Mercredi 9 décembre 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de MM. Hervé Bécam, vice-président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), Didier Chenet, président du Groupement national des indépendants (GNI), et Alexis Bourdon, président du Syndicat national de l'alimentation et de la restauration rapide (SNARR)

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui les représentants de l'hôtellerie et de la restauration, secteurs qui, avec le secteur des discothèques et de la culture, sont ceux qui, d'un point de vue économique, souffrent probablement le plus de la crise actuelle.

Je remercie pour leur présence, dans une période très chargée et difficile, M. Hervé Becam, vice-président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), M. Didier Chenet, président du Groupement national des indépendants (GNI), et M. Alexis Bourdon, président du Syndicat national de l'alimentation et de la restauration rapide (SNARR).

Si l'hôtellerie n'a pas fait officiellement l'objet d'une fermeture administrative, il n'en est pas moins vrai que les établissements restent vides, compte tenu de l'absence de clientèle étrangère, de la diminution des déplacements et de l'annulation des événements professionnels, culturels et sportifs.

Depuis plusieurs semaines désormais, les plans sociaux, dans ce secteur, commencent à se multiplier. Les restaurateurs, quant à eux, n'auront ouvert que six mois en 2020, ce qui est évidemment une situation extrêmement difficile.

À l'inverse d'autres secteurs, leur réouverture à une date encore non déterminée se fera dans des conditions extrêmement contraignantes, puisque nous savons que le nombre de couverts va diminuer, que les coûts liés à la protection sanitaire augmenteront et que la clientèle étrangère ne sera probablement pas au rendez-vous.

Les traiteurs sont confrontés à une absence totale de marché : événements familiaux, événements d'entreprise, salons, événements culturels, sportifs, sont tous annulés, comme le salon du Bourget, événement emblématique de bien des difficultés de notre pays dans tous les secteurs.

Pourtant, les restaurateurs, de même que les hôteliers, ont réalisé des efforts financiers, techniques, humains significatifs pour mettre en oeuvre un protocole sanitaire loin d'être simple, notamment quand il s'agit d'enlever les masques pour se nourrir, d'aménager les espaces et d'éviter les rassemblements debout. Ils déploient des trésors d'ingéniosité pour maintenir une activité commerciale minimale avec la vente à emporter, la vente sur internet, et la vente de produits de consommation.

Compte tenu de ces efforts et des investissements réalisés, un sentiment d'exaspération, d'incompréhension et presque de colère semble émerger, d'autant que ces métiers sont par ailleurs célébrés partout par les pouvoirs publics comme le symbole de la gastronomie et de la culture française.

Nous souhaitons vous entendre, messieurs, sur tous ces points dans la diversité des formes de restauration ici représentées.

Par ailleurs, derrière ces professions, parfois même derrière ces vocations, existent de très nombreux autres métiers, malheureusement moins médiatisés. Je pense à toute la chaîne de vos fournisseurs dans leur diversité - agriculteurs, poissonniers, grossistes, blanchisseurs, pour ne citer qu'eux.

Face à cela, l'État a mis en place des mesures de soutien économique, notamment une aide pouvant atteindre 20 % du chiffre d'affaires au mois de décembre, dans la limite de 200 000 euros. Pour autant - et sans même s'attarder sur le fait que toutes les aides du monde ne remplaceront pas la satisfaction pour vous de pouvoir rouvrir vos établissements -, ces aides, malgré leur poids sur le budget de la France, sont probablement insuffisantes, tant pour les hôtels que pour les restaurants.

En effet, qu'elles soient calculées sur le mois de décembre 2019 ou sur le chiffre d'affaires moyen réalisé en 2019, l'aide sera versée en référence à une période extrêmement mauvaise pour vos secteurs, en raison notamment des manifestations des « gilets jaunes » ou des grèves de fin d'année, dont nous avons vu les conséquences.

En outre, elle n'est pas rétroactive, alors que cela fait désormais quatre mois et demi que vous êtes fermés ou quasiment à l'arrêt. Vous nous direz bien sûr ce que vous pensez de ce soutien.

Avant de vous céder la parole et que mes collègues vous interrogent, je souhaiterais vous poser deux questions.

La première concerne l'état des lieux de 2020 et vos prévisions pour 2021. Quelle est aujourd'hui votre évaluation de la situation, des défaillances à date, de celles à venir, leurs conséquences sur l'emploi ?

Ma seconde question concerne les mesures d'aide mises en place : jusqu'à présent, quel était le niveau de charges que vous avez dû continuer à supporter malgré les mesures de soutien ? Vous nous parlerez en particulier probablement du problème des loyers qui semble être un élément majeur de vos difficultés.

Sans attendre, je vous laisse la parole.

M. Hervé Becam, vice-président de l'UMIH. - Merci, madame la présidente.

Nous savions déjà, en nous présentant devant vous aujourd'hui, que vous étiez particulièrement attentifs aux problèmes de nos métiers, mais à voir le nombre de sénateurs présents aujourd'hui, je constate que c'est une réalité et que vous avez bien conscience de nos difficultés.

Vous venez, madame la présidente, de brosser un tableau exact de la situation. Les restaurants, les cafés sont aujourd'hui fermés, ainsi que 1 500 discothèques qui n'ont pas rouvert depuis le 14 mars.

La difficulté de la majorité des dirigeants de ces très petites entreprises est de maintenir leur outil en état de fonctionner, en attendant la reprise, prévue le 20 janvier, dont certains commencent à douter, même dans nos rangs.

C'est ce qui explique la montée des insatisfactions, qui justifient qu'un grand nombre d'entre eux, contraints et forcés, exprimeront leur désarroi lundi prochain, lors d'un rassemblement statique que nous organisons à Paris, vraisemblablement place des Invalides, avec le GNI et les autres organisations patronales représentatives de notre secteur d'activité. Ils viendront exprimer leur grande inquiétude et surtout leur souhait de pouvoir recommencer le plus rapidement possible à travailler.

Les entreprises de notre secteur d'activité remercient les Français et le Gouvernement pour les mesures qui ont été prises pour soutenir notre secteur d'activité. On parle beaucoup d'aides, mais ce qui permet aux entreprises de vivre aujourd'hui, c'est plutôt l'endettement.

Les prêts garantis par l'État (PGE) sont certes appréciables, mais constituent un endettement supplémentaire pour les entreprises. Il faudra bien rembourser un jour, même si cela permet aux entreprises de continuer à vivre aujourd'hui.

Nous attendons des précisions concernant la prolongation du chômage partiel. Pour l'instant, le système est maintenu jusqu'au 31 décembre, mais nous n'avons aucune perspective au-delà.

Le fonds de solidarité ou la possibilité d'être directement indemnisé à concurrence de 200 000 euros et à hauteur de 20 % du chiffre d'affaires réalisé en décembre nous permettent de vivre, mais des charges importantes demeurent, comme les loyers ou les droits audiovisuels, qui continuent à être prélevés. Ceci vient grever et appauvrir peu à peu les trésoreries des entreprises et les place dans des situations très difficiles.

M. Didier Chenet, président du GNI. - Vous l'avez rappelé, madame la présidente, l'hôtellerie-restauration recouvre un certain nombre de secteurs auquel tout le monde pense - cafés, bars, brasseries, restaurants, hôtels -, mais aussi les discothèques, les traiteurs ou les organisateurs de réception, auxquels on pense moins.

Il existe un secteur de notre branche complètement à l'arrêt, quand bien même il n'a pas été fermé administrativement : celui des traiteurs. Je dois dire que la façon de traiter les établissements qui sont fermés administrativement et ceux qui ne le sont pas totalement est inadaptée.

À partir du moment où il n'y a plus de congrès, d'événements ni de fêtes familiales, l'activité des traiteurs est entièrement suspendue. Ils sont, de fait, fermés.

Il en est de même pour les hôtels et les hôtels-restaurants qui, du fait du développement du télétravail et des visioconférences, n'accueillent plus personne et ont quasiment été fermés administrativement.

Nous avons réussi à faire considérer les hôtels-restaurants comme des établissements fermés, mais nous n'avons pas encore obtenu la même chose pour les traiteurs. Nous ne désespérons pas cependant. Les hôtels qui sont demeurés ouverts peuvent bénéficier, suivant leur chiffre d'affaires, d'une aide de 20 % plafonnée à 200 000 euros. C'est toute la difficulté de nos négociations.

