Jeudi 28 janvier 2021

Étude sur le logement dans les outre-mer - Audition de Mmes Emmanuelle Cosse, présidente, Marianne Louis, directrice générale, et M. Mahieddine Hedli, directeur à l'outre-mer, de l'Union sociale de l'habitat (USH)

M. Stéphane Artano, président. - Chers collègues, la délégation sénatoriale aux outre-mer poursuit ce matin, dans le cadre de son programme de travail de l'année 2021, ses auditions sur le logement dans les outre-mer dont les rapporteurs sont Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel.

En ouverture de cette matinée d'entretiens, nous accueillons Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable entre 2016 et 2017 et qui est depuis novembre 2020 présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH), organisation qui fédère toutes les familles de bailleurs sociaux, soit environ 700 organismes.

Je vous remercie, Madame la présidente, d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes accompagnée de Mme Marianne Louis, directrice générale, et de M. Mahieddine Hedli, directeur à l'outre-mer.

L'étude que nous engageons comporte plusieurs volets sur lesquels nos trois rapporteurs attendent vos éclairages sur la base de la trame qui vous a été transmise.

À titre liminaire, je rappellerai que notre réflexion s'inscrit dans une problématique d'adaptation et de prise en compte des spécificités ultramarines, en vue de parvenir à des politiques du logement plus efficaces au niveau local.

En dépit des efforts déployés ces dernières années et de l'adoption de deux plans logement outre-mer (PLOM) en 2015 et 2019, la Cour des comptes a pointé dans un récent rapport les difficultés des acteurs privés et publics à répondre à la demande, notamment de logements locatifs sociaux et très sociaux, et, plus généralement, à améliorer les conditions de logement outre-mer. J'indique d'ores et déjà à nos collègues que nous entendrons les auteurs de ce rapport la semaine prochaine, le 4 février, audition qui sera retransmise en direct et en VOD sur le site du Sénat.

À l'heure où la perspective du projet de loi « 4D » semble s'éloigner, il nous paraît indispensable d'insister sur la nécessité de renforcer les experts et acteurs de terrain, qui oeuvrent déjà dans le sens de la différenciation et de la territorialisation, face à des besoins qui sont immenses.

Parmi les nombreux défis de 2021 figure l'adaptation à la nouvelle réglementation environnementale qui va profondément modifier les modes de construction.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - J'aimerais que vous nous expliquiez comment sont représentés les OLS (organismes de logement social) en France et en particulier ceux des outre-mer.

Concernant le conflit qui vous oppose à l'USHOM (Union sociale pour l'habitat en outre-mer), dans une lettre du 4 décembre 2020, vous précisez que le « sujet est le fonctionnement actuel de l'USHOM qui entretient depuis trois ans et sans fondement une relation conflictuelle avec l'USH ». Quel est l'état du contentieux avec cet organisme ? Quelles sont les activités de la mission outre-mer de l'USH et en quoi se distinguent-elles de celles de l'USHOM ?

Pourriez-vous nous expliquer l'écart, si tant est qu'il soit fondé, entre la dotation des associations régionales de l'Hexagone, à hauteur de près de 406 000 euros, et celle de l'USHOM qui s'établit à 170 000 euros ? Comment pouvez-vous expliquer que l'USHOM ait supporté 57 % de l'économie à réaliser sur l'action professionnelle ?

Sur le sujet de la construction de logements sociaux en outre-mer, comment combler le retard et accroître l'offre de logements locatifs très sociaux (LLTS) ? Pourriez-vous nous donner votre vision de la crise du logement en outre-mer ?

S'agissant de vos activités de gestion des logements sociaux, comment faites-vous face aux problèmes d'impayés de loyer ? Que préconisez-vous pour maintenir la mixité à travers une offre diversifiée de logements ?

Par ailleurs, quelle appréciation portez-vous globalement sur la politique de l'État en matière de logement social depuis le premier PLOM ? Et comment voyez-vous l'engagement du deuxième PLOM depuis 2019 ?

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Malgré les recommandations du rapport de la délégation sénatoriale sur ce sujet, l'adaptation des normes du BTP aux contextes ultramarins reste insuffisante. Quelles dispositions juridiques faudrait-il modifier pour poursuivre ce travail d'adaptation ? Quelles seraient les simplifications susceptibles d'amplifier vos activités ? L'obligation de quotas en matière de LLTS (Logements locatifs très sociaux) ne freine-t-elle pas les programmes de construction d'autres types de logements ?

Le prix de revient moyen d'un logement social en construction directe est estimé à 163 000 euros dans les DROM et à 145 000 euros dans l'Hexagone. Pouvez-vous décomposer les prix de construction et préciser les postes de dépenses où des diminutions de coûts seraient possibles ?

Quelles mesures incitatives faudrait-il prendre, selon vous, pour faciliter davantage le recours à des matériaux locaux dans les constructions de logements outre-mer (bois, bambous, gabions) ?

Par ailleurs, avez-vous connaissance d'adaptations de normes réussies dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie qui pourraient être transposées dans les autres territoires d'outre-mer ?

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Les outre-mer peuvent se révéler un laboratoire d'innovations pour adapter l'architecture des logements aux risques naturels de chaque territoire et au réchauffement climatique. Quelles sont vos propositions en ce domaine ?

Quelles sont vos actions en matière d'accompagnement à la rénovation énergétique des logements sociaux en outre-mer ?

Quelles initiatives proposez-vous pour développer l'habitat vernaculaire et encourager des modes nouveaux de construction tels que l'autoconstruction ou l'autofinition ? Seriez-vous prêts à participer à des Assises de la construction ultramarine ?

Certains territoires ultramarins font face à un vieillissement de leur population, voire à un dépeuplement (Martinique). Comment prenez-vous en compte dans vos actions ces évolutions démographiques et notamment la problématique de la dépendance ?

Mme Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale de l'habitat (USH). - Je vous remercie de nous donner la possibilité d'aborder ces sujets. La question du logement dans l'ensemble des territoires d'outre-mer est extrêmement complexe et les besoins sont immenses.

L'USH est une confédération de cinq fédérations d'HLM : la fédération des entreprises sociales pour l'habitat, la fédération des offices HLM, la fédération des coopératives HLM, la fédération des associations régionales et le réseau Procivis. Cette confédération réunit 630 organismes HLM, 12 000 administrateurs bénévoles et 82 000 salariés. Cela représente un patrimoine de 5 millions de logements, dont 4,3 millions de logements locatifs et 0,3 million de logements-foyers. Une partie des logements HLM est gérée par les EPL (Entreprises Publiques Locales). On estime que ces 5 millions de logements hébergent un peu plus de 10 millions de personnes.

L'ensemble des organismes HLM adhère à une fédération qui elle-même est membre de la confédération de l'USH. Les fédérations apportent des services particuliers liés aux différentes familles d'HLM. L'USH porte tous les sujets qui ont trait à l'ensemble du secteur HLM, dont la relation avec les pouvoirs publics, les questions réglementaires et législatives, les enjeux professionnels et l'accompagnement des réformes. Nous essayons de faire comprendre aux pouvoirs publics qu'il est nécessaire d'associer les territoires dans la mise en oeuvre des attributions de logements sociaux.

Depuis la création de l'USH, il y a toujours eu une représentation outre-mer un peu différente. Pour des questions d'éloignement et de nécessité de pouvoir interagir facilement localement, l'impossibilité d'une association régionale a été actée. La représentation est donc un peu plus déconcentrée.

Jusqu'à il y a quelques années, les relations entre l'USH et l'USHOM étaient très bonnes. Aujourd'hui, en effet, il existe un conflit interne à notre confédération. Par volonté de transparence, je me suis sentie dans l'obligation de vous informer de mon point de vue, ayant été par ailleurs personnellement mise en cause. Un conflit pénal à l'initiative de l'USHOM contre l'USH est en cours. Ce conflit tient au fait que depuis trois ans, nous n'avons pas obtenu les comptes rendus d'activité nécessaires au versement des subventions entre l'USH et l'USHOM. Or, nous avons l'obligation d'entretenir des relations extrêmement claires avec l'USHOM puisque l'USH a signé une convention avec l'État et la Caisse de garantie du logement locatif social qui nous soumet à des contrôles importants, notamment celui de la Cour des comptes.

Chaque association régionale bénéficie d'une dotation de l'USH établie en fonction du nombre total de logements (1,16 euro par logement). La subvention est doublée pour l'association régionale : il y a beaucoup moins de logements, mais cela s'explique par la nécessité de pouvoir aider cette structure.

Aujourd'hui, nous sommes face à un dissensus que je déplore. J'ai proposé à plusieurs reprises de dialoguer pour que l'USH puisse continuer à porter une politique et une action outre-mer. Une des grandes actions de notre union concerne la formation professionnelle auprès de nos organismes. La réforme extrêmement complexe des attributions nécessitera par exemple un nombre important de formations au sein de nos organismes.

Nous devons également pouvoir porter l'ensemble des sujets des AMI (Appel à manifestation d'intérêt), des projets à l'innovation et les autres points sur lesquels les territoires nous demandent de l'aide.

Lorsque je discute avec les différents ministères du Plan de relance ou avec la Caisse des Dépôts de nouvelles possibilités de financement, j'aborde toujours le sujet du territoire métropolitain et des outre-mer. Ce n'est pas toujours le cas de mes interlocuteurs et je le regrette. Il y a certes des actions ciblées, mais les enveloppes prévues devraient être suffisantes pour traiter tous les dossiers prévus sur 2021-2022.

Une des actions très fortes portées par l'USH s'incarne dans notre présence au Conseil d'administration de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) où nous défendons le point de vue des bailleurs. Nous avons ainsi demandé un renforcement du budget de l'ANRU à hauteur de 2 milliards d'euros pour financer l'ensemble des projets.

