Jeudi 28 janvier 2021

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Institutions européennes - Audition de S. E. M. Jorge Torres-Pereira, ambassadeur du Portugal en France

M. Jean-François Rapin, président. - Le 1er janvier dernier, le Portugal a pris en charge la présidence du Conseil de l'Union européenne, qui reviendra à la France dans un an. L'Allemagne vous a passé le relais dans un contexte très difficile, marqué par le retrait d'un État membre, le Royaume-Uni, et par la pandémie de covid-19 qui continue de faire des victimes à travers l'Union européenne, de paralyser nos économies et de malmener nos sociétés. Votre pays est particulièrement frappé en ce moment et je vous assure de toute notre empathie, le nôtre n'étant pas épargné non plus.

L'enjeu sanitaire s'impose, de fait, en haut de l'agenda de votre présidence, et vous entendez y faire face avec l'espoir, la confiance et la crédibilité que donnent les programmes et les instruments financiers dont l'Union s'est dotée pour tracer un chemin commun de sortie de crise. Votre ambition est que ce premier semestre soit le début d'une nouvelle dynamique pour l'Europe autour des transitions climatiques et numériques ; votre pays annonce aussi son souci particulier de veiller à renforcer la dimension sociale de ces deux transitions, afin d'y entraîner tous les Européens.

Les résultats de l'élection présidentielle que vient de connaître votre pays confirment qu'il s'agit là d'une préoccupation essentielle : la forte abstention des électeurs et le score historique du candidat populiste attestent bien de la priorité que l'Union doit donner à la cohésion sociale et à l'adhésion démocratique des peuples au projet européen. La crise politique que traverse l'Italie est aussi une source de préoccupation pour l'Union et la mise en oeuvre du plan de relance.

Nous vous remercions d'être venu ce matin au Sénat nous présenter les priorités de la présidence portugaise. Les sujets à évoquer sont multiples et mes collègues auront certainement de nombreuses questions à vous poser. Pour ma part, je souhaite d'emblée vous en poser une : j'ai relevé que, concernant l'action extérieure de l'Union européenne, votre programme prévoyait de contribuer au renforcement des relations de l'Union avec l'Inde et avec l'Afrique. Qu'en est-il du Brésil, autre puissance économique émergente à laquelle votre pays est particulièrement lié par l'histoire?

M. Jorge Torres-Pereira, ambassadeur du Portugal en France. - Je suis très honoré de venir m'exprimer devant vous, au moment où le Portugal prend la présidence tournante de l'Union européenne, pour vous présenter les priorités du prochain semestre.

Notre priorité sera évidemment la reprise économique, que nous devrons mener de front avec les transitions verte et numérique. Le paysage économique sera très différent après la crise. Cette dernière nous offre sans doute une opportunité, paradoxalement, de mener des transformations sociales, économiques, écologiques et numériques profondes.

Notre deuxième objectif est de renforcer le socle social de l'Union européenne. La crise nous montre l'importance de cette dimension. Les transitions écologique et numérique auront elles-mêmes un impact social important, et nous devons nous y préparer.

Notre troisième objectif sera de défendre l'autonomie stratégique de notre continent, dans le cadre d'une Europe ouverte au monde. C'est pourquoi nous voulons continuer à nouer des partenariats avec les différents acteurs.

Plusieurs événements forts seront organisés. Nous devrons faire en sorte que les mécanismes financiers que nous venons de créer dans le cadre du plan de relance puissent commencer à être mobilisés au plus vite : cela suppose que les pays membres lancent leurs plans nationaux de relance très vite afin que les premiers déboursements européens interviennent à la fin du semestre.

Nous organiserons un sommet social à Porto qui réunira les représentants de la société civile, des partenaires sociaux et des institutions européennes, afin de trouver les moyens de donner plus de force à l'économie sociale de marché, qui fait partie de l'ADN de l'Union européenne. Nous devrons aussi réfléchir aux conséquences sociales des transitions verte et numérique : quelles adaptations des compétences pour les jobs du futur ? Comment parvenir à une transition juste et inclusive ?