Au sentiment d'exaspération et d'incompréhension s'ajoute celui de stigmatisation. Nous refusons, je le dis très nettement, qu'on considère que nos établissements sont ceux dans lesquels le virus circule le plus facilement et de façon importante. Ces allégations se fondent sur une étude américaine parue en novembre dans Nature, réalisée à Chicago sur 350 personnes, lorsqu'il n'existait aucun protocole sanitaire. Ceci n'est pas sérieux et nous ne pouvons l'accepter. On nous dit que l'Institut Pasteur en a réalisé une autre. Nous l'attendons. Nous sommes prêts à tout entendre, car nous voulons savoir exactement ce qu'il en est.

Ce genre de contrevérité est insupportable, d'autant plus que les médias s'en sont malheureusement emparés et l'ont considérée comme parole d'évangile. Pour nous, le combat est perdu d'avance.

Les mesures qui ont été prises en décembre vont dans le bon sens, même s'il nous reste encore à résoudre le problème des traiteurs. Ces mesures vont enfin permettre aux entreprises, pour le mois de décembre, de faire face à leurs frais généraux. Que ne l'a-t-on fait avant !

Combien de mois se sont écoulés et combien de négociations avons-nous connues ! Nous avons été fermés en mars. En mai, on nous proposait 1 500 euros et on arrive aujourd'hui seulement à une solution réaliste. Nous avons un certain nombre de charges fixes - loyers, frais de personnel administratif, frais de surveillance de nos établissements, frais d'électricité et de gaz, etc.

Nous avons prouvé à Bercy que la moyenne des charges fixes de nos entreprises tourne entre 20 % et 25 %, d'où le chiffre de 20 % proposé par le ministère. Nous remercions le Gouvernement de cette aide mais, encore une fois, nous avons emprunté pendant six mois pour couvrir des charges dont nous n'étions absolument pas responsables.

Quand on est chef d'entreprise et qu'on emprunte, c'est pour investir et non pour combler les trous et les pertes accumulées au fil des mois. Toutefois, les remboursements des PGE vont être repoussés d'un an, car nous serons dans l'incapacité de les honorer au mois de mars comme prévu.

Curieusement, compte tenu des PGE et des quelques mesures qui viennent d'être prises, il n'y a pas encore eu de défaillances, mais celles-ci vont arriver au premier trimestre, lorsqu'il va falloir payer tout ce qu'on n'a pas réglé, notamment les loyers, qui n'ont pas été versés depuis des mois.

Avant les mesures prises au mois de décembre, une enquête estimait que 66 % des professionnels se disaient très inquiets pour la reprise, environ 30 % d'entre eux pensant soit déposer le bilan, soit arrêter définitivement leur activité.

Parmi nos charges, nous continuons à devoir payer les loyers. Sur ce point, la mesure prise par le Gouvernement est notoirement insuffisante. Elle va dans le sens de la proposition que nous avions pu faire, mais nous n'avons pas été fermés qu'en novembre : nous l'avons également été trois mois, de la mi-mars à la mi-juin, puis avons ensuite connu une période de couvre-feu et sommes à nouveau fermés depuis novembre. Le Président de la République a dit : « Zéro recette, zéro charge, quoi qu'il en coûte » : ce n'est pas le cas pour nous !

Le compte n'y est donc pas. Nous sommes bien conscients des efforts qui sont faits par le Gouvernement. Aucun pays, sauf peut-être l'Allemagne, n'en a réalisé autant, mais il y a là quelque chose qui ne va pas.

Nous avons également un problème avec les assurances. Celles-ci ont eu un comportement peu aimable, empreint de cynisme. En tant que chef d'entreprise, le fait que les assurances ne veuillent pas indemniser des professionnels qui ne sont pas assurés ne me choque pas. Toutefois, le fait qu'il ait fallu aller devant les tribunaux pour faire jouer les contrats qui prévoyaient une indemnisation est anormal.

Par ailleurs, la quasi-totalité des professionnels, fin décembre, va se retrouver sans assurance parce que les compagnies dénoncent les contrats à tour de bras. On nous propose de geler le montant des cotisations, mais pour de moins bonnes garanties. La belle affaire ! C'est ni plus ni moins cynique.

Je rappelle - et cela concerne les parlementaires que vous êtes - que les assurances, durant les périodes de confinement, ont réalisé des profits exceptionnels sur l'automobile, les cambriolages, ainsi que sur les entreprises, qui ont connu moins de bris de machines ou d'accidents du travail. Enfin, quelques banques, alors que cela ne devait pas être le cas, ont exigé une garantie sur la part de 10 % du PGE qui n'était pas garantie par l'État. Qui dit garantie dit contrat d'assurance et profit exceptionnel.

Le dernier profit que nous dénonçons, qui est bien caché, se fait sur le dos de l'État à travers le chômage partiel. Les assurances ont indemnisé les entreprises qui pouvaient bénéficier de la prise en charge de leurs pertes d'exploitation à hauteur de 20 % à 25 %, soit le montant des charges fixes. Dans une situation normale, qui fait partie des risques assurantiels, les assurances auraient également dû rembourser aux entreprises les frais de personnel, ce qui aurait représenté 70 % à 75 %. Les assurances ont, par conséquent, économisé sur le dos de l'État et sur le chômage partiel les deux tiers des indemnités qu'elles auraient dû verser.

Nous avons demandé la création d'une commission d'enquête parlementaire afin de faire la lumière sur tout ce qui s'est passé, car nous ne disposons d'aucun élément. Les chiffres les plus farfelus circulent. On nous dit que les assurances ont versé 400 millions d'euros à tel ou tel fonds d'investissement. Nous sommes prêts à tout entendre, mais nous voulons la vérité. La création d'une telle commission d'enquête, dont vous avez le pouvoir, permettrait de faire la lumière sur ce dossier.

Pourquoi a-t-on attendu décembre pour fixer le bon ajustement, alors que nous avions fourni tous les éléments ? Nous naviguons aujourd'hui dans le brouillard le plus absolu. Nous n'avons aucune visibilité. Les mesures qui ont été prises concernant les fameux 20 % s'appliquant jusqu'à janvier, qu'en est-il du chômage partiel ? Nous n'en savons rien !

Nous sommes le 9 décembre. Ce matin, Europe 1 a annoncé que le chômage partiel allait être reconduit en janvier. Je rappelle qu'il concerne le personnel. Pour nous, le personnel n'est pas une marchandise ! Une demi-heure après cette annonce, le ministère a précisé que rien n'était encore fait.

Tout ceci pose problème. Nous voulons travailler. Nous sommes en capacité de le faire. Nous avons mis en place un protocole sanitaire extrêmement strict. Nous étions hier en réunion avec le ministre en charge du numérique pour la mise en place d'un QR code permettant un contrôle des clients à l'entrée de nos restaurants.

Nous avons quand même souhaité, pour le principe, que ce QR code ne soit pas réservé qu'aux restaurateurs, afin de ne pas avoir l'impression d'être encore une fois de « vilains petits canards ».

Il n'y a pas de raison, nous semble-t-il, que certains établissements recevant du public - universités ou autres - n'exercent pas ce contrôle si nous devons l'appliquer. Nous y sommes favorables et y sommes prêts. Il ne s'agit pas de refuser mais il ne faut pas nous stigmatiser encore un peu plus.

La situation est pour nous extrêmement grave. Je n'y ajouterai pas le problème rencontré en montagne, que je n'oublie pas, où il existe bon nombre d'établissements. Les discussions que nous avons eues ont tourné court très rapidement. Le lundi, le Premier ministre nous réunissait pour discuter de la situation de la montagne. Les professionnels ont proposé de se revoir le 10 décembre, mais il a estimé que c'était un peu long. Le Président de la République, le lendemain matin, a annoncé la fermeture des stations ! Imaginez ce que peut penser un groupe de professionnels qui a mis en place des protocoles sanitaires sérieux. On a finalement perdu deux heures et demie à discuter pour rien.

Un sujet reste pendant, celui du coût des congés payés sur le chômage partiel. Nous venons, avec une énorme difficulté, d'obtenir le droit de mettre nos salariés en congés payés pendant dix jours au mois de janvier. Compte tenu de tous les délais administratifs et réglementaires, tout doit être bouclé le 10 décembre. La négociation a été extrêmement difficile. C'est un bon compromis mais, en attendant, les choses continuent de courir.

J'ai fait remarquer à Mme la ministre du travail qu'elle avait souhaité que l'on embauche les saisonniers, qui ont tout de suite été placés en chômage partiel. Passons sur le côté un peu ubuesque de la situation : on a demandé à des entreprises qui étaient fermées, qui n'avaient aucune activité et qui risquaient de ne pas rouvrir, de faire tourner le compteur des congés payés pour du personnel qu'elles n'emploieront peut-être jamais, mais qu'elles devront payer. Je rappelle que les congés payés représentent 10 % de la masse salariale, ce qui n'est pas mince.

