Jeudi 14 janvier 2021

- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics

Mme Françoise Gatel, présidente. - Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présence. Je suis heureuse de cette audition partagée avec la commission des Finances, qui se déroule à la fois en présentiel et en visioconférence.

Votre dernière audition devant notre délégation, le 30 octobre 2019, sous la présidence de M. Jean-Marie Bockel, portait sur deux sujets brûlants à l'époque pour les collectivités territoriales : la suppression de la taxe d'habitation et la loi portant transformation de la fonction publique.

Depuis, la crise du covid-19 est venue bouleverser toutes les certitudes sur l'efficacité et les modalités de l'action publique, ainsi que les perspectives financières des collectivités territoriales. Celles-ci ont répondu à des demandes et à des besoins de la population qui n'entraient ni dans leurs champs de compétences ni dans leurs moyens financiers, mais elles ont fait face à l'urgence. À tel point qu'au sortir du premier confinement, en mai 2020, le séisme financier pour les finances locales demeurait difficilement chiffrable : 20 milliards d'euros pour 2020 et 2021 selon les associations d'élus locaux, 14 milliards d'euros selon le Gouvernement.

Devant l'incertitude, l'urgence et l'étendue des dégâts, le Premier ministre a commandé un rapport sur le sujet à notre collègue président de la délégation aux collectivités territoriales à l'Assemblée nationale, Jean-René Cazeneuve, que nous recevrons après votre audition.

Après l'adoption de la loi de finances pour 2021, qui comporte un certain nombre de mesures relatives aux collectivités territoriales, votre parole est donc très attendue. Je souhaiterais que vous puissiez nous préciser au moins quatre sujets principaux.

Le Président de la République avait souhaité disposer de propositions structurelles fortes pour l'avenir. Le Sénat, après un groupe de travail « oecuménique », a formulé 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales en vue d'améliorer l'action publique, la diriger au meilleur niveau, tout en optimisant les ressources. Or l'exécutif semble paralysé sur le sujet, et l'ambition du projet de loi 4 D paraît très modeste. Comme la soeur Anne, nous ne voyons rien venir, alors qu'il y a une impérieuse nécessité de mieux organiser.

Êtes-vous favorable à notre proposition consistant à fixer un rendez-vous régulier entre le Gouvernement et le Parlement pour réévaluer les compensations financières des transferts de compétences aux collectivités territoriales, qui permettrait d'adapter celles-ci au coût effectif de l'exercice de la compétence transférée ? Car souvent, le coût augmente après transfert en raison de l'évolution des contraintes réglementaires. Et que pensez-vous de notre seconde proposition d'instaurer un débat annuel consacré aux finances locales, juste avant l'examen par le Parlement du projet de loi de finances initiale ? Une loi de finances spécifique aux collectivités ne nous semblait pas optimale : elle risquerait de piéger les collectivités, car le financement des compétences est parfois fondu dans le budget des collectivités.

La territorialisation du plan de relance constitue un enjeu à la fois budgétaire et politique, qui impose de rechercher une relation efficace avec l'échelon local. Mais, dans les 100 milliards d'euros du plan de relance, quelle est véritablement la part des mesures nouvelles dédiées spécifiquement aux collectivités territoriales ?

S'agissant des principales mesures des dernières lois de finances, par exemple le filet de sécurité garantissant un niveau minimal de recettes aux communes et intercommunalités ou la compensation de la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), quelles sont les perspectives de pertes de recettes et d'évolution des dépenses de fonctionnement et d'investissement des collectivités territoriales ?

Je salue votre initiative commune, avec Mme Jacqueline Gourault, de création en décembre dernier d'un groupe de travail sur le financement du bloc communal réunissant les associations d'élus, les commissions des finances et les délégations aux collectivités territoriales des deux assemblées. Le financement des collectivités fait parfois face à des incongruités, et la péréquation n'est pas forcément très équitable. Nos collègues MM. Bernard Delcros et Charles Guené ont assisté à la visioconférence de lancement. Quelle sera la suite de ces travaux ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. - Permettez-moi de vous souhaiter une belle année 2021, qu'elle soit plus facile et apaisée que la précédente.

La crise est intervenue à un moment où les finances des collectivités territoriales - nonobstant les problèmes structurels connus, comme les dépenses sociales des départements - s'amélioraient. Cette amélioration s'expliquait grâce à un excédent de croissance et un investissement fortement reparti à la hausse en 2018 et 2019, et à une maîtrise des dépenses de fonctionnement des collectivités - non uniquement due au contrat de Cahors - et au maintien global des dotations de fonctionnement, sans revenir sur la péréquation. Les collectivités territoriales avaient donc un niveau de trésorerie important, ce qui leur a permis de faire face et de répondre présent.

Nous avons apporté des réponses via les différents projets de loi de finances rectificative (PLFR), adoptés de façon transpartisane.

Le PLFR 3 a mis en place un mécanisme d'avances remboursables pour les pertes de DMTO des départements. Ces pertes atteignent 20 à 25 %, comme lors de la crise financière de 2008. Nous avons inscrit dans la loi un mécanisme de garantie des recettes fiscales et domaniales. Nous n'avons cependant pas inscrit la compensation des recettes tarifaires, car des économies de constatation peuvent parfois être difficilement mesurées, et l'impact budgétaire pour l'État aurait été trop important.

Nous avons inscrit une dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) supplémentaire de 1 milliard d'euros : 40 % de cette DSIL ont été engagés au cours du mois d'août, 20 % l'ont été depuis, et à date 60 % ont été délégués ; 60 % ont fait l'objet d'engagements. Comme nous nous y étions engagés avec Jacqueline Gourault, il y aura un report des autorisations d'engagement et des crédits de paiement non consommés sur l'exercice 2021.

Lors de l'examen presque conjoint du PLFR 4 et du PLF, nous avons adopté d'autres dispositions. D'abord, nous avons modifié le mécanisme de garantie des recettes fiscales et domaniales, en précisant le montant à inscrire en PLF 2021 : toutes les sommes versées pour le mécanisme de garantie ne relevaient que d'acomptes. Nous attendons la clôture des exercices 2020 pour arrêter exactement le montant de cette garantie, que nous estimons à 510 millions d'euros, soit un chiffre bien inférieur à l'estimation faite en juillet, mais qui tient compte des recettes fiscales qui ont bien mieux résisté que prévu. Par exemple, les DMTO ont baissé de moins de 10 %, même si la situation des différentes collectivités est très hétérogène.

Nous avons aussi prolongé le mécanisme de garantie des recettes fiscales en 2021, pour tenir compte de l'effet retardé de l'impact de la crise sur la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Les prévisions ne sont pas totalement arrêtées, car le système des acomptes peut avoir différents effets. La baisse de la CVAE en 2020 atteint 2 à 2,5 % et est inférieure aux précisions. Elle correspond au maintien de la TVA à un niveau moins dégradé que prévu.

La garantie est améliorée par une disposition spécifique pour les communes de moins de 5 000 habitants, afin de leur maintenir les sommes perçues au titre des DMTO, puisque sinon elles perçoivent ces sommes avec un décalage d'un an par rapport aux départements ou aux communes plus importantes.

Enfin, nous avons abondé le fonds de péréquation des DMTO entre départements de 60 millions d'euros, afin qu'il conserve sa dynamique en termes de volumes. Ce geste unilatéral de l'État accompagnera ainsi les départements les plus fragiles.

Nous allouons 10 millions d'euros pour faciliter la prise en charge à 50 % des loyers du mois de novembre lorsqu'une collectivité abandonne une mensualité au profit d'un locataire - commerçant ou entreprise - sur le modèle du crédit d'impôt accordé au secteur privé.