Nous voulons aussi rééquilibrer notre rapport avec d'autres grands acteurs géopolitiques. De même que le semestre passé s'est tenu un sommet Union européenne-Chine et que notre relation avec les États-Unis fait l'objet d'une attention privilégiée, nous souhaitons développer nos relations avec un autre grand acteur, l'Inde : un sommet Union européenne-Inde sera organisé à Porto en mai. Il ne s'agit pas de s'inscrire dans une compétition géopolitique entre acteurs. Simplement, le renforcement des liens avec ce pays constituait déjà un axe de notre présidence en 2000. On observe toutefois un regain d'intérêt pour la zone indo-pacifique : certains États membres développent d'ailleurs leur propre stratégie nationale pour cette zone, et nous sommes en train de discuter d'une stratégie européenne.

Maintenant que nous sommes tombés d'accord sur le budget européen et sur l'instrument Next Generation EU, et que l'accord avec le Royaume-Uni a été signé, nous disposons de tous les instruments pour agir. Nous voulons construire d'abord une Europe plus résiliente : sur le plan économique, évidemment, mais aussi sur le plan sanitaire, la crise ayant illustré la nécessité d'une Europe de la santé impliquant un renforcement des coopérations en la matière. L'Europe doit aussi être résiliente en ce qui concerne ses valeurs afin de défendre l'État de droit, la démocratie, la liberté des médias, etc. Nous poursuivrons les analyses pays par pays engagées au dernier semestre : dans les six prochains mois, cinq Etats membres devront ainsi présenter leur situation nationale à cet égard, avec, le cas échéant, des sanctions au titre de l'article 7 du traité sur l'Union européenne.

Nous comptons faire avancer l'Europe du numérique en avançant dans l'élaboration du Digital Services Act (DSA) et du Digital Markets Act (DMA). Un nouveau câble sous-marin reliant Sines au Portugal et Fortaleza au Brésil sera inauguré très prochainement. Dans le même esprit, il importe que l'Europe se dote d'une politique spatiale compétitive. Je rappelle que l'Agence spatiale européenne est coprésidée en ce moment par la France et le Portugal.

En ce qui concerne l'Europe verte, nous aurons comme objectif de finaliser la loi européenne sur le climat, de réaffirmer le leadership de l'Europe dans la lutte pour réduire les émissions de CO2, tout en préparant la prochaine conférence de l'ONU sur le climat (COP 26), qui devait se tenir à Glasgow en novembre. L'Europe verte, c'est aussi l'Europe bleue, en raison du nexus océan-climat. Nous devons être attentifs à protéger la biodiversité et les ressources marines.

Je ne reviendrai pas sur l'Europe sociale que j'ai déjà évoquée et je terminerai par l'Europe globale. L'Union européenne entend défendre le multilatéralisme et est ouverte à des partenariats avec des tiers. Depuis le traité de Lisbonne, l'agenda international est déterminé par le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui est aussi vice-président de la Commission, et non plus par le pays exerçant la présidence, mais nous pouvons néanmoins mettre l'accent sur certains axes : le sommet avec l'Inde ou le reset des relations transatlantiques, avec l'espoir d'un renforcement des liens entre l'Union européenne et l'OTAN.

Nous serons aussi tournés vers l'Afrique, à travers l'organisation d'événements, de forums, destinés à préparer la prochaine rencontre entre les leaders européens et africains, dans l'idéal en présentiel.

Par rapport à l'Amérique latine, l'agenda sera dicté par les accords commerciaux avec le Chili, le Mexique et les pays du Mercosur. Selon nous, la crédibilité de l'Union européenne, qui a finalisé un accord avec le Mercosur après dix ans de négociation, serait remise en cause si elle n'honorait pas sa parole. Laisser cet accord dormir sur une étagère ne semble pas une bonne idée. Il est toujours possible de trouver des solutions imaginatives pour obtenir des garanties additionnelles sur le climat ou la protection de la forêt amazonienne, afin de ratifier l'accord. Nous voulons faire en sorte que les choses avancent. Nous pensons aussi que notre relation avec le Brésil s'inscrit principalement dans le cadre de l'accord avec le Mercosur. Nous aurons plus d'influence sur la politique climatique des pays d'Amérique latine au sein de l'accord qu'en dehors. Celui-ci comporte déjà des clauses sur le climat qui auront valeur contraignante. Il sera aussi possible de les clarifier par le biais de déclarations additionnelles.