Nous avons fait le calcul du montant pour notre secteur : cela représente 1,6 milliard d'euros. Nous tenons ce chiffrage à votre disposition. Le ministère du travail n'a d'ailleurs absolument pas contesté ces éléments. Nous devons 16 millions de jours de congés payés à nos salariés au titre du chômage partiel.

Tel est l'état de la situation. Nous voulons rouvrir nos entreprises !

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur Chenet, pouvez-vous faire un point complémentaire à propos des extras ?

M. Didier Chenet. - On a eu une très mauvaise surprise - dans l'« ancien monde » - lorsque les extras ont été taxés de 20 euros par contrat. Nous étions alors immédiatement montés au créneau. À l'époque, la situation permettait a priori de taxer les entreprises. On a beaucoup fait souffrir les traiteurs, plus encore que les restaurateurs et les hôteliers.

Des mesures ont été prises récemment afin que les extras puissent être indemnisés de 900 euros, ce qui est mieux que rien. C'est un geste qu'il faut souligner. Cela règle le problème pour quelques mois.

Le logement des saisonniers, particulièrement à la montagne, est d'un coût pharaonique. Le loyer d'un saisonnier représente une dépense minimum de 2 000 euros pour trois mois. Le fait d'embaucher ces saisonniers a généré une dépense supplémentaire à ce titre. Quelqu'un a parlé du « royaume de l'absurdie » : on n'en est parfois pas très loin !

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur Bourdon, qu'en est-il de la restauration rapide, très importante dans le maillage du territoire ?

M. Alexis Bourdon, président du SNARR. - Les établissements de restauration rapide ont été, comme les autres, totalement fermés lors du premier confinement, quand bien même certains canaux ont été autorisés par décret, comme la livraison à domicile ou la vente à emporter.

À l'époque toutefois, les protocoles sanitaires n'étaient pas en place. La priorité de tous les restaurateurs était de sécuriser l'environnement de leurs salariés, notamment en cuisine. On n'avait pas encore de masque ni de gel. Indépendamment de cette autorisation, la totalité de la profession a fermé.

Une anecdote par rapport au cynisme des assurances : certains canaux étant alors officiellement autorisés, quelques-uns de nos adhérents ont reçu un courrier de leur assureur leur indiquant que leur fermeture n'était pas administrative, le décret les autorisant à travailler.

Le premier confinement a duré jusqu'à fin mai pour ces canaux, dès lors que les protocoles sanitaires étaient en place. Pour les salles, on parlait du mois de juin, voire de mi-juin pour Paris, qui était alors en zone rouge. L'activité a repris très progressivement.

En France, la restauration rapide représente 27 000 points de vente et 175 000 salariés. L'activité de service au volant, très visible, est d'un peu moins de 10 %. On compte 3 000 drives en France.

L'activité reste autorisée - on va en parler à propos du deuxième confinement -, mais la majorité des points de vente n'ont pas cette activité. Ils pratiquent le service au comptoir en centre-ville et souffrent beaucoup.

Les protocoles étaient en place lorsque le couvre-feu est tombé sur les grandes agglomérations. Le confinement de novembre a permis à certains points de vente de rester ouverts, mais quand les flux ne sont pas là, cela ne sert à rien.

L'hôtellerie est moins couverte que nous parce qu'elle n'est pas administrativement fermée. J'illustrerai le côté ubuesque de la situation en soulignant qu'il existe en Seine-et-Marne un grand parc d'attractions qui est fermé. Les restaurants autour sont fermés, mais couverts, alors que les hôtels ne sont pas couverts, bien que, par définition, il ne peut y avoir personne dans les chambres !

En novembre, compte tenu de l'absence totale de flux, environ 30 % de nos points de vente étaient totalement fermés, les autres essayant de ne pas perdre d'argent et de survivre en réduisant leurs horaires d'ouverture, notamment le soir du fait du manque de fréquentation.

Les aides qui couvrent les mois de décembre et de janvier sont les bienvenues. Elles doivent nous aider à passer la fermeture administrative, si toutefois la date du 20 janvier est bien confirmée. L'enjeu pour la totalité de la profession est aussi de réfléchir collectivement à la façon dont on rouvrira. Ce sera de toute façon dans un mode très dégradé. Comment donner la chance à la profession de rouvrir, de ne pas perdre d'argent, quand bien même le chiffre d'affaires sera à 30 %, 50 % ou 60 % du précédent ? La problématique est double : il s'agit de réduire les charges fixes - loyers, coûts annexes, car un loyer ne peut doubler si le chiffre d'affaires n'est pas au rendez-vous -, et de travailler sur l'amélioration de la marge sur coût variable, même si l'on sait que les protocoles sanitaires, la sécurité de nos salariés et de nos clients, qui reste une priorité, représentent une dépense.

L'absence de visibilité est bien entendu critique pour les restaurateurs. Les effets de seuil sont des problèmes importants pour un certain nombre d'aides. Ceux qui ont plusieurs points de restauration passent à travers, alors que la problématique est exactement la même. L'effet sur l'emploi sera du coup très compliqué.

Enfin, les PGE ont permis de pousser la poussière sous le tapis. Il y aura sans doute des dépôts de bilan significatifs, mais ce sera peut-être moins médiatisé que dans d'autres industries. En revanche, l'addition de tous les petits commerçants qui vont disparaître sera énorme.

Certains vont perdre leur activité. Pour un petit restaurateur, cela représente souvent toute une vie. Par ailleurs, la caractéristique de notre secteur repose sur sa capacité à embaucher, à former. Si les flux ne sont pas là, ce sera une catastrophe au moins aussi importante que les plans sociaux qui seront très médiatisés. C'est ce que nous devons absolument éviter, en permettant aux restaurateurs de redémarrer leur activité pour survivre.

M. Hervé Becam. - Je précise, s'agissant des défaillances d'entreprises, que les tribunaux de commerce sont aujourd'hui au chômage faute d'activité. Ceci masque les difficultés des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui sont en préparation dans les grandes entreprises ou les grands groupes. Tout cela est dû au fort décalage qui existe entre les annonces politiques et l'effectivité des mesures. Nous craignons, dans notre secteur, une disparition de près de 200 000 emplois si les aides ne nous parviennent pas rapidement et si nous ne pouvons recommencer à travailler.

Mme Sophie Primas, présidente. - La parole est au président de la délégation aux entreprises, Serge Babary, puis aux autres commissaires.

M. Serge Babary. - Nous sommes ici tous très sensibles à la situation de vos entreprises.

Le président Becam vient à l'instant d'indiquer un risque de 200 000 pertes d'emplois. Il s'agit de petites entreprises dont en entendra très peu parler dans les médias, car cela va se passer de façon très diffuse dans les territoires. Nous sommes cependant tous concernés. Il faudra à un moment ou un autre mettre en avant le grand risque social que l'on craint tous en début d'année prochaine. C'est alors que les difficultés vont apparaître, même si le plan de sauvetage remplit pour l'instant à peu près son office.

L'UMIH a formé, le 20 novembre dernier, une double action devant le Conseil d'État contre le décret du 29 octobre, motivée par la rupture d'égalité de traitement avec les restaurants collectifs et routiers, ainsi que par la disproportion de l'interdiction totale d'activité sur tout le territoire national. Une requête en référé devait être traitée dans les dix jours. Nous avons reçu une réponse malheureusement négative hier. Sans en commenter le fond, imaginez-vous d'autres voies de recours ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Une enquête portant sur environ 6 600 hôteliers, restaurateurs, brasseurs et cafetiers a déterminé que deux tiers des professionnels du secteur considèrent que des dépôts de bilan en masse vont avoir lieu à l'issue du deuxième confinement.

Vous l'avez dit tout à l'heure, des mesures ont été mises en place. J'ai personnellement fait dimanche une demande au titre de l'avantage solidarité instauré à partir du mois d'octobre. Le mardi, l'argent était sur le compte. Un grand nombre d'aides viennent soutenir les petites entreprises.

Pensez-vous qu'on puisse éviter les dépôts de bilan en prorogeant ces mesures ? Durant combien de mois faut-il les maintenir selon vous ?

