Jeudi 11 mars 2021

- Présidence de Mme Annick Petrus, vice-présidente -

Étude sur le logement dans les outre-mer - Audition de MM. Nawfal Boutahir, directeur, Valéry Laurent, conseiller du président, et Stéphane Brossard, en charge de l'antenne de La Réunion du Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction de bâtiment (BNTEC)

Mme Annick Petrus, présidente. - Le président Stéphane Artano m'a chargée de l'excuser auprès de vous et de bien vouloir le remplacer pour présider cette réunion.

Dans le cadre de notre étude sur le logement outre-mer, nous avons le plaisir d'accueillir trois représentants du Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment (BNTEC) : MM. Nawfal Boutahir, directeur, Valéry Laurent, conseiller du président, et Stéphane Brossard, président de la commission technique de la Fédération réunionnaise du BTP, en charge de l'antenne BNTEC de La Réunion. Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation et de permettre ainsi à nos trois rapporteurs, Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard, de vous interroger sur vos actions en direction des outre-mer.

Chers collègues, cette séquence est consacrée aux enjeux de production de normes et de certification des matériaux ou techniques du BTP dans les outre-mer. Elle sera suivie de l'audition de deux autres organismes incontournables dans ce domaine : le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). Ces organismes ont été auditionnés par notre délégation en 2017 lors de la préparation du rapport d'information, publié cette même année, sur les normes techniques dans le secteur du bâtiment et des travaux publics dans les outre-mer. Quatre ans plus tard, la présente étude est l'occasion d'actualiser l'état des lieux de la situation du logement outre-mer et de mesurer les évolutions afin de savoir si elles sont allées dans le sens des 35 recommandations faites par notre délégation.

Je laisse la parole aux représentants du BNTEC pour une intervention liminaire synthétique sur la base de la trame qui leur a été transmise. Puis je donnerai la parole aux rapporteurs pour des précisions complémentaires, et nous ferons un tour de table pour les questions des autres collègues. Nous vous invitons également à nous faire parvenir par écrit tous les éléments d'information utiles à nos travaux.

M. Nawfal Boutahir, directeur du Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment (BNTEC). - Je tiens tout d'abord à remercier la délégation sénatoriale pour son invitation. Nous avons effectivement déjà eu l'occasion de travailler ensemble en 2017 pour le rapport « le BTP outre-mer au pied du mur normatif ». À cette occasion, vos collègues sénateurs M. Michel Magras et Mme Vivette Lopez ont pu s'exprimer, lors de nos rencontres du BNTEC, un évènement réunissant les acteurs de la normalisation des bâtiments. Leurs interventions, durant ces rencontres, sont par ailleurs disponibles dans un compte-rendu accessible sur le site internet du BNTEC.

Nous recommandions de pérenniser l'initiative de normalisation ultramarine menée à La Réunion, avec l'appui du BNTEC, pour l'adaptation des documents techniques unifiés (DTU). Ces DTU, initiés par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) dans les années 1950 en France métropolitaine, décrivent les techniques traditionnelles utilisées dans le secteur du bâtiment. Ces documents qui précisent les règles de l'art de la construction des ouvrages - sans avoir recours à des essais, ou à une qualification et une innovation pointues - ont rejoint en 1990 le corpus normatif français, ce qui leur permet d'afficher le logo « NF DTU » et de suivre le processus de normalisation français régis par l'AFNOR (Association française de NORmalisation).

En tant que bureau de normalisation sectoriel, le BNTEC est spécialisé dans les techniques et équipements de la construction et a, depuis sa fondation, le statut d'association sans but lucratif régi par la loi du 1er juillet 1901. Le bureau a été fondé en 1990 par la Fédération Française du Bâtiment (FFB), un de nos membres fondateurs avec l'Institut technique de la FFB. Sa mission première est de codifier le savoir-faire des métiers du bâtiment et notamment des NF DTU. Notre bureau de normalisation agit par délégation de l'AFNOR dans le cadre du décret du 16 juin 2009 et de la norme NF X50-088 relative à l'activité des bureaux de normalisation. Nous sommes également agrées par le ministère chargé de l'industrie qui nous confère le droit d'exercer le métier de normalisateur. Notre bureau est composé de vingt-trois membres actifs, représentant les unions et syndicats de métiers de la FFB, chargés d'animer 94 commissions de normalisation et de mettre à disposition des ingénieurs de métiers, selon le principe d'une association de moyens. Ainsi, chaque métier propose un ou plusieurs ingénieurs métier qui vont travailler sur la technique et actualiser ou rédiger de nouveaux textes DTU. Nous avons également un membre associé, le Syndicat des automatismes, du génie climatique et de la régulation (ACR), non membre de la FFB, qui est chargé de suivre les sujets de normalisation sur la régulation du bâtiment. Notre association est ouverte à tous les acteurs de la FFB et aux autres acteurs de la construction. Le BNTEC dispose également d'une direction de coordination, que je représente, en charge d'effectuer le suivi de la réglementation et de vérifier le respect des règles de la normalisation. Cette direction s'assure que les commissions de normalisation, gérées par les syndicats de métier, respectent les règles de rédaction et le processus de normalisation. 

La production de normes destinées aux outre-mer, est un point régulièrement abordé lors de nos réunions de travail, pour inscrire de nouveaux projets dans l'optique d'associer au maximum les départements et régions d'outre-mer. Je laisserai M. Stéphane Brossard, qui représente notre organisation à la Fédération Française du Bâtiment (FFB), expliquer le fonctionnement de la commission BNTEC à La Réunion.

M. Stéphane Brossard, président de la commission technique de la Fédération réunionnaise du BTP (FRBTP). - Je suis le président de la commission technique de la FRBTP. Grâce au programme PACTE (Programme d'action pour la qualité de la construction et la transition énergétique) piloté par l'Agence Qualité Construction (AQC), nous avons en 2015 bénéficié d'une subvention pour animer à La Réunion une commission miroir du BNTEC national. Il nous semblait que les travaux effectués dans de nombreux cas d'expertise ou de sinistre majeur étaient conformes au DTU mais inadaptés aux contraintes locales. Par exemple, le climat tropical de La Réunion est caractérisé par une pluviométrie très importante ne se reflétant pas dans le DTU. La Réunion connaît en effet des conditions de vents cycloniques et une très forte humidité qui font la singularité de nos climats tropicaux. La commission miroir du BNTEC, mise en place sur l'île, n'a pas l'ambition de reprendre tous les DTU, mais a pour objectif premier de focaliser nos efforts sur certains aspects. Cela nous a permis d'identifier que 70 % des gros sinistres sont liés à des problèmes de toitures, de murs et de menuiseries. Nous avons amendé les DTU nationaux afin d'améliorer et de « tropicaliser » leur contenu. Cette situation nous a permis de proposer un plan d'action. D'abord, nous avons travaillé sur l'adaptation du NF DTU 20.1. Ce DTU englobe les blocs de construction, dits « américains », produits à La Réunion qui participent à la création des façades. Ensuite, nous avons travaillé sur les DTU 40.35 et DTU 40.36 qui englobent les couvertures métalliques, tout en sachant que le DTU 40.32 sur la tôle ondulée a été supprimé par l'AFNOR en 2003 alors que 30 % des résidences de logement sont encore construites à La Réunion avec ce matériau.

L'amendement de ces DTU requiert d'importantes ressources humaines puisqu'il nous faut des ingénieurs possédant une connaissance du terrain, des entreprises locales et de leur savoir-faire, pour pouvoir animer correctement les réunions de travail. Par ailleurs, pour pouvoir être agréé BNTEC, nous avons reçu une formation sur la certification. Nous devons dorénavant pérenniser ce travail entrepris dans les règles de l'art, ce qui permettra de prévenir 70 % des sinistres sous nos climats tropicaux.

M. Nawfal Boutahir. - La commission existante à La Réunion a atteint son régime de croisière. Par ailleurs, je tiens à rappeler que le DTU 20.1 a été validé hier pour passer à l'enquête publique et nous espérons qu'il puisse, dans les six prochains mois, être publié et mis à disposition des acteurs locaux.

De nombreuses préoccupations existent concernant l'étanchéité des murs, l'ouverture, les façades en béton, l'isolation par l'extérieur et la menuiserie extérieure. Il en est de même pour les équipements, notamment ceux de plomberie et d'eau chaude sanitaire qui constituent un véritable sujet d'actualité à La Réunion.

Concernant la deuxième question posée, un travail considérable est réalisé à La Réunion. Pour d'autres territoires, comme la Martinique, nous ne disposons pas d'informations claires sur l'avancée des réflexions, malgré des contacts avec les acteurs du bâtiment locaux afin de profiter de l'élan créé par La Réunion. Au BNTEC, nous avons l'idée d'associer les DOM sur les problématiques qui leurs sont communes afin d'être plus performant. En effet, le respect des normes requiert un travail de longue haleine. Je passe la parole à Valéry Laurent pour évoquer le sujet de l'adaptation des normes au réchauffement climatique.

M. Valéry Laurent, conseiller du président du Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction de bâtiment, BNTEC. - Du point de vue de la normalisation, on conçoit différemment l'adaptation des constructions au réchauffement climatique et l'amélioration des performances énergétiques des habitats neufs et anciens. Des travaux de normalisation ont été menés sur certains de ces aspects, tant au niveau international, afin de fixer les grands principes et méthodes générales, qu'au niveau européen, où nous sommes régis par le règlement sur les produits de construction. Ce règlement intègre un certain nombre de caractéristiques sur les matériaux de construction et le dimensionnement des ouvrages. Cependant, les règles de l'art de la construction sont très peu intégrées et dépendent des écosystèmes, technico-réglementaires et assurantiels, propres à chaque pays.

Concernant l'adaptation des constructions au changement climatique, les règles de l'art s'adaptent en fonction des besoins de l'ensemble des acteurs de la construction et sous l'effet de l'évolution des réglementations techniques issues des législations nationales. Je peux prendre quelques exemples : nous avons échangé récemment avec la Fédération Française du Bâtiment en Martinique, ce qui nous a permis de comprendre que les règles de l'art, telles qu'elles existent, bien que nécessitant une adaptation locale propre à chaque territoire, permettent de construire des ouvrages résistants et résilients. La problématique se pose davantage du côté du cadre réglementaire. Nous avons échangé hier avec le Groupe de coordination des normes du bâtiment (GcNorBât-DTU), une enceinte de concertation de l'AFNOR, sur l'absence de certains textes réglementaires, prévus par la législation. S'agissant des vents cycloniques, il manquerait un décret d'application, ce qui rend compliqué la prise en compte de nombreuses dimensions.

Concernant les règles de l'art, je précise que les normes AFNOR sont des normes d'utilisation volontaire. Cela signifie que l'on peut appliquer les bonnes pratiques de construction sans avoir à attendre la réglementation pour le faire. Un certain nombre de territoires restent très dépendants des contextes géographiques et économiques.

Par ailleurs, selon le témoignage des professionnels de ces commissions, la diminution de l'activité économique des entreprises de la construction est corrélée à la hausse des constructions informelles. Dans les endroits sans activité économique, il est très difficile de travailler suivant les règles de l'art de la construction. Nous avons pu constater une tendance générale d'une perte de compétences, à partir de la crise économique et financière de 2007, ce qui peut entraîner, du fait du rétrécissement du secteur, une hausse accrue de sinistralités.

M. Stéphane Brossard. - La RTAA-DOM, en tant que réglementation différente du cadre national, propose une ventilation traversante des logements qui permet de s'exonérer de climatisation. Cela a permis de réduire les coûts carbone émis en phase d'exploitation. En phase de construction, le PACTE a permis de financer un bureau d'étude réunionnais pour créer un logiciel dénommé TEC-Tec (Tropical Energie Carbone Réduction). Développé localement à La Réunion, il permet de faire l'analyse des cycles de vie d'un ouvrage en fonction des systèmes productifs et des matériaux utilisés. Sans aucun avantage fiscal, ni sollicitation par les pouvoirs publics, ce logiciel est donc resté entre experts de la construction.