Enfin, nous avons intégré un dispositif d'avances remboursables sur le même modèle que les DMTO, assorti d'une forme de clause de retour à bonne fortune pour les autorités organisatrices de mobilité (AOM), en tenant compte à la fois de la perte du versement mobilité, mais aussi de la perte de recettes tarifaires. C'est la seule dérogation à notre propre ligne de conduite de non-prise en compte des recettes tarifaires, en raison de la spécificité des services de transport en commun. Cela concernera 1,2 milliard d'euros pour Île-de-France Mobilités et 950 millions d'euros pour les AOM des autres régions.

Dans le PLF pour 2021, nous avons maintenu le niveau global des dotations de fonctionnement, les trajectoires de péréquation verticale pour la dotation de solidarité urbaine (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR), ainsi que les dotations à l'investissement classique (dotation d'équipement des territoires ruraux - DETR -, DSIL...) Au total, les concours de l'État aux collectivités locales s'élèvent à une dizaine de milliards d'euros.

Le PLF 2021 contient aussi certaines dispositions du plan de relance. Je pense à l'aide aux maires bâtisseurs, qui sera versée par l'État en deux échéances, août 2021 et août 2022. Ce sera automatique puisque les services de l'État peuvent mesurer la délivrance d'autorisations de construction ou de rénovation sur les territoires denses. Cette aide s'élèvera à 350 millions d'euros.

Nous avons fléché vers les collectivités territoriales  une partie des 4 milliards d'euros du plan de relance sur la rénovation énergétique des bâtiments publics: 2,7 milliards d'euros seront consacrés aux bâtiments de l'État et des universités, attribués pour 4 214 projets, pour la plupart de moins de 10 000 euros, sous le seuil des marchés publics ; 200 millions d'euros seront versés aux régions pour la rénovation thermique des lycées, après un contrat signé avec le préfet de région ; 50 millions d'euros seront attribués aux opérateurs ; enfin, 950 millions d'euros seront consacrés à la rénovation thermique des bâtiments des collectivités.

Initialement, nous envisagions de faire des appels à projets. Finalement, nous avons retenu une solution moins chronophage, et demanderons aux préfets de région d'accompagner les collectivités dans leurs chantiers avec des modalités d'attribution proches de celles de la DSIL. Nous voulons des collectivités accompagnées et un plan de relance pour tous les territoires.

Au-delà de ces mesures, d'autres dispositions sont très spécifiques aux collectivités : 300 millions d'euros seront consacrés à des appels à projets pour accompagner les projets de mobilité des intercommunalités et des régions ; et un décret du 28 décembre 2020 ouvre l'aide à l'embauche d'apprentis aux collectivités.

Dans le plan de relance, certaines mesures se déploient conformément à des règles nationales, mais concernent aussi les collectivités, via des opérateurs locaux comme les agences. Il est difficile de dire quelle somme revient in fine aux collectivités, cela dépend des initiatives. Nous souhaitons un déblocage rapide des fonds pour des projets importants comme la numérisation des entreprises et l'industrie du futur. Nous avons prévu des accords avec les régions, et une circulaire de décembre autorise des accords infrarégionaux de relance pour que les intercommunalités puissent contractualiser directement avec l'État.

Au 31 décembre 2020 - c'est un état des lieux non encore définitif -, les dépenses de fonctionnement des collectivités sont en hausse de 0,4 % par rapport à 2019, ce qui est bien moins que prévu. Leurs recettes de fonctionnement augmentent de 1,3 %, ce qui évite un effet ciseau, même si la dynamique était bien plus importante en 2019 - avec une augmentation de 2,8 %. L'épargne brute augmente de 8,3 %, mais avec des déclinaisons très différentes selon les strates de collectivités, en fonction de la structure économique des territoires et de leurs recettes.

Nous avons compensé les impôts de production, nous y reviendrons probablement. Des discussions, toujours très compliquées, sont en cours sur les dépenses sociales.

Il y a un enjeu sur l'investissement et sur le rythme de celui-ci. Si la situation des collectivités territoriales se dégrade moins que prévu, il y a cependant un besoin d'investissement et de lisibilité. Sur les enjeux structurels, le groupe de travail avec Jacqueline Gourault pourra analyser les évolutions et examiner l'hétérogénéité des situations. Nous continuerons à le réunir.

L'idée d'un rendez-vous régulier sur les finances locales est une proposition intéressante. Je répondrai évidemment à l'initiative du Sénat et de l'Assemblée nationale.

J'ai la même réserve que Mme Gatel sur la loi de financement des collectivités locales, idée séduisante au premier abord, mais compliquée. L'analogie avec la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) ne tient pas, car les recettes du système de santé sont relativement maîtrisées par l'État. Il est improbable qu'une telle loi de financement s'appuie sur des dépenses à la main des collectivités territoriales, et sur des recettes dont la connaissance par le Parlement est parcellaire. Il me semble plus séduisant qu'il y ait un débat annuel d'ensemble sur les finances des collectivités territoriales, car souvent, nous discutons réellement sur les franges de l'enveloppe normée.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous remercie Monsieur le ministre. Vous n'avez pas parlé des rendez-vous réguliers que nous proposons pour réévaluer les compensations financières et évoquer les transferts de compétences. Cela ne me semble pas être un oubli volontaire de votre part, alors que ce sujet est important...

On sent dans les territoires une forme d'agacement envers la multiplication des appels à projets de la part de l'État et des territoires. En soi, l'idée est pertinente, mais beaucoup de collectivités territoriales mobilisent de l'ingénierie et des finances et s'essoufflent à répondre à ces appels à projets ; certaines, même, n'ont pas les moyens d'y répondre.

Les recettes des collectivités territoriales dépendent des décisions sur la fiscalité, mais nous avons de moins en moins d'autonomie.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Nous avons à affronter un débat sur les choix relatifs à l'autonomie fiscale et financière. Un tel rendez-vous serait extrêmement intéressant et donnerait de la clarté et de la visibilité. J'ai demandé à un groupe d'experts de réfléchir aux perspectives des finances publiques et à leur gouvernance. Je vous avoue que je comptais répondre à ce sujet lors d'une probable question de M. Dallier sur la compensation des taxes foncières sur les logements sociaux... Nous avons quelques sujets récurrents, comme le constat d'une compensation qui n'est pas intégrale, et qui est aussi le fruit de longues années d'érosion. Il faut s'interroger également sur la méthode, et savoir ce qui relève d'une décision imposée ou partagée, décentralisée ou déléguée. Cela rendrait ce rendez-vous intéressant, même s'il ne sera pas simple à organiser.

Sur les appels à projets, si nous avons fait le choix de confier le déploiement des 950 millions d'euros d'aides à la rénovation thermique aux préfets selon les mêmes modalités que la DSIL, c'est parce que nous entendons la lassitude et parce qu'avec Jacqueline Gourault, nous avons dirigé des collectivités de taille relativement modeste et que nous ne savons que trop leurs difficultés à se positionner sur les appels à projets.

Au titre des mesures d'urgence et de garantie pour les départements et le bloc local, indépendamment du milliard d'euros de DSIL, nous mobilisons 4,2 milliards d'euros pour le maintien des recettes des collectivités en fonctionnement. J'y intègre les AOM, mais pas les 950 millions d'euros d'aides à la rénovation thermique qui relèvent de l'investissement.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Monsieur le ministre, n'hésitez pas à « contaminer » le Gouvernement de votre appétence vis-à-vis des propositions du Sénat !

M. Didier Rambaud. - Parlementaire de l'Isère, un département de montagne, je souhaite faire un zoom sur les stations de ski. Elles ont une place économique importante, car très pourvoyeuses d'emplois et de recettes fiscales. L'Isère compte aussi un important constructeur mondial de remontées mécaniques. Quel soutien de l'État aux communes touristiques ? Certes, les différents professionnels du tourisme sont soutenus, mais les communes aussi font face à des pertes de recettes. Rappelons que l'achat d'un euro de forfait de ski génère sept euros de dépenses supplémentaires.

Dans son rapport, Jean-René Cazeneuve recommande de créer un observatoire de suivi de l'impact de la crise sur les finances locales. Je trouve cette idée fort intéressante. Le Gouvernement doit aider les collectivités territoriales à y voir plus clair dans la bataille des chiffres. Monsieur le ministre, qu'en pensez-vous ?