L'attitude des assurances est par ailleurs un véritable scandale. En temps normal, le principe des compagnies, en cas de sinistre, est de ne pas payer. Plus de 50 % des professionnels de l'hôtellerie et de la restauration considèrent que les assurances constituent une priorité. Le ministre des finances, la semaine dernière, a annoncé une stagnation des tarifs. Certes, les primes sont les mêmes, mais les garanties sont divisées pour les sinistres autres que ceux liés à l'épidémie.

Je suis tout à fait d'accord avec la nécessité de créer une commission d'enquête sur les assurances. On ne peut pas les laisser agir librement.

Le PLF 2021 a par ailleurs introduit un crédit d'impôt pour les bailleurs. Personnellement, je pense que ce n'est pas incitatif ; mais quid des taxes foncières ? Vous le savez, les hôtels et les restaurants payent des taxes foncières substantielles qui représentent souvent 30 % à 40 % du montant du loyer. Avez-vous réfléchi à une aide ?

Enfin, lors du premier confinement, les hôteliers ont pu accorder des avoirs afin de ne pas mettre leur trésorerie en péril, remboursables au bout de dix-huit mois. Comment pensez-vous que l'on puisse aider les hôteliers à les rembourser ?

Mme Anne Chain-Larché. - Notre but est de relayer vos propos auprès de la population et des professionnels de notre territoire. Je suis sénatrice de Seine-et-Marne. Vous avez évoqué un grand parc d'attractions qui fait vivre notre département. Nous avons rencontré au mois de juin Jean-Marc Banquet d'Orx, président des métiers de l'industrie et de l'hôtellerie d'Île-de-France, qui nous a dit à quel point le territoire était touché.

Pour vous aider face à cette psychose qui s'est emparée du pays et des consommateurs et faire en sorte que toutes les professions dont on ne parle pas - pressings, livreurs, fournisseurs, agriculteurs, notamment dans notre département et en Île-de-France - je souhaiterais que vous décriviez précisément les propositions que vous avez pu faire au Gouvernement en matière de protocole sanitaire.

Il faut absolument communiquer plus encore que vous ne le faites sur les efforts que vous consentez, qui vous font baisser votre capacité d'accueil de 50 à 30 %. Les consommateurs doivent le savoir.

Que pouvez-vous faire de plus ?

Mme Martine Berthet. - En tant que sénatrice de la Savoie, je commencerai par deux questions concernant les stations, où les restaurateurs souhaitent pouvoir rouvrir au plus tôt en janvier. Or il semblerait que vous soyez plutôt favorable à une ouverture le 20 janvier. Pouvez-vous nous préciser votre position ?

Avez-vous par ailleurs des chiffres concernant l'embauche des saisonniers ? Beaucoup ont-ils été recrutés, suivant les préconisations de Mme Borne ?

Avez-vous des négociations en cours au sujet des loyers concernant les fonds et les murs ? Cette question va constituer un sujet brûlant pour le maintien des entreprises. D'un côté, les bailleurs ont besoin de leurs recettes et, de l'autre, vos entreprises sont mises en difficulté par rapport à ce sujet.

Enfin, que pensez-vous de la proposition de passage de la TVA de 10 à 5,5 % afin de favoriser la reprise ? Cela constitue-t-il un élément important pour vous ?

M. Franck Menonville. - Ma question s'adresse à MM. Becam et Chenet. Certaines activités ont fait l'objet d'une fermeture administrative, d'autres non, notamment l'hôtellerie. Malheureusement, certains hôtels demeurent aujourd'hui fermés faute de clients et de la réduction du tourisme. Quelles sont les conséquences de ces deux statuts ?

Deuxièmement, malgré les prises en charge, le chômage partiel, le PGE, les reports de charges sociales et fiscales, etc., les échéances sont devant nous, et cela inquiète beaucoup le tissu économique, notamment pour ce qui est du PGE. J'aimerais connaître votre position à ce sujet. Que pensez-vous de la nécessité de transformer le PGE en fonds propres sur une durée longue, permettant ainsi de consolider la structuration des bilans des entreprises et de leur permettre de réinvestir à l'issue de cette crise ?

M. Michel Bonnus. - Vous avez parlé d'or. Le constat est alarmant pour chacun. Vous avez relevé l'absence de marchés pour les traiteurs et les plans sociaux vont se multiplier.

J'ai eu l'occasion de discuter avec les membres du Gouvernement à ce sujet. Il existe aujourd'hui trois problématiques.

L'aspect sanitaire les préoccupe beaucoup, ainsi que l'aspect économique, mais on ne doit pas mésestimer l'aspect judiciaire.

Aujourd'hui, on décide en fonction des futures procédures. Les bureaux du Premier ministre et du ministre de la Santé ont été perquisitionnés, leurs ordinateurs saisis. Cela a été un choc pour eux. Une ouverture prématurée des restaurants peut être très compliquée selon le protocole mis en place, et chaque cas est particulier. La saisonnalité est une question de plus. À la montagne, peut-être voit-on les choses différemment...

Il faut avoir un coup d'avance. Certains pays d'Europe sont passés devant la France en matière de tourisme, comme l'Espagne. La Croatie ou Malte ont des taux de TVA à 5,5 %, l'Allemagne à 7 %. L'Espagne est à 10 %, mais son taux de charges sociales s'élève à 30 %, alors que nous sommes à près de 47 %.

Il faut aujourd'hui travailler sur la sortie de crise et avoir une communication positive pour gagner des parts de marché et réconcilier notre pays avec nos métiers. On peut aujourd'hui éprouver de la peur dans un restaurant. On a stigmatisé notre activité, mais personne n'affirme qu'elle est à l'origine de clusters. J'attends donc avec impatience le rapport de l'Institut Pasteur. Vous avez raison de dire que l'étude réalisée à Chicago ne veut strictement rien dire.

Le Gouvernement a été à la hauteur avec ses mesures de soutien. Dans notre métier, on a 30 % d'achats, 30 % de frais fixes, 30 % de masse salariale. Quand il reste 10 %, on est heureux. On ne peut se contenter de gérer l'instant. Il faut avoir un coup d'avance, se préparer au déconfinement dès maintenant. Si on ne travaille pas notre communication, on va vers de grandes désillusions !

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci Michel. On sait que tu parles avec ton expérience, ton coeur et ton enthousiasme.

M. Jean-Claude Tissot. - Cette crise sans précédent aura profondément atteint notre économie, nos entreprises et l'ensemble des travailleurs.

Dans vos filières, les extras de l'hôtellerie-restauration étaient jusqu'à peu les grands oubliés des mesures gouvernementales.

Travaillant à la mission, les extras n'ont pas eu le droit à des mesures spécifiques pour les accompagner lors des premiers mois de la crise. Ils ont ainsi été frappés de plein fouet par la mise en berne de l'économie entraînée par le confinement et les mesures de protection sanitaire.

Certains ont, dès le premier mois, épuisé leurs droits au chômage et se sont rapidement retrouvés dans une situation de grande précarité. Une aide spécifique pouvant atteindre 900 euros par mois semble bien insuffisante. De plus, l'une des conditions à remplir pour obtenir cette aide est particulièrement restrictive, puisqu'il faut avoir travaillé au moins 60 % durant l'année 2019. Comment sont pris en compte ceux qui débutent sur le marché du travail ?

La situation est particulièrement grave pour les saisonniers qui dépendent des activités hivernales et se retrouvent privés de tout emploi durant les fêtes de fin d'année et au début de la saison de ski.

Avez-vous pu quantifier le nombre d'extras et de saisonniers qui n'ont pu travailler dans les entreprises que vous représentez ? Une telle analyse permettra de se rendre compte de l'aberration que représente le temps qu'a pris par Gouvernement pour répondre à tous ces citoyens.

Enfin, je croyais que l'acronyme PGE signifiait « prêt garanti par l'État ». J'aurais aimé que vous nous expliquiez les choses plus clairement. Cela pourra nous servir lorsque nous rencontrerons les assurances.

M. Jean-Marc Boyer. - Je suis à l'origine d'un courrier au Président de la République en faveur d'une ouverture au 15 décembre signé par 111 sénateurs.

Au regard des commentaires qui sont faits depuis quelques jours, j'ai l'impression qu'il s'agit d'une démarche irresponsable - même si on n'ose pas me le dire.

Je reprends les propos que vous avez tenus, monsieur Chenet lors de la visioconférence à laquelle j'ai participé samedi après-midi : « La filière n'est pas pour réclamer une ouverture prématurée de nos établissements. Nous ne voulons pas, à cause des fêtes, que le reproche nous soit de nouveau fait d'être à l'origine d'une circulation accrue du virus, qu'il nous soit reproché une fois de plus d'être ceux qui font circuler le virus. C'est une décision très dure. Nous prenons nos responsabilités ». Vous avez en outre précisé : « Si le souhait de ne pas ouvrir prématurément n'est pas partagé par tout le monde, ce sentiment est partagé par une majorité de professionnels ».