Enfin, la Conférence sur l'avenir de l'Europe sera lancée dès que la question de sa présidence aura été tranchée. Nous espérons qu'elle pourra se conclure lors de la présidence française, au premier semestre 2022.

M. Jean-François Rapin, président. - Avez-vous envisagé, à cet égard, une stratégie au Portugal pour conduire les discussions à l'échelle de l'État ?

M. Jorge Torres-Pereira. - Le Portugal a déjà mené des consultations citoyennes avant les élections européennes. Nous avons l'expérience de ces échanges avec la société civile. L'enjeu de la Conférence sur l'avenir de l'Europe devrait d'ailleurs être, selon nous, de réduire la distance entre l'Union européenne et les citoyens afin que ces derniers se sentent davantage associés et impliqués. En revanche, nous ne serions guère enthousiastes si la discussion s'orientait vers des modifications institutionnelles : les citoyens attendent plutôt des réponses à la hauteur de la crise sanitaire et économique.

M. Jean-François Rapin, président. - Je laisse la parole à M. Louis-Jean de Nicolaÿ, président du groupe d'amitié France-Portugal.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Vous avez évoqué le défi d'une Europe plus verte, plus juste et plus numérique. Comment cette ambition se concrétisera-t-elle ? Dans quels textes ? Selon quel calendrier ? La négociation avec le Parlement européen devrait s'achever sur la loi climat.

Le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », qui devrait être présenté par la Commission au mois de juin, devrait comporter de nouveaux objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Il appartiendra à la présidence portugaise d'en lancer les travaux. Le Sénat a voté récemment une proposition de loi visant à réduire l'empreinte carbone du numérique. L'Europe peut-elle à son tour se saisir de ce sujet ? Il faudra aussi faire avancer la négociation sur les deux textes présentés par la Commission en matière numérique: le Digital Services Act et le Digital Markets Act.

Estimez-vous que le renforcement du pilier européen des droits sociaux adopté à Göteborg en novembre 2017 sera de nature à accélérer la convergence sociale ? Êtes-vous favorable à l'instauration d'un salaire minimum dans l'ensemble du territoire européen pour éviter tout dumping ?

M. Jorge Torres-Pereira. - Une des fonctions de la présidence tournante est de prendre les dossiers en l'état et d'essayer de les faire progresser pour le pays suivant. Nous avons bon espoir de pouvoir conclure ce semestre sur la loi Climat. Nous voulons notamment organiser une conférence sur les changements climatiques et une conférence sur l'hydrogène vert, ainsi qu'une conférence ministérielle sur la politique maritime intégrée, qui nous permettra notamment d'évoquer le transport maritime vert ou green shipping. Toutes ces démarches visent à enrichir substantiellement le paquet « Climat » durant ce semestre. Nous sommes déjà en train de préparer la COP26 à Glasgow.

Le salaire minimum est une proposition de la Commission qui n'est pas du tout facile à mettre en oeuvre. Les États membres ont en effet des positions différentes, les pays de l'Europe du Nord considérant que le salaire est l'aboutissement d'une négociation entre les partenaires concernés. La fixation d'un salaire minimum n'est donc pas dans leur culture. Par ailleurs, certains pays d'Europe trouvent que ce serait une atteinte à leur compétitivité. Le Portugal souhaite être un courtier honnête et essayera de trouver une façon de faire avancer ce dossier. Quoi qu'il en soit, nous veillerons à ce que la dimension sociale que l'on souhaite donner à l'Union européenne ne soit pas complètement prise d'assaut par cette crispation sur l'instauration d'un salaire minimum. Nous aimerions que le sommet social de Porto permette de fixer le cap d'une vision plus sociale de l'Europe. La réunion des leaders européens qui aura lieu le lendemain réaffirmera les principes de Göteborg, avec, si tout se passe bien, un contenu concret.

