'occasion d'auditionner la ministre de la transition écologique et solidaire. Elle a présenté de manière détaillée les circonstances et les conditions dans lesquelles l'État a remis à plat les relations avec les SCA dans le cadre des négociations contractuelles aussi bien que dans le cadre du projet de loi voté par le Parlement au mois d'août 2015. Je tiens au préalable à souligner que je souscris en tout point aux déclarations de la ministre.

Entre 2014 et 2016, le ministère de l'économie est intervenu au côté et en soutien au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie dans ses travaux.

Trois raisons, en particulier, expliquent cette implication.

Premièrement, alors que le ministère de l'économie n'intervient traditionnellement pas dans les négociations avec les SCA, son implication se justifiait par ses compétences au titre de l'homologation des tarifs et de contresignataire des décrets approuvant les contrats de concession, et ce sachant qu'il n'est pas signataire des contrats eux-mêmes.

Deuxièmement, la Cour des comptes, qui estimait que les relations entre l'État et les SCA étaient déséquilibrées, recommandait pour cette raison, et eu égard à l'ampleur des enjeux financiers, une implication plus forte du ministère de l'économie. C'est dans ces conditions que le gouvernement de l'époque avait souhaité que le ministre et ses services apportent leur expertise économique et financière et participent de manière plus directe aux négociations en cours.

Troisièmement, enfin, s'agissant plus largement du cadre de la régulation des SCA, le ministre de l'économie avait voulu porter, dans un projet de loi dit « Croissance », une réforme inédite et de grande ampleur du cadre de régulation, en s'appuyant sur les travaux de l'Autorité de la concurrence.

Au moment de ma prise de fonctions, les relations entre l'État et les SCA étaient particulièrement dégradées. Alors que le Président de la République de l'époque avait voulu engager dès le début de son mandat un plan de relance autoroutier, trois événements ont suscité des tensions croissantes entre l'État et les SCA.

Tout d'abord, l'État avait décidé de doubler la redevance domaniale en 2013, dont les SCA avaient demandé la compensation intégrale par voie contentieuse. Ce contentieux apparaissait mal engagé sur le plan juridique compte tenu de son impact sur l'équilibre économique des concessions au regard des jurisprudences du Conseil d'État en la matière.

Ensuite, le débat sur le modèle des SCA lancé par la Cour des comptes en 2013, puis par l'Autorité de la concurrence en 2014, qui concernait initialement le niveau de rentabilité des SCA, s'était porté sur un débat éminemment politique et polémique, remettant en cause le modèle même des concessions, avec une possible dénonciation des contrats en cours, voire une nationalisation des SCA.

Enfin, en décembre 2014, la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a annoncé de manière unilatérale un gel des tarifs à compter du 1er février 2015, ce qui s'est traduit par l'ouverture d'une nouvelle procédure contentieuse.

C'est donc dans un contexte très dégradé que le gouvernement a souhaité engager une négociation tandis que l'Assemblée nationale décidait de son côté de mettre en place un groupe de travail. La décision d'engager cette négociation a été prise après une analyse approfondie du scénario de résiliation unilatérale qui aurait exposé l'État à un triple risque financier, juridique et politique. Celle-ci a été conduite par les ministères de l'économie et de l'écologie, sous l'autorité du Premier ministre et de son cabinet. L'enjeu était de remettre à plat l'ensemble des questions et contentieux et, bien évidemment, de défendre au mieux les intérêts de l'État dans un contexte au départ défavorable.

La négociation a commencé en décembre 2014 et s'est conclue en avril 2015 après que le Président de la République a souhaité publiquement, en février 2015, « un règlement global et définitif afin de pouvoir engager et lancer rapidement un plan d'investissement autoroutier ».

À la suite de la conclusion du protocole d'accord, le ministère de l'écologie en a décliné les termes par SCA dans le cadre d'avenants aux contrats de concession, en particulier la prolongation de la durée des concessions de 3 à 4 ans.

Ces contrats de plan permettaient de finaliser le plan de relance autoroutier. Il s'agissait ensuite de définir la trajectoire des tarifs autoroutiers et des hausses tarifaires compensant le gel de 2015. Enfin, il convenait de mettre en oeuvre les engagements réciproques parmi lesquels le versement par les SCA d'une contribution volontaire de 1 milliard d'euros à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afift), d'une contribution de 100 millions à destination d'un fonds pour le financement d'infrastructures, la mise en place de mesures commerciales ciblées, l'insertion d'une clause de plafonnement de la rentabilité, le renoncement au contentieux d'indemnisation, la non-compensation de la contribution à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer).

Pour ce qui concerne le ministère de l'économie, les travaux se sont concentrés sur la réforme du cadre de régulation des SCA par la loi 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron. Cette loi a créé l'Arafer à partir de l'Autorité de régulation des transports ferroviaires (ARAF), depuis lors appelée Autorité de régulation des transports (ART).

La loi donne trois grandes compétences au régulateur.

Premièrement, elle permet la régulation des tarifs des péages, par un avis sur les projets de contrats de concession et leurs avenants. Le régulateur est aussi consulté sur tout nouveau projet de délégation et il assure un suivi annuel des taux de rentabilité interne de chaque concession, qui est la mesure pertinente de leur profitabilité. Il établit également un rapport annuel public sur l'économie générale des concessions et un rapport annuel également public sur les comptes des sociétés concessionnaires.

Deuxièmement, la loi introduit un contrôle des procédures de passation et d'exécution des marchés de travaux, fournitures et services des concessionnaires. Pour ce faire, l'ART veille à l'exercice d'une concurrence effective et loyale lors de la passation des marchés passés par un concessionnaire d'autoroutes pour les besoins de la concession.

Troisièmement, la loi prévoit un contrôle des procédures de passation des contrats d'exploitation des installations annexes sur les aires d'autoroutes.

J'insiste sur le fait que cette loi renforce l'information parlementaire, avec la transmission d'un rapport quinquennal sur l'économie générale des conventions de délégation et d'un rapport annuel sur les comptes des sociétés concessionnaires. Elle renforce également le contrôle parlementaire des SCA puisque, désormais, toute extension de la durée des concessions est soumise à une autorisation du Parlement, ce qui est inédit. Enfin, elle prévoit des dispositions concernant le transfert au secteur privé de sociétés concessionnaires d'infrastructures de transport autoroutières dans le cadre d'une concession accordée par l'État, qui, là encore, doit désormais être autorisé par la loi.

La loi Macron marque donc un tournant dans l'histoire mouvementée des relations entre l'État et les sociétés concessionnaires. Je crois pouvoir dire qu'il y a eu un avant et un après 2015 en matière de transparence et de régulation des marchés autoroutiers, d'autant qu'elle a prévu l'application de nouvelles règles, y compris aux contrats de concession en cours à compter de son entrée en vigueur. Cela a conduit à un rééquilibrage des relations entre l'État concédant et les SCA, que la Cour des comptes, l'Autorité de la concurrence et le Parlement appelaient de leurs voeux.

Ces négociations se sont déroulées dans un cadre contractuel, impliquant des concessions réciproques. Elles ont permis à l'État d'éviter des procédures contentieuses qui lui auraient immanquablement été défavorables et coûteuses, tout en atteignant les objectifs que le Gouvernement s'était assignés en matière de relance des investissements et de fixation des tarifs. La loi a remis à plat le cadre de régulation, me semble-t-il, de manière inédite et pérenne.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Vous indiquez que les négociations ont été menées de concert avec le ministère de l'écologie. M. Vidalies, alors ministre chargé des transports, a refusé de signer le protocole, et M. Eckert, chargé des comptes publics, a déclaré avoir été écarté des discussions. Pourquoi seuls deux ministères ont participé à ces négociations ? Pourquoi M. Eckert, qui souhaitait aborder tous les aspects fiscaux, notamment la déductibilité des intérêts des emprunts, a-t-il été évincé ?

M. Alexis Kohler - Comme je vous l'indiquais dans mon propos introductif, le cadre dans lequel se sont inscrites les négociations entre l'État concédant et les SCA a été défini par le Premier ministre. Les négociations ont donc été suivies au fil de l'eau par le cabinet du Premier ministre.

Très concrètement, la question des SCA relève prioritairement du ministère des transports et donc, à l'époque, de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Et je puis vous confirmer que c'est bien la ministre qui a suivi ces négociations ; je n'ai pas de commentaire particulier à faire sur la manière dont elle a souhaité répartir l'exercice de ses compétences entre elle-même et son secrétaire d'État, M. Vidalies.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Et à Bercy ?

M. Alexis Kohler. - Je ne saurais vous dire si M. Eckert, alors secrétaire d'État, a été impliqué ou non. Il revient au Premier ministre d'organiser l'interministérialité, si je puis dire. Au sein l'ensemble Bercy, il est clair que la question des SCA relève plutôt du ministère de l'économie. Le ministre de l'économie dispose en effet de compétences propres à deux titres : d'une part, l'homologation des tarifs et, d'autre part, le contreseing des décrets qui approuvent les contrats de concession et leurs avenants, mais pas des contrats eux-mêmes, qui relèvent de la seule compétence, à ma connaissance, du ministère chargé des transports.

S'agissant des négociations qui ont des enjeux économiques et financiers très importants mais d'équation financière pluriannuelle, l'expertise financière revient plutôt au ministère de l'économie qu'au ministère du budget.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Vous avez donc négocié au nom du ministre de l'économie de l'époque, Emmanuel Macron, et Élisabeth Borne au nom de la ministre Ségolène Royal. Une fois que vous vous êtes mis d'accord sur le protocole, avez-vous rédigé une note à destination des ministres avant qu'ils ne signent le protocole ?

M. Alexis Kohler. - Je ne peux vous répondre que pour ce qui me concerne.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Vous n'avez pas rédigé une note commune ?

M. Alexis Kohler. - Pour être très honnête, je n'ai pas de souvenir précis. En tout cas, je puis vous dire que la fonction de directeur de cabinet n'est pas exactement une profession libérale. À ce titre, il est de la responsabilité du directeur de cabinet d'informer régulièrement le ministre auprès duquel il est placé de l'évolution des dossiers, a fortiori lorsqu'une négociation s'inscrit dans un contexte politique assez sensible.

J'ai donc informé régulièrement le ministre de l'économie de l'époque ; je n'ai aucun doute sur le fait que mon homologue au ministère de l'écologie en faisait de même avec la ministre de l'époque - c'est ce qu'elle a, me semble-t-il, confirmé lors de son audition. Je crois pouvoir dire que les deux ministres avaient le même niveau d'information et, de même, nous faisions aussi bien entendu des comptes rendus réguliers au cabinet du Premier ministre.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Une note de synthèse a tout de même été donnée au ministre avant la signature ?...

M. Alexis Kohler. - Je pense, oui.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Ce n'est pas vous qui l'avez rédigée ?...

M. Alexis Kohler. - Au sein du cabinet du ministre, une conseillère travaillait sur ce sujet, et il est probable qu'elle ait rédigé, en liaison avec les services concernés, une note récapitulant le bilan de la négociation.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Quelles ont été les relations, si elles ont existé, entre vous et Élisabeth Borne, d'une part, et le groupe de travail composé de députés et de sénateurs mise en place en décembre 2014, d'autre part ?

M. Alexis Kohler. - J'ai le souvenir d'avoir assisté à une réunion avec le président de la commission du développement durable et quelques parlementaires, au cours de laquelle nous avons débattu du cadre général des discussions entre l'État et les SCA, notamment sur la question qui, à l'époque, faisait débat, de la possible résiliation des contrats de concession et des différentes options pouvant être envisagées, allant même jusqu'à la nationalisation des sociétés elles-mêmes. Sauf erreur de ma part, le rapporteur de ce groupe de travail a pris position pour la résiliation de ces concessions au profit d'un portage de ces concessions par un établissement public industriel et commercial (EPIC) créé à cet effet.

Nous avions envisagé tous les scénarios, en concertation avec un conseil financier, et avons présenté au cours d'une réunion - je ne me souviens malheureusement pas de la date - non seulement les enjeux juridiques au regard du droit des contrats et de l'existence ou non d'un motif d'intérêt général, mais également les conséquences financières, à la fois indemnitaires dans l'hypothèse d'une résiliation, budgétaires dans celle d'une nationalisation, et transactionnelles si une concession venait à être rachetée à un prix inférieur à celui auquel elle serait revendue. Les conséquences économiques ont également été abordées s'agissant des actionnaires et des investisseurs étrangers des sociétés concernées, ainsi que, bien évidemment, les conséquences potentielles pour les usagers.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Estimez-vous que le protocole de 2015 était équilibré ? Si tel est le cas - j'ai cru le comprendre de vos propos liminaires -, y a-t-il des points sur lesquels vous n'étiez pas forcément en accord et sur lesquels vous avez dû céder ?

Comment avez-vous défini l'équilibre financier des contrats ? A-t-il été respecté ? Qui a décidé que le protocole d'accord entre l'État et les SCA devait rester secret, même si des bribes d'information ont été communiquées au travers les avenants approuvés par décrets. Et pour quelles raisons ?

M. Alexis Kohler. - Au bout du compte, le protocole d'accord est équilibré au sens où il reflète l'équilibre entre les protagonistes de la discussion. Comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, cette négociation est intervenue dans un cadre contractuel. Le droit des contrats, en France, est extrêmement protecteur des parties, en l'espèce des SCA, puisque la jurisprudence du Conseil d'État lui garantit un droit à l'équilibre économique et à une compensation s'il est bouleversé. C'est pourquoi les SCA avaient engagé des contentieux sur la redevance domaniale et sur le gel des tarifs.