J'espère trouver une solution à ce conflit préjudiciable pour les organismes HLM. Pour cela, il faudrait arrêter les conflits judiciaires qui n'ont pas lieu d'être.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Concernant le financement de l'USHOM, nous confirmez-vous qu'il est proportionnel au nombre de logements ? Ce n'est pourtant pas ce qui a été porté à notre connaissance. Le financement comprendrait un forfait de 135 000 euros, plus une somme liée au nombre de logements. Leur nombre total serait non pas de 57 000 logements, ce que conteste l'USHOM, mais de 166 000 logements. En outre, la dotation a été diminuée dans de plus grandes proportions pour l'USHOM que pour d'autres associations ; cette dernière aurait supporté 57 % de la baisse.

Nous confirmez-vous le mode de calcul de la dotation, à savoir une base forfaitaire et une part variable liée au nombre de logements, soit environ 1,16 euro par logement ? Le coeur du conflit réside en effet dans le financement de l'USHOM qui aurait subi une baisse plus que proportionnelle à sa dotation.

Mme Emmanuelle Cosse. - Je vais laisser la directrice régionale répondre. Je suis ravie que vous examiniez avec autant de précision l'organisation de notre compte professionnel au niveau de la fédération et j'espère que vous le ferez également pour l'ensemble des structures sur le logement et notamment les EPL.

Mme Marianne Louis, directrice générale de l'Union sociale de l'habitat (USH). - Ce sujet s'étend sur plusieurs années et doit être replacé dans son contexte. Vous nous demandez si la dotation aux associations régionales est systématiquement de 1,16 euro. Or l'USHOM n'est pas adhérente à la Fédération nationale des associations régionales, car elle ne l'a pas souhaité. M. Denis Rambaud, président de la Fédération nationale des associations régionales, a pourtant entrepris plusieurs démarches en direction de l'USHOM qui a exprimé son souhait de rester dans un dispositif spécifique. Par ailleurs, l'USH ne finance pas directement les associations régionales, elle verse une dotation à l'action régionale. Cette dotation est de l'ordre de 5 millions d'euros, ce qui, proratisé, revient à 1,16 euro par logement.

Dans cette fédération des associations régionales, chaque association définit ses propres règles. Cela peut amener certains territoires à bénéficier de plus de 1,16 euro par logement et d'autres moins. Je ne peux pas m'engager précisément sur les pondérations effectuées.

L'USH verse à la Fédération nationale des associations régionales 5 millions d'euros pour environ 4,3 millions de logements locatifs sociaux. Compte tenu de leur nombre en outre-mer, ce montant s'établit pour ces territoires autour de 70 000 euros.

Par ailleurs, le sujet des SEM (sociétés d'économie mixte) est très clairement tranché. La fédération des SEM n'est pas adhérente à l'USH. Il n'y a donc aucune raison que nous cotisions auprès de nos associations régionales ou des représentations territoriales pour assurer la représentation des SEM. Elles bénéficient de leurs propres dispositifs de financement, associations et modes de représentation.

Vous évoquez la question de la baisse de la dotation à l'USHOM ces dernières années. M. Mahieddine Hedli était salarié de l'USH et de l'USHOM et mis à disposition de cette dernière en tant que directeur, sur un peu moins d'un mi-temps. Il est parti en mission en Polynésie pour trois ans et l'USHOM a recruté une directrice pour le remplacer. Nous sommes alors convenus avec l'USHOM que nous augmenterions la dotation pour couvrir le salaire de la directrice pour la part que nous ne couvrions plus par le système précédemment adopté.

Deux autres salariées de l'USH étaient également mises à disposition de l'USHOM avec un système de refacturation. Elles se sont retrouvées en risque psychosocial. J'ai reçu des courriers de la médecine du travail me demandant de les changer de direction, ce que j'ai fait. J'ai considéré dès lors que je n'avais plus vocation à compenser la rémunération de ces collaboratrices : la dotation a donc baissé.

Concernant la CGLLS (Caisse de Garantie du Logement Locatif Social), l'USH bénéficie d'une convention avec l'État pour un montant annuel d'environ 10 millions d'euros. Il n'y a rien de fléché dans cette convention en direction des outre-mer. Cette convention couvre l'ensemble des champs d'action professionnelle. La possibilité pour la CGLLS de financer l'accompagnement professionnel des organismes via les fédérations professionnelles est reconnue dans le Code de la construction et de l'habitation. La fédération des EPL bénéficie également d'un financement de la CGLLS, ce qui justifie encore davantage que nous ne prenions pas en compte les logements des EPL.

Mme Emmanuelle Cosse. - Je me permets de rappeler que l'ensemble des organismes HLM cotise à la CGLLS et que la cotisation est basée sur le nombre de logements. Ce ne sont pas les structures HLM qui cotisent, mais bien les entreprises. Cela nous permet aujourd'hui de suivre les organismes en difficulté, d'établir des plans de suivi de ces difficultés et d'obtenir des accompagnements pour la mise en oeuvre de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, ou loi ÉLAN.

Le retard de construction outre-mer concerne tout à la fois les logements locatifs sociaux que les opérations d'accession sociale à la propriété. Nous n'avons, effectivement, pas une offre suffisante au regard des besoins exprimés. 80 % des habitants de ces territoires seraient éligibles au logement social, voire très social. Aujourd'hui, nous produisons des logements sociaux beaucoup trop chers par rapport aux capacités financières des locataires.

Le premier et le deuxième PLOM portaient des objectifs de production (10 000 logements dans le premier PLOM). La loi sur l'égalité réelle outre-mer évoquait 15 000 logements par an. En 2019, nous avons toutefois produit seulement 4 279 logements locatifs.

Les opérateurs font face à des difficultés pour produire massivement et à des prix de sortie plus faibles. Je souhaite que les aides à la pierre soient augmentées et les critères d'attribution révisés. Par ailleurs, les financements des opérations spécifiques (logements pour les jeunes, résidences « autonomie » pour les personnes âgées, etc.) ne sont pas suffisants.

Grâce au travail des parlementaires depuis plusieurs années, la LBU (ligne budgétaire unique) est dotée. Pourtant, nous n'arrivons pas à la consommer intégralement. L'utilisation des crédits de l'ANAH (Agence nationale de l'habitat) pourrait également être simplifiée dans les opérations d'outre-mer : nous faisons face à beaucoup d'opérations de lutte contre l'habitat insalubre en favorisant sa résorption et sa transformation en logement social.

Les retards de construction constituent par ailleurs un vrai sujet. Nous avons par exemple dû livrer des logements sociaux où les raccordements aux réseaux n'avaient pas été faits.

Des établissements publics d'aménagement sont présents sur l'ensemble de ces territoires ou presque, mais doivent s'investir davantage dans la construction. Le portage foncier effectué par les établissements publics d'aménagement devrait être renforcé.

Sur le maintien de la mixité sociale, vous avez évoqué les questions des impayés et de la disponibilité des fonciers aménagés. Nous pensons que la programmation d'opérations d'aménagements fonciers urbains au titre du Fonds Régional d'Aménagement Foncier et Urbain (FRAFU) devrait être relancée et sa gouvernance renforcée. C'est le cas dans certains territoires, mais pas dans tous.

Nous-mêmes sommes sollicités par l'État pour aider à l'implantation de plus d'opérateurs HLM.

Il nous a été demandé, avec Action Logement, de soutenir la création d'opérateurs à Mayotte, ce que nous faisons tous les jours. Nos salariés doivent par ailleurs pouvoir bénéficier de formations sur l'ensemble des évolutions réglementaires et l'innovation sociale.

Avec la crise du Covid, nous faisons face à une difficulté importante sur les impayés. Leur augmentation à l'échelle métropolitaine n'est pas encore massive, car une partie de nos publics est déjà très soutenue. Cette question se pose toutefois à plus long terme. Nous avons engagé une première charte de travail et nous avons demandé aux organismes HLM de la décliner localement. À chaque début d'impayés, les organismes HLM rencontrent le public concerné. Avec la crise apparaissent de nouveaux publics qui ne connaissent pas les systèmes d'aides.

Concernant mon appréciation de la politique de l'État en matière de logement social depuis le premier PLOM, la sauvegarde dans le budget de l'État de la LBU me semble essentielle. Comme cette ligne budgétaire est portée par le ministère des outre-mer, je trouve dommage que le ministère du Logement et ses administrations soient de fait moins présents sur la question du logement en outre-mer.

Sur la question des enjeux de réglementation environnementale, nous sommes en pleine négociation avec le ministère de la transition écologique sur la RE 2020. Pour l'instant, je n'ai pas entendu un seul mot sur l'adaptation aux outre-mer. Cette réglementation ne me semble pour le moment pas du tout en adéquation avec l'ambition portée. Des objectifs sont fixés sans connaissance des capacités réelles. Par exemple nous ignorons si les équipements de chauffage permettront de répondre à cette réglementation.

Cette réglementation ne peut pas, à mon sens, être dupliquée telle quelle dans les outre-mer : les besoins pour répondre aux enjeux des dérèglements climatiques ne sont pas les mêmes.

Je trouve très bien que le PLOM existe, mais le manque de dynamisme est réel. La programmation ACV (Action coeur de ville) a permis certes d'aider beaucoup de territoires, mais les projets ANRU ont pris du retard, notamment pour des questions techniques d'ingénierie.

S'agissant des normes de construction, l'utilisation des matériaux biosourcés n'est pas envisageable de la même manière sur tous les territoires. Nous devons également trouver un juste milieu entre le respect des normes et les savoir-faire locaux : la réglementation doit leur faire une place.

Nous faisons également face à de grosses difficultés d'importation de matériaux. Ne pourrait-on pas restructurer les filières des territoires par rapport à leurs environnements géographiques ?