M. Nawfal Boutahir. - Il faut préciser également que le BNTEC est un opérateur qui répond aux besoins du terrain. L'exemple le plus complet est celui du DTU 20.1, sur la maçonnerie en petits éléments, où nous attendons que les opérateurs, parties prenantes et intéressées d'un sujet, identifient un besoin. Ensuite, ils nous font une demande d'accompagnement dans la rédaction du document conformément aux règles de normalisation. Le BNTEC accompagne, aide et soutient éventuellement les idées d'adaptation qui peuvent concerner les outre-mer.

M. Valéry Laurent. - En matière de normalisation, l'un des grands principes est d'associer l'ensemble, comme l'a précisé le directeur du BNTEC. Par ailleurs, dès 2017 nous avons décidé de donner la main directement aux outre-mer pour écrire les règles de l'art et proposer les adaptations à mettre en oeuvre dans ces territoires, avec l'aide des commissions nationales. Nous sommes heureux de voir que la communauté de la normalisation nous a suivis dans ce projet pour faire ce qui n'avait pas eu lieu depuis une quinzaine d'années, lorsqu'une première tentative d'adaptation des normes du bâtiment avait échouée.

Les experts métropolitains n'ont pas nécessairement une bonne connaissance des territoires et ne peuvent donc pas écrire toutes les règles de l'art pour les outre-mer. À l'image de celle qui existe, il faut développer des commissions locales de normalisation.

Je reviens maintenant sur la question de la reconnaissance des normes étrangères. Au BNTEC, les DTU représentent, d'une part, des techniques de construction ne provoquant pas de sinistres largement maîtrisées et diffusées, au plan national, par la maîtrise d'oeuvre et les entreprises de travaux et, d'autre part, des techniques dites traditionnelles. Par ailleurs, les normes volontaires, ou moins volontaires, de la construction sont aujourd'hui essentiellement élaborées au plan européen et en anglais. Ceci génère un travail de traduction qui n'est pas forcément accessible aux experts ultramarins. Le marquage CE (Conformité Européenne), conçu pour la libre circulation des produits de construction à l'intérieur du marché européen, n'est pas adapté aux outre-mer. Sans expertise ultramarine présente lors de la rédaction des normes applicables, certains aspects n'ont pas été suffisamment pris en compte pour permettre l'adaptation du règlement européen qui s'applique dans tous les pays de l'Union européenne, y compris dans nos territoires.

Concernant la reconnaissance des normes étrangères, il faut rappeler que nous sommes régis en matière d'assurance par le régime de la loi relative à la responsabilité et à l'assurance dans le domaine de la construction, dite loi Spinetta. Ainsi, un ouvrage bien conçu, selon la réglementation française ou la RTAA-DOM, utilise des produits pour lesquels nous avons suffisamment de retours d'expériences afin d'éviter les sinistres. Cela implique de caractériser les produits afin que les professionnels puissent se les approprier et construire selon les techniques qu'ils maîtrisent. Nous avons ainsi travaillé avec la Nouvelle-Calédonie, même s'il n'existe pas encore de commission locale de normalisation. À l'exemple de La Réunion nous constatons que, dans les départements d'outre-mer, la production locale n'est pas toujours suffisante pour combler les importations de matériaux de construction tels que le bois.

En Martinique, avec l'importation de bois brésiliens, la problématique est de savoir si l'utilisation de ces produits est possible pour construire des ouvrages répondant aux règles de l'art définis au niveau national. Pour ce faire, il faut d'abord pouvoir caractériser les produits pour savoir si les techniques de production sont bien adaptées. Les normes européennes, conçues essentiellement pour le continent, peuvent ne pas suffisamment décrire ces produits d'importation provenant d'autres régions du monde. Le CSTB a été chargé par le ministère du logement d'établir des correspondances - ou des propositions - entre les normes nationales et certaines normes étrangères adaptées en fonction du territoire. Cet organisme sera plus à même de vous en parler.

Le marquage CE est un règlement qui impose au fabricant la présentation de la performance du produit qu'il a mis sur le marché. Le fabricant s'engage à respecter ces performances mais le marquage n'implique pas de notion de qualité.

Les informations relatives à la sécurité du produit figurent dans la déclaration de performance. Des produits comme des câbles électriques, des portes coupe-feu affichent ainsi leur performance en matière de sécurité incendie.

M. Nawfal Boutahir. - Il s'agit de la notion d'aptitude à l'emploi. Je prends l'exemple d'un morceau de bois marqué CE. Rien n'assure que cet élément de bois peut servir à être brûlé en cheminée, à fabriquer un meuble ou un bâtiment de huit étages. Il reviendra à l'entreprise de faire des investigations au-delà du marquage CE pour vérifier que ce matériau peut servir à construire un bâtiment de huit étages. Le marquage CE dans le secteur de la construction n'est pas un gage de qualité. Nous sommes ici sur une question d'ouvrage et non pas de produit. C'est une différence très importante et nous tentons de faire passer ce message via les actions de formation. Je laisse la parole à Stéphane Brossard sur ce sujet de la formation. En tant qu'entrepreneur, il est le plus à même de répondre à cette question.

M. Stéphane Brossard. - Concernant l'évolution possible du marquage CE, nous ne sommes pas contre l'exonération pour les produits importés des pays régionaux qui respectent des contraintes sociales minimum, tels que l'Australie ou la Nouvelle-Zélande pour La Réunion ou les États-Unis pour les Antilles. Ainsi par exemple, alors que c'est un des meilleurs du monde, la Guadeloupe ou la Martinique ne peuvent pas importer le brasseur d'air fabriqué en Floride, car il n'est pas marqué CE.

Pour pallier cette difficulté, il faut créer, par territoire, un organisme d'évaluation de la bonne conformité à l'usage. Par le passé, nous avions créé à La Réunion le label « Géocert », toujours utilisé par certains industriels, avec une commission très élargie où siègent l'industriel producteur du matériau, les assureurs, les bureaux de contrôle, les maîtres d'oeuvre... Cette commission valide, par retour d'expérience et recoupement d'informations, la mise sur le marché du produit, à La Réunion, en fonction des contraintes climatiques tropicales locales. Des tôles, des laquages de tôles, certaines menuiseries et certains blocs de façades ont ainsi été labellisés « Géocert ». Ce label se place en dehors du cadre de la réglementation et de la norme, mais il garantit au maître d'ouvrage la conformité du produit par rapport aux contraintes de son ouvrage. Si on l'exonère du marquage CE, la conformité du produit doit pouvoir être vérifiée localement.

M. Valéry Laurent. - J'ajouterais deux éléments pour compléter. Le règlement européen des produits de construction s'appuie soit sur des normes harmonisées, assez contraignantes dans le processus d'évaluation du produit, soit sur l'évaluation technique européenne. Il s'agit là d'une démarche volontaire du marquage CE sur un champ plus restreint d'évaluation. Par ailleurs, il faut aussi des organismes d'évaluation sur place pour travailler localement. Il pourrait aussi y avoir une ouverture auprès des pays étrangers - bien que cela ne soit pas encore prévu par la réglementation - disposant de leur propres laboratoires pour répondre aux exigences du marquage CE et apporter légitimement des produits dans les territoires ultramarins voisins. Par ailleurs, un type de marquage CE volontaire pourrait fonctionner puisque la réglementation européenne sur la libre circulation des produits de construction le prévoit pour les importateurs ou fabricants étrangers. Pour comparaison, prenons l'image d'un restaurant avec une réglementation imposant un processus de contrôle sanitaire comparable au règlement de produits de construction. En tant que client cherchant un bon restaurant, vous vous dirigez vers le guide Michelin et non vers cette réglementation. Il en est de même pour la construction, où nous souhaitons développer des labels et des certifications pour évaluer la qualité et la conformité des produits.

Nous travaillons ainsi sur deux aspects différents : le premier concerne la libre circulation du produit qui implique pour le fabricant d'afficher des caractéristiques du produit ; le second concerne l'utilisation de labels qui peuvent être utilisés dans des marchés publics pour répondre aux besoins des maîtres d'ouvrage.

M. Nawfal Boutahir. - Effectivement, il s'agit d'une piste à l'étude. En revanche, pour un tel système dérogatoire, il faut veiller à ne pas compliquer le système européen, pour que cela ne devienne une « usine à gaz ». Il faut aussi penser aux entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises, qui n'ont pas nécessairement les moyens d'analyser des normes faisant souvent plus d'une centaine de pages.

M. Stéphane Brossard. - Je souhaite ajouter un élément s'agissant de l'adaptation des bâtiments aux conditions climatiques. Des DTU de solutions de construction existent au niveau national sur des micros marchés tels que des maisons en ossature métallique ou en ossature bois. La filière sèche permet de s'exonérer de l'utilisation systématique de béton prêt à l'emploi qui pose problème. Du fait du problème de la ressource en cailloux dans nos territoires, cette filière peut constituer une alternative qu'il faut regarder de très près puisqu'elle permet de construire à des coûts et délais maîtrisés. Je pense que si des DTU, notamment le DTU 32.3, étaient amendés, cette technique, très peu utilisée au niveau national, pourrait être généralisée sur nos territoires ultramarins.

M. Valéry Laurent. - Nous avons bien identifié cette demande qui émane de tous les territoires d'outre-mer et même de la métropole. C'est-à-dire de valoriser les productions locales et notamment les PME/TPE au niveau local et d'adapter tant que possible les règles de l'art aux besoins locaux.

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Quel peut être le rôle des DEAL (Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement) pour accompagner l'expertise locale ?

Vous avez aussi évoqué les produits venant de l'étranger ainsi que les produits traditionnels. Avez-vous réalisé des études sur l'utilisation de ces matériaux, sur la manière dont ils ont traversé le temps et dont ils ont pu résister aux éléments climatiques. Je pense notamment aux produits venant des États-Unis pour le bassin antillais.

J'aurais également une question concernant la brique de terre cuite. Je laisserai à mon collègue Guillaume Gontard le soin de développer sur la brique de Mayotte. On retrouve aussi en Martinique une brique fabriquée avec de la terre cuite qui a fait ses preuves. J'aimerais savoir où en est son processus de normalisation et si elle est toujours utilisée dans la fabrication du logement individuel.

M. Nawfal Boutahir. - Pour ce qui concerne la DEAL, il faut savoir que sa présence est nécessaire puisqu'elle est reconnue comme interlocuteur-clé et comme moteur. La normalisation est une activité qui a pour obligation de rassembler autour de la table toutes les parties prenantes et intéressées. En tant que bureau de normalisation nous sommes dans l'obligation d'aller les chercher, mais nous sommes tout à fait favorables si une synergie se crée entre les différents acteurs.

M. Stéphane Brossard. - Concernant la présence d'expertise, nous avons la chance à La Réunion d'avoir des laboratoires et un centre, le Centre d'innovation et de recherche du bâti tropical (CIRBAT), qui nous permettent de faire des essais de résistance à la corrosion, sur la menuiserie et des essais mécaniques avec l'Université. Nous avons travaillé sur des guides comme celui sur les isolants qui tient compte des nombreux microclimats de La Réunion. Le retour d'expérience sur les isolants nous permet, en fonction de la position du bâti, situé par exemple soit en bord de mer ou en altitude, de faire une recommandation des matériaux à utiliser. Tout cela est le fruit de nos travaux et nous demandons qu'il y ait une reconnaissance au niveau national de ces expertises locales.

M. Valéry Laurent. - Pour compléter également sur l'action des DEAL, comme l'a dit Nawfal Boutahir, nous pensons qu'elles sont un acteur moteur et essentiel. Nous partageons des informations techniques quant à leur investissement et avons reçu les témoignages de plusieurs territoires. Nous avons aussi pris connaissance du rapport de la Cour des comptes et du contenu du Plan logement outre-mer qui invite à constituer ces groupes de travail. Je pense que l'action des DEAL sera essentielle pour produire des effets plus rapidement.