Notre démarche se fonde sur les remontées que nous font les professionnels de nos départements. Quels arguments sanitaires avance-t-on aujourd'hui par rapport à la promiscuité que connaissent les transports en commun ou la restauration d'entreprise pour ne pas autoriser l'ouverture de vos établissements ? Il est vrai que l'on doit baisser le masque pour manger et pour boire, mais pouvez-vous mettre en place des mesures sanitaires vous permettant de rouvrir, même dans un format réduit ? Que pouvez-vous faire en plus des mesures déjà existantes ?

On nous dit que le virus reprend depuis un jour ou deux. Ce ne peut être de votre fait, puisque vous êtes fermés. Je finis par me poser des questions. Michel Bonnus vient de dire qu'il convient d'être positif : il faudrait pour ce faire que vous puissiez démontrer que vos protocoles sont efficaces et que vous pouvez rouvrir en toute sécurité.

M. Daniel Gremillet. - Où en êtes-vous des discussions avec certains présidents de collectivités visant à transformer les avances par des aides non remboursables ? On sait que 70 % des entreprises seront dans l'incapacité de rembourser les aides qui leur sont allouées. C'est un vrai problème d'équité. Plus cette aide sera transformée en subvention, plus le traitement des entreprises s'en ressentira.

Ce que vous nous avez dit à propos des assurances constitue un vrai sujet. Les résiliations étaient fréquentes en matière de sinistres. Vous venez d'en illustrer une dimension supplémentaire. Il y a là un travail pour le législateur.

Une question concernant l'apprentissage. Certains ont parlé d'espoir. Évitons que les jeunes en formation soient laissés pour compte. Existe-t-il des initiatives ? Comment faire pour sauver les jeunes ? Vous êtes un élément moteur de l'apprentissage.

Enfin, pour ce qui est des extras, beaucoup de choses vont changer s'agissant des entreprises - congrès, déplacements, etc. Je préside une entreprise fromagère : je vois bien que tout sera différent à l'avenir. Comment imaginez-vous l'après pour ces métiers d'extras très spécifiques ?

Mme Sylviane Noël. - Existe-t-il des régions où les hôtels s'en sortent mieux que d'autres ?

Par ailleurs, quelles sont les mesures à long terme pour retrouver la compétitivité ?

Mme Viviane Artigalas. - Avez-vous fait de la prospective pour savoir comment va évoluer la consommation dans votre secteur d'activité ? Envisagez-vous à long terme de modifier le modèle économique fondé sur le nombre ?

La reprise d'activité s'accompagne de protocoles extrêmement contraignants qui vont fragiliser vos chiffres d'affaires. Certaines entreprises n'hésitent-elles pas à rouvrir ?

Deuxièmement, Lourdes, dans mon département, est en grande difficulté alors que cet été, la montagne a fait une excellente saison dans tous les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration.

S'ajoute à cela le fait que les stations de ski ne peuvent rouvrir, ce qui m'amène à la question des saisonniers. Beaucoup d'entreprises n'en ont pas embauché. Certaines compétences peuvent se perdre. Pour Lourdes, qui connaît un modèle économique particulier, il est difficile d'en changer.

M. Alain Chatillon. - Sachez que nous comprenons les difficultés de votre secteur, que nous vivons au quotidien.

Madame la présidente, nous avons, avec Martial Bourquin, rédigé différents rapports sur l'accompagnement des entreprises et la réindustrialisation. Aujourd'hui, l'État va enregistrer un pourcentage de dette publique égal à 125 % du PIB environ. On ne sait par ailleurs pas très bien ce que sera 2021.

Il va donc falloir cibler les choses. On a peut-être trop anticipé dans certains secteurs et pas assez dans d'autres. Certains qui ont été fortement aidés par l'État rencontrent finalement moins de difficultés que prévu. Je ne cite personne, mais il nous faut en parler.

Quant aux assurances, elles ont réalisé entre un et deux milliards d'euros d'économies cette année. Allons chercher l'argent là où il est ! Certains secteurs ont reçu beaucoup d'aides, alors qu'ils ont eu moins de difficultés que les autres. Il faudra que nous en débattions, madame la présidente.

Mme Sophie Primas, présidente. - Il me semble qu'on a abordé le sujet lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021. Nous nous pencherons sur ce point.

M. Patrick Chaize. - Quelles mesures seraient nécessaires pour éviter les défaillances a posteriori ? Quelle serait la jauge qui permettrait d'éviter que vous vous décapitalisiez durant cette crise ?

Je souhaiterais également revenir sur la dissonance concernant les dates de réouverture. Globalement, on y perd un peu son latin. Peut-être certains secteurs peuvent-ils ouvrir plus tôt que d'autres. Pouvez-vous nous en expliquer les caractéristiques ?

Enfin, avez-vous pu mesurer les effets du déconfinement sur vos chiffres d'affaires ?

Enfin, je suis conseiller municipal d'un village gastronomique, Vonnas, et j'ai cru comprendre que le déconfinement y avait eu quelques effets. Peuvent-ils être reproductibles ? Les avez-vous intégrés dans vos réflexions pour les mois à venir ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Les professionnels ont été appelés à se mobiliser en ligne sur la page umih-contentieuxassurances.fr afin de mener une action collective et demander un nouveau produit d'assurance qui prenne en compte le risque en cas de pandémie. Où en est cette démarche, épaulée, je crois, par un cabinet d'avocats ? Des procédures ont-elles été engagées ? Comment couvrir un nouveau risque sans déclencher une hausse des tarifs des assurances, malgré le gel des franchises pour 2021 annoncé par le ministre de l'économie ?

D'autre part, on n'a pas parlé de la profession des débiteurs de boisson qui, dans mon département des Alpes-Maritimes, vient de se regrouper en consortium local. Ils n'avaient pas été pris en compte lors du premier confinement et ont finalement été intégrés dans un certain nombre de mesures du plan tourisme. Avec le deuxième confinement, ils ne bénéficient d'aucune aide. Je pense que vous êtes également mobilisés à leurs côtés, mais je voudrais attirer l'attention sur leur activité.

M. Yves Bouloux. - Monsieur Becam, le nombre de licences IV est passé de 200 000 dans les années 1960 à environ 40 000 aujourd'hui. 25 000 communes dans les territoires ruraux ne disposent plus de cette licence.

Au mois de juillet dernier, vous demandiez une remise à plat du régime de la délivrance des licences IV pour les débits de boissons pour redynamiser les territoires ruraux. Où en êtes-vous de vos discussions avec le Gouvernement ?

M. Daniel Salmon. - Quelle est la part des charges des loyers dans votre activité et comment fonctionne le crédit d'impôt mis en place par l'État ? Vous a-t-il apporté des bénéfices ? Qui sont vos bailleurs ? De quelle manière peuvent-ils être mis à contribution ? Si l'on enregistre de nombreuses faillites, ils seront également touchés. La solidarité doit donc s'exercer également à leur niveau.

M. Serge Mérillou. - Ma question concerne le temps long : ne craignez-vous pas que les nouvelles habitudes de vie et de travail qui ont été prises - visioconférences, télétravail, achats en ligne - changent durablement les modes de consommation ?

Avez-vous anticipé cette éventuelle évolution ? On peut assister à une frénésie de consommation ou au contraire demeurer dans les habitudes actuelles. Le temps, par définition, va déterminer l'évolution de vos métiers dans la durée.

M. Fabien Gay. - On estime que le fonds de solidarité est le meilleur système. Nous avons quant à nous plaidé durant des mois pour en alléger les conditions ou augmenter le périmètre, mais certaines choses ne vont pas.

Par exemple, un gérant salarié n'a droit à aucune aide, celui qui a plus de 50 salariés non plus. C'est incompréhensible ! Un gérant salarié cotise pour tous les risques, alors que celui qui est au RSI ne cotise que pour son risque. Avez-vous des discussions avec le Gouvernement à ce propos ?

Par ailleurs les banques ne jouent pas le jeu, il faut le dire. Le rôle d'une banque est d'accompagner une entreprise, ce qui n'est pas le cas en ce moment puisqu'elles ne prennent aucun risque, l'État garantissant les prêts à 90 %. Elles demandent des garanties incroyables sur les 10 % restants, parfois avec des taux ubuesques.