À l'époque, lorsque cette discussion s'est engagée, existait en arrière-plan le risque contentieux pour l'État. Et tout laissait à penser que ces contentieux étaient mal engagés pour l'État - c'était tout du moins l'avis tant de la direction juridique du ministère de l'économie, du secrétariat général du Gouvernement que du Conseil d'État.

Par ailleurs, lorsqu'on engage une négociation de quelque nature que ce soit dans un cadre contractuel, il importe de toujours préserver la qualité de la signature de l'État : l'État doit respecter les contrats qu'il a signés. Cette qualité a une valeur y compris pour l'État emprunteur. Il en est de même pour tout concédant.

J'ajoute que, au-delà de ces considérations juridiques, l'État était également demandeur d'un certain nombre d'avancées, ce qui était affirmé publiquement par les plus hautes autorités. Je pense en particulier au souhait du Président de la République et du gouvernement d'alors de pouvoir conclure un plan de relance autoroutier, notamment en engageant les 3,2 milliards de travaux, qui, par la suite, ont été lancés, puis le plan d'investissement autoroutier. Il y avait donc une forme d'injonction à conclure un accord avec les SCA de façon à remettre à plat autant les questions contentieuses que les questions économiques et d'investissement.

Je note les avancées fortes de ce protocole, qui a débouché sur le vote d'une loi inédite qui a totalement renouvelé le cadre de la régulation des concessions autoroutières, qu'il s'agisse des tarifs, de la durée des contrats de concession, des marchés de travaux et des sous-concessions.

Pour ce qui concerne le secret du protocole, les SCA ont fait valoir, à l'issue des négociations, qu'un certain nombre d'éléments engageaient le secret des affaires. Il revenait d'ailleurs à chacune d'entre elles d'informer leurs actionnaires. Du point de vue de l'État, tous les éléments économiques devaient être retranscrits dans les avenants aux contrats de concession, et faire l'objet, à ce titre, d'un décret en Conseil d' État, puis publiés. In fine, toute l'information avait vocation à être publique.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Selon vous, il était donc normal que l'État n'ait pas voulu communiquer.

M. Alexis Kohler. - Mais, in fine, tout a été rendu public.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - J'ai bien entendu, mais nous avons eu les informations de façon parcellaire. Au nom de l'information du contribuable et de l'usager, il n'est pas anormal d'avoir droit à une transparence, en faisant savoir que l'accord est considéré comme équilibré. Je suis quelque peu surpris par cette position.

Quelle est votre définition de l'équilibre financier des contrats ? Le doublement de la redevance domaniale était-il vraiment de nature à remettre en cause l'équilibre économique du contrat ? Si tel est le cas, cela veut dire que cet équilibre avait été défini. Dès lors, pourquoi avoir accepté dans le protocole une clause précisant que toute nouvelle imposition décidée par l'État sur les SCA devrait être compensée ?

M. Alexis Kohler. - Je me garderai bien de vous donner une définition de l'équilibre économique, qui fait probablement l'objet de nombreuses publications. J'apporterai néanmoins deux éléments.

Avant d'engager cette discussion, nous avions demandé aux experts juridiques une évaluation du risque contentieux pour l'État pour savoir si, oui ou non, les décisions prises de manière unilatérale par l'État étaient de nature à être considérées par le Conseil d'État comme bouleversant cet équilibre économique, et donc ouvrant droit à indemnisation.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Vous parlez des experts juridiques de Bercy ?

M. Alexis Kohler. - De l'ensemble du Gouvernement, chaque ministère ayant ses experts juridiques, avec pour chef de file le ministère des transports.

Il nous avait été indiqué que le contentieux sur la redevance domaniale - les redevances avaient doublé, passant de 180 à 350 millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable - était de nature à conduire l'État à devoir indemniser les sociétés.

En outre, les SCA avaient été marquées par trois débats : la redevance domaniale, la question du plafonnement ou non des intérêts au titre de l'assiette fiscale, et la question des tarifs.

L'équilibre final de l'accord était lié au plan de relance, ainsi qu'aux tarifs, soit du point de vue du gel et des compensations, soit du point de vue des mesures commerciales qu'elles avaient consenties pour le covoiturage, les nouveaux cars libéralisés et les véhicules propres, enfin au versement, dans le cadre global de cet accord, d'1 milliard d'euros à l'Afift. Aussi souhaitaient-elles avoir quelques assurances sur le fait que l'État n'allait pas continuer à prendre d'autres initiatives financières ou fiscales qui viendraient bouleverser l'équilibre économique des concessions.

Comme vous le savez, l'une sociétés bénéficiait ab initio, dans son contrat de concession, d'une clause de « paysage fiscal » assez protectrice, clause qui a inspiré les autres SCA, qui ont demandé que leurs contrats puissent être amendés en ce sens. Cela avait probablement une valeur vis-à-vis de leurs actionnaires : certes, elles faisaient des concessions sur les tarifs, prenaient des mesures commerciales, procédaient à un prélèvement volontaire de 1 milliard d'euros, apportaient leur contribution au fonds d'infrastructures, mais elles apportaient aussi une lisibilité quant à l'avenir.

M. Éric Jeansannetas, président. - Merci, monsieur le secrétaire général, de vous être livré à ce jeu de questions-réponses interactif avec notre rapporteur. Le format de notre commission nous permet ces échanges vivants.

M. Jérôme Bascher. - Pour avoir été conseiller à Bercy, je confirme qu'un directeur de cabinet ne peut se souvenir de toutes les notes !

Les décisions prises à l'époque ont sans doute été bleuies, même si l'on avait tendance à dire sous le gouvernement Hollande que les bleus de Matignon étaient inutiles. Pouvez-vous nous confirmer qu'une décision interministérielle a bien été prise sur ce sujet ?

N'avez-vous pas l'impression que le pouvoir de négociation de l'État pour ce type de contrat souffre du manque d'expérience des ministères de l'économie et des transports - ils négocient tous les dix ans -, par comparaison avec des sociétés d'autoroutes dont c'est internationalement le métier ?

Je reviens enfin sur le bouclier fiscal des concessions autoroutières, tant dénoncé par le précédent gouvernement. Je pense notamment à la taxe d'aménagement du territoire, dont chaque augmentation était répercutée sur les tarifs, donc sur l'usager. Cela n'était pas forcément l'idée initiale. Sa réévaluation en fonction de l'inflation a d'ailleurs été oubliée dans la renégociation de 2015 ! Ce point a heureusement été corrigé dans la présente mandature. Ne regrettez-vous pas de ne pas avoir attaqué ce bouclier fiscal ?

M. Alexis Kohler. - Merci pour votre bienveillance à mon égard s'agissant de mes souvenirs quant aux notes qui ont été rédigées à l'époque. J'abuserai d'ailleurs de cette bienveillance pour répondre à votre première question. J'ai demandé aux services de l'État s'ils avaient souvenir ou trace d'un bleu, et n'ai pas eu de réponse positive. Je ne sais pas s'il faut en conclure qu'il n'y a pas de bleu, en tout cas je peux vous informer que je ne l'ai pas trouvé et qu'on ne m'en a pas fait part !

À l'époque, pour ce qui me concernait, je tenais le cabinet du Premier ministre régulièrement informé de l'évolution des discussions. Je le faisais à la fois parce que le contexte politique sur le sujet était très sensible, d'une actualité brûlante, et parce que les engagements du Président de la République et du Premier ministre faisaient que cette négociation était suivie avec un certain intérêt.

Je partage entièrement votre point de vue sur le constat que l'expertise était insuffisamment équilibrée entre l'État et les sociétés concessionnaires. C'est d'ailleurs ce qui ressort du rapport de la Cour des comptes de 2013, raison pour laquelle celle-ci recommandait que Bercy renforce la dimension économique et financière de l'expertise du côté de l'État.

Vous avez raison de rappeler que cette expertise constitue le coeur de métier des entreprises, alors que, pour l'État, cette négociation intervient à mesure que les contrats arrivent à échéance. Il me semble cependant assez naturel que l'État devrait disposer d'une compétence forte en matière de gestion contractuelle et de gestion de concessions, d'autant que le Gouvernement de l'époque avait la volonté de développer les partenariats public-privé de manière générale. Dans ces conditions, il me semble indispensable que l'État se dote de cette expertise, et, lorsqu'il n'en dispose pas, qu'il n'hésite pas à recourir à des conseils extérieurs - même si je suis le premier à dire qu'il est important qu'il en dispose lui-même.

Cette expertise doit en outre recouvrir plusieurs dimensions : le coeur de métier, la gestion des grandes infrastructures, ainsi que les points de vue économique et juridique. C'est crucial. C'est au moment de la négociation d'un contrat et de ses avenants que les choses se cristallisent. Quand on s'inscrit dans un cadre contractuel, il est légitime que le contrat puisse prévaloir. Cette sécurité juridique est essentielle dans un État de droit, en particulier dans un pays comme le nôtre qui souhaite encourager l'initiative privée, utiliser de grands opérateurs pour développer ses propres infrastructures et, le cas échéant, attirer des investisseurs étrangers. Il semble donc logique que cette sécurité juridique puisse être garantie. La négociation du contrat revêt donc une importance cruciale, puisque les choses se cristallisent ensuite dans la durée, d'autant que la jurisprudence du Conseil d'État est extrêmement protectrice du cocontractant de l'État. Lorsque l'on s'inscrit dans un contrat d'une durée de plusieurs dizaines d'années, les enjeux sont évidemment considérables.

C'est la raison pour laquelle le ministre de l'économie de l'époque, sur la base des rapports produits par la Cour des comptes et l'Autorité de la concurrence, a jugé logique de mettre en place un cadre de régulation. Je précise à ce propos que, si le rapport de l'Autorité de la concurrence semble avoir fait consensus à l'époque sur la question de la régulation, il a été légèrement plus polémique, et même fortement contesté, sur la question financière. Le représentant de cette Autorité que vous avez auditionné a d'ailleurs lui-même reconnu que les interprétations du rapport étaient peut-être erronées à l'époque.

Pour instaurer un cadre de régulation, il fallait définir un régulateur. Il en existait un dans presque tous les grands secteurs des infrastructures, mais pas pour les autoroutes. Il est alors apparu logique de s'appuyer sur l'expérience d'une régulation - en l'espèce, ferroviaire - pour disposer d'un début d'expertise, et pour mettre en place une autorité spécialisée susceptible de développer une expertise de long terme et de s'impliquer dans toutes les délégations de service public ou concessions autoroutières. Rétrospectivement, j'ai le sentiment que cela a été bénéfique pour l'État. Le travail de l'ART est plutôt reconnu. Cela mérite d'être suivi et poursuivi.

J'en viens à ce que vous appelez le bouclier fiscal, et que l'on avait vu à l'époque comme une clause de « paysage fiscal ».

Sans vouloir parler à la place des représentants des sociétés concessionnaires, je pense que leur objectif était très probablement de pouvoir disposer d'une forme de bouclier fiscal. Du point de vue de l'État, l'idée était plutôt de donner un peu de visibilité quant à l'évolution du paysage fiscal, sachant que la jurisprudence du Conseil d'État est assez protectrice pour ces sociétés. Ce point faisait partie de l'équilibre de la négociation. J'ai le souvenir qu'il était très important aux yeux des sociétés concessionnaires, au regard de l'historique des décisions unilatérales annoncées ou prises par l'État au cours des trois années précédentes. Nous pouvons le regretter, mais compte tenu du contexte juridique et de la succession d'annonces sur la redevance domaniale, les intérêts d'emprunt ou les tarifs, il n'est pas étonnant que ces sociétés aient été un peu échaudées.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Elles ne se sentaient donc pas si à l'aise que cela dans leur contentieux ! Dans le cas contraire, la clause du bouclier fiscal n'aurait pas été forcément indispensable. Or elles en ont fait un point de négociation très dur.

M. Alexis Kohler. - Je ne sais pas si les sociétés étaient à l'aise ou non quant à l'issue de leur contentieux. Je peux vous dire ce que l'État en pensait. Il n'était pas nécessairement dans la position la plus favorable à l'époque.

Pour ce qui concerne les sociétés, je ne m'exprimerai pas à leur place. Je pense cependant qu'au regard de l'historique de ces décisions elles souhaitaient pouvoir attester à l'égard de leurs mandants du fait que les décisions ultérieures de l'État auraient vocation à être moins unilatérales. Cela leur apportait un peu de confort.

Mme Christine Lavarde. - Vous avez évoqué les liens entre les directions des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l'écologie de l'époque et du ministère de l'économie. Qui a eu le dernier mot en définitive entre ces deux DAJ ? Dans mon expérience, les ministères avaient souvent tendance à se référer aux avis de la DAJ de Bercy sur les sujets importants. Pourriez-vous préciser ce point ?

M. Alexis Kohler. - Je ne me lancerai pas dans une analyse comparative des expertises de la DAJ de Bercy et de celle de Roquelaure. Dans mon souvenir, la position des juristes au sein de l'État sur le sujet était assez consensuelle. Je ne crois pas qu'il y ait eu de débat nourri. Je peux me tromper, mais, dans mon souvenir, les avis juridiques étaient assez convergents.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Merci pour ces informations. Je remercie également notre rapporteur, car ces auditions sont particulièrement intéressantes.

Je ne me lancerai pas sur le volet technique du sujet dont nous parlons. À l'instar de notre rapporteur, j'ai l'honneur et le privilège d'être sénateur de l'Essonne, département sinistré par ce qu'il s'est passé en 2005 et par la création du péage le plus inique de la région Île-de-France situé à Dourdan, pour lequel certains automobilistes payent un trajet qu'ils n'accomplissent pas.