M. Charles Guené. - Je ne suis pas de ceux qui ont l'habitude de crier au loup sans raison. Si les effets de la pandémie sur les collectivités locales sont moins graves qu'attendu, je m'en réjouis, mais votre analyse est assez macroéconomique. Envisagez-vous des mesures ponctuelles pour les collectivités territoriales ayant subi des dégâts particuliers ?

Nous avons évoqué la possibilité d'un budget pour les collectivités locales ; vous venez de dire votre préférence pour un débat annuel. La trajectoire comme la maîtrise générale de la structure des finances publiques échappent de plus en plus au Parlement. Il faut faire quelque chose. La gouvernance systémique doit aussi être davantage travaillée pour établir une relation permanente entre l'État, les collectivités territoriales et le Parlement, surtout vu la part d'impôts nationaux versée aux collectivités.

Très souvent, le volet financier est absent des textes de loi, qu'il s'agisse du projet de loi 4D ou de la loi d'orientation des mobilités. Cela me choque que l'on puisse discuter d'un transfert de compétences sans volet financier.

M. Laurent Burgoa. - Le département du Gard compte plus de 30 000 bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), avec 2 000 nouveaux bénéficiaires depuis mars dernier. Cela représente plus de 10 millions d'euros de dépenses pour le budget de 2021 et le département reçoit seulement 100 000 euros de plus de l'État.

Nous étudierons avec grande attention l'expérience du département de M. Dallier, la Seine-Saint-Denis, qui lui est chère...

M. Philippe Dallier. - Très chère !

M. Laurent Burgoa. - ... et où le RSA sera renationalisé. Si tel était le cas dans d'autres départements, quelle serait l'année de référence ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Le mécanisme de soutien aux stations de ski est double. Nous avons veillé à ce que les commerces situés en station de ski soient tous éligibles au fonds de solidarité. C'était 1 500 euros par mois, et 10 000 euros pour la perte d'activité de novembre. Cela a concerné plus de 820 000 entreprises, pour un total de 3,6 milliards d'euros. Pour décembre, le plafond est à 10 000 euros ou 20 % du chiffre d'affaires de décembre 2019 plafonné à 200 000 euros. Pour janvier, nous allons revoir les aides aux entreprises dont les coûts fixes sont particulièrement importants et qui se heurtent au plafond de 800 000 euros. Nous trouverons là des moyens d'accompagner les acteurs du tourisme hivernal. Ajoutons-y la prise en charge à hauteur de 70 000 euros des pertes d'exploitation des entreprises de remontées mécaniques, régies incluses, et le maintien de la prise en charge de l'activité partielle à 100 %.

Nous avons également prolongé le mécanisme de garantie des recettes fiscales sur 2021. La perte de taxe de séjour pour les communes sera donc prise en compte, avec 2017-2019 comme référence.

M. Rambaud m'a interrogé sur l'observatoire. Le groupe de travail que nous avons mis en place avec Jacqueline Gourault tient ce rôle. L'essentiel est de disposer d'une connaissance partagée et non de nous concentrer sur la nature juridique de la structure. Une réunion technique s'est tenue mardi et j'espère qu'en début de semaine prochaine, nous pourrons en partager les éléments avec votre délégation et celle de l'Assemblée nationale.

M. Guené a raison, l'analyse est très macroéconomique. La situation est hétérogène, c'est pourquoi le mécanisme de garantie se calcule collectivité par collectivité, à l'initiative des directeurs départementaux des finances publiques, pour les recettes fiscales et domaniales en 2020 et uniquement fiscales en 2021.

Nous accompagnons des collectivités en situation particulière. Le nombre de celles qui sont inscrites dans le réseau d'alerte n'a pas significativement augmenté au cours de 2020. Elles sont plutôt situées outre-mer et ne sont pas nécessairement impactées par la pandémie aussi durement qu'en métropole. Nous en aidons quelques centaines par des avances de fiscalité, et quelques dizaines par des avances de dotations. Des dérogations aux règles comptables ont été autorisées pour une dizaine ou une quinzaine de collectivités.

Je partage la remarque sur la fragmentation. Cela fait partie des sujets sur lesquels la commission Arthuis est sollicitée, pour avoir une visibilité sur l'ensemble de la dépense et des recettes publiques et faire en sorte que les liens entre les trois grandes sphères de la dépense publique soit plus connus. D'autant qu'hors crise, près de la moitié des recettes de la Sécurité sociale relèvent d'une fiscalité étatique et non de cotisations.

Sur l'absence de volet financier dans des lois thématiques, je suis comme « schizophrène ». L'ancien parlementaire que je suis trouve qu'il est intéressant de disposer d'une vision globale dans la loi et le ministre des Comptes publics est très attaché au monopole de la loi de finances. La coordination avec les textes financiers n'est pas toujours évidente.

Je ne sais pas répondre immédiatement à la question de l'année de référence pour le RSA. Cela fait partie des discussions menées avec l'Assemblée des départements de France. Nous espérons que les expérimentations nourriront le débat. On constate une très grande hétérogénéité dans l'évolution des dépenses d'allocations individuelles de solidarité. Leur augmentation, à date, est inférieure à 2 %. Certains départements constatent une hausse de plus de 15 % quand d'autres restent stables. Cela dépend beaucoup de la typologie du territoire. La hausse moyenne est beaucoup moins importante que ce que nous imaginons.

Le fonds de stabilisation a été porté de 115 millions d'euros à 200 millions d'euros en 2020 et autant en 2021, afin d'accompagner les départements les plus fragilisés.

Mme Céline Brulin. - Vous avez évoqué un certain nombre de montants financiers, tels que les 510 millions d'euros du mécanisme de garantie. Avez-vous évalué l'année de référence ?

Vous avez dit que la prise en compte par l'État des recettes tarifaires serait trop lourde. A-t-elle été évaluée ? Des associations d'élus alertent sur la difficulté financière des communes à s'engager dans la relance. Ce qui peut paraître trop lourd pourrait être considéré comme un investissement de long terme. En outre, les collectivités sont et seront sollicitées. Par exemple, elles se proposent de participer à la vaccination en mettant à disposition des lieux ou des transports.

Mon dernier point porte sur la territorialisation du plan de relance. Les besoins des collectivités doivent être mieux pris en compte. Le plan de relance ne doit pas se résumer aux uniques priorités de l'État. Vous avez évoqué une clause de revoyure pour redéployer les crédits non consommés. Quelles seront les marges ? Je pense à la défense incendie, qui lie l'État aux collectivités. Dans le cadre du plan de relance, ne pourrait-on pas envisager des financements pour équiper nos communes ?

M. Bernard Delcros. - Merci, Monsieur le ministre, pour votre disponibilité, votre écoute, votre pragmatisme et votre approche objective.

La réponse à la crise, aux pertes de recettes des collectivités et à la relance, qui est une priorité, ne doit pas masquer la nécessité d'assurer sur la durée la fiabilité et la pérennité des ressources des collectivités, qui ont été fragilisées. Réforme de la taxe professionnelle et instauration du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) ; réforme de la taxe d'habitation, qui pose problème - l'article 58 de la loi de finances pour 2021 tente de répondre au problème de la péréquation mais je ne suis pas sûr que ce soit complètement sécurisé dans le temps - ; baisse des impôts de production ; Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) à réviser... Bref, un travail de fond ne doit-il pas être engagé sans attendre, pour assurer aux collectivités territoriales un panier de ressources fiables et pérennes ? Je ne suis pas un partisan acharné de l'autonomie fiscale, car elle peut être source d'inégalités. Il faut une répartition juste.

Sur le budget spécifique des collectivités, je partage l'avis de Mme Gatel et du ministre. Cela présente plus d'inconvénients que d'avantages. En revanche, un débat annuel pourrait être intéressant. Le groupe de travail devrait également être pérennisé.