Mme Gisèle Jourda. - J'ai lu très attentivement le programme de la présidence portugaise, Le temps d'agir : pour une reprise juste, verte et numérique. J'ai conduit une mission liée à la pollution des sols après une exploitation minière ou industrielle. Je n'ai malheureusement pas trouvé dans vos objectifs la reprise et la remise en selle de la directive de 2007 sur la protection des sols, abandonnée faute de consensus. Pour répondre au défi environnemental, la présidence portugaise envisage-t-elle de se mobiliser sur la question de la protection des sols ?

Au vu des événements au Haut-Karabakh, de la situation en Ukraine et des conflits gelés en Géorgie et en Moldavie, quelles sont les ambitions de la présidence portugaise concernant cette région ? J'ai bien noté que des relations seront nouées avec la Russie, ce qui est positif au niveau des relations internationales, mais j'aurais aimé avoir un éclairage plus précis sur vos orientations en matière de partenariat oriental.

M. Didier Marie. - Vous avez répondu à la question du salaire minimum, mais quid de l'égalité hommes-femmes ? La situation des femmes s'est très fortement dégradée pendant la crise sanitaire et économique. Envisagez-vous, lors du sommet de Porto, des initiatives particulières ? Vous avez évoqué le plan de relance et les capacités d'emprunt de l'Union européenne. Se pose en parallèle la question des nouvelles ressources propres. La première mesure prise est l'instauration de la taxe sur les plastiques. Vous aurez également à discuter d'une mise en place opérationnelle de la taxe d'ajustement carbone aux frontières et de la taxe sur le numérique à l'horizon de 2022. Il vous faudra aussi engager des travaux pour mettre en oeuvre une taxe sur les transactions financières. Quelle est la position du Portugal sur le sujet et comment souhaitez-vous faire progresser cette idée ? Enfin, vous avez évoqué les accords commerciaux, mais vous ne nous avez pas encore parlé de l'accord avec nos anciens partenaires britanniques. Vous allez devoir travailler à la mise en oeuvre de l'accord commercial avec le Royaume-Uni. Comment envisagez-vous votre présidence sur cette question ?

Mme Catherine Fournier. - Vous avez évoqué l'Europe des valeurs. L'un de nos proches voisins est la Russie. L'actualité toute récente nous a montré que la répression et l'oppression étaient encore très fortes dans ce pays. Depuis 2014, nos relations commerciales sont houleuses. Comment l'Union européenne pourrait-elle faire pour renouer avec ce grand pays ? La Russie ne pourrait-elle pas être un partenaire commercial de l'Union européenne, comme le Brésil - dans le cadre du Mercosur - dont le régime est aussi relativement totalitaire ? En s'immiscant par le biais commercial, l'Europe ne pourrait-elle pas avoir une action positive et faire évoluer certaines mentalités brutales en Russie ?

M. Jorge Torres-Pereira. - J'ignore les détails relatifs à la protection des sols. Si cette question n'a pas été retenue explicitement dans le programme, c'est qu'elle n'est peut-être pas mûre. Je vais me renseigner et je tâcherai de vous faire parvenir une réponse plus détaillée.

En ce qui concerne le partenariat oriental, la réunion n'aura pas lieu en février ni peut-être même ce semestre. Comment réunir en ce moment autour d'une même table les représentants de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan ? Qui représentera la Biélorussie ? Bref, il va falloir patienter un peu.

La question de l'égalité hommes-femmes est dans le mainstreaming de toutes les discussions. Bien évidemment, ce dossier sera traité dans le cadre du volet social.

Sur les ressources propres et les taxes qui en découleraient, ce qui nous préoccupe actuellement c'est que les États membres ratifient la décision « ressources propres ». Certains pays sont plus lents que d'autres à le faire. Tant qu'ils ne l'auront pas tous fait, il sera impossible d'augmenter le plafond et le périmètre des ressources propres. Les différentes taxes que vous avez évoquées sont dans le pipeline. Les positions nationales ne sont pas toutes les mêmes. Notre mission, au titre de la présidence du Conseil de l'Union européenne, sera de dégager des consensus pour avancer dans la mise en oeuvre de ces différentes taxes. Quelques-unes trouveront rapidement une concrétisation - je pense à la taxe sur les plastiques -, mais d'autres sont plus techniques et complexes à mettre en oeuvre, comme la taxe sur les transactions financières.