Il est important pour nous d'avoir votre vision, car il y a ce que vous nous dites, et ce que l'on comprend. Une décision politique a été prise le 22 août 2005. M. de Villepin, auditionné le 9 juillet, a défendu avec la fougue et le talent que nous lui connaissons le choix fait à l'époque par l'État. Au vu de l'état de la partie de voirie dont l'entretien est resté sous la responsabilité de l'État, force est de constater que ce choix était le bon. Son application a, en revanche, posé problème. Je n'arrive pas à croire que personne n'ait été capable de souligner que ce qui avait été fait à l'époque n'était pas bien bordé.

Vous avez retracé votre action : dix ans après, en 2015, lorsqu'il s'est agi de régler la situation, on en arrive à la fumée des cierges ! Il ne fait aucun doute, et je partage votre avis, que l'État aurait perdu ces contentieux, car il doit honorer sa signature. Or des décisions politiques totalement contradictoires, prises au gré des alternances, et des décisions ministérielles que nous pouvons qualifier d'oukases ont placé l'État français dans de grandes difficultés. Il faut résoudre le problème.

Nous avons des comptes à rendre aux populations - l'association « l'A10 gratuite » nous en demande notamment. Comment, de nos jours, l'État pourrait-il mieux border de tels contrats et de telles négociations, pour que des mauvaises langues ou des observateurs assidus ne laissent pas croire qu'une collusion s'est produite entre l'État et des sociétés d'autoroutes ?

M. Alexis Kohler. - Votre question est complexe. Comme vous l'indiquez, en 2015, la privatisation des sociétés d'autoroutes, intervenue dix ans auparavant, était une donnée. Il y avait à l'époque des débats nourris sur l'opportunité ou non de cette privatisation. Il n'en reste pas moins que, en 2015, c'était une donnée. Toutefois, cela ne nous a pas empêchés d'examiner la possibilité de revenir sur ce choix. Il est en effet du devoir de l'État d'examiner tout l'éventail des options disponibles. Cela ne peut en outre que renforcer sa position dans une négociation de cette nature. Il n'en reste pas moins qu'il est important qu'un État comme le nôtre respecte sa signature en toutes circonstances.

Dans ce cadre, je tire deux conclusions.

Au regard de l'équilibre global de la négociation, je n'aurais pas l'immodestie de dire que le résultat est satisfaisant, mais je considère qu'il a permis de renforcer la main de l'État. Effectivement, dix ans après la privatisation, dans un cadre contractuel extrêmement contraint, avec une jurisprudence très protectrice, nous avons pu aboutir à des avancées structurelles y compris dans le cadre des contrats. L'introduction d'une clause de plafonnement de 30 % des surprofits en fait partie. Je ne dis pas que cette clause est idéale, mais, intervenant dans un cadre contractuel, elle ne pouvait être introduite qu'au moyen d'un accord entre les parties. Elle est donc très probablement moins mordante que si elle avait été négociée ab initio, avant la signature de la concession, lorsque la main de l'État était plus forte. Il n'en reste pas moins que des avancées structurelles ont été réalisées dans le cadre des contrats existants.

À cela s'ajoute le nouveau cadre posé par la loi impliquant l'instauration d'un régulateur compétent aussi sur les contrats en cours. D'autres sujets étaient également importants - car en définitive, il revient toujours à l'usager de payer les péages -, notamment celui des marchés conclus par les sociétés concessionnaires et les sous-concessions.

Ma deuxième conclusion est plus fondamentale. Rétrospectivement, il eût été préférable de renforcer le cadre de régulation avant la privatisation plutôt que dans le sens contraire. Cela semble être de l'ordre de l'évidence...

M. Jean-Raymond Hugonet. - Cela fait du bien de l'entendre !

Mme Christine Lavarde. - Pour la suite aussi d'ailleurs !

M. Alexis Kohler. - ... mais je pense que cela fait partie des enseignements que nous pouvons tirer de cette situation.

J'ajoute un troisième point qui me semble important, qui l'était d'ailleurs pour le ministre de l'époque et qui renvoie aussi à votre responsabilité à l'égard de vos électeurs. Il s'agit de la question de l'implication du Parlement. La loi de 2015 a permis une plus forte implication du Parlement à plusieurs titres : au titre de son information, et au titre de la question de l'allongement possible de contrats de concession. Ce dernier point permet de gagner en transparence. Si de nouvelles opérations de cette nature devaient se produire, le Gouvernement devrait s'en expliquer devant la représentation nationale, d'autant que ces contrats sont par construction pluriannuels et engagent la Nation pour une durée assez longue. Le Parlement est également impliqué en cas de privatisation d'une infrastructure de transport. J'ai le souvenir que la question de la privatisation des infrastructures de transport était sensible, notamment à travers un cas très différent de celui des sociétés d'autoroutes, celui de l'aéroport de Toulouse. En effet, cette disposition est intervenue par voie d'amendement en référence à cet exemple. Désormais, de telles infrastructures ne peuvent plus être transférées au secteur privé que par la loi. Cela nous a permis de gagner en transparence et a constitué un progrès en matière d'information et d'implication du Parlement.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - J'imagine que la clause de plafonnement de rentabilité a été introduite dans le protocole d'accord à l'initiative de l'État et non des sociétés d'autoroutes. L'État l'a-t-il rédigée en totalité et est-il parvenu à l'imposer, ou le pourcentage de 30 % a-t-il été accepté par les sociétés d'autoroutes sachant qu'il serait difficilement atteignable et que cette clause s'avérait plus théorique que réelle ? Ce plafonnement semble en effet tellement élevé que nous avons l'impression que cette clause aura du mal à entrer en application. Par ailleurs, cette clause a-t-elle été introduite pour répondre à une exigence de l'Union européenne ?

Le taux d'actualisation, de 8 %, fait également débat. Les services de l'État préconisaient un taux sensiblement inférieur en 2015. Ce taux avait déjà été utilisé en 2005 au moment de l'ouverture du capital des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Or, entre 2005 et 2015, les marchés ont évolué. Cela a-t-il été imposé par les sociétés d'autoroutes ? Le taux d'actualisation constitue un élément important dans le calcul de l'équilibre d'un protocole, d'un avenant ou d'un contrat.

M. Alexis Kohler. - Dans la négociation, rien n'a été imposé par les sociétés d'autoroutes. Le protocole d'accord reflète l'équilibre d'une négociation, avec des concessions réciproques - certains éléments tenant davantage au coeur d'une partie, d'autres à celui de l'autre partie.

Dans mon souvenir, la clause de plafonnement n'était pas liée à une recommandation européenne. L'État avait la volonté d'introduire une clause dite « de surprofit ». C'était assez logique, car le coeur de la discussion à l'époque n'était pas la redevance domaniale ni même la question des tarifs, intervenue par la suite avec l'annonce unilatérale de la ministre. Cette question des tarifs est intervenue en réalité comme une forme de réponse politique à la problématique du surprofit, qui était au coeur de la polémique politique qui s'en est suivie, et de la réponse que l'État devait y apporter. Il était naturel pour lui de faire de l'introduction d'une clause de cette nature un objectif de la négociation.

Il s'agissait par ailleurs d'une innovation. Dans les contrats conclus précédemment, il n'existait pas de clause de ce type. Le simple fait d'introduire une clause de plafonnement me semble être une avancée utile pour les contrats en cours et pour les suivants. Comme je le disais, plus une clause est ajoutée tôt dans la négociation, au moment de la conclusion du contrat de concession, plus elle peut être mordante au regard de l'équilibre contractuel. En l'espèce, le seuil de 30 % reflète l'équilibre de la négociation. Si nous nous étions situés au début des concessions, l'État aurait probablement obtenu une clause plus mordante. Nous pouvons en tout cas l'espérer.

Cette clause était dans mon souvenir particulièrement contestée par l'autre partie, qui l'aurait souhaitée symétrique. Nous nous situions quelques années après une crise économique importante durant laquelle le trafic routier, notamment de poids lourds, avait fortement diminué. L'autre partie s'appuyait donc sur cet élément pour justifier la possibilité d'une clause protectrice en cas de sous-profit. Comme vous pouvez le constater, il n'existe pas de clause de cette nature. C'est le fruit d'une négociation, mais c'est aussi illustratif d'une forme d'asymétrie pour le coup en faveur de l'État.

J'en viens au taux de rentabilité interne (TRI). Ce taux est représentatif du taux de rentabilité attendu au regard d'un taux sans risque - il a diminué entre-temps, raison pour laquelle le taux de 8 % peut paraître élevé - et d'une prime de risque liée à la volatilité de l'activité. Cette prime est généralement plutôt faible dans un secteur comme celui des infrastructures d'ordinaire assez résilient à la conjoncture économique. Il est toutefois vrai que la baisse du trafic des années précédentes a suscité des débats sur ce point.

Le taux de 8 % apparaissait alors dans la fourchette de ce qui était acceptable, qui allait, dans mon souvenir, d'un taux bien inférieur à un taux légèrement supérieur.

Dans le plan de relance négocié préalablement à partir de 2012 figurait en outre un TRI autour de 8 %. Ce TRI lié au plan de relance et qui venait tout juste d'être négocié par les services de l'État a servi de base à la discussion. Je le dis d'autant plus librement que je n'étais pas impliqué dans cette négociation. Le plan de relance a été validé par la Commission européenne. Implicitement, celle-ci a considéré qu'il n'emportait pas d'aide d'État et n'était pas surestimé. La négociation a donc démarré sur la base d'un TRI négocié par l'État pour un plan de relance validé par la Commission européenne et situé à l'intérieur d'une fourchette. Il aurait évidemment été dans l'intérêt de l'État que ce taux soit plus bas, et dans celui des sociétés d'autoroutes qu'il soit plus élevé, celles-ci arguant qu'au moment de la privatisation le taux était estimé à cette hauteur, voire à des niveaux supérieurs. Les services de l'État ont indiqué qu'il n'y avait pas, de leur point de vue, de surprofit.

Je ne vous dirai pas que ce TRI est idéal, mais, au regard de l'équilibre de la négociation, il me semble convenable.

M. Éric Jeansannetas, président. - Merci, monsieur le secrétaire général.

La réunion est close à 17 h 50.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Jeudi 16 juillet 2020

- Présidence de M. Éric Jeansannetas, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance et directeur du cabinet de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, de 2006 à 2007

M. Éric Jeansannetas, président. - Nous poursuivons nos auditions sur les concessions autoroutières en entendant M. Bruno Le Maire, en sa double qualité de ministre de l'économie, des finances et de la relance, et d'ancien directeur de cabinet de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, de 2006 à 2007, au moment de la privatisation des sociétés d'autoroutes.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle est également ouverte à la presse et fera l'objet d'un compte rendu publié.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et je vous vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité : levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Le Maire prête serment.

M. Éric Jeansannetas, président. - Avant passer la parole à notre rapporteur, Vincent Delahaye, ainsi qu'aux membres de la commission d'enquête, je vous propose de nous présenter, à titre liminaire, le rôle que vous avez joué lors de la privatisation des sociétés d'autoroutes en 2006, votre appréciation sur ce choix et la façon dont vous voyez l'équilibre des relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA), ainsi que l'avenir de la gestion du réseau autoroutier.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance et ancien directeur de cabinet de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, de 2006 à 2007. - C'est avec plaisir que je viens défendre devant vous des choix qui restent cohérents avec ma vision de la politique économique et du rôle de l'État dans l'économie.

Il y a quinze ans, le Premier ministre Dominique de Villepin, dont j'étais le directeur de cabinet, décidait, sous l'autorité du Président de la République Jacques Chirac, de mener à son terme le processus de cession des parts publiques dans les sociétés concessionnaires d'autoroutes.

L'objet de votre commission d'enquête est d'éclairer ce choix et ses conséquences, ainsi que les moyens à la disposition de l'État pour préserver ses intérêts vis-à-vis des sociétés autoroutières et préparer l'avenir. Avant que nous n'entrions dans le vif du sujet, je voudrais répondre à quatre questions qui me paraissent essentielles.

Première question : pourquoi avons-nous réalisé cette cession ? Dominique de Villepin vous a déjà répondu précisément. Pour ma part, je considère que cette décision s'explique par trois raisons principales qui m'ont également amené, il y a quelques mois, à défendre les projets de privatisation de la Française des jeux (FDJ) et d'Aéroports de Paris (ADP).

En premier lieu, il s'agit d'une clarification du rôle de l'État dans notre économie. C'est un enjeu encore essentiel aujourd'hui. L'État était à la fois actionnaire et concédant, un mélange des rôles ni sain ni efficace pour la bonne gestion de l'entreprise et la défense des intérêts publics. L'État devait se concentrer sur son rôle de concédant, - et je continue à le penser pour d'autres infrastructures - : le rôle de l'État n'est pas de gérer des autoroutes ou des péages. Le rôle de l'État, c'était de construire les autoroutes - il l'a fait -, de moderniser les infrastructures - il l'a fait - et de garantir la bonne circulation des marchandises et des personnes pour industrialiser la France, accélérer les échanges et relier les Français entre eux - il l'a fait et doit continuer à le faire. Hier, c'était les autoroutes, aujourd'hui c'est la 5G et la fibre optique. C'est exactement le même rôle de l'État, auquel je suis profondément attaché, car il garantit la bonne circulation des biens et des personnes, mais aussi des informations et des données à travers tout le territoire. Mais gérer des autoroutes, veiller au bon entretien des bandes d'arrêt d'urgence, ce n'est pas le rôle de l'État.