M. Philippe Dallier. - Monsieur le ministre, je suis très heureux de vos consignes aux préfets sur la DSIL rénovation énergétique. Dans mon département de Seine-Saint-Denis, la date limite de dépôt des dossiers était la semaine prochaine, pour un dispositif dont les contours ont été connus en fin d'année dernière. C'est plutôt un effet d'aubaine pour des dossiers qui étaient déjà dans les tiroirs. Ensuite, ce sera le choix, non du roi, mais du préfet, et certains verront leurs dossiers rejetés sans trop savoir pourquoi. Je m'interroge sur les subventions d'investissement non liées à des projets.

À quelle date les maires disposeront-ils de chiffres pour 2021, après la suppression de la taxe d'habitation ? Les simulations étaient quelque peu absconses. Les bases et les compensations posent problème. Pour la taxe d'habitation, l'année de référence est 2019. Certaines communes, à taux équivalent, vont perdre une partie du produit des compensations de l'État versées en 2020. Elles auront de mauvaises surprises. Raison de plus pour savoir sur quelle base s'appuyer pour élaborer le budget au printemps.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Madame la sénatrice Brulin, notre évaluation de la compensation des pertes de recettes tarifaires est la même que celle du Sénat dans ses amendements, soit un peu plus d'un milliard d'euros. C'est ce montant, en plus des économies de constatation et de l'hétérogénéité, qui explique que nous n'ayons pas retenu cette disposition. La compensation des recettes fiscales et domaniales - qui ont été intégrées - représenterait autour de 510 millions d'euros. J'ai le sentiment que ce que nous avons adopté répond à votre attente, puisque nous avons pris comme base de comparaison les trois années 2017, 2018 et 2019...

Mme Céline Brulin. - Je me suis mal exprimée ; j'aurais préféré que la référence soit la seule année 2019.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Nous n'avons pas voulu que certaines collectivités soient défavorisées en raison d'une baisse exceptionnelle en 2019 ni, à l'inverse, que ce soit trop onéreux pour l'État dans le cas contraire. Cette règle des trois ans est celle qui est communément retenue pour le calcul de compensation des transferts de charges ; nous avons donc privilégié une sorte de parallélisme des formes.

S'agissant de la territorialisation, nous avons publié à la fin de l'année la circulaire autorisant les préfets à contractualiser sur des plans de relance avec des collectivités autres que les régions - intercommunalités de taille assez importante, regroupements d'intercommunalités ou départements, comme la Gironde et la Charente-Maritime - pour cofinancer des projets portés par les collectivités. Mais, dès lors qu'il s'agit de mobiliser une partie des 100 milliards d'euros du plan de relance, cela se fait en fonction des priorités assez larges de ce plan, même si nous veillons à articuler les choses avec celles des collectivités.

La clause de revoyure n'a pas pour objectif de modifier les priorités du plan de relance, mais de veiller à ce que des projets qui devaient être engagés dans les dix premiers mois et qui auraient pris trop de retard soient abandonnés au profit d'autres qui fonctionnent bien, car il faut un décaissement rapide pour que cela serve à la relance.

Je remercie Bernard Delcros, qui a abordé le sujet le plus important devant nous, pas nécessairement lié à la crise Covid : suppression de la taxe professionnelle en 2010, FNGIR figé alors que la situation de certaines collectivités a évolué, suppression de la part salaires en 1999 qui avait d'abord donné lieu à un dégrèvement, puis à une compensation et enfin à une transformation en fraction de dotation générale de fonctionnement (DGF) - ce qui explique certaines divergences du montant de DGF par habitant... Nous avons besoin d'y voir plus clair et de maîtriser les effets sur la péréquation au-delà des mécanismes introduits dans le projet de loi de finances de 2021.

Le débat entre autonomie financière et autonomie fiscale pourrait nous occuper pendant très longtemps, mais - j'ai eu l'occasion de le dire parfois avec un peu de provocation - l'autonomie fiscale des collectivités aurait notamment pour conséquence que je ne serais pas devant vous pour présenter des mesures de compensation de recettes : qui dit autonomie complète dit aussi capacité à faire face à la variation des ressources. Ce débat me passionne, mais peut-être est-il prématuré dans une situation de crise comme celle que nous vivons.

Vous aviez évoqué les régies thermales publiques, notamment dans le Massif central. L'ordonnance leur permettant de bénéficier de l'activité partielle a été publiée le 21 décembre avec un caractère rétroactif. Enfin, il faut de la souplesse pour les délais de la DSIL rénovation énergétique ; les critères que nous avons indiqués au préfet sont les deux mêmes que ceux qui ont été retenus par l'État pour la sélection de ses propres projets pour 2,7 milliards d'euros : la performance énergétique et l'engagement des porteurs de projets à notifier les marchés publics au cours de l'année 2021 - notamment pour que les entreprises puissent s'en servir auprès de leur banque. Pour l'État et les universités, les demandes entre le 7 septembre et le 9 octobre ont atteint 8,4 milliards d'euros.

Nous devrions avoir les premières indications sur la question des bases et des compensations la semaine prochaine. Les bases définitives de taxe d'habitation seront communiquées, comme à l'accoutumée, en mars. Nous n'avons aucun retard à signaler sur les états fiscaux et les notifications. Monsieur Dallier, je reviendrai vers vous concernant l'année 2019, mais nous avons fait en sorte que les rôles supplémentaires pour 2020 tiennent compte du caractère atypique de l'année et évitent que telle ou telle scorie ne se traduise par une dépréciation des compensations pour les collectivités.

M. Jean-Yves Roux. - Merci, Monsieur le ministre, pour vos réponses toujours précises, qui nous aident. L'article 8 de la loi de finances de 2019 prévoit une augmentation de 1,6 % de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) en 2021 : chaque tonne de déchets est majorée de 12 euros. Je salue bien sûr l'objectif principal de la TGAP, qui est de faire changer les pratiques en matière de déchets mais, dans ce contexte, les intercommunalités qui assument cette compétence font face à des augmentations de charges. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, de nombreuses initiatives ont été prises en faveur des consignes de tri ou pour l'optimisation des collectes en milieu rural, mais les prix de reprise des matériaux recyclables ont fortement baissé en 2020, ce qui obère les finances des collectivités territoriales. Dans ce contexte, serait-il possible de lisser cette réforme jusqu'en 2023 ?

Mme Sonia de La Provôté. - Merci, Monsieur le ministre, pour vos réponses précises. La contribution de l'État est importante dans le fonctionnement des collectivités. On ne peut pas prévoir un meilleur rendement des taxes ni une augmentation des transferts entre collectivités. Si elles perdent la main sur la fiscalité, la question se pose de la marge de manoeuvre décisionnelle qui leur reste. Ne faudrait-il pas qu'une partie des subventions ne soit pas fléchée ? Après tout, ces crédits viennent des territoires. L'État devrait laisser une certaine autonomie aux collectivités pour qu'elles puissent mettre en oeuvre leurs projets locaux. À trop cadrer, je crains que la différenciation ne soit plus qu'un leurre, une différenciation de papier.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Aucune disposition n'a été adoptée dans la loi de finances pour permettre le lissage de l'augmentation de la TGAP ; or une disposition législative est indispensable. Rien n'est possible avant un éventuel projet de loi de finances rectificative - et je ne suis pas très pressé de vous en présenter un...

J'ai un désaccord de principe avec Mme de La Provôté : il n'y a pas un contribuable local et un contribuable national.

Mme Sonia de La Provôté. - Effectivement, c'est le même.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Considérer que l'État devrait restituer des impôts nationaux aux territoires pour que les élus locaux en fassent ce qu'ils veulent, cela signifierait que l'État assumerait l'augmentation des impôts mais pas leur usage.