Quant au Brexit, le plus important est de s'assurer que l'accord de retrait et que l'accord commercial et de coopération avec le Royaume-Uni sont appliqués correctement. C'est un objectif qui suffit amplement pour ce semestre. C'est un Portugais qui endossera le rôle de tout premier chef de la délégation de l'Union européenne au Royaume-Uni. La volonté du Portugal a toujours été de nouer une relation plus dense, complexe et étroite avec le Royaume-Uni. Mais à partir du moment où le Royaume-Uni a refusé d'inclure dans l'accord certains sujets comme la politique étrangère, la sécurité extérieure et la coopération en matière de défense, il ne me paraît pas judicieux de nous montrer, du moins pour l'instant, trop demandeurs. On verra bien comment nous arriverons par la suite à un vrai partenariat.

Mme Fournier m'a interrogé sur l'Europe des valeurs et la Russie. Hier, le ministre des affaires étrangères du Portugal, M. Santos Silva, en visioconférence avec les élèves de Sciences Po, a affirmé qu'il ne pensait pas qu'il y aurait ce semestre de développement positif dans la relation avec la Russie. Nous sommes tous conscients que la stabilité et la sécurité en Europe auraient beaucoup à gagner si nous parvenions à nouer de meilleures relations avec la Russie, mais les derniers événements n'aident pas beaucoup les promoteurs d'un dialogue plus intense. Le Haut représentant européen aux affaires extérieures et vice-président de la Commission se rendra à Moscou dans les prochaines semaines, à l'invitation du ministre Sergueï Lavrov. Depuis les événements en Crimée, la Russie n'avait plus de contact officiel avec les instances européennes. Nous aimerions que cette visite soit un message porteur d'espoir, mais c'est difficile, d'autant que les opinions des différents membres de l'Union européenne sont assez complexes.

Mme Marta de Cidrac. - Vous avez notamment évoqué comme priorité de la présidence portugaise la promotion du modèle social européen, Monsieur l'Ambassadeur. Comptez-vous inclure dans cet élan l'enjeu de la jeunesse européenne, cette « génération covid » qui souffre beaucoup de la crise sanitaire ?

M. Dominique de Legge. - Quelles sont les intentions de la présidence portugaise en matière de coopération dans le domaine de la défense, un sujet sur lequel la France souhaite avancer, malgré un contexte international tendu ?

Par ailleurs, quelles initiatives pourriez-vous prendre dans le domaine des migrations ?

Mme Colette Mélot. - Le covid-19 a mis à l'épreuve le programme de mobilité des jeunes européens. Il s'agissait pourtant d'un programme phare de l'Union, dont le budget venait d'être rehaussé. Je crains malheureusement qu'il soit difficile de trouver des solutions, mais je tenais à attirer votre attention sur ce point. La question de la mobilité avec le Royaume-Uni se pose également après le Brexit.

M. Jorge Torres-Pereira. - Le pilier social de notre présidence réservera une place très importante à la jeunesse. Nous voulons faciliter la mobilité des jeunes européens pour leur offrir davantage d'opportunités, notamment en termes d'emplois. Une meilleure reconnaissance professionnelle des qualifications entre les États membres constituerait une aide précieuse pour la liberté de circulation, de même qu'une meilleure collaboration entre universités. La mobilité des étudiants est en effet plus facile que celle des professeurs, qui ont peur d'interrompre leur progression de carrière en s'éloignant de leur pays.

Partisan de l'autonomie stratégique européenne, le Portugal est aux côtés de la France dans beaucoup d'initiatives concrètes en matière de défense, je pense notamment à l'initiative européenne d'intervention. Nous sommes présents au Sahel et prêts à assumer la responsabilité d'une réponse sécuritaire et de défense.

Les discussions se poursuivront au sein de l'Union sur les nouveaux moyens financiers dont nous nous sommes dotés pour assurer la croissance du secteur industriel de la défense européenne. Nous sommes évidemment intéressés par l'augmentation de nos atouts capacitaires, dans une perspective de complémentarité, et non de rivalité avec les États-Unis. Le Portugal est à la fois très engagé dans l'Europe de la défense et très attaché à l'Alliance atlantique comme pilier fondamental de la défense collective des Européens. Nous aimerions que le renouvellement de l'administration à Washington permette des relations plus étroites entre l'Union européenne et l'OTAN.