Concernant l'incidence des quotas des LLTS sur la production de logements sociaux, nous rencontrons aujourd'hui des difficultés à atteindre l'équilibre entre les recettes et les dépenses induites. J'attire votre attention sur le fait que la réforme fiscale aura un impact, notamment la TFPB (Taxe foncière sur les propriétés bâties). Les territoires qui acceptent du logement social ne sont pas soutenus fiscalement alors même que beaucoup de ces collectivités ont très peu de ressources. La faiblesse de la ressource fiscale attendue est réellement un frein à la construction de logements sociaux.

Sur la question du prix de revient d'un logement, nous estimons que dans les DROM, le surcoût pour la construction neuve par rapport à l'Hexagone est de l'ordre de 15 à 20 %. De très fortes disparités existent entre les territoires, y compris selon la manière dont le foncier a été acquis. Dans les territoires où le foncier fait l'objet de surenchère, le surcoût est bien plus élevé. De très fortes disparités sur le montant des prestations et des honoraires existent également. Nous estimons que le coût de la construction représente 65 % du prix total.

Sur ce point, nous pourrions améliorer la maîtrise foncière, peut-être grâce à des conventions plus audacieuses de la part des EPA (Établissements Publics d'Aménagement) présents sur les territoires. La question du coût des matériaux est un sujet récurrent, notamment celui du ciment à La Réunion. Développer par exemple des filières de construction basées davantage sur les savoir-faire locaux ne permettra pas de répondre à tout, mais permettrait de baisser la pression financière et de revaloriser les métiers locaux.

Sur la question du recours à des matériaux locaux, parmi les initiatives existantes, le pin des Caraïbes a récemment été utilisé en Polynésie française. Ce projet intéressant a été soutenu par le PACTE (Programme d'action pour la qualité de la construction et de la transition énergétique). Pour mener à bien ce projet, il convient de s'appuyer sur une filière bois industrielle, qui n'est pas toujours présente, et d'obtenir le suivi de la certification.

Le sujet de l'adaptation de l'architecture aux risques naturels est évident. Il s'agit de retrouver des modes constructifs qui s'appuient davantage sur la mémoire et permettent également de répondre aux risques climatiques. Pour la prévention des risques, nous pouvons nous appuyer sur les savoir-faire locaux. Ces prestations engendrent cependant des surcoûts et nous manquons d'opérateurs pour conduire ces opérations.

Concernant l'accompagnement de la rénovation énergétique, nous relayons les besoins de financement et accompagnons les opérateurs pour répondre aux AMI (Appel à manifestation d'intérêt). C'est le cas actuellement avec les 500 millions d'euros du Plan de relance qui sont prévus pour les logements sociaux, avec cependant de nombreuses exceptions. L'objectif du Plan de relance est d'accélérer les opérations de logements sociaux. Cette subvention permettra de baisser l'enveloppe financière globale, de réduire nos prêts, mais surtout d'éviter d'augmenter les loyers. Nous déplorons cependant que le Plan de relance ne prévoie pas d'aide à la production. La démolition de parcelles peut s'avérer nécessaire mais leur coût carbone doit être pris en compte.

Si elles se tiennent, nous sommes prêts à participer aux Assises de la construction ultramarine.

Vous avez évoqué les habitats légers et vernaculaires. Des expérimentations ont été menées. Je ne suis pas en mesure de vous dire si elles pourraient être massifiées.

La question du vieillissement est une problématique pour l'ensemble des bailleurs sociaux. Nous estimons que plus de 25 % de nos locataires ont plus de 70 ans. Nous devons développer des résidences autonomie pour personnes âgées avec des loyers minorés dans certains secteurs. Des financements spécifiques, comme le PIV (Plan d'investissement volontaire) d'Action Logement, pourraient être utilisés pour financer des foyers seniors.

Par ailleurs, une partie des locataires ne séjourneront jamais dans des établissements spécialisés. L'enjeu est donc de développer des services internalisés ou des services d'aide à domicile extérieurs pour mettre en oeuvre un accompagnement particulier des locataires âgés.

Mme Marianne Louis. - Nous bénéficions d'une convention avec la CNAV (Caisse nationale d'assurance vieillesse) pour accompagner les bailleurs dans l'adaptation au vieillissement. La convention a malheureusement été négociée dans un contexte difficile et la CNAV n'a pas décliné la convention outre-mer. Cela fait partie des priorités du travail de M. Mahieddine Hedli.

Mme Emmanuelle Cosse. - Nous profitons parfois des financements de programmes innovants grâce à des accords avec des caisses de retraite spécifiques et nous voulons développer ces programmes dans les territoires d'outre-mer.

Mme Marianne Louis. - Nous souhaiterions vous faire parvenir une réponse écrite. Nous n'avons pas eu le temps d'évoquer certains sujets qui nous semblent intéressants comme l'ACV, l'ANRU et les Assises de la construction. Nous sommes persuadés par exemple que nous pourrions importer en métropole le savoir-faire des outre-mer concernant le confort d'été qui nous permettrait de faire face aux enjeux de la RE 2020.

M. Mahieddine Hedli, directeur à l'outre-mer de l'Union sociale de l'habitat (USH). - Tous les sujets abordés par Mme Emmanuelle Cosse ont été étudiés et capitalisés du point de vue de la remontée d'expériences. Nous sommes disponibles pour vous fournir une note relevant toutes les expériences sur les différents sujets que vous avez notés, leurs enjeux et des propositions afin que votre rapport puisse nous aider collectivement à faire avancer la question du logement en outre-mer.

M. Stéphane Artano, président. - Je vous invite à nous transmettre les contributions que vous jugeriez utiles.

M. Maurice Antiste. - J'aimerais que vous nous disiez, madame la ministre, si le conflit qui oppose l'USHOM à l'USH n'est pas un facteur handicapant. Comment voyez-vous une sortie à cette crise ?

Mme Emmanuelle Cosse. - Ce n'est pas handicapant, car je suis en contact régulier avec les organismes HLM. J'ai remis en place une direction outre-mer à l'USH. Je vais par ailleurs me rendre dans tous les territoires outre-mer afin d'échanger avec les élus locaux.

Je ne peux pas en dire plus sur ce conflit aujourd'hui puisque cette structure a décidé d'intenter une action judiciaire envers ma personne et mes salariés.

Nous sommes à votre service pour revenir sur d'autres sujets. Le débat doit se poursuivre pour parvenir à des solutions qui viendront, il me semble, davantage des territoires et des professionnels que des discussions à Paris.

M. Stéphane Artano, président. - Je vous propose de clôturer cette première heure d'audition.

Audition de MM. Nicolas Bonnet, directeur gouvernance et territoires, et Ibrahima Dia, en charge des outre-mer, d'Action Logement

M. Stéphane Artano, président. - Nous poursuivons nos auditions sur le logement dans les outre-mer en accueillant à présent M. Nicolas Bonnet, directeur gouvernance et territoires d'Action Logement, organisme important du logement social et intermédiaire en France. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

À travers ses activités d'aides financières facilitant l'accès au logement et de financement de logements sociaux et intermédiaires, votre organisme contribue aux enjeux de mise en oeuvre de la politique du logement et d'adaptation de l'habitat, sur lesquels nos rapporteurs souhaitent notamment vous interroger.

Lors de votre audition par notre délégation en mai 2020, dans le cadre de la préparation de son rapport sur l'urgence économique outre-mer, vous nous aviez indiqué qu'Action Logement était extrêmement attentive à sa présence et à sa représentation dans l'ensemble des territoires. C'est la raison pour laquelle vous disposez de relais dans les cinq départements ultramarins au travers de comités territoriaux qui signalent les difficultés ou les forces et faiblesses des territoires.

Par ailleurs, vous avez engagé, avant la crise sanitaire, une démarche volontariste d'investissements dans les outre-mer.

Notre étude s'inscrit dans une problématique de prise en compte des spécificités ultramarines, en vue de parvenir à des politiques de logement plus efficaces au niveau local. Votre diagnostic et votre expérience dans ce domaine nous intéressent tout particulièrement.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Dans le cadre de son Plan d'investissement volontaire (PIV), Action Logement a prévu une enveloppe de 1,5 milliard d'euros pour les outre-mer. Pourriez-vous nous présenter votre diagnostic sur chaque territoire, les priorités retenues et l'état d'avancement du plan ? Vous avez prévu 250 millions d'euros de subventions à la démolition de logements sociaux en zone B2 et dans les programmes d'Action Coeur de Ville (ACV). Il semblerait que la Guadeloupe, pourtant en zone B, n'en soit pas bénéficiaire. Pouvez-vous, si cela est vrai, nous expliquer pourquoi ? Je souhaiterais des précisions également concernant la liste des subventions du PIV en métropole et dans les outre-mer. Nous ne serions éligibles que pour les douches pour lesquelles nous serions limités à 200 par an en outre-mer. Est-ce exact et comment justifier ce chiffre ? Enfin, pourquoi la problématique de l'amiante n'a-t-elle pas été prise en compte dans vos subventions ?

Vous connaissez le conflit qui oppose l'USH et l'USHOM. Quelle est votre position et soutenez-vous une représentation spécifique pour les outre-mer ?

Comment peut-on, selon vous, combler le retard dans l'offre de logements sociaux en outre-mer (80 % d'ayants droit au logement social en outre-mer mais seulement 15 % des ménages hébergés dans des logements sociaux) ? Comment accroître l'offre de logements locatifs très sociaux (LLTS), qui ne représente actuellement en outre-mer que le tiers des logements locatifs sociaux ?

Globalement, quelle appréciation portez-vous sur la politique de l'État en matière de logement social depuis le premier PLOM ?

Comment contribuez-vous à la résorption de l'habitat indigne, notamment dans le cadre des opérations de réhabilitation de l'habitat insalubre (RHI) ?