Il y a par ailleurs des concours financiers libres d'usage, comme la DGF. Dans le plan de relance, même s'il y a des critères à respecter, nous avons veillé à laisser le maximum de marge de manoeuvre aux collectivités. Il est légitime de vouloir de la différenciation, mais les financements votés par le Parlement doivent respecter les priorités de l'État. Dans la DSIL extraordinaire liée à la crise, nous avons veillé à ce que les critères comprennent aussi ceux de la DETR afin de n'écarter aucun territoire.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci, Monsieur le ministre. On le voit, chacun se demande comment assurer la libre administration des collectivités. J'ai un petit point de désaccord avec vous, quand vous dites que la DGF peut être utilisée librement : sans doute, mais elle est versée par l'État pour que les collectivités assument certaines compétences en son nom.

Plus globalement, la question qui se pose est celle de l'articulation entre les acteurs publics. Nous avons besoin d'un État fort, nul ne peut le nier, nous avons besoin de péréquation,et nous avons besoin que les collectivités locales puissent financer des investissements qui leur semblent prioritaires compte tenu de la nature de leur population et de leur territoire. L'État a le droit d'afficher des priorités, mais nous devons aussi cultiver l'idée d'une République ascendante qui prenne en compte les besoins légitimes et les aspirations des territoires.

Monsieur le ministre, tous les sénateurs apprécient votre assiduité au Sénat et votre respect des piliers de notre démocratie que sont le Parlement et les collectivités. Cette grande satisfaction que l'on a à travailler avec vous n'implique pas, cependant, une satisfaction sur le fond de ce que vous nous proposez !

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Petite précision : tout à l'heure j'ai indiqué que l'augmentation des allocations individuelles de solidarité était de 5,8 %. Ce chiffre s'entend toutes allocations de solidarité confondues. Si l'on se centre sur le salaire, cette augmentation est de 7 %.

Mme Françoise Gatel, présidente. - J'ai cru entendre que le groupe de travail sur le financement des collectivités associait des collaborateurs de parlementaires... Les fonctionnaires de la délégation, qui seraient heureux d'y participer, n'ont pas été sollicités.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Les réunions avec les délégations parlementaires ont lieu tous les six mois. Ils n'ont pas été oubliés.

Audition de M. Jean-René Cazeneuve, député, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale, dans le cadre de sa mission d'évaluation de l'impact de la crise du Covid-19 sur les finances locales

Mme Françoise Gatel, présidente. - Monsieur le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale, je vous adresse mes meilleurs voeux pour 2021, pour vous et pour la réussite de votre travail. Je suis très heureuse de la qualité des relations que la délégation que vous présidez a noué avec celle du Sénat, par l'intermédiaire de son ancien président Jean-Marie Bockel, et je souhaite que nous puissions oeuvrer dans ce même esprit collaboratif et constructif.

Vous êtes venu le 20 mai dernier au Sénat pour présenter les premières pistes de travail de la mission que le Premier ministre vous avait confiée, relative à l'impact de la crise sanitaire sur les finances locales. Dans le rapport que vous avez remis en juillet 2020, vous avez évalué l'impact de cette crise à 7,2 milliards d'euros pour 2020. Il était composé, d'une part, de diminutions de recettes à hauteur de 5 milliards, et de 2,2 milliards de dépenses supplémentaires. Vous avez pris soin d'actualiser vos travaux en octobre 2020, en réduisant votre estimation à 6 milliards d'euros.

Tout à l'heure, le ministre du Budget nous a communiqué les chiffres actualisés des pertes de recettes et dépenses supplémentaires pour les collectivités. La dégradation de la situation est moindre que celle que nous pouvions estimer, tout en constatant une forte différenciation des territoires, et à l'intérieur même d'une catégorie de collectivités. Nous pensons notamment aux dépenses sociales, qui augmentent de manière importante au niveau national, mais avec des écarts significatifs entre les départements. Les communes touristiques dépendent particulièrement des recettes tarifaires et de la taxe de séjour. Je pense aussi à la perte de recettes significatives pour les communes qui gèrent beaucoup de services en régie, alors que les collectivités qui gèrent des crèches, piscines ou écoles de musique en délégation de service public n'ont pas subi le même impact eu égard à la différence de traitement pour la prise en compte des salaires.

Je rappelle que vous avez porté avec succès un amendement au projet de loi de finances 2021, dont l'adoption a permis la reconduction du « filet de garanties financières » permettant de compenser une partie de la perte de recettes fiscales et domaniales. Il devrait bénéficier à 2 500 communes et à une centaine d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Au-delà des questions techniques qui vous seront posées, j'aimerais aussi que nous abordions des questions fondamentales quant à l'efficacité de l'action publique. Nous partageons tous un souci et une exigence d'efficience de l'action publique. Les crises sanitaire et sociale montrent l'exigence d'efficacité de nos concitoyens, qui est aussi garante de la cohésion sociale et d'un délitement moindre de notre société.

Le président de la République, en 2020, avait sollicité les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat pour qu'ils contribuent à l'architecture et au mode de fonctionnement de cette action publique. Le Sénat a formulé 50 propositions, issues d'un travail oecuménique. Le président du Sénat a en effet oeuvré avec l'ensemble des groupes politiques. Ces 50 propositions ont été largement soutenues par l'ensemble des groupes et ont déjà abouti à deux propositions de loi, l'une constitutionnelle, l'autre organique, qui ont été adoptées au Sénat.

Concernant le volet financier qui nous préoccupe, j'aimerais entendre votre avis sur ces deux propositions, qui consistent d'abord en l'instauration d'un débat annuel sur les finances des collectivités. Avant le débat sur le projet de loi de finances, nous avons longtemps envisagé l'idée d'une loi de finances des collectivités, comme il en existe une pour la Sécurité sociale. Nous l'avons cependant abandonné parce qu'elle nous semblait trop complexe et que nous aurions créé un certain nombre de paramètres qui auraient pu se retourner contre nous. La seconde proposition est l'instauration d'un rendez-vous régulier pour évaluer la nécessité d'une réévaluation du coût du transfert des compétences de l'État aux collectivités. Si, au moment du transfert, l'État et les collectivités évaluent le coût des compétences transférées, nous savons tous que ce coût peut augmenter tout simplement parce que l'État crée de nouvelles obligations réglementaires.

J'aimerais aussi connaître votre « degré de hâte » pour la finalisation du projet de loi 3D ou 4D. Je ne vous cache pas que l'impatience du Sénat est forte, car nous avions répondu à une demande de la présidence de la République et que la crise sanitaire a fait l'objet de beaucoup de rapports de missions. Dans tous ces rapports, j'ai vu une unanimité sur l'urgence d'être dans une relation plus partenariale entre l'État et les collectivités. Nous avons besoin d'un État fort, mais qui se concentre sur ses missions et qui parle d'une voix unique dans les territoires. Le démembrement de l'État, avec la création d'agences, pose aujourd'hui problème, en période de crise.

M. Jean-René Cazeneuve, député, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale. - Madame la présidente, permettez-moi de souhaiter une excellente année à tous et de souligner, comme vous l'avez fait, que la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale est toute jeune. Mon premier réflexe, à sa naissance, a été de rencontrer celle du Sénat, qui a une antériorité et une qualité de travail qui en font pour nous un exemple. Dès le début, nous nous sommes inscrits, avec Jean-Marie Bockel, dans une logique partenariale. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises, nous avons effectué des propositions communes, et je crois que nous pouvons encore aller plus loin. Je reçois donc avec plaisir votre proposition de travail en commun.

En tant que président de la délégation aux collectivités territoriales, je me dois de saluer l'engagement formidable des élus locaux pendant cette crise. Pour moi, ce n'était pas une surprise. Ils ont été présents dès le début pour organiser les solidarités, pour réagir, pour protéger les citoyens. Ils l'ont fait tout au long de cette crise. Lors du déconfinement, ils étaient là aussi pour essayer de faire respecter les règles sanitaires, et ils sont aujourd'hui au rendez-vous pour cette phase de vaccination. Dans le département du Gers, la collaboration est exemplaire entre l'État, les collectivités territoriales, les maires et le président du département, sur le choix des centres, les moyens de procéder, le transport, le soutien du SDIS. Je remercie les élus pour ce travail et la qualité de ce qu'ils font.