Ce faisant, nous n'avons fait que nous inscrire dans la continuité de la politique menée par Lionel Jospin, en conduisant à son terme un processus engagé à partir de 2002. Notre seule décision politique a été de céder la gestion pleine et entière de tout le réseau autoroutier à des entreprises privées, mieux équipées pour gérer et moderniser ce réseau.

En deuxième lieu, nous avons conservé la propriété de l'État - de la même façon que nous l'avons prévu pour la privatisation d'ADP. L'État n'est pas lésé : il reste propriétaire des autoroutes. Nous n'avons fait que céder les parts de l'État dans les sociétés chargées d'exploiter les concessions autoroutières. À la fin des concessions - elles arriveront à leur terme pour les sociétés autoroutières historiques entre 2027 et 2050 -, l'État pourra, s'il le souhaite, récupérer la gestion de ces infrastructures stratégiques ou choisir de la déléguer à nouveau. Entretemps, ces infrastructures auront été entretenues et modernisées, sur la base d'un cahier des charges.

En troisième lieu, il s'agit d'un changement dans la stratégie de l'État actionnaire : nous voulions que les produits de cession soient utilisés pour investir dans l'avenir et désendetter l'État, comme cela a aussi été prévu s'agissant de la FDJ et d'ADP. Dominique de Villepin, avec son ministre des finances Thierry Breton, a ainsi réussi à désendetter massivement le pays.

Deuxième question : avons-nous réussi cette opération financière ? La réponse est oui. La méthode n'est pas critiquable : la procédure suivie a été stricte et rigoureuse. Nous avons procédé à une mise en concurrence par appel d'offres, organisée par l'Agence des participations de l'État, sous le contrôle de la commission des participations et des transferts. Dix-huit entités se sont portées candidates et nous avons obtenu un meilleur prix - 14,8 milliards d'euros - qu'avec une procédure de gré à gré.

Dans un rapport de 2009, la Cour des comptes a critiqué les conditions de cette cession et estimé que ses produits auraient pu être supérieurs, mais je conteste ces critiques, comme je conteste les critiques de la Cour sur la mise en place d'un fonds pour l'innovation dont je défends la pertinence. Il y a d'abord un malentendu sur les chiffres : la Cour estimait que la valeur globale des 7 000 kilomètres d'autoroute était de 24 milliards d'euros, alors que ces 24 milliards correspondent à 100 % des parts des trois sociétés concessionnaires et non à la valeur des seules parts détenues par l'État. Je conteste aussi les critiques relatives à la procédure : celle-ci a été strictement respectée.

Troisième question : quel bilan pouvons-nous en tirer ? Il est pour l'instant impossible de faire un bilan exhaustif de la rentabilité des sociétés autoroutières avant la fin des concessions. Il y a trop de crises imprévisibles - la crise des « gilets jaunes » ou de la covid-19 l'ont montré. À l'heure actuelle, le montant total actualisé des dividendes sur la période 2007-2018 est inférieur au prix total d'acquisition de 14,8 milliards d'euros. Mais cela ne préjuge pas de ce que sera la situation à la fin des concessions.

En termes de qualité de service pour les usagers, il est indéniable que le réseau concédé est en meilleur état - en 2017, 83 % de ce réseau était considéré comme en bon ou très bon état - que le réseau non concédé - 12 % seulement -, car l'État n'est pas outillé pour moderniser, réparer et adapter un réseau autoroutier. Le télépéage a été développé, la signalisation en temps réel a progressé, l'impact environnemental a été réduit et 400 aires d'autoroute ont été réaménagées pour les rendre accessibles aux personnes à mobilité réduite : au total, depuis 2006, les sociétés autoroutières ont ainsi réalisé 22 milliards d'euros d'investissement. Ces investissements sont suivis par l'État grâce à des indicateurs chiffrés dont le non-respect peut entraîner des sanctions financières. Nous pouvons donc être fiers d'avoir l'un des réseaux les plus modernes et les plus performants au monde : cela sera très utile le jour où nous ferons circuler des véhicules autonomes.

Reste la question des tarifs : les tarifs ont-ils augmenté ? Oui. L'autoroute est-elle chère pour beaucoup de nos compatriotes ? Oui. Mais les tarifs se sont-ils envolés ? Non, ils ont progressé à un rythme proche de celui de l'inflation et conforme aux règles prévues dans les contrats.

Nous pouvons néanmoins améliorer la régulation. Il n'était pas possible d'établir des hypothèses de trafic sérieuses - la crise des « gilets jaunes » et celle de la covid-19 n'étaient pas anticipables -, mais nos hypothèses n'avaient pas non plus prévu la très forte baisse des taux d'intérêt qui a permis aux sociétés d'autoroutes de réduire leurs frais financiers en refinançant leur dette à des conditions financières beaucoup plus favorables. Plutôt que de s'attarder sur de faux sujets, le véritable enseignement que nous devons tirer concerne cette baisse des taux d'intérêt.

L'État a essayé de corriger ce problème en signant avec les sociétés d'autoroute, en 2015, un protocole - dont une clause limite les surprofits - et en renforçant les prérogatives de l'Autorité de régulation des transports (ART). Mais cette correction n'est pas suffisante. Si nous poursuivons le recours à des concessions, nous devons renforcer la régulation, avec des points d'étapes réguliers. C'est ce que nous avions proposé pour ADP, avec une clause de rendez-vous tous les cinq ans afin de réévaluer les tarifs et de suivre les investissements et les prévisions de trafic, l'ART se prononçant à échéances régulières sur le coût moyen pondéré du capital.

La nature des contrats et des risques qui y sont adossés doit évoluer. Il n'y a plus de risque construction, mais d'autres enjeux ont émergé - transition écologique, nouvelles mobilités - qui constituent des risques moins importants.

Toute renationalisation serait inopportune, car son coût serait considérable pour les finances publiques - de l'ordre de 45 à 50 milliards d'euros. Ce serait un très mauvais investissement alors que nous avons besoin d'argent pour investir dans l'innovation, la recherche et la souveraineté technologique de notre pays.

Le modèle de délégation de service public à des entreprises privées a donc fait ses preuves, à condition que la régulation soit améliorée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je vous remercie pour ces propos liminaires qui ne s'écartent que très peu de ceux que M. de Villepin a tenus devant nous.

Les 24 milliards d'euros évoqués par la Cour des comptes correspondent à la somme totale dépensée par les sociétés d'autoroute pour acquérir progressivement les 100 % initialement détenus par l'État avant 2002. Lionel Jospin avait en effet enclenché le mouvement d'ouverture du capital en 2002 ; Jean-Pierre Raffarin l'a poursuivi mais s'est opposé à toute privatisation, avant que Dominique de Villepin ne relance le processus. Il y a donc bien un écart entre les 15 et les 24 milliards d'euros.

La crise des « gilets jaunes » n'a finalement eu que très peu de conséquences sur les taux de rentabilité de 2018 et 2019 des sociétés autoroutières, dont la rentabilité est en hausse continuelle. La crise sanitaire de la covid-19 risque de provoquer une diminution de leur chiffre d'affaires de 25 %, mais, en dépit d'une moindre rentabilité, elles devraient néanmoins dégager des bénéfices en 2020 : toutes les entreprises françaises ne pourront pas en dire autant !

Pourquoi n'a-t-on pas modifié les contrats à l'époque avant de céder les actions ? Ces contrats étaient déjà anciens et ne prévoyaient pas de points d'étape. Par précipitation ou manque de temps ?

Il faudra attendre les années 2031 à 2036 pour constater la rentabilité finale. Cela n'est pas très satisfaisant, car nous n'avons pas de points d'étape - c'est un sujet qui revient régulièrement dans nos auditions - : comment évaluer cette rentabilité dans le temps et la comparer avec ce qui avait été prévu au départ ?

Les sociétés concessionnaires se plaignent du poids d'un État - Bercy, mais aussi la Cour des comptes et le Conseil d'État - trop puissant, qui les contrôle excessivement : comment améliorer la régulation d'ici la fin des contrats, dans 11 à 16 ans, afin de contrôler non pas plus souvent, mais mieux ? Il faut plus d'efficacité que d'exhaustivité.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je connais bien cette rengaine sur le fait que Bercy serait trop puissant, venant de la part d'entreprises qui se portent pourtant très bien. C'est le rôle de l'État de défendre un équilibre économique : l'État n'est pas trop puissant. La crise actuelle nous montre combien nous avons besoin d'un État, notamment d'un ministère de l'économie et des finances puissant, pour faire face à la crise.

Nous devons revoir la régulation avant la fin des concessions et tirer les leçons des erreurs commises. Nous sommes cependant soumis au régime des contrats : il n'est pas possible de les modifier unilatéralement, sauf à le payer très cher. Le gel tarifaire décidé unilatéralement en 2015 a certes été très populaire en son temps, mais c'était une décision totalement irresponsable, car elle a conduit à un rattrapage tarifaire coûteux pour les usagers deux ou trois ans plus tard : on laisse la note au successeur ! Ce n'est pas ma conception de la responsabilité politique. Toute modification unilatérale des contrats est une erreur.

S'agissant de la rentabilité des sociétés, l'ART évalue le taux de retour sur investissement. L'État peut activer les clauses de sur rentabilité prévues dans le protocole de 2015, avec la possibilité d'une réduction de la durée des contrats. Mais, à ma connaissance, cette clause n'a jamais été activée. Quoi qu'il en soit, il faut rester dans le cadre du contrat.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Cette clause trouverait à s'appliquer si on observait un dépassement de 30 % du chiffre d'affaires par rapport aux estimations de 2006. Cette clause a certes le mérite d'exister, mais elle sera difficile à faire jouer.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je partage totalement votre avis. Cette clause est difficile à déclencher.

Je l'ai dit, la question clé est celle du taux de retour sur investissement qui est prévu dans les contrats, mais qui est calculé sur des durées trop longues, comme je l'ai reconnu lors de nos débats sur ADP - c'est la seule erreur que nous ayons faite et je la reconnais bien volontiers. En fait, nous n'avions pas anticipé la baisse des taux d'intérêt, donc la possibilité pour les sociétés d'autoroutes de refinancer leur dette, ce qui a joué en leur faveur sur le taux de retour sur investissement.

Le coût du financement varie dans le temps ; c'est l'angle mort de la décision que nous avions prise à l'époque. Il est donc impératif pour les prochaines concessions de prévoir de pouvoir réévaluer ce taux de retour pour que le concessionnaire ne bénéficie pas d'une surrentabilité. D'où ma proposition de clause de rendez-vous tous les cinq ans qui permet de réévaluer le taux de retour sur investissement cible. C'est la leçon principale de ce dossier, même si elle paraît très technique.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Est-ce que le Gouvernement envisage un nouveau plan d'investissements autoroutiers ? Des contraintes environnementales seront-elles alors imposées aux sociétés d'autoroutes ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Dans le plan de relance, la priorité absolue ira aux mobilités douces, notamment les pistes cyclables et le soutien au vélo - c'est un sujet qui concerne directement les élus locaux, en particulier les maires -, et au transport ferroviaire. Nous n'avons jamais réussi à relancer le fret ferroviaire de manière efficace. Pourtant, ce secteur peut être un atout pour la France en termes de mobilité décarbonée et nous sommes capables d'investir massivement dans ce secteur. L'État y réfléchit avec la SNCF. En tout cas, les investissements autoroutiers ne font pas partie aujourd'hui du plan de relance.

Mme Christine Lavarde. - D'importants travaux de modernisation sont en cours sur l'autoroute de Normandie - ils ont été décidés dans le cadre du précédent plan de relance. L'autoroute va donc encore gagner en compétitivité, alors que la ligne ferroviaire correspondante est plutôt vétuste. Comment le fret ferroviaire peut-il espérer être compétitif sur de telles distances, alors que le sillon est de mauvaise qualité, sans compter les coûts de transbordement ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je n'ai pas de réponse à ce stade, car des expertises sont en cours. Je suis moi aussi un usager régulier de l'autoroute A13 et je partage vos propos. D'ailleurs, je prends davantage la voiture que le train pour me rendre dans ma circonscription. La Normandie est la région la plus pénalisée de France en matière ferroviaire, notamment en raison du problème du noeud de Mantes. Je suis favorable à l'amélioration massive de la desserte ferroviaire vers la Normandie, mais les investissements sont très coûteux et nous examinons les choses pour voir si nous pouvons améliorer la situation dans des délais rapides - si nous voulons une relance, il faut que les investissements aient un effet rapide. Nous ne devons pas baisser les bras sur la desserte ferroviaire de la Normandie.

M. Jérôme Bascher. - Je me souviens bien des discussions de 2006, à l'issue desquelles vous aviez distrait 100 millions d'euros pour le ministère de la culture. Vous avez dit que ce n'était plus à l'État de construire des autoroutes. Pourquoi ne pas avoir poussé ce raisonnement pour certaines routes nationales ? Je pense notamment aux autoroutes de l'Île-de-France, dont le réseau très mal entretenu reste de la compétence de l'État.

Pourquoi ne pas envisager la même chose pour les voies ferrées, pour lesquelles le retard d'entretien et de développement est considérable ? Ne serait-il pas utile de privatiser les voies ferrées au moment où nous ouvrons ce secteur à la concurrence ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Il ne doit pas y avoir d'ambiguïté sur mes propos : je considère que ce n'est pas à l'État de gérer les autoroutes, leurs équipements de sécurité, leurs aires de stationnement, leurs bandes d'arrêt d'urgence, etc. Néanmoins, il reste des barreaux à construire qui sont importants pour la vie de nos compatriotes et l'État, comme les régions, ne peut pas se désengager de cette responsabilité.