Certains de mes anciens collègues du secteur événementiel m'ont raconté qu'ils ne voulaient pas d'un PGE, mais d'une ligne de crédits non alloués pour investir. Les banques la leur ont refusée. Le PGE est le seul produit que proposent les banques en ce moment.

Enfin, les assurances ont fait et continuent à faire énormément de profits, mais n'indemnisent pas assez leurs assurés. Il nous faut le dire haut et fort. Je ne sais pas s'il faut créer une commission d'enquête sur ce sujet, car beaucoup d'événements de l'année 2020 en mériteraient une, mais c'est une vraie question.

Enfin, je pense que le chômage partiel n'était pas fait pour prendre en charge autant de personnes. On aurait dû inventer un autre système. Le chômage partiel est destiné à aider une entreprise pendant quelques semaines afin de passer un cap. Le système n'est pas le bon et pèse sur les salariés, qui perdent de l'argent, ainsi que sur les employeurs du secteur, notamment du fait des congés. Les choses ne sont pas près de repartir, surtout dans l'évènementiel. Certains salons prévus au mois de juin sont déjà annulés. Il faut donc inventer un système pour 2021.

M. Bernard Buis. - Quelles mesures de compensation devraient être prises selon vous pour faciliter la remise en route et agir sur le long terme ?

M. Franck Montaugé. - Le mur de la dette est désormais un problème national pour les entreprises françaises, dont les vôtres. Nombre d'entre elles vivent sur l'endettement. Comment s'en sortir ? Envisagez-vous de demander des remises de dettes à l'État, notamment pour éviter les dépôts de bilan ?

D'autre part, qu'en est-il des investissements de vos entreprises pour préparer l'avenir, améliorer la future compétitivité, sauvegarder l'emploi, voire le développer ? La situation difficile dans laquelle nous sommes ne doit pas nous empêcher de nous poser la question. L'État doit-il jouer un rôle particulier d'accompagnement, par exemple avec des prêts à long terme à taux proche de zéro adaptés ?

Enfin, votre proposition de commission d'enquête pour évaluer l'efficacité des politiques publiques en direction des acteurs de l'économie me paraît très opportune et absolument nécessaire.

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur Bourdon, on parle beaucoup de la charge des loyers, des charges sociales, etc. Comment les charges de franchise, qui doivent exister dans votre secteur d'activité, se présentent-elles ? J'imagine que les grandes enseignes de restauration rapide sont concernées par ce sujet.

Par ailleurs, quel est l'impact de cette crise sur les étudiants ? On sait que la restauration est souvent une source de revenus qui permet aux étudiants de travailler. Avez-vous une estimation à ce sujet ?

Monsieur Chenet, de nombreuses procédures sont en cours à l'encontre des assurances. Combien ont déjà été condamnées à régler des indemnités ?

D'autre part, on a peu parlé de la restauration d'entreprise. Avez-vous des informations à ce sujet ?

Enfin, quel impact la situation a-t-elle sur les livraisons à domicile à 1 ou 2 euro(s), nonobstant le fait que je m'interroge toujours sur ce modèle, qui pose des problèmes sociaux et économiques ?

M. Alexis Bourdon. - Comment communiquer sur le fait que les choses sont faites extrêmement sérieusement dans nos établissements ?

Après le premier confinement, on a rouvert avec des protocoles très stricts, mais ne nous leurrons pas : nos salariés prenaient les transports en commun, faisaient des tas de choses avant et après le travail. Nous avons eu des cas de salariés positifs dans nos restaurants. À aucun moment, à ma connaissance, les agences régionales de santé n'ont déterminé que la transmission provenait des restaurants.

Les agences de santé disposent de ces informations consolidées. Or il n'est pas démontré que le restaurant constitue lui-même un cluster. Cela me semble très important. Si nous devons, à la suite d'un contrôle, désigner un restaurant qui ne sera pas dans les clous, nous n'aurons aucun problème à le dire haut et fort. Nous partageons la même appréciation que les pouvoirs publics. Pas de stigmatisation générale, donc, mais des contrôles, avec des conséquences pour ceux qui ne seraient pas dans les clous.

Qu'en est-il des changements de tendance, du temps long et des modes de consommation différents ? La livraison est-elle une solution pour un certain nombre d'entre nous ? Nous avons relevé, à la fin du premier déconfinement, des tendances plus favorables en matière de vente à emporter et de livraisons que de restauration sur place, ce qui est logique, les contraintes sur les salles étant encore très présentes, dans un univers où le télétravail était encore bien ancré.

Les choses vont-elles durer ? Cette tendance va-t-elle complètement disparaître ? Ce n'est pas ce que nous pensons. Nous estimons que ce sont des moments de consommation qui vont se développer. Cela pose-t-il un problème pour le business model des restaurateurs ? En matière de livraison, la réponse est oui.

Vous dites que nous livrons à 1 ou 2 euro(s) à l'autre bout de Paris : c'est la vision du consommateur, mais les plateformes de livraison prennent aux restaurateurs un pourcentage considérable de 20 à 30 %.

Quand bien même ce canal permet de développer le chiffre d'affaires, cela n'a rien à voir avec les problématiques de point mort et de rentabilité du restaurateur. Le coût global d'une livraison est plutôt de l'ordre de 6 ou 7 euros tout compris. Le restaurateur en paye toutefois une part plus importante que le client final. C'est un problème de business model s'agissant de nos marges.

Vous avez cité la baisse de la TVA parmi les mesures à long terme. Il existe deux points importants parmi l'ensemble des mesures d'accompagnement dont nous avons discuté depuis le premier confinement : les mesures immédiates pour ne pas mourir et celles pour survivre dans un univers différent. Les mesures pour ne pas mourir, ce sont les aides. Elles ont le mérite d'exister. Elles ne sont pas parfaites. On trouve des trous dans la raquette pour certains statuts, avec des effets de seuil qu'on a dénoncés, et des aspects juridiques qui ne nous semblent pas cohérents.

Les loyers sont fixes en général. S'ils doublent tout d'un coup par rapport au chiffre d'affaires, ce ne sera pas possible. Il faudra que les bailleurs qui tirent leurs revenus d'un restaurant fassent un effort de solidarité, de façon à ce que l'on ne se retrouve pas avec des centres-villes complètement vides. Cela me semble très important.

La TVA est un excellent sujet, me semble-t-il encore un peu pollué par l'épisode qui a eu lieu il y a dix ans. La TVA, après de longues discussions, était passée pour la consommation sur place de 19,7 % à 5,5 %, puis on est remonté à 7 %, puis à 10 %. À l'époque, en 2005 et 2008, la profession s'était engagée à créer 40 000 emplois. La TVA a baissé en 2009, au coeur de la crise économique. Il est difficile de démontrer que cette baisse de la TVA a permis de détruire moins d'emplois.

Aujourd'hui, une baisse permettrait aux restaurateurs de regagner des marges de manoeuvre. Il ne s'agit pas de baisser les prix de 5 %.

En revanche, les loyers ne vont pas baisser en proportion. Les primes d'assurance - à supposer qu'elles soient stabilisées - vont augmenter et l'ensemble des coûts fixes vont peser de plus en plus. Il est important que le restaurateur ait un peu de marge de manoeuvre. On nous objecte parfois que la baisse de la TVA coûte cher, mais ce n'est vrai que par rapport à une TVA à 10 %. Or aujourd'hui, la TVA est de 0 %, puisque nous sommes fermés.

C'est certes un manque à gagner, mais c'est un gain colossal immédiat pour la collectivité en termes de chômage partiel. Cela permet de remettre un certain nombre de personnes au travail et permet d'alléger les choses économiquement. C'est aussi un élément indispensable pour faire redémarrer l'amont - fournisseurs, commerces de gros, agriculteurs. Les effets induits sont très importants.

J'ajoute que ce n'est pas forcément une mesure définitive. Nous plaidons pour une mesure transitoire qui permette de faire remonter le chiffre d'affaires durant une année par exemple. C'est ce qu'ont fait le Royaume-Uni ou l'Allemagne, qui n'a pourtant pas la réputation de céder à la gabegie budgétaire. Ces mesures sont très efficaces pour le commerce local, et produisent des effets colossaux sur l'emploi.

Quant aux charges de franchise, contrairement aux loyers, elles sont essentiellement variables. Lorsqu'il n'y a pas de chiffre d'affaires, il n'y a pas de redevance. L'enjeu, dans le futur, est d'arriver à transformer ces charges fixes en pourcentages. Si le chiffre d'affaires repart, il est logique que les bailleurs en tirent aussi un bénéfice. En revanche, si le chiffre d'affaires reste très bas, ces charges fixes ne peuvent demeurer au niveau où elles sont aujourd'hui.