Mon rapport date un peu, puisqu'il a été fait au mois de juin. Depuis, un rapport de la Cour des comptes est paru. Nous pouvons retenir trois éléments, qui convergent sur le diagnostic. Premièrement, l'impact de la crise est d'une ampleur globalement modérée pour les collectivités territoriales. Je l'avais estimé à 7,2 milliards d'euros. Nous disposerons bientôt de tous les chiffres. Il devrait finalement être inférieur à 6 milliards d'euros, qu'il faut rapporter aux 220 milliards de recettes de fonctionnement des collectivités.

Deuxièmement, son incidence est très inégale. Le ministre l'a dit juste avant moi. Là aussi, nous sommes tous d'accord : il faut faire très attention. Certes, l'impact est modéré, mais il peut dépendre beaucoup d'une collectivité à une autre. Vous l'avez souligné, les communes touristiques, par exemple, ont été plus impactées. Les communes de montagne également. Cela renforce l'idée que le filet de garanties de l'État a du sens. Il ne s'agit pas de rembourser toutes les collectivités à l'euro près, mais que l'État intervienne en solidarité vis-à-vis des collectivités les plus impactées. Je vous remercie pour la proposition du Sénat, qui était aussi dans mon rapport, de le maintenir en 2021. Cela ne préjuge pas de l'importance de la crise, car personne ne peut dire la forme qu'elle prendra cette année. Ce filet garantit un minium de ressources pour les collectivités territoriales. Son coût pour l'État ainsi que le nombre de communes aidées dépendront de l'ampleur de la crise. Il n'a pas vocation à aider l'intégralité des collectivités.

Troisièmement, la crise est moins forte que prévu pour les finances des collectivités territoriales. Il faut s'en réjouir. Il n'y a pas de manipulation dans ce que nous avons voté dans le PLFR3, sur le filet de garanties et sur les avances pour les départements. Nous dépenserons moins, c'est une bonne nouvelle. Prenons l'exemple des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Les premiers chiffres annonçaient une baisse de 40 % ; en mai 2020 elle était estimée à -25 %, en octobre à -10 %, et l'atterrissage sera proche de zéro.

Nous constatons par ailleurs des écarts entre les différents niveaux de collectivités territoriales. La Cour des comptes indique que l'échelon des régions est le moins touché par la crise. La baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en 2021 et 2022 ayant été neutralisée dans le cadre de la bascule sur la TVA, elle évite une perte de 1,2 milliard d'euros sur deux ans pour les régions, qui pourront donc maintenir leur niveau d'investissement.

Les départements sont dans une situation plus particulière. Ce sont eux qui sont à la fois dans la plus forte inquiétude et qui sont les plus impactés, ce que nous appelons « l'effet ciseaux ». En effet, leurs recettes sont corrélées à la dynamique économique, et leurs dépenses aux dépenses sociales. Quand la situation se porte bien, comme en 2019, leurs recettes augmentent fortement et leurs dépenses sont stables. Quand la situation s'inverse, leurs dépenses augmentent et leurs recettes baissent. Nous avons voté en 2020 des mesures qui leur permettront de passer l'année sans trop de problèmes. D'autres mesures ont déjà été votées pour 2021 ; nous verrons si elles suffisent. J'aurais préféré un système de filet de sécurité qui s'adapte à la crise et étudie son impact sur chaque département individuellement. La DCF lance un groupe de travail avec le Gouvernement et les parlementaires pour arriver à ce type de système. Cet effet ciseaux pourra nécessiter à court terme des aides supplémentaires, si la situation se dégrade fortement. Deux mesures sont toutefois déjà prévues, l'une de 200 millions d'euros et l'autre de 60 millions d'euros. À plus long terme, il faudra imaginer des systèmes de garanties et de réserves et faire évoluer la fiscalité des départements pour ne pas laisser cette épée de Damoclès mettre en péril certains d'entre eux.

Le troisième niveau est le bloc communal. Nous constatons la résilience de la fiscalité locale, qui a été extrêmement dynamique en 2019 et a permis d'amortir le choc en 2020. La situation devrait être assez bonne après les comptes de janvier. Nous aurons aussi un rebond dès 2021 parce que la fiscalité continue à augmenter et que les fortes pertes de recettes du bloc communal en 2020 ne se poursuivront pas en 2021.

Dans les différents volets budgétaires (PLFR3, PLFR4 et PLF21), nous constatons 7,2 milliards d'euros d'aides de l'État aux collectivités territoriales, sous forme de compensations, d'avances, d'investissements ou de recettes de fonctionnement. Le rôle des collectivités territoriales est extrêmement important dans l'investissement public. L'objectif est donc de minimiser l'impact de cette crise sur la capacité à l'autofinancement des collectivités, de manière à ce qu'elles puissent jouer pleinement leur rôle. Elles veulent d'ailleurs investir. Toutes les mesures prises en 2020 et 2021 leur permettront de maintenir leurs investissements pour qu'elles soient des acteurs majeurs de la relance. C'est ce message de responsabilité que je veux leur transmettre. Les élus sont face à un dilemme, tout comme l'État et les entreprises : comment se projeter en 2021 et sur les prochaines années, malgré les incertitudes liées à cette crise ? La majorité des collectivités ont pourtant les moyens d'investir et de participer à ce plan de relance, ce qui est très important pour notre pays.

Concernant l'instauration d'un débat annuel, nous sommes nous aussi parvenus à cette conclusion. Je ne désespère pas que nous puissions, dans le cadre du PLF, avoir un débat sur les finances locales, mais nous n'arriverons pas à tout traiter au même moment. Il faut donc ce temps de débat. Nous pourrions unir nos efforts sur cette réflexion. J'approuve également la proposition de réévaluation des coûts de transfert. C'est le rôle du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), qu'il faudrait renforcer dans la cadre du projet de loi 4D. Il fait un important travail d'analyse.

Par ailleurs, les lois ont souvent un impact sur les collectivités territoriales. Dans le cadre du projet de loi 4D, il faudrait aussi réfléchir à un processus permettant d'intégrer dans chaque loi un garde-fou territorial qui obligerait le législateur à évaluer l'impact de cette loi sur les collectivités. Je partage votre impatience concernant cette loi, qui doit normalement être présentée en conseil des ministres en février 2020. À la décharge de la ministre, le contexte de crise fait que beaucoup de choses s'imposent à nous et réduisent notre temps législatif. Cette loi doit encore renforcer le partenariat entre les collectivités locales et l'État. Je suis quelquefois surpris par les positions de certains élus contre l'État, car il n'est pas responsable d'opposer l'un et l'autre. Ce n'est pas parce que les collectivités jouent très bien leur rôle que l'État ne joue pas bien le sien. Nous devons multiplier les actions, sans casser celles de l'autre. Cette coopération doit être renforcée, car elle est indispensable et se déroule mieux sur le terrain que ce que peuvent dire certains représentants.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Effectivement, nous savons le rôle important que jouent les collectivités dans l'activité économique et la relance, non seulement en montant de dépenses d'investissement mais aussi parce que ces derniers concernent les territoires et toutes sortes d'entreprises et corps de métier. Cela contribue à revitaliser l'économie locale.

Je pressens toutefois un impact des cycles électoraux sur le montant de l'investissement. Les élections municipales et communautaires ont été décalées. De nouveaux élus sont pris par la gestion de la crise sanitaire et n'ont pas eu le temps de se lancer dans des investissements ; d'autres sont frileux et thésaurisent alors que les élections départementales et régionales arrivent. Cette conjonction d'événements me fait craindre que l'investissement ne soit pas aussi important qu'il devrait l'être.