Vous aviez aussi une question sur les productions locales, comme la terre cuite ou la bagasse. Ce sont des produits qui sont utilisés, fabriqués et maîtrisés localement par des techniques sans qu'il soit nécessaire de les caractériser au sens où nous l'entendons en certification. Il faut savoir aussi que cela peut exister en France métropolitaine au niveau du chaume ou du tavaillon dans d'autres pays. Il n'y a pas nécessairement de documents rédigés. La problématique peut se présenter pour établir des règles de l'art afin de mieux diffuser, caractériser les produits et mieux maîtriser les techniques. Cela peut être fait dans le cadre des commissions locales de normalisation puisque l'expertise locale est présente. Il faudra sans doute l'accompagner avec des laboratoires locaux pour pouvoir caractériser les choses. Je n'y vois pas de freins dans l'absolu. Cela dépend aussi de la façon dont on vit avec cet habitat. On sait très bien qu'on a tendance à construire en dur pour cinquante ans, ce qui n'est pas le cas aux États-Unis où on construit beaucoup plus en bois avec des maisons pouvant se déplacer. Rien n'interdit dans la normalisation de faire ce type d'action. Une réelle volonté de compréhension de la situation locale est nécessaire puisque la construction d'un ouvrage engage la responsabilité des pouvoirs publics et doit fournir des garanties au maître d'ouvrage et à l'assureur. C'est une question qui revient très fréquemment.

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - J'aimerais évoquer l'exemple des tiges de fer pour ces bâtiments. Pour avoir discuté avec des travailleurs du bâtiment à Saint-Barthélemy, le fer qui arrivait des États-Unis était plus souple comparativement à celui venant d'Europe. Le fer européen cassait plus facilement d'où la préférence des travailleurs du bâtiment pour le fer américain qui permettait de mieux préserver les constructions lors de mouvements sismiques. Cet exemple démontre la nécessité de s'adapter aux réalités. Je suis ravie de voir ce que vous avez mis en place à La Réunion. Les Assises de la construction, que propose mon collègue Guillaume Gontard, pourraient être l'occasion de mettre en avant toutes ces techniques. L'ensemble des territoires ultramarins étant soumis à la salinité, aux cyclones et au séisme, je pense qu'au lieu de démultiplier, il serait nécessaire de partager toutes ces techniques entre les différents territoires.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je voudrais revenir sur la question du réseau et du partage d'informations qui est essentielle. Nous avons évoqué la possibilité de mettre en place des Assises de la construction, et je pense en effet que les retours d'expériences sont indispensables pour ces territoires.

J'aimerais citer l'exemple de la paille. Le Réseau français de la construction en paille (RFCP) permet aux artisans et aux bureaux d'étude de faire reconnaître leurs pratiques, notamment auprès des assureurs. Cela permet l'usage de ces matériaux et le développement de retours d'expérience qui participent à l'encadrement de cette utilisation. De même, s'agissant du bois, il existe dans mon département un label « Bois des Alpes », se fondant sur des critères géographiques et sur les caractéristiques précises de l'utilisation de ce bois ou encore « l'AOC Bois de Chartreuse » qui définit les méthodes de récolte et de travail sur le bois et permet le développement d'une filière propre.

Comment parvenez-vous à travailler, territoire par territoire, pour coordonner les différents acteurs que sont les architectes, entreprises, artisans, organismes de certification et assureurs et pour assurer la certification et la formation des entreprises ?

M. Nawfal Boutahir. - Il existe un cinquième intervenant, que vous avez peut-être oublié de citer, qui sont les contrôleurs techniques. Dans le secteur de la construction nous avons cinq catégories d'intérêts principaux : les contrôleurs techniques, les entreprises de travaux, la maîtrise d'oeuvre, les fabricants et les maîtres d'ouvrage. Pour que le document DTU soit reconnu par la profession, il faut l'accord de ces cinq parties, ce qui n'est pas évident à obtenir. Cette situation fait que la rédaction des DTU prend autant de temps, comme l'illustre le DTU 20.1 dont les travaux ont débuté en 2017 et qui sera prochainement validé. Concernant l'utilisation de matériaux locaux, nous sommes totalement en phase avec le secteur de la construction, notamment au niveau des DTU. En effet, la tradition et le retour d'expérience sont des éléments prépondérants dans la rédaction de nos textes car nous tentons de savoir si la pratique est connue et reconnue et si elle est utilisée pour justifier qu'une PME-TPE peut l'utiliser sans avoir à former son personnel. Le DTU peut être un socle de base pour réunir des techniques ou des matériaux utilisés au niveau local.

La tendance est à l'utilisation du bois. Le Centre Technique du Bois et de l'Ameublement (CTBA) serait davantage en mesure de vous apporter des réponses concernant la recherche et la normalisation.

La recherche et le développement servent, dans un premier temps, à collecter suffisamment d'éléments sur des propriétés telles que l'humidité et la résistance. Dans un second temps interviendra la normalisation qui permettra de consolider ces recherches.

M. Stéphane Brossard- Pour illustrer cette démarche de normalisation, je prendrais l'exemple de l'utilisation du bois à La Réunion. Le cryptomeria japonica, une essence plantée dans les années 1950 à La Réunion pour reboiser les forêts de bois tropicaux, est la seule qui puisse être exploitée puisqu'il n'y a plus de ressources sur l'île hormis celles qui servent à l'ameublement. Nous avons donc fait appel au CTBA, via le CIRBAT, pour réaliser une classification du cryptomeria. Le CTBA a fait pendant six mois des essais sur cette essence qui ont permis de reconnaître qu'il ne pouvait obtenir qu'une classe 3. Le cryptomeria japonica ne peut donc être utilisé qu'en élément de façade, c'est à dire en élément secondaire et non pas en élément principal. Pour construire structurellement en bois, nous sommes obligés de recourir à de l'importation.

Mme Vivette Lopez. - Une des recommandations de notre rapport sur le BTP en 2017 était de pérenniser l'expertise locale qui permet de réduire le coût et les délais d'évaluation. Je pense qu'il faudrait profiter de la présidence française de l'Union européenne en 2022 pour imposer, si cela est possible, cette question primordiale.

Ma collègue, Nassimah Dindar, de l'île de La Réunion, m'a demandée de poser une question en son nom. Au regard de l'évènement Irma, la question de l'évolution à La Réunion du risque cyclone s'est posée l'année dernière. Il a été préconisé de revoir à la hausse les niveaux de vents de référence, avec un impact considérable sur les coûts de construction. Avez-vous été saisis de cette question ? Quelle sont vos préconisations pour arriver à un accord sur les vents de référence et sur leurs méthodes de calcul ?

M. Nawfal Boutahir- Concernant la tenue au vent, nous gérons au BNTEC l'Eurocode 1. Nous avons la partie « vent » qui prévoit les calculs nécessaires avec une annexe nationale qui traite des spécificités locales et géographiques de la France en complément des Eurocodes, qui sont des normes européennes. À ce jour, nous n'avons pas eu de demande particulière pour amender cette annexe nationale.

M. Stéphane Brossard. - Nous avons un recul d'expérience relativement important sur cet Eurocode et cette vitesse de base de 34 mètres par seconde. Il s'avère que, compte tenu de la rigidité que cela génère en termes de calculs sur les ouvrages, cela est largement suffisant pour garantir la sécurité des personnes. Nous considérons qu'il n'est pas possible d'amender à la hausse le niveau des vents de référence, compte tenu de la situation économique et du seuil que cela va générer en terme de modification des avis techniques et des essais réalisés à ce jour. Ces éléments vont provoquer des surcoûts très importants pour aucune fiabilité du résultat final. Il faut selon moi regarder ces évènements climatiques extrêmes dans leur globalité. Les dégâts engendrés se font sur des ouvrages qui ne respectaient pas la réglementation minimum qui viennent ensuite, pris par le vent, impacter les ouvrages qui ont été calculés suivant la réglementation. C'est plutôt les impacts qui génèrent les dégâts les plus importants. En matière cyclonique, les dégâts les plus importants sont causés par l'eau. La mise en oeuvre d'un nouveau règlement augmentant la vitesse de base pour les constructions neuves ne me semble pas pertinente.

La rénovation et le renfort des bâtiments existants sont au contraire les aspects à prendre en compte, en prévoyant la création d'abris anticycloniques et de bâtiments de secours construits pour résister à des vents supérieurs au seuil de base. Ces infrastructures pourraient être mises à la disposition des personnes dont les locaux ne sont pas construits en respectant ce seuil de 34 mètres par seconde.

Il en est de même pour la sismicité où le faible nombre de séismes enregistrés à La Réunion ne nécessite pas la mise en place d'une réglementation sur cet aspect.

Mme Annick Petrus, présidente. - Nous sommes arrivés au terme de notre audition. Je remercie nos invités pour les éclairages techniques qu'ils nous ont apportés.

- Présidence de Mme Annick Petrus, vice-présidente -

Étude sur le logement dans les outre-mer - Audition de MM. Étienne Crépon, président du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), et Pascal Berteaud, directeur général, accompagné de Mme Séverine Bes de Berc, directrice déléguée outre-mer, directrice déléguée risques, réduction des nuisances, énergie et de M. Laurent Arnaud, chef du département bâtiments durables, du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA)

Mme Annick Petrus, présidente. - Chers collègues, nous poursuivons nos travaux dans le cadre de notre étude sur le logement dans les outre-mer en accueillant les responsables de deux grands organismes spécialisés dans les normes techniques : M. Étienne Crépon, président du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) ; M. Pascal Berteaud, directeur général, accompagné de Mme Séverine Bes de Berc, directrice déléguée outre-mer, directrice déléguée risques, réduction des nuisances, énergie, et de M. Laurent Arnaud, chef du département bâtiments durables, du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA).

Comme vous le savez, le CSTB, a pour mission de garantir la qualité et la sécurité des bâtiments et exerce des activités d'évaluation et de certification.

Le CEREMA apporte aux acteurs territoriaux un appui en termes d'ingénierie et d'expertise technique et contribue à la qualité et à la pérennité des ouvrages. La normalisation est aussi au coeur de ses préoccupations.

Nous vous remercions, Madame et Messieurs, d'avoir répondu à notre invitation et de bien vouloir répondre aux questions de nos trois rapporteurs, Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard.

Pour rappel, je précise que la délégation a déjà procédé à une douzaine d'auditions et que celle-ci s'inscrit dans le prolongement de la précédente, organisée avec le BNTEC.

Sans plus tarder, je cède la parole au CSTB puis au CEREMA pour une présentation générale d'une dizaine de minutes chacun, sur la base de la trame qui leur a été adressée, puis les trois rapporteurs les interrogeront pour des éclairages complémentaires. Enfin, je donnerai la parole à nos collègues afin qu'ils posent leurs questions.

M. Étienne Crépon, président du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). - Je vous remercie, Madame la Présidente. Je commencerai par rappeler les grands déterminants techniques et économiques de la filière de la construction. Cette filière pèse, au niveau national, plus de 120 milliards d'euros, soit l'équivalent de l'industrie automobile et deux fois l'industrie aéronautique. Contrairement à ces deux secteurs, celui de la construction ne comporte pas de leader économique. Il n'y a aucun acteur qui, au sein du secteur de la construction, organise la filière, gère les sous-traitants afin d'apporter le meilleur service à l'usager final. Au contraire, chaque acteur est relativement indépendant et possède un pouvoir de blocage sur la réalisation des projets. Par ailleurs, il existe peu de barrières à l'entrée de ce secteur ; par conséquent, les marges des entreprises sont très faibles. Compte tenu de ces deux grands déterminants, le secteur de la construction a une très forte aversion au risque. Dans tous les pays, les acteurs de la construction ont avant tout l'objectif d'éviter le risque qu'une opération marginalement bénéficiaire devienne lourdement déficitaire.

J'ai voulu vous rappeler ces éléments pour bien situer le contexte dans lequel intervient le CSTB. Ce dernier est un établissement public industriel et commercial, créé par l'État juste après la Seconde Guerre mondiale. Il possède deux grandes missions. La première consiste à conduire des travaux de recherche dans le domaine de la construction, parce que, globalement, les acteurs économiques n'investissent pas en recherche et développement (R&D). L'effort de recherche, au niveau national, équivaut à 2 % du PIB, tous secteurs confondus, alors qu'il est inférieur à 1 %o dans le secteur de la construction. La deuxième mission est l'évaluation des produits innovants, parce que, compte tenu de cette aversion au risque, un produit innovant ne peut accéder au marché professionnel que s'il a été évalué par des tiers indépendants. Nous le constatons dans tous les pays développés : Japon, États-Unis, Europe, Chine... En France, cette mission d'évaluation a été confiée par l'État au CSTB, qui agit en son nom et pour son compte.