M. Didier Chenet. - Nous avons une légère divergence de vues concernant la TVA, en tout cas à moyen terme. L'expérience de la baisse de TVA, telle que nous l'avons vécue en 2009, ne nous a pas laissé un très bon souvenir, même si, grâce à elle, on a sauvé bon nombre d'entreprises qui n'ont pas baissé leurs prix et évité ainsi le dépôt de bilan.

Ce qui nous soucie dans cette mesure transitoire, qui ne durerait pas, provient du fait que nous sommes une activité de main-d'oeuvre. Le problème majeur vient du poids des charges sociales. Il faut absolument les diminuer de façon pérenne. Elles sont à un tel niveau que nous finissons par mal payer nos salariés ! C'est le noeud gordien qu'il faut absolument trancher.

Nous privilégions une discussion en profondeur, car nous espérons pérenniser cette diminution, sans quoi nous ne nous en sortirons pas.

S'agissant des assurances, vous avez voté une taxe sur celles-ci. Nous applaudissons des deux mains. J'espère que l'Assemblée nationale voudra bien vous suivre. On a dit que les assureurs ont plié sous la pression du Gouvernement. Pardonnez-moi d'être trivial, mais c'est une plaisanterie ! Oui, votre taxe est la bienvenue et nous vous en remercions.

Vous nous avez posé des questions sur le nombre de dossiers qui ont pu être traités. Nous n'en savons rien. On est dans une totale opacité. Les assureurs nous donnent des chiffres mais, lorsqu'on lit la presse, ils sont différents. Mettons donc cartes sur table. Si quelqu'un peut l'obtenir, c'est bien la représentation parlementaire.

Quant aux banques - ce n'est pas très nouveau - elles nous blacklistent et ne jouent pas le jeu. Le deuxième confinement a constitué le coup de grâce. Elles ont fermé les portes et les robinets ! On a de très sérieux soucis avec les banques. Comment allons-nous faire ? Je ne le sais pas, mais c'est un énorme problème.

Vous avez abordé le problème du PGE. Il faut regarder les choses en face. Je ne sais pas si les entreprises seront capables de rembourser leur PGE, ni quand elles pourront le faire. Il faut avoir l'honnêteté de le dire.

C'est un travail qu'il va falloir réaliser, mais vous comprenez bien qu'on ne peut tout mener de front. Les mesures d'urgence viennent d'être prises. Le protocole sanitaire que nous avons signé est extrêmement contraignant. Il diminue le chiffre d'affaires de la restauration de près de la moitié. Les mesures prises au mois de décembre sont bonnes. Vous nous avez demandé quel était le poids de nos charges fixes. Elles sont comprises entre 20 et 25 %. Les loyers sont de l'ordre de 8 %. Il faut que l'on puisse nous accompagner durablement tant que nous aurons un protocole sanitaire obligatoire. Nous le respectons, ce que tous nos collègues n'ont malheureusement pas fait. Nous payons pour eux, mais nous estimons que l'État n'a pas fait son travail. Il fallait que le ministre de l'intérieur prenne ses responsabilités et fasse ce qu'il devait faire !

À Biarritz, par exemple, un restaurateur s'est mal conduit. La police a débarqué et l'établissement a été fermé pendant un mois. Cela a calmé tout le monde ! Un établissement qui ne respecte pas les règles doit être fermé.

M. Michel Bonnus. - Je voudrais réagir à ce sujet. Il fallait avoir en main un protocole clair qui impose aux restaurateurs une ligne directrice. Lorsque vous n'avez rien en main et qu'on vous contrôle, c'est compliqué.

M. Didier Chenet. - Je ne peux vous laisser dire cela : le protocole existe. Il a été édité et distribué à l'ensemble des professionnels.

M. Michel Bonnus. - J'ai demandé à la préfecture de venir dans les restaurants de l'agglomération toulonnaise pour expliquer ce qu'il fallait faire et ne pas faire : elle en a été incapable, tout comme la police !

M. Didier Chenet. - C'est un comble ! Nous, nous disposons de ces protocoles. S'ils ne sont pas distribués en préfecture, que voulez-vous que nous y fassions ? Le problème est là.

Faudra-t-il effacer les PGE en totalité ou en partie et les transformer en quasi-fonds propres, comme certains l'ont préconisé ? Tout cela fait partie des réflexions qu'il faudra avoir.

Pour ce qui est du redémarrage, tant que notre activité sera dégradée du fait des protocoles sanitaires, il faut que l'accompagnement de l'État soit à la hauteur de nos besoins.

Ce qui a été fait en décembre répond à la situation pour un mois, à quelques ajustements près. On a aujourd'hui véritablement le sentiment d'avoir été entendus et de pouvoir faire face à la situation.

S'agissant des ouvertures anticipées, il faut reconnaître qu'on a assisté à quelques dissonances, même entre professionnels. Cela fait partie de notre ADN : on a envie d'accueillir, d'ouvrir, de travailler, mais quand on a expliqué les risques que cela comportait, notamment sur le plan financier, nos membres ont vite compris qu'on était dans une situation problématique. Comme je l'ai dit, Noël arrivant, le risque était surtout qu'il se passe ce qui se passe aux États-Unis et qu'arrive une nouvelle vague dont on nous aurait accusés d'être à l'origine. Le risque est trop grand pour nous. Nous ne pouvons nous permettre une troisième fermeture. Il faut véritablement que cela reparte bien dès le redémarrage.

Comment se fera cette réouverture ? Sera-t-elle aussi dynamique que celle du mois de juin ? On n'est pas dans la même saison : il n'y a pas de terrasses, on n'est plus en vacances et il n'y aura pas de ski - sauf à partir de février, je l'espère. Ce sera beaucoup plus compliqué.

Le premier redémarrage s'est très bien déroulé, notamment sur le littoral, mais c'est l'arbre qui a masqué la forêt. Beaucoup de territoires ont formidablement bien travaillé. Cependant, dans les grandes villes, cela a été une catastrophe, à Paris en particulier. Paris n'est pas la France, mais c'est 50 % environ du volume du tourisme.

M. Hervé Becam. - Paris et l'Île-de-France représentent entre 25 et 30 % de la capacité d'hébergement de notre pays et captent 50 % de l'activité touristique.

M. Didier Chenet. - Enfin, on s'étonne que la compensation du crédit d'impôt porte uniquement sur le mois de novembre. Il faut absolument, par la loi ou le décret, repousser la date de mise en cause des clauses résolutoires et recourir à une trêve hivernale, comme pour les locataires.

Si on ne repousse pas la date de mise en cause des clauses résolutoires, le bailleur peut nous traîner devant les tribunaux. Il n'aura pas forcément gain de cause, mais ce sera un stress supplémentaire pour nos professionnels. Vous avez les cartes en main pour surseoir d'un an, voire deux ans. Vous verrez que les propriétaires commenceront à s'intéresser à l'avantage fiscal.

Nos métiers, hormis pour ceux que représente Alexis Bourdon, comptent peu de grandes foncières parmi les propriétaires.

Enfin, concernant l'apprentissage, il faut que vous sachiez, contrairement à ce qu'on aurait pu craindre, que la rentrée s'est bien déroulée grâce aux mesures prises par le Gouvernement pour inciter l'engagement d'apprentis. Nous avons autant d'apprentis voire plus que l'année dernière. C'est rassurant. Je ne vous cache pas que certains apprentis sont quelque peu déboussolés et n'ont pas de stage en entreprise du fait de la fermeture de nos établissements. Cela pèse beaucoup, et c'est un problème au bout de six mois. Chez nous, l'apprentissage représente la voie royale pour se préparer à travailler.

On s'est également aperçu, en étudiant le décret de près, qu'en cas de lien de filiation entre le propriétaire et le locataire, le propriétaire n'a pas droit au crédit d'impôt. C'est intelligent ! Ce sont des détails qui sont glissés au dernier moment. Souvent, les enfants rachètent le fonds de commerce et les parents gardent l'immeuble pour leur retraite. Retour à la case départ à ce niveau !

Tant que le protocole sanitaire s'appliquera, nous demandons à bénéficier des mêmes aides - chômage partiel, etc. - et d'une meilleure visibilité, sinon nous ne nous en sortirons pas.

M. Hervé Becam. - Je précise que je ne suis pas un spécialiste ni un habitué de ce format d'échanges, mais je l'apprécie beaucoup. Je suis moi-même hôtelier et restaurateur avant d'être représentant patronal.