Vous êtes un financeur important du programme Action Coeur de Ville (ACV). Comment permettre la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs pour lutter contre le dépeuplement des centres ? Quel équilibre trouvez-vous entre réhabilitation du parc existant et construction de nouveaux logements ? Que préconisez-vous pour maintenir la mixité à travers une offre diversifiée de logements ?

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Malgré les recommandations du rapport de la délégation sénatoriale sur ce sujet, l'adaptation des normes du BTP aux contextes ultramarins reste insuffisante. Quelles dispositions juridiques faudrait-il modifier pour poursuivre ce travail d'adaptation ? L'obligation de quotas en matière de LLTS ne freine-t-elle pas dans certains territoires les programmes de construction d'autres types de logement ?

Le prix de revient moyen d'un logement social en construction directe est estimé à 163 000 euros dans les DROM et à 145 000 euros dans l'Hexagone. Pouvez-vous décomposer les prix de construction et les postes de dépenses où des diminutions de coûts seraient possibles ?

Quelles mesures incitatives faudrait-il prendre, selon vous, pour faciliter davantage le recours à des matériaux locaux dans les constructions de logements outre-mer (bois, bambous, gabions) ?

Quels sont les freins à lever, notamment en matière de réglementation européenne, pour permettre des équivalences entre les produits de construction locaux ou régionaux et les produits certifiés « Conformité Européenne » (CE) ?

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Les outre-mer peuvent se révéler un laboratoire d'innovations pour adapter l'architecture des logements aux risques naturels de chaque territoire et au réchauffement climatique. Quelles sont vos propositions en ce domaine ? Comment promouvoir le développement de l'habitat vernaculaire ?

Quelles sont vos actions en matière d'accompagnement à la rénovation énergétique des logements sociaux en outre-mer ? Développez-vous des expérimentations sur l'habitat léger ?

Pensez-vous que des Assises de la construction ultramarines seraient utiles ? Quels pourraient en être le format, les participants et les objectifs ?

Si Mayotte et la Guyane figurent parmi les territoires les plus jeunes de France, d'autres font face à un vieillissement de leur population, voire à un dépeuplement (Martinique). Comment prenez-vous en compte ces évolutions démographiques et notamment la progression du vieillissement et de la dépendance dans vos actions ?

M. Nicolas Bonnet, directeur gouvernance et territoire d'Action Logement. - Merci de votre invitation, je suis très sensible à cette intervention devant la Chambre Haute qui est aussi celle des collectivités locales. Notre volonté réaffirmée est de travailler très étroitement avec les territoires ultramarins et avec leurs élus.

Pour répondre sur la façon dont nous allons déployer de façon encore plus volontariste le PIV outre-mer, je rappellerai d'abord que les partenaires sociaux ont décidé de porter un plan d'investissement de long terme de 9 milliards d'euros. Il comprend des mesures qui s'appliquent à tous les territoires hexagonaux et ultramarins avec une enveloppe spécifique supplémentaire de 1,5 milliard d'euros pour les cinq départements ultramarins sur lesquels nous intervenons. Il n'y a pas de mesure applicable sur l'Hexagone qui ne le soit en outre-mer. Les seules limites sont des contraintes techniques. La situation actuelle ne nous a pas permis pour l'instant de déployer les aides aux personnes physiques sur les territoires de la Guyane et de Mayotte. Il s'agit notamment des mesures d'accompagnement au prêt à taux zéro, afin d'aider les ménages à régulariser leurs constructions et finir leurs logements.

Concernant le sujet de la démolition des logements sociaux, nous disposons d'une enveloppe substantielle pour l'accompagner. Elle concerne les territoires sur lesquels l'offre serait surabondante par rapport à la demande et/ou insuffisamment adaptée, et où le coût de réhabilitation des logements serait beaucoup plus lourd que celui de la construction neuve. Nous avons financé des opérations de démolition sur les territoires ultramarins pour un peu plus de 1 milliard d'euros. Nous allons lancer un deuxième appel à manifestation d'intérêt (AMI) auprès des bailleurs sociaux afin de continuer à les accompagner sur la démolition.

L'important pour nous était de nous rendre sur chacun des territoires et de constater l'état des besoins afin de déployer une enveloppe de 1,5 milliard d'euros.

En Guyane, l'économie est essentiellement liée à la fonction publique et dans une faible proportion au tertiaire avec la forte prédominance du Centre spatial de Kourou. L'agriculture reste à structurer. Les besoins en logements sont très forts : autour de 4 500 à 5 500 logements à construire par an. Beaucoup d'habitats informels se sont développés, faute d'offre de logements. L'enjeu est donc d'accélérer la construction de logements, notamment très sociaux, sur tout le territoire de la Guyane et avec une attention particulière pour accompagner la rénovation des centres-villes et centres-bourgs. Le déploiement dans quelques semaines d'une offre de prêt à taux zéro pour les propriétaires constitue un deuxième axe fort.

En Guadeloupe, on estime à plus de 15 000 le nombre de logements manquants. La production de logements sociaux et très sociaux doit être accélérée. Il faut par ailleurs porter un effort de réhabilitation majeur sur les habitats insalubres. Les contraintes climatiques entraînent une moindre durabilité des logements avec des réhabilitations moyennes tous les cinq et huit ans sur les territoires ultramarins.

À la Martinique, la réhabilitation des centres-villes et centres-bourgs est un sujet majeur. De nombreux bâtiments sont désertés. Cette réhabilitation doit également permettre aux jeunes d'être à proximité des lieux de travail et de faciliter leur accès à l'emploi.

À La Réunion, l'effort de réhabilitation doit être porté sur la résorption de l'habitat insalubre. Nous devons également développer une offre en logements intermédiaires.

À Mayotte, les besoins en logements sociaux sont colossaux. L'évolution des logements informels se poursuit avec une problématique de gestion du foncier. Nous avons discuté avec le préfet, M. Jean-François Colombet, des problématiques d'adduction d'eau et des capacités à éviter la pollution de l'île sur un écosystème fragile. Les Mahorais aspirent à la propriété. Nous souhaitons les accompagner grâce à une offre en accession très sociale à la propriété. Notre offre doit correspondre à un besoin du territoire.

Le PIV spécifique outre-mer a permis, en cette première année de déploiement, d'investir 320 millions d'euros, avec un effet de levier multiplié par trois, correspondant à 950 millions d'euros d'investissements. Cela concerne 185 opérations financées, soit plus de 10 000 logements et plus de 15 fois notre financement habituel sur les territoires ultramarins. L'investissement a été plus poussé sur les territoires de la Guadeloupe et de la Guyane. Nous l'avions lancé sur l'arc Antilles et Guyane et devions l'inaugurer sur les territoires de La Réunion et de Mayotte. Avec la crise du Covid, cela a dû être repoussé.

Ce déploiement doit être effectué en lien étroit avec les collectivités locales. Nous souhaitons travailler de plus en plus dans le cadre de conventions-cadres de territoire avec les grands bassins d'emploi et les grands élus des territoires. Le logement doit s'intégrer dans un processus global d'aménagement du territoire intégrant notamment les problématiques du centre-ville. Sur les 320 millions d'euros d'investissements, 180 millions d'euros ont concerné des centres-villes et des centres-bourgs et notamment les quinze communes labellisées Action Coeur de Ville.

S'agissant des problématiques de coûts de construction et de normes, celle des normes est récurrente. La Fédération régionale du bâtiment de La Réunion porte d'ailleurs actuellement un projet d'évolution des normes. La loi devrait nous laisser les moyens de les adapter localement pour construire mieux et plus vite en tenant compte des coûts de construction et de la capacité à obtenir des produits de construction plus en lien avec les besoins. Les territoires de l'océan Indien par exemple sont plutôt un bassin de construction anglo-saxon. Nous pourrions très bien imaginer utiliser des produits venant d'Australie ou d'Afrique du Sud qui sont certainement d'aussi bonne qualité que les produits certifiés Communauté européenne (CE) ou Afnor (Association française de normalisation). Le sujet de la réglementation est lié à celui des assurances. Elles doivent pouvoir valider la capacité de maintenir les assurances dommages-ouvrage liées à l'utilisation de produits qui ne seraient pas forcément certifiés Afnor et pour lesquels nous aurions une dérogation.

Une enveloppe de 50 millions d'euros sur le montant de 1,5 milliard d'euros est dédiée à l'expérimentation et l'innovation. Nous sommes volontaires pour tester sur un territoire de nouvelles normes ou de nouveaux procédés constructifs. Au lieu de grandes annonces, je préfère que l'on agisse. Si cela ne fonctionne pas, nous réfléchirons alors à restructurer et adapter ces actions.

L'inflation du coût des matières premières a fait grimper les coûts de construction. À La Réunion, le prix de revient moyen d'un logement social frôle les 185 000 euros en raison du coût du foncier. Le travail étroit avec les collectivités locales doit nous permettre de nous projeter dans une vision d'un foncier aménagé sur les territoires.

Par ailleurs, les normes ne sont pas toujours adaptées à la réalité des territoires. À La Réunion, les terrains sont extrêmement pentus. La pente progressive demandée par la réglementation relative aux personnes à mobilité réduite n'est pas toujours compatible avec la pente naturelle du terrain, ce qui renchérit le coût de construction.

La fragilité de l'écosystème local de la construction peut également venir peser sur le coût de construction. Les entrepreneurs majeurs répondent sur les grandes opérations de plus de cinquante logements. Les petites entreprises n'ont pas forcément les moyens financiers et humains pour prendre en charge les chantiers de moindre importance. Beaucoup d'appels d'offres restent infructueux sur ces territoires. L'enveloppe de 50 millions d'euros doit donc concourir à structurer des filières de formation.