Le CSTB agit aussi dans les territoires d'outre-mer. Comme nous nous y étions engagés dans le cadre du Plan logement outre-mer, un cadre supérieur du CSTB a été désigné fin 2019 pour être l'interlocuteur privilégié et le point de contact avec les territoires ultramarins. En effet, notre entreprise de 1 000 personnes peut sembler compliquée à ceux qui ne la connaissent pas, c'est pourquoi j'ai fait cette proposition au ministre. Dans ce cadre, nous avons formalisé avec la Direction générale des outre-mer un programme d'action visant à améliorer la connaissance et aider à la prise en compte des spécificités ultramarines dans les règles et procédés de construction. Ce programme concerne notamment deux sujets très importants : la caractérisation des conditions climatiques outre-mer, notamment la présence de risques très différents et beaucoup plus importants (cyclones, salinité), et l'adaptation des méthodes et critères d'évaluation des matériaux aux spécificités ultramarines. Ces travaux sont en cours ; nous avons signé la convention fin 2020. Ils permettront de poser les bases d'avancées significatives sur les spécificités des constructions ultramarines.

M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). - Le CEREMA est l'héritier de l'ancien réseau technique du ministère de l'Équipement. À ce titre, il est chargé de l'expertise des domaines du bâtiment et des travaux publics. Pour le bâtiment, nous avons sérié nos activités en essayant de les centrer sur les domaines où notre expertise est unique, notamment la question de l'efficacité énergétique des bâtiments (usage, ventilation) et les matériaux biosourcés. Historiquement, le réseau technique du ministère de l'Équipement n'était pas présent en outre-mer. Aujourd'hui, notre activité ultramarine s'effectue depuis la métropole, essentiellement à la demande des services de l'État, sur des questions d'adaptation de la réglementation thermique acoustique et aération (RTAA) à l'outre-mer, la rédaction de guides sur la construction paracyclonique, etc. Le fait de ne pas être présents outre-mer nous a paru limitant, c'est pourquoi nous avons décidé, à compter de fin 2021, de nous implanter dans l'océan Indien et en Guyane. L'implantation aux Antilles interviendra dans un second temps, en raison de cette période de réduction d'effectifs. Au-delà des études méthodologiques que nous menons pour l'administration, nous souhaitons apporter l'expertise au plus près du terrain. Le mantra du CEREMA est « l'expertise publique au profit des politiques et des autorités publiques ». Or, l'endroit où ces expertises sont les plus nécessaires en France est l'outre-mer. Il nous semblait donc étrange de ne pas y être présents.

Je laisse la parole à Laurent Arnaud pour présenter nos actions actuelles sur le bâtiment en outre-mer.

M. Laurent Arnaud, chef du département bâtiments durables du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). - C'est à la demande de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) que nous intervenons au plus près des territoires. Nous avons contribué à la réécriture du CCH (code de la construction et de l'habitation) dans le cadre de la loi ESSOC (État au service d'une société de confiance), à l'écriture initiale de la RTAA (réglementation thermique, acoustique et d'aération) et à son adaptation à certains territoires. Il reste des éléments à compléter, notamment la prise en compte d'indicateurs climatiques et de confort. Nous avons contribué à la rédaction d'un Guide sur la construction parasismique. Nous avons réalisé des formations auprès des services déconcentrés, notamment sur le CRC (contrôle réglementaire de la construction). Nous avons récemment travaillé sur l'adaptation du dispositif écoénergie tertiaire afin d'élargir les actions aux territoires ultramarins. Enfin, dans le cadre d'un appel d'offres fin 2020, nous avons participé à un projet sur l'utilisation des ressources locales ultramarines pour développer des constructions à base de matériaux biosourcés. La valorisation des ressources sur ces territoires revêt deux intérêts : le premier est l'orientation vers des constructions bas-carbone, le second est le développement de nouvelles filières économiques grâce à ces matériaux. Mayotte et la Guyane sont les deux territoires ciblés dans le cadre de cet appel à projets. D'autres territoires pourraient éventuellement donner lieu à des développements.

M. Pascal Berteaud. - Concernant le programme national de revitalisation des centres-bourgs, sur lequel nous intervenons dans cinq collectivités, les premiers résultats ne sont pas très surprenants. Les habitats précaires et insalubres sont fréquents, mais, il convient de parler des outre-mer car les problématiques sont très différentes d'un territoire à l'autre. Il est nécessaire d'avoir une politique spécifique pour chaque département et non une politique de l'outre-mer.

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Chers collègues, Madame, Messieurs, je vous remercie pour ces informations qui nous éclairent sur les missions du CSTB et du CEREMA

Je commencerai par quelques questions destinées à M. Étienne Crépon sur le développement des filières locales. Comment accélérer et simplifier les procédures d'avis techniques et d'essais ? Le CSTB est partenaire du programme ECODOM pour la maîtrise des charges énergétiques, de la climatisation et du confort thermique en outre-mer, particulièrement pour le logement social, dans le cadre du dispositif des certificats d'économies d'énergie. Pouvez-vous en dresser un bilan ? Votre organisme envisage-t-il d'implanter des laboratoires et centres techniques sur place, pour faciliter la certification ?

M. Étienne Crépon. - Une évaluation prend en moyenne deux ans dans un pays européen, mais un peu moins d'un an en France. En effet, en raison de l'insistance des ministres des précédents et de l'actuel gouvernement, nous avons effectué un important travail de réingénierie pour réduire les délais d'obtention des avis techniques. Pour une PME, le délai de neuf mois d'attente avant de commercialiser un produit est très long. Nous avons tenté d'aller beaucoup plus vite, de réduire les listes de preuves et le temps d'instruction. Force est de constater que ces tentatives n'ont pas suscité la confiance et n'ont donc pas permis aux produits concernés d'accéder au marché. La méthode qui fonctionne consiste, lorsque des familles de produits atteignent un certain degré de maturité, à élaborer des normes et règles professionnelles de mise en oeuvre afin de permettre aux entreprises de se passer des prestations du CSTB. Ces entreprises dont le produit correspond aux règles professionnelles, bénéficient d'un accès beaucoup plus rapide au marché. Cette action est essentielle pour développer les produits de construction ultramarins. Une fois cet investissement fait, la filière aura toute la capacité de se déployer.

Le programme ECODOM me paraît exemplaire. En effet, nous utilisons les résultats les plus récents des travaux du CSTB sur le comportement des individus face à un stimulus sensoriel pour déterminer comment, dans le cadre de travaux de rénovation de logements en outre-mer, éviter durablement le recours à la climatisation tout en garantissant un niveau de confort aux habitants. Je le considère comme exemplaire parce que son objectif est très clair - éviter le recours à la climatisation - et parce qu'il s'appuie sur des travaux à la pointe de la recherche. Nous réfléchissons d'ailleurs à déployer un programme similaire en métropole. Cette démarche pourrait en effet être pertinente sur l'ensemble du territoire national.

Concernant votre dernière question, le CSTB est un petit établissement. Il compte 1 000 collaborateurs et doit embrasser tous les sujets scientifiques et techniques relatifs au bâtiment. Nous donnons accès aux meilleurs experts. Si je voulais offrir un service similaire dans l'océan Indien, aux Antilles ou en Guyane, il me faudrait ouvrir une antenne de vingt à trente personnes. Il nous a paru préférable d'avoir un interlocuteur unique et de nous appuyer sur des partenaires locaux susceptibles d'avoir la masse critique tout en bénéficiant de l'expertise du CSTB. Un projet d'implantation locale à La Réunion a échoué de justesse pour des raisons indépendantes de notre volonté. Un second est envisagé aux Antilles, sans que nous ayons encore identifié un partenaire et un troisième est en cours de mise en place en Guyane. Je n'envisage donc pas de déployer des équipes dans les départements d'outre-mer, d'autant plus que la crise sanitaire nous a permis de faire collectivement d'importants progrès via la visioconférence, rendant possible ce qui était inimaginable il y a quelques années.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Le sénateur Antoine Karam avait proposé un amendement pour qu'il y ait des représentants ultramarins au sein de votre conseil d'administration. A-t-il été retenu ? Une telle représentation vous paraît-elle utile ?

M. Étienne Crépon. - Dans le cadre de la loi ELAN, tous les amendements concernant le CSTB et adoptés dans le projet de loi ont été considérés par le Conseil constitutionnel comme des cavaliers législatifs et ont été censurés. Je crains que l'amendement d'Antoine Karam n'ait subi le même sort, pour des raisons de procédures plus que pour sa forme.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - On me dit qu'un lobby s'y oppose. Des représentants hexagonaux ne voudraient pas que des ultramarins siègent au sein de ce conseil.

M. Étienne Crépon. - Les conseils d'administration du CSTB sont des instances formelles ; on y approuve les comptes ou des délibérations administratives. Leur intérêt scientifique et technique est assez relatif. Le CSTB, et son président, ont la volonté d'être plus à l'écoute et au service des territoires ultramarins. C'est la logique de la mise en place du directeur de projet en charge des outre-mer et de la formalisation d'un programme de travail lourd et structurant, avec le ministère des outre-mer, pour faire progresser concrètement la situation.

Nous venons de renouveler le conseil d'administration, qui comporte quatre représentants des collectivités locales (mairies, intercommunalités, départements et régions). Nous avons d'ailleurs eu du mal à trouver des candidats. Si j'avais su qu'il y avait des candidatures ultramarines, je m'en serais fortement réjoui. Malheureusement, aucune n'a émergé. Lors du prochain renouvellement de ces représentants, je ne verrai que des avantages à la candidature d'un représentant des outre-mer.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je vous remercie pour vos interventions. La question qui vient d'être posée est essentielle. Il me paraît important et intéressant qu'une personnalité qualifiée ultramarine puisse siéger. Cela permettrait d'améliorer la prise en compte des spécificités dans l'édiction des normes sur les territoires d'outre-mer.

J'ai une question sur l'amiante. Son traitement dans le bâtiment est toujours compliqué, et particulièrement en outre-mer. Le CSTB a-t-il des réflexions sur la filière de l'amiante spécifique aux outre-mer, notamment en ce qui concerne la rénovation des bâtiments ?

De quelle manière le CEREMA est-il impliqué dans la réécriture de la réglementation thermique, acoustique et d'aération (RTAA) des DOM ? Je relève que la réglementation environnementale 2020 (RE2020) est sans cesse repoussée. De quelle manière êtes-vous associés à la réflexion sur la spécificité des outre-mer dans ce cadre ? Par ailleurs, notre délégation a publié un rapport en 2017 sur les normes du BTP dans les outre-mer, et notamment sur le manque de prise en compte de leurs spécificités. Pensez-vous que la situation se soit améliorée sur ce point ? Il me paraît important de partir des pratiques et des filières existantes. Il conviendrait, à mon sens, de mieux intégrer l'utilisation de matériaux locaux (terre, bois, etc.), mieux articuler le travail du CSTB avec celui d'autres acteurs que sont les architectes, bureaux d'études, maîtres d'oeuvre publics, etc., et de mieux organiser cette filière sur les territoires.

M. Pascal Berteaud. - Les questions de gouvernance sont un sujet majeur pour le CEREMA, dont les six domaines d'activité correspondent à 60 % de la compétence institutionnelle. La place des collectivités locales dans la gouvernance du CEREMA constitue donc un sujet essentiel pour nous. J'espère que vous en débattrez dans la loi 4D, dont l'article 38 prévoit d'autoriser le Gouvernement à procéder par ordonnances pour réformer la gouvernance du CEREMA vers un système beaucoup plus orienté en direction des collectivités. La question des outre-mer devra être posée à ce moment-là.

Par ailleurs, il me semble important de retenir que les questions sont à la fois structurelles (matériaux, etc.) et comportementales. Nous avons beaucoup travaillé sur ce point dans l'Hexagone, et il conviendrait d'adapter ces travaux à l'outre-mer, dans le cadre du programme CUBE.S (Challenge Climat, Usages, Bâtiments Enseignement Scolaire) qui s'intéresse à la consommation d'énergie dans les écoles. Par des changements comportementaux grâce à des actions de sensibilisation peu onéreuses, nous parvenons déjà à une économie d'énergie de l'ordre de 15 %.

Concernant la RTAA DOM, nous sommes persuadés qu'il est possible d'aller beaucoup plus loin dans l'adaptation de la réglementation aux outre-mer. Étant plus important que le CSTB, le CEREMA peut se permettre de développer des antennes en outre-mer (qui feront de toute façon appel aux spécialistes hexagonaux) de façon à avoir une présence sur place et à monter des programmes d'adaptation plus forts.