En ce qui concerne les assurances, l'UMIH a mis en place une plateforme dédiée à l'ensemble du secteur d'activité pour recenser, après études, les contrats susceptibles d'être portés demain en justice.

Nous avons sur la plateforme, au moment où je vous parle, plus de 2 000 contrats, dont un peu plus de 1 000 ont déjà été pré-étudiés - et nous venons de commencer. Nous allons soutenir bien évidemment par la suite les professionnels en difficulté dans leurs actions.

Nous sommes cependant allés plus loin pour les cafés, hôtels, restaurants (CHR). Face au comportement irresponsable et incompréhensible des assureurs, nous nous sommes dit que nous pourrions éventuellement travailler à la mise en place d'un contrat multirisques qui prendrait en compte les difficultés que nous connaissons aujourd'hui.

Nous avons abouti et deux ou trois produits multirisques sont déjà à la disposition des professionnels. Toutefois, aucun d'entre eux ne couvre la perte d'exploitation en cas de pandémie. Des négociations entre le Gouvernement et les assureurs devaient aboutir en juin ou juillet. On nous a dit par la suite que ce ne serait pas avant le 31 décembre.

Aujourd'hui, nous n'avons aucune nouvelle, mais tous les assureurs ont retiré de leurs propositions de prise en charge des pandémies dans le cadre des pertes d'exploitation, dans l'attente du texte législatif.

S'agissant du référé devant le Conseil d'État, la procédure continue sur le fond. Nous la laissons perdurer en attendant d'obtenir satisfaction et de pouvoir générer des actions en justice de la part des professionnels à l'encontre des responsables des difficultés que connaissent aujourd'hui les entreprises.

Pour ce qui est de la réouverture, je ne suis pas un farouche partisan de la date du 15 décembre, et j'en suis désolé, monsieur le sénateur. Didier Chenet s'est expliqué sur le sujet : nous préférons, pour préserver la sécurité économique de nos établissements, quelques semaines de sacrifices supplémentaires plutôt que devoir subir des mois de confinement en février ou mars.

Cependant, nous avons écrit au Premier ministre et au ministre de l'éducation nationale pour lui proposer un étirement des vacances de février faisant fi des zones et en accordant trois fois 15 jours.

Mme Sophie Primas, présidente. - Un certain nombre de parlementaires ont également envoyé un courrier à cette fin. Je veux dire au sénateur Boyer que la réponse à sa lettre appelant à ouvrir le 15 décembre se trouve dans Le Canard Enchaîné de ce jour.

M. Hervé Becam. - S'agissant de la transformation des modes de consommation, j'ai échangé hier avec un dirigeant de la plus grosse entreprise mondiale de restauration collective. Nous sommes tombés d'accord sur un constat qui vaut pour nos entreprises, notamment hôtels et restaurants. Selon des chiffres de Sodexo, 25 % du marché de la restauration d'entreprise, de la restauration et de l'hôtellerie ont disparu du jour au lendemain du fait de l'augmentation du télétravail. Ceci va bien évidemment se répercuter. Alexis Bourdon pourra apporter des précisions supplémentaires à ce sujet.

Lors du premier déconfinement, on a constaté une activité très importante en province fin juin et surtout en juillet, août, septembre et même octobre, de même qu'à Lyon et Toulouse, pour des raisons liées à l'aéronautique, et à Bordeaux, à l'exception des grandes agglomérations du pôle Paris-Île-de-France.

Les difficultés perdurent dans ces régions, même après le déconfinement, mais ce n'est pas le cas de toute la province, où on a enregistré des fréquentations supérieures à 5 %, voire 10 % par rapport à 2019, ce qui veut bien dire que les Français sont restés dans l'Hexagone. On peut à ce titre les en remercier.

Je ne vous apporterai guère de réponse concernant la licence IV, hormis le fait que la branche des cafés, hôtels, brasseries travaille à la réforme du code des débits de boissons. Celle-ci avance. Nous ne pouvons que constater la chute catastrophique des licences des débits de boissons. De 200 000 en 1960, nous sommes descendus à 32 000 ou 33 000 - les services de l'État sont incapables de nous dire exactement combien en compte la France. Nous avons proposé d'en confier la gestion aux organisations professionnelles.

Concernant les PGE remboursables et le devenir de nos entreprises face à ces dettes et leur capacité à les rembourser, je ne dirai pas autre chose que ce qu'ont dit Alexis Bourdon et Didier Chenet. C'est une vraie question. Nous travaillons avec le Gouvernement. La semaine dernière, Bruno Le Maire a annoncé la mise en place d'aides remboursables pour un budget global de 500 millions d'euros.

Ces aides seraient attribuées à hauteur de 25 % du chiffre d'affaires, soumises à un taux de 1 %, avec un différé de remboursement de trois ans et remboursables sur dix ans voire à meilleure fortune. Doit-on travailler sur ces aides pour qu'elles viennent demain suppléer les PGE ? C'est la solution à laquelle nous nous attachons avec le Gouvernement.

Pour ce qui est du protocole, hormis la mise en place d'une application et d'une obligation d'identifier les clients des restaurants, on ne voit pas très bien comment aller plus loin que ce qui est aujourd'hui exigé. Si on augmente la distance entre les tables, on entre dans un système économiquement invivable pour les entreprises.

M. Fabien Gay. - Les charges représentent des cotisations et du salaire socialisé. En réclamant une réduction des cotisations sur le long terme, vous sciez la branche sur laquelle vous êtes assis.

Si on a activé le chômage partiel, c'est bien grâce au risque couvert par les cotisations. Si demain vous réduisez les charges, vous ne cotiserez plus pour un risque. En cas de coup dur, vous ne pourrez faire appel à la solidarité nationale. C'est le même débat pour les impôts, qui financent le fonds de solidarité.

Vous avez dit que la France est l'un des pays où on a le plus aidé les personnes : c'est bien parce que notre modèle social le permet ! Si on l'affaiblit, il ne faudra pas demander à nationaliser les salaires lorsque plus aucune cotisation ne sera payée.

Mme Sophie Primas, présidente. - C'est un débat politique que nous n'allons pas entamer en cet instant.

M. Daniel Gremillet. - Les collectivités souhaiteraient transformer les aides en subventions, mais elles ne peuvent le faire qu'avec l'accord du ministère des finances et de Bruxelles. C'est fondamental.

Si on transforme les aides en subventions, les entreprises qui n'ont pas demandé d'avances seraient sûrement demanderesses. Il est urgent d'arrêter une position à ce sujet.

M. Didier Chenet. - Vous avez parfaitement raison mais, encore une fois, nous avons traité l'urgence.

S'agissant des mesures à long terme pour retrouver de la compétitivité, il faut absolument travailler à la promotion des territoires. Notre potentiel, aujourd'hui, repose sur la clientèle française. Il n'est qu'à considérer tous les territoires qui ont été visités cet été. C'est ainsi que nous reprendrons une bonne part de notre leadership. N'oublions pas que 80 % du tourisme est franco-français.

Quant à Lourdes, nous militons depuis des mois en faveur d'un plan spécifique. Les choses traînent, ce n'est pas normal. Lourdes est la deuxième ville hôtelière de France. Elle est totalement sinistrée. Un plan spécifique doit être mis en place. C'est ce que nous avons demandé.

M. Hervé Becam. - L'apprentissage et l'alternance sont bien évidemment les modes de formation que nous privilégions dans nos entreprises. Notre opérateur de compétences, AKTO, que j'ai le plaisir de présider, met tout en oeuvre pour résoudre le problème des apprentis, qui sont aujourd'hui, dans les centres d'apprentissage, orphelins d'une entreprise et ne peuvent bénéficier de l'ensemble des mesures d'accompagnement.

C'est un travail que l'on mène au quotidien. Nous estimons que le meilleur moyen d'éviter une grande vague de chômage est de consacrer des moyens à la formation. C'est indispensable, ne serait-ce que pour la transmission des savoir-faire qui, dans notre secteur d'activité, pourraient disparaître demain.

Mme Sophie Primas, présidente. - Notre commission et, plus généralement, le Sénat sont particulièrement attentifs à votre secteur d'activité. Nous allons rester en contact sur tous les sujets que vous avez évoqués.

Nous sommes bien sûr à votre disposition et très demandeur d'informations. Enfin, nous avons bien entendu l'appel de M. Chenet en faveur de la création d'une commission d'enquête sur les assurances. Nous allons l'étudier.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 50.