S'agissant des voies ferrées, l'ouverture à la concurrence concerne la circulation des trains, mais les actifs stratégiques doivent rester dans les mains de l'État.

M. Michel Dagbert. - Votre dernière réponse sur les infrastructures ferroviaires me va très bien.

En ce qui concerne les concessions autoroutières, il me semble que la puissance publique doit pouvoir être en capacité d'orienter les choix structurants et, même si l'on accepte l'idée que l'État n'est pas le mieux placé pour gérer directement ce type de secteur dans le temps, il doit tout de même se doter de moyens de régulation suffisants. L'État doit donc conserver en son sein une capacité d'ingénierie technique, juridique, économique et budgétaire pour pouvoir discuter dans des conditions correctes avec des entreprises, dont on connaît par ailleurs la puissance. Il doit notamment garder au moins une partie des référentiels de coûts, y compris en termes d'exploitation du réseau, pour les futurs contrats.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Il existe deux types d'expertise : une ingénierie technique qui relève du ministère des transports et une expertise financière. Il faut garder ces deux ingénieries pour s'assurer que les contrats sont bien exécutés, d'une part, sur le plan opérationnel et en termes de qualité des infrastructures, d'autre part, d'un point de vue financier. Avoir des infrastructures de transport de grande qualité est un atout pour la France.

J'en profite pour dire que la question est la même pour le TGV et le transport ferré de proximité et le déploiement de la 5G. Si nous sommes en avance sur ce sujet, nous serons plus compétitifs au profit de l'emploi, du désenclavement des territoires et de l'installation d'usines dans des communes rurales. Je suis élu de la ruralité et je sais bien que nous ne ferons pas venir une grande entreprise dans ces territoires et que nous ne pourrons maintenir celles qui y sont installées - je pense à GSK à Évreux -, si nous ne leur garantissons pas de pouvoir faire circuler leurs données, y compris les plus lourdes. Si nous ne le faisons pas, nous raterons la réindustrialisation et le développement rural de notre pays. Or je considère que la réindustrialisation est une priorité absolue et qu'elle est à portée de main. Si nous investissons dans les infrastructures, qu'elles soient matérielles ou dématérialisées, nous réussirons cette réindustrialisation. Je ne me résigne pas à ce que l'industrie soit passée en vingt ans en France de 20 % du PIB à 12 %, alors qu'elle est restée à 18 % en Italie et qu'elle est remontée à 20 % en Allemagne.

Pour revenir à votre question, le volet lié à l'expertise financière des concessions ressort de la compétence de la direction générale du Trésor et de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), et il est essentiel de garder une expertise très pointue pour nous assurer qu'il n'y a pas de surrentabilité dans l'exécution des contrats.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Certaines modifications fiscales peuvent bénéficier aux sociétés concessionnaires, qui sont des contribuables importants, par exemple le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ou la baisse en cours de l'impôt sur les sociétés (IS). Envisagez-vous de leur demander des compensations ?

Par ailleurs, j'ai compris que vous n'étiez pas partisan de revenir sur ces privatisations, ce qui couterait entre 45 et 50 milliards d'euros, et que vous souhaitiez remettre ensuite ces 9 000 kilomètres d'autoroutes en concession. Sur quelle durée pensez-vous qu'il faudrait conclure ces concessions ?

Enfin, nous avons transmis à vos services plusieurs demandes d'information. Certaines datent de plusieurs mois, mais nous n'avons toujours pas de réponse. Où en est le traitement de ces demandes ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Monsieur le rapporteur, nous allons naturellement faire diligence pour traiter ces demandes d'information. Vous le savez, cette période a été particulièrement chargée pour les services de mon ministère.

En ce qui concerne la fiscalité, nous avons en effet engagé une baisse de l'IS, dont le taux sera abaissé à 25 % d'ici à 2022 pour toutes les entreprises. Nous ne demandons pas de compensations spécifiques aux entreprises et nous ne posons pas d'exigences particulières pour les sociétés d'autoroutes. C'est une question de compétitivité fiscale de notre pays.

Avec la question du taux de retour sur investissement et de la clause de rendez-vous réguliers, celle de la durée est l'autre sujet essentiel de ce dossier. Je plaide pour une durée plus courte avec une clause de rendez-vous réguliers. S'il n'y a pas besoin d'investissements massifs à court ou moyen terme, une durée de quinze ans avec une clause de rendez-vous tous les cinq ans me paraît raisonnable. Si des investissements plus importants doivent être programmés, la durée devrait naturellement être plus longue pour pouvoir amortir ces investissements.

M. Éric Jeansannetas, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre.

La réunion est close à 9 h 50.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 14 heures.

Table ronde d'associations d'usagers des autoroutes

M. Éric Jeansannetas, président. - Nous entendons cet après-midi M. Gérard Allard, membre du réseau Transports et mobilité durables de France nature environnement (FNE), Mmes Dominique Allaume Bobe, présidente du département habitat-cadre de vie et transports de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), et Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), ainsi que M. Jean-Claude Lagron, président de l'association « A10 gratuite ». Je vous prie de bien vouloir excuser M. Pierre Chasseray, délégué général de l'association « 40 millions d'automobilistes », retenu dans un cluster.

À la demande du groupe de l'Union centriste, le Sénat a créé en début d'année une commission d'enquête sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières. Cette commission d'enquête, qui a tenu sa réunion constitutive en février dernier et qui rendra son rapport en septembre, a pour objectif d'examiner le contenu des contrats de concession des sociétés concessionnaires dites historiques, la rentabilité économique de ces concessions, le respect des règles de régulation, ainsi que le cadre de renégociation de ces contrats. La commission entend donc analyser la situation existante et examiner les perspectives qui se dessinent en matière de gestion des autoroutes à l'échéance des concessions.

Dans cette perspective, il nous a semblé indispensable de recueillir les témoignages et les observations des différentes catégories d'usagers du réseau routier, et donc autoroutier, que vous représentez - pour trois d'entre vous - au comité des usagers du réseau routier national.

Je rappelle que ce comité a été institué en 2009. Il examine l'ensemble des sujets relatifs aux attentes des usagers de la route en matière de tarifs, de sécurité, d'insertion environnementale et de qualité de service. Il formule des propositions ainsi que des pistes d'amélioration du service rendu et émet des recommandations sur les tarifs appliqués sur le réseau autoroutier concédé. Notre collègue Michèle Vullien y a été désignée par le Sénat.

Cette table ronde est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle est également ouverte à la presse et fera l'objet d'un compte rendu publié.

Nous sommes dans le cadre formel d'une commission d'enquête. Je vous rappelle donc qu'un faux témoignage devant notre commission est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite donc, tour à tour, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité : levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Gérard Allard, Mmes Dominique Allaume Bobe et Florence Berthelot ainsi que M. Jean-Claude Lagron prêtent serment.

M. Éric Jeansannetas, président. - À votre avis, quelles sont les forces et les insuffisances de la gestion du système autoroutier français face aux attentes des usagers ? Quelle appréciation portez-vous sur l'équilibre des relations entre l'État et les sociétés concessionnaires ?

Quelle est votre position sur le principe du financement par l'usager ? Quelles sont vos recommandations sur les hausses tarifaires ?

Les concessions dites historiques arriveront à échéance dans quelques années : quels modes de gestion et de financement faudrait-il mettre en place pour assurer le bon entretien du réseau et les travaux d'aménagement nécessaires ? 

M. Gérard Allard, membre du réseau Transports et mobilité durables de France nature environnement (FNE). - Je vous remercie de nous auditionner. FNE, qui est la Fédération française des associations de protection de la nature et de l'environnement, est le porte-parole de 3 500 associations. Au sein du réseau thématique sur le transport et les mobilités durables, je suis plus particulièrement les questions relatives au transport de marchandises et je participe depuis dix ans aux réunions du comité des usagers du réseau routier national, sous la présidence de François Bordry.

Le réseau national autoroutier concédé est globalement bien entretenu, à la différence du retard pris sur le réseau non concédé. Les usagers routiers bénéficient d'un bon niveau de service.

Mais l'État est ficelé par des contrats de concession d'un autre temps, permettant le versement de dividendes exorbitants - 3 à 4 milliards d'euros, pour 10 milliards d'euros de recettes. Il est regrettable qu'il soit impossible d'augmenter les taxes et redevances versées à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) - taxe d'aménagement du territoire et redevances domaniales - sans avoir une répercussion automatique sur le coût des péages payé par l'usager.

L'État porte la mise en concession autoroutière d'itinéraires sans aucune viabilité économique, à fort impact environnemental et avec des péages très élevés, comme, par exemple, l'A65-Autoroute de Gascogne, bientôt la route Centre-Europe Atlantique (RCEA), ou encore Toulouse-Castres.

Les concessionnaires sont très bien armés juridiquement pour faire valoir leurs droits économiques et politiques. J'en veux pour exemple le plan de 2010 : 1 milliard d'euros d'investissements - dont 50 % consacrés à du péage sans arrêt, synonyme de moins de guichetiers et donc d'une meilleure rentabilité pour les opérateurs -, pour un an de prolongation, cela fait près de 5 milliards d'euros de recettes. Les concessionnaires essayent de mettre un peu de peinture verte dans les contrats, mais sans réelle stratégie pour inscrire l'environnement comme axe de progrès. La politique tarifaire en est un bon exemple. Les concessionnaires historiques ont refusé d'intégrer les externalités dans les péages, et lorsqu'ils le font, c'est vraiment très minime : les 10 % prévus sur l'A63 ne sont pas assez incitatifs pour investir dans des camions moins polluants. Je ne connais que très peu de cas de réduction du tarif de péage en faveur des véhicules à très faible émission ou du covoiturage.

Nous sommes opposés à l'allongement des concessions comme cela a été fait en 2010 et en 2015. Depuis 2015, il faut néanmoins l'accord du Parlement pour prolonger les concessions : c'est une bonne chose.

Nous sommes favorables au principe utilisateur-payeur. Les hausses annuelles sont contractuelles et résultent de choix politiques antérieurs qu'il faut assumer. Ou alors il faut dénoncer les contrats, mais à quel coût ? Souvenez-vous d'Écomouv et de l'écotaxe !

N'oublions pas non plus l'usager du train : il paye également un péage d'utilisation de l'infrastructure - souvent élevé, notamment sur les lignes à grande vitesse - et subit des hausses annuelles de tarifs souvent supérieures à celles des péages autoroutiers.

Nous devons nous interroger sur l'impact des poids lourds sur l'infrastructure, qui est largement supérieur au coefficient multiplicateur « poids lourds » actuel, de l'ordre de 3.

Une augmentation de la taxe d'aménagement du territoire permettrait d'investir en faveur du réseau national routier non concédé, mais aussi des infrastructures ferroviaires et fluviales.

Il faut également incorporer les externalités - pollution, bruit - dans les péages. La directive « Eurovignette » le permet. Mais, paradoxalement, alors que la France en avait été à l'initiative, grâce à Dominique Bussereau en 2009, notre pays refuse aujourd'hui de la mettre en oeuvre, contrairement à l'Allemagne ou à l'Autriche.

Nous espérons que votre rapport tirera les enseignements de tous ces dysfonctionnements et interrogera le maintien de projets autoroutiers à forts impacts environnementaux. Les péages doivent encourager l'utilisation de véhicules plus propres et incorporer les externalités. À la fin des concessions des autoroutes historiques, nous souhaitons le maintien des péages, selon le principe de l'utilisateur-payeur, avec une gestion en régie ou sous la forme de délégations de service public sur la collecte des péages et l'entretien, avec des contrats courts et réexaminés régulièrement par la représentation nationale et, si possible, par les citoyens. Il faudra en outre un plan volontariste de rattrapage des problématiques environnementales sur certaines concessions, avec des avenants spécifiques.

Mme Dominique Allaume Bobe, présidente du département habitat-cadre de vie et transports de l'Union nationale des associations familiales (UNAF). - Nous représentons les familles et ne sommes pas des spécialistes des concessions autoroutières, mais nous avons des référents sécurité routière dans toutes les unions départementales des associations familiales (UDAF) de France que nous réunissons une ou deux fois par an.

Lorsque l'on emprunte une autoroute, on recherche un service associé à l'infrastructure : aller rapidement d'un point A à un point B, en toute sécurité. L'usager accepte de payer pour ce service, mais il ne l'a pas toujours. C'est le cas quand des travaux durent plus d'un an ou quand il y a d'énormes embouteillages, et qu'il n'y a pas de réduction du prix. Le service acheté doit être rendu.

Nous sommes plutôt favorables à ce que l'usager - et non le contribuable - soit le payeur. Mais parfois, les coûts de péage sont tels que les familles les plus modestes évitent l'autoroute. Ces frais peuvent représenter jusqu'à la moitié du coût direct du trajet, soit autant que l'essence !

Le prix du péage n'est pas suffisamment transparent : certains très petits trajets coûtent parfois excessivement cher. Ce qui peut se comprendre dans les Alpes l'est moins en Normandie. Le prix devrait en outre pouvoir être modulé selon les heures ou l'état du trafic - at pas seulement le dimanche après-midi sur l'A 1.

Nous souhaiterions une transparence plus forte sur l'affectation des recettes et que celles-ci fassent l'objet d'une évaluation et d'un retour au citoyen, consommateur et payeur.