M. Laurent Arnaud. - Ma conception serait d'anticiper cette adaptation en travaillant sur les données climatiques sans chercher uniquement à rattraper les évolutions. Cela change la nature de la réflexion. Nous nous appuyons beaucoup sur le marquage des produits par exemple.

Concernant la RTAA, nous avons travaillé sur le contenu technique de cette réglementation pour l'adapter. Nous avons rédigé des guides de vulgarisation de manière à faire passer le message.

Pour ce qui est de la RE2020, nous avons travaillé sur le volet hexagonal de ce document. L'idée serait de la rendre applicable aux territoires ultramarins, comme cela était initialement prévu. Le contexte y est effectivement plus compliqué puisque, sur le plan de l'analyse de cycles de vie dynamiques prenant réellement en compte le carbone, l'applicabilité est plus difficile. Nous nous appuyons beaucoup sur le marquage des produits en fonction de leur origine, mais les autres pays n'ont pas les mêmes bases de données que nous. Pour autant, la mission reste utile parce que ce marquage carbone représente un point d'appui. Par ailleurs, il faudrait développer la notion d'ENR (énergies renouvelables) par rapport aux objectifs de chaque territoire. Le CEREMA est prêt à y travailler ; il suffit qu'il soit mandaté pour le faire, par la DHUP ou une autre entité.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Connaissez-vous la Réglementation thermique de la Guadeloupe (RTG), faite par habilitation ? Quelle est l'articulation entre la Réglementation thermique, acoustique et aération (RTAA DOM) et la RTG Guadeloupe ? Quelle est, aujourd'hui, la pertinence de la RTG Guadeloupe ? Est-elle encore d'actualité et peut-on s'en inspirer ?

M. Laurent Arnaud. - Je n'ai pas de connaissance approfondie du texte, mais je peux vous dire qu'il y a eu une démarche d'adaptation pour chacun des territoires. La Martinique l'a fait, mais ni La Réunion, ni Mayotte. La RTAA avait la volonté d'être généraliste en adoptant des caractéristiques « global macro ». Les adaptations guadeloupéennes et martiniquaises sont une très bonne chose. Pour évoluer encore, il conviendrait de voir comment ces expériences peuvent profiter aux autres territoires ultramarins dans leurs spécificités.

C'est grâce à la concertation avec les acteurs locaux que nous pourrons avancer plus vite. Il faut mettre la connaissance et l'ingénierie métropolitaines au service des outre-mer. Les outils numériques favorisent aujourd'hui la participation de tous les partenaires à des comités.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - À l'époque, nous avions l'impression que les services centraux n'étaient pas en faveur de cette habilitation. Ils nous avaient fait des offres de services pour écrire eux-mêmes ces textes. Nous avons collaboré, je l'avoue, avec la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). La situation s'est reproduite en matière de maîtrise de l'énergie, puisque nous avions là aussi une habilitation, et également en matière de formation. La loi 4D permettra d'ailleurs de créer des EPIC (établissements publics industriels et commerciaux) chargés de la formation professionnelle dans chaque territoire. Nous avons créé des associations, puis un EPA (établissement public administratif) qui a été annulé par le Tribunal administratif et la Cour d'appel de Bordeaux. Nous avions l'impression que la culture de la centralité parisienne se méfiait des initiatives locales.

Le succès fut important et la République d'Haïti nous a même sollicités. Les experts avaient beaucoup travaillé sur les normes techniques de construction et de climatisation. Je demanderai donc à la délégation d'étudier cette question de l'actualité et de la pertinence de cette réglementation thermique de la Guadeloupe. Elle a été proposée à la Martinique, qui l'a probablement améliorée depuis.

Quand j'entends qu'existent la RTAA DOM et la RE2020, je me dis qu'il convient d'éviter tout surcroît de normes. Toutefois, la RTG existe ; ce qui se fera n'a pas vocation à supprimer ce qui fait partie du corpus juridique.

L'habilitation est intéressante car ce que nous n'avons pas réussi à obtenir par la loi, nous l'avons obtenu par ce biais. Ce processus est cependant long et cher. Il est possible de faire passer par un simple amendement ce qui prendrait plusieurs mois ou années par habilitation. La réglementation thermique à elle seule a coûté 5 millions d'euros en frais de cabinets d'experts. Nous devons intégrer à nos analyses la question du véhicule le plus approprié pour faire avancer ce type de questions.

M. Étienne Crépon. - Le CSTB a été un acteur très présent lors de l'élaboration de la RTG, qui a effectivement été un bel exercice d'adaptation de règles scientifiques aux spécificités d'un territoire. La RE2020 sera en rupture avec tout le corpus réglementaire existant puisque nous passerons d'une approche purement énergétique à une approche mêlant énergie et carbone. Il est donc hautement probable que les outre-mer, afin de tenir compte de leurs spécificités, devront s'interroger sur la mise en place d'une réglementation adaptée se substituant aux réglementations nationales. Cela peut être pertinent mais, comme vous l'avez dit, c'est aussi long et cher. Une réglementation élevée à 5 millions d'euros, rapportée à un territoire de 400 000 habitants, est très onéreuse. Il convient que les exécutifs locaux s'interrogent sur l'intérêt d'un tel investissement. C'est totalement légitime sur un sujet aussi important que le cadre bâti, directement lié aux conditions climatiques.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - L'État a objectivement intérêt à donner des habilitations, puisque cela ne lui coûte rien. Ce n'est pas un transfert de compétences ; il n'y a donc pas de commission consultative d'évaluation des charges transférées. Notre délégation doit s'interroger sur cet aspect financier. À mon sens, au-delà du résultat technique, c'est inefficace et trop cher. L'État doit comprendre la nécessité de mieux adapter les textes, sur le fondement des dispositions de l'article 73.

M. Étienne Crépon. - En réponse aux questions sur l'amiante, le Gouvernement avait initié sur l'ensemble du territoire national des travaux de recherche pour réduire le coût du désamiantage.

Dans ce cadre, il avait demandé au CSTB de conduire des études scientifiques sur l'identification de la présence d'amiante. Ces travaux devraient aboutir fin 2021, avec la capacité de mesurer la présence d'amiante en quasi-temps réel, dans l'atmosphère comme dans les matériaux de construction.

Sur les procédés de retrait d'amiante plus légers et ne nécessitant pas de personnels en combinaison de protection, nous avons conduit des études sur des solutions qui, pour l'instant, n'ont pas trouvé un accès au marché. Les industriels que nous avons contactés ne sont pas intéressés.

Enfin, la question de la gestion des déchets est la problématique la plus importante dans les territoires ultramarins, car ceux-ci sont jetés en décharge. Nous voulions trouver une solution hydrochimique de neutralisation de l'amiante par traitement au « point triple de l'eau », mais nous avons échoué scientifiquement et économiquement. Non seulement nous ne sommes pas convaincus que nous parviendrions à neutraliser l'amiante en la portant dans les conditions de température et de pression du « point triple de l'eau », mais en outre cela exige une débauche d'énergie équivalente à celle de la torche à plasma, système actuellement utilisé. Cette quantité d'énergie n'est pas disponible dans les DOM et nous n'avons donc pas trouvé d'alternative crédible à la mise en décharge.

M. Pascal Berteaud. - Il y a 25 ans, j'ai eu la chance d'être chargé de la première opération de transfert de gestion, par le ministère des outre-mer, de la LBU et des LHI, au tout début de l'autonomisation. La difficulté réside dans la nécessité de développer une politique spécifique à chaque territoire tout en mobilisant les moyens nationaux. Or, c'est long et compliqué. Je suis favorable à une décentralisation forte, mais cela exige d'en transférer les moyens. L'expertise, actuellement, ne se situe plus tant au sein de l'État qu'au sein d'établissements comme le CSTB ou le CEREMA.

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - L'Université de Guadeloupe possède des laboratoires travaillant sur des sujets environnementaux, de biochimie, etc. Il serait judicieux d'étudier quels partenariats pourraient être mis en place avec des scientifiques sur ce type d'études. Il est vrai que la RTG a un coût. Cependant, développer des normes inadaptées aux territoires ultramarins a un coût également, peut-être moins visible mais dont l'impact à long terme peut se révéler considérable. Il conviendrait de faire des études ciblées sur tous ces sujets.

Je peux toutefois concevoir que la France, assujettie aux normes européennes, ne tienne pas compte des spécificités ultramarines. Un travail politique à ce niveau permettrait une prise de conscience des particularités de ces territoires français et de la nécessité d'adaptations spécifiques.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - En ce qui concerne les laboratoires, j'ai entendu dire qu'un brevet aurait été déposé par des architectes ultramarins pour un parpaing parasismique qui serait très intéressant dans nos zones sismiques.

M. Étienne Crépon. - S'il s'agit d'un produit de construction innovant, ils se sont probablement adressés au CSTB. J'interrogerai mes équipes dès mon retour. En revanche, avez-vous entendu parler d'un projet de constructions paracycloniques développé par le CSTB ? Il est testé en Floride et le brevet a été versé dans le domaine public pour qu'il puisse être repris par tous les acteurs.

Le partenariat avec les universités est une orientation privilégiée par le CSTB, qui bénéficie déjà d'un partenariat avec le CNRS et plusieurs universités métropolitaines, et via notre filiale, avec l'université de La Réunion. J'y suis personnellement très favorable dès lors qu'il s'agit d'un véritable partenariat scientifique avec échange de connaissances et de compétences, et travail croisé. L'une des raisons pour lesquelles un des projets de partenariat avec une université ultramarine a échoué est qu'elle le considérait comme une annexe à son budget. Le CSTB devait la financer, sans contrepartie scientifique ni technique. Or ce n'est pas le rôle du CSTB, mais celui du ministère de l'enseignement supérieur.

M. Laurent Arnaud. - Le CEREMA n'ignore pas bien entendu le coût de l'inaction. Croire que ne rien faire ne coûte rien est une erreur. Il faudrait systématiquement comparer le coût de l'inaction à celui de l'action pour déterminer le différentiel. Cela vaut pour tous les territoires. Nous essayons d'intégrer cet élément pour favoriser les décisions au niveau des collectivités locales.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Concernant les panneaux solaires, je me souviens que certains étaient intégrés à la toiture, d'autres simplement posés dessus. Chaque technique appelait un régime fiscal différent. Je me suis battu pendant de longues années pour que la défiscalisation soit harmonisée. C'était à la fois un problème de normes paracycloniques et de régime fiscal. Est-ce toujours le cas ?

M. Étienne Crépon. - Je n'ai pas d'expertise fiscale sur ce sujet.

M. Pascal Berteaud. - Il me semble que cette question a été réglée au niveau national. À l'origine, ne bénéficiaient des avantages fiscaux que les panneaux intégrés à la toiture. Je crois que, depuis un ou deux ans, les panneaux posés sur la toiture en bénéficient aussi.

M. Laurent Arnaud. - Les panneaux solaires sont plus performants lorsqu'ils ne sont pas intégrés à la toiture. Il existe un intérêt technique : plus le panneau est chaud, moins son rendement est bon. Les panneaux intégrés sont moins bien refroidis par le vent.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Ce problème d'intégration au bâtiment et l'aspect paysager n'est pas spécifique aux outre-mer. Durant toute une période, les aides étaient réservées aux panneaux intégrés à la toiture, ce qui posait effectivement des problèmes de ventilation et de production d'électricité plus faible. La réglementation a désormais changé.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - À l'époque, pour une dépense de 16 000 euros, un crédit d'impôt de 8 000 euros était offert et il n'existait pas de conditions de ressources.

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Pour conclure sur les panneaux solaires, notre expérience à Saint-Barthélemy après le passage de l'ouragan Irma a montré que beaucoup de panneaux solaires intégrés ont mieux résisté que ceux qui étaient simplement posés sur les toitures. Les installateurs ont toutefois trouvé d'autres systèmes de fixation. Cela fait partie de l'ajustement des normes.

Mme Annick Petrus, présidente. - Je vous remercie pour vos interventions et votre expertise. Merci, chers collègues, pour ce riche débat.