Sur les questions des filières locales de production, nous sommes tout à fait prêts à recourir à des matériaux locaux. Nous savons néanmoins qu'il existe un certain nombre de territoires où les matériaux biosourcés ne sont pas suffisamment disponibles pour y avoir massivement recours. Un travail de structuration de filière de production doit être initié, qui permettra de créer des emplois locaux et de développer un habitat plus en lien avec les territoires. Je souhaiterais que nous puissions être force de proposition sur ce type de procédé, comme la construction en brique en terre crue à Mayotte.

Concernant l'habitat vernaculaire, il n'est plus vraiment présent. Les habitats sont plutôt classiques. Je n'identifie pas vraiment sur ces territoires d'habitats spécifiques. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas travailler sur ces sujets. Ce qui me semble important, c'est que l'habitat s'adapte aux conditions et modes de vie des habitants qui sont différents d'un territoire à l'autre.

Concernant les Assises de l'Habitat, nous aurions besoin, à mon sens, de poser les constats de façon collective pour définir des projections sur un échéancier d'aménagement du territoire accompagnant le logement sur cinq, dix et quinze ans. Cela permettrait d'accélérer la production de logements avec une prise en compte des territoires avec leurs spécificités.

Vous m'avez posé des questions sur le deuxième PLOM et sa différence par rapport au premier PLOM. Le deuxième PLOM est certainement beaucoup plus ancré dans la réalité de chacun des territoires. Peut-être doit-il l'être encore davantage avec plus d'interactions avec les élus locaux et un dispositif de pilotage renforcé et séquencé qui intègre bien l'ensemble des sujets évoqués précédemment. Le risque serait de ne pas parvenir à dépenser suffisamment pour intervenir sur ces territoires.

Concernant l'évolution sociologique des territoires, la problématique des jeunes se pose notamment à Mayotte, en Guyane et en Guadeloupe, ainsi que celle d'un vieillissement accéléré sur certains territoires comme La Réunion, mais plus spécialement la Martinique. Nos filiales immobilières intègrent de plus en plus ces sujets d'adaptation du logement au vieillissement. Je souhaite que, dans le cadre d'un avenant au PIV outre-mer, l'axe réhabilitation soit beaucoup plus fortement ancré. Il doit intégrer l'adaptation du logement au vieillissement, mais également porter des engagements de maîtrise de l'évolution des loyers. Nous avons beaucoup discuté de ce sujet avec les élus à La Réunion où nous connaissons l'effet d'exclusion de la réhabilitation.

Sur la problématique du vieillissement, nous avons constitué la filiale Énéal pour porter la réhabilitation et la rénovation d'EHPAD y compris sur des territoires ultramarins. Ces EHPAD peuvent être portés par des communes ou par des structures privées à but non lucratif. Notre objectif est d'injecter les fonds pour réhabiliter ou construire du neuf, mais surtout d'apporter suffisamment de fonds propres pour que l'évolution du prix de la journée soit le plus minime possible.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Je souhaiterais avoir des précisions sur la question des zones B2. Les territoires ultramarins y sont-ils éligibles, ou simplement les zones labellisées ACV ? Si cela se fait en métropole, pourquoi pas dans les outre-mer ? Votre action peut-elle s'étendre à l'ensemble des zones classées B2 ?

Concernant votre offre de prêt, pourquoi n'avoir pas plutôt fait une offre complémentaire à l'offre de prêt de la CDC Habitat, notamment sur le désamiantage ?

Vous n'avez pas répondu à la question sur le conflit qui oppose l'USH et l'USHOM : pouvez-vous nous donner des précisions ?

Puisque nous appartenons aux régions parmi les plus vieillissantes de France, êtes-vous favorable à ce que le forfait autonomie, qui n'est pas applicable actuellement dans les DOM, le devienne ? Que comptez-vous faire pour cette extension ?

M. Nicolas Bonnet. - Sur l'axe démolition des territoires Coeur de Ville, B2 et C, les territoires ultramarins sont éligibles, tout comme les territoires hexagonaux. Nous avons financé un peu plus de 1 million d'euros de démolition de logements sociaux l'année dernière. Nous lancerons certainement un deuxième appel à manifestation d'intérêt en début d'année.

Concernant les douches, les territoires ultramarins sont évidemment éligibles à l'adaptation du logement au vieillissement. Par ailleurs, environ 30 millions d'euros seront spécifiquement fléchés pour l'adaptation énergétique des logements ultramarins. Les niveaux de capacité énergétique des logements sont différents et ne sont pas applicables sur les territoires ultramarins. Il existe une difficulté à identifier quelles normes appliquer sur ces territoires.

Quant à votre question sur nos prêts qui viendraient concurrencer ceux accordés par la CDC Habitat, ce n'est pas l'objectif. Nous souhaitons accélérer la production de logements. Le prêt d'Action Logement est souvent relativement faible, mais pour autant il fait effet de levier. Aujourd'hui, nous prêtons à des taux de 0,25 % sur 40 ans là où CDC Habitat prête en moyenne à des taux de 0,40 % à 0,50 %. Avec l'évolution de cette enveloppe sur les territoires ultramarins, on atteint désormais entre 35 et 45 % d'un plan de financement. Les principaux bénéficiaires de ce financement sont d'ailleurs à 40 % les propres filiales de la Caisse des Dépôts, ce qui prouve bien l'existence d'un travail conjoint et l'absence de concurrence.

La question du désamiantage est intégrée dans les sujets de réhabilitation de bâtiments. L'accompagnement d'Action Logement peut créer un effet de levier sur des opérations de désamiantage qui peuvent être extrêmement onéreuses, notamment sur les monuments classés « Monuments historiques ». Si des besoins complémentaires se font jour, je suis prêt à les étudier.

L'USHOM, aujourd'hui, ne représente que 58 000 logements sur les 160 000 logements sociaux ultramarins. Une part extrêmement importante des logements sociaux est portée par des sociétés publiques locales (SPL). Or les SPL ne sont pas membres de l'USH. Ne sont membres de l'USHOM que les structures qui sont elles-mêmes membres de l'USH.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Nous ne sommes pas tout à fait d'accord sur le constat. L'USHOM représente l'ensemble des bailleurs sociaux des outre-mer. Ces bailleurs cotisent comme les autres à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Des subventions à hauteur de 10 millions d'euros sont accordées à l'USH, et au total 18 millions d'euros pour toutes les fédérations. Sur cette enveloppe, 5 millions d'euros sont versés à la Fédération nationale des associations régionales, soit en moyenne 403 000 euros par fédération. L'USHOM reçoit pourtant 170 000 euros alors qu'elle cotise comme toutes les autres. Je ne comprends toujours pas la démonstration. Nous aurons l'occasion de poursuivre cet échange par écrit afin d'obtenir des réponses plus précises.

M. Nicolas Bonnet. - Il n'y avait aucune volonté polémique de ma part. Je souhaitais simplement rappeler que les sociétés immobilières d'outre-mer n'adhéraient pas à l'USHOM. Je pense qu'une représentation des territoires ultramarins est effectivement nécessaire, avec une réelle spécificité sur les besoins en logement. Le travail actuellement effectué doit être maintenu, quelle que soit l'évolution de l'USHOM et de ses liens avec l'USH. Toutes nos filiales immobilières sont elles-mêmes adhérentes de l'USHOM. Il s'agit d'un outil bien connu que nous finançons. Une représentation des outre-mer est indispensable. Mon seul intérêt est de faire avancer le sujet. Le reste, je le laisse aux élus.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Une solution d'apaisement doit être trouvée. Je pense qu'Action Logement pourrait jouer le rôle de médiateur afin de parvenir à un accord entre les deux institutions. Nous assistons pour l'instant à une montée vers des extrêmes qui est incompréhensible. Nous allons préciser tout cela par écrit, sans pour autant nous transformer en tribunal. La représentation nationale souhaite que les intérêts généraux des outre-mer en matière de logement soient défendus, ce qui n'est pas tout à fait le cas.

Mme Viviane Artigalas. - Je suis l'un des rapporteurs de la mission flash de la commission des affaires économiques sur Action Logement et je trouve cette audition très enrichissante.

Dans le cadre du Plan de relance, le PIV doit être abondé avec des actions plus spécifiques. Cet abondement concerne-t-il également les outre-mer ?

Dans la synthèse du rapport de la Cour des comptes paru en septembre 2020, Action Logement n'est pas citée. Comment l'expliquez-vous ? Avez-vous été auditionnés par la Cour des comptes ?

Mme Nassimah Dindar. - Vous avez eu raison de rappeler la convention que vous avez signée avec la Ville de Saint-Denis où l'opération Coeur de ville a besoin d'un accompagnement financier et d'ingénierie.

Le territoire réunionnais accueille une population vieillissante de plus en plus nombreuse. Comment Action Logement pourrait-elle mettre en place des actions d'accompagnement et décliner en outre-mer l'accompagnement des plus vulnérables en matière de logement ?

Concernant l'USHOM, je partage ce qui a été dit par l'ensemble de mes collègues. Victorin Lurel a bien résumé le positionnement des élus du Sénat sur le sujet.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Vous connaissez le besoin de logements en outre-mer et en particulier à Mayotte. Je sais que depuis quelques années vous émettez le souhait qu'Action Logement soit fortement présente à Mayotte. Où en est aujourd'hui cette volonté ? Quels en sont les obstacles, s'il y en a ? Quelles solutions pourraient être dégagées pour permettre de renforcer votre action dans ce département ? La Société Immobilière de Mayotte (SIM) est seule à produire des logements sociaux actuellement. C'est loin d'être suffisant.

M. Nicolas Bonnet. - Nous souhaitons intervenir sur Mayotte, car les besoins sont très importants et répondent à notre objet social. Nous conduisons plusieurs actions que je souhaite finaliser assez rapidement. Nous menons une étude sur les besoins éventuels d'un deuxième opérateur sur place. Nous étudions également, en lien avec les collectivités locales, la possibilité de financer une coopérative et de financer la SIM.