Concernant l'appel à projets, je comprends que l'État fixe ses priorités et travaille en partenariat avec les collectivités sur leur mise en oeuvre par le biais d'un soutien à l'investissement. Il en est de même dans les départements et les régions, ce qui conduit à un essoufflement des collectivités dans ces appels à projets. En effet, il y a toute une mécanique à mettre en oeuvre, en concertation avec les conseils municipaux et la population. Certaines collectivités sont en difficulté dans cette procédure parce qu'elles ne disposent pas de l'ingénierie économique ou des moyens financiers. D'autres fédèrent leur population mais sont dépitées de ne pas être retenues. J'aimerais qu'il y ait dans le plan de relance à la fois un soutien de l'État et des collectivités départementales et régionales, en cohérence avec leurs propres projets, et que les territoires puissent continuer à apporter leurs propres projets.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Merci, Monsieur le député, pour votre important travail, notamment votre rapport et vos 42 propositions. Je partage votre vision. S'il ne faut pas opposer l'État aux collectivités, nous avons cependant connu plusieurs hiatus. Au début du confinement, le Gouvernement avait suspendu l'application des contrats financiers de Cahors pour les 322 collectivités concernées par ce dispositif. Le Sénat, parmi ses 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales, propose de passer d'une contractualisation subie à une contractualisation partagée. Dans vos recommandations 12 à 18, vous indiquez que les collectivités territoriales sont au coeur du plan de relance. Pour vous, ces dispositifs de Cahors n'ont-ils plus d'utilité ? Faut-il une relation plus mature entre l'État et les collectivités, et quels seraient ses fondements ?

Mme Nadine Bellurot. - Je rejoins madame la présidente sur la liberté des communes de pouvoir investir sur leurs propres projets, car elles savent ce dont leur territoire a besoin. Il faudrait davantage de souplesse. Par ailleurs, les départements sont manifestement très impactés par la crise et il faut mener une réflexion pour leur permettre de sortir de l'ornière. Peut-être pourrions-nous réfléchir sur des charges qui leur sont indues ? Par exemple, les carences ambulancières représentent 300 000 euros pour le département de l'Indre. L'intervention est plus coûteuse qu'elle n'est remboursée. La gestion des mineurs isolés est également très coûteuse. L'État devrait accompagner les départements sur ces charges, qui relèvent aussi de sa compétence.

M. Jean-René Cazeneuve. - Vous avez raison, les Français sont prudents dans leurs investissements, mais je crois que les collectivités ne doivent pas l'être. Nous ne pourrons sortir de cette crise qu'avec la relance économique. C'est une obligation collective. Plusieurs éléments doivent amener les collectivités à investir. Premièrement, elles sont faiblement endettées. Deuxièmement, l'argent est extrêmement disponible, contrairement à la crise financière de 2008-2009. L'argent n'est pas cher ; les taux offerts aux collectivités sont proches de ceux pour l'État. En outre, leur capacité d'autofinancement s'est beaucoup moins dégradée que prévu. Elle ne baissera probablement que de 10 % en moyenne. Celle de l'État est négative depuis longtemps. En 2021, les régions verront certainement augmenter leurs recettes. Le bloc communal dispose désormais d'un filet de garanties ; il sait que son minimum de recettes correspondra à ce qu'il a reçu durant les trois années précédant la crise. Il est vrai que les départements ont plus d'incertitudes en raison de cet effet ciseaux, mais ils ne représentent qu'une partie de l'investissement public. Les collectivités doivent donc jouer leur rôle dans la relance, et c'est d'ailleurs ce qu'elles souhaitent.

Nous sommes tous d'accord pour permettre plus de souplesse sur les appels à projets. Certains assouplissements ont déjà été apportés, ainsi que des ressources d'ingénierie. Toutefois, la rénovation des bâtiments publics ne passe pas par des appels à projets, elle s'effectue au fil de l'eau. L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) apporte un support en ingénierie.

Concernant les contrats de Cahors, j'y suis favorable parce qu'il faut du donnant-donnant dans cette relation partenariale que nous appelons tous de nos voeux. Je m'étonne toujours de la non-prédictibilité des recettes. Le contrat de Cahors a apporté une visibilité sur trois ans. Il est essentiel que la loi de programmation des finances publiques comporte un important volet sur les collectivités territoriales. Ce contrat a participé à la bonne santé des collectivités territoriales en 2019. Elles ont aussi tenu leurs coûts en 2020, moyennant d'importants efforts. Cependant, le contrat de Cahors peut évidemment être amélioré.

Enfin, Madame la sénatrice, pour ce qui est des charges vous avez raison, mais nous restons sur un sujet délicat. Vous posez en creux la question de l'autonomie financière et fiscale des collectivités. Si les politiques publiques portées par les départements étaient financées en totalité par l'État, nous ne serions plus dans une logique de collectivités ayant ses propres recettes et dépenses. Ce serait contradictoire. Avec la crise à venir, les dépenses sociales seront très inégales d'un département à l'autre. Cela conduit à une réflexion sur le financement. Soit nous redonnons de la marge de manoeuvre aux départements, en particulier sur les DMTO, soit l'État garantit un certain nombre de ressources pour les dépenses sociales.

M. Bernard Delcros. - Les situations sont effectivement très hétérogènes d'un département à l'autre. La question des allocations individuelles de solidarité (AIS) revient fréquemment. Le RSA ou l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) pèsent beaucoup sur les finances départementales. Dans le Cantal, l'épargne nette est inférieure à 10 millions d'euros, et l'APA représente une part importante. Bien souvent, ce sont des sujets nationaux dont la charge financière est supportée par les départements. Y aurait-il un intérêt à renationaliser les allocations individuelles de solidarité (AIS), à ce que l'État assume les dépenses des décisions qu'il prend ? Si elles continuent à relever des départements, faut-il apporter une garantie pour que l'évolution de ces dépenses soit entièrement couverte ? Je pense que la situation actuelle ne peut plus perdurer.

M. Jean-René Cazeneuve. - Les présidents de départements ont des avis divergents sur cette question. Nous sommes partis vers une différenciation que nous appelons tous de nos voeux. J'approuve le fait que certains départements puissent recentraliser le RSA, à condition que cette décision soit durable. Par ailleurs - et j'en ai parlé avec Jean-René Lecerf, vice-président de l'Assemblée des Départements de France (ADF) en charge des finances -, je soutiens l'idée d'un filet de garantie pour les départements qui combinerait les entrées et les sorties. Les collectivités ne peuvent pas se réjouir dès que leurs recettes augmentent et réclamer à l'État une compensation intégrale dès qu'elles diminuent. En revanche, nous pourrions considérer dans chaque département le solde entre les recettes et les dépenses. L'État jouerait ainsi son rôle de solidarité avec les départements qui connaissent l'effet ciseaux le plus important. L'ADF veut travailler sur ce sujet. J'espère qu'il fera l'objet de réflexions et d'articles dans le prochain PLF.

M. Bernard Delcros. - Je trouve cela intéressant. C'est une sorte de tunnel qui vient relativiser l'augmentation des dépenses des AIS par rapport aux capacités financières des départements.

M. Jean-René Cazeneuve. - Exactement. Cette crise montre que, quel que soit le niveau de collectivité territoriale, si nous avons réglé le problème de 2020 grâce au travail des élus et des mesures ayant été votées, et si nous avons aussi anticipé 2021 par différentes garanties qui pourront être rectifiées dans les PLFR, il faut se poser une question plus structurelle. Nous devons imaginer un système de mise en réserve ou de serpent budgétaire qui prodiguerait une garantie aux collectivités territoriales. Les territoires ne peuvent avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête, sinon les politiques publiques en souffrent.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je pense qu'il peut y avoir unanimité sur le besoin et l'exigence de lisibilité des finances des collectivités, car nous savons bien que, pour engager un investissement, il est nécessaire de connaître sa capacité à assurer son financement et son fonctionnement. Je vous rejoins sur l'idée d'une contractualisation, qui répond à ce besoin de lisibilité et, dès lors qu'elle est véritablement partenariale, à la complémentarité entre l'État et la libre administration des collectivités. Au-delà des dépenses obligatoires des collectivités, l'investissement en matière de culture et d'éducation varie aussi en fonction des projets politiques. La contractualisation, sous réserve que nous fassions évoluer les paramètres de Cahors, serait extrêmement intéressante.