Pour les usagers-familles, la sécurité doit primer, notamment aux entrées et aux sorties d'autoroute, ainsi que sur les aires d'autoroute. Il faut lutter fortement contre les contresens sur l'autoroute. Il faut des efforts qualitatifs : des bandes d'arrêt d'urgence sécurisées, y compris dans les tunnels, sur les viaducs et le long des tronçons comportant une voie plus lente pour les poids lourds. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) devraient nous permettre d'améliorer l'information durant le trajet, la gestion du trafic ainsi que l'appel des secours.

L'aspect environnemental ne doit pas être oublié : mesure de la réduction de l'artificialisation des sols, prise en compte des inondations de plus en plus fréquentes de certaines portions d'autoroutes en cas d'orages violents. Les usagers doivent aussi pouvoir trouver tous les types de carburants dans les stations-service, y compris l'électrique et le biogaz. Des aires de covoiturage doivent également être développées.

M. Jean-Claude Lagron, président de l'association « A10 gratuite ». - Nous nous félicitons de l'existence de cette commission d'enquête et vous remercions d'entendre notre association qui porte une expérience particulière. Nous espérons que votre commission répondra aux attentes fortes des usagers : il faudra proposer de vraies réformes et des pistes d'action immédiates.

Les ressources colossales - 10 milliards d'euros par an - collectées au péage ne servent que marginalement à financer l'entretien, l'exploitation et la modernisation des réseaux de transport, comme nous y pressent pourtant les défis climatiques. Sur 10 euros collectés au péage, 4 sont transformés en dividendes. Selon un rapport des services de l'État, le prix des péages est dix fois supérieur aux dépenses d'entretien, d'exploitation et de grosses réparations des autoroutes. Quelle formidable aubaine pour qui en détient le monopole !

Notre association a été créée il y a dix-neuf ans, à la suite du renouvellement de gré à gré d'une concession inique traversant nos territoires. Cette concession était à l'époque proche de son terme. C'est la seule concession historique périurbaine d'Île-de-France. Nous sommes soutenus par l'immense majorité des élus de nos territoires - toutes tendances politiques confondues. Notre objectif est d'obtenir la gratuité de tronçons franciliens des autoroutes A10 et A11, et, par extension, de tous les tronçons périurbains des autoroutes concernées par la même problématique.

Depuis 1970, l'A10 est une exception dans le paysage autoroutier français : ce fut la première concession exclusivement privée. En Île-de-France, elle est aussi la seule concession historique payante à seulement 23 kilomètres de Paris, alors que toutes les autres autoroutes ne deviennent payantes qu'à la sortie de l'Île-de-France ou à 50 kilomètres de Paris. Elle traverse des territoires sous-développés en transports collectifs : le RER C met plus de temps à rejoindre Paris qu'il y a soixante ans ! Et la population y a triplé en raison de l'étalement urbain. Les temps et les distances domicile-travail ne cessent de s'allonger. Les investissements de l'État et de la région sont exclusivement concentrés sur le centre de l'agglomération. Le schéma directeur régional, appelé le Grand Paris, prévoit ainsi 37 milliards d'euros d'investissements concentrés dans un cercle de 20 kilomètres de rayon, au détriment des autres territoires.

Les coûts supportés par un salarié régulier pour ses trajets quotidiens domicile-travail peuvent atteindre 1 300 euros par an. Le péage opère donc un transfert massif de trafic vers le réseau secondaire, notamment sur les voies parallèles à l'autoroute. Or cette autoroute est structurante pour les trajets quotidiens domicile-travail.

Des problématiques similaires existent autour d'autres métropoles régionales. En près de vingt ans, notre action a permis une prise de conscience et de mettre au jour les très grandes inégalités territoriales dans l'accès aux infrastructures autoroutières : tarifs inégaux, autoroutes gratuites ou payantes au gré des influences politiques locales, foisonnement, etc. Notre action a aussi contribué à faire connaître le gaspillage financier entourant l'utilisation du produit des péages.

Cette controverse n'a cessé de grandir, alimentée par les rapports de la Cour des comptes de 2003, 2008 et 2013, celui de l'Autorité de la concurrence de 2014, celui de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) de 2015, celui de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale de 2014, l'examen des propositions de nationalisation au Sénat en 2014 et 2019, des centaines de questions orales ou écrites posées par les parlementaires, notre audition par le groupe de travail sénatorial sur les concessions autoroutières en 2014, etc. Sans parler des « gilets jaunes » qui ont fait des concessions l'un des symboles de leurs revendications. Toutes ces interventions demandent une révision de la politique autoroutière et un rééquilibrage en faveur des usagers. Et pourtant, rien n'a bougé.

Les timides recommandations des uns et des autres n'ont été mises en oeuvre qu'avec parcimonie. Les clauses de limitation de la rentabilité des concessions n'ont jamais été appliquées. La loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM) a été une nouvelle occasion manquée : les autoroutes y ont été déclarées hors sujet et les préconisations autour de l'usage de la trottinette, du vélo et du covoiturage sont charmantes dans un cadre de loisir, mais bien éloignées des réalités vécues par les salariés. Depuis quinze ans, les gouvernements se sont montrés laxistes et le Parlement peu déterminé. Les projets de loi les plus audacieux ont été repoussés, sans proposition alternative. Nous espérons que votre rapport ne sera pas un rapport de plus.

C'est un système suranné qui ne peut rester en l'état : les ratios de rentabilité sont passés de 18 % en 2005 à 31,3 % - record historique - en 2019. La distribution des dividendes a explosé : en 2016, un an après le plan de relance autoroutier concocté en secret, Cofiroute a distribué 620 % de son résultat net en dividendes. Un kilomètre d'autoroute rapporte 400 000 euros de dividendes chaque année. Dans ces conditions, nous ne pouvons plus nous contenter du constat et attendre la fin des concessions en laissant des dizaines de milliards d'euros partir en fumée. Les sociétés d'autoroute doivent être mobilisées dès maintenant pour répondre aux mutations des territoires et accompagner l'action pour le climat. Quelques recommandations homéopathiques ne suffiront pas. Les mesures circonstancielles préconisées ici ou là n'apportent pas de réponses structurelles et durables aux attentes des populations et des territoires.

Certains semblent considérer que le problème viendrait des déficiences de l'État dans les domaines juridique, technique et financier : mal outillé, il serait démuni face aux sociétés concessionnaires. Mais on ne réglera pas le problème en ajoutant des couches de procédures : les clauses de procédures ne peuvent se substituer à la volonté politique. La force des concessionnaires évolue à l'inverse de celle de la puissance publique. Aujourd'hui, les représentants de l'État ne sont plus dans leur rôle : nous avons bien des exemples dans lesquels ils se sont montrés plus soucieux des intérêts des actionnaires que de ceux des usagers. Il faut modifier ce rapport de force politique.

Les sociétés concessionnaires ne peuvent rester confinées dans leur ghetto, fût-il contractuel. Elles sont délégataires d'un service public et doivent s'adapter pour répondre aux besoins d'une société en mouvement. Nous proposons donc de changer de modèle autoroutier. Celui qui s'achève a permis à notre pays de se doter d'un réseau de bonne qualité. Nous avons besoin aujourd'hui d'un modèle intégré dans lequel l'État doit fixer les conditions d'accès et d'utilisation en reprenant la main sur les infrastructures autoroutières. Il faut réorienter l'argent des usagers perçu au péage vers le financement de nouvelles infrastructures de transport répondant aux nouveaux enjeux de mobilité et aux enjeux environnementaux. Les tronçons périurbains - notamment les tronçons franciliens de l'A10 et de l'A11 - doivent être gratuits. Une telle gratuité doit aussi bénéficier aux personnes contraintes d'utiliser leur véhicule personnel pour effectuer leurs trajets du quotidien domicile-travail ou domicile-études. Ces propositions peuvent s'intégrer dans le cadre de la relance post-crise sanitaire. Cette question spécifique des trajets domicile-travail vient enfin d'être reconnue par l'État, par la précédente ministre des transports lors de son audition devant vous : c'est une première victoire !

Pour assurer les financements, il faut taxer les dividendes distribués par les sociétés concessionnaires d'autoroutes et prévoir une plus juste contribution des poids lourds à l'entretien des infrastructures routières et autoroutières : certes, un poids lourd s'acquitte d'un péage trois fois plus élevé qu'un véhicule léger, mais il dégrade 10 000 fois plus les chaussées !

Votre rapport sera examiné à la loupe et sera un signal qui peut commencer à inverser le rapport des forces en faveur de l'intérêt général, oublié par l'État démissionnaire et les sociétés concessionnaires.

Mme Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR). - Je vous remercie de ne pas avoir oublié les usagers professionnels. Nous sommes 40 000 entreprises qui emploient onze salariés en moyenne. Nous sommes donc d'abord des PME et des TPE. Les infrastructures routières sont notre espace de travail. La question des autoroutes doit être intégrée plus globalement dans la problématique des infrastructures routières.

Comme nous l'avons indiqué dans un communiqué en 2014, après la publication du rapport de l'Autorité de la concurrence, il y a un lien direct entre la privatisation des sociétés d'autoroute et la taxe poids lourds. En effet, l'AFITF, créée en 2004, avait vocation à être financée par les dividendes, mais son financement a été brutalement asséché en 2006 avec la privatisation.

Souvenons-nous que les deux candidats finalistes de la présidentielle de 2007 - Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal - avaient inscrit la création d'une taxe poids lourds dans leur programme. Nous y étions farouchement opposés. Elle ne figure pas dans la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, été adoptée à l'unanimité par les deux chambres, moins quatre abstentions. Nous nous sommes battus sur la question de la répercussion de l'écotaxe : on parle d'utilisateur-payeur et de pollueur-payeur mais doit payer celui qui bénéficie de la livraison du produit. Je vous renvoie au rapport du député Chanteguet.

L'Autorité de la concurrence rend son rapport au mois de septembre, et en octobre, la ministre décide de reporter définitivement la taxe poids lourds, qui, dans une seconde mouture, ne rapportait finalement plus que 600 millions d'euros - et non plus le 1,3 milliard d'euros attendu. Ce report ne s'est pas fait gratuitement, mais a été accompagné d'une augmentation générale de 4 centimes de la fiscalité du carburant.

La qualité de service - à l'exception de la période de la crise sanitaire - est plutôt bonne, mais la question du financement du réseau non concédé est lancinante, car les recettes du réseau concédé ne vont pas là où elles devraient aller.

On entend toujours : « les poids lourds doivent payer ! » Or les poids lourds représentent seulement 15 % du trafic sur autoroutes, mais 32 % des recettes. Nous payons donc au-delà de notre utilisation du réseau concédé, et nous couvrons aussi nos coûts. En 2017, dans le cadre des Assises de la mobilité, nous avons participé à un groupe de travail intitulé « pour un transport plus soutenable », afin de trouver des pistes de financement du réseau non concédé - qui se dégrade, alors que le réseau concédé se maintient. Mais on en revient toujours à « comment taxer les poids lourds ? » ! Nous l'avons encore entendu lors de la convention citoyenne... Nous ne sommes pas les ennemis de l'environnement : sur les aspects de transition énergétique, nous faisons le maximum, avec nos moyens, sur l'offre de camions.

Le problème est là : la route fournit 100 % des recettes de l'AFITF, mais au moins 50 % des projets financés par l'AFITF ne sont pas orientés vers la route...

Dans le cadre des Assises de la mobilité, un conseil d'orientation des infrastructures a remis un rapport. L'annexe 7 de ce rapport - que je pourrais vous remettre - fait état d'un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), longuement évoqué durant les Assises, mais jamais publié. Ce rapport prend en compte les externalités et considère que les poids lourds diesel assument jusqu'à 225 % du taux de couverture sur autoroute. De manière générale, réseau concédé et réseau non concédé confondus, ce coût est couvert à 130 %. Il faudra se mettre d'accord sur les chiffres, à un moment donné, plutôt que de toujours penser aux poids lourds !

Nous payons beaucoup sur les autoroutes, mais cet argent, du fait de la structure des contrats de concession, ne va pas vers l'État qui se débrouille ensuite comme il peut pour trouver des financements pour entretenir le réseau non concédé. C'est un problème. Dans le cadre des Assises de la mobilité, une reprise immédiate des concessions, financée à l'aide d'un emprunt, a été évoquée.

Nous sommes des clients des autoroutes. Contrairement à ce qui a été dit - et tout cela relève de la directive Eurovignette -, le péage n'est autre que la contrepartie de l'usage de l'infrastructure. Il n'est pas la contrepartie d'un service. La preuve en est que, pendant la crise sanitaire, durant laquelle nous étions presque les seuls à rouler, la gratuité des péages n'a pas été donnée pour autant. Les conditions d'accueil de nos conducteurs ont été terribles, surtout au début de la crise : douches et sanitaires fermés, lieux de restauration inaccessibles, etc. Il a fallu que l'on intervienne, car nos conducteurs avaient évidemment été oubliés.

Nous faisons partie du comité des usagers. Je vais vous dire brutalement les choses. C'est une réunion aimable où l'on nous annonce quelles seront les augmentations de tarifs à partir du mois de février de l'année suivante, et puis c'est tout. Nous pouvons effectivement dire un certain nombre de choses. Comme je l'ai dit, nous avons peu à dire concernant la qualité du service et de l'infrastructure.

S'agissant des augmentations, de toute façon, quel que soit le modèle retenu, en définitive nous paierons. À travers l'idée du camion qui abîme les routes, ou qui est extrêmement polluant - alors que nous circulons aux dernières normes, et si possible au gaz naturel pour véhicules biologique (bioGNV) -, nous continuerons à payer. Nous n'avons aucun doute là-dessus. Cependant, nous aimerions aussi un peu plus de transparence voire de participation des usagers et des clients. Pour nous, la route en général, qu'elle soit concédée ou non concédée, est aussi un service public.