En matière d'immigration, la présidence allemande a essayé d'agir, mais elle a malheureusement échoué. Le nouveau paquet « Migration et asile » présenté par la Commission constitue un incroyable effort de synthèse des positions très divergentes des États membres. Si des dispositifs comme la blue card peuvent très certainement être conclus ce semestre, les pays les plus concernés par l'immigration ne veulent pas que le paquet soit « saucissonné ».

Une entente est toutefois en train de se dessiner sur la dimension extérieure du problème. Si nous arrivons à progresser dans les partenariats avec les pays d'immigration ou de transit, nous enclencherons peut-être une sorte de cercle vertueux avec les pays les plus réticents. Je ne suis pas très optimiste, mais nous allons essayer ! L'ambassadeur pour les migrations du Quai d'Orsay compare le paquet à une cathédrale gothique : si l'on déplace un peu trop les piliers, l'édifice devient instable... Nous devons travailler en ayant conscience de cette difficulté, en évitant de modifier à l'excès les équilibres complexes de la proposition de la Commission.

M. Jacques Fernique. - Je reste un peu sur ma faim en ce qui concerne le climat, le Mercosur et l'enjeu des ressources propres. Mais je voudrais surtout vous poser une autre question, Monsieur l'Ambassadeur. La crise du covid a accentué le déséquilibre déjà ancien entre Bruxelles et Strasbourg, qui n'est plus vraiment la capitale de la démocratie européenne. La présidence portugaise compte-t-elle laisser faire ou réagir ? Dans cette deuxième hypothèse, quelles actions comptez-vous mener ? Quels signaux forts entendez-vous adresser ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Monsieur l'Ambassadeur, vous reconnaissez le numérique comme lieu d'une transition essentielle et vecteur de compétitivité stratégique pour l'Europe, au même titre que la transition verte. L'Europe est toutefois très dépendante des plateformes américaines, dont l'utilisation des données soulève des questions éthiques et démocratiques. L'Europe a-t-elle l'ambition et la volonté d'inventer un nouveau modèle numérique plus en phase avec la transition écologique et ses valeurs ? Est-il possible de nous extraire de notre dépendance envers les Gafam et d'adopter une véritable stratégie de souveraineté numérique européenne ?

M. Jorge Torres-Pereira. - Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question sur Strasbourg, Monsieur le Sénateur. Évidemment, dès que la situation sanitaire le permettra, les travaux parlementaires reprendront normalement à Strasbourg, comme avant le covid.

J'espère que l'encadrement juridique des services numériques concernera aussi les plateformes et que nous irons vers une meilleure autonomie stratégique de l'Europe. Nous devons faire les efforts financiers nécessaires pour avoir une mobilité autonome, une informatique quantique et une intelligence artificielle européennes.

Les dépendances que nous avons identifiées lors de la crise sanitaire nous conduisent à vouloir opérer des changements, notamment pour les approvisionnements stratégiques. C'est bien compréhensible. Je ne crois pas toutefois que la constitution de « champions européens » soit une panacée. L'idée selon laquelle on ne peut combattre les grands conglomérats chinois ou américains qu'en créant des groupes aussi monolithiques en Europe est une erreur, me semble-t-il, et un risque pour la compétitivité. La richesse de l'innovation en Europe passe par ces réseaux complexes entre petites, moyennes, grandes entreprises et centres de recherche ou universités. C'est en consolidant ce modèle que nous gagnerons en crédibilité économique, et donc géopolitique.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous vous remercions pour vos réponses précises, Monsieur l'Ambassadeur, et vous adressons tous nos encouragements pour ce semestre de présidence portugaise, qui s'annonce aussi riche qu'incertain en raison de la crise sanitaire.

Nous sommes nombreux à partager vos inquiétudes sur le démarrage du système de ressources propres de l'Union. Pour la France, nous espérons que le projet de loi autorisant l'approbation de la décision du Conseil du 14 décembre 2020, examiné la semaine dernière à l'Assemblée nationale et la semaine prochaine au Sénat, sera adopté au plus vite.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 9 h 45.