- Présidence de Mme Annick Petrus, vice-présidente -

Étude sur le logement dans les outre-mer - Audition de Mme Anne-Sophie Grave, présidente du directoire, M. Philippe Pourcel, directeur général adjoint du réseau outre-mer de CDC Habitat

Mme Annick Petrus, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi nos travaux, dans le cadre de l'étude sur le logement outre-mer, en auditionnant le groupe CDC Habitat, filiale de la Caisse des dépôts et consignations.

CDC Habitat est représenté aujourd'hui par Mme Anne-Sophie Grave, présidente du directoire depuis décembre 2020, date à laquelle elle a succédé à M. André Yché. Elle est accompagnée de M. Philippe Pourcel, directeur général adjoint du réseau outre-mer.

Nous vous remercions vivement d'avoir répondu à notre invitation et de bien vouloir répondre aux questions de nos trois rapporteurs, M. Guillaume Gontard, Mme Micheline Jacques et M. Victorin Lurel. CDC Habitat est en effet un acteur majeur de la politique du logement et du renouvellement urbain sur l'ensemble du territoire français. Il intervient en outre-mer par le biais de ses huit filiales qui y sont implantées. Nous sommes donc particulièrement intéressés par les actions que vous menez spécifiquement dans chaque territoire, notamment en matière de logements locatifs, en particulier sociaux, car la demande y est très forte.

Madame la présidente, vous avez la parole pour une présentation liminaire de vos actions, sur la base de la trame qui vous a été adressée, puis les trois rapporteurs vous interrogeront, ainsi que nos collègues, s'ils souhaitent des éclairages complémentaires.

Mme Anne-Sophie Grave, présidente du directoire de CDC Habitat. - En guise de propos liminaire, je vais dresser le panorama des activités de CDC Habitat. Les huit filiales représentent un parc de plus de 90 000 logements, dont 40 000 à La Réunion, 17 000 en Guyane, 30 000 en Martinique et Guadeloupe. CDC Habitat est rentré au capital des six sociétés immobilières d'outre-mer (SIDOM) en 2017, celles-ci étant précédemment détenues par l'État et l'AFD. En 2020, nous sommes rentrés au capital de la SEMADER (Société d'économie mixte d'aménagement, de développement et d'équipement de La Réunion) et de la SODIAC (Société dionysienne d'aménagement et de construction) à La Réunion.

Depuis 2017, le parc est passé de 75 000 à 90  000 logements, soit une augmentation de 25 %, grâce à l'extension de périmètre avec la SEMADER et la SODIAC, et grâce au rachat de 2  600 logements du patrimoine Batipro Logements intermédiaires (BLI)-Apavou à La Réunion et à la livraison de 5 600 logements sur cette période.

Concernant l'année 2020 et les effets de la crise sanitaire sur notre action, les activités de maîtrise d'ouvrage ont été les plus touchées comme en témoigne l'interruption de chantiers, entraînant un décalage de livraisons de trois à six mois. Certaines auront donc lieu en 2021 et non en 2020. Le décalage se ressent aussi sur les démarrages de travaux ou le montage d'opérations. Au moment de la reprise des chantiers, des discussions ont eu lieu avec les entreprises sur la prise en charge des surcoûts liées aux nouvelles contraintes d'organisation ainsi qu'au renfort de certains métiers comme les pilotes OPC (Ordonnancement Pilotage Coordination) pour la vérification des conditions sanitaires. Notre groupe a signé une charte au niveau national avec la Fédération française du bâtiment (FFB), convenant d'un partage des surcoûts entre les entreprises et nos filiales en outre-mer. Dans le secteur du BTP, nous ne constatons pas de défaillances massives d'entreprises parmi nos partenaires. Nous restons très vigilants, particulièrement sur la situation au moment de la fin du dispositif du Prêt garanti par l'État (PGE).

Concernant la gestion locative, des dispositions ont été prises dès le début du confinement pour continuer à attribuer des logements. Les commissions d'attribution de logement se sont tenues à distance. Nous avons aussi pris des mesures pour ne pas bloquer le flux d'entrée dans les lieux. Un point caractéristique de l'outre-mer est l'abondance des encaissements en espèces. Il a fallu rapidement adapter les modalités de paiement. Aujourd'hui, presque la totalité des encaissements s'effectue selon des modalités dématérialisées.

S'agissant des commerces et petites entreprises qui, suite aux dispositions réglementaires, ont été fermés, nous avons signé un accord national reportant les loyers à la demande de clients commerçants et annulant trois mois de loyer, correspondant au premier confinement, pour les commerces en situation de fermeture administrative. Des dispositifs d'accompagnement pour les locataires les plus fragiles ont été mis en place.

J'en viens au sujet central de cette audition, c'est-à-dire les résultats et les évolutions depuis que CDC Habitat intervient auprès des SIDOM, en termes d'investissements, de développement et d'indicateurs de gestion.

S'agissant des investissements sur le parc, en 2017, les démarrages de chantiers s'établissent à 56 millions d'euros sur six SIDOM. En 2020, ils atteignent 88 millions d'euros, soit plus de 50 % d'augmentation. En raison de la crise sanitaire, les chiffres de 2020 sont légèrement en deçà de nos objectifs.

Sur les dix ans à venir, nous prévoyons un investissement de 100 millions d'euros par an sur l'ensemble des SIDOM et resterons ainsi sur une tendance élevée.

À propos du Plan séisme Antilles, dans le cadre de ces investissements, la SIMAR, notre société immobilière à la Martinique, a quasiment finalisé le plan et traité les logements qui devaient l'être (soit plus de 4 000 logements, pour un montant de 70 millions d'euros). La SIG (société immobilière de la Guadeloupe) est à mi-parcours : elle a traité 3 400 logements pour un investissement de 100 millions d'euros auxquels s'ajouteront 4 300 logements dans les années à venir.

Nous sommes aussi fortement investis dans le renouvellement urbain. À La Réunion, nous sommes engagés dans six conventions ANRU avec la SIDR (Société immobilière du département de La Réunion) et la SEMADER. Nous sommes aussi concernés par trois projets NPNRU (Nouveau programme national de renouvellement urbain) en cours de montage, en Guadeloupe (Cap Excellence), Martinique (Fort-de-France) et Guyane (Cayenne). Les problématiques sont très différentes selon les territoires. À Pointe-à-Pitre, nous pouvons notamment être concernés par le patrimoine géré par la SIG mais qui demeure la propriété de la commune. À Fort de France, la SIMAR n'a pas de patrimoine en propre dans le périmètre ANRU mais des discussions sont en cours pour d'éventuelles interventions en coeur de ville où existe un patrimoine ancien à rénover. Enfin, à Cayenne, nous sommes dans le prolongement du programme ANRU 1 qui se poursuit : des démolitions et des interventions complémentaires sur le coeur de ville devraient avoir lieu.

Le prix de revient global des opérations menées sur l'ensemble des conventions signées hors NPNRU est de 175 millions d'euros. L'ANRU les finance à hauteur d'une trentaine de millions d'euros.

Sur le développement du parc, c'est-à-dire la construction de logements locatifs sociaux neufs, la tendance est à l'accélération au cours des dernières années. Plus de 3 700 permis de construire ont été obtenus en 2020 contre 2 150 en 2018. Plus de 2 000 mises en chantier ont eu lieu en 2020, ce qui est un rythme satisfaisant dans un contexte difficile. Il est important de souligner que, fin décembre 2020, près de 7 000 logements étaient en chantier. Nous en prévoyons 4 500 supplémentaires en 2021.

À propos du plan de relance dans la construction, au moment du premier confinement, CDC Habitat a lancé un appel à projets auprès des promoteurs pour acquérir 40 000 logements. Cet appel concernait aussi les outre-mer. À ce jour, nous avons reçu plus de 11 000 propositions de promoteurs ultramarins et avons identifié 6 000 logements pour des opérations s'échelonnant de 2021 à 2023. Sur les années 2021-2023, la tendance est de l'ordre de 4 000 à 5 000 logements mis en chantier par année, ce qui représente un net accroissement.

Il nous paraît important d'évoquer aussi le partenariat avec les aménageurs. Les opérations ne peuvent être menées qu'à condition de la bonne mise en réseau entre les bailleurs, les aménageurs, les collectivités et les entreprises du BTP. À La Réunion, puisque nous avons repris la SEMADER, la SODIAC et la SIDR, ces SIDOM ont une compétence d'aménagement. Les actions de redressement menées sur ces sociétés leur ont rendu leur capacité à intervenir dans l'aménagement. Ces compétences ont été regroupées dans un groupement d'intérêt économique (GIE) à La Réunion pour renforcer notre expertise et accompagner les projets des collectivités.

À Mayotte, la SIM travaille avec l'Établissement public foncier de Mayotte qui est en train d'être mis en place. En Guyane, la SIMKO (Société immobilière de Kourou) et la SIGUY travaillent aussi avec l'établissement public foncier de Guyane. Nous avons contractualisé avec cet établissement pour de l'acquisition foncière. Il s'agit d'une sécurisation mutuelle sur les projets de développement à venir. Dans les Antilles, les opérateurs sont plus nombreux et les partenariats se font davantage selon les opérations.

Concernant la gestion locative courante, les indicateurs globaux ont connu une bonne amélioration entre 2017 et 2020. La vacance est passée de 5 % à 3 % et les impayés de 4 % à 2 %. Réduire la vacance dépend des travaux nécessaires à l'amélioration de l'habitat et de l'entretien du parc pour en assurer l'attractivité. Accélérer le rythme des commissions d'attribution permet aussi de fluidifier l'occupation. Par endroits, il a fallu revoir les loyers qui n'étaient pas adaptés à l'état du patrimoine et à la demande. Pour ce qui est des impayés, les loyers des SIDOM étaient jusqu'alors payés d'avance. Nous avons basculé à un paiement en fin de mois, par alignement avec les dispositions d'aide au logement à la prévention des impayés. J'ai évoqué le développement des moyens de paiement dématérialisés qui y contribuent aussi. Nous visons aussi le déploiement progressif d'un réseau d'accompagnement social dans les agences afin d'améliorer l'accès aux droits et de privilégier la résolution amiable des impayés. Nous déployons aussi un réseau de gardiens dans les résidences, ce qui permet un contact de proximité.

À propos du redressement économique de ces sociétés, la baisse de la vacance et des impayés se ressent sur les comptes d'exploitation. Lorsqu'on compare l'excédent brut d'exploitation par rapport aux loyers, nous sommes passés d'un ratio de 48 % fin 2016 à 54 % en 2020, ce qui indique une amélioration nette de l'exploitation courante. En outre, les apports en capital ont permis de procéder à un désendettement des sociétés. Le remboursement des emprunts pèse donc moins sur l'exploitation courante.

Lorsque nous sommes intervenus, seules deux sociétés étaient concernées par une procédure CGLLS (Caisse de garantie du logement locatif social) : la SEMADER, aujourd'hui sortie du plan et la SIGUY qui devrait en sortir en 2021. En conclusion de ce propos introductif, nous considérons que ces sociétés sont sur des trajectoires vertueuses. Les indicateurs de gestion se sont améliorés et des travaux ont été menés. Nous répondons aujourd'hui aux objectifs de développement, certes très différents selon les territoires. À la Martinique ou en Guadeloupe, nous pouvons être sollicités pour du « coeur de ville », des populations d'étudiants ou de seniors, quand en Guyane on attend davantage un développement massif dans le logement locatif social ou très social.

Sur les territoires qui connaissent une demande de production importante, les sujets des normes et de leur adaptation aux besoins locaux sont centraux. Nous travaillons avec le CSTB et sommes prêts à mener des expérimentations en partenariat avec les collectivités et l'État, particulièrement nécessaires à Mayotte et en Guyane.

Mme Annick Petrus, présidente. - Je donne la parole aux rapporteurs.

M. Victorin Lurel, rapporteur- Pourriez-vous détailler davantage la répartition territoriale des logements existants et de la programmation sur les dix années à venir dans les DROM, à défaut des COM ?

Nous voudrions aussi des précisions sur les modes de financement, notamment dans le cadre du logement locatif très social et des logements intermédiaires, voire du logement libre.

Certaines opérations ont donné lieu à un désengagement et nous aimerions en avoir la liste et les montants correspondants.