M. Éric Jeansannetas, président. - Merci pour la qualité de vos exposés.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Nous avons créé cette commission d'enquête pour essayer d'assurer une certaine transparence et une certaine clarté sur un sujet qui intéresse beaucoup de nos compatriotes, et sur lequel nous ne trouvions pas toujours tous les éléments recherchés concernant la rentabilité, le service, les tarifs, le trafic, etc.

Nous ne souhaitons pas que ce rapport soit seulement un rapport de plus. Nous souhaitons qu'il soit utilisé non seulement par les concessionnaires et les usagers, mais aussi par les services de l'État et le Gouvernement. L'idée est que le concédant puisse s'organiser pour peser le plus possible par rapport aux délégataires. Lorsqu'une collectivité délègue un service, un contrôle et un encadrement précis sont nécessaires. C'est le rôle de la puissance publique. Les propositions de notre rapport devraient - du moins, nous l'espérons - permettre de renforcer le rôle du concédant et le poids de la puissance publique par rapport aux sociétés concessionnaires d'autoroutes.

Le comité des usagers vient en réalité rendre compte des contrôles effectués par l'État pour s'assurer que les propositions des sociétés concessionnaires respectent les contrats. Une évolution de son rôle pourrait figurer parmi nos propositions. Il pourrait suggérer des tarifs différenciés, par exemple, pour les véhicules plus respectueux de l'environnement, pour le covoiturage ou pour les trajets professionnels. Des pistes de changement existent, y compris dans les contrats actuels qui ont déjà évolué à de multiples reprises par voie d'avenant. De nouveaux avenants impliquant des modulations tarifaires pourraient être envisagés. Je ne suis pas persuadé qu'il soit judicieux de diminuer les tarifs aux périodes de fort trafic, mais je ne tranche pas cette question à ce stade. Nous n'en avons d'ailleurs pas encore débattu avec les membres de la commission. Nous commençons tout juste à rédiger notre rapport. Cependant, le sujet des modulations tarifaires sera forcément abordé.

L'évolution du comité des usagers vers une instance d'échanges, de concertation et de propositions relatives à une plus grande intégration d'une politique environnementale dans les tarifs des autoroutes serait à mon sens une très bonne chose. Cela fera sans doute partie de nos propositions, dont les modalités de financement restent à définir.

Sur la rentabilité, il faut faire attention avec les comparaisons de chiffres. Un euro de 2020 n'est pas un euro de 2032. On ne peut dire que les sociétés d'autoroutes, qui versent 3,2 milliards d'euros de dividendes, en verseront 5 milliards demain du fait de la prorogation de trois ans - 2033, 2034 et 2035 - des contrats de concession. Il faut tenir compte ensuite du taux d'actualisation. Ces sujets techniques et financiers seront abordés dans notre rapport. Nous essaierons de rendre ces points les plus compréhensibles possible.

Monsieur Lagron, vous disiez que la limitation de la rentabilité n'avait jamais été mise en oeuvre. Il existe dans les contrats une clause de limitation de la rentabilité, intégrée au protocole de 2015. Cette clause ne peut s'appliquer que sur les trois dernières années des contrats de concession. Elle prévoit qu'en cas de dépassement de 30 % du chiffre d'affaires en valeur de 2006, la durée de la concession peut être réduite. S'il est bon d'avoir introduit une clause de limitation de la rentabilité, en l'état elle semble difficilement applicable. En revanche, des points d'étape sont bienvenus, sur des contrats aussi longs. Il aurait d'ailleurs été préférable d'en prévoir dès le début !

Monsieur Allard, vous avez parlé de « peinture verte ». Jusqu'à présent, la prise en compte des aspects environnementaux au moyen d'éventuelles incitations tarifaires est restée limitée. Une politique environnementale est en revanche prise en compte sur les aires de service, par le biais de contraintes pas forcément visibles, mais non négligeables, fixées par le concédant, que les sociétés concessionnaires répercutent le plus souvent aux sous-concessionnaires. Il faut aller plus loin.

Quelles seraient vos propositions en matière de tarification pour des véhicules considérés comme préservant un peu plus l'environnement ? Quel niveau de réduction tarifaire serait selon vous réellement incitatif : 30 %, 50 % ?

M. Gérard Allard. - Le paquet vert autoroutier de 2010 était consacré à 25 % aux aires de service, moyennant un financement assuré par la prolongation des contrats de concession. Cela a permis d'augmenter le prix de la sous-concession des aires, soit une double rentabilité pour le concessionnaire.

Quel est le bon niveau de péage pour des véhicules moins émetteurs de pollution ? Il faut que ce soit significatif. L'écart de 10 % entre l'Euro 5 et l'Euro 6 pratiqué sur l'A63 pour les poids lourds n'est pas de nature à faire basculer vers l'Euro 6. S'agissant des véhicules particuliers, il faut que ces éventuelles baisses des tarifs de péage soient significatives - 20 % ou 30 %. Elles seront toutefois automatiquement compensées par d'autres augmentations.

Il faut ensuite se mettre d'accord. Qu'est-ce qu'un véhicule à faible émission ? Des débats ont eu lieu au Parlement sur ce sujet au moment de la loi sur la transition énergétique. Un rapport de 2005 du pilote automobile Jean-Pierre Beltoise proposait déjà par ailleurs de moduler les tarifs des péages en fonction des émissions de gaz à effet de serre.

Vous savez les réserves de notre fédération concernant les véhicules électriques. Il faut encourager l'usage du gaz naturel pour véhicules (GNV) par les poids lourds. C'est en revanche plus difficile pour les particuliers. Une réduction des tarifs des péages de 20 % à 30 % pour les véhicules les moins émetteurs me paraîtrait significative. La directive Eurovignette avait donné une fourchette allant jusqu'à 100 % pour les poids lourds.

Mme Dominique Allaume Bobe. - Il est difficile de répondre à votre question. Je pense également que ces baisses de tarifs doivent être significatives. Pour être vraiment vertueux, il faudrait à la limite faire disparaître le péage ! Or le concessionnaire ne veut pas que le péage disparaisse. Aller jusqu'à 100 % de réduction n'est pas envisageable. Cette question est donc assez délicate. Les voitures électriques ont vocation à se multiplier. Les poids lourds et les autocars rouleront de plus en plus au GNV. Il faudra inciter cela. Je n'oserais pas cependant donner de chiffre.

M. Jean-Claude Lagron. - Je le dis en toute modestie : notre association est dans l'incapacité d'apporter une réponse chiffrée à votre question, car nous ne nous sommes pas penchés véritablement sur ce sujet. En revanche, nous nous sommes penchés sur les coûts écologiques des transferts de trafic sur le réseau secondaire dus aux péages. C'est considérable ! Les péages, surtout proches des grandes agglomérations, produisent un transfert de trafic massif sur le réseau secondaire. Nous avons comparé les trafics sur les autoroutes d'Île-de-France avec celui des nationales qui leur sont proches. Pour les autoroutes franciliennes qui sont gratuites, le rapport de trafic entre l'autoroute et la nationale qui lui est parallèle est de 1 sur 5. En revanche, pour ce qui concerne l'A10, le rapport est de 1. Il y a donc un transfert massif de trafic vers le réseau secondaire lorsque l'autoroute est payante.

Les conséquences de cette situation du point de vue écologique et environnementale sont évidentes. Ce sont des bouchons considérables ! La route nationale 20 (RN 20), parallèle à l'A10, est ainsi un vrai désastre écologique. Il y a des bouchons presque toute la journée sur cette voie. Des enquêtes menées par les collectivités territoriales ont montré que les poids lourds quittaient l'autoroute pour prendre la RN 20 à cause du péage. Cela a des conséquences en matière d'émission de CO2. C'est également un désastre pour les populations locales, qui subissent des pollutions atmosphériques considérables. Les populations habitant au bord de la RN 20 souffrent de pollutions bien supérieures à celles du centre de Paris. Pourtant on en parle peu. Le péage autoroutier à l'approche des grandes agglomérations est une catastrophe écologique.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Madame Berthelot, le rapport de un à trois évoqué entre les véhicules légers et les poids lourds vous paraît-il correct ? Quelle réduction tarifaire serait de nature à inciter les 40 000 PME de votre profession - qui font vivre 450 000 salariés environ - à faire évoluer leur parc ?

Mme Florence Berthelot. - Un camion peut soit appartenir à un transporteur pour compte d'autrui, soit être en compte propre, ce que l'on oublie trop souvent. Les camions en compte propre - de maraîchers, d'agriculteurs, ou d'industriels - ne sont pas soumis, en matière sociale notamment, à la même réglementation que nous. Le compte propre représente 50 % de l'activité de transport.

Dans le transport pour compte d'autrui, que nous représentons, comme nous roulons beaucoup - c'est notre métier - nous renouvelons nos flottes beaucoup plus vite que ceux qui sont en compte propre, qui roulent moins que nous et amortissent leurs camions sur un durée beaucoup plus longue. À 86 %, nos camions sont aux dernières normes Euro 5 Enhanced Environnentally Vehicles (EEV) et Euro 6. Nous progressons également dans le GNV. Si l'électrique est compliqué pour les poids lourds, des solutions hybrides existent, et nous rêvons du développement de l'hydrogène décarbonée.

Il nous est difficile de vous dire quelle est la proportion à viser. À son arrivée au ministère des transports, Mme Borne avait évoqué l'idée de réduire considérablement les coûts des péages pour les camions roulant au bioGNV. Il existe des différences entre le GNV d'origine fossile et le bioGNV issu de la méthanisation. Le GNV réduit déjà considérablement les particules, et réduit de 15 % les émissions de CO2. Avec le bioGNV, ces pourcentages sont plus importants.

C'est la directive Eurovignette, en cours de révision, qui fixe le cadre de tout cela. Lors de sa dernière révision, ces carburations alternatives n'existaient pas comme aujourd'hui, ou n'étaient pas si fréquentes. Le GNV se développe vraiment depuis cinq ans. Un camion roulant au GNV coûte 30 % plus cher qu'un camion diesel. Il bénéficie d'un suramortissement. On pourrait aller encore plus loin.

Avec la crise qui se profile, je serai plus prudente dans mon approche, mais en début d'année je vous aurais dit qu'il fallait donner un signal pour encourager les motorisations alternatives au diesel - même si le diesel est extrêmement performant, débat inaudible pour l'opinion publique. Il serait compliqué de vous donner un chiffre, mais il faut donner un signal. Le péage « autoroute » représente quand même 7 % du coût de revient d'un camion. C'est beaucoup !

Je n'ai pas trop d'inquiétude concernant la volonté de nos entreprises d'aller vers des motorisations alternatives. Cependant, il faut penser aux autres professions - maraîchers, etc. - et au signal qui leur sera envoyé pour les encourager à renouveler leurs camions.

M. Éric Bocquet. - Il était important de vous entendre dans le cadre de nos travaux. Nous avons auditionné beaucoup de personnes, portant des points de vue différents. Nous sommes sur un sujet politique, au sens où il relève d'un choix de société, et sur un débat de fond. C'est tout l'intérêt de cette commission d'enquête.

FNE a parlé d'un État « ficelé ». Nous avons entendu ce propos dans d'autres bouches, pointant des contrats très contraignants pour l'État. Les sociétés d'autoroutes disent que les contrats sont à l'avantage de l'État, qui dit évidemment autre chose. Nous pouvons citer aussi le rapport de l'Autorité de la concurrence de 2014, et celui de la Cour des comptes.

D'autres sujets que la hausse des tarifs sont-ils abordés en comité des usagers ? Êtes-vous consultés sur des problèmes de sécurité - liés aux bandes d'arrêt d'urgence dans les tunnels, par exemple - ou ces sujets sont-ils entendus aimablement, mais sans qu'il y ait forcément de suite ? Aspireriez-vous à une autre prise en compte des souhaits des gens que vous représentez ?

Je ne souhaite pas non plus que notre rapport ne soit qu'un rapport « de plus », comme cela est trop souvent dit lorsqu'un rapport paraît. Un rapport est un outil, un constat. Charge à nous, l'ensemble des citoyens, de nous en emparer et de peser dans le sens des questions qui y sont soulevées.

S'agissant de la gestion qui suivra la fin des concessions, l'idée de régie ou d'une DSP est-elle portée par l'ensemble des associations ? Peut-on imaginer d'autres types d'interventions publiques dans la gestion de ce qui reste effectivement un service public, à savoir la route ? Avez-vous une vision précise de l'avenir pour la gestion du réseau autoroutier français ?

Existe-t-il une explication à la grande proximité géographique du péage de Saint-Arnoult, sur l'A10, par rapport à Paris ?

Mme Florence Berthelot. - En comité des usagers, nous pouvons évoquer d'autres sujets, mais pas le fond des solutions. J'ai mentionné plus haut ce qui s'est passé pendant la crise du covid-19. Dès le samedi, lorsque le Gouvernement a annoncé la fermeture des centres de restauration à minuit, celle-ci s'est faite immédiatement sur les autoroutes. Personne n'a pensé au sort des conducteurs routiers ! Puis le confinement est arrivé. Raconter tout ce qui n'a pas été pensé avant pour le transport routier demanderait un roman. Nous nous sommes retrouvés avec des conditions d'accueil épouvantables. Il a fallu une semaine avant que des corners de restauration commencent à rouvrir. Cela reste un problème, en raison de la longueur des procédures sanitaires de nettoyage des douches et sanitaires. Ces procédures sont dans l'intérêt de tous et nous ne les critiquerons pas, mais elles risquent de retarder la pause des conducteurs, qui ne peuvent donc parfois pas prendre de douche.