Nous déploierons des moyens pour accompagner la dynamique de création de logements sociaux sur Mayotte.

Le sujet du foncier disponible avec les problématiques d'adduction d'eau et de respect du biotope est très important à Mayotte. Sur ces points, nous travaillons avec l'Établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte (EPFAM) pour identifier comment flécher du foncier assez rapidement pour y créer des logements. Un organisme foncier solidaire pourrait être développé pour disposer d'une offre en Bail réel solidaire (BRS) permettant de répondre au souhait légitime des Mahorais d'accéder à la propriété.

Concernant le logement des jeunes à Mayotte, quelques projets devraient voir le jour d'ici un à deux ans, notamment le lycée des métiers du bâtiment. Dans quelques semaines sera par ailleurs déployée l'offre de prêt à taux zéro pour les salariés mahorais afin de financer leur logement.

Au sujet de l'accompagnement des publics vulnérables et sur le vieillissement, la fameuse offre « salle de bain » sera poursuivie. Nous souhaitons également que le PIV soit fortement axé sur la réhabilitation, pour notamment adapter les logements au vieillissement. Nous avons par ailleurs discuté il y a quelques semaines avec le Conseil départemental réunionnais pour identifier la manière de travailler ensemble pour le soutien de maisons médicalisées.

Sur la question relative au Plan de relance et au PIV, un des points les plus importants dans le cadre de nos discussions avec l'État concerne le maintien des 1,5 milliard d'euros pour les outre-mer.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Nous confirmez-vous que les ponctions opérées par le Gouvernement lors du projet de loi de finances pour 2021 n'auront pas d'incidence sur les outre-mer ?

M. Nicolas Bonnet. - Pour le moment, le souhait du groupe est de maintenir ces 1,5 milliard d'euros. Au cas où d'autres ponctions interviendraient, ce montant ne pourrait cependant pas être conservé.

Mme Viviane Artigalas. -. La mission de la commission des affaires économiques assure un suivi de la question de la ponction sur les réserves d'Action Logement ou de sa réforme. Je serai très vigilante à ce qu'il n'y ait pas de ponctions supplémentaires.

M. Nicolas Bonnet. - Nous souhaitons que ces 1,5 milliard d'euros en faveur des outre-mer soient beaucoup plus ciblés, afin d'accompagner la relance sur ces territoires. L'axe réhabilitation notamment était assez peu ou mal intégré dans le cadre de la convention-cadre signée avec le ministère des outre-mer.

Davantage de moyens doivent être dédiés à la réhabilitation, y compris dans le parc privé. Cela permettrait d'aller plus vite, puisque le temps de réhabilitation peut être plus rapide que celui de la construction. Ces opérations de réhabilitation constituent un accélérateur assez formidable pour améliorer les conditions d'hébergement des territoires et soutenir l'économie locale.

Concernant la synthèse du rapport de la Cour des comptes, nous sommes étonnamment cités de façon marginale, alors que nous représentons un peu plus de 45 000 logements sociaux sur les 160 000 logements ultramarins. Cela montre une certaine méconnaissance de notre rôle sur ces territoires. Notre volonté d'accompagner ces territoires, affichée avec force devant vous, n'était sans doute pas suffisamment affirmée.

Mme Viviane Malet. - Vous n'avez pas répondu à la question de Victorin Lurel sur le forfait autonomie. Qu'en est-il puisqu'il n'est pas applicable outre-mer ?

Vous dites avoir échangé avec le Conseil départemental réunionnais au sujet des maisons médicalisées, mais les résidences autonomie ne sont pas des résidences médicalisées.

Qu'en est-il par ailleurs des rénovations des blocs sanitaires chez les particuliers étant donné que nos propriétaires particuliers ne bénéficient pas des aides de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) ?

Mme Annick Petrus. - Le territoire de Saint-Martin nécessite un investissement massif au profit du logement. La priorité devrait être accordée à la lutte contre l'habitat indigne et insalubre et l'accession à la propriété. Cette action doit être complétée par des mesures pour mieux répondre aux besoins de nos jeunes, notamment en développant des structures collectives et en mettant en place un dispositif de financement de la réhabilitation de logements en contrepartie d'un droit de réservation pour les jeunes.

Action Logement pourrait intervenir pour accompagner le développement de la construction grâce à l'accession sociale ou très sociale à la propriété. J'aimerais vous entendre sur les éventuels freins à une pleine collaboration avec la collectivité de Saint-Martin, tout en gardant à l'esprit que la collectivité possède la compétence urbanisme, construction habitation et logement.

M. Nicolas Bonnet. - Nous intervenons uniquement dans les DROM, malheureusement, c'est-à-dire dans les territoires où les entreprises employeurs cotisent et contribuent à l'effort de construction.

Pourtant, il y a quelques mois, lors de cette crise liée aux risques naturels à Saint-Martin, nous avons octroyé à titre de secours des moyens pour accompagner et financer un certain nombre d'opérations.

Quant au sujet des forfaits autonomie, il est très technique. Je ne le connais pas suffisamment pour savoir si ce forfait sera déployé sur les territoires ultramarins.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Je crois que le forfait autonomie a été voté dans la loi de finances pour 2021 mais c'est à vérifier.

M. Nicolas Bonnet. - La volonté des partenaires sociaux est de garantir que les salariés qui partent à la retraite vivent dans les meilleures conditions possibles en fonction de leur état de santé. Nous déployons des moyens pour que leurs conditions d'hébergement soient compatibles avec leurs revenus. Les structures Énéal doivent aider à produire des logements compatibles avec les niveaux de loyers que peuvent payer les retraités. Sur le territoire hexagonal, nous avons imaginé des résidences mixtes jeunes et personnes âgées dans lesquelles le niveau de loyer des jeunes est réduit contre un engagement de visites et de services auprès des résidents âgés. Les sujets d'innovation sont nombreux. Nous poursuivons également le financement et l'adaptation des salles de bain.

M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie d'avoir répondu aussi clairement à l'ensemble des questions. Je ne doute pas que les rapporteurs vous adresseront si nécessaire des questions complémentaires par écrit qui nous permettront d'approfondir ces sujets.

Audition de M. François Caillé, président, et Mme Sabrina Mathiot, directrice, de l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (USHOM)

M. Stéphane Artano, président. - En conclusion de nos auditions de la matinée, la Délégation sénatoriale aux outre-mer reçoit M. François Caillé, président, et Mme Sabrina Mathiot, directrice, de l'USHOM dans le cadre de son étude sur le logement dans les outre-mer.

Lors d'une table ronde consacrée au BTP et au logement social, le 28 mai 2020 et de notre étude sur l'urgence économique outre-mer, vous nous aviez livré un panorama de la situation du logement social dans les outre-mer. Vous aviez insisté sur le rôle des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et sur certaines difficultés de mobilisation de la LBU. Vous aviez également abordé la délicate question du foncier en évoquant la « position dogmatique » qui consiste à ne pas construire de logements dans les zones de l'ANRU.

Nous avons donc beaucoup de questions à soulever et sommes preneurs de vos propositions. Je cède la parole aux rapporteurs M. Victorin Lurel et Mme Micheline Jacques. Dans la mesure où M. Guillaume Gontard a dû s'absenter, je poserai moi-même ses questions.

Nous avons entendu ce matin l'USH et nous aimerions bien sûr avoir votre éclairage sur le contentieux actuel qui vous oppose et ses perspectives de règlement.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - J'aimerais avoir votre sentiment sur la représentation des organismes de logements sociaux (OLS) outre-mer au plan national. Quelle est la mission de votre fédération ?

Je souhaiterais entendre votre point de vue sur le différend qui vous oppose à l'USH. Pouvez-vous en retracer l'historique et nous présenter vos propositions de résolutions ? Chacun d'entre vous se dit prêt à un partenariat intelligent, pérenne et serein dans l'intérêt du logement dans les outre-mer. Nous venons d'interroger Action Logement pour une éventuelle médiation entre vous.

Je n'ai pas compris le fonctionnement du financement du logement outre-mer et notamment des cotisations versées à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Vous annoncez le chiffre de 166 000 logements sociaux outre-mer quand d'autres sources avancent celui de 56 000. Quelle est la réalité ? Précisez-nous en quoi votre mission est absolument indispensable pour la défense des intérêts du logement outre-mer.

Pourriez-vous, par ailleurs, nous préciser vos moyens de fonctionnement ? S'agit-il bien de 60 % en cotisation et 40 % en provenance de la CGLLS ?

Quelle appréciation portez-vous sur la politique de l'État en matière de logement social depuis le premier PLOM ? Participerez-vous au comité de pilotage en février 2021 ?

Selon vous, le manque d'ingénierie des collectivités peut-il véritablement à lui seul expliquer les difficultés de consommation des crédits de LBU ?

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Malgré les recommandations du rapport de la délégation sénatoriale sur ce sujet, l'adaptation des normes du BTP aux contextes ultramarins reste insuffisante. Quelles dispositions juridiques faudrait-il, selon vous, modifier pour poursuivre ce travail d'adaptation et de simplification ? L'obligation de quotas en matière de LLTS ne freine-t-elle pas dans certains territoires les programmes de construction d'autres types de logement ?

Le prix de revient moyen d'un logement social en construction directe est estimé à 163 000 euros dans les DROM et 145 000 euros dans l'Hexagone. Pouvez-vous décomposer les prix de construction et les postes de dépenses où des diminutions de coûts sont possibles ?

Quelles mesures incitatives faudrait-il prendre, selon vous, pour faciliter davantage le recours à des matériaux locaux dans les constructions de logements outre-mer ?

Quels sont les freins à lever, notamment en matière de réglementation européenne, pour permettre des équivalences entre produits de construction locaux ou régionaux et les produits certifiés CE ?