Une question sensible concernant le financement est d'actualité pour la CGLLS. Certains opérateurs estiment qu'ils payent et n'en voient pas les bénéfices. Les opérateurs et fédérations du logement outre-mer, qu'il s'agisse de sociétés d'économie mixte (SEM) ou d'autres coopératives, alimentent le Fonds national des aides à la pierre qui n'intervient pas en outre-mer. L'Union sociale pour l'habitat (USH) reçoit à ce titre une enveloppe de 18 millions d'euros répartis sur toutes les fédérations mais l'Union sociale des organismes HLM d'outre-mer (USHOM) a vu sa dotation supprimée. Nous voudrions savoir combien, en tant qu'opérateur important, vous avez perçu pour le redressement des SIDOM, par structure et par territoire, et quel est votre apport à titre propre.

Lorsque nous regardons les résultats de CDC Habitat, au vu du coût de l'acquisition des SIDOM et en considération des arbitrages effectués pour supprimer certaines des obligations qui vous incombaient, nous observons après trois ans que vous dégagez un résultat de 56 millions d'euros. Comment lire ce résultat positif sur une valorisation de 193 millions d'euros ? Une gestion et une trajectoire vertueuses étaient nécessaires. Mais dans le cadre des redressements, y a-t-il eu des baisses de loyer ou a-t-il été porté au maximum dans les zones tendues ? Quid du personnel et des plans sociaux ? Quid de l'encadrement ? A-t-on remplacé des cadres locaux par des cadres parisiens, problématique évoquée par le ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, dans un courrier relatif à la gestion de l'eau en Guadeloupe ? Et quid des usagers dans la gestion locative ? Pouvez-vous aussi détailler la proportion de publics vulnérables et la direction adoptée pour ces publics ?

Enfin, concernant les dotations prévues par la loi ELAN pour la rénovation, quelle enveloppe a été réservée aux outre-mer ? À l'époque, nous avions l'impression qu'une trésorerie commune avait été créée entre vos filiales sans apport propre de CDC Habitat. La solidarité semblait exister inter-territoires mais pas entre CDC Habitat et ses filiales d'outre-mer. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Mme Anne-Sophie Grave. - Les 100 millions d'euros par an sur dix ans portent sur les investissements sur le parc. Nous vous transmettrons par écrit les chiffres par territoire avec le détail de la programmation par société des travaux à venir sur les dix prochaines années.

La part du logement locatif très social a augmenté depuis 2017 puisque nous sommes passés de 24 % à 30 % dans la production et, en valeur absolue, l'augmentation est de 83 %. Nous avons aussi diversifié la production de logements intermédiaires. En 2020, sur un peu plus de 2 000 logements mis en chantier, ces derniers en représentaient environ 10 %.

Sur la question relative aux opérations en Guadeloupe, nous n'avons pas connaissance de désengagements. Parfois, en Guadeloupe comme ailleurs, des opérations peuvent être abandonnées en phase de montage pour des raisons variées : urbanisme, financement, appels d'offres infructueux par exemple. Vous avez évoqué la LBU à juste titre. Un travail en amont est mené avec les Directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) pour appréhender la production et ne pas mobiliser des enveloppes que nous ne pourrions mener à leur terme.

Concernant la CGLLS, le détail est fourni dans le document qui vous a été remis. Deux sociétés suivaient une procédure CGLLS quand CDC Habitat est intervenu. La SEMADER, depuis 2013, avait connu une augmentation de capital souscrite par la Communauté intercommunale des villes solidaires de l'Île de La Réunion (CIVIS) et la Banque des territoires, ainsi qu'une subvention de la CGLLS de 8,6 millions d'euros et un prêt de 5,3 millions d'euros. Depuis l'intégration de la SEMADER au groupe, une nouvelle augmentation de capital de 15 millions d'euros est intervenue mais il n'y a pas eu de nouvelle subvention de la CGLLS, la dernière ayant été accordée avant que nous reprenions la SEMADER.

À propos de la SIGUY, le plan de redressement a conduit à une augmentation de capital de 20 millions d'euros et le montant de la CGLLS était, lui, de 22 millions d'euros.

Vous aviez une question complémentaire sur l'apport en propre de CDC Habitat auprès de ces sociétés et notre part dans le redressement. CDC Habitat est intervenu en reprenant les actions de l'État et de l'AFD et a participé à une augmentation du capital ou des apports en compte courant. CDC Habitat a versé 161 millions d'euros et a apporté 30 millions d'euros supplémentaires, pour un apport total de 191 millions d'euros sur l'ensemble des reprises.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Vous dites avoir dépensé 161 millions d'euros plus 30 millions d'euros. Cette somme correspond-elle aux six ou aux huit SIDOM ?

Mme Anne-Sophie Grave. - Aux huit SIDOM.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - S'agit-il de 161 millions d'euros ? J'avais l'impression que vous aviez dépensé, au total et en net, 56 ou 57 millions d'euros. La présentation budgétaire de la mission outre-mer en loi de finances n'est pas très claire.

Mme Anne-Sophie Grave. - Il y a eu l'acquisition des actions, des participations à des augmentations de capital et des apports en compte courant auprès de ces sociétés, le tout pour 191 millions d'euros. En regardant le résultat de 2016, de l'ordre de 19 millions d'euros, et de 2017, de l'ordre de 6 millions d'euros, on constate le chemin parcouru. Mais il a fallu un redressement, un travail de fond sur les indicateurs de gestion, sur la vacance d'immeubles, l'état du patrimoine, etc. avec les équipes de chacune de ces SIDOM et un apport d'expertise pour permettre ce redressement. Il faut s'en féliciter car tout est réinvesti dans les territoires. À partir du moment où les sociétés dégagent davantage de résultats par leur exploitation, on peut davantage réinvestir en réhabilitation ou en développement. Cela a aussi permis de désendetter ces sociétés en leur redonnant des marges de manoeuvre. Si ce progrès peut paraître rapide, il faut en féliciter les équipes locales et reconnaître l'appui du groupe.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Des incompréhensions demeurent à la lecture du document.

M. Philippe Pourcel, directeur général adjoint du réseau outre-mer de CDC Habitat. - Les 160 millions d'euros valent pour les huit SIDOM intégrant les prises de position majoritaires dans la SEMADER et la SODIAC. Ces deux SEM dépendaient de collectivités locales, CIVIS pour l'une et la ville de Saint-Denis pour l'autre. Par rapport à la commission de privatisation, les 190 millions d'euros étaient une valorisation pour la totalité des actions. Or, nous avons aujourd'hui en moyenne environ 60 % des actions.

Mme Anne-Sophie Grave. - Concernant la loi ELAN et les 330 millions d'euros mis à disposition par la Banque des territoires, nous n'avons pas émargé à ces aides pour les outre-mer qui n'étaient pas concernées par le regroupement des dispositifs. Nous n'étions donc pas éligibles.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Madame la présidente, avez-vous récemment constaté une tendance à substituer des prêts Action Logement aux prêts CDC classiques ? Les taux sont avantageux dans le cadre du Plan d'investissement volontaire (PIV) mais ne donnent pas droit à l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). À la sortie, cela risque de peser sur le prix du mètre carré.

Mme Anne-Sophie Grave. - Nous mobilisons aussi bien les financements Action Logement au titre du PIV que d'autres, notamment sur des opérations de démolition et les prêts classiques de la Caisse des dépôts pour le reste. À notre connaissance, on ne perd pas l'exonération de la TFPB (Taxe foncière sur les propriétés bâties). Il s'agit peut-être d'un cas particulier. Nous vous donnerons une réponse par écrit.

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Permettez-moi de vous féliciter pour la qualité de votre présentation qui m'a éclairée sur la situation et l'action de CDC Habitat. Concernant l'habitat indigne, comment accélérer la production de logements très sociaux en outre-mer alors que la crise devrait encore accroître les besoins ? Prévoyez-vous une crise de l'immobilier de bureau qui pourrait conduire à reconvertir des immeubles de bureaux en logements ? Quelles sont les actions de CDC Habitat pour permettre de dynamiser les centres-villes ? Comment assurer l'implantation de logements à proximité des lieux d'activité ? Quel rôle peut jouer CDC Habitat pour la réussite des opérations du programme « Action coeur de ville » (ACV) ? En quoi la reprise des SIDOM par CDC Habitat a-t-elle permis de professionnaliser davantage la gestion administrative et opérationnelle de ces sociétés ? Faut-il regrouper ces sociétés dans des territoires comme La Réunion ? A contrario, faut-il susciter la création d'opérateurs supplémentaires à Mayotte et en Guyane ? Dans l'affirmative, quels sont les effets concrets qui peuvent en résulter ? Comment intégrer dans les politiques de construction l'accueil de publics spécifiques (seniors, étudiants, publics fragiles) et les évolutions sociétales comme la décohabitation ? Comment remédier aux difficultés posées par la vacance locative et les impayés ?

Quelles peuvent être les actions de CDC Habitat pour participer aux opérations de résorption de l'habitat indigne ? Comment assurer le relogement des populations après les opérations de démolition ? Disposez-vous d'exemples d'actions menées avec des associations de quartier pour oeuvrer à l'adhésion sociale aux projets de construction et de réhabilitation ?

Enfin, concernant les quotas, il a été porté à ma connaissance que, dans le cadre de projets de logements, il existait un quota de logements très sociaux à ne pas dépasser. Or la situation est très problématique dans les territoires ultramarins en considération des publics en situation très précaire. Comment faire en sorte de ne pas bloquer certains projets qui seraient manifestement utiles ?

Mme Anne-Sophie Grave. - S'il faut nuancer la réponse selon les territoires, il existe une constante dans les problématiques rencontrées par les logements très sociaux : la question du foncier, de l'aménagement et de ses coûts, qu'il faut inclure parfois à l'opération de logements locatifs sociaux. Il faut, en outre, éviter l'inflation foncière. Les coûts de construction sont une seconde difficulté, en raison à la fois des normes et des spécificités des territoires.

C'est en Guyane et à Mayotte que les besoins sont les plus criants. Nous sommes face à une sorte de paradoxe. Les familles sont plus nombreuses, elles ont donc besoin de logements plus grands mais, en conséquence, le loyer est plus élevé là où il devrait être plus bas. C'est un équilibre délicat à trouver. Nous sommes intéressés par les démarches initiées pour aller vers un logement très social à la construction adaptée afin de résoudre cette difficulté. Sans cela, nous aurons du mal à répondre massivement à la demande.

M. Philippe Pourcel. - Nous avons mené des expérimentations de logements à coût adapté mais nous n'arrivons pas, aujourd'hui, à changer fondamentalement le niveau de loyer habituel. À système normatif constant, nous pouvons peut-être gagner 5 % à 10 % sur le coût de revient mais pas davantage. Or, à Mayotte ou en Guyane, compte tenu du niveau de revenu et de la composition familiale, il faudrait une différence de l'ordre d'un tiers ou de la moitié du coût de revient pour pouvoir baisser significativement le loyer.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Quel serait le loyer qui vous mettrait au point d'équilibre, en tenant compte de la sociologie comme vous en faites état ? Nous sommes en deçà des seuils des logements locatifs très sociaux (LLTS).

M. Philippe Pourcel. - En effet, en particulier à Mayotte et dans une moindre mesure en Guyane, nous faisons face à des écarts de revenus très élevés par rapport à la métropole et au reste de l'outre-mer. Pour diminuer très significativement les loyers, il faut abaisser très significativement les coûts de revient et nous ne pouvons pas y parvenir à normes constantes.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Même en agissant sur le foncier en Guyane, qui est pourtant abondant ?

M. Philippe Pourcel. - Le foncier est certes abondant et peu cher en Guyane, mais il nécessite des aménagements spéciaux. Le territoire est en outre très étendu avec un foncier peu desservi et le coût réside avant tout dans son aménagement.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Le Fonds régional d'aménagement foncier et urbain (FRAFU) ne peut-il pas intervenir massivement ?

M. Philippe Pourcel. - Je crois qu'il investit déjà 20 millions d'euros en Guyane. L'ordre de grandeur est une demande de 3 000 à 4 000 logements de toute nature par an en Guyane. La voirie et les réseaux divers pour un tel nombre de logements représentent un montant très important. Nous discutions récemment des opérations de sortie de bidonville avec le préfet de ce territoire. Si nous voulons les financer en logement très social pour les personnes éligibles ou en hébergement pour celles qui n'ont pas d'éligibilité immédiate, il faudrait des prix de revient de moitié inférieurs à celui obtenu aujourd'hui, ce qui signifie un changement profond de la nature des constructions.