Nous en parlerons peut-être au prochain comité, mais ce n'est pas cela la solution. Nous aurions dû y penser avant, ou prévoir un moyen d'urgence de signaler un problème général aux sociétés concernées. La réunion de ce comité est une forme typique de réunion ponctuelle qui sert à présenter des choses sur lesquelles nous n'avons pas notre mot à dire. Les contrats de concession sont tellement verrouillés qu'on nous met devant le fait accompli.

Vous évoquez avec raison l'avenir du réseau autoroutier. Il faut à mon sens l'aborder globalement dans une politique nationale d'infrastructure. On ne peut se contenter de se demander si l'on reprend ou non les concessions. La question est de savoir ce que l'on veut pour améliorer globalement les infrastructures de notre pays. Votre commission d'enquête travaille sur un aspect précis, mais nous ne pouvons laisser cette question de côté. Le débat va revenir : comment finance-t-on la remise à niveau du reste du réseau ?

Dans la Convention citoyenne pour le climat a été évoquée une vignette, pour des raisons peu claires. Cette idée avait été rejetée par le rapport Chanteguet en 2014. Jusqu'à présent, la vignette nous avait été présentée comme devant servir au financement des infrastructures. Or la directive Eurovignette souligne que l'on ne peut taxer deux fois un même tronçon de route. La vignette est temporelle - elle s'applique à la journée, au mois, à l'année - et les péages, qui relèvent aussi de la directive Eurovignette, sont une redevance au kilomètre. Si vous mettez une vignette à la journée alors que vous devez prendre le réseau concédé, vous payez deux fois !

Quelle que soit la solution retenue à la fin des concessions - sachant que d'autres projets d'autoroutes sont prévus avec des mises en concession -, que l'on garde ou non ce modèle, nous savons que nous continuerons à payer. Cependant, ce qui nous importe, c'est que ces recettes puissent bénéficier à l'ensemble des infrastructures de transport. Il ne faudrait pas que l'on continue à avoir d'un côté des autoroutes en bon état et de l'autre un réseau mal entretenu. Ce n'est dans l'intérêt de personne. Quelle que soit la solution préconisée par votre commission, pour nous, l'approche doit être globale au bénéfice de l'état des infrastructures de notre pays.

M. Gérard Allard. - J'ai vécu dix ans de comité des usagers. Il a beaucoup baissé en intensité. Avant 2010, il y avait quatre ou cinq réunions annuelles avec des groupes de travail - sur le fonctionnement des aires de service par exemple, ou sur la signalétique. Les sujets abordés étaient nombreux, comme l'affichage des temps de parcours sur le réseau national routier, ou les évolutions de la présentation de la radio 107.7. Nous faisions des retours d'expérience sur les événements neigeux. Or, au fur et à mesure, nous sommes tombés à deux réunions par an, portant sur les tarifs. En novembre 2019, une réunion a été organisée à la demande des transporteurs routiers pour fixer un cadre du niveau d'augmentation des péages. Cela a été une avancée. Cependant, dans l'ensemble, cela a baissé en intensité.

En 2015, lors du gel des tarifs des péages - rattrapé par une hausse lissée sur plusieurs années, que nous payons maintenant -, nous n'avons pas été prévenus. De même, en 2019, lors de l'instauration de tarifs pour usagers fréquents, la réunion du comité a eu lieu le 14 février alors que les tarifs avaient augmenté le 1er février.

Il faut effectivement donner un second souffle au comité, pour qu'il soit force de proposition, avec des groupes de travail. Ce comité pourrait travailler sur les sujets environnementaux. Je m'aperçois aussi que les responsables du ministère sont plus « loquaces » lorsqu'un parlementaire est présent.

J'ai évoqué notre position sur le futur des autoroutes. Un rapport de Jean-Paul Chanteguet parlait déjà d'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), et portait des propositions visant une meilleure maîtrise par l'État de l'évolution des autoroutes.

Jean-Paul Chanteguet avait dit dans son rapport que la vignette « poids lourds » était impossible à appliquer. Je ne comprends pas pourquoi Mme Borne l'a reproposée il y a deux ans ! Nous avons toujours défendu l'écotaxe. C'était une taxe kilométrique « poids lourds » qui faisait payer le même prix à tous les transporteurs routiers, étrangers ou français. La vignette sera à mon sens inapplicable.

Mme Dominique Allaume Bobe. - Nous ne participons pas aux réunions du comité des usagers. Je ne peux donc rien en dire.

La question de l'avenir des concessions relève d'un domaine un peu technique pour nous. Je suis aussi embarrassée pour vous répondre.

M. Jean-Claude Lagron. - La raison de la présence d'un péage à 23 kilomètres de Paris est très simple. Cette concession a été attribuée en 1970. C'était la première concession strictement privée. Le concessionnaire pressenti a exigé que la concession soit payante au plus près de Paris. Plus l'on est proche du centre des agglomérations, plus la tirelire se remplit ! C'est l'unique raison pour laquelle nous avons cette situation inique dans ce secteur territorial du Sud francilien.

Pour la suite des concessions, nous avons des débats fréquents avec les élus locaux et les parlementaires. Si les avis convergent sur la situation actuelle, ils peuvent diverger concernant l'avenir.

L'État doit reprendre en main les concessions autoroutières. Il faut effectivement une vision globale des infrastructures de transport. Il faut cesser de garder les autoroutes dans un « ghetto » à part, comme nous l'avons vu dans le cadre du débat sur la loi d'orientation des mobilités. Il faut une réponse globale publique aux besoins de transport et de mobilité en France. C'est pourquoi j'ai dit que les autoroutes devaient être intégrées à l'ensemble du dispositif de transport national.

J'entends chez les usagers que ce sera un rapport de plus parmi tous ceux établis depuis quinze ans. Très franchement, je ne le pense pas. Quant à nous, nous espérons vraiment qu'il permettra de faire avancer les rapports de force politique entre les concessionnaires et l'État. Et même si nous attendons vos conclusions, le travail que vous avez réalisé nous donne confiance. Je tiens donc à corriger mon propos, s'il a pu être pris négativement.

M. Michel Dagbert. - Merci pour la qualité de vos échanges et les apports qui sont les vôtres à notre réflexion.

Vous avez évoqué la LOM ainsi que le Conseil d'orientation des infrastructures. Je peux en témoigner, le Sénat réalise de nombreuses autres missions. Il y a peu de temps, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a conduit une étude sur les infrastructures, notamment sur les ouvrages d'art tels que les ponts et ouvrages de soutènement. Nous avons constaté que les autoroutes sont plutôt correctement entretenues, mais le reste du réseau pose de nombreux problèmes, notamment au regard de son financement.

Le rapport de notre commission d'enquête, qui sera disponible à la mi-septembre, permettra aux élus et aux associations d'avoir une vision plus large, en complément d'autres travaux que vous avez contribué à enrichir. Nous ne travaillons pas en tuyaux d'orgue, nous essayons, au travers d'une mission d'enquête, de voir les connexions qui peuvent se faire pour faire progesser la prise de conscience. Peut-être conviendra-t-il de faire un peu de lobbying pour faire en sorte que les pistes qui nous semblent crédibles soient suivies afin de rectifier des décisions qui ont été prises ici ou là.

Mme Dominique Allaume Bobe. - J'ai parlé tout à l'heure de covoiturage et on sait que le péage peut être modulé selon le nombre de personnes à bord de la voiture. C'est intéressant pour les gens de banlieue, mais ça l'est aussi pour les familles : il faut en tenir compte dans la modulation de péage. C'est un point très important pour les familles.

M. Gérard Allard. - En conclusion, je rejoindrai les propos de Mme Berthelot. Il faut que notre système de financement concerne toutes les infrastructures, y compris les modes alternatifs. Pour nous, l'Afitf est un excellent outil d'orientation des investissements à faire dans les infrastructures.

Je suis parfaitement d'accord, il faut remettre à niveau le réseau routier national en le sécurisant plus encore et, peut-être, en arrêtant, je l'ai dit, la construction d'autoroutes sous concession.

Il y a eu des rapports sur l'état du réseau national routier non concédé. Or manquent à l'appel 200 millions d'euros annuels dans la LOM pour qu'il reste au niveau actuel, alors même que celui-ci est dégradé.

Vous ne serez pas étonné que j'insiste sur les enjeux environnementaux. Nous avons évoqué les émissions polluantes des véhicules, mais également l'infrastructure. Il faut renforcer la continuité écologique. Le plan d'investissement autoroutier (PIA) de 700 millions d'euros va permettre la construction de 80 kilomètres liés à l'hydraulique sur un réseau de 9 000 kilomètres. C'est une bonne perspective, mais il y a énormément de retard.

Lorsque les concessions seront arrivées à terme, nous souhaitons qu'un bilan environnemental de l'infrastructure soit dressé, et j'espère qu'on aura réussi à rattraper tout le retard qu'on a pris en la matière.

Mme Florence Berthelot. - Une fois de plus, il faudra arrêter de regarder le secteur du transport routier comme un simple financeur, car c'est aussi un contributeur. Comme je vous l'ai dit, lors de l'abandon de l'écotaxe, on a augmenté de 4 centimes la fiscalité sur le carburant. C'est devenu le support alibi, et je le dis comme nous nous le pensons, du financement des infrastructures. Ces 4 centimes introduits en 2015 devaient rapporter pour notre secteur 400 millions d'euros. Ils ont effectivement été affectés aux infrastructures en 2015, mais sont tombés ensuite dans le budget général de l'État.

On fait exactement la même chose pour l'augmentation de 2 centimes d'euros appliquée en début d'année - on n'est pas d'accord sur les chiffres avec le ministère, car on considère qu'on est plus proche de 200 millions d'euros que des 240. Ils devraient être affectés à l'Afitf, alors qu'il fallait 600 millions. On ajouterait la taxe sur le transport aérien. En somme, on s'aperçoit qu'on est en train de tourner autour des modes de financement les plus curieux - pour ne pas dire plus -à propos des infrastructures. Et l'année prochaine, ce sera encore autre chose, et tout cela sous couvert de protection de l'environnement.

Alors qu'on a des propositions proactives, on nous supprime telle ristourne au prétexte qu'elle sera dévolue au financement des infrastructures. Mais, à la fin, tout part dans le budget de l'État.

On nous dit qu'il faudrait prévoir une taxe spécifique pour nous sauver. Commençons par mieux utiliser l'argent dont nous disposons. Les recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) dépassent les 40 milliards d'euros alors que, d'année en année, on manque d'argent pour les infrastructures. C'est un choix politique. On a l'impression de remplir un tonneau qui n'a pas de fond. C'est une politique de courte vue.

On passe pour des acteurs qui ne sont pas en capacité de faire des propositions en matière environnementale, alors qu'on est tout à fait en mesure de le faire. On nous reproche de toujours protester contre des augmentations. D'ailleurs, les transporteurs étrangers sont souvent l'alibi. Sauf qu'ils n'ont pas les problèmes de compétitivité que nous avons. Et c'est un problème que notre propre pays, sous couvert de taxer des étrangers, finisse par plus taxer les entreprises nationales. Mais c'est là un autre débat.

M. Jean-Claude Lagron. - Je ferai deux remarques. Il reste une quinzaine d'années avant la fin des concessions autoroutières.

Premièrement, il faut vraiment réfléchir publiquement, et non pas dans le secret, à ce qu'on fera des concessions dans quinze ans. Les citoyens, les associations et les élus locaux doivent donner leur avis sur l'avenir des concessions autoroutières. N'attendons pas que les choses soient décidées dans le secret des ministères.

Deuxièmement, quinze ans, c'est proche et long à la fois. On ne peut pas laisser le système concédé en l'état pendant quinze ans. Il faut prendre dès maintenant des mesures significatives pour faire évoluer le secteur autoroutier concédé et le secteur autoroutier historique concédé. L'une des priorités est de répondre au problème des trajets domicile/travail des salariés, qui, chaque jour, sont contraints d'utiliser leur voiture pour aller travailler, du fait de l'aménagement du territoire. Il faut prioritairement formuler des propositions très concrètes et significatives pour alléger la charge que cela représente dans le budget des ménages.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Merci aux associations présentes de votre participation. Notre souhait est d'être transparent et clair sur ce sujet, et que celui-ci soit mis sur la place publique. Nous voulons que les usagers puissent avoir un véritable rôle à jouer.

Je retiens des propos de M. Allard qu'il est souhaitable que les parlementaires soient associés, au vu de la probable implication supplémentaire de la part des services de l'État, voire des sociétés concessionnaires. Cette idée peut effectivement faire partie de nos propositions : nous pouvons faire un travail de partenariat, de suivi, plutôt que d'être une chambre d'enregistrement. Je souhaite que vous diffusiez notre rapport, qui tracera des perspectives d'avenir intéressantes.

Je partage vos propos, monsieur Lagron : on ne peut pas ne rien faire pendant quinze ans. C'est sans doute le souhait des sociétés concessionnaires, mais ce n'est pas raisonnable.

Nous allons proposer des évolutions quant aux tarifs professionnels, environnementaux, familiaux ou de covoiturage - je vous rejoins, madame Allaume Bobe, sur les tarifs familiaux et de covoiturage. Nous souhaitons faire oeuvre utile, dans l'intérêt des usagers, des transports routiers, du contribuable, ainsi que de celui de l'État, parce que nous avons intérêt à avoir un pays qui soit performant dans ses infrastructures.

M. Éric Jeansannetas, président. - Merci à tous pour vos contributions.

La réunion est close à 15 h 35.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.