J'adhère aussi à vos propos sur la responsabilité. Nous ne pouvons pas, lorsque les recettes prospèrent, ne rien dire, puis appeler l'État quand elles baissent. Nous avons une responsabilité dans la gestion. Quel est le degré de maturité des départements, au sein de cette association, sur votre idée d'introduire de la différenciation dans les financements venant de l'État ? La différenciation sur des compétences et des traitements, au nom de l'équité, nécessite aussi sans doute des différences contractualisées en matière de financements. Cette piste me paraît novatrice, responsable et plutôt positive.

M. Jean-René Cazeneuve. - Je crois que les départements, qui étaient auparavant plutôt défavorables à la recentralisation, y sont désormais globalement favorables. Ce sujet a été abordé par Dominique Bussereau, qu'il faudrait interroger. Je crois que les départements sont ouverts à la différenciation, qui permettrait à chacun de faire ses choix en toute responsabilité. La décision reviendrait au département, ce qui serait une bonne chose. Le président de la Seine-Saint-Denis, par exemple, y est très favorable. Selon lui, faire de la trésorerie n'a pas de sens. Il préfère utiliser ses ressources et ses collaborateurs pour l'insertion et l'accompagnement. Quant à la clause qui permettrait à chaque département de déclencher une aide en fonction du solde entre dépenses et recettes, ils y sont très favorables. Nous y travaillerons ensemble cette année.

Mme Françoise Gatel, présidente. - J'aimerais maintenant aborder la communication que vos collègues Catherine Kamowski et Véronique Louwagie ont faite en novembre sur la territorialisation du plan de relance, avec l'idée d'une répartition équitable des crédits permettant une péréquation entre les territoires. Cela correspond bien à la philosophie du Sénat. Avez-vous formulé des propositions en ce sens ? La manière dont le Gouvernement répartit le plan de relance s'inspire-t-elle de ces idées ?

M. Jean-René Cazeneuve. - La territorialisation du plan de relance est absolument essentielle. Évoquer par un exemple un apport de 1,2 milliard d'euros sur un projet précis dans la Manche parle plus aux Français que les 100 milliards d'euros globaux. Cette volonté de territorialiser est affichée par le Gouvernement et par le Premier ministre Jean Castex, mais cela ne me suffit pas. Nous avons constitué un groupe de travail avec ces deux députées, qui a émis des propositions et reste actif pour suivre la territorialisation. Certains aspects se territorialiseront naturellement. Tout ce qui concerne la transformation des entreprises est visible dans les départements, mais ce n'est pas le cas de certains territoires ruraux. La territorialisation permet d'assurer les grands équilibres entre les bassins de vie. Nous pourrons intervenir si de grands déséquilibres sont constatés, à condition d'avoir de la visibilité.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je n'instruis pas à charge, mais je m'interroge tout de même sur le modèle de mise en oeuvre du plan de relance. Le Gouvernement a exprimé sa volonté de consommer entièrement le plan de relance. Pour cela, il a décidé de dédier des sous-préfets à la relance. Il existe toutefois une difficulté de mise en oeuvre concrète des projets de plan de relance dans les territoires. En effet, cela nécessite notamment une connaissance fine du tissu économique des entreprises, voire des liens entre entreprises, EPCI et région qui se sont tissés depuis la loi NOTRe. Les sous-préfets devront plutôt être des animateurs et coordinateurs de tous les acteurs en présence. Je me suis demandé pourquoi le Gouvernement n'avait pas délégué aux régions les plans de relance. Tout dépendra donc de la qualité des personnes et de leur envie d'agir.

Mme Nadine Bellurot. - La connaissance du territoire et de leurs dynamiques est effectivement très importante. Sans remettre en cause la qualité des sous-préfets, il leur sera difficile de bien identifier les entreprises, les projets, les lieux, les personnes, les compétences, etc. Il faut vraiment qu'ils deviennent des facilitateurs.

M. Bernard Delcros. - Un autre point me semble important. Un milliard d'euros est consacré à la relance dans les territoires et un autre à la rénovation énergétique des bâtiments publics. Ces sommes, votées au niveau national, sont ensuite réparties dans des enveloppes régionales. Il sera intéressant de voir comment chaque préfet de région gère ses enveloppes et les répartit entre les départements, et selon quels critères. Nous devrons veiller à rectifier d'éventuels dysfonctionnements pour que tous les départements, même les plus éloignés des métropoles, bénéficient de ces importants crédits pour des projets pouvant être réalisés rapidement.

M. Jean-René Cazeneuve. - Je partage vos interrogations et remarques. Comme dans toute organisation humaine, cela dépend beaucoup des personnes. Quel sera le bon échelon pour ce plan de relance ? Cela dépendra du type de région ou de département. Les régions seront les chefs de file. Leurs moyens sont considérables, notamment grâce aux fonds européens. Il ne faut pas qu'elles deviennent un nouveau niveau de concentration. Les départements ne sont pas du tout dans cette logique et souhaitent être associés au plan de relance. Je pense d'ailleurs que l'échelon départemental est très important pour obtenir cette visibilité. Le débat sur la DSIL revient chaque année. Nous avons de la visibilité sur la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) car le parlement vote les critères de ventilation entre les départements, mais pas sur le décile.

Je pars du principe que le préfet de région fera bien les choses, mais il faudra le vérifier. Le risque de la décentralisation est de maintenir les inégalités. Lorsqu'un budget est centralisé, il est possible de faire jouer la solidarité pour compenser les inégalités. Le préfet peut décider de favoriser un territoire pour essayer de mieux répartir les richesses. Au contraire, si vous donnez à chaque département son autonomie financière, les départements pauvres le resteront, et les départements riches le seront de plus en plus. C'est pourquoi il faut trouver le juste équilibre entre une décentralisation dans l'action et une solidarité gérée sur le plan national.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous renouvelle tous mes remerciements pour cet échange de vues. Pour conclure, je crois que nous sommes en phase avec l'idée que la décentralisation est une nécessité. Chacun souhaite constater l'efficacité de l'action publique grâce à cette idée de subsidiarité qui permet de faire au bon endroit ce qui est nécessaire.

Je vous rejoins également sur le fait qu'il ne faut pas s'illusionner ni perdre de vue deux aspects. D'une part, une « ultra régionalisation » peut s'assimiler à une nouvelle recentralisation, notamment dans les très grandes régions, ce qui est contraire à ce que nous souhaitons. D'autre part, cette péréquation entre les territoires est nécessaire. Même au Sénat, certains sont pourtant défavorables à la décentralisation car ils l'assimilent à un encouragement à la compétition entre ceux qui ont les moyens d'agir et les autres. Je pense, au contraire, que la décentralisation découle de l'idée qu'il existe une égalité de droits, de libertés et de services, mais qu'il faut adapter les moyens pour que chacun puisse atteindre cette égalité. Nous procédons ainsi pour les territoires d'outre-mer, qui bénéficient d'une adaptation législative. Nous avons aussi créé la collectivité européenne d'Alsace.

Je souhaite que nous encouragions le Gouvernement à avancer sur ce projet de loi 3D, qui n'est jamais qu'un moyen de corriger le tir pour que les choses fonctionnent mieux. Je pense que nous portons tous l'ambition que ce pays réussisse. J'entends l'urgence de calendrier liée à la fin du quinquennat, et je sais qu'il existe des réformes plus grand public que celle de la décentralisation. Et, en même temps, si nous voulons poursuivre le chemin efficacement, il faut réparer ce qui doit l'être.

Merci à tous pour cette matinée financière et décentralisatrice. La prochaine réunion se tiendra le 28 janvier 2021. Nous auditionnerons l'Association des petites villes de France, l'Association des maires ruraux et Villes de France, dans le cadre de notre tour d'horizon des collectivités territoriales.

La réunion est close à 12 h 15.