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Les outre-mer peuvent se révéler un laboratoire d'innovations pour adapter l'architecture des logements aux risques naturels de chaque territoire et au réchauffement climatique. Quelles sont vos propositions en ce domaine ?

Quelles initiatives proposez-vous pour valoriser davantage des styles architecturaux traditionnels ou des modes nouveaux de construction tels que l'autoconstruction ou l'autofinition ?

Quelles sont vos actions en matière d'accompagnement à la rénovation énergétique des logements sociaux en outre-mer ?

Pensez-vous que des Assises de la construction ultramarine seraient utiles ? Quels pourraient en être le format, les participants et les objectifs ?

Si Mayotte et la Guyane figurent parmi les territoires les plus jeunes de France, d'autres font face à un vieillissement de leur population, voire à un dépeuplement (Martinique). Comment prenez-vous en compte ces évolutions démographiques, et notamment la progression du vieillissement et de la dépendance, dans vos actions ?

M. François Caillé, Président de l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (USHOM). - Je souhaite ouvrir cet échange par notre différend avec l'USH. Je suis devenu président de l'USHOM en septembre 2019 et lors de ma rencontre avec le président de l'USH en décembre 2019, il m'a invité, à mon grand étonnement, à me séparer de toute urgence de notre directrice générale, Mme Sabrina Mathiot. Il m'a indiqué que l'USH devait réintégrer l'un de ses salariés, M. Mahieddine Hedli, parti en mission en Polynésie pendant trois ans et auparavant directeur de l'USHOM. M. Mahieddine Hedli faisait valoir son droit au retour et l'USH souhaitait lui redonner son poste. Le président de l'USH m'a précisé qu'ils étaient prêts à prendre en charge les coûts inhérents au départ de Mme Sabrina Mathiot.

Suite à cet échange, j'ai interrogé tous les membres de l'USHOM, qui, de façon unanime, m'ont indiqué qu'il n'en était pas question.

J'ai remonté cette information au président de l'USH et les relations ont commencé à se dégrader. L'USH refusait d'envisager une rupture conventionnelle avec M. Mahieddine Hedli, même avec l'aide financière de l'USHOM. Nous étions en mars 2020 et la situation était bloquée.

Nous avons ensuite découvert, dans un courrier que l'USH avait adressé à l'ensemble des opérateurs et partenaires, que celle-ci mettait en place une mission outre-mer dirigée par M. Mahieddine Hedli. Cette mission devait représenter désormais l'outre-mer au niveau de l'habitat social. Il nous a semblé pourtant hors de question de céder notre place : les ultramarins souhaitent continuer à être représentés par l'USHOM.

La situation a continué de se dégrader. J'ai demandé l'arbitrage de Mme Valérie Fournier, directrice générale d'Immobilière 3F (groupe Action Logement). Début juillet, nous nous sommes retrouvés tous à Paris : la mise en place d'une trêve a été actée. Rendez-vous a ensuite été pris en septembre pour un règlement à l'amiable.

En septembre, nous avons reçu un courrier comminatoire de Mme Marianne Louis nous indiquant que la convention qui nous liait avait été rompue fin juin du fait de l'USHOM et que nous devions quitter les locaux, nous séparer du nom « USHOM » et du logo. Nous étions interloqués. Le 30 septembre 2020, un huissier a fait irruption dans nos locaux et demandé aux personnels de l'USHOM de quitter immédiatement les lieux. Comment ne pas réagir ? Je suis quelqu'un de responsable. Nous avons alors lancé deux procédures : une procédure en référé contre expulsion manu militari des locaux et une procédure au sujet de la convention. Outre une action en justice pour entrave au fonctionnement de notre structure, nous avons demandé en référé l'accès à nos locaux.

Le tribunal s'est prononcé très rapidement en obligeant l'USH à nous restituer les locaux jusqu'à fin décembre. En octobre 2020, Mme Emmanuelle Cosse a été nommée présidente. J'ai demandé immédiatement, et à plusieurs reprises, audience par tous les intermédiaires possibles. L'USH a refusé de nous recevoir tant que nous n'aurions pas enlevé nos plaintes au pénal contre la directrice de l'USH. Mme Emmanuelle Cosse a adressé un courrier à l'USHOM, évoqué par M. Victorin Lurel. La situation est depuis bloquée. Nous travaillons depuis le 1er janvier 2021 dans de nouveaux locaux. Nous avons dû batailler pour récupérer nos boîtes mail, l'accès à l'informatique et son historique. Nous sommes dans une situation ubuesque : nous estimons que pour remettre une personne en place, on ne détruit pas une organisation qui fonctionne.

Jusqu'en août 2017, M. Mahieddine Hedli était directeur de l'USHOM, détaché par l'USH. Il est parti en 2017 en Polynésie à sa demande. Nous avons procédé au recrutement de Mme Sabrina Mathiot. L'USH n'ayant pas validé sa candidature, l'USHOM a donc intégré Mme Sabrina Mathiot en tant que salariée.

Nous supposons que l'USH voulait reprendre la main sur l'USHOM, car pendant trois ans, la directrice n'était plus leur représentante. L'ensemble des ultramarins le vit de façon insupportable, considérant cela comme une ingérence de Paris.

M. Victorin Lurel, sénateur. - Concernant les inégalités financières et de traitement entre l'USH et l'USHOM, pourriez-vous nous résumer la situation ?

M. François Caillé. - Je suis président de la société des HLM de La Réunion. Cette société est membre de l'USHOM. Comme tous les opérateurs, nous versons une cotisation annuelle importante de l'ordre de 75 000 euros à l'USH qui reverse une partie de ces sommes à l'USHOM afin que celle-ci puisse fonctionner. La convention et la subvention attachée lient les deux structures depuis toujours. L'ancien président avait refusé de signer la convention en 2019, car le montant de la subvention avait été baissée par l'USH sans justification. Cette convention a été arrêtée au 30 juin par l'USH. Nous nous attendions au versement au moins de la moitié du budget 2020, mais nous n'avons rien reçu.

Mme Sabrina Mathiot, directrice de l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (USHOM). - Notre budget s'établit normalement autour de 420 000 euros. Nous sommes trois salariés : une cheffe de projet, un assistant et moi-même. Sur ce budget, 170 000 euros proviennent de l'USH au titre des cotisations des organismes ultramarins aux fédérations de l'USH et également à travers la subvention de la CGLLS que perçoit l'USH.

En supposant que l'USH ne soit pas responsable de la répartition des sommes dans les associations régionales métropolitaines, mais la Fédération nationale des associations régionales (FNAR), l'USH a tout de même décidé de réduire notre dotation de 265 000 euros à 170 000 euros. Elle nous a fait supporter 57 % de l'économie qu'elle devait réaliser sur l'action professionnelle. Nous mettrons à votre disposition, grâce à nos partenaires, l'ensemble des chiffres.

Nous avons dû licencier notre assistante. Pour justifier la baisse de dotation, l'USH fait valoir que les effectifs que j'encadre auraient rencontré des difficultés. Je tiens à préciser que les deux salariés de l'USH mis à disposition de l'USHOM avaient déjà des récriminations contre leur ancien directeur, M. Mahieddine Hedli. Par ailleurs, l'USH, en recréant la mission outre-mer en son sein, n'a pas réintégré de cheffe de projet, ni d'assistante.

Je souhaite que l'on puisse saisir l'importance de notre représentation en matière de logement. Notre politique de logement social ne se fait pas seulement à travers la LBU ou la défiscalisation, mais grâce à l'ensemble des outils de la politique de la ville. Certes, vous nous savez actifs lors des projets de loi de finances et des propositions de loi qui touchent au logement. Les textes de loi font la jonction, mais tous les décrets d'application sont importants. Ils sont rédigés de concert avec les organisations socio-professionnelles. Cela explique en partie l'existence du Fonds national d'aide à la pierre (FNAP) et les incohérences par exemple des cotisations CGLLS. En 2016, l'USH a déjà tenté une première fois de contrôler l'USHOM en proposant d'imposer un directeur venant de l'USH. Les ultramarins ont refusé. On leur a alors proposé d'être mis sous le contrôle de la FNAR. Nous sommes une association interrégionale, donc statutairement, nous ne pouvions pas accepter.

L'USHOM a été créée en 1998 suite au constat que les spécificités ultramarines n'étaient pas suffisamment prises en compte. Je rappelle que nous représentons 170 000 logements sur 5 millions de logements sociaux en France.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Ce chiffre est contesté par vos interlocuteurs. Dites-nous comment est calculée la dotation. On nous a dit qu'elle s'élève à 1,16 euro par logement. Existe-t-il vraiment des discriminations ou des inégalités de traitement qu'il faudrait corriger ?

Mme Sabrina Mathiot. - Nous avons précisé les modalités de calcul de cette dotation. La FNAR est indissociable de l'USH qui lui attribue ses ressources.

Effectivement, dans le calcul, il entre bien une part fixe et une part variable. La part fixe était de 135 000 euros. Elle tendra à 210 000 euros à horizon 2022. L'objectif de cette réforme au sein de la FNAR est de mieux doter les petites associations.

La part variable est, quant à elle, calculée en fonction du nombre de permis de construire, de la surface géographique et du nombre de logements. Dans l'Hexagone, l'ensemble des logements soumis au RPLS (Répertoire des logements locatifs des bailleurs sociaux) est pris en compte, soit l'ensemble des logements sociaux, qu'ils appartiennent ou pas au mouvement HLM. En outre-mer, il est souvent dit qu'il n'y a que 55 000 logements sociaux. Effectivement, le parc appartenant aux structures relevant du mouvement HLM est bien de 55 000 logements, le reste étant des SEM. Les mesures doivent concerner l'ensemble des logements sociaux et non pas uniquement les logements sociaux du mouvement HLM.