Mme Anne-Sophie Grave. - Parmi les pistes envisageables figure l'option de s'affranchir des normes de la Communauté européenne et de voir ce qui a cours dans les pays voisins. Cela suppose que l'État puisse accepter des normes de construction plus adaptées aux territoires que des normes élaborées, in fine, pour la métropole. Il y a une prise de conscience forte sur ces sujets. Le préfet est parfois prêt à utiliser son pouvoir dérogatoire . À grande échelle, c'est une question de politique publique.

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Je vous rejoins sur cette problématique normative. À mon sens, le problème de fond demeure le financement. Aux Antilles, des universités et instituts de recherche pourraient travailler à l'adaptation des normes et aux matériaux adéquats mais le financement leur fait défaut. Pensez-vous qu'il serait possible de créer un organisme de financement pour accompagner les universités dans des programmes de recherche spécifiques, par exemple concernant les aléas climatiques ? À la longue, nous serions gagnants en démontrant que certaines normes sont adaptables aux territoires ultramarins, à la fois du point de vue du logement et du développement économique.

Mme Anne-Sophie Grave. - Nous partageons ce point de vue. Nous ne verrions que des avantages à créer une filière de recherche et développement et d'application pratique sur ces territoires. Nous serions prêts à monter des partenariats sur ces sujets. Si nous voulons que ce soit efficace, cela doit aboutir à des évolutions réglementaires.

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Il n'est pas seulement question d'innovation stricte puisque des techniques ancestrales ont fait leurs preuves. Après le cyclone Irma, nous avons constaté que les constructions, parfois vétustes, bâties de façon traditionnelle, ont bien mieux résisté que les villas récentes. Il y a aussi une histoire et un patrimoine local à explorer, à mettre en valeur et dont nous pouvons bénéficier à long terme.

Mme Anne-Sophie Grave. - En effet, nous progresserons en construisant local et avec des normes adaptées.

À propos de la redynamisation des coeurs de ville, nous opérons en partenariat avec la Banque des territoires qui intervient sur la partie commerciale quand nous intervenons sur la partie bâti et logement. Nous sommes en discussion avec un certain nombre de collectivités sur ces sujets de fond. Ils rejoignent la question de l'habitat insalubre.

M. Philippe Pourcel. - Dans des territoires exigus, on a besoin d'utiliser tous les coeurs de ville pour reconstruire. Nous intervenons sur des immeubles habités ou à réhabiliter, mais aussi sur des dents creuses ou des îlots à restructurer auxquels nous pouvons apporter une solution. Après la restructuration, il faut un investisseur, soit pour du logement social soit pour des logements destinés aux seniors ou aux étudiants. Cela permet de réutiliser des espaces parfois à l'abandon, de démolir et de reconstruire, à moins qu'ils ne présentent une qualité architecturale particulière.

Mme Anne-Sophie Grave. - Les projets redémarrent dans les collectivités. Je n'ai pas pu me déplacer comme prévu dans les territoires mais j'ai pu observer le souhait d'intervenir sur les coeurs de ville. Nous sommes en discussion avec les collectivités pour voir comment nous pouvons intervenir, comme opérateur ou investisseur, une fois l'opération montée.

Cela permet aussi de diversifier les populations et de s'adapter aux besoins. S'agissant des quotas, nous avons aujourd'hui un quota de 25 % de logements locatifs sociaux à atteindre. Cela dépend des territoires. Beaucoup de collectivités considèrent qu'elles ont suffisamment de logements locatifs sociaux et n'ont pas de capacités d'accueil supplémentaire, et limitent donc les projets de construction.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - J'ai souvenir d'une réponse donnée par le ministre des outre-mer à un amendement rejeté par la majorité sénatoriale avec un avis défavorable du Gouvernement sur la question des « facteurs limitants ».

Mme Anne-Sophie Grave. - Concernant la professionnalisation de la gestion administrative, celle-ci a eu lieu et a donné les résultats évoqués sur la vacance des logements, les impayés et la maîtrise d'ouvrage. Vous vous interrogiez sur le regroupement de sociétés ou la création d'opérateurs. Nous avons regroupé des sociétés à La Réunion, en créant des Groupements d'intérêt économique (GIE) qui permettent de réunir les équipes par type d'expertise, par exemple l'aménagement ou la maîtrise d'ouvrage. Cela conduit à une mise en commun des moyens pour mieux agir sans fusionner les structures. Il en est de même en Guyane.

Le sujet de nouveaux opérateurs à Mayotte ou en Guyane est délicat. Il pose la question du temps nécessaire à ce qu'un nouvel opérateur atteigne la taille critique qui lui permette d'avoir un effet sur le territoire, sans avoir une trajectoire erratique en raison d'une marche forcée. Nous avons connu des situations délicates par le passé et c'est donc une possibilité à étudier avec attention et prudence. Elle est du ressort de l'État et des autres acteurs du secteur.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Je profite de la question sur la professionnalisation pour revenir sur le personnel, l'emploi des cadres locaux et les usagers. Certains se plaignent du fait qu'il n'y aurait pas assez de cadres locaux.

Mme Anne-Sophie Grave. - Je ne peux que démentir ce propos car nous cherchons activement à recruter des cadres locaux. Nous encourageons les mobilités au sein du groupe, dans les deux sens mais la priorité est donnée aux cadres locaux par rapport aux cadres métropolitains. Il n'y a pas eu de plan de licenciement dans les SIDOM. En revanche, il peut y avoir des évolutions de métier et des changements de poste. Nous avons, par exemple, eu à évoquer la situation des gardiens.

Il y a eu aussi des révisions du loyer lorsque celui-ci n'était pas adapté au patrimoine ou à la demande locale.

M. Philippe Pourcel. - Dans la lutte contre la vacance, l'état technique et le coût des loyers figurent parmi les facteurs d'attractivité. Dans les secteurs à forte vacance, nous nous sommes réinterrogés sur la compétitivité des offres que nous proposions. Nous avons réévalué les loyers des logements issus d'opérations financées en Prêts locatifs sociaux (PLS), sur la fourchette haute de la gamme. Cela a aussi conduit à baisser les loyers sur les zones moins tendues en termes de demande mais, dans ces cas, il s'agit davantage de l'évolution du parc que d'une question de loyer. Cela concerne des secteurs semi-ruraux qui ont des difficultés à garder leur population. Par endroits, nous avons pu procéder à des ventes aux occupants pour diminuer la taille du patrimoine. La trajectoire de redressement passe par les loyers puisqu'il y a davantage de logements loués et moins d'impayés. Les 160 millions d'euros de fonds propres réinvestis dans la réhabilitation sont le résultat de gestion des sociétés, pas celui des baisses de loyers, lesquelles sont plus liées aux opportunités et réalités commerciales.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Beaucoup de sujets ont été abordés. S'agissant de l'habitat de demain et de l'innovation dans la construction, la question du coût du logement a émergé aux côtés de celle des compétences et de la formation dans les entreprises du BTP ainsi que celles des matériaux locaux et du développement des filières locales. Il y a une difficulté à définir la problématique. On parle de développement de filières, de matériaux, etc. La commande publique - les bailleurs sociaux et les maîtres d'ouvrage - a une place importante si elle décide d'opérations pilotes ou de la mise en avant de matériaux, et permet d'initier la mise en place d'une filière en accompagnant les entreprises. Quelques opérations ont été réalisées en ce sens. Toutefois, quel est votre constat, et y a-t-il d'autres opérations en cours ou au stade de réflexion ? Des tentatives sont menées en faveur de l'auto-construction et de l'auto-réhabilitation encadrées, mais il semble que le bilan ne soit pas entièrement positif. Pouvez-vous développer ces sujets ?

Nous envisageons la tenue d'Assises de la construction face à la nécessité de partager les expériences et de la mise en réseau de l'ensemble des acteurs. Cette idée vous paraît-elle intéressante ?

Mme Anne-Sophie Grave. - Pour revenir sur le coût de la construction, il est frappant de constater que le prix de revient d'une opération en outre-mer est aussi élevé qu'en Ile-de-France, quand le prix du foncier est dans un rapport de 1 à 10. Les coûts de construction sont d'environ 1 800 euros du mètre carré, ce qui est très élevé. Toute démarche amenant à réfléchir à des constructions mieux adaptées, moins chères et prenant en compte les techniques de construction patrimoniales est bienvenue.

Certains surcoûts sont inhérents, pour les risques sismiques ou cycloniques, mais d'autres pourraient être évités et ne répondent pas aux besoins et usages locaux. Nous sommes très favorables à la mise en place d'actions qui puissent aller dans le sens du renforcement des filières locales et d'expérimentation ainsi qu'à la meilleure prise en compte des savoir-faire locaux et historiques. Nous serons donc partie prenante de ces discussions et sommes prêts à contribuer aux expérimentations. Je laisse la parole à Philippe Pourcel sur les expérimentations qui n'ont pas, à ce stade, donné de résultats, qu'il s'agisse de construction industrialisée ou d'action d'urgence.

M. Philippe Pourcel. - Parmi les facteurs de surcoût, il y a des facteurs objectifs comme le terrain spongieux en Guyane, ou les contraintes sismique et cyclonique, mais il y a aussi l'étroitesse des marchés. Il y a un intérêt à développer des normes locales, mais il y a aussi un intérêt à développer des normes régionales, c'est-à-dire voir ce que font les voisins. Pour un chantier en Guyane, nous achetons du bois de charpente de Scandinavie, le bois brésilien n'étant généralement pas importable en Guyane. Prendre en compte les normes et les modes constructifs voisins permettrait de se réinsérer dans un marché plus large. Construire 4 000 ou 5 000 logements par an en Guyane représenterait le double de ce qu'on fait aujourd'hui et ne représente pas un marché d'ampleur.

Si les certificateurs ne travaillent pas à l'homologation de procédés de construction naturels, c'est aussi qu'ils n'ont pas la possibilité de le faire. Nous avons mené une expérimentation avec un appel à projets de construction industrialisée en Guyane pour optimiser les prix. La moitié de nos interlocuteurs ont jugé qu'il fallait une garantie de production minimale de 2 000 logements par an pour installer une usine. À Mayotte, nous avons beaucoup travaillé autour des briques de terre compressée, un matériau local. Afin de les utiliser à une échelle industrielle, il faut envisager un minimum de 1 000 logements par an. La brique de terre ne répond pas à tous les usages, il y a notamment une limitation en hauteur. La question est donc la suivante : à quelle échelle régionale va-t-on chercher les normes qui permettent de sortir de nos marchés restreints et des contraintes existantes de concurrence et de prix ? Quelles idées emprunter aux voisins et comment les adapter ? Et comment s'adapter à des produits existants ? Nous avons de grands États voisins, que ce soit dans l'océan Indien ou aux Antilles et en Guyane.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - L'étendue du marché est un sujet compliqué. Sur de petits marchés, il est difficile d'atteindre une économie d'échelle. Dès qu'on modernise et commercialise, ce qui était viable dans une économie parcellaire ou de subsistance cesse de l'être dans une économie de marché normée avec des appels d'offres. D'où la nécessité d'importer et de faire jouer la concurrence. L'Autorité de la concurrence a fait des études à Mayotte et à La Réunion pour conclure à l'existence d'oligopoles qui maximisent les prix avec des marges exorbitantes. En économie libérale, nous ne pouvons plus réguler directement les prix mais il faut trouver des solutions.

L'innovation a un coût, dans le passage du travail des laboratoires à la certification et à l'industrialisation. Il faut donc des subventions publiques. Certains se sont posé sérieusement la question de services publics pour soutenir ces filières afin de garder des prix à des plafonds raisonnables et répondre à l'intérêt général. On peut obtenir l'équilibre dans les Antilles et à La Réunion. En revanche il faut peut-être un pouvoir plus directif ou coercitif qui serait celui du préfet pour Mayotte ou la Guyane, ou des dérogations, afin de tenir compte de la réalité des ressources des ménages.

M. Philippe Pourcel. - Il n'y a que deux alternatives : plus de subventions ou un coût de revient moins élevé.

Mme Anne-Sophie Grave. - Ainsi qu'un produit adapté, qui est une composante de l'ensemble.

Mme Annick Petrus, présidente. - Nous vous remercions pour la clarté de vos propos et de vos réponses.