Par exemple, dans le projet ECCO DOM porté par le CSTB et l'USHOM, une clause intègre dans l'espace d'intervention de ce programme l'ensemble des adhérents et des non-adhérents. Cet argument est donc fallacieux et je transmettrai les éléments qui le prouvent.

Effectivement, en investissement, nous représentons bien moins que l'Hexagone. Pour l'Hexagone, nous sommes une variable d'ajustement. Notre existence en tant qu'instance dédiée pour défendre le logement social prend alors tout son sens.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Pour ne pas être accusé de ne pas avoir la même rigueur et la même exigence avec l'USHOM qu'avec l'USH, je souhaiterais vous interroger sur votre utilité même. En quoi permettez-vous de corriger les discriminations que nous subissons encore, par exemple, sur le supplément de loyer solidaire, sur les zones B2, sur les niveaux de revenus, sur le forfait autonomie et sur l'habitat inclusif ?

Mme Sabrina Mathiot. - Sur les aspects techniques, nous travaillons de concert avec le ministère des outre-mer et l'ensemble des partenaires. Nous voulons porter les voix des outre-mer, éclairer et informer l'administration centrale et l'État décentralisé sur les différences qui existent entre l'Hexagone et nos territoires. Notre premier travail est d'accompagner le déploiement des politiques publiques de l'habitat en outre-mer.

Concernant le forfait autonomie, nous avons insisté, aussi bien au niveau des ministères qu'auprès des parlementaires, pour le faire voter. Le forfait autonomie était opérationnel dans l'Hexagone depuis 2015. C'était une aberration législative qu'il ne soit pas disponible sur nos territoires. La Martinique et la Guadeloupe présentent les populations les plus âgées de France.

S'agissant des forfaits inclusifs, ces forfaits ne sont pas cohérents au niveau des décrets et des répartitions. Le forfait du montant inclusif en Corse est de 168 000 euros pour 94 000 habitants, alors que le forfait de la Martinique s'établit à 110 000 euros pour 363 000 habitants.

Sur la question de nos actions, je ne suis pas capable de vous dire ce qui a été fait avant moi faute de rapports d'activité annuels. Ce rapport a été instauré à mon arrivée afin de créer un historique.

Concernant la sensibilisation, depuis mon arrivée en 2017, nous avons participé à la conférence Logement, à la loi ELAN, au nouveau Plan logement outre-mer ou encore au Plan de relance outre-mer.

Sur le plan technique, nous avons participé aux groupes de travail avec les services centraux pour améliorer l'ingénierie des collectivités, au programme ACV et à la réflexion sur l'opportunité de la création de la filière de désamiantage outre-mer.

Concernant l'animation et l'action professionnelles, nous organisons des séminaires sur la gouvernance, sur le vieillissement de la population et la nécessité d'accompagner ce vieillissement.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Quel est donc l'apport de l'USH dans la défense des intérêts des outre-mer au regard de l'ensemble de vos actions, par exemple sur le dossier CEE (certificats d'économie d'énergie) que vous avez présenté ou ceux de la CGLLS et de l'ANRU ?

Mme Sabrina Mathiot. - L'USH a une expertise technique qu'elle peut mettre à disposition de l'USHOM. Cependant à la différence de ce qui a cours dans l'Hexagone, nous devons prendre en charge notamment les déplacements. Nos moyens sont déjà réduits, cela diminue encore davantage notre capacité d'intervention.

L'USH nous a plutôt bien accompagnés sur le séminaire vieillissement par exemple. J'ai organisé une formation à La Réunion, pour apporter un éclairage sur les nouvelles modalités issues de la loi ELAN. Afin qu'une experte de l'USH intervienne, j'ai dû payer son billet d'avion. Nous devions répondre ensemble sur ECCO DOM, l'USHOM en tant que partenaire et l'USH en tant que porteur du dossier. Nous avons construit une offre commune. Dès que la DGEC (Direction générale de l'énergie et du climat) a annoncé que ce programme était dédié à 90 % à l'outre-mer, l'USH a renoncé, sans me demander mon avis, à présenter une offre. J'ai alors fait en sorte de présenter une autre offre avec un autre partenaire, ce qui m'a été reproché, car s'il n'y avait pas eu de réponse, ces fonds auraient été fléchés autrement.

Concernant le dossier amiante, l'USH m'a clairement signifié qu'elle ne me soutiendrait pas. Pourtant, l'objectif était de former nos bailleurs à ce problème de santé publique.

M. Stéphane Artano, président. - Nous n'avons pas encore abordé la partie relative aux normes techniques de construction évoquées par Mme Micheline Jacques et les nouveaux défis en matière d'habitat de M. Guillaume Gontard.

M. François Caillé. - M. Victorin Lurel a-t-il bien compris l'intérêt de l'USHOM pour l'outre-mer ?

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Absolument, nous poursuivrons par écrit.

Mme Sabrina Mathiot. - Sur l'adaptation des normes du BTP, il reste effectivement un vrai travail à mener pour minimiser les surcoûts. La réglementation relative aux personnes à mobilité réduite est ahurissante, notamment sur certains territoires. Par ailleurs, on nous impose de mettre des prises RJ45 dans toutes les pièces à vivre, alors que nous avons tous à la maison un modem et que la connexion se fait en Wifi. Le corpus normatif doit être adapté.

La Nouvelle-Calédonie est en train de rédiger un corpus normatif adapté à son territoire. La certification CE pose problème : elle coûte cher et prend du temps. Nous devrions faciliter le recours à des matériaux issus de l'environnement régional de nos territoires.

Je tiens à souligner que le marquage CE est important : il assure une continuité dans les caractéristiques techniques. Toutefois, il me semble primordial de conserver une certification ou une équivalence. Le règlement européen doit être ajusté pour engager un changement, mais sans perte de qualité.

L'inexistence de laboratoires au plan local pose également problème. Pour qu'un produit ou une nouvelle technique soit adopté, il faut qu'une filière solide puisse fixer les normes et les conditions dans lesquelles utiliser le produit.

Concernant l'obligation en matière de logements locatifs très sociaux (LLTS) et l'hypothèse qu'elle constitue un frein pour les programmes, notre opinion est que les outre-mer ont besoin de LLTS et que cette obligation a du sens. Nous l'avons portée au niveau du nouveau Plan logement. Cependant, sur nos territoires, les DREAL (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) bloquent certains projets de logements, faute de logements LLTS. Mais certaines communes ne veulent pas de ces logements. Il faudrait une procédure de nature à ne pas bloquer l'ensemble de l'opération.

Vous connaissez la difficulté à monter des opérations sur nos territoires. Si un document technique confirmait que c'est la volonté du politique et non celle du bailleur, nous devrions pouvoir débloquer le projet.

M. François Caillé. - Concernant le prix de construction, nos territoires souffrent d'un manque de foncier. Il est rare, donc cher. La Réunion par exemple ne peut être habitée que sur son pourtour. Nous sommes aujourd'hui obligés de conquérir les pentes. Les coûts d'aménagement de ce foncier sont très importants, surtout avec les normes PMR (Personnes à mobilité réduite). Le caractère tropical de nos territoires implique également des surcoûts d'aménagements considérables.

Les normes sismiques, qui sont infiniment plus importantes qu'en métropole, nous obligent à construire plus solide. Par ailleurs, les matériaux sont tous importés, essentiellement d'Europe. Or les coûts d'achat et d'acheminement sont élevés. En dépit de la LBU et du crédit d'impôt, nous devons, par exemple avec Action Logement, injecter de plus en plus de fonds propres dans nos opérations si nous voulons que nos loyers demeurent abordables. Ce phénomène s'accroît chaque année. Nous pourrons vous communiquer par écrit le détail de la décomposition des prix des logements.

Mme Sabrina Mathiot. - Pour compléter sur le coût des matériaux, une étude de l'Autorité de la concurrence a été réalisée à La Réunion, dont je ne partage pas les conclusions. Il n'est pas possible d'obtenir une décomposition juste en distinguant les aspects compressibles de ceux qui ne le sont pas. Vous négociez le prix d'un produit selon le volume du marché. Nos marchés sont étroits et les marges de négociations faibles. Les études existantes sont incomplètes. Les variables sont trop importantes pour permettre des généralisations. Un regard d'économiste de la construction serait nécessaire pour étudier le sujet des surcoûts en outre-mer.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Une centralisation des achats pour lutter contre les oligopoles ou une mutualisation des moyens seraient-elles pertinentes pour abaisser les coûts ?

Mme Sabrina Mathiot. - Les marchés restent étroits : vous ne pouvez pas vraiment baisser les prix de manière significative. Et quand bien même, cela n'enlèvera pas les difficultés de stockage et les frais de fonctionnement. Cela diminuera peut-être de 2 à 3 % le prix du matériau, mais cela me paraît complexe.

M. Stéphane Artano, président. - Nous sommes preneurs de vos contributions écrites. Je voudrais céder la parole à Thani Mohamed Soilihi qui a sollicité une prise de parole.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Les propos tenus au début de votre audition m'ont scandalisé. Mme Emmanuelle Cosse a déclaré tout à l'heure que cette situation n'était pas handicapante. Je ne sais pas ce dont elle aurait besoin pour qu'elle le soit. Elle a aussi déclaré que tant qu'il y aurait une plainte, la situation n'avancerait pas. Une fois que la plainte est déposée entre les mains du procureur, le justiciable ne peut de toute façon plus rien faire.

Je tiens ici à apporter mon soutien à Mme Sabrina Mathiot. La situation actuelle est préjudiciable pour les outre-mer.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Je partage tout à fait cet avis.

M. François Caillé. - Je vous remercie de votre position et je suis rassuré d'entendre que vous êtes prêts à nous accompagner dans ce combat légitime.

M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie pour votre contribution et vous invite à nous transmettre tous les documents qui permettront de répondre plus précisément aux questions évoquées par les rapporteurs.